CEFEDEM RHÔNE-ALPES LYON Notre dernier grand rite de

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CEFEDEM RHÔNE-ALPES LYON
Notre dernier grand rite de passage :
l'école républicaine
À quand le changement ?
MÉMOIRE DE FIN D’ETUDES
Elisabeth HERBEPIN
Promotion 2013-2015
Merci à
Hélène Gonon
Marie Schlierer
Noémi Lefebvre
Isabelle Peloux
Jérémie Esperet
Jean-Luc Bosc
à chacun des membres du CEFEDEM RHONE-ALPES
pour ces deux années de formation,
ainsi qu’à mes camarades de promo
à ma famille et mes amis ;
en particulier à ma maman,
à Jorge et Diego,
les amours de ma vie
Pour tous les enfants qui auront la chance de fréquenter les bancs d'une école
et, bien sûr, pour tous les autres aussi.
Enfin pour tous ceux qui luttent chaque jour sur le terrain.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
2
"L'éducation est l'arme la plus puissante qu'on puisse utiliser pour changer le monde"
Nelson Mandela
« La besogne de l'éducateur sera suffisamment noble et précieuse, explique Freinet, si elle permet
aux individus de se reconnaître, de se retrouver, de se réaliser, de grandir selon la loi de leur vie.
Qu'il ne se mêle point, dieu de pacotille, de modeler les esprits, de les plier à sa fantaisie, pour les
conduire il ne sait où d'ailleurs, car nul encore n'a pu nous indiquer avec certitude un autre but à la
vie que cette poussée mystérieuse qui est, pour tous les hommes,
une raison suffisante de croître et de lutter »1
« Comment expliquer que l'enseignement par absorption passive, qui est universellement
condamné, soit toujours si profondément enraciné dans la pratique ? Que le principe suivant lequel
l'éducation n'est pas un état passif dans lequel l'un enseigne et l'autre apprend, mais un processus
actif et constructif, soit violé presque aussi généralement dans la pratique qu'admis en théorie ? »2
John Dewey
1
2
L'éducation du travail, Delachaux et Niestlé, Paris, 1978, page 237
Dewey John Démocratie et éducation 1990 (rééd) p.80
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
3
P. 06
RITUEL, RITE ET RITE DE PASSAGE :
L'ECLAIRAGE DE L’ETHNOLOGIE, L’ANTHROPOLOGIE ET LA SOCIOLOGIE
1) Rituel et rite - De la difficulté à les définir
a - D'après le dictionnaire
b - Du domaine du sacré
c - Vecteurs de communication - La primauté du geste
d - Garants de la hiérarchie et de l'ordre social
e - Produits de l'histoire et de la culture
f - Producteurs de magie sociale
g - Et au quotidien ?
h - Le terrain de l’implicite
P. 10
P. 11
P. 11
P. 12
P. 13
P. 13
P. 14
P. 15
2) La performativité des rituels
a - J.L. Austin et le langage : « Quand dire c'est faire »
b - Pierre Bourdieu : « Le langage autorisé »
3) Les rites de passage : Arnold Van Gennep
P. 15
P. 16
P. 17
4) Les rites d'institution selon Pierre Bourdieu
a - Importance de la ligne, du seuil
b - Instituer des différences
c - « Enseigner la nage au poisson »
d - L'institution, acte de magie sociale
e - « Deviens ce que tu es »
f - L'habitus, renfort du rite d'institution
g - Les « Stratégies de condescendance »
P. 18
P. 19
P. 19
P. 20
P. 20
P. 21
P. 22
5) L'unité de tous les rites selon René Girard
a - Le désir mimétique
b - Du désir mimétique à la violence généralisée
c - Le bouc émissaire, rempart contre la violence
P. 23
P. 23
P. 24
L’ECOLE DE LA REPUBLIQUE : « LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE » ?
1) Liberté
a - L'école caserne
b - La ritualisation garantit l'ordre scolaire
c - Le métier d'élève : la règle et l'implicite
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
P. 25
P. 28
P. 31
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2) Egalité
a - L'école cultive les inégalités présentes dans la société
b - Fonction de l'école - Sélection et qualification
c - La ritualisation de l'école permet la reproduction d'un modèle de société
d - L’école : un rite de passage - sa fonction d'institution
3) Fraternité
a - L'école : lieu initial de socialisation du petit d'homme
b - La classe : lieu d’isolement et de compétition
c - La figure du cancre et l’enfant harcelé : des victimes émissaires ?
d - Du cancre au sauvageon, du sauvageon au délinquant...
P. 32
P. 33
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P. 39
P. 40
P. 41
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P. 47
UNE RITUALISATION AU SERVICE D’UN SYSTÈME EDUCATIF PLUS JUSTE ET PLUS EFFICACE
1) Faire de l'école un lieu démocratique
a - De la nécessité de permettre aux élèves de devenir des citoyens
b - De l'utilité de faire institution
2) Un lieu de paix
P. 49
P. 52
a - L'éducation à la paix à l'école du Colibri : Isabelle Peloux
. Être en paix avec soi-même
- Apprendre à gérer ses émotions
- Le coin du beau
. Être en paix avec les autres
- Travailler sur les avantages et les inconvénients du groupe
- Les mots du conflit
. La médiation par les pairs
. Être en paix avec son environnement
. L'atelier Philo
P. 55
P. 57
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P. 59
b - Développer la coopération et non la compétition
. La classe coopérative et l'imprimerie : Célestin Freinet et Fernand Oury
. Le groupe d'apprentissage selon Philippe Meirieu
. L'échange de stratégies mentales
P. 60
P. 60
P. 61
P. 61
3) Un lieu propice à l'apprentissage
a - Installer un cadre sécurisant
b - Permettre à chacun de définir sa place
c - Mettre en valeur chaque enfant-élève
P. 62
P. 64
P. 65
4) Un lieu de création
P. 66
[ CONCLUSION ]
P. 69
[ BIBLIOGRAPHIE ]
P. 70
[ ANNEXES ]
P. 74
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
5
Longtemps réservé au domaine du sacré, le champ du rituel s'est laïcisé et tend à occuper une
place croissante dans notre société sécularisée. C'est ainsi que sont qualifiés de rites des
phénomènes de plus en plus variés allant de la chasse au match de foot, en passant par les fêtes
d'anniversaire. Une action ou séquence d'actions sera dite rituelle afin de : «marquer soit de façon
neutre sa régularité, soit de façon ironique, polémique, en tout cas négative, son caractère
routinier, stéréotypé, soit, de façon positive et valorisante, son caractère religieux, sacré, disons
important et sérieux. »3
« L’école n’échappe pas à ce retour du rituel, comme en témoigne sa récente apparition dans les
textes officiels4 et la parution de textes pédagogiques ou de travaux scientifiques sur les pratiques
rituelles, à l’école maternelle en particulier. »5
Haut lieu de l'apprentissage, l'école est fortement structurée, organisée et hiérarchisée. L'ordre
scolaire résulte de la stricte organisation de l'espace et du temps ainsi que d'une définition précise
du rôle de chacun. En ce sens, elle est en effet un lieu privilégié pour le champ rituel : rites de
passage et d'institutions (rentrée scolaire, remise de diplôme...), rites cycliques (réunions
parents/professeurs, conseils de classe, kermesse...), rituels d'organisation (mise en rang, appel,
lever la main pour s'exprimer...), rituels didactiques (par cœur, dictée, réciter des tables de
multiplications....).
Par conséquent, on ne saurait nier dans notre société le rôle des jardins d’enfants et des écoles
maternelles qui sont comme l’écrit Claude Rivière « des sanctuaires de ritualité, dans le processus
de socialisation de l’enfant »6.
« Pièges pour la pensée, supports de simulations et porteurs d'illusions, fascinants par leurs recours aux
magies de l'art, les rites captivent et capturent l'esprit pour le rendre conforme à ce qu'en attend
l'expérience traditionnelle qui est précisément au départ de leur élaboration. »7
C'est à se demander si notre école républicaine n'est pas davantage le théâtre des croyances et du
mimétisme dans lequel s'opère la magie sociale, que celui de la démocratie et de l'apprentissage
de la citoyenneté ? Est-ce pour cette raison que cette institution peine tant à se réformer ?
« À aborder une tâche aussi téméraire que de vouloir résumer, et à plus forte raison essayer de
juger, le développement de l'éducation et de l'instruction durant ces trente dernières années, on est
saisi d'un véritable effroi devant la disproportion qui subsiste aujourd'hui, autant qu'en 1935, entre
l'immensité des efforts accomplis et l'absence d'un renouvellement fondamental des méthodes, des
programmes, de la position même des problèmes et, pour tout dire, de la pédagogie en son
ensemble en tant que discipline directrice. »8
3
Piette A. « Pour une anthropologie comparée des rituels contemporains », Rencontre avec des "batesoniens",
Terrain, n° 29, pp. 139-150.Piette A. « Pour une anthropologie comparée des rituels contemporains » in Terrain- 1997
4
Le terme de « rituel » apparaît explicitement dans les Instructions officielles de l’école maternelle en 2002 ;
dans le chapitre « Vivre ensemble » on peut lire : « L’appropriation des règles de vie passe par la réitération d’activités
rituelles (se regrouper, partager des moments conviviaux…). Celles-ci peuvent être transformées dans la forme et dans
le temps. Lorsque tous les enfants se sont approprié un rituel, il doit évoluer ou être remplacé. »
5
Marchive Alain « Le rituel, la règle et les savoirs - Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », in
Ethnologie française, 2007/4 Vol. 37, p. 597-604
6
Rivière. Cl, Les rites profanes, Paris, Presse Universitaire de France, 1995. p.85
7
P. Bonte et M. Izard « Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie », Presse Universitaire de France, 1992
8
Piaget Jean, Psychologie et pédagogie, 1969. P. 11
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
6
Voici le constat que dressait Jean Piaget en 1969 dans un texte écrit pour le tome XV de
l'Encyclopédie française consacré à l'éducation. Qu'en serait-il aujourd'hui, pratiquement
cinquante années plus tard, alors que nous avons vu se succéder des gouvernements de droite
comme de gauche dont les ministres de l'éducation ont chacun à leur tour contribué à multiplier
les réformes.
Souvenons-nous...
1975 :
1982 :
1984 :
1986 :
1989 :
1993 :
1997 :
la réforme Haby
« la rénovation du collège unique », Alain Savary
Jean-Pierre Chevènement
René Monory
la loi d'orientation sur l'éducation, dite loi « Jospin »
François Bayrou
Claude Allègre avec comme ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire
Ségolène Royal, qui proposera en…
1998 : « la réforme des collèges »
2001 : Jack Lang et le collège républicain
2003 : Luc Ferry
2005 : François Fillon et sa loi d'orientation pour l'avenir de l'école
2008 : les priorités de Xavier Darcos
2009 : Luc Chatel et la réforme du lycée
2012 : Vincent Peillon : la loi de refondation de l'école de la République, la réforme des rythmes
scolaires.
