DEPT DE MEDECINE GENERALE / UNIVERSITE PARIS DIDEROT TRACE D’APPRENTISSAGE Nom et prénom de l’étudiant auteur de la présente trace : SYED Nazia Nom et prénom du tuteur : SEPTAVAUX Guy Numéro du semestre du DES au cours duquel cette trace a été produite : S4 Date de réalisation de la trace : 30/10/2015 Le maître de stage du stage concerné par cette trace a-t-il évalué cette trace ? : Non COMPETENCES VISEES PAR CETTE TRACE Compétence 2 : Communiquer de façon efficiente avec le patient et/ou son entourage Compétence 4 : Eduquer le sujet à la gestion de sa santé et de sa maladie Compétence 7 : Prendre des décisions fondées sur les données actuelles de la science, adaptées aux besoins et au contexte Si votre tuteur estime que cette trace mérite d’être publiée sur le site en tant que trace remarquable, acceptez vous qu’elle le soit : Oui Astreinte du samedi, de retour de vacances… Je ne connais aucun patient, ma co interne ayant omis de me rédiger les transmissions du service, la veille. C’est dans ce contexte que je suis sollicitée par le sénior, afin de « jouer » l’interprète face à une jeune fille de 12 ans, Mlle K. hospitalisée depuis 10 jours, pour une suspicion de tuberculose ganglionnaire et pulmonaire. Ce que je parviens à lire en diagonal dans le dossier : la quadrithérapie a d’ores et déjà été introduite, les BK crachats négatifs, la culture du liquide d’aspiration à la fibroscopie bronchique est en cours. Il n’existe pas de leucocyturie aseptique. Cliniquement, elle présentait depuis 6 mois une altération de l’état général avec une toux, des sueurs nocturnes et une perte de poids non quantifiée. A noter qu’elle est en France depuis 10 mois, est la 2eme d’une fratrie de 6, avec une symptomatologie identique chez le plus jeune. Il était question pour moi de faire l’état des lieux car celle-ci refusait systématiquement le traitement, et surtout passer outre la barrière linguistique, de par mes origines. Je me souviens encore du sourire écarlate de la jeune fille à l’énonciation simplement d’une formule de politesse en entrant dans la chambre. Elle paraissait ravie, voire même « apaisée »… finalement, il y en aurait une qui pourrait la comprendre… Et pas des moindres. Après évaluation de ses connaissances actuelles au sujet du diagnostic évoqué, elle me parait détachée, voire dubitative. « Vous savez, on m’a porté le mauvais œil, et je sais qui c’est, ma mère le sait aussi, elle va s’en occuper » J’avais conscience du fossé dans lequel j’allais m’engouffrer dorénavant, bien au courant des croyances locales… « Mauvais œil ? De quoi dit-elle s’occuper ? » « Bah oui, au dernier mariage tout le monde me regardait car j’étais la plus jolie, mes parents ont mis la pâtée à tout le monde aussi en apportant de gros cadeaux, les gens étaient jaloux ! Mais maman m’avait dit qu’elle me retirerait le mauvais œil avec son rituel de piments (réaliser des cercles audessus de la tête) mais elle a oublié au final » Tout à fait… ne la « braquons » pas… « Et revenons à la tuberculose, mauvais œil ou pas, tu sais en quoi ça consiste et pourquoi on traite ? » « Je n’ai pas de maladie, ils m’ont jeté un sort car ils étaient jaloux. Maintenant, maman va aller voir un Peer (pratiquant les sciences occultes) pour antagoniser le sort, je n’ai pas besoin de ces médicaments. En plus, l’autre médecin a dit que tous les tests étaient négatifs, vous voyez bien que c’est de la magie ! » S’en est suivi une discussion de plus d’une heure afin de lui faire adhérer à l’idée d’une pathologie probable, peut être insérée à de la « magie », mais qu’il valait mieux traiter dans ce cas sur les deux pendants, scientifique pur et traditionnel. Le compromis lui paraissait judicieux, d’autant plus qu’elle souhaitait me « faire plaisir », étant de la même communauté et « donc » dans le soutien « actif » de ses croyances. « Mon petit frère va avoir tous les examens que j’ai eu ? » Bonne question… Questions I- Modalités de dépistage en pédiatrie chez le cas exposé à une tuberculose pulmonaire a. Histoire naturelle de l’infection tuberculeuse chez l’enfant b. Examens et diagnostic c. Le dépistage en pratique d. Recommandations de traitement II- Approche culturelle de la maladie III- Ressentis Recherche documentaire I- Modalités de dépistage en pédiatrie chez le cas exposé à une tuberculose pulmonaire Pour être optimale à moindre coût, la stratégie de dépistage doit tenir compte de plusieurs paramètres : Les particularités de l’histoire naturelle de l’infection tuberculeuse selon les caractéristiques de l’enfant exposé Les facteurs modulant le risque d’infection chez un enfant donné La performance diagnostique et le coût des tests disponibles pour la recherche d’une infection chez l’enfant. Afin d’optimiser ces dépistages