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2. QUELQUES JOURS APRÈS LA CATASTROPHE, LES SINISTRÉS S’EXPRIMENT À
CHAUD : DÉSARROI ET ATTENTES
2.1 Interview avec John Mutumayi, préfet de l’institut Heri de Byahi
John Mutumayi est préfet (directeur) de l’institut Heri, entièrement recouvert par la lave du
NYIRAGONGO. Le cône qui a craché vers le centre de Goma est à quelques dizaines de
mètres de la concession familiale. Une des branches de la coulée s’est arrêtée contre le mur
d’enceinte de la maison de ses parents, voisine de la sienne. Le jour où il nous a livré cet
entretien en français, il supervisait le blader d’eau que IRC avait placé à BYAHI pour les
sinistrés locaux. Son école est en train d’être reconstruite au-delà du cimetière
KANYAMUHANGA, grâce à l’appui de l’ONG norvégienne NRC.
Question (Q) : Monsieur Mutumayi, je vous trouve ici à côté de ce blader en train d’aider à
la distribution d’eau à vos frères sinistrés. Selon vous, quels sont les besoins actuels des
populations par ordre de priorité ?
Mutumayi (M) : La question est bonne, étant donné que les humanitaires distribuent
n’importe quoi, sans se soucier des attentes réelles des populations. La première priorité,
c’est l’eau. Et l’eau, nous en avons, grâce à l’IRC qui sera aujourd’hui relayé par l’OXFAM.
Au départ, on nous servait l’eau du Rwanda, actuellement, on nous livre l’eau salée du lac
(Kivu). En deuxième lieu, il nous faut des vivres, les vivres seraient vraiment les bienvenus.
Actuellement on distribue essentiellement de la semoule au lieu de nous donner des
haricots, qui sont plus consistants et plus adaptés à nos habitudes alimentaires. On nous
donne certes des haricots et un peu d’huile mais les quantités sont vraiment insignifiantes.
Par exemple, pour 10 familles, on donne 5 petits sacs de 50 kilos de farine de semoule, 2
boîtes d’huile, 2 savons chacun, et cela pour plusieurs jours. La dernière distribution, ici, a eu
lieu voici plus de 5 jours. C’est comme si les humanitaires nous souhaitaient la mort…Et
puis, je crois qu’ils font des affaires à travers cette aide. Aujourd’hui ils débarquent, ils font
un semblant d’évaluation des besoins des populations et demain ils reviennent avec
n’importe quoi et en très petite quantité. Mais dans les rapports qu’ils élaborent, ils disent
qu’ils ont servi la population. Et comme il n’y a pas de planification ni de suivi, on voit des
gens qui font le tour des sites pour se faire servir sur différentes listes : le matin, quelqu’un
est sinistré à Munigi, l’après-midi, il est à la paroisse du Saint Esprit, le lendemain, il est à
l’ULPGL…c’est vraiment un comble !
Q. Si je vous comprends bien, l’aide n’est pas suffisante, ensuite, elle n’est pas adaptée,
enfin elle est mal distribuée. Mais cette aide, c’est pour la survie à court terme pendant cette
période d’extrême urgence. Je voudrais vous demander comment vous envisagez le moyen
terme ici à BUKUMU et dans la ville de Goma. Je m’adresse à vous en vos qualités
d’habitant de cette région, de personnalité du monde éducatif et de géographe. Nos enfants,
où seront-ils, ici ou ailleurs ? Qu’est-ce que vous en pensez ?
M. La question est très importante. D’abord parce que l’aide, c’est gênant. Il est très triste de
voir des gens qui avaient des biens propres s’aligner tous les jours pour recevoir des
haricots et de la farine, comme de petits oiseaux. Et puis il y a l’adage qui dit que si tu me
donnes un poisson, je mangerai un jour, mais si tu m’apprends à pêcher, je n’aurai plus faim:
c’est très important. L’aide, c’est vrai, elle est urgente en cette période de calamité, mais elle
va durer jusqu’à quand ? Comme vous pouvez l’observer, cette région est à vocation
agricole, avec un sol très fertile, le sol volcanique. Ce qui signifie que l’affaire du volcan ne
date pas d’aujourd’hui…Mais une grande partie de ces terres vient de brûler, où la
population va-t-elle refaire sa vie ?