UNITE DES CHRETIENS – VATICAN II Bonsoir à tous. Je voudrais d'abord vous dire que je suis heureux de répondre à la demande que m'a fait le P. Emmanuel d'Andigné. C'est une joie de vous partager ce qui fait la vocation de ma communauté et de l'Eglise Catholique de prier et de travailler à l'unité de tous les disciples du Christ. Nous fêtons le 50ème anniversaire du concile Vatican II, et l'on peut se souvenir que cet appel à œuvrer à l'unité entre les chrétiens a été l'axe central du renouveau voulu et apporté par le concile. Les contacts du Cardinal Roncalli avec les Eglises d'Orient dans la période préconciliaire, ne sont certainement pas pour rien dans cette orientation. N'oublions pas que c'est lors de la clôture de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens, en 1959, que celui qui était devenu le Pape Jean XXIII annonça la convocation d'un concile auquel il assignait pour tâche de promouvoir l'unité des chrétiens. L'année suivante, il créait le secrétariat pour l'unité des chrétiens, confié au cardinal Béa, qui sera chargé d'accueillir les observateurs des autres Eglises et communautés ecclésiales. Que s’est-il passé à Vatican II ? S’il y a eu à Vatican II un souffle puissant de l’Esprit Saint, qui répondait à la prière du Pape Jean XXIII pour une nouvelle pentecôte sur l'Eglise, on peut facilement repérer également la présence et l'action de l'Esprit-Saint dans les années précédant le Concile. Le Concile Vatican II est en effet le fruit d’une longue étape de maturation. C’est pourquoi, avant de voir en quoi consiste le décret sur l'unité et le renouveau de l’œcuménisme au Concile, je vous propose de regarder ce qui a favorisé l’ouverture œcuménique dans cette période préconciliaire et comment s’est située l’Église catholique face à cette ouverture. Cette relecture rapide de notre histoire pourra nous aider à mieux saisir le tournant capital opéré à Vatican II et son apport à l’œcuménisme. Je vais donc, dans un 1er temps, vous parler de l’ouverture œcuménique à la période préconciliaire. I. L’ouverture œcuménique à la période préconciliaire 1. Je commencerai par faire mémoire de personnalités éminentes et incontournables qui ont marqué l’Église catholique avant le Concile et qui ont contribué à l’ouvrir à la démarche œcuménique. Je citerai donc quelques grandes figures catholiques de cette histoire de l'œcuménisme : Le Père Portal (+ 1926), qui à la suite d'une rencontre avec Lord Hallifax, contribua au développement des relations avec la communion anglicane, dès la fin du 19ème siècle. Le cardinal Mercier, qui accueillit les "conversations de Malines" entre anglicans et catholiques au début des années 1920. Dom Lambert Beauduin qui fonda en 1925 à Amay-Chèvetogne (Belgique) un monastère bénédictin orienté vers le dialogue avec l'Orient chrétien. Ce monastère bénédictin qui se situe dans la province de Namur a été placé dès sa fondation sous le signe de l'œcuménisme. Il présente la particularité de comporter deux églises : l’une qui est de rite latin, l’autre de rite byzantin. Dom Lambert Beauduin, son fondateur, voulait par là favoriser le rapprochement des chrétiens d’Orient et d’Occident. Un an après la 1 fondation du monastère de l’unité, les moines élargirent ce dialogue Occident-Orient en fondant la revue Irénikon, une excellente revue consacré à l’œcuménisme. En France, à Paris, ce fut la fondation du centre Istina (vérité) en 1926 par le Père Dumont, un dominicain. Ce centre qui fut dirigé par son fondateur en collaboration avec de nombreux théologiens précurseurs de l’œcuménisme, joua un rôle de premier plan dans la préparation du Concile Vatican II et des documents qui en sont issus. Comme la revue Irénikon, la revue Istina est très connue dans les milieux œcuméniques. On ne peut pas ne pas citer l’abbé Paul Couturier, ce prêtre du diocèse de Lyon qui, en 1936, lance la semaine de prière pour l’unité en priant pour "l’unité telle que le Christ la veut et par les moyens qu’il veut". Cela ne veut pas dire qu’auparavant l’octave de prière pour l’unité n’existait pas. Elle existait. C’était Léon XIII qui l’avait instaurée à la fin du XIX siècle, mais ses prières demandaient le retour des chrétiens séparés à l’Eglise romaine. Le Père Paul Couturier va donc proposer un sens bien différent et une orientation tout à fait nouvelle à cette prière. Il est à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui l’œcuménisme spirituel. L’année suivante en 1937, l'abbé Paul Couturier fonde le Groupe des Dombes, un groupe œcuménique francophone, qui réunit des théologiens catholiques et protestants non mandatés par leurs Églises. C’est donc un groupe privé qui a fait et fait toujours un excellent travail de recherche théologique. Ses publications montrent les positions communes de leurs Églises sur tel ou tel sujet, ainsi que les divergences qu'il reste encore à surmonter. On peut dire qu’elles ont un grand retentissement. La renommée du groupe des Dombes n’est plus à faire. Quant à son appel régulier à la conversion des Églises, il est vraiment source d’interpellation, à la fois individuel et communautaire. Il suffit de lire un de leurs derniers documents sur le Notre Père intitulé Vous donc priez ainsi pour s’en rendre compte. Le groupe rappelle que dire « Notre Père » induit des exigences œcuméniques, exigence de fraternité réelle entre enfants d’un même Père, et de réconciliation dans la seconde partie de la prière. Après l’abbé Paul Couturier qui est l’un des grands pionniers catholiques de l’œcuménisme, il faut citer le Père Congar, dominicain, qui publie, la même l’année que la fondation du Groupe des Dombes, donc en 1937, Chrétiens désunis. Mais cet ouvrage qui sera pendant vingt ans la seule charte théologique de l’œcuménisme catholique, rendra Congar suspect aux yeux de Rome à cette époque où le mouvement œcuménique est encore mal vu. Il faut savoir que l’autorisation de dialoguer ou de prier avec des membres d’autres confessions ne date que de 1949. On peut évoquer également ici les travaux d'autres théologiens comme ceux d'Henri de Lubac, de l'allemand Karl Adam et d'autres