Le Groenland fond à vitesse grand V

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Le Groenland fond à vitesse grand V
Climat . Au pôle Nord, la glace de ce territoire disparaît deux fois plus vite que ne
l’avaient estimé les études, a révélé la semaine dernière une équipe franco-belge.
Si la Terre est un être vivant, son pouls se prend aux pôles. Et ces temps-ci, il est élevé. En témoi
gne l’étude franco-belge parue la semaine dernière dans la revue Geo- physical Research Letters :
la fonte des glaces superficielles du Groenland est bien plus importante que ne l’estimaient les
mesures antérieures, affirment les scientifiques. C’est que, jusqu’à présent, sur les photos satellite,
les glaces du pôle Nord étaient généralement floues. La faute aux nuages d’eau présents au-dessus
de l’océan glacé.
Au final, estiment les chercheurs, entre 1979 et 2005, la surface du Groenland touchée par la fonte
au moins un jour par an a atteint quelque 550 000 kilomètres carrés, soit 42 % d’augmentation en
vingt-cinq ans. Rien de moins qu’un tiers de la superficie de la France métropolitaine. L’accélération
de la fonte est même deux fois plus importante que prévue. Bref, le phénomène est plus étendu et
plus rapide. Dans le même temps, la température moyenne d’été a augmenté de 2,4º C sur la
région.
Même à 1 500 mètres, ça fond !
Ces valeurs ont été revues à la hausse grâce à un double procédé. Pour leurs travaux, les
scientifiques du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement (CNRS et université
de Grenoble) et de l’université catholique de Louvin, ont utilisé un modèle de calcul avec une
résolution de 25 kilomètres sur l’ensemble de l’océan glacé. Jusque-là, rien de nouveau. Le modèle
est multifonctions : il scrute les vents, les températures, la pression atmosphérique, l’humidité, les
nuages et les précipitations. Mais aussi l’état de la neige au sol. Restait à s’affranchir des nuages
d’eau présents au-dessus du Groenland en séparant les deux mesures. Le résultat est éloquent. En
particulier au nord du territoire où l’on observe, depuis 2000, que la glace fond à plus de 1 500
mètres d’altitude. Les satellites n’avaient jamais pu y jeter un oeil, voilà qui est fait.
En septembre 2006, la NASA avait déjà publié des images témoignant de la fonte accélérée des
glaciers du Nord de la planète. On pouvait y voir une large zone fracturée rejoignant le pôle Nord
depuis l’extrême nord de la Norvège jusque dans les eaux arctiques sibériennes. L’agence spatiale
états-unienne en avait conclu, avec prudence, que les glaciers du Groenland disparaissent deux
fois et demie plus vite que deux ans auparavant. Si cette étude n’a été menée que sur quatre ans,
elle rejoint néanmoins les nombreuses autres qui montrent une fonte importante et rapide des
glaciers. Toujours en septembre 2006, la revue Science avait publié des calculs selon lesquels les
glaces pérennes de l’Arctique avaient diminué d’un septième en un an, entre 2004 et 2005. Un
miroir disparaît. Ce phénomène n’est pas sans conséquence. Les glaciers jouent en effet un rôle
primordial dans la machine climatique. Blanche, la neige renvoie une partie du rayonnement
solaire, créant une zone froide aux pôles qui, par un jeu complexe d’échange de chaleur avec les
zones tropicales, maintiennent une température moyenne douce sur le globe. Si cette surface
« miroir » diminue, les rayons réchauffent l’atmosphère et les océans. Qui provoque la fonte des
glaces...
Vincent Defait
« Une cause directe : l’émission de gaz à effet de
serre »
Hubert Gallée, directeur de recherche au laboratoire de glaciologie du CNRS, a mené
l’étude sur le Groenland. Il revient sur les origines et les impacts d’une telle évolution.
Que vient apporter cette nouvelle étude dans l’écrasant dossier du réchauffement de la
planète ?
Hubert Gallée. Depuis vingt ans, grâce aux images satellite, on a pu constater une augmentation
de la surface du Groenland touchée par la fonte. Nous avons donc d’abord confirmé cela avec un
modèle numérique. Cependant, les informations reçues avec le modèle d’installation satellitaire se
sont avérées différentes lors du passage d’événements pluviométriques sur la calotte. À ce
moment-là, le satellite ne voit plus rien. Ce qui change au final une partie des données : le satellite
ne constatait que la moitié de l’augmentation de la fonte. D’autant que nous avons remarqué une
augmentation des événements pluvio-neigeux. Notre modèle a donc permis de séparer ces deux
processus et de constater que la calotte fondait beaucoup plus.
Quelles sont les principales causes de cette fonte ?
Hubert Gallée. La hausse de cette fonte est liée au réchauffement climatique. Sur vingt-cinq ans,
nous avons constaté, avec notre modèle, une augmentation de 2,4 ºC. Ce qui n’est pas rien. Il
nous est aussi apparu que la source des fontes provenait de l’atmosphère, et non pas du soleil. La
cause directe étant l’émission des gaz à effet de serre.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène ?
