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petits et grands prophètes, des  Écrits, des cinq 
rouleaux, du Talmud et de la confrontation de ces 
apports   à  la   pensée   philosophique   non   juive. 
Vieille tradition en vérité puisque la pensée juive a 
très tôt su s’approprier et discuter les Grecs. C’est 
peut-être cette proximité au reste entre la pensée 
classique et le judaïsme qui va être bousculée du 
fait de la guerre par les philosophes tels que Ben-
jamin, Gordin, Rosenzweig et Lévinas. Non qu’ils 
contestent l’importance des Grecs, ils en célèbrent 
plutôt l’intérêt, ils entendent toutefois rééquilibrer 
les sources et les matrices pour la formation intel-
lectuelle des jeunes. 
En tout cas, selon J. Lehr, « il existe un lien 
profond entre la Seconde Guerre mondiale, mar-
quée par la collaboration de la France aux persécu-
tions antijuives et le processus de sortie du franco-
judaïsme ; ce lien contribue à la sortie de la clan-
destinité des Juifs à la Libération et la sortie du ju-
daïsme hors du modèle très dix-neuvième siècle de 
l’Israélite français. Les divers projets éducatifs nés 
pendant la guerre portent en effet tous la marque 
de la rupture avec le modèle sociopolitique du pas-
sé. La trajectoire des hommes et des idées agrégés 
autour des études et de l’éducation juives présente 
la caractéristique d’autonomiser peu à peu le ju-
daïsme français d’après-guerre du modèle culturel 
dominant en  Occident,   hérité  d’Athènes   et   de 
Rome,  vers lequel il  se tournait auparavant »19. 
Cela n’a rien de théorique, J. Lehr relève l’exis-
tence   de   différents   mouvements   bien   concrets 
d’éducation   juive.   Les   Éclaireurs   israélites   de 
France, outre qu’ils participent aux combats armés 
au sein de compagnies de résistance, se regroupent 
dans la clandestinité pour recréer un réseau. Le 
Yechouroun  est  un  mouvement de  jeunesse  reli-
gieux alsacien d’où naît en 1942 une école secon-
daire juive placée sous la responsabilité d’un rab-
bin. À Toulouse, David Knout fonde le mouve-
ment  Main  forte  et crée un cercle d’études  bi-
bliques tandis qu’à Limoges, en septembre 1942, 
le mouvement du judaïsme alsacien édifie un sé-
minaire délocalisé en France libre, le Petit Sémi-
naire   Israélite   de   Limoges  qui   influencera   bien 
après-guerre   l’éducation   juive.   Cet   univers   est 
donc celui des « petites yechivas planquées » de la 
résistance   juive,   elles   offrent   la   possibilité  de 
l’étude biblique, la pratique du shabbat, les cours 
d’hébreu.   Ces   quelques   exemples   parmi   bien 
d’autres  permettent  d’affirmer  que   la   fin   de   la 
clandestinité au sortir de la guerre correspond en 
France à la fin de la confidentialité de la « pensée 
juive », au sens où l’entend le philosophe Armand 
Abécassis. L’école juive, insiste J. Lehr est une 
19 Lehr J., ibidem, p. 11
« réinvention émergeant de la guerre »20. Mouve-
ments de jeunesse et d’éducation se conjuguent 
ainsi avec la pensée de philosophes et théologiens.
C’est dans ce contexte qu’évolue Jacob Gordin 
qui   sera   professeur   à  l’école   des   cadres   de 
l’Alliance israélite orientale dirigée par Emmanuel 
Lévinas. Des philosophes tels qu’André Néher ou 
Léon Askenazi tracent la ligne d’un renouveau de 
la pensée et de l’éducation juives. Ainsi se com-
prend l’influence du retour aux textes, à leur exé-
gèse à la   manière   de Jacob Gordin   enseignant 
l’étude   talmudique   à  Emmanuel   Levinas   après 
avoir soutenu une thèse de philosophie à Berlin. 
Marié à Rachel Zeiber, éducatrice de jeunes en-
fants, ce couple sera marqué par la pensée éduca-
tive.   Jacob   Gordin,   rappelle   J.   Lehr,   récuse 
« l’alliance recherchée par Maïmonide et Spinoza 
du judaïsme et de la raison occidentale ; il multi-
plie les incursions dans la mystique juive »21. Les 
contacts établis entre le philosophe Gordin et le 
mouvement des éclaireurs israélites de France fon-
dé par Robert Gamzon remontent à l’entre-deux 
guerres. Dans un texte qu’il lui consacre, Emma-
nuel Lévinas y insiste : Jacob Gordin est celui « à 
qui revient un rôle important dans la renaissance 
de la conscience juive en France »22.
Il est complexe de séparer les influences intel-
lectuelles   où  se   mêlent   « La   personnalité »   de 
Gordin, le « personnalisme » d’Emmanuel Mou-
nier et les traces de l’enseignement d’Hermann 
Cohen   dont  Gordin   fut  l’élève.   Cela   s’observe 
dans   l’activité  de   Jacob   Gordin   que   la   guerre 
contraint à se cacher sans l’empêcher d’enseigner 
en Corrèze puis en Haute Loire et outre qu’il cô-
toie dans ses planques l’érudit André Chouraqui 
et l’écrivain Albert Camus, il transmet sa vision de 
la vie juive à des jeunes et moins jeunes ; parmi ses 
auditeurs se compte Gamzon. Dès la fin de la Se-
conde Guerre, Jacob Gordin forme les cadres édu-
catifs des éclaireurs israélites de France dans un 
moment où cendres de la guerre et reconstruction 
« fusionnent »   comme   l’indique   Johannah   Lehr 
dans l’étude des Textes. On se reportera pour cela 
à son étude très renseignée  comme aux témoi-
gnages remarquables sur Jacob Gordin des philo-
sophes   et   théologiens   André  et   Renée   Néher, 
d’Emmanuel   Levinas,   de   André  Chouraqui23. 
L’une des phrases favorites de Gordin, rapporte le 
couple Néher, était cette citation translittérée de 
la Genèse 42-1 « Yesh shever be mitsraim », il y a 
20 Lehr J., ibidem, p. 48
21 Lehr J., ibidem, p. 21
22 Lévinas E., « Jacob Gordin » in Gordin J., Écrits. Le renouveau 
de la pensée juive en France, Paris, Albin Michel, 1995, p. 294
23 En fin d’ouvrage Gordin J., Écrits, Le renouveau de la pensée 
juive en France, Paris, Albin Michel, 1995.