comme le Père Gustave Thils qui, en 1955, publiera une Histoire Doctrinale du mouvement œcuménique. Un autre personnage clé qui a contribué à la préparation du Concile, c’est l’abbé Louis Willebrands. Devant l’engagement croissant des théologiens catholiques dans les questions œcuméniques, ce prêtre d’origine hollandaise met sur pied en 1952, une Conférence catholique internationale sur les questions œcuméniques. Cette Conférence catholique pour les questions œcuméniques se réunissait une fois par an pour étudier les questions abordées au Conseil œcuménique des Églises. Elle tint sa dernière réunion pendant le Concile, en 1963, à Gazzada en Italie. Elle ne sera pas sans lien avec la naissance du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens voulu par Jean XXIII en 1960, secrétariat qui deviendra en 1988 : le Conseil Pontifical pour l’unité, sous le pontificat de Jean-Paul II. 2 2. À toutes ces initiatives personnelles essentiellement catholiques, il faut ajouter les initiatives d’autres Églises en faveur de l’unité. Lors de la Conférence d’Édimbourg en 1910 qui rassemblait les missions protestantes dans le monde, les participants furent bouleversés par le témoignage du Dr Chang. Venu des jeunes Églises de Chine, il témoigna : "Vous nous avez envoyé des missionnaires qui nous ont fait connaître Jésus Christ, et nous vous en remercions. Mais vous nous avez apporté aussi vos divisions, pour cela, nous ne pouvons pas vous remercier". Ce fut une prise de conscience radicale, comme un choc devant les dommages causés à l’évangélisation par la division des Églises. Cette Conférence d'Edimbourg marque la naissance du mouvement œcuménique. Certains anglicans d’Amérique du Nord ont très vite réagi, six mois plus tard, en appelant les Églises à œuvrer pour l’unité dans la foi. Il leur paraissait urgent de répondre à la prière de Jésus pour ses disciples dans l’évangile de Jean au chapitre 17 : "Père, qu'ils soient UN, afin que le monde croie". Puisque la mission souffrait ainsi des divisions, ces anglicans voulaient inciter toutes les Églises à réfléchir ensemble sur leurs divergences dans l’expression de la foi et sur la façon de concevoir la constitution de l’Église en sa forme visible, institutionnelle. Pour eux, c’était l’avenir de l’évangélisation qui en dépendait. Cet appel sera entendu par les orthodoxes et les protestants. Il fut à l’origine du mouvement Foi et Constitution fondé quelques années plus tard à Lausanne en vue d'un approfondissement théologique sur la recherche de l'unité, et du mouvement Vie et Action fondé à Stockholm en 1925 en vue d'un témoignage commun dans le domaine social et international... Une autre initiative en faveur de l’unité a lieu en janvier 1920, donc dix ans après la Conférence d’Édimbourg. Le patriarcat orthodoxe de Constantinople manifeste son souci de l’unité. Il adresse une lettre à « toutes les Églises du monde ». Face au danger d’une société en perte des valeurs évangéliques, le patriarcat propose la création d’une association fraternelle des Églises. C’est intéressant parce que c’est en quelque sorte une esquisse prophétique de ce que sera en 1948 le Conseil œcuménique des Églises. Et il suggère un programme qui reste aujourd’hui tout à fait d’actualité : la lettre réclame la suppression du prosélytisme (c’est-à-dire la tentative de récupérations des fidèles d’une Église par une autre), ce qui devrait permettre, dit-elle, le rétablissement de liens de charité entre toutes les communautés chrétiennes. Quelques mois après l’encyclique orthodoxe, au début de l’été 1920, c’est au tour des évêques anglicans réunis à Londres, au palais de Lambeth, le palais de l’archevêque de Cantorbéry, d’appeler toutes les communautés chrétiennes à prendre au sérieux la restauration de l'unité. Cet appel de Lambeth était un appel à l’unité visible de tous les chrétiens dans une unique Église catholique telle que le Christ la veut. Les évêques anglicans y affirmaient leur volonté de travailler à l’unité. On ne doit pas oublier aussi le frère Roger Schutz qui fonda en 1940 la communauté de Taizé. Taizé, dont le Pape Jean-Paul II dira beaucoup plus tard : "On vient à Taizé comme à une source". Cette communauté qui rassemble des catholiques et des protestants, qui se veut donc œcuménique, voulait construire une vie commune dans laquelle la réconciliation selon l’évangile serait une réalité vécue concrètement. Nous avons donc là plusieurs appels, de confessions chrétiennes diverses, à œuvrer pour l’unité. Mais, comme vous le constatez, le dynamisme initial du mouvement œcuménique, dans son engagement officiel, vient essentiellement du protestantisme et de l’anglicanisme suivis de près par l’orthodoxie. Dans cette première partie du 20ème siècle, il y a en effet une grande absente : l’Église catholique. Pourquoi ? Je l’ai déjà évoqué tout à l’heure, parce que l'Eglise catholique, au niveau officiel, a été, dans un 1er temps, prudente, voire réticente vis-à-vis du mouvement œcuménique. Sans oublier toutes les 3 initiatives personnelles de précurseurs catholiques que j'ai citées plus haut en faveur de l’unité, nous devons bien reconnaître que l'œcuménisme, dans ses initiatives "publiques", ses rassemblements, ses contacts "officiels", était alors une réalité vécue essentiellement dans les Eglises protestantes et orthodoxe, bien avant sa consécration officielle par Jean XXIII. Sauf quelques ouvertures, notamment en faveur de l'Orient, les autorités romaines sont restées réservées et en retrait. En effet, Rome continuait à prôner à cette époque le retour au bercail de ceux qui s’étaient séparés de l’Église catholique. Ainsi, en 1928, dans son encyclique Mortalium Animos, Pie XI, déclarait : "Il n'est pas permis de procurer la réunion des chrétiens autrement qu'en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Eglise du Christ puisqu'ils ont eu jadis le malheur de s'en séparer". En 1943, dans son encyclique sur "le Corps mystique du Christ", Pie XII demeure encore dans cette perception lorsqu'il identifie l’Église du Christ à l’Église catholique romaine. Ce sera après la création du