Le SESSAD à l’épreuve des problématiques sociales
Intervention du 23 juin 2014 dans le cadre d’une journée d’étude du CREAI Centre
On pouvait penser qu’en définissant précisément la notion de handicap dans le prolongement
de la Classification internationale comme un rapport entre la personne et son environnement, la loi
du 11 février 2005 la distinguait clairement de la difficulté sociale. Or la composante sociale
constitutive du handicap ressurgit de l’ensemble des observations relatives à la scolarisation, au
travail protégé et à l’accueil en établissement spécialisé.
Pour penser la cette interaction, telle qu’elle se présente aux professionnels en SESSAD, il
faut tenter de préciser les représentations sociétales actuelles d’une part du handicap, d’autre part
des difficultés comportementales et intrapsychiques liées à une problématique familiale dite socio-
éducative.
Il faut par ailleurs mettre cette question en perspective historique pour se distancier des
représentations stéréotypées que nous entretenons lorsque la mission conférée nous confronte
par ses ambiguïtés à une impuissance devant les facteurs environnementaux de la problématique
du jeune accompagné, facteurs sur lesquels nous avons peu d’influence, qui parfois nous acculent
à des dilemmes, des indécidables, alors que le développement du jeune requiert de décider sans
trop tarder et que ne pas décider c’est laisser se prendre par omission la plus mauvaise décision,
celle des faits acceptés sans effort de les dépasser.
Perspective historique
Le projet républicain d’école obligatoire à la fin du XIX° siècle n’était pas aussi égalitaire qu’il le
prétendait. Au peuple était destinée une instruction élémentaire, aux élites bourgeoises était
réservé l’enseignement secondaire et supérieur.
La naissance d’un secteur d’éducation spécialisée est liée à une ambiguïté d’origine
entre d’une part l’intention affichée d’une école pour tous l’obligation scolaire, d’autre part la
formation des élites républicaines.
Aux alentours de 1900, l’école publique se trouvait en rivalité avec les écoles privées
confessionnelles et les élèves en difficulté nuisaient à son image de marque. Pour les écarter des
classes ordinaires, tout en continuant de les accueillir, la loi de 1909 a créé les classes de
perfectionnement.
L’école publique s’est ainsi inscrite dans une logique de distinction au lieu de s’interroger sur
ses approches pédagogiques. Elle ne se donnera d’ailleurs pas les moyens de son ambition
d’accueillir les enfants en difficulté dans des classes particulières. En 1944, 35 ans après la loi de
1909, 274 classes de perfectionnement seulement auront été créées.
Et à la Libération, à partir de l’initiative des associations de parents et des pédopsychiatres,
autour du mot d’ordre « Non aux asiles dépotoirs » et avec le soutien des pouvoirs publics, les
établissements spécialisés vont se développer.
Progressivement va se constituer une éducation spéciale, là l’école de tous aurait
assurer l’accueil de… tous les enfants sans distinction de capacité. Certains au sein de l’Education
nationale s’y efforceront d’ailleurs en soutenant le développement des classes de
perfectionnement et en créant les CMPP. Il faut en effet rappeler qu’à l’origine ceux-ci étaient
dédiés au maintien en classe ordinaire avec un soutien psychopédagogique et thérapeutique.
Mais, fondés sur la collaboration de l’Education nationale et de la pédopsychiatrie, les CMPP ont
été peu à peu désinvestis par l’Education nationale, et l’approche thérapeutique y est devenue
prévalente.
Dans les années 60, l’Education nationale est en effet confrontée à la scolarisation de masse
et laisse les associations s’investir dans la prise en charge de la déficience. Progressivement les
établissements spécialisés n’accueillent plus seulement des enfants avec un handicap d’origine
organique clairement identifié, mais aussi des enfants en difficulté à l’école, tant sur le plan des
comportements que sur le plan des acquisitions.
Cependant, peu après 68, l’exclusion scolaire d’un nombre de plus en plus élevé d’enfants
suscite une réaction au sein de l’Education nationale. Une pédagogie adaptée se développe par
l’intermédiaire des Groupes d’Aide Psycho-Pédagogiques (GAPP) et la création de classes dites
annexées, qui deviendront les Classes d’Intégration Scolaire (CLIS).
Les circulaires sur l’intégration s’enchaînent alors. Elles déclinent sur tous les tons le principe
du maintien du jeune avec un handicap à l’école ordinaire.
