1
Mariage dans la Bible et modernité
Le document de préparation du synode extraordinaire sur la famille justifie ainsi sa
convocation :
« Il est évident que la crise sociale et spirituelle que subit le monde pèse sur la vie
familiale au point de provoquer une urgence pastorale ».
Le Cardinal ERDO en ouvre le dossier canonique et pastoral en ces termes :
La famille est une réalité sociale découlant de la volonté du Créateur, et non
pas une simple invention de la société ou de quelque pouvoir humain. Elle est au
contraire une réalité naturelle élevée par le Christ dans le cadre de la grâce divine.
« La famille est une réalité sociale découlant de la volonté du Créateur ». Cette
proposition présidera à l’Ancien Testament
« Une réalité naturelle élevée par le Christ dans le cadre de la grâce divine »Cette
proposition présidera au Nouveau Testament relisant toute la Bible. »
Nous distinguerons deux « Seuils de foi » dans l’Ancien Testament selon que la foi
précède ou suit la découverte du monothéisme. Et deux « Seuils de foi » dans la Nouveau
Testament, selon que la prédication de Jésus est adressée prioritairement à Israël ou
que le culte du Ressuscité est proposé à tout l’univers comme prévu de toute éternité.
Dans l’ancien Testament
« La famille est une réalité sociale découlant de la volonté du Créateur ». Cette
proposition présidera à l’Ancien Testament
La volonté du Créateur est exprimée dans l’Ancien Testament par 2 grands textes sur
l’origine du monde. Comme les cosmogonies du Moyen Orient, ils expriment une
conception du monde tissée d’histoire. Ensemble, ils ont été transmis dans la Bible, de
relectures en relectures, jusqu’à Jésus. Ces textes articulant vision du monde et histoire
sont ce que nous appelons des fondamentaux
1
, toujours accompagnées dans la Bible, de
leurs conséquences en terme de codes, rites et institutions.
1
Il a été longtemps pensé que les cosmogonies s’apparentaient à des affabulations (ou
mythologies) pour imaginer un sens à la vie et au monde. Ces affabulations auraient été
discréditées par la Bible au profit de l’histoire du salut. Cette scission entre cosmogonie
et histoire résulte de l’abandon par les théologiens scolastiques de la double révélation
de Dieu dans la nature et dans l’histoire. Cette double révélation qui avait été une
évidence pour les orientaux, les théologiens Victorins et pour Bonaventure, était ramené
à l’unité de l’Ecriture par les scolastiques, puisqu’à juste titre, il ne saurait y avoir
d’opposition entre le créateur et le Rédempteur, on pouvait se contenter d’étudier
l’Ecriture et laisser tomber l’analyse de la nature et du cosmos. La théologie se
confondant avec la lecture de l’Ecriture, on établissait que l’histoire (étant de type
linéaire) mettait fin à la mythologie cosmogonique (à dominante cyclique). A la suite de
Mircea Eliade dans « Aspects du mythe » Gallimard, col. Idée, Paris 1963 nous regardons
ces cosmogonies comme une expression de la quête de sens, liée à la prise en compte de
2
Cette articulation de la vie - et donc aussi du mariage - sur les fondamentaux de la Bible
est réinterrogée par une partie de la société moderne : celle-ci estime qu’à l’époque du
« big-bang », nous n’avons plus à indexer l’avenir de l’homme sur les fondamentaux
cosmogoniques et anthropologiques présents dans la Bible mais qu’elle estime
dépassés
2
. Évidemment cette appréciation touche de plein fouet la famille, et donc
l’avenir de la société humaine. Une telle remise en question oblige à réinterroger la
Bible. L’exégèse peut-elle y aider ? Elle pourrait aider à situer sur son socle d’histoire
littéraire la très belle anthropologie du « corps » développée par Jean Paul II. Les notes
de bas de page de cette communication y aideront.
Premier « Seuil » : avant la découverte du monothéisme
Les fondamentaux repris des cosmogonies moyen-orientales en Gn 2.3.
Ce texte biblique est écrit vers le 8°s. avant notre ère
3
. Le Moyen-Orient a découvert un
siècle plus tôt l’écriture alphabétique et une période de paix après la chute du Royaume
du Nord à Samarie -722, permet au roi Josias de rassembler à Jérusalem les traditions
des sanctuaires jusque-là éparses dans le Nord comme dans le Sud.
Josias hérite des cosmogonies anciennes d’Égypte et de Mésopotamie, mais, il hérite des
traditions semi-nomades de ses ancêtres, et voit le monde créé comme un désert il
n’y a ni plante ni arbre (2,4s). Dieu, à la manière du dieu Égyptien Khnum, modèle alors
Adam à partir du sable et de la rosée du matin et lui insuffle la vie (2,7s).