Conseil œcuménique des Églises à Amsterdam en 1948 que l’Église catholique s'ouvrira officiellement au mouvement œcuménique. L'instruction du Saint-Office Ecclesia Catholica du 9 septembre 1949 manifeste un vrai changement d'orientation. Elle déclare que le désir de l'unité relève d'une "inspiration de la grâce du Saint-Esprit". Elle affirme le devoir des évêques de s'en préoccuper et prévoit une participation catholique aux conférences œcuméniques sous la responsabilité de l'évêque du lieu. Il n'en reste pas moins que malgré ce tournant étonnant, c'est encore la conception d'un œcuménisme du "retour au bercail" des brebis séparées qui prévaut à l'époque et qui va prévaloir jusqu'à l’ouverture du Concile. Pourtant, Jean XXIII avait séjourné en terre orthodoxe, en Bulgarie, et s’était montré très à l’écoute des Églises d’Orient. C’est d’ailleurs la raison qui l’a conduit, peu de temps après son élection pontificale, à créer le Secrétariat pour l’unité des chrétiens qui aura la responsabilité des relations œcuméniques (Ce secrétariat qui deviendra sous Jean-Paul II : Conseil Pontifical pour l'unité des chrétiens). La première mission qu’il lui confie, c’est d’inviter les autres Églises à envoyer des observateurs au Concile, c’est-à-dire des membres d’autres confessions chrétiennes. Néanmoins, pour Jean XXIII qui voulait que le Concile soit œcuménique, comme pour le cardinal Béa, le président du secrétariat pour les relations œcuméniques, le moyen pour retrouver l’unité n’avait pas évolué. Il s’agissait toujours de ramener au sein de l’Église catholique ceux qui s’en étaient séparées et que l’on était prêt à accueillir les bras grands ouverts. On pensait alors qu’il suffisait que l’Église catholique se réforme pour que les autres Églises ou communautés ecclésiales souhaitent y rentrer à nouveau. Tel était l’état d’esprit qui régnait encore à la première session du Concile en 1962. II. Le tournant capital opéré à Vatican II Alors, comment est-on passé à Vatican II de cette conception du "retour au bercail" au désir de "la promotion de l'unité des chrétiens" ? Comment expliquer un tel retournement œcuménique ? Tout d'abord, on doit noter la présence de 90 observateurs venant de 28 confessions chrétiennes, invités par Jean XXIII : tout en étant exempts du droit de vote, ces observateurs assistaient aux débats. Lors des sessions, le cardinal Béa les réunissait chaque semaine. Même s'ils ne prenaient pas la parole officiellement, on peut dire que leur simple présence interdisait qu'on parle d'eux en d'autres termes que fraternels ! Les Pères du concile se sont de plus en plus rendu compte qu'ils partageaient avec eux, pour l'essentiel, une même foi, et que ce qui les unissait était plus important que ce qui les 4 séparait… Pendant toute la durée du concile, le secrétariat pour l'unité, présidé par le cardinal Béa, fonctionna comme une véritable commission et il eut un rôle déterminant dans la rédaction du décret sur l'œcuménisme, mais aussi dans la déclaration sur la liberté religieuse et dans la constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine. Avant de parler du décret sur l'unité des chrétiens, je voudrais justement m'arrêter quelques instants sur une expression employée au paragraphe 8 de la constitution dogmatique sur l'Eglise : Lumen Gentium. Il s'agit du "subsistit in" qui, par la suite a fait couler beaucoup d'encre ! Dans son encyclique "Qu'ils soient un" donnée en 1995, le Pape Jean-Paul II évoque deux fois ce mot. Au n° 10, il dit : "Le concile dit que l'Eglise du Christ "est présente" (subsiste) dans l'Eglise catholique gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques en communion avec lui", et il reconnait en même temps que "en dehors de l'ensemble organique qu'elle forme, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité qui, en tant que dons propres à l'Eglise du Christ, portent à l'unité catholique". Au n° 86, il insiste : "La constitution Lumen Gentium, dans une de ses affirmations fondamentales, … atteste que l'unique Eglise du Christ "est présente" (subsiste) dans l'Eglise catholique". Alors, pourquoi, ce petit mot est-il donc si important ? Pour faire simple, je dirai, que l’intention des Pères conciliaires, dans le paragraphe 8 de la Constitution dogmatique sur l’Église, est d'affirmer que l’unique Église du Christ se trouve, subsiste dans l’Église catholique, mais qu’elle ne se limite pas aux frontières de l’Église catholique. Les Pères se refusent à dire : l'Eglise du Christ "est" l'Eglise catholique, ils se refusent à identifier, purement et simplement l'Eglise du Christ et l'Eglise catholique romaine … comme c’était le cas auparavant encore sous Pie XII. Pourquoi ? Parce que, dit le concile, il existe des éléments ecclésiaux de grande valeur en dehors de l’Église catholique, des éléments de sanctification et de vérité, qui appartiennent de droit à l’unique Église du Christ. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de vide ecclésial en dehors de l’Église catholique. Cela ne s’est pas fait en un jour, comme vous pouvez l’imaginer. Il a fallu plusieurs sessions du Concile pour en arriver à cette formulation de Lumen Gentium. Il a fallu une longue réflexion théologique et plusieurs interventions de cardinaux, dont celle du Cardinal Liénart, archevêque de Lille, en décembre 1962, qui fut déterminante dans le changement radical opéré par les pères conciliaires. Le cardinal a conduit les pères à se poser de bonnes questions : Appartenir au Christ, n’était-ce pas appartenir à l’Église ? N’y a-t-il pas dans ces communautés séparées de l’Église catholique une véritable vie évangélique ? Une vie évangélique qui ne peut avoir d’autre source que le Christ et son Esprit ? C’est cette prise de conscience qui a conduit les Pères à renoncer aux premiers schémas, c’est-à-dire aux premières formulations destinées à définir l’Église au début du Concile en identifiant encore l’Église du Christ à l’Église catholique, ce qui impliquait de fait un œcuménisme du retour au bercail. Ce qui est intéressant, c’est de constater que le Concile n’a pas rompu avec l’encyclique de