Unité des chrétiens - Vatican II Louis-Marc

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UNITE DES CHRETIENS – VATICAN II
Bonsoir à tous.
Je voudrais d'abord vous dire que je suis heureux de répondre à la demande que m'a fait
le P. Emmanuel d'Andigné. C'est une joie de vous partager ce qui fait la vocation de ma
communauté et de l'Eglise Catholique de prier et de travailler à l'unité de tous les disciples
du Christ. Nous fêtons le 50ème anniversaire du concile Vatican II, et l'on peut se souvenir
que cet appel à œuvrer à l'unité entre les chrétiens a été l'axe central du renouveau voulu
et apporté par le concile.
Les contacts du Cardinal Roncalli avec les Eglises d'Orient dans la période préconciliaire,
ne sont certainement pas pour rien dans cette orientation. N'oublions pas que c'est lors
de la clôture de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens, en 1959, que celui qui
était devenu le Pape Jean XXIII annonça la convocation d'un concile auquel il assignait
pour tâche de promouvoir l'unité des chrétiens. L'année suivante, il créait le secrétariat
pour l'unité des chrétiens, confié au cardinal Béa, qui sera chargé d'accueillir les
observateurs des autres Eglises et communautés ecclésiales.
Que s’est-il passé à Vatican II ? S’il y a eu à Vatican II un souffle puissant de l’Esprit Saint,
qui répondait à la prière du Pape Jean XXIII pour une nouvelle pentecôte sur l'Eglise, on
peut facilement repérer également la présence et l'action de l'Esprit-Saint dans les années
précédant le Concile. Le Concile Vatican II est en effet le fruit d’une longue étape de
maturation. C’est pourquoi, avant de voir en quoi consiste le décret sur l'unité et le
renouveau de l’œcuménisme au Concile, je vous propose de regarder ce qui a favorisé
l’ouverture œcuménique dans cette période préconciliaire et comment s’est située l’Église
catholique face à cette ouverture. Cette relecture rapide de notre histoire pourra nous
aider à mieux saisir le tournant capital opéré à Vatican II et son apport à l’œcuménisme.
Je vais donc, dans un 1er temps, vous parler de l’ouverture œcuménique à la période
préconciliaire.
I. L’ouverture œcuménique à la période préconciliaire
1. Je commencerai par faire mémoire de personnalités éminentes et incontournables qui
ont marqué l’Église catholique avant le Concile et qui ont contribué à l’ouvrir à la
démarche œcuménique.
Je citerai donc quelques grandes figures catholiques de cette histoire de
l'œcuménisme :
Le Père Portal (+ 1926), qui à la suite d'une rencontre avec Lord Hallifax, contribua au
développement des relations avec la communion anglicane, dès la fin du 19ème siècle.
Le cardinal Mercier, qui accueillit les "conversations de Malines" entre anglicans et
catholiques au début des années 1920.
Dom Lambert Beauduin qui fonda en 1925 à Amay-Chèvetogne (Belgique) un
monastère bénédictin orienté vers le dialogue avec l'Orient chrétien. Ce monastère
bénédictin qui se situe dans la province de Namur a été placé dès sa fondation sous le
signe de l'œcuménisme. Il présente la particularité de comporter deux églises : l’une qui
est de rite latin, l’autre de rite byzantin. Dom Lambert Beauduin, son fondateur, voulait
par là favoriser le rapprochement des chrétiens d’Orient et d’Occident. Un an après la
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fondation du monastère de l’unité, les moines élargirent ce dialogue Occident-Orient en
fondant la revue Irénikon, une excellente revue consacré à l’œcuménisme.
En France, à Paris, ce fut la fondation du centre Istina (vérité) en 1926 par le Père
Dumont, un dominicain. Ce centre qui fut dirigé par son fondateur en collaboration avec
de nombreux théologiens précurseurs de l’œcuménisme, joua un rôle de premier plan
dans la préparation du Concile Vatican II et des documents qui en sont issus. Comme la
revue Irénikon, la revue Istina est très connue dans les milieux œcuméniques.
On ne peut pas ne pas citer l’abbé Paul Couturier, ce prêtre du diocèse de Lyon qui, en
1936, lance la semaine de prière pour l’unité en priant pour "l’unité telle que le Christ la
veut et par les moyens qu’il veut". Cela ne veut pas dire qu’auparavant l’octave de prière
pour l’unité n’existait pas. Elle existait. C’était Léon XIII qui l’avait instaurée à la fin du
XIX siècle, mais ses prières demandaient le retour des chrétiens séparés à l’Eglise
romaine. Le Père Paul Couturier va donc proposer un sens bien différent et une orientation
tout à fait nouvelle à cette prière. Il est à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui
l’œcuménisme spirituel.
L’année suivante en 1937, l'abbé Paul Couturier fonde le Groupe des Dombes, un
groupe œcuménique francophone, qui réunit des théologiens catholiques et protestants
non mandatés par leurs Églises. C’est donc un groupe privé qui a fait et fait toujours un
excellent travail de recherche théologique. Ses publications montrent les positions
communes de leurs Églises sur tel ou tel sujet, ainsi que les divergences qu'il reste encore
à surmonter. On peut dire qu’elles ont un grand retentissement. La renommée du groupe
des Dombes n’est plus à faire. Quant à son appel régulier à la conversion des Églises, il est
vraiment source d’interpellation, à la fois individuel et communautaire. Il suffit de lire un
de leurs derniers documents sur le Notre Père intitulé Vous donc priez ainsi pour s’en
rendre compte. Le groupe rappelle que dire « Notre Père » induit des exigences
œcuméniques, exigence de fraternité réelle entre enfants d’un même Père, et de
réconciliation dans la seconde partie de la prière.
Après l’abbé Paul Couturier qui est l’un des grands pionniers catholiques de
l’œcuménisme, il faut citer le Père Congar, dominicain, qui publie, la même l’année que
la fondation du Groupe des Dombes, donc en 1937, Chrétiens désunis. Mais cet ouvrage
qui sera pendant vingt ans la seule charte théologique de l’œcuménisme catholique,
rendra Congar suspect aux yeux de Rome à cette époque où le mouvement œcuménique
est encore mal vu. Il faut savoir que l’autorisation de dialoguer ou de prier avec des
membres d’autres confessions ne date que de 1949. On peut évoquer également ici les
travaux d'autres théologiens comme ceux d'Henri de Lubac, de l'allemand Karl Adam et
d'autres comme le Père Gustave Thils qui, en 1955, publiera une Histoire Doctrinale du
mouvement œcuménique.