pédiatriques, le Haut Conseil à la santé publique (HCSP) a publié de nouvelles recommandations en décembre 2013, simplifiant les procédures et clarifiant de nombreux points jusqu’alors ambigus. Parallèlement, le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) proposait également de nouvelles recommandations pour le dépistage des enfants exposés à un cas de tuberculose, très superposables aux recommandations françaises. Enfin, très récemment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a formulé pour la première fois des recommandations pour la prise en charge des infections tuberculeuses latentes, également très en phase avec les recommandations du HCSP. Il y a donc désormais une « vision commune », au niveau international, des politiques de dépistage autour des cas de tuberculose. Il est essentiel que le pédiatre connaisse ces recommandations, dans lesquelles l’enfant est clairement identifié comme un objectif prioritaire de prise en charge. a. Histoire naturelle de l’infection tuberculeuse chez l’enfant Le premier contact infectant avec un cas de tuberculose se situe le plus souvent au cours de l’enfance, d’où l’ancienne appellation de « primo-infection tuberculeuse » pour les formes pédiatriques d’infection tuberculeuse. Après un contact avec une personne ayant une tuberculose potentiellement contagieuse, l’infection de l’enfant exposé est loin d’être systématique. Les défenses non spécifiques de l’organisme, au premier rang desquelles les macrophages, peuvent éliminer les bacilles inhalés. Lorsque ces défenses sont insuffisamment efficaces, les bacilles peuvent se multiplier dans les voies aériennes et le parenchyme pulmonaire, induisant une réponse immunitaire spécifique, qui sera mise en évidence par les tests immuns : intradermoréaction à la tuberculine (IDR) ou tests de libération de l’interféron gamma (IGRA). L’infection tuberculeuse correspond à ce double constat : il y a eu multiplication bacillaire et induction d’une réponse immunitaire spécifique. Cette réponse immunitaire peut permettre de contrôler la multiplication bacillaire. L’infection reste latente, sans signe clinique, ni radiologique. En l’absence de traitement, une réactivation peut survenir plusieurs années plus tard : c’est la tuberculose-maladie classique de l’adolescent ou de l’adulte. Plus rarement, la réponse immunitaire est insuffisamment efficace et la multiplication bacillaire se poursuit, aboutissant à des signes radiologiques et/ou cliniques : c’est la progression immédiate vers la tuberculose-maladie de l’enfant. L’âge de l’enfant influence considérablement l’histoire naturelle de la maladie. Le risque de progression immédiate vers la tuberculose- maladie est très important avant 2 ans, et pratiquement nul après 5 ans. Il est modeste, mais non nul, entre 2 et 5 ans. Le risque que cette progression vers la maladie s’accompagne d’une dissémination hématogène grave (méningite, miliaire) est très important avant 1 an et reste présent jusqu’à 2 ans. Les enfants de moins de 2 ans sont donc particulièrement vulnérables, justifiant la politique de prophylaxie dans cette tranche d’âge. Par ailleurs, de nombreux facteurs liés au mode d’exposition ou à la contagiosité du cas index influencent la probabilité de l’infection chez un enfant exposé, quel que soit son âge (tableau). Ces facteurs doivent être systématiquement recueillis, car ils permettent de chiffrer le risque d’infection chez la personne exposée, et donc de prioriser les dépistages. b. Examens et diagnostic Le dépistage réalisé chez un enfant doit répondre à ces deux questions : l’enfant est-il infecté ? en cas d’infection, l’enfant est-il malade ? Le diagnostic d’infection repose sur la recherche d’une positivité des tests immuns. Du fait de doutes quant à la sensibilité des tests IGRA chez le jeune enfant, l’IDR est le seul examen recommandé avant 5 ans. À partir de 5 ans, les tests IGRA peuvent remplacer l’IDR. L’OMS précise toutefois que cette substitution, du fait du coût plus élevé, ne doit pas être proposée dans les pays à faible revenu. Bien que l’interprétation de l’IDR soit compliquée en population vaccinée par le BCG, une induration ¬ 15 mm chez un enfant exposé à un cas de tuberculose doit être considérée comme témoignant d’une infection tuberculeuse. En l’absence de vaccination par le BCG, le diagnostic d’infection tuberculeuse latente doit être proposé chez tout enfant exposé dont l’IDR est 10 mm. L’interprétation des tests IGRA est uniquement qualitative (positif/négatif/indéterminé), selon les recommandations du fabricant. IDR et IGRA se positivent avec un certain délai, après le début de l’infection, pouvant aller jusqu’à 6- 8 semaines. Lorsque ces tests sont faits précocement après le dernier contact, leur