L’Education nationale ne parvient pourtant pas à faire décoller sa politique d’intégration, elle
voit même son rôle décroître en matière d’enseignement spécialisé au profit du secteur médico-
social. Ce n’est que dans la deuxième partie de la décennie 90 que les résultats seront plus
encourageants avec le lancement de Handiscol. Il n’en reste pas moins qu’en 1996, 24%
seulement des jeunes avec un handicap sont intégrés à temps plein ou temps partiel (niveaux
primaires et secondaires confondus).
La loi du 11 février 2005 va donner un nouvel élan, à la politique d’intégration, devenue
scolarisation, avec cette fois une évolution en volume significative. 2005 constitue donc un
tournant.
Quels sont les éléments dont nous disposons aujourd’hui concernant la scolarisation. En
2012-2013, 225 000 élèves en situation de handicap étaient scolarisés dans les établissements
relevant du ministère de l’Education nationale : 136 000 dans le premier degré et 89 000 dans le
second degré. Depuis 2006, les effectifs d’élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire sont
passés de 155 400 à 210 400 en 2011, soit une augmentation de 55 000 élèves et une
progression annuelle moyenne de 6,3 %.
La scolarisation des jeunes avec un handicap est donc une réalité en termes de volume.
Cependant, seule une analyse comparative diachronique à partir d’éléments statistiques plus
précis que ceux dont on dispose aujourd’hui permettrait d’évaluer la nature du processus. Les
profils des jeunes avec une ficience intellectuelle ou un trouble du comportement sont
notamment caractérisés avec une telle imprécision que l’augmentation des effectifs de jeunes
scolarisées s’explique sans doute partiellement par un déplacement des critères de caractérisation
du handicap et donc un glissement de public. Semble l’indiquer l’accroissement très important du
nombre global de jeunes handicapés : 35.300 en 4 ans, + 16,5%, chiffre largement supérieur à la
croissance démographique globale. Seraient donc orientée vers des dispositifs dédiés au
handicap une population décalée des normes d’apprentissage et de conduite.
Par ailleurs,
globalement les établissements spécialisés ne voient pas leurs effectifs décroître en
proportion de la scolarisation en milieu ordinaire,
on observe qu’il devient plus difficile d’obtenir une place en CLIS ou en ULIS et qu’y sont
parfois accueillis nombre de jeunes qui ne relèvent pas du handicap au sens strict du
terme, mais qui relèvent d’une difficulté de développement, d’un retard acquis au fil des
années, lié à une histoire familiale perturbée et/ou à environnement social précarisé.
Tandis que l’école intègre des jeunes avec un handicap, un nombre croissant d’autres jeunes
se trouveraient en décalage avec les exigences didactiques et comportementales de l’école, qui
les orienterait en son sein ou dans le secteur spécialisé vers les dispositifs dédiés au handicap
Le Rapport Blanc sur la scolarisation des enfants avec un handicap (mai 2011) confirme
statistiquement cette observation, mais il n’émet que des hypothèses sur l’augmentation des
troubles des apprentissages et des troubles sévères du développement sans interroger la
dimension sociale du phénomène, qui semblerait étrangement provenir d’une soudaine épidémie
de troubles
1
puisque les facteurs environnementaux ne sont pas considérés.
Aucune évaluation épidémiologique n’est réalisée à ce jour sur l’évolution des profils des
enfants et des adultes accueillis en établissement spécialisés sous le registre du handicap. Cette
absence de dispositif épidémiologique est significative d’un manque de volonté d’évaluer les
résultats d’une politique de scolarisation dans ses aspects contradictoires, mais bien plus
généralement aussi de la question sociale qui traverse la question du handicap.
Récemment, Andicat
2
s’est inquiété d’une évolution des publics accueillis dans ce type
d’établissement : certes des problématiques psychiques lourdes, consécutives à la réduction des
moyens dans le secteur de la psychiatrie, mais aussi des problématiques sociales associées à des
difficultés psychologiques, qui témoignent de l’arrivée dans les CDAPH de publics adultes
précarisés désormais inscrits sur le registre du handicap.
De même les CAMSP, dont la vocation initiale est la prévention du sur-handicap par
l’accompagnement précoce de handicaps d’origine organique, voient leur file d’attente augmenter
significativement parce qu’ils accueillent une part significative de problématiques qui comportent
une dimension sociale.
Définition du handicap
La loi du 11 février 2005 qui promeut l’égalité des chances énonce la définition suivante du
handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou
restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en
raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques,
sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de san
invalidant. »
Au regard de cette définition, qu’en est-il de la déficience intellectuelle acquise et associée à
un trouble comportemental et du trouble psychique actuellement qualifié de déficience mentale par
distinction de la déficience intellectuelle ?