Un autre personnage clé qui a contribué à la préparation du Concile, c’est l’abbé Louis
Willebrands. Devant l’engagement croissant des théologiens catholiques dans les
questions œcuméniques, ce prêtre d’origine hollandaise met sur pied en 1952, une
Conférence catholique internationale sur les questions œcuméniques. Cette Conférence
catholique pour les questions œcuméniques se réunissait une fois par an pour étudier les
questions abordées au Conseil œcuménique des Églises. Elle tint sa dernière réunion
pendant le Concile, en 1963, à Gazzada en Italie. Elle ne sera pas sans lien avec la
naissance du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens voulu par Jean XXIII
en 1960, secrétariat qui deviendra en 1988 : le Conseil Pontifical pour l’unité, sous le
pontificat de Jean-Paul II.
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2. À toutes ces initiatives personnelles essentiellement catholiques, il faut ajouter les
initiatives d’autres Églises en faveur de l’unité.
Lors de la Conférence d’Édimbourg en 1910 qui rassemblait les missions protestantes
dans le monde, les participants furent bouleversés par le témoignage du Dr Chang. Venu
des jeunes Églises de Chine, il témoigna : "Vous nous avez envoyé des missionnaires qui
nous ont fait connaître Jésus Christ, et nous vous en remercions. Mais vous nous avez
apporté aussi vos divisions, pour cela, nous ne pouvons pas vous remercier". Ce fut une
prise de conscience radicale, comme un choc devant les dommages causés à
l’évangélisation par la division des Églises. Cette Conférence d'Edimbourg marque la
naissance du mouvement œcuménique. Certains anglicans d’Amérique du Nord ont très
vite réagi, six mois plus tard, en appelant les Églises à œuvrer pour l’unité dans la foi. Il
leur paraissait urgent de répondre à la prière de Jésus pour ses disciples dans l’évangile de
Jean au chapitre 17 : "Père, qu'ils soient UN, afin que le monde croie". Puisque la mission
souffrait ainsi des divisions, ces anglicans voulaient inciter toutes les Églises à réfléchir
ensemble sur leurs divergences dans l’expression de la foi et sur la façon de concevoir la
constitution de l’Église en sa forme visible, institutionnelle. Pour eux, c’était l’avenir de
l’évangélisation qui en dépendait. Cet appel sera entendu par les orthodoxes et les
protestants. Il fut à l’origine du mouvement Foi et Constitution fondé quelques années
plus tard à Lausanne en vue d'un approfondissement théologique sur la recherche de
l'unité, et du mouvement Vie et Action fondé à Stockholm en 1925 en vue d'un
témoignage commun dans le domaine social et international... Une autre initiative en
faveur de l’unité a lieu en janvier 1920, donc dix ans après la Conférence d’Édimbourg. Le
patriarcat orthodoxe de Constantinople manifeste son souci de l’unité. Il adresse une
lettre à « toutes les Églises du monde ». Face au danger d’une société en perte des
valeurs évangéliques, le patriarcat propose la création d’une association fraternelle des
Églises. C’est intéressant parce que c’est en quelque sorte une esquisse prophétique de ce
que sera en 1948 le Conseil œcuménique des Églises. Et il suggère un programme qui
reste aujourd’hui tout à fait d’actualité : la lettre réclame la suppression du prosélytisme
(c’est-à-dire la tentative de récupérations des fidèles d’une Église par une autre), ce qui
devrait permettre, dit-elle, le rétablissement de liens de charité entre toutes les
communautés chrétiennes. Quelques mois après l’encyclique orthodoxe, au début de l’été
1920, c’est au tour des évêques anglicans réunis à Londres, au palais de Lambeth, le
palais de l’archevêque de Cantorbéry, d’appeler toutes les communautés chrétiennes à
prendre au sérieux la restauration de l'unité. Cet appel de Lambeth était un appel à l’unité
visible de tous les chrétiens dans une unique Église catholique telle que le Christ la veut.
Les évêques anglicans y affirmaient leur volonté de travailler à l’unité.
On ne doit pas oublier aussi le frère Roger Schutz qui fonda en 1940 la communauté
de Taizé. Taizé, dont le Pape Jean-Paul II dira beaucoup plus tard : "On vient à Taizé
comme à une source". Cette communauté qui rassemble des catholiques et des
protestants, qui se veut donc œcuménique, voulait construire une vie commune dans
laquelle la réconciliation selon l’évangile serait une réalité vécue concrètement.
Nous avons donc là plusieurs appels, de confessions chrétiennes diverses, à œuvrer pour
l’unité. Mais, comme vous le constatez, le dynamisme initial du mouvement œcuménique,
dans son engagement officiel, vient essentiellement du protestantisme et de l’anglicanisme
suivis de près par l’orthodoxie. Dans cette première partie du 20ème siècle, il y a en effet
une grande absente : l’Église catholique. Pourquoi ? Je l’ai déjà évoqué tout à
l’heure, parce que l'Eglise catholique, au niveau officiel, a été, dans un 1er temps,
prudente, voire réticente vis-à-vis du mouvement œcuménique. Sans oublier toutes les
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initiatives personnelles de précurseurs catholiques que j'ai citées plus haut en faveur de
l’unité, nous devons bien reconnaître que l'œcuménisme, dans ses initiatives "publiques",
ses rassemblements, ses contacts "officiels", était alors une réalité vécue essentiellement
dans les Eglises protestantes et orthodoxe, bien avant sa consécration officielle par Jean
XXIII. Sauf quelques ouvertures, notamment en faveur de l'Orient, les autorités romaines
sont restées réservées et en retrait. En effet, Rome continuait à prôner à cette époque le
retour au bercail de ceux qui s’étaient séparés de l’Église catholique. Ainsi, en 1928, dans
son encyclique Mortalium Animos, Pie XI, déclarait : "Il n'est pas permis de procurer la
réunion des chrétiens autrement qu'en poussant au retour des dissidents à la seule
véritable Eglise du Christ puisqu'ils ont eu jadis le malheur de s'en séparer". En 1943, dans
son encyclique sur "le Corps mystique du Christ", Pie XII demeure encore dans cette
perception lorsqu'il identifie l’Église du Christ à l’Église catholique romaine.
