Bulletin de liaison Benjamin Freedman pour les patients et leurs

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Hiver 2010
Bulletin
de
liaison
Benjamin
Freedman
pour les patients et leurs familles
L’éthique médicale juive
par le rabbin
Raphael Afilalo, Directeur des Services pastoraux
L
’éthique médicale est l’application des principes éthiques fondamentaux concernant les situations cliniques
et la relation médecin-patient. Or, cette relation a changé et, de paternaliste, elle doit être aujourd’hui fondée sur le plein respect de l’autonomie décisionnelle du patient. De nouvelles expressions telles que « la
prise de décision autonome » et « le consentement éclairé » ont altéré de façon permanente la relation traditionnelle médecin-patient. Accepté dans la société occidentale contemporaine, ce nouveau modèle est connu sous
l’appellation de « Modèle des droits ». Mais dans l’éthique médicale juive, le mode de pensée est diamétralement
opposé : l’autonomie du patient passe au deuxième rang. La principale responsabilité de l’individu consiste à être
le gardien de l’âme et du corps qui sont, avant toute chose, la propriété de Dieu. Le système d’application de la
Halaka (Loi juive) aux situations d’éthique médicale est désigné « Modèle du devoir ».
Aujourd’hui, les patients ont le droit de refuser
tout type de traitements, d’interventions ou de
thérapies. En tant qu’uniques propriétaires de leur
corps et adultes compétents, ils sont les décideurs
incontestés de leur vie ou de leur mort. La valeur
qu’ils accordent à la vie dépend de leur propre philosophie ainsi que de leur situation personnelle,
financière ou autre. Ainsi, le médecin n’a pas le
droit d’administrer un traitement sans avoir obtenu
le consentement du patient. Aussi longtemps que
le patient est compétent mentalement, les autres
facteurs ne comptent pas. Le médecin n’a même
pas le droit d’administrer des soins de routine qui
ne comportent aucun risque pour sauver la vie
d’un patient dont les croyances lui interdisent de
recevoir ces traitements.
Naturellement, de ce type de situations peut
naître un véritable conflit de valeurs, car même si
le médecin a le devoir moral de soigner le patient,
ce dernier peut demander qu’on respecte sa volonté s’il veut qu’on le laisse mourir. La question qui
se pose est la suivante : qui doit définir ce qui
est « bien », en fonction de quelles valeurs et de
quel but?
Pour certains adeptes de notre système de pensée contemporaine, il n’est pas immoral de laisser
mourir quelqu’un puisque l’autonomie est le pivot
central de l’éthique médicale. Au contraire, refuser
à quelqu’un le droit de mourir est perçu comme
immoral, car il prive le patient du droit de choisir.
Selon l’ouvrage intitulé The Principles of Biomedical Ethics : « Si une personne désire la mort plutôt
que la vie, causer la mort de cette personne…si
elle le réclame de son plein gré, ne constitue ni
un mal ni un tort envers elle. »1 (traduction libre)
Mais, ce n’est pas le cas dans la Loi juive, dont
le principe fondamental est le caractère sacré de
la vie qui repose sur le concept de l’homme créé
à l’image de Dieu. La vie n’a pas une grande valeur en termes de santé physique ou mentale, de
richesse ou de durée. Le caractère sacré de la vie
s’appuie avant tout sur le principe de prévention
de la douleur et des souffrances du corps, qui ne
nous appartient pas entièrement.
Le judaïsme ne tient pas compte de formules
comme la « qualité de vie », que la vie soit celle
d’une personne de 10 ou de 100 ans, en bonne
santé ou malade, qu’il lui reste 50 ans ou une
heure à vivre. Chaque moment a une valeur infinie.
Selon la Loi juive, la vie ne doit pas être interrompue avant son temps, pas plus que le processus
de la mort ne doit être accéléré une fois qu’il est
enclenché. Tant que l’âme est rattachée au corps
et qu’elle n’est pas prête à partir, rien ne doit être
fait pour en accélérer le départ. Toutefois, si le
temps est venu pour l’âme de quitter le corps, rien
ne doit être entrepris pour l’en empêcher. La principale difficulté consiste à évaluer adéquatement
la situation, quand l’objectif est de prolonger la vie
et de ne pas accélérer le processus de la mort.
Qui plus est, dans le judaïsme, la relation
médecin-patient n’est pas un arrangement contractuel volontaire, mais plutôt un commandement
de Dieu. Les patients ont l’obligation de se faire
soigner par un médecin, considéré comme un messager de Dieu. Les patients n’ont d’ailleurs pas la
liberté de refuser de leur plein gré un traitement
qui pourrait contribuer à leur sauver la vie.
Cette distinction conceptuelle est extrêmement
importante dans des situations où les valeurs juiv-
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es et laïques sont contradictoires. La différence
consiste dans le fait que l’éthique juive est enracinée dans la croyance en Dieu et dans la Torah
(loi divine), alors que l’éthique laïque repose sur
l’humanisme ou sur des croyances philosophiques
ou rationnelles. Dans le judaïsme, il n’existe aucune différence entre les lois et la morale, car les
deux font partie intégrante de la Torah. Leur validité provient de la puissance de la Torah et de la
révélation divine.
Ainsi que le soulignait le regretté Benjamin
Freedman : « Les délibérations bioéthiques axées
sur les droits pourraient servir efficacement à résoudre les questions de procédure concernant le
choix du décideur dans un cas particulier, mais
elles n’offrent pas forcément de directives sur la
meilleure décision à prendre. »2 (traduction libre)
Ainsi, dans la Loi juive, les décisions relatives
aux traitements médicaux ne dépendent aucunement des préférences personnelles du patient
ni de la répartition limitée ou rare des ressources
médicales. Ces décisions reposent plutôt sur des
lois et des principes sacrés tels qu’interprétés et
confirmés par les principaux commentateurs et
érudits de l’éthique médicale juive. Leur objectif
consiste à assurer le bien ultime du patient, indépendamment de toute autre considération externe, financière ou philosophique.
1
Beauchamp, T. L. (2001). Principles of biomedical ethics (5th ed.). Oxford: Oxford University
Press.
2
Freedman, B. (1999). Duty and healing: foundations of a Jewish bioethic. New York: Routledge.
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