
8 La littérature s'accorde à dire que les interventions de ce type sont d'autant plus efficaces qu'elles sont ciblées vers
les patients les plus à risque. Il n'y a néanmoins pas encore de consensus sur les facteurs de risque. L'âge en soi n'est
pas un critère de sélection des patients à risque de perte fonctionnelle mais, un âge de plus de 75 ou 80 ans associé
d'autres critères cliniques est un marqueur simple et utile. Parmi les autres critères, on retrouve: l'incapacité à
réaliser les AVJ et AVJi, des problèmes spécifiquement gériatriques comme la confusion, l'incontinence, et les
problèmes psychosociaux.
9 Le déclin fonctionnel débute rapidement après l'hospitalisation de la personne âgée, dans les 48 heures de
l'admission.6 C'est donc tout aussi rapidement qu'il faut dépister les patients à risque, sans attendre que tous les
problèmes et pathologies soient identifiés et que les différents intervenants prennent ces problèmes en charge. Un
dépistage précoce pourrait se situer en salle d'urgence. En effet, un nombre croissant de patients âgés est admis à
l'hôpital via ce service. De 15 à 23% des personnes fréquentant un service d'urgence ont plus de 65 ans. Ces patients
plus âgés sont le plus souvent référés par leur médecin traitant et le pourcentage d'hospitalisation est 3 à 5 fois plus
élevé que pour les patients plus jeunes. La prise en charge du patient âgé aux urgences est spécifique du fait de la
fragilité de certains. La sémiologie peut être atypique, le patient peut avoir des difficultés à fournir son histoire et ses
antécédents, la perception des signes peut être altérée, les affections chroniques coexistent et peuvent interférer avec
la maladie actuelle, il en va de même des multiples médications enfin, la perte des capacités fonctionnelles peut être
le seul signe de la pathologie sous-jacente. Une évaluation fonctionnelle a donc sa place lors de l'anamnèse et de
l'examen clinique des patients. En plus du diagnostic, elle permet un suivi de l'évolution du patient.
10 Après leur passage aux urgences, comment prendre en charge le mieux possible ces patients âgés? Telle personne
ne tirerait-elle pas plus de bénéfices, sur le plan fonctionnel, d'une hospitalisation en gériatrie que dans un autre
service? Ne faudrait-il pas d'emblée préparer la sortie de telle autre personne? Tous les patients admis aux urgences
ne sont heureusement pas à risque de déclin fonctionnel à l'issue de l'hospitalisation, et la question est de "dépister"
les patients les plus à risque, ceux vers lesquels il faut orienter la prévention. Sager et al. ont validé un score
permettant de prédire le risque de perte d'autonomie des patients hospitalisés. Cet outil s'appelle le "Harp" (Hospital
Admission Risk Profile) et il classe les patients en 3 catégories de risque selon l'âge du patient, son état cognitif
(évalué par le score au Mini Mental Test) et ses capacités à remplir les AVJi.
11 Les patients à risque intermédiaire constituent la majorité des patients dans cette étude américaine (proportion =)
et il nous semble que la population dans laquelle a été validé ce score ne correspond pas à celle qui fréquente nos
salles d'urgence.
Objectif de l'étude, matériel et méthodes
Afin de mieux connaître cette population, nous réalisons une étude prospective -l'étude DECLIC, DECLine
Investigation Cohort- dans les services des urgences de deux hôpitaux universitaires belges du réseau de l'Université
Catholique de Louvain: les Cliniques Universitaires Saint-Luc et les Cliniques Universitaires de Mont-Godinne. Les
personnes âgées traitées dans ces deux hôpitaux sont issues de populations vraisemblablement différentes sur le plan
socio-économique. En effet, un hôpital est rural et dispose d'un service de gériatrie (Mont-Godinne), l'autre est
citadin (St-Luc, dans un quartier essentiellement résidentiel de Bruxelles).
Sont inclues dans cette étude les personnes de plus de 70 ans hospitalisées après leur passage aux urgences. Les
données sont recueillies dans les 48 heures de l'admission et comprennent des informations socio-démographiques
(profession, études, aides à domicile,...), médicales (antécédents, médicaments, évaluation brève de la nutrition, des
organes des sens, etc.), et cognitives (MMS). Les capacités fonctionnelles sont évaluées par l'échelle de Katz pour
les AVJ et l'échelle de Lawton pour les AVJi. L'autonomie que nous prenons comme référence est celle du patient 2
semaines avant son hospitalisation, c'est-à-dire avant le début de la maladie, celle-ci pouvant affecter les capacités.
La collecte des données est réalisée par interview des personnes ou de leur référent lorsque le patient n'est pas
directement interrogeable ou lorsque les renseignements obtenus ne paraissent pas fiables (problèmes cognitifs).
Ces patients sont hospitalisés dans les unités de médecine interne et de chirurgie. Sont exclus de l'étude les patients
admis d'emblée aux soins intensifs et ceux admis pour accident vasculaire cérébral ainsi que ceux qui ne
séjourneraient pas au moins 48 heures à l'hôpital.
Pour apprécier l'évolution des capacités fonctionnelles, le profil initial est mis en relation avec les données
recueillies à la sortie du patient ainsi qu'avec les données recueillies 1 mois puis 3 mois après la sortie, par
téléphone. A ce moment, des renseignements concernant le lieu de vie de la personne, l'aide dont elle bénéficie à
domicile, une ré-hospitalisation éventuelle sont obtenus.
Nous disposons donc de données épidémiologiques sur les patients âgés hospitalisés. De plus, en mettant en relation
les variables obtenues à l'admis-sion et la perte fonctionnelle, nous souhaitons élaborer un outil, dans l'esprit du
Harp mais raffiné, qui nous aide à prédire le risque de déclin fonction-nel de nos patients afin de cibler nos
interventions vers ceux qui sont le plus à même d'en bénéficier.
Nous présentons les premiers résultats de cette étude, obtenus sur un échantillon de 90 patients interviewés lors de
l'étude pilote. Celle-ci s'est déroulée entre décembre 1997 et janvier 1998. Cette première phase a permis de tester la
faisabilité d'une telle collecte de données sur les deux sites. Les deux interrogateurs (un par site) se sont également
accordés et une étude de fiabilité a été réalisée sur les trois principaux instruments de la fiche de saisie des données:
l'échelle de Katz pour les AVJ, l'échelle de Lawton pour les AVJi, le Mini Mental Test (version française du Greco).