Reprenons les termes de déficience, limitation, handicap, pour nous distancier des
représentations qui nous agissent, dont nous risquons de participer au détriment des jeunes
accompagnés. Comment être suffisamment au fait de ce qui se joue sociétalement pour ne pas
être vecteur d’un processus d’inégalité sociale, sans se dissimuler que nous en relevons.
La déficience est un manque. Certains prétendent que c’est une simple différence. Ils ignorent
alors que nous vivons dans un système de normes. La déficience d’une fonction est un manque au
regard d’un système de représentations sociales, représentations de ce qu’est l’humain. Etre
1
Pour exemple, le caractère exponentiel des annonces relatives à l’autisme, avec des formulations visant à frapper l’opinion
publique telles que « On évalue à 440 000 le nombre de personnes autistes en France, soit l’équivalent de la ville de Lyon ! »). Le
taux de prévalence passerait ainsi de 1 enfant sur 156 en 2003 : un sur 110 en 2009 et un sur 88 en 2012 ! (Le Quotidien du
Médecin, France 24)
2
Le public des établissements et services d’aide par le travail (ESAT) serait-il en train de changer ? Dans un courrier adressé le
24 avril à Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale (DGCS), Andicat (Association nationale des directeurs et
cadres d’établissements et services d’aide par le travail) s’inquiète de l’orientation en ESAT de personnes faiblement handicapées.
Selon l’association, en Basse-Normandie, 10 % des personnes orientées dans ces structures relèvent d’un taux d’invalidité de moins
de 50 %.
« En principe, les usagers des ESAT présentent un taux d’incapacité d’environ 80 % », indique rard Zribi, président d’Andicat, qui
déplore assister au remplacement de personnes handicapées par des populations socialement précaires. Selon lui, les maisons
départementales des personnes handicapées (MDPH) « sont un peu démunies face à certaines situations de précarité pour
lesquelles elles n’ont pas de solution », ce qui les conduirait à opter pour une orientation en ESAT.
humain aujourd’hui c’est pouvoir se déplacer, entendre, voir, comprendre, se comporter de façon
adaptées dans une société donnée pour ne pas en être exclu.
La déficience visuelle entraîne des limitations naturelles : comment se déplacer sans percevoir
les obstacles, comment saisir les objets sans les voir ? De même la déficience auditive : comment
exercer la fonction d’alerte sans entendre les bruits environnants, comment entrer en interaction
avec les membres d’une même espèce qui emploient de façon une communication orale ?
Déficience motrice : comment se déplacer sans l’action des membres qui le permettent ?
Déficience intellectuelle : comment comprendre les situations auxquelles on est confronté
quotidiennement si on ne dispose pas des capacités de mémorisation, d’abstraction, d’adaptation,
requises par le développement, le nourrissage, la protection contre les dangers physiques ?
Limitations naturelles pourrait-on encore dire dans ce dernier cas Sauf que,
comparativement aux ficiences sensorielles et motrices, la déficience intellectuelle semble
induire une limitation de culture - de société - qui l’emporte sur la limitation de nature. De même
plus encore la déficience mentale.
Déficience communicationnelle et intellectuelle, dira-t-on à propos de l’autisme. Sauf que le
syndrôme d’Asperger illustre le contraire. Alors, déficience mentale dans le cas de la
schizophrénie ou de troubles psychiques moins graves ? On sent bien que le terme de déficience
ne fonctionne pas lorsque nous n’avons plus affaire à un manque physiologique, organique, même
si nous en supposons ou en identifions l’origine organique.
Nous avons affaire à la déficience d’une fonction sociale, au sens de la conscience de soi et
du rapport à l’autre. Quelle que soit l’éventuelle origine organique de la déficience, celle-ci ne
concerne plus une fonction physiologique mais la globalité de la personne, elle attaque l’humanité
même de l’humain, la conscience qu’il a de soi, au moins la conscience qu’il donne à voir de soi
(cf. le syndrome d’Alzheimer) et son interaction avec les autres humains, autrement dit sa
participation sociale.
Au regard de cette difficulté conceptuelle, la notion de handicap va sembler offrir une solution.
Handicap visuel ? La société n’est pas faite pour les aveugles mais peut s’efforcer de rendre plus
accessible l’environnement qu’elle constitue par ses normes : images commentées, bandes
rugueuse, annonce sonore de signaux lumineux.
Handicap auditif ? langue des signes, sous titrage, etc. ;
Handicap moteur ? plans inclinés, fauteuils électriques, ascenseurs, etc.