Pie XII sur le Corps Mystique du Christ. Il a seulement élargi la formule de Pie XII, Pie XII qui, en fait, se posait déjà la question de l’incorporation au Corps du Christ des baptisés qui ne sont pas membres de l’Église catholique. Avec ce passage du "est" au "subsistit in", l’Église catholique choisit donc la voie du dialogue et de la conversion. Elle abandonne l'idée d'une simple absorption d'une Eglise par une autre pour entrer dans le mystère d'une unité à promouvoir et à recevoir de Dieu. Dans son encyclique "Qu'ils soient UN", Jean-Paul II dira à ce sujet : "Les éléments de sanctification et de vérité présents dans les 5 autres Communautés chrétiennes, à des degrés différents dans les unes et les autres, constituent la base objective de la communion qui existe, même imparfaitement entre elles et l'Eglise catholique". Et il ajoute : "Dans la mesure où ces éléments se trouvent dans les autres Communautés chrétiennes, il y a une présence active de l'unique Eglise du Christ en elles". Quel chemin parcouru ! Quel progrès extraordinaire suscité, n'en doutons pas, par l'EspritSaint ! III. Le décret sur l’œcuménisme Abordons maintenant le décret sur l'œcuménisme. Je vous conseille vraiment de le lire si vous ne l'avez déjà fait. Mais je voudrais vous dire qu'il est important de ne pas le lire "à distance" en l'analysant d'une manière purement intellectuelle. Ce texte doit être lu dans un esprit de foi, il doit nous interpeller et nous pousser à une conversion. C'est ce que dit Jean-Paul II au n° 10 de son encyclique sur l'unité : "Dans la situation de division actuelle … les fidèles catholiques se sentent profondément interpellés par le Seigneur de l'Eglise"… Ils abordent la question œcuménique en esprit de foi". Je vous donne maintenant le plan de ce décret : après un préambule, le 1er chapitre aborde "les principes catholiques de l'œcuménisme. Le chapitre 2 traite de l'exercice de l'œcuménisme. Le chapitre 3 détaille la question des Eglises et communautés ecclésiales séparées du siège apostolique romain, et la conclusion invite à regarder avec confiance vers l'avenir en évoquant "l'espérance qui ne déçoit pas". Je ne pourrai pas commenter en détail ce soir tous les points de ce décret. Un très bon commentaire, ou plus exactement un très bon prolongement de ce décret est l'encyclique du Pape Jean-Paul II "Qu'ils soient UN", écrite en 1985, que j'ai déjà évoquée plusieurs fois. J'ai compté : Jean-Paul II, dans son encyclique, mentionne directement plus de 70 citations du décret sur l'œcuménisme. C'est dire à quel point Jean-Paul II se recevait du Concile Vatican II ! Sans commenter le texte en détail, je soulignerai cependant quelques extraits qui, à mes yeux, en constituent des lignes de force. Le préambule commence ainsi : "Promouvoir la restauration de l'unité entre tous les chrétiens est l'un des objectifs principaux du Saint Concile œcuménique de Vatican II". Cette affirmation solennelle, nous l'avons vu, dépasse la conception du retour au bercail catholique de tous les autres chrétiens. Elle reprend la grande idée du bon Pape Jean XXIII dans sa déclaration d'ouverture du Concile dans laquelle il demandait que "l'Eglise Catholique fasse tous les efforts possibles pour que s'accomplisse cette unité voulue par Jésus" lui-même. (Vous pouvez la retrouver facilement sur Internet !) Le texte du décret affirme aussitôt : "Une seule et unique Eglise a été fondée par le Christ Seigneur. Pourtant, plusieurs communions chrétiennes se présentent aux hommes comme le véritable héritage de Jésus-Christ … Il est certain qu'une telle division s'oppose à la volonté du Christ. Elle est pour le monde un objet de scandale et fait obstacle à la plus sainte des causes : la prédication de l'Evangile à toute créature". En entendant cette introduction, nous pouvons nous demander : la division des chrétiens est-elle pour nous aussi une réalité qui nous scandalise ? Si cette division nous laisse indifférents, nous pouvons aller jusqu'à nous demander : sommes-nous vraiment catholiques ? Sommes-nous vraiment les enfants du Concile ? 6 Le préambule poursuit : "Or, le maître des siècles, … a commencé de répandre sur les chrétiens l'Esprit de repentance et le désir de l'union" … Et il confirme, à la suite de l'instruction Ecclesia Catholica de 1949, que c'est bien : "sous l'effet de la grâce de l'EspritSaint qu'est né ce mouvement qui s'amplifie de jour en jour… en vue de rétablir l'unité de tous les chrétiens". Oui, le mouvement œcuménique est le fruit de l'œuvre de l'EspritSaint. Cette affirmation est fondamentale désormais pour les catholiques ! Le décret y revient dans le 1er chapitre sur les principes catholiques de l'œcuménisme : "Le Seigneur Jésus a répandu l'Esprit qu'il avait promis … L'Esprit-Saint qui habite dans le cœur des croyants, qui remplit et régit toute l'Eglise, qui réalise cette admirable union des fidèles et les unit tous si intimement dans le Christ, qu'il est le principe de l'unité des chrétiens … en vue de la construction du Corps du Christ". Après avoir rappelé que "ce mystère de l'unité est dans la Trinité elle-même", ce 1er chapitre traite des relations entre les "frères séparés" et l'Eglise catholique. Nous avons là des affirmations tout à fait inédites à l'époque ! Le texte dit : "Ceux qui naissent aujourd'hui dans ces communautés séparées de la pleine communion, ne peuvent être accusés de péché de division !" Ils héritent d'une situation qu'ils n'ont pas causée eux-mêmes, et ne peuvent donc pas être considérés comme responsables de cet héritage. Ensuite, le texte emploie à leur égard un ton fraternel aux antipodes de tout esprit d'accusation : "l'Eglise catholique les entoure de respect fraternel et de charité. En effet, ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême se trouvent dans une certaine communion, bien qu'imparfaite, avec l'Eglise Catholique". Ces phrases sont d'une portée incroyable ! C'était franchir un grand pas ! C'était la 1ère fois qu'une certaine communion fondée sur le baptême, était affirmée officiellement et de manière aussi nette entre l'Eglise Catholique et les autres