négativité n’exclut pas l’infection. Il faut donc les contrôler au moins 8 semaines après le dernier contact. Le diagnostic de tuberculose-maladie repose sur la recherche de symptômes cliniques et d’anomalies sur la radiographie de thorax. Le scanner thoracique n’a aucune indication systématique, même chez le jeune enfant. Il est parfaitement connu que des adénopathies peuvent être identifiées sur le scanner thoracique, alors que la radiographie de thorax apparaît normale. Cette constatation témoigne du continuum du processus infectieux chez l’enfant. Elle ne constitue pas en soi une indication à modifier le traitement, car les différents essais thérapeutiques ont démontré l’efficacité d’une mono- ou bithérapie sur ces processus infectieux avec une radiographie standard normale. Le scanner ne doit donc être prescrit que pour préciser une image douteuse sur la radiographie standard. Si cette image est confirmée sur le scanner, la radiographie devient « anormale », rendant alors légitime le traitement de tuberculose-maladie. c. Le dépistage en pratique Le Centre de lutte antituberculeuse (CLAT) du département est au centre du dispositif de dépistage. Il coordonne l’enquête, en collaboration étroite avec les différents médecins partenaires : médecine du travail, médecine scolaire, médecins traitants, services de PMI, etc. Les coordonnées des CLAT en Ile-de-France sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.toutsurlatuberculose.fr/Tout_public/4/Adresses_utiles/32. Il est donc essentiel que tout cas de tuberculose des voies aériennes soit signalé immédiatement au CLAT. Au cours de l’enquête initiale, le CLAT évalue le risque de transmission dans l’entourage et établit la liste des sujets en contact à dépister. Il est désormais clairement recommandé que tous les enfants et adolescents vivant sous le même toit et/ou ayant des contacts rapprochés et répétés avec un cas de tuberculose pulmonaire bénéficient d’un dépistage, même si le cas index est négatif à l’examen direct. Il ne faut pas attendre le résultat des cultures pour mettre en œuvre ce dépistage. Le dépistage doit être très rapidement mis en place, dans les 2 semaines qui suivent le signalement, pour les enfants à haut risque d’infection et/ou de progression immédiate vers la maladie : les enfants vivant sous le même toit, quel que soit leur âge les enfants de moins de 5 ans ou immunodéprimés, ayant eu des contacts réguliers avec le cas index, même s’ils n’habitent pas au même domicile les enfants avec des signes ou symptômes évocateurs de tuberculose (fébricule, perte d’appétit, amaigrissement, sueurs nocturnes, etc.). La nouvelle stratégie de dépistage recommandée en France est résumée par l’algorithme (figure). Ses grands principes sont : considérer l’enfant de moins de 5 ans comme particulièrement à risque d’évolution rapide vers la tuberculose- maladie. Le HCSP a donc maintenu le dépistage le plus rapide possible de l’infection latente et de la tuberculose-maladie, ainsi qu’une prophylaxie chez l’enfant de moins de 2 ans. Un deuxième contrôle est nécessaire chez les enfants initialement négatifs prendre acte du très faible risque d’évolution rapide vers la maladie de l’enfant de plus de 5 ans pour simplifier le dépistage. Le HCSP a donc supprimé la réalisation immédiate des tests immuns pour ne recommander leur réalisation que 8 à 12 semaines après le dernier contact. Un examen clinique et une radiographie de thorax sont maintenus initialement pour repérer les rares cas de tuberculose-maladie. À l’inverse, toute situation de contact ne justifie pas un dépistage. L’enquête du CLAT permet ainsi de limiter le périmètre des enfants à tester. Les recommandations du HCSP précisent qu’un dépistage n’est pas justifié lorsque tous les critères suivants sont réunis : enfant en contact, âgé de plus de 5 ans et immunocompétent cas index avec examen microscopique négatif cas index sans caverne radiologique durée de contact < 8 heures cumulées dans les 3 mois précédant la mise sous traitement du cas index contact ne partageant pas le même domicile que le cas index. Cette limitation des dépistages concerne aussi les collectivités fréquentées par les enfants avec tuberculose-maladie. Les formes pédiatriques de tuberculose-maladie sont pauvres en bacilles, expliquant le faible rendement des recherches microbiologiques chez l’enfant. Le HCSP précise désormais clairement qu’il n’y a pas d’indication à rechercher des cas secondaires autour d’un enfant avec infection latente ou avec tuberculose-maladie à culture négative. d. Recommandations de traitement Le traitement d’une infection latente à bacilles a priori sensible repose préférentiellement sur une bithérapie par isoniazide 10 mg/kg/j et rifampicine 15 mg/kg/j