Et même pour le handicap intellectuel : pédagogie adaptée, soutien particulier dans
l’acquisition de l’autonomie, « Facile à lire et à comprendre » de l’UNAPEI ;
Handicap communicationnel : langage assisté par ordinateur, PECS, outils de communication
PECS Makaton, Teach, etc.
Handicap psychique : médication, psychopédagogie, thérapie, inculcation de comportements
adaptés, etc.
Handicap social… Ah ! Qu’est ce que le handicap social ?
Pour avancer un peu, il faut tenir le raisonnement inverse à celui de la déficience-limitation-
handicap.
1/ Un handicap social suppose qu’une personne est induite dans ses comportements par un
milieu, un environnement social considéré comme partiellement décalé des normes prévalentes
dans une société donnée, un environnement social partiellement à la marge de la normalité
prévalente.
2/ Ce conditionnement décalé, occasionne des limitations dans les situations normatives de
cette société.
3/ L’origine, la cause de cette limitation devient appréhendée comme une déficience
fonctionnelle, dont le qualificatif de « social » rappelle que la société et non la nature est à son
origine, sauf que… sauf qu’en réalité l’origine en est attribuée non à la société mais au milieu
socio-familial considéré comme décalé par rapport à la normalité prévalente.
Le handicap social renvoie fondamentalement à un processus d’inégali sociale au sens
structurel du terme, autrement dit d’écart à la norme prévalente.
Le sens commun l’identifie d’ailleurs quand nous disons aux parents que leur enfant se trouve
mis en situation handicapante pour son avenir, et que ceux-ci nous y opposent une incrédulité
cognitive parce qu’ils ont, de même que tout un chacun, cette représentation fondamentale du
handicap comme relevant d’une différence de nature.
Nous-mêmes, devant l’enfant avec un handicap dit social, nous recherchons spontanément la
raison pour laquelle il n’est pas responsable de son état. Cet état nous semble relever d’une
injustice dont nous participons en tant que membre de la société, et en tant que professionnels
chargés par mission d’affronter cette question proprement politique de l’exclusion sociale.
Si je radicalise ma formulation, c’est en fait la question de la faute que je pose. A qui la faute si
cet enfant est comme ça ? A qui la faute si cet adolescent se comporte de façon insupportable,
nous agresse, s’exclue par son comportement victimaire ? La faute aux parents, la faute à la
société ? La faute au jeune lui-même ? Car, si on ne le renvoie pas à sa propre responsabilité
dans les situations qu’il vit aujourd’hui, on l’enferme dans un processus de victimisation ou de
dévalorisation de soi ?
Handicap et condition sociale
La question de l’inégalité de condition a toujours traversé la question du handicap. Si on limite
le handicap à une insuffisance de nature, autrement dit d’origine organique, la condition sociale ne
devrait pas entrer en ligne de compte. Elle constituerait à la rigueur un paramètre complémentaire,
à la marge, lié aux habitudes de vie en matière de santé, notamment aux conduites
toxicomaniaque (alcool, drogue). Elle serait considéré dans son un impact en termes de conduite
de santé. Mais il ne s’agirait que d’un paramètre aggravant, pas d’une cause première.
Plus radicalement, ce ne sont pas les conduites des personnes les parents en l’occurrence -
en tant que telles qui sont en cause mais ce que leur condition sociale induit en matière de
conduites personnelles.
La sur-représentation des catégories socioprofessionnelles défavorisées dans les populations
avec un handicap intellectuel ou/et mental montre que la condition sociale exerce une influence
déterminante. Il ne s’agit pas évidemment de dénier l’existence des facteurs familiaux mais
d’identifier que leur prévalence dans la survenue du handicap est relative à la prévalence de
condition sociale.
Il n’y a pas un atavisme de la famille déstructurée ou/et faillante sur le plan éducatif qui
constituerait un terrain privilégié de survenue du handicap, il n’y a pas certaines familles qui par
facilité, inertie, négligence, occasionnent le handicap. Il y a un ensemble de familles dont la
condition sociale, récente ou/et constituée au fil des générations, occasionne des comportements
variables devant les événements de vie, ce qui engage des conséquences significatives dans le
développement des enfants.
Pierre Bourdieu a montré comment nous tendons à reproduire des conduites d’échec et de
réussite en fonction des expériences antérieures d’échec et de réussite, combien nous nous
sentons destinés, jusque dans les efforts que nous développons pour faire évoluer notre condition.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de latitude mais que nos ressources financières, sociales et
affectives sont fort variables pour appréhender les événements de vie. Si les événements de vie
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