chrétiens. Après la reconnaissance de communion, vient la reconnaissance de fraternité. Sans éluder les obstacles qui restent à surmonter, le texte poursuit : Ces autres chrétiens, incorporés au Christ par le baptême, "portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l'Eglise Catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur". Cela peut nous paraître aujourd'hui évident, mais c'est une affirmation énorme ! Au lieu de parler de dissidents ou d'hérétiques, le concile se met à parler de "frères dans le Seigneur"! Puis, le concile reconnait de nombreux éléments "de grande valeur" qui vivifient et construisent l'Eglise, et qui peuvent exister, dit le texte, "en dehors des limites visibles de l'Eglise Catholique". Nous pouvons nous demander quels sont ces éléments. Le concile les précise aussitôt : "la Parole de Dieu écrite, la vie de grâce, la foi, l'espérance et la charité, d'autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d'autres éléments visibles. Tout cela, qui provient du Christ et conduit à lui, appartient de droit à l'unique Eglise du Christ"! Le concile va encore plus loin : Chez nos frères séparés s'accomplissent beaucoup d'actions sacrées qui, selon la situation diverse de chaque Eglise, produisent la vie de grâce … et donnent accès à la communion du salut. C'était reconnaître la validité de sacrements chez nos frères qui donnent réellement accès au salut. Le chapitre 3 précisera ces points en distinguant les relations avec les Eglises orientales et les Eglises séparées en occident. Mais, on est loin de l'encyclique de Pie XI Mortalium Animos qui interdisaient aux Catholiques de participer au mouvement œcuménique ! Témoin de cette évolution, le texte aborde ensuite la question de l'œcuménisme en tant que tel. Je le cite : "le Saint Concile exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l'effort œcuménique". Vous avez bien entendu : "exhorte tous les fidèles catholiques". C'est dire que l'œcuménisme n'est pas pour un catholique, une option facultative ! Le chapitre 2 insistera sur ce point. Il commence ainsi : "Le souci de réaliser l'union concerne l'Eglise toute entière, fidèles 7 autant que pasteurs, et touche chacun selon ses capacités propres, aussi bien dans sa vie quotidienne que dans les recherches théologiques et historiques". Tous les fidèles catholiques doivent donc se sentir concernés par cet appel solennel du Concile au dialogue qui doit conduire à une meilleure connaissance mutuelle et une estime plus juste de la vie de chaque communauté ecclésiale. Cette recherche de communion ne doit pas se faire n'importe comment : elle doit être empreinte de charité et d'humilité : "Dans l'action œcuménique, les fidèles de l'Eglise catholique se montreront pleins de sollicitude envers leurs frères séparés; ils prieront pour eux, parleront avec eux des choses de l'Eglise, feront vers eux les 1ers pas. Ils considéreront avec attention et loyauté tout ce qui dans la famille catholique elle-même a besoin d'être rénové… pour un témoignage plus fidèle…" En reconnaissant l'unité admirable déjà réalisée par les martyrs qui dans les différentes Eglises vont "jusqu'à l'effusion de leur sang", le chapitre 1 ose dire que : "les divisions entre chrétiens empêchent l'Eglise de réaliser la plénitude de catholicité qui lui est propre en ceux de ses fils qui, certes, lui appartiennent par le baptême, mais qui se trouvent séparés de sa pleine communion". A Vatican II, l’Église catholique a compris, grâce au "subsistit in" de Lumen Gentium, que sa catholicité était blessée puisqu’elle n’était pas en pleine communion avec toutes les autres Églises et communautés ecclésiales, et qu’elle devait donc tout faire pour retrouver la plénitude de catholicité. En attendant la réalisation de cette pleine catholicité, les catholiques peuvent cependant se réjouir, car "tout ce qui est accompli par la grâce du Saint-Esprit dans nos frères séparés peut contribuer à notre édification !" C'est l'amorce d'un œcuménisme perçu comme un "échange de dons" mutuels, que Jean-Paul II développera plus tard dans son encyclique "Qu'ils soient UN". (Le dialogue, dira t-il, ne se limite pas à un échange de d'idées, il est toujours en quelque sorte, un échange de dons" n°28, mais aussi 35, 56-57 et 87) Le chapitre 2 traite de l'exercice de l'œcuménisme en abordant la rénovation de l'Eglise. Sans en avoir l'air, le texte est tout à fait exceptionnel : "L'Eglise, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin en tant qu'institution humaine et terrestre". Je ne sais pas si vous avez sursauté, mais cette expression : "réforme permanente" est une expression qui vient de Martin Luther (Ecclesia reformata, semper reformanda : Eglise réformée, devant toujours être réformée). Ainsi, l'Eglise catholique reconnait qu'elle a besoin de cette "réforme permanente", qui n'entache en rien sa sainteté proclamé dans le credo, mais l'oblige à progresser sans cesse dans la charité. Comme le dira le Pape Benoit XVI, cette réforme, cette rénovation constante n'est pas une adaptation aux modes théologiques ou pratiques du jour, mais un appel pour l'Eglise à une fidélité sans cesse plus grande à sa vocation. En tout cas, l'emploi de cette expression, empruntée au célèbre réformateur, montre que le concile veut tourner le dos désormais aux polémiques stériles qui opposent inutilement, pour intégrer tout ce qui est bon chez nos frères et peut nous faire progresser ensemble dans une plus grande vérité et fraternité. C'est très significatif ! Le n° 7 sur la conversion du cœur est un texte magnifique ! Il faudrait le lire en entier. Je n'en cite que quelques phrases : "Il n'y a pas de véritable œcuménisme sans conversion intérieure. En effet, c'est du renouveau de l'Esprit, du renoncement à soi-même et d'une libre effusion de charité que naissent et murissent les désirs de l'unité". Pas d'œcuménisme donc, sans conversion et sans une effusion de l'Esprit-Saint dans le cœur des chrétiens ! Un peu plus loin, le texte reconnait que l'Esprit-Saint nous conduira à reconnaître que, tous, nous avons péché contre l'unité. "Nous devons donc