Cependant, toutes ces réformes peuvent-elles être raisonnablement qualifiées comme telles ? Si
nous nous référons à la définition du mot réforme nous trouverons : « Changement de caractère
profond, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, et visant à améliorer son
fonctionnement : Réforme de l'enseignement. »9 Il nous semble que la réalité fait davantage état
d'une suite permanente d'ajustements et de petites transformations qui, en définitif, crée un
sentiment d'immobilité, voire d'immobilisme.
Mais quelle est la cause de ce sentiment ? Est-ce la faute de nos hommes politiques qui, trop
préoccupés par leur carrière en devenir, ne s'engagent pas de manière assez concrète ? Est-ce,
comme le regrette le journal « The Economist », la résurgence de clivages idéologiques
traditionnels qui empêche tout débat digne de ce nom dans l'Hexagone ?10 Est-ce la faute de notre
système politique démocratique qui ne permet pas de transformation radicale? Est-ce notre
société qui a peur du changement et qui freine des quatre fers dès qu'un projet pointe le bout de
son nez avec la volonté de faire évoluer les choses ? Nous avons tous en tête les polémiques, les
débats enflammés et les mouvements protestataires que n'ont pas manqué de causer les volontés
de changement de l'Education Nationale française que nous venons de citer.
Aujourd'hui encore, avec cette réforme du collège menée par Najat Vallaut-Belkacem, c'est la
France entière qui est en émoi et qui sort les griffes. Sans entrer dans la polémique du bien-fondé
de cette réforme, on constate que dès que l'on touche à l'école républicaine, les passions se
déchaînent.
9
10
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/réforme
« Ecole : comment réforment-ils ailleurs ? » in Courrier International n° 1283 du 4 au 10 juin 2015
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
7
Paradoxe qui ne manque pas de nous surprendre car c'est bien cette école qui est accusée de tous
les maux. On la dit « en crise », «inefficace », « inégalitaire » et victime de la permanence du culte
de l' « élitisme républicain ». Ne parle-t-on pas de la « faillite du système éducatif français » qui
serait un des moins performants au monde selon sa place occupée au classement Pisa 11 ?
N'avance-t-on pas les chiffres alarmants de l'échec scolaire en France (chaque année, 40 %
d'enfants, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes, selon un rapport du
Haut Conseil à l'Education)12 ?
Alors, pourquoi les Français tiennent-ils tant à leur école ? Celle qu'ils ont connue, celle qui leur a
appris à lire, celle qui leur a permis d'obtenir les diplômes qu'ils ont obtenus, celle qui leur a
permis d'occuper la place qu'ils occupent dans la société ? Celle qui a marché pour eux ? Pourquoi
nous semble-t-il que la plupart des revendications portent sur un retour en arrière ? : Rétablir
l'autorité du maître, réintroduire les cours de morale, revenir au « par cœur »...
C'est comme si en ces temps incertains, on cherchait à reconstruire l'image rassurante de la bonne
vieille école française du siècle dernier telle qu'on la trouve dans les livres de Marcel Pagnol : en ce
cas, pourquoi ne pas rendre sa baguette au maître, leurs blouses aux élèves et rétablir le certificat
d'études : certains y songent ! Le socle de notre système éducatif est hérité des lois de Jules Ferry13
qui ont, certes, permis d'installer la démocratie, mais qui avaient avant tout pour vocation d'unifier
la France, de servir des aspirations militaires, et qui permirent ensuite l'industrialisation du pays.
Depuis 1881, le monde a considérablement évolué et les enfants d'aujourd'hui ne ressemblent en
rien à ceux de cette époque ; mais ils ne ressemblent guère plus à ceux que nous étions car ils sont
nés après la révolution numérique.
L'école doit sans aucun doute être repensée, pas pour le monde d'aujourd'hui mais afin de
préparer nos enfants au monde de demain, dont personne ne sait à quoi il ressemblera. Ken
Robinson, l'expert international sur l'éducation, affirme haut et fort qu' « en plus d'une crise
climatique liée aux ressources naturelles, nous vivons une crise des ressources humaines, et nous
n'avons donc plus besoin d'une « évolution » mais d'une « révolution » dans l'éducation, nous
devons la transformer en quelque chose d'autre »14.
Or, comment envisager une révolution alors qu'il semble impossible de toucher à quoi que ce soit
sans s'attirer les foudres d'une partie de la population, des partis politiques et des intellectuels ?
Nous faisons l'hypothèse que notre pays, après avoir vécu les grands bouleversements du XXème
siècle, a vu la plupart de ses repères voler en éclat ; et, qu’à la traversée d'une période de
turbulences, il tente de se raccrocher à l’un des piliers de son existence : son école républicaine,
car elle reste le dernier grand rite de passage de notre société.
En effet, il s'agira de montrer en quoi l'école peut être considérée comme un rite de passage, ce
qui expliquerait en partie la complexité à la faire évoluer et la quasi-impossibilité de la refonder
11
Tous les trois ans, Pisa classe les pays de l'OCDE en fonction des compétences des élèves de 15 ans dans
certaines disciplines ciblées (lecture, mathématiques, sciences). Ce classement est une référence internationale en
matière d'éducation
12
Christophe Chenebault « Et si nous réinventions enfin notre éducation » http://www.lexpress.fr/actualite/etsi-nous-reinventions-enfin-notre-education_1660973.html
13
Les lois Jules Ferry sont une série de lois sur l'école primaire votées en 1881-1882 sous la Troisième
République, qui rendent l'école gratuite (1881), l'instruction obligatoire et l'enseignement public laïc (1882)
14
Christophe Chenebault « Et si nous réinventions enfin notre éducation » http://www.lexpress.fr/actualite/etsi-nous-reinventions-enfin-notre-education_1660973.html
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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sans causer une véritable révolution.
Dans un premier temps, nous nous attacherons à définir le rite, les rituels et leurs fonctions par un
éclairage de l'ethnologie, de l'anthropologie et de la sociologie, puis nous montrerons que l'école
est une institution profondément ritualisée mais cela, souvent au détriment des principes
fondamentaux de notre République que sont « liberté, égalité, fraternité ».
Enfin, nous verrons en quoi une ritualisation différente de l'école peut être au service d'une autre
façon d'envisager l'éducation et, par conséquent, de permettre l'avènement de citoyens libres,
responsables et créatifs.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
9
RITUEL, RITE ET RITE DE PASSAGE
L'éclairage de l'ethnologie, l'anthropologie et de la sociologie
En abordant le champ du rituel, nous pénétrons dans ce qui a été pendant longtemps le domaine
exclusif des sciences humaines et plus particulièrement de l'ethnologie, de l'anthropologie et de la
sociologie.
Les recherches de J. G. Frazer, A. Van Gennep, E. Durkheim, M. Mauss, Claude Lévi-Straus et Pierre
Bourdieu, nous ont guidées dans ce travail.
1) Rituel et rite - De la difficulté à les définir
a – D’après le dictionnaire
Avant toute chose, il nous faut nous attacher à définir ce que sont rites et rituels qui, comme nous
l'avons vu, servent à qualifier un nombre croissant de nos comportements sociaux sans qu'aucune
définition claire n'émerge. C'est la raison pour laquelle M. Ségalen écrit : « une des caractéristiques
majeures du rite est sa plasticité, sa capacité à être polysémique, à s'accommoder du changement
social. De sorte que les divers auteurs qui se sont emparés du sujet ont donné leur définition du rite
en le tirant vers leurs champs de recherche de prédilection. »15. En effet, même s'ils représentent un
domaine de recherche pour de nombreuses disciplines scientifiques, il n'existe pas de définition ni
de théorie communément admise par la recherche internationale.16
Le Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie (1992) nous apprend que : « Le rite s'inscrit
dans la vie sociale par le retour des circonstances appelant de son effectuation. Il se caractérise par
des procédures dont il implique la mise en œuvre afin d'imposer sa marque au contexte que son
intervention même contribue à définir. »17
Quant au Larousse, voici les définitions que l'on peut trouver sur sa version en ligne :
Rituel :
 Gestes, symboles, prières formant l'ensemble des cérémonies d'une religion.
 Dans l'Église latine, livre liturgique contenant les rites accomplis par le prêtre, notamment
lors de la célébration des sacrements.
 Ensemble d'actes, de paroles et d'objets, codifiés de façon stricte, fondés sur la croyance en
l'efficacité d'entités non humaines et appropriés à des situations spécifiques de l'existence.
 Ensemble des règles et des habitudes fixées par la tradition : le rituel des rentrées scolaires18.
15
Segalen Martine, Rites et rituels contemporains, Nathan, Paris, 1998, page 5
Wulf Christoph et Gabriel Nicole, « Introduction » Rituels. Performativité et dynamique des pratiques sociales », in
Hermès, La Revue, 2005/3 n° 43, pages 9-20
17
P. Bonte et M. Izard Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Presse Universitaire de France, 1992
18
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rite
16
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
10
Rite :
 Ensemble des règles et des cérémonies qui se pratiquent dans une Église particulière, une
communauté religieuse : le rite romain, le rite oriental.
 Règles fixant le déroulement d'une célébration liturgique.
 Action accomplie conformément à des règles et faisant partie d'un cérémonial : rites de la
remise d'une décoration.
 Manière d'agir propre à un groupe social ou à quelqu'un, qui obéit à une règle, revêt un
caractère invariable : ses journées se déroulaient selon un rite immuable.
 Dans certaines sociétés, actes, cérémonies magiques à caractère répétitif, ayant pour objet
d'orienter une force occulte vers une action déterminée. (Le rite individuel consiste en
gestes, en paroles ou en attitudes. Il se manifeste collectivement par des chants, des danses
ou des cérémonies figées et souvent complexes)
 Branche particulière de la Franc-maçonnerie. [Chaque obédience pratique un ou plusieurs
Rites. Chaque Rite possède ses rituels et ses grades.] 19
b - Du domaine du sacré
Dans ces définitions, c'est avant tout le caractère sacré des rites et rituels qui est mis en avant,
même si on laisse entendre qu'ils peuvent être profanes.
Emile Durkheim, considéré comme le fondateur de la sociologie française, estime, à l'instar de
Blaise Pascal, que la religion se caractérise par la foi qui se nourrit de la pratique. Il associe les rites
à la religion, qui pour lui sont : « des manières d'agir qui ne prennent naissance qu'au sein des
groupes assemblés et qui sont destinés à susciter, à entretenir ou à faire renaître certains états
mentaux de ces groupes »20. Pour lui, la religion sépare le monde entre ce qui est sacré et ce qui est
profane, et réunit en une « communauté morale » ceux qui représentent le sacré afin qu'ils le
mettent en acte par le rite, conformément à la représentation commune.