Hubert Gallée. Nous sommes au début de la fonte du Groenland et il faudra plusieurs milliers
d’années avant sa disparition totale. Mais il est évident que tous ces mètres cubes d’eau répartis
sur la surface des océans vont poser pas mal de soucis près des côtes. Des années 1960 à 2000,
nous avons mesuré une augmentation de 5 centimètres par siècle du niveau moyen de l’eau. Mais
sur les dix dernières années, c’est quatre fois plus ! Vingt centimètres par siècle, cela commence à
devenir très significatif. Mais il y a d’autres contributions à la montée des eaux, comme la fonte de
l’Antarctique, l’expansion des océans qui, en chauffant, se dilatent un peu plus, ou encore, de
manière plus anodine, la fonte des glaciers. Par ailleurs, on s’interroge sur l’influence de l’eau de
fonte dans la salinité de l’océan, qui pourrait, de fait, diminuer et avoir des effets sur le milieu
vivant. Mais les conséquences exactes sont encore peu connues.
Est-il possible de lutter contre cette fonte ?
Hubert Gallée. La meilleure façon de l’empêcher, c’est de limiter l’émission des gaz à effet de
serre. Mais ce n’est plus du ressort des scientifiques. Et à partir du moment où la calotte glacière
commence à disparaître, il est beaucoup plus difficile, même à la même température, de la faire
reparaître. Il y a un effet d’altitude : le dôme central est à plus de 3 000 mètres, dans un air bien
froid. La recomposition de la calotte devra, maintenant, se faire quasiment au niveau de la mer,
donc à des températures beaucoup plus chaudes.
Entretien réalisé par Karine Parquet
Climat : au tour des politiques
Environnement . Après la publication par les scientifiques internationaux, vendredi, de
leur rapport sur les impacts du réchauffement, les chefs d’État ont les cartes en main.
Le document de 1 400 pages ne contient rien de bien réjouissant. En évaluant les « impacts,
l’adaptation et la vulnérabilité au changement climatique », les scientifiques du Groupement
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), sous l’égide de l’ONU, ont dressé un rapport
alarmant. À tel point que la rédaction du « résumé pour décideurs », la semaine dernière à
Bruxelles (Belgique), avec les représentants de gouvernement, a donné lieu à quelques tensions.
Certains, comme la Chine, les États-Unis et l’Arabie saoudite, ont tenté d’amoindrir la portée du
texte. Un exercice difficile, tant les conclusions des milliers de chercheurs du monde entier ont été
soumises au débat ces six dernières années.
Livré avec quelques heures de retard, vendredi, le résumé du rapport s’achève sur deux leçons :
un, tous ne pâtiront pas de la même manière des changements climatiques, les plus pauvres
payant plus cher la facture du réchauffement ; deux, au-delà de 2 à
3 degrés de hausse par rapport à 1990, il y aura des « impacts négatifs sur toutes les régions ».
Au premier rang desquelles les régions arctiques, subsahariennes, les méga deltas d’Asie et les
régions côtières.
Pauvres et en plus principales victimes ? Logique, leur vulnérabilité « peut être exacerbée par
d’autres contraintes », note le GIEC : zones côtières, sécurité alimentaire précaire, économies
faibles et instabilité politique. Ce seront d’ailleurs eux, les pauvres, qui pâtiront le plus des
problèmes liés à l’eau. « Les débits des rivières et la disponibilité en eau devraient augmenter de
10 % à 40 % dans les hautes latitudes et dans certaines régions tropicales, et diminuer de 10 % à
30 % dans certaines régions de latitudes moyennes et des régions tropicales sèches ».
Les écosystèmes devraient aussi trinquer. « Environ 20 % à 30 % des espèces de plantes et
d’animaux courent le risque d’une extinction si la hausse des températures dépasse 1,5 ºC à 2,5
ºC », évalue le GIEC. Hormis dans certaines régions du nord de la planète, l’agriculture devrait
aussi faire grise mine au-delà de 1 ºC à 3 ºC supplémentaires. Avec des conséquences acceptables
dans le Nord, nettement plus graves dans le Sud. Ce qui, sans aucun doute, devrait accentuer les
migrations de populations. Le secrétaire exécutif de la convention de l’ONU sur les changements
climatiques (UNFCCC), Yvo de Boer, évoquait, vendredi, « 50 millions de personnes d’ici à 2010 ».
Dans le même temps, certaines maladies devraient s’étendre à mesure que les températures
augmenteront et que les pluies seront fréquentes. Ce qui devrait être le cas des maladies
diarrhéiques, cardio-vasculaires et infectieuses. D’où l’importance, note le GIEC, « de l’éducation,
de la prévention publique et du développement d’infrastructures et des économies ».
Le « résumé pour décideurs » s’achève en relevant l’importance « d’un portefeuille de stratégies
incluant des mesures d’atténuation (des impacts), d’adaptation, de développement technologique
et de recherches ». Les scientifiques ont fait leur travail. Aux responsables politiques d’agir. Ils en
auront l’opportunité en décembre 2007, lors de la discussion sur l’avenir du protocole de Kyoto.
Vincent Defait
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