pendant trois mois. L’augmentation des posologies a été récemment recommandée par l’OMS, ainsi que par l’Agence européenne du médicament (EMA). Elles sont en pratique légitimes chez l’enfant de moins de 5 ans, mais sûrement trop élevées chez l’adolescent. Il faut donc, après 5 ans, se rapprocher progressivement des doses adultes (5 mg/kg/j d’isoniazide et 10 mg/kg/j de rifampicine). La surveillance d’un traitement d’infection latente chez l’enfant par isoniazide et rifampicine est avant tout clinique. Une consultation mensuelle est nécessaire. Par ailleurs, une information soigneuse doit être donnée aux familles sur les signes témoignant d’une éventuelle toxicité (vomissements répétés, douleurs abdominales, ictère) et sur l’attitude à avoir devant ces signes : arrêt du traitement et consultation en urgence pour dosage des transaminases. La mention de ces points sur l’ordonnance est préférable. La prophylaxie de l’enfant de moins de 2 ans repose sur les mêmes principes, la prophylaxie étant un traitement d’éventuelle infection qui ne serait pas identifiée par les tests réalisés. Lors de la deuxième évaluation, la prophylaxie peut être stoppée si les tests restent négatifs, l’absence d’infection pouvant alors être affirmée. II- Approche culturelle de la maladie La circulaire du 6 mai 1995, mieux connue sous le nom de Charte du patient hospitalisé, précise que tout établissement de santé ou toute structure de soins doit respecter les croyances et les convictions des personnes qui y sont accueillies. Par ailleurs, si le choix du praticien par le patient reste fondamental, sauf en cas d’urgence, le patient ne peut récuser un praticien en raison de la religion effective ou supposée de celui-ci. Si la déontologie garantit la neutralité du soignant, le malade quant à lui doit accepter tout médecin diplômé, quelle que soit leur identité culturelle respective. La Circulaire du 2 février 2005 sur la Laïcité à l’Hôpital rappelle, à cet effet, la neutralité absolue des deux côtés. En effet, la laïcité permet un langage commun et un respect mutuel, en dehors de toutes considérations religieuses et culturelles. Ce qui suppose la connaissance de la culture du patient comme celle du médecin, le respect éclairé de leurs identités respectives pour un enrichissement mutuel et non une uniformisation béate, l’écoute et la parole de chacun. Dans notre cas, l’abord culturel fut primordial notamment dans la non-adhésion du patient au régime thérapeutique, qui peut dépendre de : questions logistiques facteurs liés à la qualité de la relation entre médecins et patient la nature de la maladie et les caractéristiques du régime thérapeutique représentations et les pratiques locales en matière de santé et de maladie En l’occurrence ici, le dernier pan était concerné, déconcertant au premier abord, car mettant à mal la conception purement médicale et cartésienne de la pathologie. Car effectivement, un patient est malade en fonction des représentations qu’il se fait de la santé et de la maladie, et celles-ci sont en grande partie culturelles. La santé n’est pas qu’un état subjectif, une sensation physique ou psychique, c’est aussi un fait social, un état construit, un fait de culture. C’est le groupe social, en fonction de sa culture, donc de sa représentation du monde, qui définit le normal et le pathologique. Il propose aussi des étiologies et des thérapies spécifiques selon les cas. Par conséquent, un comportement peut être considéré comme pathologique dans une société donnée (par exemple la transe dans les sociétés occidentales modernes) et normal dans une autre (par exemple, les transes rituelles dans certaines sociétés africaines, comme celles qui pratiquent le vaudou). Bien qu’exceptionnel, cet état est modelé culturellement et a une fonction sociale et religieuse : c’est le signe de la transmission d’un message pour le groupe par un esprit. Un système de santé est donc le produit d’une culture. Par exemple, la médecine chinoise repose sur une perception énergétique du cosmos et de l’homme (l’équilibre entre le yin et le yang), alors que la médecine tibétaine repose sur une conception, proche de celle d’Hippocrate, de l’équilibre des humeurs. Par conséquent, il n’est pas exact d’affirmer qu’une médecine est universelle. Il est ainsi important d’être conscient qu’une représentation de la santé et de la maladie (un système médical ou thérapeutique) repose (souvent inconsciemment) sur une conception de l’homme, de son rapport aux autres. Ainsi dans la conception africaine de la santé, les causes des maladies sont très souvent personnalisées. Une stérilité est presque toujours attribuée à un règlement de compte entre familles. Les bonnes relations font partie de la santé. En médecine tibétaine, l’état