Ce sera après la création du Conseil œcuménique des Églises à Amsterdam en 1948 que
l’Église catholique s'ouvrira officiellement au mouvement œcuménique. L'instruction du
Saint-Office Ecclesia Catholica du 9 septembre 1949 manifeste un vrai changement
d'orientation. Elle déclare que le désir de l'unité relève d'une "inspiration de la grâce du
Saint-Esprit". Elle affirme le devoir des évêques de s'en préoccuper et prévoit une
participation catholique aux conférences œcuméniques sous la responsabilité de l'évêque
du lieu.
Il n'en reste pas moins que malgré ce tournant étonnant, c'est encore la conception d'un
œcuménisme du "retour au bercail" des brebis séparées qui prévaut à l'époque et qui
va prévaloir jusqu'à l’ouverture du Concile. Pourtant, Jean XXIII avait séjourné en terre
orthodoxe, en Bulgarie, et s’était montré très à l’écoute des Églises d’Orient. C’est
d’ailleurs la raison qui l’a conduit, peu de temps après son élection pontificale, à créer le
Secrétariat pour l’unité des chrétiens qui aura la responsabilité des relations œcuméniques
(Ce secrétariat qui deviendra sous Jean-Paul II : Conseil Pontifical pour l'unité des
chrétiens). La première mission qu’il lui confie, c’est d’inviter les autres Églises à envoyer
des observateurs au Concile, c’est-à-dire des membres d’autres confessions chrétiennes.
Néanmoins, pour Jean XXIII qui voulait que le Concile soit œcuménique, comme pour le
cardinal Béa, le président du secrétariat pour les relations œcuméniques, le moyen pour
retrouver l’unité n’avait pas évolué. Il s’agissait toujours de ramener au sein de l’Église
catholique ceux qui s’en étaient séparées et que l’on était prêt à accueillir les bras grands
ouverts. On pensait alors qu’il suffisait que l’Église catholique se réforme pour que les
autres Églises ou communautés ecclésiales souhaitent y rentrer à nouveau. Tel était l’état
d’esprit qui régnait encore à la première session du Concile en 1962.
II. Le tournant capital opéré à Vatican II
Alors, comment est-on passé à Vatican II de cette conception du "retour au
bercail" au désir de "la promotion de l'unité des chrétiens" ? Comment expliquer
un tel retournement œcuménique ?
Tout d'abord, on doit noter la présence de 90 observateurs venant de 28 confessions
chrétiennes, invités par Jean XXIII : tout en étant exempts du droit de vote, ces
observateurs assistaient aux débats. Lors des sessions, le cardinal Béa les réunissait
chaque semaine. Même s'ils ne prenaient pas la parole officiellement, on peut dire que
leur simple présence interdisait qu'on parle d'eux en d'autres termes que fraternels ! Les
Pères du concile se sont de plus en plus rendu compte qu'ils partageaient avec eux, pour
l'essentiel, une même foi, et que ce qui les unissait était plus important que ce qui les
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séparait… Pendant toute la durée du concile, le secrétariat pour l'unité, présidé par le
cardinal Béa, fonctionna comme une véritable commission et il eut un rôle déterminant
dans la rédaction du décret sur l'œcuménisme, mais aussi dans la déclaration sur la liberté
religieuse et dans la constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine.
Avant de parler du décret sur l'unité des chrétiens, je voudrais justement m'arrêter
quelques instants sur une expression employée au paragraphe 8 de la constitution
dogmatique sur l'Eglise : Lumen Gentium. Il s'agit du "subsistit in" qui, par la suite a fait
couler beaucoup d'encre !
Dans son encyclique "Qu'ils soient un" donnée en 1995, le Pape Jean-Paul II évoque deux
fois ce mot. Au n° 10, il dit : "Le concile dit que l'Eglise du Christ "est présente" (subsiste)
dans l'Eglise catholique gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques en
communion avec lui", et il reconnait en même temps que "en dehors de l'ensemble
organique qu'elle forme, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité
qui, en tant que dons propres à l'Eglise du Christ, portent à l'unité catholique". Au n° 86, il
insiste : "La constitution Lumen Gentium, dans une de ses affirmations fondamentales, …
atteste que l'unique Eglise du Christ "est présente" (subsiste) dans l'Eglise catholique".
Alors, pourquoi, ce petit mot est-il donc si important ?
Pour faire simple, je dirai, que l’intention des Pères conciliaires, dans le paragraphe 8 de la
Constitution dogmatique sur l’Église, est d'affirmer que l’unique Église du Christ se trouve,
subsiste dans l’Église catholique, mais qu’elle ne se limite pas aux frontières de l’Église
catholique. Les Pères se refusent à dire : l'Eglise du Christ "est" l'Eglise catholique, ils se
refusent à identifier, purement et simplement l'Eglise du Christ et l'Eglise catholique
romaine … comme c’était le cas auparavant encore sous Pie XII. Pourquoi ? Parce que, dit
le concile, il existe des éléments ecclésiaux de grande valeur en dehors de l’Église
catholique, des éléments de sanctification et de vérité, qui appartiennent de droit à
l’unique Église du Christ. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de vide ecclésial en dehors de
l’Église catholique.
Cela ne s’est pas fait en un jour, comme vous pouvez l’imaginer. Il a fallu plusieurs
sessions du Concile pour en arriver à cette formulation de Lumen Gentium. Il a fallu une
longue réflexion théologique et plusieurs interventions de cardinaux, dont celle du
Cardinal Liénart, archevêque de Lille, en décembre 1962, qui fut déterminante dans le
changement radical opéré par les pères conciliaires. Le cardinal a conduit les pères à se
poser de bonnes questions : Appartenir au Christ, n’était-ce pas appartenir à l’Église ? N’y
a-t-il pas dans ces communautés séparées de l’Église catholique une véritable vie
évangélique ? Une vie évangélique qui ne peut avoir d’autre source que le Christ et son
Esprit ? C’est cette prise de conscience qui a conduit les Pères à renoncer aux premiers
schémas, c’est-à-dire aux premières formulations destinées à définir l’Église au début du
Concile en identifiant encore l’Église du Christ à l’Église catholique, ce qui impliquait de fait
un œcuménisme du retour au bercail.