Rites et rituels sont indispensables à l'avènement et à la pratique d'une religion, mais aussi à la
société et à toute vie collective, à la politique, à l'économie, à l'art et à la culture.21
c - Vecteurs de communication - La primauté du geste
Les rituels sont avant tout un vecteur de communication extrêmement puissant car ils vont
permettre la création d'ordre et de hiérarchie grâce à une action sociale commune. Celle-ci va
produire du sens, au-delà du discours et du langage, par une mise en scène des corps. C'est l'avis
de Claude Lévi-Strauss quand il dit : « Gestes et objets interviennent « in loco verbi », ils remplacent
des paroles. (…) Les gestes exécutés, les objets manipulés, sont autant de moyens que le rituel
s'accorde pour éviter de parler »22 . C'est donc bien le corps et par conséquent le geste qui vont
être déterminants dans l'exécution du rite, au détriment du verbe : « Comme il met en jeu le corps,
qui est tout ensemble son outil et sa matière, le rite se donne à nous un peu "comme une danse"
19
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rite
Durkheim. E., Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, Paris, Felix Alcan,
1912
21
Wulf Christoph et Gabriel Nicole, « Introduction » Rituels. Performativité et dynamique des pratiques sociales », in
Hermès, La Revue, 2005/3 n° 43, p. 9-20
22
Lévi-Strauss C., Mythologiques IV : l'homme nu, Paris, Plon, 1971
20
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
11
avec sa part de flou gestuel, de savoir-faire incorporé, de trajet improvisé.23». Il permet ainsi une
expérience physique et par conséquent une incarnation de ce qu'il véhicule, ce qui lui confère un
pouvoir immense au sein de la société. « On compte les rituels parmi les formes les plus efficaces
de la communication humaine. Les rituels sont des actions dans lesquelles la mise en scène et la
représentation du corps humain occupent le rôle central. »24
Ainsi, le savoir symbolique est partagé collectivement par une autoreprésentation de l'ordre social
permettant sa reproduction.
d - Garants de la hiérarchie et de l'ordre social
Si les rituels sont la condition d'existence de toute société, une de leurs fonctions les plus
prégnantes est bien d'ordonner le social. C'est pourquoi ils ont pour objectif l'exactitude et non la
vérité. Ils créent ainsi une forme singulière de la réalité, complètement codifiée, à laquelle tous les
participants vont adhérer.
« Les rituels diffèrent des formes purement langagières de communication, car ils constituent
des dispositifs sociaux dans lesquels il y a création d’ordre et de hiérarchie par le biais
d’une action sociale commune qui produit du sens. »25
Ils vont ainsi créer et garantir une hiérarchie qui structurera la société et qui aura pour
caractéristique de se perpétrer. Si la structure originelle de cette société est asymétrique, elle sera
reproduite sans qu'elle soit remise en question. Les rituels pourront alors être utilisés « à des fins
d'adaptation, de manipulation ou de contrainte. »26
La hiérarchie sera reconduite jusqu'à ce qu'on pourra appeler une crise, les révolutions en sont un
bon exemple : suite à une série de faits, la croyance dans le rite est rompu, la magie sociale ne
peut plus opérer, les personnes morales mandatées à l'exécution du rite sont déchues et le rite
devient obsolète. On notera que dans ce cas, il pourra disparaître ou bien être modifié. Mais quoi
qu'il arrive, il sera toujours remplacé. En effet, la Révolution Française a vu l'abolition des rites
monarchiques, mais ils ont aussitôt été remplacés par des rites républicains afin de stabiliser le
nouvel ordre social.
« Dans le schéma des social dramas, Turner insiste sur l'importance stabilisatrice de la phase
« redressive » (après une phase de rupture par rapport à des règles et de crise de la cohésion
sociale) avec le rituel comme élément capable de restaurer, par sa capacité de dramatisation et de
symbolisation, l'ordre social et de rétablir la position de l'individu dans la culture ou le cosmos. »27
Ce qui ne manque pas de nous étonner est de constater la difficulté à modifier en profondeur les
rites fondateurs d'une société. C'est ainsi qu'une république ayant succédé à une monarchie de
droit divin conservera toujours dans sa constitution les schèmes emblématiques de la monarchie
déchue. N'est-ce pas le cas dans de nombreuses démocraties dans lesquelles le pouvoir, s'il ne va
pas jusqu'à se transmettre de pères en fils, reste essentiellement la chasse gardée d'une « caste » ?
23
Fabre Daniel, « Le rite et ses raisons », in Terrain , 8 | avril 1987
24
Wulf Christoph et Gabriel Nicole, « Introduction » Rituels. Performativité et dynamique des pratiques sociales », in
Hermès, La Revue, 2005/3 n° 43, p. 9-20
25
Ibid.
26
Ibid.
27
Piette Albert, 1997, « Pour une anthropologie comparée des rituels contemporains. Rencontre avec des
"batesoniens" », Terrain, n° 29, pp. 139-150
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
12
Ne compare-t-on pas régulièrement la fonction présidentielle dans notre pays à celle du
monarque ?
L'intelligibilité des rituels d'aujourd'hui est soumise à la connaissance historique de la société à
laquelle ils appartiennent.
e - Produits de l'histoire et de la culture
Les rites et rituels sont en relation étroite avec l'histoire, dont ils sont le produit. En saisissant un
rite dans son présent, on lui confère immanquablement une dimension historique puisqu'il est luimême une façon de marquer le temps social, notamment par son caractère répétitif.
Cependant, le champ du rituel n'est jamais figé puisqu'il est sujet à modification, évolution,
changements, voire suppression. C'est ainsi que la loi concernant la séparation des Églises et de
l'État, adoptée en 1905, a été à l'origine de la suppression de nombreux rituels religieux qui
auparavant prenaient place dans l'espace public.
Dans son article « Le rite et ses raisons », Daniel Fabre28 mentionne une théorie moderne qui fait
état d'un « transfert de sacralité » faisant suite à l'exclusion de la religion de la position centrale
qu'elle occupait au sein de notre société. Certains rituels religieux auraient donc été remplacés par
d'autres moments de forte intensité collective comme le cérémonial politique comparé à une
« grand’messe » ordonnancée par un leader, le spectacle sportif avec ses prêtres et ses fidèles,
« les rassemblements de jeunes "fans" autour de la musique mettraient plutôt en œuvre la transe
mystique, la communion passant par le corps possédé au sein duquel serait descendue "l'idole" ellemême que l'on vénère comme un saint. »...
Quoi qu'il en soit, le champ rituel est sans aucun doute produit d'une culture :
« Comme les différentes formes d'art qui souvent lui sont associées ou y plongent leurs racines, les
rites sont des créations culturelles particulièrement élaborées exigeant l'articulation d'actes, de
paroles et de représentations de très nombreuses personnes, au long des générations. »29
f - Producteurs de magie sociale
Pour Marcel Mauss30, le rite appelle une « efficacité sui generis », c'est-à-dire une efficacité
différente de l'efficacité pratique de n'importe quelle autre action matérielle. C'est donc une
efficacité qui est comme mystique, comme provenant de « forces spéciales ».
Claude Lévi-Strauss, lui, avance que l'efficacité du rite est quelque chose de purement symbolique :
ce serait une sorte de placebo, il fonctionne parce que la société y croit. Peu importe si l'action du
chaman est bien à l'origine de la guérison du malade, et cela importe d'autant moins dans une
société où il y a adhésion totale à l'action du chaman.31
« Les procédures rituelles sont plus paradoxales que significatives, car le rite
se propose d'accomplir une tâche et de produire un effet en jouant de certaines pratiques pour capturer la
pensée, menée ainsi à « y croire », plutôt qu'à en analyser le sens. »32
28
29
Fabre Daniel, « Le rite et ses raisons », in Terrain, 8 | avril 1987
BONTE P. & M. IZARD (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1991
30
Marcel Mauss, Paul Fauconnet, article « Sociologie » extrait de la Grande Encyclopédie, volume 30, Paris, 1901
Levi-strauss. C, Anthropologie structurale, op. cit., Paris, Plon, 1958, Chap X « l’efficacité symbolique », p.211
32
BONTE P. & M. IZARD (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1991
31
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
13
Comme nous le détaillerons un peu plus loin, Pierre Bourdieu réaffirmera que c'est bien la
croyance de tous qui garantit l'efficacité du rite.
« Les lois de la physique sociale n'échappent qu'en apparence aux lois de la physique et le pouvoir
que détiennent certains mots d'ordre d'obtenir du travail sans dépense de travail -ce qui est
l'ambition même de l'action magique (3)- trouve son fondement dans le capital que le groupe a
accumulé par son travail et dont la mise en œuvre efficace est subordonnée à tout un ensemble de
conditions, celles qui définissent les rituels de la magie sociale. La plupart des conditions qui
doivent être remplies pour qu'un énoncé performatif réussisse se réduisent à l'adéquation du
locuteur -ou, mieux, de sa fonction sociale- et du discours qu'il prononce : un énoncé performatif
est voué à l'échec toutes les fois qu'il n'est pas prononcé par une personne ayant le "pouvoir" de le
prononcer, ou, plus généralement, toutes les fois que "les personnes ou circonstances particulières"
ne sont pas "celles qui conviennent pour qu'on puisse invoquer la procédure en question" ( 4), bref
toutes les fois que le locuteur n'a pas d'autorité pour émettre les mots qu'il énonce. Mais le plus
important est peut-être que la réussite de ces opérations de magie sociale que sont les actes
d'autorité ou, ce qui revient au même, les actes autorisés, est subordonnée à la conjonction d'un
ensemble systématique de conditions interdépendantes qui composent les rituels sociaux. »33
g - Et au quotidien ?
La ritualité est entrée dans le vocabulaire courant : l'usage fait qu'on parle de rite au quotidien
pour désigner toute manifestation collective un tant soit peu réglée et on a parfois du mal à s'y
retrouver.
La presse n'est pas en reste et décline rites et rituels à toutes les sauces. Alors, comment savoir si
les matchs de foot, la Cérémonie des Césars ou les courses hippiques sont des rites ?
« Bien sûr, si le terme rite est appliqué à toute activité un tant soit peu répétitive, on s'interdit de
lui donner une valeur opératoire s'agissant de nommer, de définir et de comprendre des
phénomènes particuliers. Mais faut-il pour autant rejeter ce que traduit le langage commun en
parlant de "vies ritualisées" ou de "rites de la vie quotidienne" ? Distinguons alors deux attitudes.