Adam passe du désert la manne et les cailles étaient données par Dieu, au jardin de
Canaan tout se cultive et les adeptes du Baal, pour appeler la pluie, pratiquaient
les cultes de fécondité autour de « l’arbre de vie ». Ces cultes ont posé problème aux
nouveaux arrivants et ont été source de conflits
4
.
Les fondamentaux repris de l’histoire en Gn 2.3
Les conflits d’Assimilation/rejet
l’environnement et de ses rythmes, vécue dans une histoire héritée des ancêtres et des
conflits de voisinage avec les autres religions. Nous appellerons ces mixtes de
cosmogonie et d’histoire les « fondamentaux » d’une population donnée. Cf P.Ricœur,
Finitude et culpabilité : II Symbolique du mal Paris, Aubier, 1960 pp.218-227) Jean Paul
II, Homme et femme il les créa, Cerf, 2010 (désormais JPII dans nos notes) p.19 note 1
2
Pour ne prendre qu’un exemple, la possibilité d'engendrer sans relation sexuelle, grâce
aux biotechnologies, rejoint les cas de parthénogenèse présents dans la nature, que ce
soit dans le monde animal ou végétal. En quel sens peut-on encore dire que le mariage
homme-femme s’appuie sur la nature ?
3
Pour garder en perspective le « big-bang » nous dirions que dans un agenda qui
ramènerait à un an les 14 milliards d’années de l’univers, la première écriture de la Bible
tomberait le 31 Décembre un peu avant minuit.
4
Quand l’immigrant arrive dans un pays qui ne partage pas ses fondamentaux, il
cherche à assimiler dans le mythe autochtone ce qui résulte du nouvel environnement
de son habitat et lui paraît essentiel pour subsister. Par contre il garde des valeurs liées
à sa propre histoire (priorité de YHWH du désert sur le Baal des pluies), et l’autochtone
ne lui pardonne pas cette posture de supériorité. Il est alors rejeté par l’autochtone.
3
Les autochtones cananéens s’étaient installées les tribus semi-nomades, étaient des
agriculteurs en pleine décadence, regroupés autour de cités royales juchées sur des
hauteurs. Le culte au dieu Baal, pourvoyeur des pluies nécessaires à l’agriculture, était
dans la main du roi. Ce lien que le roi avait entre le ciel et la terre était symbolisé par
« l’arbre de vie » au milieu du jardin du palais.
Les semi-nomades en immigration étaient au contraire des itinérants au gré des
transhumances printanières. Après une période d’assimilation où l’on essaie de tout
mettre en commun, même les dieux, l’immigrant privilégie des valeurs liées à sa propre
histoire de sorte qu’il apparaît en rival aux yeux de l’autochtone et est rejeté.
L’immigrant a alors sur lui l’avantage de n’avoir rien à perdre et il est souvent
vainqueur.
Il en résulte une recomposition partagée des fondamentaux. En l’occurrence, les
cosmogonies du Nil, des deux fleuves ou encore celles d’Ugarit et de son Baal, sont
recouvertes par celles du désert, et le tissage opéré sur le mythe par l’histoire est celui
de l’immigration des tribus semi-nomades en lien avec les semi-nomades déjà installés
en terre de Canaan.
Pour mettre un terme à ces conflits
Le rédacteur qui voit la solution à ces conflits dans la réforme de Josias, centrée sur la
Torah et le Temple, double « l’arbre de vie » de l’antidote de son temps : la Torah de
Moïse qui devient dans le texte « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (2,9), lui
aussi au milieu du jardin.
Le texte poursuit : Adam, aura à la cultiver/cultuer et la garder (2,15). Le jardin étant
masculin en hébreu, ce féminin, sous la plume du rédacteur ne peut désigner que la
Torah qu’il demande de « garder » et à laquelle on doit rendre un culte (2,16 ; Dt 5,15).
Les traductions araméennes anciennes du targum mentionnent explicitement la Torah
comme complément d’objet des verbes « cultiver/cultuer » et « garder ». Ces deux
derniers termes font partie du vocabulaire caractéristique du deutéronome et
concernent la Torah dans son aspect cultuel (la’avod/cultiver et cultuer) et éthique
(lishemor/garder les commandements). Le targum néofiti, un des plus anciens, traduit
ainsi Gn 2,15 : « Pour rendre un culte selon la Loi et pour garder ses commandements ».