Ce qui est intéressant, c’est de constater que le Concile n’a pas rompu avec l’encyclique de
Pie XII sur le Corps Mystique du Christ. Il a seulement élargi la formule de Pie XII, Pie XII
qui, en fait, se posait déjà la question de l’incorporation au Corps du Christ des baptisés
qui ne sont pas membres de l’Église catholique. Avec ce passage du "est" au "subsistit in",
l’Église catholique choisit donc la voie du dialogue et de la conversion. Elle abandonne
l'idée d'une simple absorption d'une Eglise par une autre pour entrer dans le mystère
d'une unité à promouvoir et à recevoir de Dieu. Dans son encyclique "Qu'ils soient UN",
Jean-Paul II dira à ce sujet : "Les éléments de sanctification et de vérité présents dans les
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autres Communautés chrétiennes, à des degrés différents dans les unes et les autres,
constituent la base objective de la communion qui existe, même imparfaitement entre
elles et l'Eglise catholique". Et il ajoute : "Dans la mesure où ces éléments se trouvent
dans les autres Communautés chrétiennes, il y a une présence active de l'unique Eglise du
Christ en elles".
Quel chemin parcouru ! Quel progrès extraordinaire suscité, n'en doutons pas, par l'EspritSaint !
III. Le décret sur l’œcuménisme
Abordons maintenant le décret sur l'œcuménisme. Je vous conseille vraiment de le lire
si vous ne l'avez déjà fait. Mais je voudrais vous dire qu'il est important de ne pas le lire "à
distance" en l'analysant d'une manière purement intellectuelle. Ce texte doit être lu dans
un esprit de foi, il doit nous interpeller et nous pousser à une conversion. C'est ce que dit
Jean-Paul II au n° 10 de son encyclique sur l'unité : "Dans la situation de division actuelle
… les fidèles catholiques se sentent profondément interpellés par le Seigneur de l'Eglise"…
Ils abordent la question œcuménique en esprit de foi".
Je vous donne maintenant le plan de ce décret : après un préambule, le 1er chapitre
aborde "les principes catholiques de l'œcuménisme. Le chapitre 2 traite de l'exercice de
l'œcuménisme. Le chapitre 3 détaille la question des Eglises et communautés ecclésiales
séparées du siège apostolique romain, et la conclusion invite à regarder avec confiance
vers l'avenir en évoquant "l'espérance qui ne déçoit pas".
Je ne pourrai pas commenter en détail ce soir tous les points de ce décret. Un très bon
commentaire, ou plus exactement un très bon prolongement de ce décret est l'encyclique
du Pape Jean-Paul II "Qu'ils soient UN", écrite en 1985, que j'ai déjà évoquée
plusieurs fois. J'ai compté : Jean-Paul II, dans son encyclique, mentionne directement plus
de 70 citations du décret sur l'œcuménisme. C'est dire à quel point Jean-Paul II se
recevait du Concile Vatican II !
Sans commenter le texte en détail, je soulignerai cependant quelques extraits qui, à mes
yeux, en constituent des lignes de force.
Le préambule commence ainsi : "Promouvoir la restauration de l'unité entre tous les
chrétiens est l'un des objectifs principaux du Saint Concile œcuménique de Vatican II".
Cette affirmation solennelle, nous l'avons vu, dépasse la conception du retour au bercail
catholique de tous les autres chrétiens. Elle reprend la grande idée du bon Pape Jean
XXIII dans sa déclaration d'ouverture du Concile dans laquelle il demandait que "l'Eglise
Catholique fasse tous les efforts possibles pour que s'accomplisse cette unité voulue par
Jésus" lui-même. (Vous pouvez la retrouver facilement sur Internet !)
Le texte du décret affirme aussitôt : "Une seule et unique Eglise a été fondée par le Christ
Seigneur. Pourtant, plusieurs communions chrétiennes se présentent aux hommes comme
le véritable héritage de Jésus-Christ … Il est certain qu'une telle division s'oppose à la
volonté du Christ. Elle est pour le monde un objet de scandale et fait obstacle à la plus
sainte des causes : la prédication de l'Evangile à toute créature".
En entendant cette introduction, nous pouvons nous demander : la division des chrétiens
est-elle pour nous aussi une réalité qui nous scandalise ? Si cette division nous laisse
indifférents, nous pouvons aller jusqu'à nous demander : sommes-nous vraiment
catholiques ? Sommes-nous vraiment les enfants du Concile ?
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Le préambule poursuit : "Or, le maître des siècles, … a commencé de répandre sur les
chrétiens l'Esprit de repentance et le désir de l'union" … Et il confirme, à la suite de
l'instruction Ecclesia Catholica de 1949, que c'est bien : "sous l'effet de la grâce de l'EspritSaint qu'est né ce mouvement qui s'amplifie de jour en jour… en vue de rétablir l'unité de
tous les chrétiens". Oui, le mouvement œcuménique est le fruit de l'œuvre de l'EspritSaint. Cette affirmation est fondamentale désormais pour les catholiques !
Le décret y revient dans le 1er chapitre sur les principes catholiques de
l'œcuménisme : "Le Seigneur Jésus a répandu l'Esprit qu'il avait promis … L'Esprit-Saint
qui habite dans le cœur des croyants, qui remplit et régit toute l'Eglise, qui réalise cette
admirable union des fidèles et les unit tous si intimement dans le Christ, qu'il est le
principe de l'unité des chrétiens … en vue de la construction du Corps du Christ".
Après avoir rappelé que "ce mystère de l'unité est dans la Trinité elle-même", ce 1er
chapitre traite des relations entre les "frères séparés" et l'Eglise catholique.
Nous avons là des affirmations tout à fait inédites à l'époque ! Le texte dit : "Ceux qui
naissent aujourd'hui dans ces communautés séparées de la pleine communion,
ne peuvent être accusés de péché de division !" Ils héritent d'une situation qu'ils
n'ont pas causée eux-mêmes, et ne peuvent donc pas être considérés comme
responsables de cet héritage. Ensuite, le texte emploie à leur égard un ton fraternel aux
antipodes de tout esprit d'accusation : "l'Eglise catholique les entoure de respect fraternel
et de charité. En effet, ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême se
trouvent dans une certaine communion, bien qu'imparfaite, avec l'Eglise Catholique".