Ou bien on s'accorde sur une définition à la fois précise et complète du rite et l'on se demande si, en
toute rigueur, elle est applicable à certains aspects de notre vie quotidienne ; la réponse sera
négative car il manquera toujours un élément de la définition, celle-ci étant donnée au départ. Ou
bien on admet qu'il y a deux objets – le rite au sens fort du terme et une ritualité au quotidien – et
l'on se demande ce que les deux ont en commun ; je serais porté à croire que cette part commune
constitue l'essentiel de ce qu'est le rite. Il me semble donc, avec prudence, qu'il sera plus riche
d'explorer la deuxième voie, celle qui tente de répondre à la question : en quoi nos vies sont-elles
aujourd'hui ritualisées ? »34
Daniel Fabre, ethnologue, précise qu'il n'y a pas forcément une redéfinition du rite ni un usage plus
ou moins élargi qui naîtrait de l'observation et de l'analyse du présent, mais plutôt une série de
débats dont on pressent qu'ils touchent au cœur du projet anthropologique.35
Bourdieu P., « Le langage autorisé » [Note sur les conditions sociales de l'efficacité du discours rituel]. In : Actes de
la recherche en sciences sociales. Vol. 1, n°5-6, novembre 1975. La critique du discours lettré. pp. 183-190
34
Augé M. & D. Fabre, 1987, « D’un rite à l’autre. Entretien entre Marc Augé et Daniel Fabre », in Terrain, n° 8, pp. 71-76
33
35
Fabre Daniel, « Le rite et ses raisons », in Terrain , 8 | avril 1987
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14
« Du coup les régularités de la vie quotidienne, qui à elles seules ne suffisent peut-être pas à définir
un rite au sens fort, composent ici un ensemble où, pour chacun des présents il y a, sinon fusion, au
moins implication de l'histoire singulière dans l'histoire des autres. Lorsque ces effets de
convergence se manifestent pleinement, il me semble que nous sommes dans l'activité rituelle. »36
h - Le terrain de l'implicite
Ce qui souvent nous interpelle dans les pratiques rituelles, c'est leur « bizarrerie » : cet ensemble
de gestes exécutés dans un ordre précis, ainsi que les paroles prononcées, sont le résultat d'une
codification extrême qui rend complexe leur compréhension. L'opacité prédomine souvent à
l'exécution de rites, c'est pourquoi les entendre est pratiquement impossible sans en avoir les clefs,
sans exégèse du discours qui les a fondés. Mettons-nous à la place d'une personne qui n'aurait pas
lu la Bible et qui ne connaîtrait pas la religion chrétienne : il lui serait bien impossible de
comprendre, non seulement ce qui se joue lors de la communion chez les catholiques, mais aussi
pourquoi cela se joue-t-il ainsi ?
Les rituels s'appuient donc toujours sur un savoir d'origine si bien que « l'invention d'un rite
suppose la naissance jumelle du discours qui le fonde. »37 L'ethnologie a pendant longtemps
consacré son énergie à décrypter, décoder l'ensemble des gestes rituels afin de découvrir et mettre
à jour leur sens premier.
« Alors que par le faire et le dire rituels est opérée la concrétion particulière
d'un vaste réseau de relations symboliques dont la configuration doit échapper à ceux qui l'agissent :
l'efficacité du rite étant, peut-être, au prix de cette méconnaissance. »38
C'est en cela que le domaine du rituel nous apparaît comme celui de l'implicite, celui où l'on fait
davantage que l'on explicite. Mais alors, que penser de la théorie de J.L. Austin qui met à jour que,
dans certains cas, « dire c'est faire » ?
2) La performativité des rituels
Ce qui caractérise la plupart des rites est leur caractère performatif.
a - J.L. Austin et le langage : « Quand dire c'est faire »
L'idée majeure que développe J.L. Austin, philosophe anglais, est celle selon laquelle « dire
consiste à faire ». Par conséquent, le langage ne décrit pas seulement un état de fait qui peut être
juste ou faux, il n'est pas uniquement un énoncé constatif, il ne sert pas seulement à dire des
choses, mais aussi à en faire. Dans ce cas-là, on parle d'énoncé performatif ce qui créa « une petite
révolution dans l'appréhension du langage en conduisant à y repérer les effets propres qu'il
36
Augé M. & D. Fabre, 1987, « D’un rite à l’autre. Entretien entre Marc Augé et Daniel Fabre », in Terrain, n° 8, pp. 71-76
37
Fabre Daniel, « Le rite et ses raisons », in Terrain, 8 | avril 1987
38
Ibid., Daniel Fabre s'inspire ici de J. Contreras et J. Favret-Saada qui avancent cette hypothèse dans "La thérapie
sans le savoir", 1985, Les Actes
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produit, du fait même qu'il dit quelque chose, ou « en » disant, voire parfois en faisant « ce qu'il dit.
»39 .
Une énonciation est donc performative, lorsqu'elle ne se contente pas de décrire un état de fait
mais lorsqu'elle « fait » elle-même, par exemple « je le jure », « je déclare la séance ouverte » :
prononcer ces phrases consiste en l'accomplissement d'un acte. C'est encore plus évident dans
l’annonce « je vous déclare unis par les liens du mariage » où, grâce à ces paroles, les deux fiancés
passent du statut de célibataires à celui d'époux.
Toutefois, l'énonciation performative n'est valable que si les protagonistes ont respecté certaines
conditions, que J.L. Austin nomme « conditions de félicité ». En effet, pour pouvoir marier deux
personnes, il faut avoir respecté un protocole (publications des bancs), il faut que les protagonistes
soient célibataires et, surtout, que le locuteur soit investi du pouvoir de le faire (être maire ou
adjoint).
b - Pierre Bourdieu : « Le langage autorisé »
Pierre Bourdieu, quant à lui, insiste sur la nécessité de la réunion de certaines conditions sociales
pour garantir l'efficacité du discours rituel. Par conséquent, pour lui, le pouvoir des mots ne réside
pas dans les mots.
« Si, comme le remarque Austin, il est des énonciations qui n'ont pas seulement pour rôle de
"décrire un état de choses ou d'affirmer un fait quelconque", mais aussi d' "exécuter une action",
c'est que le pouvoir des mots réside dans le fait qu'ils ne sont pas prononcés à titre personnel par
celui qui n'en est que le "porteur" : le porte-parole autorisé ne peut agir par les mots sur d'autres
agents et, par l'intermédiaire de leur travail, sur les choses mêmes, que parce que sa parole
concentre le capital symbolique accumulé par le groupe qui l'a mandaté et dont il est le fondé de
pouvoir. »40
Le langage hérite donc son pouvoir du dehors et non pas de la substance proprement linguistique.
Il se contente tout au plus de manifester son autorité par une rhétorique caractéristique propre à
tous les discours d'institution et donc, en quelque sorte, stéréotypée. Les mots prononcés en de
telles circonstances sont finalement moins importants que tout ce qui peut faire la singularité d'un
discours et qui en l'occurrence aura lieu en marge de celui-ci. Dès lors, c'est bien la position sociale
du locuteur qui lui permet d'accéder à cette langue officielle et qui est déterminant dans la
performativité du rituel.
« On voit que tous les efforts pour trouver dans la logique proprement linguistique des différentes formes
d'argumentation, de rhétorique et de stylistique le principe de leur efficacité symbolique sont voués à l'échec
aussi longtemps qu'elles n'établissent pas la relation entre les propriétés du discours, les propriétés de celui
qui les prononce et les propriétés de l'institution qui l'autorise à les prononcer. »41
Pour Pierre Bourdieu, la limite de l'hypothèse de J.L. Austin réside dans le fait qu'au lieu de
contribuer à la philosophie du langage, elle propose une théorie d'une classe particulière de
manifestations symboliques dont les discours d'autorité (cours professoral, sermon...) font partie.
39
Ambroise Bruno, « Le Langage - J.L. Austin et le langage : ce que la parole fait » in Philopsis revue numériquehttp://www.philopsis.fr
40
BOURDIEU Pierre. « Le langage autorisé »[Note sur les conditions sociales de l'efficacité du discours rituel]. In: Actes
de la recherche en sciences sociales. Vol. 1, n°5-6, novembre 1975. La critique du discours lettré. pp. 183-190.
41
Ibid.
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Cependant, l'aspect performatif de ces manifestations symboliques réside avant tout dans les
« conditions institutionnelles de leur production et de leur réception ». Par conséquent, ces
moments extrêmement ritualisés nécessitent sans aucun doute une « liturgie » bien spécifique
(une forme avec ses codes précis qui prouve que le locuteur ne s'exprime pas en son nom), mais ce
n'est que la partie la plus visible de ceux-ci.
Ainsi, l'aspect fondamental pour que le rituel soit valide et efficace est de réunir les conditions qui
produisent sa reconnaissance : « Le langage d'autorité ne gouverne jamais qu'avec la collaboration
de ceux qu'il gouverne, c'est-à-dire grâce à l'assistance des mécanismes sociaux capables de
produire cette complicité, fondée sur la méconnaissance, qui est au principe de toute autorité. »42.
En effet, il dira dans « Les rites comme actes d'institution » (1982) : « La croyance de tous, qui
préexiste au rituel, est la condition de l'efficacité du rituel. On ne prêche que des convertis. Et le
miracle de l'efficacité symbolique disparaît si l'on voit que la magie des mots ne fait que déclencher
des ressorts — les dispositions — préalablement montés. »
On remarquera que le discours d'autorité n'a pas forcément besoin d'être compris pour être
efficace (l'exemple le plus parlant en est la messe en latin), il a juste besoin d'être reconnu comme
tel. C'est ce que le sociologue nommera « la disposition à la reconnaissance comme
méconnaissance et croyance, c'est-à-dire la délégation d'autorité qui confère son autorité au
discours autorisé.»43
Selon Pierre Bourdieu, l'erreur de J.L. Austin est d'avoir analysé des systèmes symboliques de
manière formaliste et ainsi d'être passé à côté de l'essentiel : l'autorité conférée au langage lors
des discours d'autorité n'est pas issue des propriétés intrinsèques de celui-ci, mais des « conditions
sociales de production et de reproduction de la distribution entre les classes de la connaissance et
de la reconnaissance de la langue légitime. »
Nous pourrions voir ici une remise en cause du système scolaire quant à sa faculté à donner accès
à tous à ce langage autorisé.
3) Les rites de passage
« L'expression « rite de passage » a été employée pour la première fois par A. Van Gennep (1909).