Au temps du rédacteur Josianique, une relecture inspirée d’Ezéchiel 28,12s où l’Eden est
clairement identifié comme une montagne symbolique du roi de Tyr, « l’arbre de vie »
désigne tout aussi bien le roi auquel il n’est pas permis de toucher sous peine d’être
exclus du royaume et chassé du paradis, que la Torah, « arbre de la connaissance du bien
et du mal », dont il est le garant
5
.
Les codes du mariage qui en résultent
Adam doit prendre ses distances par rapport aux cultes du Baal et à « l’arbre de vie » et
s’il y retourne, il encoure la peine de mort. Les codes qui résultent du remodelage de
fondamentaux avant le regroupement en royaumes et de leurs instances judiciaires, sont
des codes apodictiques garantis par Dieu lui-même à défaut d’un pouvoir installé. La
sanction d’origine divine est alors la mort infligée par Dieu en personne : « mot tamut /
5
On se rappellera comment l’écrivain josianique du livre de Samuel décrit la poursuite
de David par Saul. Et comment David, le prétendant au Royaume évite par deux fois de
tuer Saül que Dieu livrait entre ses mains pour la raison que l’on ne touche pas au oint
de YHWH (1 S 24,7 ; 26,9).
4
tu mourras de mort » que l’on retrouve dans notre texte (Gn 2,17) comme dans le plus
ancien code d’alliance de la Bible (Ex 21,13-15). Adam doit donc éviter ces cultes et pour
cela « cultiver/cultuer et garder » la Torah. C’est ainsi qu’il vivra.
Il est clair qu’il ne pourra le faire, s’il n’a, en face de lui, un support liturgique un « ‘ezer
ken‘egdo/ un soutien comme en face de lui » qui lui ouvre le chemin vers Dieu. La racine
« ezer » (masculin qu’il ne faut pas traduire par une aide, déjà pointée vers la femme) se
retrouve dans les noms théophores comme « Azarya/Yhwh est mon soutien » ;
« Eli’ezer/Mon Dieu est mon soutien » C’est donc un soutien théo-centré ou liturgique.
L’Egypte avait pour support liturgique ou icône de sa vénération du soleil, des dieux à
face d’animaux. Mais si l’homme peut donner des noms à ces animaux, ils ne sont pas ses
dieux (Gn 2,20)
6
. Les animaux, pas plus que « l’arbre de vie » des cultes au Baal, ne sont
pour Adam le « soutien comme en face de lui » requis pour rester fidèle au Dieu de
l’Alliance
7
.
Ce soutien, pour Josias, ne pouvait venir que de la Torah d’Alliance. C’est elle, « le
soutien » dont Adam a besoin pour rester fidèle à son Créateur. Dieu plonge alors Adam
dans l’extase (Tardemah) il a donné l’Alliance à Abraham (Gn 15,12) et c’est dans
cette extase, que naît la femme de la côte d’Adam pour être « en face de lui » l’Alliance ou
le symbole de la Torah. Dans la Bible la femme n’est plus « ‘ezer/icône » comme
emblème de la vie qu’elle possèderait comme prêtresse sacrée
8
. « L’arbre de vie » est
6
Pour les dieux Égyptiens à face d’animaux, on se reportera aux manuels d’histoire des
religions au chapitre de la religion Égyptienne. Cf Dimitri Meeks, Zoomorphie et image
des dieux dans l’Égypte ancienne, 1986 p.172-191 (Conférence) Les dieux égyptiens
Hachette 1998.
7
Pour une analyse anthropologique du fond mythique du texte de Gn 2,19s, avant son
interprétation relative à la Torah au temps du rédacteur josianique on pourra lire : JPII.
p.33.
8
Les cultes au Baal avaient pourtant pour eux l’observation multiséculaire véhiculée par
le mythe moyen-oriental. Ce qui justifiait le rôle de prêtresse sacrée attribué à la femme
par les cultes de fécondité se justifiait de multiples manières :
- Le rôle de prêtresse sacrée se justifiait surtout par le fait que la femme pouvait
mettre au monde à la fois des femmes et des hommes. Elle était donc perçue
comme bien supérieure à l’homme par ce don antérieur à la différenciation
sexuelle et qui ne pouvait donc trouver son origine que dans la volonté des dieux
antérieure à la création du masculin et du féminin.
- Quand les dieux masculins créent le monde par masturbation, le terre ou le Nil
sont encore le réceptacle de leur semence. Sans ce réceptacle il ne peut pas y
avoir de monde. Une fois créé ce monde est différencié en masculin et féminin
grâce à la femme/terre qui leur a donné existence. Dans le mythe du Baal, s’unir à
la prêtresse sacrée pour rappeler aux dieux par ce mime de leur action créatrice,
leur devoir de féconder la terre par la pluie, ou réveiller le dieu Moloch endormi
par l’hiver, était une liturgie sacrée indispensable à la fécondité de la terre.