demander pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont 8 offensés". Lorsque Jean-Paul II demandera pardon au seuil du 3ème millénaire afin que nos mémoires soient guéries et purifiées, il s'inscrit bien dans l'esprit du concile. Le texte poursuit : "Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, … avec les prières … doivent être regardées comme l'âme de tout œcuménisme, et peuvent à bon droit être appelées œcuménisme spirituel". Cette affirmation est bien sûr un clin d'œil et une reconnaissance pour l'œuvre du Père Paul Couturier ! Ensuite, le décret développe 3 axes pour ce chemin de l'unité : la prière en commun, la connaissance réciproque fraternelle et la formation œcuménique. Je ne peux pas ici détailler chacun de ces points, mais je voudrais faire ici deux remarques : - De même que l'œcuménisme concerne tous les catholiques, de même tous, nous avons à prier avec nos frères, tous, nous avons à chercher à mieux les connaître, ne serait-ce qu'en participant une fois ou l'autre à un culte ou une divine liturgie, tous, nous avons à nous former pour mieux comprendre les enjeux et les défis théologiques qui sont devant nous. L'œcuménisme ne doit pas être abandonné aux spécialistes, aux grands théologiens. Ce doit être l'affaire de nous tous ! - la 2ème remarque consiste à dire que ces trois axes, tous aussi importants les uns que les autres, ne sauraient être vécus parallèlement sans lien entre eux. Pour que la marche vers l’unité soit efficace, il faut que ces trois axes se recoupent. Pour donner un exemple, quand un dialogue théologique n’est plus sous-tendu par la prière, la confiance et l’estime mutuelles, il ne porte plus de fruit. Il en va de même de l’œcuménisme pratique. Cet œcuménisme pratique repose non seulement sur l’œcuménisme spirituel (la prière), mais aussi sur l’unité dans la foi. Comment témoigner de l’espérance chrétienne sans unanimité de foi, sans une confession de foi commune dans l’espérance qui nous habite ? L’œcuménisme pratique a également besoin de l’œcuménisme théologique pour viser cette unité dans la foi. L’unité ne saurait donc se réduire à un seul de ces axes. Prier ensemble, se rencontrer pour mieux se connaître, étudier et se former pour mieux comprendre sont indissociables pour chacun de nous ! Le n° 11 sur la manière d'exprimer et d'exposer la doctrine de la foi me pousse à une 3ème remarque. Je soulignerais l’importance que le concile attache à l’œcuménisme doctrinal, les controverses théologiques ayant souvent contribué à l’origine des ruptures entre Églises. On le voit aux principes clés qu’il donne à observer en la matière. Le décret précise que, dans les dialogues théologiques, il faut chercher à "garder l’unité dans ce qui est nécessaire. On veillera donc à rechercher ce qui est requis et suffisant, et à ne rien imposer qui ne soit nécessaire", dit le concile, renvoyant à Actes 15. Puis, il rappelle comme, Jean XXIII dans son discours d’ouverture, la distinction fondamentale à opérer entre le dépôt de la foi et les formulations de la foi, ou, pour dire autrement, entre le fond et la forme. Dans les dialogues théologiques, c’est fondamental. Pour exprimer un donné de foi, on évitera d’utiliser le vocabulaire des controverses pour une formulation qui n’en amoindrit pas pour autant le sens et la portée. Un autre principe établi, c’est le principe de la hiérarchie des vérités. "Les théologiens catholiques se rappelleront, dit le texte, qu'il y a une hiérarchie des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne". Les vérités de la foi gravitent donc autour de leur fondement, le Christ, dans un rapport plus ou moins proche au centre. Mais quelle que soit la proximité au centre, toutes ces vérités sont objet de foi. C’était la crainte de Pie XI vis-à-vis du mouvement œcuménique naissant : que l’on relativise certaines vérités ou qu’en disant qu’elles sont secondaires, on ne les trouve plus nécessaires. 9 Le chapitre 3 distingue les relations avec les Eglises orientales et avec les Eglises séparées en occident. - Sans entrer dans le détail, on peut retenir qu'avec les Eglises orientales, le concile souligne surtout le "trésor" de la foi qui nous est commun : la liturgie, l'eucharistie, les sacrements, la vie monastique… Il est intéressant de noter ce qui est dit à propos de la discipline particulière des orientaux (c'est-à-dire des règles de la vie en Eglise) : Il n'est pas du tout contraire à l'unité de l'Eglise qu'il y ait diversité de mœurs et de coutumes … une telle diversité ajoute même à sa beauté et est une aide précieuse pour l'accomplissement de sa mission…" Autrement dit, dans ce domaine, l'unité n'est pas l'uniformité ! Sur les questions doctrinales, le concile note : "ce qui vient d'être dit en matière de culte et de discipline doit s'appliquer à la formulation théologique des doctrines"… "Les formulations théologiques diverses peuvent être considérées comme plus complémentaires qu'opposées". Cette affirmation ouvrira la voie à de futurs accords doctrinaux entre l'Eglise catholique et plusieurs Eglises orientales où des différences d'expression pourront être reconnues comme légitimes sans nuire à l'unité de la foi. Par exemple, les accords christologiques avec les Eglises orthodoxes orientales, séparées depuis le 5ème siècle, comme la déclaration commune signée en 1973 avec l'Eglise copte orthodoxe par le Pape Paul VI et le Pape d'Alexandrie Shenouda III ; ou l'accord sur l'hospitalité eucharistique réciproque en 2001, entre l'Eglise Assyrienne d'Orient et l'Eglise Chaldéenne Catholique, qui reconnait la validité de la prière eucharistique (anaphore) d'Addaï et Mari de l'Eglise Assyrienne d'Orient (qui ne possède pourtant pas de récit de l'institution de l'eucharistie !) … (Cf. "Que tous soient UN" n° 62) - Avec les Eglises et communautés ecclésiales séparées en Occident, sans omettre les différences importantes qui nous séparent, le décret affirme d'abord qu'elles "demeurent unies à l'Eglise catholique par une affinité particulière". Sans nier les difficultés, l'accent est davantage sur ce qui peut faire progresser et "servir de