Selon lui, tout individu passe par plusieurs statuts au cours de sa vie et les transitions sont
fréquemment marquées par des rites diversement élaborés selon les sociétés. La naissance est
l'occasion du premier rite de passage. L'enfance peut être divisée ou non en plusieurs stades, mais
c'est l'accès à l'âge adulte qui est le plus souvent accompagné de rites, dits d'initiation. Le mariage
fait aussi partie des rites de passage... »44
En effet, Arnold Van Gennep, ethnologue de formation, propose dans son ouvrage, incontournable
pour quiconque s'intéresse aux phénomènes rituels, Les rites de passage - Etude systématique des
rites, une approche inédite par rapport à ses contemporains Tylor et Frazer.
Alors que ces derniers s'attachaient à inventorier les rites selon leur forme et leur contenu, Van
42
Ibid.
Ibid.
44
BONTE P. & M. IZARD (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France,
1991.
43
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Gennep a le génie de remarquer que, plus que leur contenu, c'est leur organisation et l'ordre dans
lequel les choses s'enchaînent qui importent le plus. Il va ainsi pouvoir comparer un très grand
nombre de rites.
Sa synthèse permet de mettre en lumière l'importance du motif spatial : pour lui, « chaque société
générale peut être considérée comme une sorte de maison divisée en chambres et couloirs », le
franchissement du seuil étant l'élément central.
Ainsi, les rites qui « accompagnent chaque changement de lieu, d'état, de position sociale et
d'âge » vont s'articuler de manière semblable avec trois phases bien distinctes : préliminaire
(l'individu se voit éloigné du groupe), liminaire (c'est la marginalisation à l'écart du groupe avec
parfois des rites d'inversion), et postliminaire (ou réintégration, incorporation à un nouvel état) qui
correspondent à la séparation d'avec l'état ou le lieu précédent, la marge (qui représente ce qu'il
ya entre les deux) et l'agrégation (soit l'accès au nouvel état ou au lieu).
L'ethnologue émet l'hypothèse que les rites de fécondité, de purification, les cérémonies de
mariage, les circoncisions, les fêtes calendaires, les baptêmes... ont pour fonction principale de
limiter les perturbations inhérentes à tout changement. Ils permettent donc de contenir, de
canaliser par l'accompagnement rituel de ces transitions.
Cependant, Arnold Van Gennep, en introduisant la notion de rite de passage, se focalise sur le
passage temporel mais ne propose pas d'analyse de sa fonction sociale.
4) Les rites d'institution selon Pierre Bourdieu
a - Importance de la ligne, du seuil
Pierre Bourdieu, quant à lui, va dégager la notion de rite d'institution ou de consécration, en
insistant sur l'importance de la signification sociale de la ligne (ou du seuil) et de son
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franchissement. Quelle est la fonction essentielle du rite de passage ? C'est de séparer ceux qui
l'ont subi de ceux qui ne l'ont pas encore subi ou de ceux qui ne le subiront jamais, afin de
permettre d'instituer une différence conséquente, voire essentielle, entre deux catégories de
personnes. Tandis que la notion de rite de passage allait dans le sens du phénomène qui est
d'attirer l'attention sur le passage en lui-même, parler de rite d'institution (au sens d' « institution
d'un héritier » par exemple) permet de ramener l'attention sur la ligne et de montrer qu'elle opère
une division fondamentale de l'ordre social.
b - Instituer des différences
Lors de son travail d'ethnologue en Algérie, à la suite de son service militaire, Pierre Bourdieu
étudiera entre autre les rites de circoncision en Kabylie, dont la fonction essentielle est moins de
marquer le passage à l'âge adulte des petits garçons que de les séparer de tout ce qui est de l'ordre
du féminin et de la mère.
« L'effet majeur du rite est celui qui passe le plus complètement inaperçu : en traitant
différemment les hommes et les femmes, le rite consacre la différence, il l'institue, instituant
du même coup l'homme en tant qu'homme, c'est-à-dire circoncis, et la femme en tant que femme,
c'est-à-dire non justiciable de cette opération rituelle. »45
Ainsi, le rite permet d'instituer des différences de nature sociale et de les faire passer pour des
différences de nature naturelle et, par la même occasion, d'opérer logiquement des oppositions
proprement sociales en les faisant passer pour des oppositions proprement cosmologiques :
l'homme est à la femme ce que le soleil est à la lune (P . Centlivres et L. de Heusch).
« Parler de rite d'institution, c'est indiquer que tout rite tend à consacrer ou à légitimer, c'est-à-dire
à faire méconnaître en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite
arbitraire ; ou, ce qui revient au même, à opérer solennellement, c'est-à-dire de manière licite et
extraordinaire, une transgression des limites constitutives de l'ordre social et de l'ordre mental qu'il
s'agit de sauvegarder à tout prix — comme la division entre les sexes s'agissant des rituels de
mariage. »46
c - « Enseigner la nage au poisson »
« Enseigner la nage au poisson », c'est ce que réalise, selon Pierre Bourdieu, le rite de passage, en
ce sens qu'il vient affirmer qu'un homme est un homme : dans ce cas-là, il y a bien une différence
préexistante mais, en traitant différemment les hommes et les femmes, le rite « consacre » la
différence, il l'institue. Par conséquent, cela permet d'affirmer l'identité masculine du plus petit et
du plus efféminé des hommes par rapport à la plus costaude et la plus masculine des femmes.
« Instituer, en ce cas, c'est consacrer, c'est-à-dire sanctionner et sanctifier un état de choses, un
ordre établi, comme fait, précisément, une constitution au sens juridico-politique du terme.
L'investiture (du chevalier, du député, du président de la République, etc.) consiste à sanctionner et
à sanctifier, en la faisant connaître et reconnaître, une différence (préexistante ou non), à la faire
45
Bourdieu Pierre. « Les rites comme actes d'institution ». In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 43, juin
1982. Rites et fétiches, pages 58-63
46
Ibid.
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exister en tant que différence sociale, connue et reconnue par l'agent investi et par les autres. Bref,
sous peine de s'interdire de comprendre les phénomènes sociaux les plus fondamentaux, et aussi
bien dans les sociétés précapitalistes que dans notre propre monde (le diplôme appartient tout
autant à la magie que les amulettes), la science sociale doit prendre en compte le fait de l'efficacité
symbolique des rites d'institution ; c'est-à-dire le pouvoir qui leur appartient d'agir sur le réel »47
d - L'institution, acte de magie sociale
Quand Pierre Bourdieu parle de magie sociale, il parle de ce qui permet d'obtenir du travail sans
dépense de travail, ce qui est pour lui l'ambition même de l'acte magique.
Ce qu'il est essentiel de retenir c'est que le rite d'institution possède une efficacité symbolique
implacable car, en agissant sur la représentation du réel, elle transforme le réel. C'est pourquoi
l'investiture d'un chevalier ou d'un président transforme le regard que porte la société sur eux et
par conséquent, son attitude envers eux. Les institués, à leur tour, se trouvent changés dans la
représentation qu'ils se font d'eux-mêmes de telle sorte qu'ils modifient leur attitude afin d'être
conformes aux représentations de ce qui est attendu de personnes de leur rang. Ainsi, les titres de
noblesse et les titres scolaires modifient durablement, non seulement la valeur des institués, mais
aussi l'étendue et l'intensité de la croyance en leur valeur.
«L'institution est un acte de magie sociale qui peut créer la différence ex nihilo ou bien, et c'est le
cas le plus fréquent, exploiter en quelque sorte des différences préexistantes, comme les différences
biologiques entre les sexes ou, dans le cas par exemple de l'institution de l'héritier selon le droit
d'aînesse, les différences entre les âges. »48
« Pourtant, la magie sociale parvient toujours à produire du discontinu avec le continu. L'exemple
par excellence est celui du concours, point de départ de ma réflexion : entre le dernier reçu et le
premier collé, le concours crée des différences du tout au rien, et pour la vie. L'un sera
polytechnicien, avec tous les avantages afférents, l'autre ne sera rien. »49
e - « Deviens ce que tu es »
Comme nous l'avons observé précédemment, le rite d'institution fait d'un homme un homme,
mais plus insidieusement ordonne à l'homme d'être un homme. En ce sens, il lui signifie non
seulement son identité, mais il la lui impose. C'est un impératif et l'institué devra donc se
comporter en conséquence, soit « tenir son rang ». Ce qui a constitué à un moment son privilège
devient donc son devoir. « L'essence sociale est l'ensemble de ces attributs et de ces attributions
sociales que produit l'acte d'institution comme acte solennel de catégorisation qui tend à produire
ce qu'il désigne. »50
C'est pourquoi l'héritier (ou le brigand, voire le cancre) qui a été désigné va être reconnu et traité
comme tel par l'ensemble du corps social, et ce traitement distinctif «ne peut que l'encourager à
réaliser son essence, à vivre conformément à sa nature sociale. »51.
47
48
49
50
51
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
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« Deviens ce que tu es». Telle est la formule qui sous-tend la magie performative de tous les actes
d'institution. L'essence assignée par la nomination, l'investiture, est, au sens vrai, un fatum (ceci
vaut aussi et surtout des injonctions, parfois tacites, parfois explicites que les membres du groupe
familial adressent continûment au jeune enfant et qui varient dans leur intention et leur intensité
selon la classe sociale et, à l'intérieur de celle-ci, selon le sexe et le rang dans la phratrie). Tous les
destins sociaux, positifs ou négatifs, consécration ou stigmate, sont également fatals —je veux dire
mortels — parce qu'ils enferment ceux qu'ils distinguent dans les limites qui leur sont assignées et
qu'ils leur font reconnaître. »52
Cet effroyable postulat nous amène d'autant plus à nous interroger lorsque l'on découvre qu'une
autre des fonctions de l'acte d'institution est de décourager voire d'empêcher la transgression, le
passage de la frontière sacrée : Owen Lattimore disait que la muraille de Chine n'avait pas
uniquement pour fonction d'empêcher les étrangers d'entrer en Chine, mais aussi celle de
décourager les chinois d'en sortir.
« La stratégie universellement adoptée pour récuser durablement la tentation de déroger, consiste
à naturaliser la différence, à en faire une seconde nature par l'inculcation et l'incorporation sous
forme d'habitus. »53
f - L'habitus, renfort du rite d'institution
Pierre Bourdieu définit l’habitus comme des « structures structurées prédisposées à fonctionner
comme structures structurantes »54. L’habitus est structure structurée puisqu’il est produit par
socialisation ; mais il est également structure structurante car générateur d’une infinité de
pratiques nouvelles.
Les pratiques ascétiques, ainsi que les souffrances corporelles et psychologiques endurées dans de
nombreux rites d'initiation, ressortissent à la production d'une catégorie d'agents supérieurs, hors
du commun. Parmi elles, le sociologue fait référence aux pratiques communes à ceux qui
composeront l'élite de notre pays, comme l'apprentissage de langues mortes, l'enfermement dû
aux études prolongées. Cela nous permet de mieux comprendre pourquoi la proposition de Najat
Vallaut Belkacem (dans son projet de réforme du collège) de supprimer l'option grec ou latin,
(réservée à l'élite) au profit d'un cours de « Langues et cultures de l'Antiquité » (destiné au plus
grand nombre) a été rejetée en masse.
