JUSTINJOLLY 445
On imagine la tristesse profonde de celui qui se trouve devant la
tombe d'un grand Ami et du plus sûr des guides. Il yaquelques
jours, M. Jolly, qui se mourait, me disait son désir de prendre dé-
sormais des précautions pour ménager sa santé, et il jetait un re-
gard touchant sur les deux tableaux placés au-dessus de son lit, qui
représentent la maison familiale de La Chaussée. Il chérissait cette
demeure qu'il pensait revoir dès sa convalescence.
Justin Jolly paraissait être un pur intellectuel, et l'on pouvait sup-
poser que chez lui les choses de l'esprit devaient passer bien avant
celles du cœur. Il semblait que seul comptât pour cet homme l'ef-
fort cérébral, et qu'il dût ses seules joies à la Recherche pure.
Cependant, un vif penchant pour la musique et pour la peinture
révélait une âme sensible, et quand il parlait de sa Mère et de son
Frère disparu si jeune, on découvrait en lui d'émouvantes affections
Il expliquait certaines fautes en disant que ceux qui les commet-
taient devaient être des orphelins, privés pendant leur enfance de
l'amour maternel et du foyer familial.
De son Père, magistrat austère et rigide, il avait hérité l'esprit de
rectitude et l'intransigeance. Sa grande autorité dans les milieux uni-
versitaires et académiques tenait à la sûreté de son jugement, à sa
sincérité; et ses meilleurs Amis savaient que les arguments senti-
mentaux ne pesaient pour rien dans ses décisions d'ordre scientifi-
que. Les chercheurs, qui s'aventuraient à présenter un texte critiqua-
ble à la Société de Biologie, ont connu ses réactions. Il s'occupait,
avec un soin jaloux, de cette Société dont il dirigea les destinées du-
rant une très longue période, se plaisant àrépéter que, d'après l'es-
prit de ses fondateurs, elle devait servir d'union entre médecins et
biologistes. Il a décrit avec amour la petite salle basse où se te-
naient les réunions dans le bâtiment des Cordeliers Marey prési-
dait, Gley était au bureau, Chauveau, Bouchard, Richet, Dastre, La-
veran, Giard, étaient au premier rang. Ason tour, il fit briller du
plus.vif éclat «la biologie» dont il multiplia les filiales à travers le
monde. La guerre vint malheureusement ralentir ce magnifique