mental et moral de la personne, l’absence de pensées négatives ou de passions, jouent un rôle essentiel dans l’état de santé du patient, en référence avec sa conformité au dharma, l’enseignement de Bouddha. Dans ces deux derniers exemples, les conceptions religieuses jouent un rôle important dans la gestion de la santé. Dans certaines ethnies d’Afrique par exemple, si une femme n’arrive pas accoucher, les matrones vont appeler le devin qui va l’obliger à dire avec quels hommes elle a été infidèle, sans quoi l’enfant risque d’être mort-né. Au Moyen Orient, on fera référence à l’influence des Djinns maléfiques ou au mauvais œil. Cette explication subjective joue un rôle important dans la façon dont le patient vit sa pathologie. Sa souffrance est d’autant plus grande quand il ne trouve pas d’explication ou qu’il pense qu’il est coupable, ou encore qu’il se croît envoûté par un ennemi inconnu. Dans ce contexte de fragilité et d'angoisse, les thérapeutes et les soignants ne peuvent se contenter de soulager physiquement, et si possible de guérir. Ils doivent aussi tenir compte de la question du sens... Pour pouvoir rejoindre l’angoisse et les questions qui habitent le patient, il est essentiel de le rejoindre dans son univers mental et psychologique, dans sa représentation culturelle et parfois religieuse de la maladie (5). Quand un patient se réfère à des représentations inconnues pour le soignant, le risque existe que celui-ci se désintéresse du sens que le patient donne lui-même à ce qu’il vit. Il peut considérer ses explications ou ses réactions comme incohérentes, irrationnelles et même ridicules, à moins qu’il les ignore parce que cela le renvoie à une réalité qui le dérange ou qu’il ne peut maîtriser. Elles n’entrent pas dans la cohérence de son propre système explicatif. Il est donc nécessaire que le soignant s’efforce d’opérer ce déplacement vers le patient, l’autre…. Cette attitude repose sur l’a priori que toute culture, en tant que système de significations, comporte une cohérence interne, certes non exhaustive. L’interprétation qu’on donne à une épreuve affecte beaucoup la façon de l’assumer. Au thérapeute ou à l’accueillant de partir à la découverte de cette cohérence, pour mieux percevoir les enjeux de la maladie ou de la pathologie, dans ce cas, de la tuberculose. S’il nie la pertinence au discours du patient, il peut perdre toute crédibilité auprès du lui et les thérapies qu’il proposera risquent de ne pas être prises en compte ou de perdre une bonne partie de leur efficacité. Il m’est déjà arrivée de m’être retrouvée face à face avec des personnes qui se disent « envoûtées », que cela soit dans la sphère privée ou professionnelle. Ceci requérait du temps pour écouter la version du patient concernant la genèse et l’origine des troubles, sans disqualifier son explication, facilitée sans doute moi-même par la connaissance préalable de ses particularités (et failles) propre à ma « communauté ». Il me fallait ensuite travailler sur la question des pouvoirs et de la prise que l’on donne à l’envoûteur présumé quand on se croit complètement dépendant de son pouvoir. Il s’agit donc moins d’un travail de négation de ses forces dans lesquelles le patient croient mordicus (persuasion souvent inutile) que de travailler sur sa capacité à maîtriser sa peur et de résister à la force d’un autre en faisant appel à d’autres ressources (médicales, psychologiques, morales, parfois religieuses comme dans ce cas-ci). Or, actuellement, la dimension anthropologique, culturelle fait défaut dans les études médicales. L’approche reste souvent individualiste et morcelante. Ce n’est pas le cas dans les médecines traditionnelles de l’Afrique, de l’Asie (médecine indienne - ayurvédique -, chinoise, tibétaine, etc.), qui ont été utilisées avec une certaine « efficacité » durant des millénaires. Dans la relation thérapeutique, la personnalité du patient, son caractère, son environnement physique et psychologique, ses relations interpersonnelles, ses problèmes moraux, ses croyances, sont pris en compte, en plus des symptômes cliniques... Un exemple, dans les cas de stérilité en Afrique (et pas seulement), la femme est la cause de la stérilité. Par ailleurs, quand un mariage n’a pas reçu l’approbation de toute la parenté et si la dot exigée de la part du garçon n’a pas été versée en partie ou en totalité, la sanction est souvent la stérilité. Les jeunes filles le savent. On connaît suffisamment le rôle du psychisme, des fantasmes et des craintes dans le domaine de la stérilité. On peut comprendre que si une jeune fille est persuadée qu’elle ne peut devenir enceinte tant que le problème de la dot n’est pas réglé (à cause de la malédiction d’un parent qui se sent floué ou d’un ancêtre qui veille