« Tous les groupes confient au corps, traité comme une mémoire, leurs dépôts les plus précieux, et
l'utilisation que les rites d'initiation font, en toute société, de la souffrance infligée au corps se
comprend si l'on sait que, comme nombre d'expériences psychologiques l'ont montré, les gens
adhèrent d'autant plus fortement à une institution que les rites initiatiques qu'elle leur a imposés
ont été plus sévères et plus douloureux. Le travail d'inculcation à travers lequel se réalise
l'imposition durable de la limite arbitraire peut viser à naturaliser les coupures décisoires qui sont
constitutives d'un arbitraire culturel — celles qui s'expriment dans les couples d'oppositions
fondamentales, masculin/féminin, etc. —, sous la forme du sens des limites qui incline les uns à
tenir leur rang et à garder les distances et les autres à se tenir à leur place et à se contenter de ce
qu'ils sont, à être ce qu'ils ont à être, les privant ainsi de la privation elle-même. »55
52
Ibid.
Ibid.
54
Bourdieu Pierre Le Sens pratique, Editions de Minuit, Paris, 1980, page 88
55
Bourdieu Pierre. « Les rites comme actes d'institution ». In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 43, juin
1982. Rites et fétiches. pp. 58-63
53
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L'habitus peut aussi tendre à inculquer des préférences et par conséquent participer en
l'élaboration de « goûts de classe ». Ainsi, les patrons de commerces et d'industrie seront plus
enclin à pratiquer l'équitation, la chasse et à boire du champagne, tandis que les professions
libérales pratiqueront le tennis et le golf et boiront du whisky, et les ouvriers, le foot, la belote et le
vin rouge. (cf. annexe 1).
Tous les agents seront donc porteurs de signes distinctifs comme des signes extérieurs tels les
uniformes, les galons, les insignes, la coiffure, les vêtements mais aussi et surtout les signes
incorporés ou ce que l'on pourrait appeler les manières (de parler, de se tenir, de marcher, de
manger...) sont autant de pratiques destinées intentionnellement ou non à signifier la position
sociale : elles correspondent à une sorte de rappel à l'ordre.
g- Les « stratégies de condescendance »
« La puissance du jugement catégorique d'attribution que réalise l'institution est si grande qu'elle
est capable de résister à tous les démentis pratiques. On connaît l'analyse de Kantorovitch à propos
des «deux corps du roi» : le roi investi survit au roi biologique, mortel, exposé à la maladie, à
l'imbécillité ou à la mort. De même, si le polytechnicien se révèle nul en mathématiques, on
pensera qu'il le fait exprès ou qu'il a investi son intelligence dans des choses plus importantes. Mais
la meilleure illustration de l'autonomie de l'« ascription » par rapport à l'« achievement »— on peut
bien évoquer, pour une fois, Talcott Parsons —, de l'être social par rapport au faire, est sans doute
fournie par la possibilité de recourir à des stratégies de condescendance qui permettent de pousser
très loin le démenti de la définition sociale sans cesser pourtant d'être perçu à travers elle. J'appelle
stratégies de condescendance ces transgressions symboliques de la limite qui permettent d'avoir à
la fois les profits de la conformité à la définition et les profits de la transgression : c'est le cas de
l'aristocrate qui tape sur la croupe du palefrenier et dont on dira «II est simple», sous-entendu, pour
un aristocrate, c'est-à-dire un homme d'essence supérieure, dont l'essence ne comporte pas en
principe une telle conduite. »56
Pierre Bourdieu insiste ensuite sur le fait que le comble, le privilège des privilèges pour ces
institués, consiste à prendre des libertés avec leurs privilèges et se permettre ainsi des choses
interdites. Sûrs de leur identité culturelle, ils vont pouvoir jouer avec les règles sociales et ainsi
s'enorgueillir d'aimer des choses qui ne conviennent pas à leur classe habituellement. Ce qui sera
absolument impossible par exemple pour les petits bourgeois, « condamnés à l'hypercorrection ».
Pour conclure cette partie, nous dirons qu'en substituant la notion de rite d'institution ou de
consécration à celle de rite de passage, Pierre Bourdieu insiste sur la mise en évidence du pouvoir
des autorités qui l’instaurent. Le rite ne fait pas passer, mais sanctionne, sanctifie le nouvel ordre
établi. Avec ce concept, il met en lumière la nécessité d’une instance de légitimation. Qu’il institue
ou qu’il fasse passer, le rite ne peut être auto-administré, il lui faut une autorité supérieure.
Nous allons à présent nous intéresser à une théorie surprenante, mais qui n'en demeure pas moins
implacable. Elle pourrait nous permettre de comprendre l'émergence des pratiques rituelles dans
les sociétés humaines.
56
Ibid.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
22
5) L'unité de tous les rites selon René Girard57
René Girard, philosophe, propose au travers de son œuvre une théorie unitaire qui a pour vocation
d'expliquer le fonctionnement et le développement des sociétés humaines. Il est amené à se
questionner sur la gestion de la violence dans les sociétés humaines archaïques, et à découvrir
quels sont les mécanismes de défense mis en place afin de leur éviter l'autodestruction qui les
menace.
a - Le désir mimétique
C'est en exerçant la profession de professeur de littérature française aux Etats-Unis dans les années
50 que René Girard met en exergue le fait que les personnages créés par les grands écrivains de la
littérature agissent de manière similaire et en tous cas semblent régis par les mêmes mécanismes
comportementaux. Dans Mensonge romantique et Vérité romanesque (1961), il va démontrer qu'à
l'origine de toute violence il y a le désir mimétique. (Le désir est à distinguer du besoin ou du
simple appétit, et c'est en cela que le philosophe le qualifie de métaphysique, car lui n'est jamais
assouvi.)
Le désir mimétique consiste à désirer ce que l'autre possède, non pas parce que ce que l'autre
possède est éminemment désirable et digne d'un intérêt incomparable, mais uniquement parce
que le simple fait qu'un autre le possède le rend désirable. Cet état de fait est à l'origine de
pulsions incontrôlables qui mènent à une violence irrépressible.
Cette théorie postule que tout désir est en réalité mimétique, et donc une simple imitation
(mimésis) du désir de l'autre. En conséquence, le désir fonctionne de manière triangulaire, il n'est
pas direct mais indirect puisqu'il passe par un modèle (médiateur). Ce modèle apparaît alors
transcendé car il semble désirer par lui-même. À travers l'objet du désir, c'est bien le médiateur qui
attire et fascine. Cette théorie est élaborée grâce aux romans de Stendhal, Proust ou Dostoïevski
que René Girard étudie dans Mensonge romantique et Vérité romanesque (1961).
b - Du désir mimétique à la violence généralisée
Selon René Girard, le désir mimétique va déclencher des conflits en chaîne et conduire à la
violence généralisée. C'est-à-dire que la rivalité engendrée par le désir mimétique entre le sujet
désirant et son modèle va demeurer insoluble car l'objet désiré n'est généralement pas
partageable. Le modèle se transforme alors en obstacle et devient la figure à abattre.
Mais les choses ne s'arrêtent pas là car cette violence ne va pas rester l'apanage de quelques
individus isolés. En effet, comme Aristote l'a remarqué, l'homme est l'espèce la plus apte à
l'imitation, ce à quoi il doit ses extraordinaires capacités d'apprentissage, mais aussi la rapidité
avec laquelle la rivalité mimétique va pouvoir se développer. La violence est contagieuse et va
s'étendre telle une traînée de poudre car si deux personnes désirent la même chose, il y en aura
bientôt dix, puis cent... Alors que bientôt l'objet du désir sera sans doute oublié, on sera entré dans
le conflit mimétique, où la violence engendre la violence par le mécanisme de la vengeance. Cela
va conduire au chaos, ce que Hobbes appelle « la guerre de tous contre tous » : si rien n'est fait,
c'est la destruction sociale généralisée. Mais alors, comment faire pour résoudre cette crise
mimétique afin de rétablir la paix ?
57
Girard René, La violence et le sacré, Paris, Edition Bernard Grasset, 1972
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
23
c - Le bouc émissaire, rempart contre la violence
Après avoir entrepris de lire la littérature ethnologique et les mythes ancestraux, René Girard va
développer une nouvelle hypothèse en reliant le paroxysme de la violence à l'apparition du sacré
par le mécanisme de la victime émissaire dans son ouvrage majeur : La violence et le sacré (1972).
Ainsi, le « tous contre tous » va se transformer en « tous contre un » : la violence va être
neutralisée par le sacrifice d'une victime, c'est le « bouc émissaire ».
Cette hypothèse va à l'encontre d'une idée reçue : celle qui postule que le sacrifice sert à apaiser la
colère des Dieux ou bien à éprouver la foi des croyants. Pour le philosophe, le sacrifice serait une
affaire humaine. Si les hommes peuvent aller jusqu'à sacrifier un de leurs semblables, ce n'est pas
pour une quelconque divinité, mais pour enrayer la violence qui frappe leur groupe et qui les
menace d'extinction. C'est bien de la survie.
La société primitive va alors se choisir une victime qui va permettre d'expulser cette violence
intestine, en recueillant en elle-même toute l'agressivité afin de soigner le mal de manière durable.
Ce sacrifice permettra de faire retomber subitement la violence et la victime, après avoir fait
l'unanimité contre elle, se verra divinisée, elle deviendra celle par qui le miracle arrive : la paix
retrouvée. C'est ainsi que cette victime émissaire pourra être remobilisée de manière symbolique
chaque fois qu'il y aura menace de replonger dans le chaos : c'est la naissance de l'acte religieux et
de ses rites.
Le sacrifice de victimes symboliques fortement ritualisé se reproduira à chaque crise mimétique
comme répétition de l'événement originel afin rétablir l'ordre, et ce de façon magique.