Ces phrases sont d'une portée incroyable ! C'était franchir un grand pas ! C'était la 1ère fois
qu'une certaine communion fondée sur le baptême, était affirmée officiellement et de
manière aussi nette entre l'Eglise Catholique et les autres chrétiens.
Après la reconnaissance de communion, vient la reconnaissance de fraternité. Sans
éluder les obstacles qui restent à surmonter, le texte poursuit : Ces autres chrétiens,
incorporés au Christ par le baptême, "portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils
de l'Eglise Catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le
Seigneur". Cela peut nous paraître aujourd'hui évident, mais c'est une affirmation
énorme ! Au lieu de parler de dissidents ou d'hérétiques, le concile se met à parler de
"frères dans le Seigneur"!
Puis, le concile reconnait de nombreux éléments "de grande valeur" qui vivifient et
construisent l'Eglise, et qui peuvent exister, dit le texte, "en dehors des limites visibles de
l'Eglise Catholique". Nous pouvons nous demander quels sont ces éléments. Le concile les
précise aussitôt : "la Parole de Dieu écrite, la vie de grâce, la foi, l'espérance et la charité,
d'autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d'autres éléments visibles. Tout cela, qui
provient du Christ et conduit à lui, appartient de droit à l'unique Eglise du Christ"! Le
concile va encore plus loin : Chez nos frères séparés s'accomplissent beaucoup d'actions
sacrées qui, selon la situation diverse de chaque Eglise, produisent la vie de grâce … et
donnent accès à la communion du salut. C'était reconnaître la validité de sacrements chez
nos frères qui donnent réellement accès au salut. Le chapitre 3 précisera ces points en
distinguant les relations avec les Eglises orientales et les Eglises séparées en occident.
Mais, on est loin de l'encyclique de Pie XI Mortalium Animos qui interdisaient aux
Catholiques de participer au mouvement œcuménique !
Témoin de cette évolution, le texte aborde ensuite la question de l'œcuménisme en tant
que tel. Je le cite : "le Saint Concile exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître
les signes des temps et à prendre une part active à l'effort œcuménique". Vous avez bien
entendu : "exhorte tous les fidèles catholiques". C'est dire que l'œcuménisme n'est pas
pour un catholique, une option facultative ! Le chapitre 2 insistera sur ce point. Il
commence ainsi : "Le souci de réaliser l'union concerne l'Eglise toute entière, fidèles
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autant que pasteurs, et touche chacun selon ses capacités propres, aussi bien dans sa vie
quotidienne que dans les recherches théologiques et historiques". Tous les fidèles
catholiques doivent donc se sentir concernés par cet appel solennel du Concile au dialogue
qui doit conduire à une meilleure connaissance mutuelle et une estime plus juste de la vie
de chaque communauté ecclésiale. Cette recherche de communion ne doit pas se faire
n'importe comment : elle doit être empreinte de charité et d'humilité : "Dans l'action
œcuménique, les fidèles de l'Eglise catholique se montreront pleins de sollicitude envers
leurs frères séparés; ils prieront pour eux, parleront avec eux des choses de l'Eglise, feront
vers eux les 1ers pas. Ils considéreront avec attention et loyauté tout ce qui dans la famille
catholique elle-même a besoin d'être rénové… pour un témoignage plus fidèle…"
En reconnaissant l'unité admirable déjà réalisée par les martyrs qui dans les différentes
Eglises vont "jusqu'à l'effusion de leur sang", le chapitre 1 ose dire que : "les divisions
entre chrétiens empêchent l'Eglise de réaliser la plénitude de catholicité qui lui est
propre en ceux de ses fils qui, certes, lui appartiennent par le baptême, mais qui se
trouvent séparés de sa pleine communion".
A Vatican II, l’Église catholique a compris, grâce au "subsistit in" de Lumen Gentium, que
sa catholicité était blessée puisqu’elle n’était pas en pleine communion avec toutes les
autres Églises et communautés ecclésiales, et qu’elle devait donc tout faire pour retrouver
la plénitude de catholicité.
En attendant la réalisation de cette pleine catholicité, les catholiques peuvent cependant
se réjouir, car "tout ce qui est accompli par la grâce du Saint-Esprit dans nos frères
séparés peut contribuer à notre édification !" C'est l'amorce d'un œcuménisme perçu
comme un "échange de dons" mutuels, que Jean-Paul II développera plus tard dans
son encyclique "Qu'ils soient UN". (Le dialogue, dira t-il, ne se limite pas à un échange de
d'idées, il est toujours en quelque sorte, un échange de dons" n°28, mais aussi 35, 56-57
et 87)
Le chapitre 2 traite de l'exercice de l'œcuménisme en abordant la rénovation de
l'Eglise. Sans en avoir l'air, le texte est tout à fait exceptionnel : "L'Eglise, au cours de
son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a
continuellement besoin en tant qu'institution humaine et terrestre". Je ne sais pas si vous
avez sursauté, mais cette expression : "réforme permanente" est une expression qui vient
de Martin Luther (Ecclesia reformata, semper reformanda : Eglise réformée, devant
toujours être réformée). Ainsi, l'Eglise catholique reconnait qu'elle a besoin de cette
"réforme permanente", qui n'entache en rien sa sainteté proclamé dans le credo, mais
l'oblige à progresser sans cesse dans la charité. Comme le dira le Pape Benoit XVI, cette
réforme, cette rénovation constante n'est pas une adaptation aux modes théologiques ou
pratiques du jour, mais un appel pour l'Eglise à une fidélité sans cesse plus grande à sa
vocation. En tout cas, l'emploi de cette expression, empruntée au célèbre réformateur,
montre que le concile veut tourner le dos désormais aux polémiques stériles qui opposent
inutilement, pour intégrer tout ce qui est bon chez nos frères et peut nous faire progresser
ensemble dans une plus grande vérité et fraternité. C'est très significatif !
Le n° 7 sur la conversion du cœur est un texte magnifique ! Il faudrait le lire en entier.
Je n'en cite que quelques phrases : "Il n'y a pas de véritable œcuménisme sans conversion
intérieure. En effet, c'est du renouveau de l'Esprit, du renoncement à soi-même et d'une
libre effusion de charité que naissent et murissent les désirs de l'unité". Pas
d'œcuménisme donc, sans conversion et sans une effusion de l'Esprit-Saint dans le cœur
des chrétiens ! Un peu plus loin, le texte reconnait que l'Esprit-Saint nous conduira à
reconnaître que, tous, nous avons péché contre l'unité. "Nous devons donc demander
pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont
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offensés". Lorsque Jean-Paul II demandera pardon au seuil du 3ème millénaire afin que nos
mémoires soient guéries et purifiées, il s'inscrit bien dans l'esprit du concile.