au respect des coutumes) elle ne concevra pas. C’est le cas aussi si elle est persuadée qu’elle ne pourra accoucher que d’un enfant mort, s'il y a eu transgression d’un interdit. Dans la même lignée, comme le souligne Laplantine (2) « lorsque la « famille », « la société », « les génies », « les ancêtres », « les sorts » sont appréhendés comme des entités morbifiques, la maladie n’apparaît plus du tout comme étant de l’ordre de l’altération, mais de l’altérité ; de l’invasion, l’effraction (…) ». La tuberculose peut être ainsi un signe, le signe qu’un interdit a été violé, une règle oubliée ou un sort jeté. Elle est un appel à l’ordre, un message qui signale que quelque chose d’anormal s’est passée dans la dynamique du groupe familial ou social, qu’une rupture s’est produite (2). L’état morbide du tuberculeux devient ainsi l’indicateur d’un mal qui frappe le lignage ou la communauté. Il est considéré comme le symptôme de « ce qui ne va pas au village », une manifestation directe ou indirecte d’un désordre cosmique, un symptôme d’un malaise social, d’une situation conflictuelle à lire ou à déchiffrer (3). Ainsi dans notre société de cohabitation croissante entre cultures très diverses, le regard porté sur la maladie se doit d’évoluer. Au-delà de l’efficience des savoirs et des compétences avérés de la médecine occidentale, il s’agit d’instaurer une compréhension mutuelle entre le praticien et le patient, quelle que soit sa culture d’origine. Lorsqu’il lui manque les mots et la maîtrise linguistique pour exprimer sa souffrance et son angoisse, on ne saurait lui imposer la seule rationalité du diagnostic et la technicité des choix thérapeutiques, sans envisager une approche culturelle de sa maladie. Il en va de la clarté des échanges entre les soignants, les patients et leur entourage. Comment, en effet, asseoir la confiance sur une relation univoque, au prix de l’efficacité thérapeutique ? En respectant ce que sont les gens, on diminue leur angoisse et on les mobilise pour guérir. « Il est fondamental de donner des noms à toutes choses, notamment à ses peurs. Il est fondamental que le rôle joué par le détenteur du savoir médical, donc du pouvoir de guérison, se fasse dans le respect de l’autre et dans la connaissance, même minimaliste, de celui qui est en face de lui… Il faut que, dans sa formation initiale, le médecin bénéficie de l’apport de ces formations à la prise en charge de patients d’origine étrangère… La formation continue devrait permettre à chaque médecin français ou étranger exerçant sur notre territoire d’apprécier avec justesse et compétence l’identité culturelle de chacun de ses patients. » (1) En somme, il ne saurait s’agir d’un cheminement à sens unique entre le patient et son médecin, l’un tentant d’exprimer ses souffrances, son angoisse et ses symptômes, l’autre le considérant du haut de son savoir. Ce qui les lie indissolublement réside dans leur regard conjoint sur la maladie et ses conséquences, et dans leur espoir partagé de la guérison. La maladie a-t-elle pour chacun la même signification ? Les symptômes et les conditions préalables au diagnostic sont-ils bien compris du médecin ? Dès lors, la difficulté est de s’interroger mutuellement sur la maladie en partant de conceptions, souvent radicalement antinomiques, sur les détenteurs du savoir médical, selon les cultures scientifique ou traditionnelle. Là où la médecine occidentale se penchera sur l’entité nosologique, son mécanisme et sa cause, les médecines traditionnelles interrogeront davantage les conditions personnelles et spatio-temporelles du patient. Et la hiérarchisation spontanée et intuitive de ses formulations, opérée par le malade, permet de mieux dessiner la nature de ses conceptions et de ses attentes. La maladie peut en effet à ses yeux relever d’une intention malveillante ou d’une persécution, de toute façon extérieures à lui. La subtilité de la parole médicale sera alors de l’amener, en plus de son allégeance à la sorcellerie, à l’acceptation de l’acte médical, ici la quadrithérapie antituberculeuse par exemple. C’est dans ce cadre ci, tout en conjuguant le souhait de la patiente et des parents, que j’ai été amené à allier traitement « traditionnel » et « scientifique », dans le respect de la croyance de la famille, la satisfaction du maintien du dialogue afin d’éviter les perdus de vue et la multi résistance mais également pour favoriser l’observance et… une raison moins altruiste, plus sournoise, parfois autocensuré par honte, celle d’être parvenue à faire adhérer à un concept initialement réfuté, sorte d’autosatisfaction et fierté par « manipulation ». La réflexion, poursuivie sur plusieurs jours, m’a conduit à effectuer des recherches afin d’évaluer et distinguer les divers