« Tout rituel religieux sort de la victime émissaire et les grandes institutions humaines, religieuses
et profanes, sortent du rite. Nous l'avons constaté à propos du pouvoir politique, du pouvoir
judiciaire, de l'art de guérir, du théâtre, de la philosophie, de l'anthropologie elle-même. Et il faut
bien qu'il en soit ainsi puisque le mécanisme même de la pensée humaine, le processus de
« symbolisation » s'enracine lui-même dans la victime émissaire. Si aucune de ces démonstrations,
à elle seule, n'est probante, leur convergence est impressionnante. D'autant plus impressionnante,
en vérité, qu'elle coïncide presque exactement avec le dire des mythes d'origine les plus naïfs en
apparence, ceux qui font sortir du corps même de la victime originelle toutes les plantes utiles à
l'homme, toutes les nourritures, aussi bien que les institutions religieuses, familiales et sociales. La
victime émissaire, mère du rite, apparaît comme l'éducatrice par excellence de l'humanité, au sens
étymologique du terme é-ducation. Le rite fait sortir les hommes peu à peu du sacré ; il leur permet
d'échapper à leur violence, il les éloigne de celle-ci, leur conférant toutes les institutions et toutes
les pensées qui définissent leur humanité. »58
58
Ibid. page 458-459.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
24
L’ECOLE DE LA REPUBLIQUE :
Liberté, égalité, fraternité ?
«Mais, pour autant que je m'en souvienne, le bonheur des élèves ne semblait pas beaucoup préoccuper
l'école que j'ai connue. L'école élémentaire était scandée par l'immobilité et le silence de la classe, par les
défoulements de la cour de récréation et, à l'exception de quelques très bons élèves, chacun savait bien qu'il
ne serait jamais à la hauteur des attentes du maître. L'humiliation des plus faibles participait de la nature
des choses et le bonheur scolaire ne pouvait naître que de la stabilité des règles, de la répétition des rites et
des gratifications parcimonieuses que distribuaient les instituteurs. »
François Dubet Sociologue 59
Dans ce chapitre, nous nous attacherons à montrer que notre école est un lieu profondément
ritualisé, mais que cette ritualité n'est pas au service de la devise de notre République : « Liberté,
Egalité, Fraternité ». Cette dernière figure dans l'article 2 de la Constitution Française de 1958. Elle
trouve son fondement dans l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789. Malheureusement, nous serons même dans l'obligation d'affirmer qu'au contraire, les
rites et rituels de l'école font obstacle à l'accomplissement de ces valeurs essentielles à notre
démocratie. Ce paradoxe mis à jour nous amènera à nous questionner sur la puissance du rite de
passage qu'est l'école traditionnelle, qui ne peut évoluer sans l'adhésion de la société toute
entière.
1) Liberté
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits
naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société
la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »
(Article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme)
« La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu
par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. »
(Article 5 de la Déclaration des Droits de l'Homme)
Par conséquent, dans notre pays, la liberté des individus est totale en dehors de ce qui est prescrit
par la Loi. Mais alors, qu'en est-il au sein de notre école ?
a - L'école caserne
Nous avons conscience de frapper fort en reprenant ce titre, mais force est de constater que les
59
Meirieu Philippe Le plaisir d'apprendre, Paris, Edition Autrement, 2014, page 68
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
25
écrits les plus frappants autour de la question du rituel scolaire sont sans concession. Il est sans
doute nécessaire de sortir du cadre afin d'entendre certains points de vue, mais les comparaisons
faites sont saisissantes.
De Célestin Freinet à Michel Foucault en passant par Fernand Oury, nombreux sont ceux qui ont
comparé l'école à l'univers carcéral.
« ... Pire encore, « nous rendons nos enfants bêtes en les parquant dans des étables étroites, sans
air ni lumière [...]. Nous les rendons bêtes parce que nous réprimons brutalement toutes tentatives
d'émancipation [...]. Mais nous sommes excusables, car notre but n'est point d'éduquer nos enfants
ni de les rendre intelligents, mais seulement de les dresser à subir et à accepter, à désirer même la
loi du troupeau et de la servitude60 » explique Freinet dans un ouvrage où il n'hésite pas à comparer
nos écoles à des élevages de poules, voire à des camps de concentration61, où il évoque les « geôles
de jeunesse captive »62 et dénonce le « laminoir » et l' « encasernement»... avant d'affirmer qu'on
pourrait graver aujourd'hui sur la porte des écoles l'inscription que Dante lisait aux portes de l'enfer
: « Laissez ici toute espérance ». »63
Le tableau que dresse Célestin Freinet peut sembler caricatural, mais il a l'intérêt de provoquer un
sursaut de lucidité chez le lecteur et permet ainsi de ne pas laisser indifférent.
Avec son livre intitulé Chronique de l'école caserne, c'est Fernand Oury, le fondateur de la
pédagogie institutionnelle, accompagné de Jacques Pain, qui compare les écoles à des
établissements militaires. Puis Michel Foucault en 1975, dans Surveiller et punir, évoque le
« redressement des corps humains » auquel l'école comme d'autres institutions procèdent afin de
conduire au « redressement moral ». Pour lui, l'organisation du temps et de l'espace scolaire
relève d'un type de pouvoir disciplinaire, dont la prison serait le modèle exemplaire.
Guy Vincent mettra en lumière le rapport du corps à l'espace dans le système scolaire : se tenir
droit, se mettre en rangs, demeurer immobile et silencieux, rester à sa place. Cela relève d'un
quadrillage de l'espace qui dresse les corps et vise à discipliner les « âmes » ainsi qu'à réduire à des
unités contrôlables, la multitude d'une foule.64
60
61
62
63
64
Freinet C., Les dits de Mathieu , page 61
Ibid., pages 63 et 64
Ibid., page 65
Meirieu Ph., « Freinet et les sciences de l'éducation : des rencontres, des questions, une espérance »
Vincent G. L'École primaire française. Étude sociologique, Lyon, Presses universitaires de Lyon ; Paris, Éd. de la
Maison des sciences de l'homme, 1980
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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Nous sommes bien là dans le cas d'une ritualité aliénante, édifiée au profit d'une pseudo cohésion
sociale. Tout est fait pour conserver l'ordre établi ainsi que sa hiérarchie, au détriment des
aspirations des individus.
Et Philippe Perrenoud d'ajouter en 1994 :
« Les élèves partagent -avec les prisonniers, les militaires, certains individus internés ou les
travailleurs les plus démunis- la condition de ceux qui n'ont, pour se défendre contre le pouvoir de
l'institution et de leurs chefs directs, guère d'autres moyens que la ruse, le repli sur soi, le fauxsemblant. Penser d'abord à tirer son épingle du jeu, adopter des stratégies qui garantissent la
survie et une certaine tranquillité, c'est humain. Mais l'exercice intensif du métier d'élève peut aussi
entraîner des effets pervers : ne travailler que pour la note, construire un rapport utilitariste au
savoir, au travail, à l'autre. »65
Ce qui ressort de la fréquentation assidue du milieu scolaire (entre 25 et 35 heures par semaine
durant de nombreuses années), c'est qu'elle a pour conséquence de modeler nos enfants afin d'en
faire, selon la version officielle, des citoyens. Cependant, Jackson, dans son livre Life in
Classrooms66, démontre qu'il y a bien un curriculum caché, et qu'en dehors des programmes
enseignés, les élèves apprennent génération après génération des choses qui ne sont pas
spécifiées par l'institution.
Eggleston67, en s'inspirant de Jackson, identifiera sept types d'apprentissages favorisés par le
fonctionnement de l'école : apprendre à vivre dans une foule, apprendre à tuer le temps (l'ennui),
apprendre à se prêter à l'évaluation d'autrui (pas seulement celle du maître mais aussi celle de ses
camarades), apprendre à satisfaire aux attentes du maître et de ses camarades afin d'obtenir leur
estime ou toute autre récompense, apprendre à vivre dans une société hiérarchisée et stratifiée,
donc à vivre comme normales et légitimes l'inégale distribution du pouvoir et l'existence
d'individus ou de groupes de statuts différents, apprendre à influencer le rythme du travail et à
développer des stratégies de diversion et, enfin, apprendre à vivre en groupe restreint.
Dès lors, on comprend bien l'importance de la forme que prendra le rituel scolaire car il aura des
conséquences indélébiles sur les êtres. Chaque choix opéré favorisera la fabrication de tel ou tel
type d'individu, mais aussi et surtout garantira l'efficacité rituelle : la performativité.
« Entre les sciences morales et physiques s'étend le domaine intermédiaire des sciences de la vie où l'on n'a
permis à la liberté de recherche de s'exercer qu'à contrecoeur et sous la pression de fait accompli. Bien que
l'histoire passée ait démontré la possibilité d'augmenter et de garantir le bien de l'humanité quand on se fie
aux compétences acquises dans le processus même de la recherche, la théorie de « l'autorité » délimite un
domaine sacré de la vérité qu'il faut préserver de tout risque de variation des croyances. Dans le domaine de
l'éducation, il se peut que l'on n'insiste pas sur la vérité éternelle, mais l'accent est mis sur l'autorité du
maître et du livre et l'on décourage la diversité individuelle. »68
En d'autres termes, l'école n'a pas pour mission première d'encourager la singularité et
l'originalité, mais bien de conformer afin d'unifier la nation ; et c'est ce qu'elle va faire par la mise
en place d'une ritualisation minutieuse.
65
66
67
68
Perrenoud Ph. Métier d'élève et sens du travail scolaire, ESF éditeurParis 1995, page 15
Jackson Ph. W. Life in classrooms, New York, Holt, Rinehart et Winston, 1968
Eggleston J. The Sociology of the school Curriculum, Londres, Routledge et Kegan, 1977
Dewey J. Démocratie et éducation 1990 (rééd) p. 374-375
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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b - La ritualisation garantit l'ordre scolaire69
« Les tenants de cette dernière position conçoivent les « rituels » comme des dispositifs incarnés,
dont le caractère performatif crée les communautés et leur permet de régler leurs conflits. Par le
biais de l’action rituelle, les institutions inscrivent leurs objectifs, les valeurs et les normes sociales
dans les corps. Il se constitue ainsi un savoir rituel pratique qui est un présupposé de la
performativité de l’action rituelle. Ce savoir permet de se comporter de manière adéquate dans les
institutions. »70
À l'école, la première fonction de la ritualisation sera de garantir l'ordre scolaire, c'est ainsi que les
enfants devront apprendre leur « métier d'élève »71 afin qu'opère la magie performative.
« Dans son corps, dans sa parole, dans les tâches qu'il accomplit, l'élève est ainsi requis à une
attitude constamment performative par laquelle il doit afficher qu'il fait bien son métier d'élève,
au double sens du terme : à la fois qu'il répond au rôle qu'on attend de lui, qu'il y conforme son
image et en manifeste les signes, et qu'il donne satisfaction dans le travail d'acquisition et de
restitution des connaissances que réclame de lui chaque «discipline» scolaire. »72
Dans le milieu scolaire, la ritualité est avant tout mise en place pour garantir l'ordre scolaire, fondé
sur une stricte organisation de l'espace, du temps et d'une définition précise des rôles et des
places de chacun. L'emploi du temps n'en est-il pas la pièce maîtresse ? Le temps est découpé,
mesuré, organisé afin d'être rentabilisé au mieux, rien n'est laissé au hasard, pas de place pour
l'imprévu. Dès leur plus jeune âge, les enfants se voient imposer un découpage millimétré de leurs
journées et c'est encore plus évident au collège avec certains cours d'une durée de cinquante-cinq
minutes dans lesquelles il faudra être efficace, ne pas se poser de questions, ne pas s'éloigner de la
ligne didactique du professeur sous peine de ne pas « boucler le programme » en fin d'année.