- Plus généralement ce rôle de prêtresse se justifiait aussi par ce que l’on appelle
aujourd’hui l’appétence hormonale, mais qui était alors attribuée aux dieux par le
mythe. De tout temps elle attire l’homme sauvage vers la femme divine, laquelle
lui fournit en réponse l’extase recherchée (elle aussi d’origine divine). La femme
est divine, même si l’homme est l’animal le plus beau de la terre. Quand l’homme
5
remplacé par « l’arbre de la connaissance du bien et du mal », symbole de la Torah.
Quant à la femme, elle est tirée de la côte d’Adam. C’est lui qui a « la vie » avant elle. En
sumérien et dans les mythologies qui en sont issues, « ti » ou « tu » désigne à la fois la
côte et la vie (Nin-ti est la déesse de la côte et de la vie ; quand les côtes ne bougent plus,
la vie est partie). Dans notre récit, la femme est tirée de la côte/vie d’Adam et elle lui est
donnée dans la « tardemah » Abraham a reçu l’Alliance (Gn 15). La femme n’est plus
la prêtresse de « la vie » mais le don fait à l’homme d’une icône de « l’Alliance ».
La femme/ishshah est donnée à Adam comme le féminin de l’homme/Ish. Mais ils sont
différenciés dans la complémentarité puisque « ish » et « ishshah » - qui semblent le
même mot au masculin et au féminin - ne sont pas de la même racine : « Ish » de la
racine « ush »/ être fort et « ishshah » de la racine « anash »/être fragile, en lien avec. Le
dagesh de redoublement dans « Ishshah » marque la chute du nun et connote cette
différence de racine. Le chant d’Adam à la naissance d’Eve souligne son union intime
avec la femme, tout en maintenant la différence (Gn 2,22s).
Pour trouver son icône, Adam devra comme Abraham quitter la religion païenne de ses
ancêtres (Gn 12,1) pour s’attacher à la Torah au travers de la femme/Alliance née de sa
chair et de ses os. Ce couple de mots quitter (‘azav) et s’attacher (dabaq) est, chez les
prophètes, presque toujours relatif à l’attitude envers Dieu et ses commandements.
Désormais, quand les fidèles s’uniront en « une seule chair », c’est dans l’Alliance qu’ils
le feront et non plus au pied de « l’arbre de vie » du Baal (Gn 2,24). La femme était dans
les cultes au Baal et Astarté, celle qui ouvre à l’homme le chemin de l’extase érotique et
sacrée. Elle était la prêtresse d’un jour (tirée du harem royal) et l’esclave du lendemain.
D’où la honte successive à ces célébrations. Cette honte sera épargnée dans l’Alliance qui
élimine ces cultes au Baal (Gn 2,25)
9
.
Hélas, le chapitre 3 qui suit, nous apprend qu’ils ont mangé de l’arbre interdit, et ont
perdu ce qui faisait leur joie.
En « mangeant/ Lo t’okelu » de « l’arbre de vie » par le retour aux cultes cananéens mais
aussi en « touchant / Lo tigge’u » soit à la Torah pour l’enfreindre, soit au roi qui
se réveille au sortir de cet accouplement avec la déesse, il a perdu la rapidité de
sa course, mais il a gagné l’intelligence et se fabrique des flèches. C’est encore la
femme qui communique l’intelligence divine à l’homme par son accouplement
(Cf. Gilgamesh). Freud montre dans son analyse du mythe d’Œdipe comment
l’homme voudrait revenir à ce paradis perdu (le ventre de sa mère) mais ne peut
y parvenir car la route lui en est barrée par le père. C’est cette nostalgie qui, pour
Freud, créerait chez l’homme le sentiment religieux.
La Bible, quant à elle, renverse complètement ces données dans le don qui est fait à
l’homme détenteur de la vie d’une icône liturgique qui le met dans l’Alliance avec Dieu.
9
Pour une analyse anthropologique de ce sentiment de honte dans la nudité, comme
mémoire du « commencement », on pourra lire JP II, pp. 63ss. L’histoire des textes et des
« seuils de foi » apporte à sa pensée de Jean Paul II la base expérientielle (pp. 69-71)
antérieure à ce qui est ensuite relu après la découverte du monothéisme et la période
grecque dans une anthropologie personnaliste. La honte est alors la honte successive
aux cultes de fécondité qui ont amené le sursaut dans la foi dont témoigne Josias.
1 / 20 100%