niveaux globaux d’apprentissage culturel de la maladie. Au premier niveau comme cité plusieurs fois ci haut, il s’agit pour le médecin de s’approprier les données ethnologiques qui régissent la santé et la maladie dans la culture de son patient. Parce que la nosologie des maladies n’est pas toujours, loin s’en faut, telle qu’elle est enseignée. Dans la société Kanak, par exemple, divers types de maladies sont reconnus, qu’elles soient « naturelles », liées aux ancêtres, ou « provoquées ». Mais le principe de maladie chronique y est inconcevable. Parce qu’ils ne conçoivent pas qu’elle puisse durer plus de cinq jours, beaucoup de patients rompent leur traitement au bout de quelques mois. Or, il serait illusoire et dangereux de croire qu’une telle réalité ne s’applique qu’à l’étranger… En Europe, même si les données ethnologiques sont différentes, le médecin est confronté aux mêmes réticences pour les populations migrantes d’Afrique et d’Asie, entre autres. De ce fait, modifier le discours médical permet de mieux adhérer à la réalité du patient. Le deuxième niveau d’apprentissage culturel de la maladie suppose d’en intégrer les données dans l’organisation et le déroulement de la consultation. Ainsi, depuis plusieurs décennies, le Centre Georges Devereux, à Paris, a développé par l’ethnopsychiatrie une approche anthropologique des troubles psychologiques. L’expérience en est reprise par le Dr Marie-Rose Moro à l’Hôpital Avicenne de Bobigny et à l’Hôpital Cochin (7). En Calédonie, certains médecins du travail, conscients de l’impact des médecines traditionnelles sur leurs patients, cherchent non à critiquer ces pratiques ni à les cautionner, mais à reconnaître que leur patient est un tout, autour duquel il sera plus efficace de rassembler ce qui peut le rendre positivement actif dans la prise en charge de sa maladie (8). Entre autres exemples, le médecin peut choisir de discuter avec le patient, tous deux assis sur une natte sur le sol. Le troisième niveau est celui de la médiation culturelle de la maladie, qui s’applique aux situations de crise, par exemple à l’annonce d’un handicap visuel sévère, ou lors de la prise en charge d’une complication après rupture thérapeutique, etc. Au médecin traitant et au patient, il faut adjoindre un traducteur qui puisse assurer la médiation culturelle, voire un médecin qui en soit l’animateur. Le dispositif est d’autant plus lourd qu’il nécessite une consultation sur plusieurs d’heures d’affilée, éventuellement à renouveler. Le Centre de prise en charge de la douleur, à la Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild à Paris, met en pratique ce mode d’approche. On y sélectionne les cas selon divers critères de diagnostic, sévérité des lésions, poly pathologie, historique du suivi médical et chirurgical. Mais, surtout, on tient compte du désarroi et de la souffrance du patient et de sa famille, au regard de cette complexité médicale, et de l’impact que l’annonce d’un diagnostic grave (cancer, handicap, …) aura sur eux. Dans le cas d’une pathologie grave ou handicapante, avec la projection dans le futur qu’elle induit, surtout pour un enfant, l’intérêt de cette approche est autrement plus évident que pour une pathologie moins sévère, infectieuse ou autre, sans séquelles majeures. Cette démarche ne dispense évidemment pas d’avoir aussi recours aux autres outils dont disposent les médecins et les paramédicaux, tels la relation d’aide et le concept d’alliance thérapeutique, en d’autres termes une collaboration fondée sur la confiance mutuelle, la compétence avérée et la responsabilité assumée. A fortiori, toutes ces démarches amèneront à cultiver davantage encore les outils classiques du médecin que sont l’écoute active, la neutralité, le non-jugement, la confidentialité. La pratique médicale est ainsi tenue de s’adapter en permanence aux différentes cultures, et seule une confrontation éclairée à la pluralité des valeurs et des choix culturels de chacun peut enrichir le colloque singulier qu’entreprennent le médecin et le malade. Dans ce dialogue, les différents raisonnements culturels doivent entrer, non en concurrence, mais en confluence, et une telle approche permet de répondre aux obligations du Code de Déontologie. (6) III- Ressentis Bien que sollicitée ponctuellement pour une question d’inobservance, cette situation m’a conduit à reconsidérer la prise en charge en fonction de la représentation culturelle que la jeune fille avait de sa condition physique, plutôt attribuée à une altération profane qu’à une pathologie bactérienne à risque de transmission. Effectivement, en dehors de la question du traitement, il a été difficile de faire adhérer à l’idée que malgré un traitement envisageable de manière traditionnelle associée, il