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— Les ministres des premières années sont surtout des orléanistes, car il n’y a pas à ce moment de
bonapartistes disposant des compétences nécessaires. La plupart sont des bourgeois préoccupés du maintien
de l'ordre.
— L'empereur est à la fois chef d'État et chef du gouvernement. Pendant la première partie du règne, il ne
permet pas au Conseil de discuter des affaires, lesquelles sont traitées dans son cabinet avec le ministre
compétent. Mais le pouvoir de l'empereur n’est pas absolu, ses capacités n’étant pas celles de son oncle et
n'ayant pas à sa disposition une équipe d'hommes partageant ses idées.
— Il doit faire avec le Conseil d'État, maître du mécanisme législatif, composé de bourgeois conservateurs,
qu’il ne parvient pas toujours à convaincre, d’où son désir de le marginaliser. Quant au corps législatif, il est
lui aussi à ses débuts composé de notables, loyaux envers le régime plus que vraiment bonapartistes.
— Les préfets deviennent des personnages puissants et prestigieux, petits empereurs dans leur département.
Ils font les élections, en appuyant de toute leur autorité les candidats officiels, notamment auprès des maires
nommés par eux (ou par l'empereur dans les grandes villes) et des fonctionnaires de toutes les
administrations. Les réunions sont interdites et les candidats de l'opposition, qui n'ont pas le droit de faire
imprimer leurs affiches sur papier blanc comme ceux du gouvernement, ne peuvent répondre efficacement à
une telle pression.
— La presse républicaine a été presque entièrement supprimée après le coup d'État, par la mise en place d’un
système de pénalités graduées, infligées par l'administration et allant de l'avertissement à la suppression en
passant par la suspension, la contraint à une autocensure minutieuse.
— L'administration centralisée est l'armature du régime, alors que les forces de l'ordre et l'Église en sont les
appuis. La police du régime voit ses effectifs passer de 5 200 à 12 150 hommes, qui surveillent les centres
urbains, alors que la gendarmerie assure ce rôle dans les campagnes et recrute ses membres dans l'armée.
— Si celle-ci a permis la réussite du coup d’État, elle n'en a pas pris l'initiative, qui est le fait de civils, et n'a
fait qu'obéir aux ordres du ministre de la Guerre, Saint-Arnaud, mais Napoléon III, fidèle à l’esprit de son
oncle, la tient en grande estime et va l’utiliser pour asseoir son pouvoir. Elle deviendra peu à peu
bonapartiste, surtout dans la garde impériale, corps d'élite.
— S’il y a opposition entre la doctrine de l'Église, qui est alors théocratique, et les principes proclamés par
l'Empire, issus de la Révolution, le clergé estime avoir été sauvé d'une autre vague d’anticléricalisme et
considère l’empereur comme son sauveur et seul le clergé légitimiste tardera à se rallier.
— Jusqu'en 1860, l'opposition est nulle ou inefficace. Les monarchistes sont très affaiblis par leur division,
entre légitimistes, courant en perte de vitesse, très lié à la religion et considéré par la grande majorité du pays
comme un avatar du passé et orléanistes, beaucoup plus modernes et attachés aux idéaux libéraux du XVIIIe
siècle.
— Pour les uns et les autres, l’amertume de la défaite est compensée par la satisfaction de voir réduits à
l'impuissance leurs ennemis républicains, dont les organisations ont été décimées au cours de la répression
qui a suivi le coup d’État. L'activité de ses exilés se perd en querelles vaines et à Paris, ce qui reste du parti
tente de rassembler le peuple autour d’obsèques d'hommes célèbres. En province, quelques-unes des sociétés
secrètes de la IIe République survivent. Si les complots contre l'empereur sont nombreux, ils sont mal
organisés et rapidement déjoués par les forces de sécurité.
— Les élections législatives de 1852 se sont déroulées sans que l'opposition ait pu se manifester et ont permis
l'élection de la quasi-totalité des candidats officiels, qui formeront peu à peu un parti bonapartiste qui
s’appuie sur trois fondements : la gloire nationale attachée au nom de l’empereur, les idéaux de 1789 et la
légitimité du chef de l’État.
— C'est dans les campagnes que ces fondements se diffusent et s’y maintiendront le mieux, la paysannerie se
montrant reconnaissante des progrès qu’elle constatera dans son niveau de vie. Et pour encadrer cette masse
rurale, un bourgeois d’un type nouveau apparaît dans les villages et les petites villes, qui sera l’un des
principaux appuis du régime : peu intellectuel, il ne craint pas le peuple et veut un gouvernement ferme. S’il
n'aime pas trop les curés, il respecte la religion.
— Mais il y existe plusieurs bonapartismes : celui de Napoléon III, à la fois de gauche et de droite, populaire
et associé à la bourgeoisie d'affaires, plébiscitaire mais héréditaire, le bonapartisme jacobin et anticlérical, le
bonapartisme libéral, composé de ralliés de l’orléanisme et le bonapartisme légitimiste, autoritaire et
catholique.