
La prise en charge de patients requérants d'asile…
C. Layat
ARIC Bulletin No 41 / 2005
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Descartes avec l’élaboration de sa théorie de l’esprit au XVIIe siècle est le premier à ouvrir la
porte à la dichotomie entre la substance physique possédant une étendue (res extensa)
mesurable, divisible et la substance pensante (res cogitans) sans étendue et par conséquent
indivisible. Cette conception philosophique est non sans avoir eu des conséquences
importantes sur la pensée médicale. Le dualisme corps et esprit et la diffusion de la pensée
positiviste apparue dès le XIXe siècle dans les sciences a permis le développement d’une
médecine scientifique quantifiable, mesurable et rationnelle, principalement centrée sur le
corps humain (Kremer-Marinetti, 1982). Des progrès prodigieux dans la compréhension des
mécanismes biologiques, physiologiques et pathologiques de moult maladies ainsi que de leur
thérapeutique sont le fruit d’une telle approche.
De la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, Pasteur a de surcroît su convaincre par ses succès
que l’éradication de toutes les maladies infectieuses était possible. Autant d’évolutions qui ont
poussé la médecine curative à croire en la victoire ultime sur la maladie. Cette conception de la
médecine faisant toujours reculer un peu plus la mort des patients (Bensaïd, 1981) a beaucoup
séduit et s’est fortement enracinée dans la pratique médicale actuelle. Elle a également eu de
fortes implications sur l’approche thérapeutique des médecins. Pour certains anthropologues
médicaux (Good, 1998 ; Helman, 2001), ce type de médecine constitue une culture à part
entière qu’ils définissent comme la culture biomédicale.
Ainsi, l’approche biomédicale s’est imposée en tant que modèle thérapeutique dominant. Ce
modèle de soin se définit par une investigation clinique principalement centrée sur la maladie,
ses symptômes physiopathologiques et dysfonctionnements biologiques ; ce qui assure une
démarche diagnostique scientifique. Seul le patient, voire les organes atteints sont investigués
,sans considérer le contexte psychologique, social, familial ou encore culturel dans lequel le
patient est inséré. L’approche biomédicale part du principe que toute maladie a une cause et
peut être guérie. Le développement médical est par conséquent essentiellement centré sur une
médecine curative où investigations diagnostiques et actions thérapeutiques prédominent. Du
point de vue de la relation thérapeutique, seule l’expertise du médecin sert de référence. Le
professionnel de la santé occupe le rôle de savant comparé à celui du patient dont le savoir
lacunaire et « naïf » lui donne peu de place dans les décisions concernant sa prise en charge.
Le statut de médecin conférant un certain prestige et pouvoir (Freidson, 1984), il en découle un
style de relation thérapeutique asymétrique et paternaliste (pour une revue voir D’Ivernois &
Gagnayre, 1995) où l’interaction est régie par le médecin seul (Lazare, 1987).
Dans la pratique clinique actuelle, 66 % des consultations sont effectuées selon ce type de
modèle thérapeutique (Roter et al., 1997). Pourtant, les études montrent que la plupart des
patients s’en plaignent. Ils regrettent de ne pas avoir de place pour exprimer leurs émotions ou
parler de leur style de vie, de leurs craintes ou leurs attentes. Les raisons mentionnées à cela,
relèvent de la peur des patients d’être rejetés et humiliés par le médecin, de leur perception du
médecin vu comme un adversaire ou encore de leur problème à s’identifier à leur rôle de
patient (Caraher, 1998 ; Lazare, 1987).
Si l’approche biomédicale a la grande qualité de rechercher l’objectivité et la précision, elle
n’est pas sans limite et peut même porter préjudice à la qualité des soins. Ainsi, des études
internationales ont montré ses limites sur différents aspects notamment sur : a) des aspects
diagnostics (Cox, Rutter & Hobrook,1988), b) le suivi du traitement prescrit et de la prise en
charge (Kaplan, Greenfield, Gandek, Rogers & Ware, 1995), c) la qualité de la relation avec le
patient et le degré de satisfaction de ce dernier (Smith & Hoppe, 1991), d) le recueil exhaustif
des informations nécessaires au diagnostic (Bensing, Schreurers & de Rijk, 1996 ;
Frederickson, 1995), ou encore d) la capacité du patient à se responsabiliser face à sa propre
maladie (D’Ivernois & Gagnayre, 1995 ; Lacroix & Assal, 1998).