Taguba » qui, toutefois, n’a fait l’objet d’aucun suivi sérieux de la part du Congrès (les seules
investigations supplémentaires ayant été diligentées par le Pentagone).
Les enquêtes initiées alors semblent n’avoir été rien de plus que des exercices
orchestrés par le sommet de la hiérarchie militaire, soucieuse de ménager ses propres intérêts.
En août 2004, le rapport établi au plus haut niveau, celui d’un comité d‘experts dirigé par
l’ancien secrétaire à la Défense, James R. Schlesinger, a établi l’existence d’une
« responsabilité institutionnelle et personnelle aux niveaux supérieurs », mais il a exonéré le
secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, de toute responsabilité directe.5 Dans des messages
envoyés par courrier électronique au Pentagone en janvier 2004, des officiers supérieurs en
poste en Irak avaient signalé à leur hiérarchie tant les mauvais traitements que l’existence des
photographies. Pourtant, le « rapport Schlesinger » a retenu l’argument avancé par
Donald Rumsfeld, selon lequel la réticence à faire remonter de mauvaises nouvelles jusqu’aux
échelons supérieurs de la hiérarchie constituait la principale raison expliquant que le
département de la Défense n’ait rien entrepris jusqu’à ce que les faits deviennent publics en
avril 2004.6 D’autres enquêtes du département de la Défense ont permis d’obtenir
(notamment en rapprochant les résultats des diverses investigations) des informations
importantes et utiles au sujet des mauvais traitements infligés à des prisonniers dans divers
centres de détention sous contrôle des États-Unis. Néanmoins, aucune de ces enquêtes n’est
parvenue à des conclusions convaincantes quant au rôle joué par des militaires de haut rang et
par des hauts fonctionnaires civils dans la commission des actes incriminés.
Les enquêtes ont souffert de trois faiblesses cruciales. Tout d’abord, la plupart des
rapports contenaient de très longues sections couvertes par le « secret défense ». Certes, il
peut être nécessaire dans des documents de cette nature de protéger des données relatives à
des individus ou à des sources d’information. Par contre, la longueur des sections classifiées
secrètes dans beaucoup de ces rapports donne à penser que ces sections étaient en fait utilisées
pour dissimuler des informations auxquelles le public aurait dû avoir accès. De fait, il
conviendrait probablement de réévaluer à la hausse la valeur de certains de ces rapports si les
informations classifiées qu’ils renfermaient avaient été rendues publiques. Cela dit, en
omettant de porter à l’attention du public toutes les informations possibles, le gouvernement
et les militaires avaient le loisir de ne pas répondre pleinement à toutes les questions
soulevées.
Ensuite, le grand nombre d’investigations a eu pour effet d’en diluer les conclusions
quant à l’existence de mauvais traitements, et de décourager le lancement d’une enquête
indépendante et plus approfondie. La Commission d’enquête sur les événements du
11 septembre 2001, autorisée par le Congrès et qui a achevé ses travaux à peu près à cette
époque, a dressé un tableau – vaste et convainquant – des carences du gouvernement avant les
attentats, mais aucun des rapports concernant les mauvais traitements commis par du
personnel américain n’a eu (ou n’aurait pu avoir) le même impact.
Enfin, et c’est là l’élément le plus important, les enquêtes diligentées n’étaient pas
d’un niveau suffisamment élevé pour permettre de mener une investigation de la base au
sommet. Le personnel militaire n’est autorisé à conduire des investigations que sur des soldats
de rang équivalent ou inférieur. De ce fait, aucune des investigations ne pouvait véritablement
examiner le rôle joué par des militaires de haut rang ou par des hauts fonctionnaires civils. Le
major-général Taguba a reconnu qu’il n’avait été autorisé à enquêter que sur la police
5 Département de la Défense, « Final Report of the Independent Panel to Review DoD Detention Operations »
(rapport Schlesinger), août 2004, reproduit dans Greenberg et Dratel, note 4 ci-dessus, p. 908. Lors d’une
conférence de presse marquant la parution du rapport, Schlesinger a repoussé les appels à la démission de
Rumsfeld. Arguant que cette démission serait une bénédiction pour tous les ennemis de l’Amérique, et donc un
véritable malheur. Bradley Graham et Josh White, « Top Pentagone leaders faulted in prison abuse »,
Washington Post, 25 août 2004.
6 Seymour Hersh, « The general’s report », The New Yorker, 25 Juin 2007, pp. 65–66.
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