Le texte poursuit : "Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, … avec les
prières … doivent être regardées comme l'âme de tout œcuménisme, et peuvent à bon
droit être appelées œcuménisme spirituel". Cette affirmation est bien sûr un clin d'œil et
une reconnaissance pour l'œuvre du Père Paul Couturier !
Ensuite, le décret développe 3 axes pour ce chemin de l'unité : la prière en commun, la
connaissance réciproque fraternelle et la formation œcuménique. Je ne peux pas
ici détailler chacun de ces points, mais je voudrais faire ici deux remarques :
- De même que l'œcuménisme concerne tous les catholiques, de même tous, nous
avons à prier avec nos frères, tous, nous avons à chercher à mieux les connaître, ne
serait-ce qu'en participant une fois ou l'autre à un culte ou une divine liturgie, tous, nous
avons à nous former pour mieux comprendre les enjeux et les défis théologiques qui sont
devant nous. L'œcuménisme ne doit pas être abandonné aux spécialistes, aux grands
théologiens. Ce doit être l'affaire de nous tous !
- la 2ème remarque consiste à dire que ces trois axes, tous aussi importants les uns
que les autres, ne sauraient être vécus parallèlement sans lien entre eux. Pour que la
marche vers l’unité soit efficace, il faut que ces trois axes se recoupent. Pour donner un
exemple, quand un dialogue théologique n’est plus sous-tendu par la prière, la confiance
et l’estime mutuelles, il ne porte plus de fruit. Il en va de même de l’œcuménisme
pratique. Cet œcuménisme pratique repose non seulement sur l’œcuménisme spirituel (la
prière), mais aussi sur l’unité dans la foi. Comment témoigner de l’espérance chrétienne
sans unanimité de foi, sans une confession de foi commune dans l’espérance qui nous
habite ? L’œcuménisme pratique a également besoin de l’œcuménisme théologique pour
viser cette unité dans la foi. L’unité ne saurait donc se réduire à un seul de ces axes. Prier
ensemble, se rencontrer pour mieux se connaître, étudier et se former pour mieux
comprendre sont indissociables pour chacun de nous !
Le n° 11 sur la manière d'exprimer et d'exposer la doctrine de la foi me pousse à une
3ème remarque. Je soulignerais l’importance que le concile attache à l’œcuménisme
doctrinal, les controverses théologiques ayant souvent contribué à l’origine des ruptures
entre Églises. On le voit aux principes clés qu’il donne à observer en la matière. Le décret
précise que, dans les dialogues théologiques, il faut chercher à "garder l’unité dans ce qui
est nécessaire. On veillera donc à rechercher ce qui est requis et suffisant, et à ne rien
imposer qui ne soit nécessaire", dit le concile, renvoyant à Actes 15. Puis, il rappelle
comme, Jean XXIII dans son discours d’ouverture, la distinction fondamentale à opérer
entre le dépôt de la foi et les formulations de la foi, ou, pour dire autrement, entre le fond
et la forme. Dans les dialogues théologiques, c’est fondamental. Pour exprimer un donné
de foi, on évitera d’utiliser le vocabulaire des controverses pour une formulation qui n’en
amoindrit pas pour autant le sens et la portée. Un autre principe établi, c’est le principe de
la hiérarchie des vérités. "Les théologiens catholiques se rappelleront, dit le texte, qu'il y a
une hiérarchie des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent
avec le fondement de la foi chrétienne". Les vérités de la foi gravitent donc autour de leur
fondement, le Christ, dans un rapport plus ou moins proche au centre. Mais quelle que
soit la proximité au centre, toutes ces vérités sont objet de foi. C’était la crainte de Pie XI
vis-à-vis du mouvement œcuménique naissant : que l’on relativise certaines vérités ou
qu’en disant qu’elles sont secondaires, on ne les trouve plus nécessaires.
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Le chapitre 3 distingue les relations avec les Eglises orientales et avec les Eglises
séparées en occident.
- Sans entrer dans le détail, on peut retenir qu'avec les Eglises orientales, le concile
souligne surtout le "trésor" de la foi qui nous est commun : la liturgie, l'eucharistie, les
sacrements, la vie monastique… Il est intéressant de noter ce qui est dit à propos de la
discipline particulière des orientaux (c'est-à-dire des règles de la vie en Eglise) : Il n'est
pas du tout contraire à l'unité de l'Eglise qu'il y ait diversité de mœurs et de coutumes …
une telle diversité ajoute même à sa beauté et est une aide précieuse pour
l'accomplissement de sa mission…" Autrement dit, dans ce domaine, l'unité n'est pas
l'uniformité !
Sur les questions doctrinales, le concile note : "ce qui vient d'être dit en matière de culte
et de discipline doit s'appliquer à la formulation théologique des doctrines"… "Les
formulations théologiques diverses peuvent être considérées comme plus complémentaires
qu'opposées". Cette affirmation ouvrira la voie à de futurs accords doctrinaux entre l'Eglise
catholique et plusieurs Eglises orientales où des différences d'expression pourront être
reconnues comme légitimes sans nuire à l'unité de la foi. Par exemple, les accords
christologiques avec les Eglises orthodoxes orientales, séparées depuis le 5ème siècle,
comme la déclaration commune signée en 1973 avec l'Eglise copte orthodoxe par le Pape
Paul VI et le Pape d'Alexandrie Shenouda III ; ou l'accord sur l'hospitalité eucharistique
réciproque en 2001, entre l'Eglise Assyrienne d'Orient et l'Eglise Chaldéenne Catholique,
qui reconnait la validité de la prière eucharistique (anaphore) d'Addaï et Mari de l'Eglise
Assyrienne d'Orient (qui ne possède pourtant pas de récit de l'institution de l'eucharistie !)
… (Cf. "Que tous soient UN" n° 62)
- Avec les Eglises et communautés ecclésiales séparées en Occident, sans omettre les
différences importantes qui nous séparent, le décret affirme d'abord qu'elles "demeurent
unies à l'Eglise catholique par une affinité particulière". Sans nier les difficultés, l'accent
est davantage sur ce qui peut faire progresser et "servir de stimulant au dialogue".