stimulant au dialogue". Plusieurs points sont abordés dans ce sens : la foi au Christ, comme source et centre de la communion ecclésiale, l'étude de l'Ecriture, même si le rapport entre les Ecritures et l'Eglise peut être perçu différemment, la vie sacramentelle fondée dans le baptême, et la vie dans le Christ. On peut noter la manière positive du concile d'évoquer la sainte cène : "Ces communautés ecclésiales séparées de nous, lorsqu'elles célèbrent à la sainte cène le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur, professent que la vie consiste dans la communion au Christ et attendent son avènement glorieux". Dans tous ces domaines, le concile invite à un approfondissement ultérieur : "Il faut donc, conclut-il, que la doctrine sur la Cène du Seigneur, les autres sacrements, le culte et les ministères dans l'Eglise, fasse l'objet du dialogue". C'est ce qui est en cours depuis le concile (Cf. "Qu'ils soient UN" n° 64 et suivants). On peut noter, à titre d'exemple, la signature historique à Augsbourg de la déclaration conjointe sur la justification, signée en 1999 avec la fédération luthérienne mondiale, rejointe en 2006 par le Conseil méthodiste mondial). Cette déclaration constitue une étape décisive de rapprochement entre l'Eglise Catholique et Les Eglises luthériennes. En conclusion, le décret invite à "tourner avec confiance nos regards vers l'avenir". Tout en invitant à "s'abstenir de toute légèreté ou imprudence, le concile encourage les initiatives des fils de l'Eglise Catholique unies à celles des frères séparés … sans préjuger des impulsions futures de l'Esprit-Saint. Ainsi, le concile dit s'attendre à de nouvelles impulsions de l'Esprit-Saint. Plus encore, il les espère et compte sur elles : il déclare avoir conscience que la réconciliation de tous les chrétiens … dépasse les forces et les capacités humaines". "Il met son espoir dans la prière du Christ pour l'Eglise, dans l'amour du Père à 10 notre égard et dans la puissance du Saint-Esprit". Le texte s'achève avec une citation de St Paul : "L'espérance ne déçoit pas, car l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné" (Romains. 5,5) IV. Et après le Concile ? Comme vous avez pu vous en rendre compte, ce décret n’est pas un texte d’application, mais un texte qui donne la direction à suivre pour marcher vers l’unité, aujourd'hui, on dirait : une "feuille de route". Presque cinquante ans après sa promulgation le 21 novembre 1964, ce texte très riche, voté à une majorité écrasante (2137 voix contre 11) après de nombreux amendements de dernière minute, est toujours d’actualité. Il reste le point de référence non seulement des œcuménistes catholiques, mais aussi des théologiens et responsables d’autres Églises. Je pense ici au pasteur André Birmelé, pasteur et théologien luthérien qui fait ses conférences non seulement avec sa bible à la main, mais aussi avec le livre du Concile à la main. Je pense aussi au métropolite de Pergame, Jean Zizioulas, théologien orthodoxe, l’actuel coprésident de la commission mixte catholique orthodoxe, qui ne cesse de se référer à Vatican II et au décret sur l’œcuménisme, ce décret qui ouvre des chemins d’avenir. Il va même jusqu’à dire, dans un ouvrage collectif sur Rechercher l’unité des chrétiens publié en 2006, que "le décret sur l’œcuménisme est l’un des plus grands documents du 20ème siècle, non seulement pour l’Église catholique romaine, mais pour toute la chrétienté". Pour faire un jeu de mot facile, on peut dire que ce décret a vraiment ouvert un "Chemin Neuf" dans l'Eglise. Il a produit un élan nouveau ! En 1964, avant même la fin du Concile, c'est la fameuse rencontre à Jérusalem entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras de Constantinople, et le 7 décembre 1965, la levée des excommunications réciproques qui dataient du 11ème siècle, comme un "geste de justice et de pardon réciproque". Par la suite, les gestes de réconciliation se sont multipliés. En 1966, c'est la rencontre entre l'archevêque de Canterbury Michael Ramsey et le Pape Paul VI, et la création de la Commission internationale anglicane-catholique romaine. En 1969, Paul VI rencontre le Conseil Œcuménique des Eglises… On pourrait multiplier les exemples depuis la fin du Concile. Ce que déclarait le Pape JeanPaul II le 28 juin 1985 aux cardinaux et à la curie, confirme désormais et de manière irréversible le Concile Vatican II : "Je tiens à redire que c'est une décision irrévocable que l'Eglise catholique est engagée dans le mouvement œcuménique, et qu'elle veut y contribuer de toutes ses possibilités. C'est pour moi, évêque de Rome, une de mes priorités pastorales … Ce mouvement est suscité par l'Esprit-Saint, et je me sens profondément responsable en face de lui. Je lui demande humblement sa lumière et sa force pour servir au mieux cette sainte cause de l'unité. Je vous demande de l'implorer avec moi, de l'implorer pour moi". On peut ici se souvenir de tous les voyages du pape Jean-Paul II qui a multiplié les gestes significatifs de rapprochement. Le 29 mai 1982, il visite à Canterbury l'archevêque primat de la Communion anglicane Robert Runcie. Il sera aussi le 1er pape à prêcher dans une église évangélique luthérienne le 11 décembre 1983. Le 25 mars 2000, il rend visite au patriarche orthodoxe de Jérusalem Diodoros 1er à qui il déclare : "Il existe une légitime diversité qui ne s'oppose pas à l'unité du Corps du Christ, mais, au contraire, rehausse la splendeur de l'Eglise et contribue fortement à sa mission. Aucune de ces richesses ne doit être perdue dans la pleine unité à laquelle nous aspirons". 