était nécessaire pour elle qu’elle demeure en isolement le temps de l’obtention de la culture définitive. Dans ce contexte, j’ai alors été amené à contacter la mère et le Peer en question afin d’allier la prise en charge dans l’intérêt singulier de la patiente. Celle-ci, consciente d’être « respectée » dans ses convictions, fut d’autant plus entrain à se plier aux recommandations de prévention, tandis que je constatais la présence d’une fiole autour de son cou les jours suivants. L’avantage que j’ai pu avoir, était d’être au préalable initié à ces croyances, sans cesse confrontée à ces problématiques traditionnelles ancrées dans les esprits dès l’enfance, de manière inconsciente et naïve parfois. La problématique, en somme, semble d’éviter d’apparaître comme un pourvoyeur de normes, mais plutôt tenter de changer ce que les gens font et non ce qu’ils sont. La discussion avait également pour but d’éviter les surinterprétations (fatalisme, croyances) par maladresse dans les mots et surtout de comprendre sans « juger »… Quant au dépistage, ce fut l’occasion de refaire le point, notamment en fonction du critère d’âge, caractéristiques ayant fait l’objet d’une présentation en staff sur le sujet avec au décours la réalisation d’un protocole pour le service d’hôpital de jour, afin d’éviter la redondance des examens (IDR, RXT) non recommandés. Conclusion Dans la relation entre le praticien et son patient, il y a tout à gagner à s’inscrire dans une approche plurielle de la maladie et de ses représentations anthropologiques. C’est ainsi qu’il sera possible de mieux comprendre l’impact social, en prenant en compte les façons de penser l’espace et le temps, et les modes d’agir au travers des comportements culturels. Or, dans ce domaine de la santé, on touche à ce qui est à la fois le plus intime, le moins formulé et le plus anxiogène chez le patient, parce qu’il en va de la perspective de sa maladie, de sa souffrance et de sa mort. La compétence culturelle devrait alors être incontournable dans la relation que le médecin et son patient vont nouer, car cette relation peut s’avérer décalée, dans leur conception respective du monde, de la maladie, de la santé. Dès lors, c’est au médecin de faire le trajet qui le sépare du patient, quels que soient les champs culturels auxquels l’un et l’autre appartiennent. Il n’existe pas d’universalisme de la médecine occidentale et, dans une société multiculturelle, il serait erroné de renvoyer à l’« exotisme » les exemples que peuvent fournir des expériences menées dans le monde. Il ne s’agit plus de tolérer avec condescendance les disparités, mais d’inscrire la relation thérapeutique dans le respect mutuel. Sans conteste, les immigrations diverses amènent des flux de populations en souffrance, qui requièrent les soins de praticiens qui ne sont pas nécessairement formés à cette diversité culturelle. Mais il serait naïf, voire dangereux, pour eux de se réfugier derrière le voile d’un technicisme sans ouverture aux autres cultures, sous peine de mettre en échec l’efficience du diagnostic et le bon déroulement du processus thérapeutique. Bibliographie HCSP. Enquête autour d’un cas de tuberculose. Recommandations pratiques. http://www.toutsurlatuberculose.fr/Tout_public/4/Adresses_utiles/32 ECDC Guidance. Investigation and control of tuberculosis incidents affecting children in congregate settings. www.ecdc.europa.eu/en/publications/Publications/guidance-investigation-control-tbincidents-childrenin-congregate-settings.pdf OMS. Directives pour la prise en charge de l’infection tuberculeuse latente (ITL).www.apps.who.int/medicinedocs/documents/s21682fr/s21682fr.pdf (1) Dr Patrick BOUET, Le Patient, in Pratique médicale et identité culturelle, Rapport de la Commission nationale permanente du Conseil national de l’Ordre des médecins, 18/06/2005. (2) Laplantine, F. (1986). Anthropologie de la maladie, Paris, Payot 1986 : 75 (3) Hountondji, J. P. (sous la direction de) (1994). Les savoirs endogènes, pistes pour une recherche, Paris, Karthala. (4) Tsala Tsala, J. P. (1989). De la demande thérapeutique au Cameroun, Rev. De méd. Psychosomatique. (5) Yves Prigent, Vivre la séparation, Paris, DDB, 1998, p.67 (6) Cf. Dr Chabrol, « L’exercice médical face au multiculturalisme » in Bulletin du Conseil National de l’Ordre des Médecins, 18/06/2005 (7) Marie Rose Moro – Ethnopsychiatrie [Internet]. [cité 27 sept 2015]. Disponible : http://www.marierosemoro.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=45&Itemid=5 9 (8) Approche culturelle de la maladie, Nouvelle Calédonie [Internet]. [cité 27 sept 2015]. Disponible : http://www.ifap.nc/index.php?option=com_content&view=article&id=211:lasociete-kanak-approche-culturelle-de-la-maladie&catid=13:actualites&Itemid=64