Plusieurs points sont abordés dans ce sens : la foi au Christ, comme source et centre de la
communion ecclésiale, l'étude de l'Ecriture, même si le rapport entre les Ecritures et
l'Eglise peut être perçu différemment, la vie sacramentelle fondée dans le baptême, et la
vie dans le Christ. On peut noter la manière positive du concile d'évoquer la sainte cène :
"Ces communautés ecclésiales séparées de nous, lorsqu'elles célèbrent à la sainte cène le
mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur, professent que la vie consiste dans
la communion au Christ et attendent son avènement glorieux".
Dans tous ces domaines, le concile invite à un approfondissement ultérieur : "Il faut donc,
conclut-il, que la doctrine sur la Cène du Seigneur, les autres sacrements, le culte et les
ministères dans l'Eglise, fasse l'objet du dialogue".
C'est ce qui est en cours depuis le concile (Cf. "Qu'ils soient UN" n° 64 et suivants). On
peut noter, à titre d'exemple, la signature historique à Augsbourg de la déclaration
conjointe sur la justification, signée en 1999 avec la fédération luthérienne mondiale,
rejointe en 2006 par le Conseil méthodiste mondial). Cette déclaration constitue une étape
décisive de rapprochement entre l'Eglise Catholique et Les Eglises luthériennes.
En conclusion, le décret invite à "tourner avec confiance nos regards vers l'avenir". Tout
en invitant à "s'abstenir de toute légèreté ou imprudence, le concile encourage les
initiatives des fils de l'Eglise Catholique unies à celles des frères séparés … sans préjuger
des impulsions futures de l'Esprit-Saint. Ainsi, le concile dit s'attendre à de nouvelles
impulsions de l'Esprit-Saint. Plus encore, il les espère et compte sur elles : il déclare avoir
conscience que la réconciliation de tous les chrétiens … dépasse les forces et les capacités
humaines". "Il met son espoir dans la prière du Christ pour l'Eglise, dans l'amour du Père à
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notre égard et dans la puissance du Saint-Esprit". Le texte s'achève avec une citation de
St Paul : "L'espérance ne déçoit pas, car l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs
par l'Esprit-Saint qui nous a été donné" (Romains. 5,5)
IV. Et après le Concile ?
Comme vous avez pu vous en rendre compte, ce décret n’est pas un texte d’application,
mais un texte qui donne la direction à suivre pour marcher vers l’unité, aujourd'hui, on
dirait : une "feuille de route". Presque cinquante ans après sa promulgation le 21
novembre 1964, ce texte très riche, voté à une majorité écrasante (2137 voix contre 11)
après de nombreux amendements de dernière minute, est toujours d’actualité. Il reste le
point de référence non seulement des œcuménistes catholiques, mais aussi des
théologiens et responsables d’autres Églises. Je pense ici au pasteur André Birmelé,
pasteur et théologien luthérien qui fait ses conférences non seulement avec sa bible à la
main, mais aussi avec le livre du Concile à la main. Je pense aussi au métropolite de
Pergame, Jean Zizioulas, théologien orthodoxe, l’actuel coprésident de la commission
mixte catholique orthodoxe, qui ne cesse de se référer à Vatican II et au décret sur
l’œcuménisme, ce décret qui ouvre des chemins d’avenir. Il va même jusqu’à dire, dans un
ouvrage collectif sur Rechercher l’unité des chrétiens publié en 2006, que "le décret sur
l’œcuménisme est l’un des plus grands documents du 20ème siècle, non seulement pour
l’Église catholique romaine, mais pour toute la chrétienté".
Pour faire un jeu de mot facile, on peut dire que ce décret a vraiment ouvert un "Chemin
Neuf" dans l'Eglise. Il a produit un élan nouveau !
En 1964, avant même la fin du Concile, c'est la fameuse rencontre à Jérusalem entre
le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras de Constantinople, et le 7 décembre
1965, la levée des excommunications réciproques qui dataient du 11ème siècle,
comme un "geste de justice et de pardon réciproque".
Par la suite, les gestes de réconciliation se sont multipliés.
En 1966, c'est la rencontre entre l'archevêque de Canterbury Michael Ramsey et le
Pape Paul VI, et la création de la Commission internationale anglicane-catholique
romaine. En 1969, Paul VI rencontre le Conseil Œcuménique des Eglises… On
pourrait multiplier les exemples depuis la fin du Concile. Ce que déclarait le Pape JeanPaul II le 28 juin 1985 aux cardinaux et à la curie, confirme désormais et de manière
irréversible le Concile Vatican II : "Je tiens à redire que c'est une décision irrévocable que
l'Eglise catholique est engagée dans le mouvement œcuménique, et qu'elle veut y
contribuer de toutes ses possibilités. C'est pour moi, évêque de Rome, une de mes
priorités pastorales … Ce mouvement est suscité par l'Esprit-Saint, et je me sens
profondément responsable en face de lui. Je lui demande humblement sa lumière et sa
force pour servir au mieux cette sainte cause de l'unité. Je vous demande de l'implorer
avec moi, de l'implorer pour moi".
On peut ici se souvenir de tous les voyages du pape Jean-Paul II qui a multiplié les
gestes significatifs de rapprochement. Le 29 mai 1982, il visite à Canterbury l'archevêque
primat de la Communion anglicane Robert Runcie. Il sera aussi le 1er pape à prêcher dans
une église évangélique luthérienne le 11 décembre 1983.
Le 25 mars 2000, il rend visite au patriarche orthodoxe de Jérusalem Diodoros 1er à qui il
déclare : "Il existe une légitime diversité qui ne s'oppose pas à l'unité du Corps du Christ,
mais, au contraire, rehausse la splendeur de l'Eglise et contribue fortement à sa mission.
Aucune de ces richesses ne doit être perdue dans la pleine unité à laquelle nous aspirons".
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Dans son encyclique "Qu'ils soient UN", au sujet du ministère de communion de l'évêque
de Rome, Jean-Paul II lance un appel humble et audacieux à la fois aux autres Eglises :
"Je prie l'Esprit-Saint de nous donner sa lumière et d'éclairer tous les pasteurs et
théologiens de nos Eglises, afin que nous puissions trouver, évidemment ensemble, les
formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d'amour reconnu par les uns
et les autres" (n° 95)
A la rencontre de Paderborn, le 22 juin 1996, il confiait : "L'œcuménisme ne sera riche
d'avenir que si nous posons la vérité de manière tout à fait désintéressée, si nous nous
écoutons les uns les autres avec patience, si nous portons les fardeaux des autres comme
nous portons notre propre fardeau".