11 Dans son encyclique "Qu'ils soient UN", au sujet du ministère de communion de l'évêque de Rome, Jean-Paul II lance un appel humble et audacieux à la fois aux autres Eglises : "Je prie l'Esprit-Saint de nous donner sa lumière et d'éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Eglises, afin que nous puissions trouver, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d'amour reconnu par les uns et les autres" (n° 95) A la rencontre de Paderborn, le 22 juin 1996, il confiait : "L'œcuménisme ne sera riche d'avenir que si nous posons la vérité de manière tout à fait désintéressée, si nous nous écoutons les uns les autres avec patience, si nous portons les fardeaux des autres comme nous portons notre propre fardeau". Cette parole dit bien l'esprit des très nombreux dialogues théologiques engagés depuis le concile : dialogues multilatéraux avec plusieurs partenaires dans le cadre de ses relations avec le Conseil Œcuménique des Eglises au sein de la Commission Foi et Constitution, ou dialogues bilatéraux avec un seul partenaire (une quinzaine engagés au niveau mondial). On peut en trouver facilement la liste sur le site de la Conférence des Evêques de France. Ce qui est intéressant à noter ici : c’est que parallèlement au lancement des dialogues théologiques s’est vécue la réforme liturgique catholique. Et ce qui est peu connu, c’est que cette réforme liturgique catholique est devenue une source d’inspiration, voire même un modèle pour d’autres Églises, notamment pour la Communion anglicane dont de nombreuses Églises ont repris le lectionnaire et les prières eucharistiques catholiques. Parallèlement au renouveau catholique et même avant le concile, plusieurs Églises, notamment des Églises de la Réforme, avaient déjà entrepris une rénovation de leur liturgie eucharistique, trouvant leurs rites trop marqués par la contestation de la liturgie occidentale à la fin du Moyen-Âge. On pourrait citer également de nombreux documents de l'Eglise catholique consacrés à l’œcuménisme : le Directoire œcuménique publié en 1993 qui donne les lignes directrices pour vivre l’œcuménisme au quotidien, ainsi que le document publié en 1997 par le Conseil pontifical pour l’unité sur la Dimension œcuménique dans la formation au travail pastoral. On peut en retenir que toute formation théologique doit avoir une dimension et une perspective œcuméniques… Ainsi, même si l'œcuménisme connait des hauts et des bas (Cf. le refus du Concile par Mgr Lefebvre), même s'il connait des espoirs et des déceptions, des difficultés persistantes (les questions de l'uniatisme, le filioque, l'hospitalité eucharistique, les ministères…), il s'agit cependant d'une "marche irréversible", d'une marche en avant" comme le souligne le thème de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens en cette année 2013 : "Que te demande le Seigneur ? C'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, que tu marches humblement avec ton Dieu" (Michée 6,8). L'Esprit-Saint est à l'œuvre dans cette marche œcuménique et c'est la meilleure garantie qu'elle portera tous ses fruits ! 12 En conclusion, je voudrais simplement laisser la parole au Pape Benoit XVI. Dans une homélie prononcée le 25 janvier 2011 à Rome, il s'affirme pleinement comme un fils du Concile Vatican II : (Vous y reconnaîtrez facilement l'esprit et les points d'insistance du décret sur l'œcuménisme) "Chers frères et sœurs, Suivant l’exemple de Jésus, qui à la veille de sa passion pria le Père pour ses disciples "afin que tous, ils soient un" (Jn 17, 21), les chrétiens continuent sans cesse d’invoquer de Dieu le don de l’unité … Nous devons être reconnaissants car, au cours des dernières décennies, le mouvement œcuménique, "né sous l’effet de la grâce de l’Esprit Saint" (Unitatis Redintegratio 1) a accompli des progrès significatifs, qui ont permis de parvenir à des convergences et des consensus encourageants, développant entre les Eglises et les Communautés ecclésiales des relations d’estime et de respect réciproques, ainsi que de collaboration concrète face aux défis du monde contemporain. Toutefois, nous savons bien que nous sommes encore loin de cette unité pour laquelle le Christ a prié ... L’unité à laquelle le Christ, à travers son Esprit, appelle l’Eglise, ne se réalise pas seulement sur le plan des structures organisationnelles, mais se configure, à un niveau beaucoup plus profond, comme unité exprimée "dans la profession d’une seule foi, dans la célébration commune du culte divin, dans la concorde fraternelle de la famille de Dieu" (ibid n°2). La recherche du rétablissement de l’unité entre les chrétiens divisés ne peut donc pas se réduire à une reconnaissance des différences réciproques et à l’obtention d’une coexistence pacifique : ce à quoi nous aspirons est l’unité pour laquelle le Christ lui-même a prié et qui, par sa nature, se manifeste dans la communion de la foi, des sacrements, du ministère. Le chemin vers cette unité doit être ressenti comme un impératif moral, la réponse à un appel précis de Seigneur. C’est pourquoi il faut vaincre la tentation de la résignation et du pessimisme, qui est un manque de confiance dans la puissance de l’Esprit Saint. Notre devoir est de poursuivre avec passion le chemin vers cet objectif, grâce à un dialogue sérieux et rigoureux pour approfondir le patrimoine théologique, liturgique et spirituel commun ; grâce à la connaissance réciproque, grâce à la formation œcuménique des jeunes générations et, surtout, grâce à la conversion du cœur et à la prière. En effet, comme l’a déclaré le Concile Vatican II, "ce projet sacré, la réconciliation de tous les chrétiens dans l’unité d’une seule et unique Eglise du Christ, dépasse les forces et les capacités humaines; ainsi notre espérance doit donc être tout d’abord placée "dans la prière du Christ pour l’Eglise, dans l’amour du Père à notre égard, et dans la puissance du Saint-Esprit" (ibid., n° 24)" Pour terminer, je vous propose de vous poser cette question, chacun et chacune : Le concile nous invite à avancer sur les 3 axes que nous avons évoqués : - prier en commun avec nos frères chrétiens d'autres confessions, - se rencontrer pour développer une meilleure connaissance mutuelle, - approfondir notre formation œcuménique. Où en sommes-nous, chacun personnellement, vis-à-vis de cette question ? L'entendonsnous comme un "impératif moral", pour reprendre l'expression de notre Pape Benoît XVI ? Je vous remercie. P. Louis-Marc Thomy Communauté du Chemin Neuf Ps : Pour ceux qui aimeraient avoir le texte de cet exposé, c'est possible il suffit de me le demander en envoyant un mail à : [email protected] 13