Cette parole dit bien l'esprit des très nombreux dialogues théologiques engagés
depuis le concile : dialogues multilatéraux avec plusieurs partenaires dans le cadre de
ses relations avec le Conseil Œcuménique des Eglises au sein de la Commission Foi et
Constitution, ou dialogues bilatéraux avec un seul partenaire (une quinzaine engagés au
niveau mondial). On peut en trouver facilement la liste sur le site de la Conférence des
Evêques de France.
Ce qui est intéressant à noter ici : c’est que parallèlement au lancement des dialogues
théologiques s’est vécue la réforme liturgique catholique. Et ce qui est peu connu,
c’est que cette réforme liturgique catholique est devenue une source d’inspiration, voire
même un modèle pour d’autres Églises, notamment pour la Communion anglicane dont de
nombreuses Églises ont repris le lectionnaire et les prières eucharistiques catholiques.
Parallèlement au renouveau catholique et même avant le concile, plusieurs Églises,
notamment des Églises de la Réforme, avaient déjà entrepris une rénovation de leur
liturgie eucharistique, trouvant leurs rites trop marqués par la contestation de la liturgie
occidentale à la fin du Moyen-Âge.
On pourrait citer également de nombreux documents de l'Eglise catholique
consacrés à l’œcuménisme : le Directoire œcuménique publié en 1993 qui donne les
lignes directrices pour vivre l’œcuménisme au quotidien, ainsi que le document publié en
1997 par le Conseil pontifical pour l’unité sur la Dimension œcuménique dans la formation
au travail pastoral. On peut en retenir que toute formation théologique doit avoir une
dimension et une perspective œcuméniques…
Ainsi, même si l'œcuménisme connait des hauts et des bas (Cf. le refus du Concile par Mgr
Lefebvre), même s'il connait des espoirs et des déceptions, des difficultés persistantes (les
questions de l'uniatisme, le filioque, l'hospitalité eucharistique, les ministères…), il s'agit
cependant d'une "marche irréversible", d'une marche en avant" comme le souligne le
thème de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens en cette année 2013 : "Que te
demande le Seigneur ? C'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, que
tu marches humblement avec ton Dieu" (Michée 6,8). L'Esprit-Saint est à l'œuvre dans
cette marche œcuménique et c'est la meilleure garantie qu'elle portera tous ses fruits !
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En conclusion, je voudrais simplement laisser la parole au Pape Benoit XVI. Dans une
homélie prononcée le 25 janvier 2011 à Rome, il s'affirme pleinement comme un fils du
Concile Vatican II :
(Vous y reconnaîtrez facilement l'esprit et les points d'insistance du décret sur
l'œcuménisme)
"Chers frères et sœurs,
Suivant l’exemple de Jésus, qui à la veille de sa passion pria le Père pour ses disciples "afin que
tous, ils soient un" (Jn 17, 21), les chrétiens continuent sans cesse d’invoquer de Dieu le don de
l’unité … Nous devons être reconnaissants car, au cours des dernières décennies, le mouvement
œcuménique, "né sous l’effet de la grâce de l’Esprit Saint" (Unitatis Redintegratio 1) a accompli des
progrès significatifs, qui ont permis de parvenir à des convergences et des consensus encourageants,
développant entre les Eglises et les Communautés ecclésiales des relations d’estime et de respect
réciproques, ainsi que de collaboration concrète face aux défis du monde contemporain. Toutefois,
nous savons bien que nous sommes encore loin de cette unité pour laquelle le Christ a prié ...
L’unité à laquelle le Christ, à travers son Esprit, appelle l’Eglise, ne se réalise pas seulement sur le
plan des structures organisationnelles, mais se configure, à un niveau beaucoup plus profond,
comme unité exprimée "dans la profession d’une seule foi, dans la célébration commune du culte
divin, dans la concorde fraternelle de la famille de Dieu" (ibid n°2). La recherche du rétablissement
de l’unité entre les chrétiens divisés ne peut donc pas se réduire à une reconnaissance des
différences réciproques et à l’obtention d’une coexistence pacifique : ce à quoi nous aspirons est
l’unité pour laquelle le Christ lui-même a prié et qui, par sa nature, se manifeste dans la communion
de la foi, des sacrements, du ministère. Le chemin vers cette unité doit être ressenti comme un
impératif moral, la réponse à un appel précis de Seigneur. C’est pourquoi il faut vaincre la
tentation de la résignation et du pessimisme, qui est un manque de confiance dans la puissance de
l’Esprit Saint. Notre devoir est de poursuivre avec passion le chemin vers cet objectif, grâce à un
dialogue sérieux et rigoureux pour approfondir le patrimoine théologique, liturgique et spirituel
commun ; grâce à la connaissance réciproque, grâce à la formation œcuménique des jeunes
générations et, surtout, grâce à la conversion du cœur et à la prière. En effet, comme l’a déclaré le
Concile Vatican II, "ce projet sacré, la réconciliation de tous les chrétiens dans l’unité d’une seule et
unique Eglise du Christ, dépasse les forces et les capacités humaines; ainsi notre espérance doit
donc être tout d’abord placée "dans la prière du Christ pour l’Eglise, dans l’amour du Père à notre
égard, et dans la puissance du Saint-Esprit" (ibid., n° 24)"
Pour terminer, je vous propose de vous poser cette question, chacun et chacune :
Le concile nous invite à avancer sur les 3 axes que nous avons évoqués :
- prier en commun avec nos frères chrétiens d'autres confessions,
- se rencontrer pour développer une meilleure connaissance mutuelle,
- approfondir notre formation œcuménique.
Où en sommes-nous, chacun personnellement, vis-à-vis de cette question ? L'entendonsnous comme un "impératif moral", pour reprendre l'expression de notre Pape Benoît XVI ?
Je vous remercie.
P. Louis-Marc Thomy
Communauté du Chemin Neuf
Ps : Pour ceux qui aimeraient avoir le texte de cet exposé, c'est possible il suffit de me le
demander en envoyant un mail à : [email protected]
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