L'espace scolaire est lui aussi délimité et organisé, chacun occupant une place déterminée dans un
lieu soumis à des règles souvent très strictes. A l'instar des lieux de culte, certains espaces seront
interdits aux élèves, d'autres seront accessibles sous certaines conditions ou à des moments
définis, il ne sera pas possible de circuler librement dans les couloirs. C'est ainsi que rien ne leur
permettra de s'approprier les lieux, d'en faire « leur établissement ».
Il en sera de même pour la classe (à part en maternelle), dont les espaces seront régis de manière
précise : la position centrale sera réservée à l'enseignant, les élèves n'auront parfois même pas le
choix de leur placement, du camarade à côté duquel ils seront assis et leur mobilité sera réduite au
minimum. Ils devront demander l'autorisation pour se lever ou aller aux toilettes.
La prise de parole sera soumise à de fortes restrictions et sera assujettie à un usage protocolaire
clairement défini (les élèves devront demander la parole pour y accéder, le plus souvent en levant
le doigt). Les échanges seront la plupart du temps unilatéraux, c'est-à-dire de maître à élève.
Les gestes et les actions des élèves devront nécessairement être tournés vers l'accomplissement du
69
Marchive A., « Le rituel, la règle et les savoirs Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », in Ethnologie
française, 2007
70
Wulf C. et Gabriel N., « Introduction » Rituels. Performativité et dynamique des pratiques sociales », in Hermès, La
Revue, 2005/3 n° 43, p. 9-20
71
Perrenoud Ph., Métier d'élève et sens du travail scolaire, ESF éditeur Paris, 1995
72
Delory-Momberger Christine, « Espaces et figures de la ritualisation scolaire », in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43,
p.87-92
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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rituel scolaire. Ils devront s'acquitter des gestes (attention, participation) et des tâches (leçons,
exercices, devoirs) par lesquels se manifeste la participation au rituel et s'évalue la capacité de
chacun à rendre compte de ce qu'il a appris et de ce qu'il sait dans les formes instituées de la
culture scolaire.73
« Une importante fonction des rituels consiste à marquer la séparation des temps et des espaces en
instituant notamment les limites entre l'école et la maison. L. Garcion-Vautor (2003) montre ainsi
comment les «rituels du matin», à l'école maternelle, centrés sur l'appel et l'énoncé de la date,
réinstituent quotidiennement les enfants en élèves en rappelant les règles de comportement, de
concentration, de prise de parole et en signifiant l'entrée dans l'écrit et dans les activités
scolaires. »74
Dans l'institution scolaire, les dispositions générales qui règlent la vie collective de ses usagers
seront minutieusement organisées avec un règlement intérieur, des textes officiels et des
programmes, afin de permettre aux modes d'action qui y sont développés d'être mis en place
(cours, contrôles, examens).
Il est clair que, dans ces conditions, la liberté des élèves est considérablement restreinte. Ces
derniers passent ainsi du cocon familial à un lieu étranger, pas toujours accueillant, contraignant,
où le règne de l'adulte est institué. Le rituel s'attache davantage à affirmer l'autorité de
l'enseignant qu'à prendre en compte les besoins physiologiques des enfants et à instaurer des
conditions favorables à leur épanouissement.
« La participation au rituel se marque d'abord dans les corps et dans le rapport des corps à l'espace
scolaire. La salle de classe, en particulier, est un espace extrêmement contraint où sont fixés de
manière précise les postures, les attitudes, les déplacements (contraintes qui peuvent à l'évidence
connaître des variations et des modulations selon les systèmes d'éducation et les styles
pédagogiques). L'espace de la classe est un espace orienté et valorisé, où sont délimités des
territoires (celui des élèves, celui de l'enseignant), où certains lieux et objets (le bureau de
l'enseignant, le tableau) sont surinvestis par le rituel scolaire. La transgression de la discipline
rituelle est très vite ressentie (se lever de sa chaise, se déplacer en dehors des autorisations et
prescriptions magistrales). La scolarisation des corps et de l'espace est une condition majeure de
l'ordre rituel scolaire. »75
En effet, dans notre système scolaire où priment l'acquisition de savoirs déconnectés de la réalité
ainsi que l'exécution d'exercices standardisés, la discipline et l'autorité sont nécessaires afin
d'éviter la dispersion des élèves et permettre de les contraindre à adhérer à la forme scolaire
traditionnelle.
«Dans l'école traditionnelle, la méthode d'instruction est largement autoritaire.
La discipline est cultivée en rendant les tâches difficiles et parfois désagréables. Le maître a donc assez
souvent à exercer la contrainte d'une manière ou d'une autre. »76
En conséquence, ce qui sera mis en valeur par l'enseignant dans le comportement de l'élève
relèvera de l'obéissance, de la soumission, de l'adhésion au rite.
73
Ibid.
Hatchuel Françoise, « Rituels d'enseignement et d'apprentissage », in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43, p.93-100
75
Delory-Momberger Christine, « Espaces et figures de la ritualisation scolaire »,in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43,
p.87-92
76
Dewey John
74
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
29
« La soumission et l'obéissance à sa parole sont des vertus scolaires plus
importantes que l'initiative et l'indépendance de l'élève. »77
Mais on peut se demander à qui profite ces vertus ? La réponse est sans aucun doute à l'adulte,
l'adulte qui a souvent du mal à supporter l'activité naturelle des enfants78, l'adulte qui s'irrite et
perd patience.
C'est alors que se pose la question de quel type d'individu un tel système se charge-t-il de former ?
Il est important de se rappeler, comme nous l'avons dit en introduction, que notre école est
directement héritée des lois de Jules Ferry de 1870 et ainsi d'une époque où les préoccupations
étaient entre autres de former des soldats capables de défendre notre pays alors menacé par la
Prusse. C'est pourquoi on comprend mieux la nécessité d'un ordre scolaire implacable, d'une
discipline quasi militaire, de la fabrication d'élèves obéissants. Mais ceci laisse peu de place pour
développer l'esprit critique, l'initiative, l'indépendance, même si l'école s'en défend. Il ne fait
aucun doute pour nous que développer de telles compétences ne s'apprend pas dans les livres :
cela doit se vivre et s'expérimenter afin d'être assimilé. Quand on parle de rétablir l'autorité des
maîtres, on invoque un absurde retour en arrière : celui qui réhabiliterait le système des
punitions/récompenses avec la distribution de bons-points et de tableaux d'honneur. Mais à quel
moment se donne-t-on les moyens de former des êtres moraux, qui choisissent de prendre les
bonnes décisions, non pas par peur de représailles, mais par noblesse d'âme ?
« Eh bien ! Le système de la contrainte n'exerce aucune des nobles facultés de l'enfant ; il ne
s'adresse pas à sa raison, il ne parle pas à son cœur, il ne dit rien à sa dignité, il reste muet devant
sa conscience. Il ne stimule en lui aucun sentiment élevé ; il ne met en mouvement aucun effort
utile ; il n'éveille aucune noble aspiration ; il ne provoque aucune poussée généreuse ; il ne suscite
aucun élan fécond. Il n'attire pas l'attention réfléchie de l'enfant sur les conséquences proches ou
lointaines, directes ou indirectes, pour lui et pour les autres, de ses actes, en dehors de cette
conséquence ; récompense dans tel cas, punition dans le contraire. Il ne laisse place à aucune
initiative. »79
Résonne alors à nos oreilles la question de Pierre Rabhi qui se demande « quelle planète allonsnous laisser à nos enfants, quels enfants allons-nous laisser à la planète ? » Revenons à l'autorité
rigide, muselons nos enfants, sanctionnons et aliénons notre jeunesse, enfermons-la dans des
classes sans saveur puis dans des prisons insipides et observons le résultat :
« Ce système de la contrainte engendre insensiblement des êtres gris, ternes, incolores, effacés,
sans volonté, sans ardeur, sans personnalité ; race servile, lâche, moutonnière, incapable des actes
virils ou sublimes dont l'accomplissement présuppose et nécessite de la flamme, de l'indépendance,
de la passion, mais parfaitement capable de cruauté et d'abjection surtout dans les circonstances
où, agissant en foule, la responsabilité disparaît. »80
D'où notre inquiétude, à un moment de notre histoire où nous devrions nous atteler d'urgence à
former des êtres courageux, libres, droits et créatifs, capables de résister et de s'insurger contre
ceux qui érigent la peur en arme suprême.
77
Dewey John
Raillon Louis Roger Cousinet Une pédagogie de la liberté, Armand Colin, Paris, 1990
79
Faure Sébastien, « La contrainte ou la liberté ? » 1910
78
80
Faure Sébastien, « La contrainte ou la liberté ? » 1910
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c - Le métier d'élève : la règle et l'implicite
« Apprendre à l'école, c'est apprendre l'école, c'est apprendre la société. »81
« L’école n’est pas seulement le lieu de l’enseignement de savoirs institués, elle est aussi le lieu
d’apprentissages implicites des règles de la vie scolaire »82
Le jeune enfant qui arrive pour la première fois à l'école se retrouve dans un milieu extrêmement
codifié et, comme nous l'avons dit, ritualisé ; mais il n'a pas encore les clefs pour s'y retrouver. Il ne
les a pas, non seulement parce qu'il n'a pas encore eu la possibilité de faire l'exégèse des textes
officiels, mais parce qu'il entre au royaume de l'implicite. Là où certaines choses seront dites, mais
où il lui faudra décoder le reste.
« La classe est un milieu de vie particulier, un groupe restreint relativement stable inséré dans une
organisation bureaucratique. Les expériences antérieures à la première scolarisation préparent en
partie à vivre dans ce milieu. Pour le reste, il faut apprendre « sur le tas » ; au fil des mois, puis des
années, l'écolier acquiert les savoirs et le savoir-faire, les valeurs et les codes, les habitudes et les
attitudes qui en feront le parfait « indigène » de l'organisation scolaire, ou du moins qui lui
permettront d'y survivre sans trop de frustrations, voire d'y vivre bien parce qu'il en a compris le
bon usage. À l'école, on apprend le métier d'élève. »83
L’un des aspects qui va conditionner le degré de liberté des élèves au sein du milieu scolaire est
leur compréhension des règles. Or, comme le montre l'article d'Alain Marchive : « Le rituel, la règle
et les savoirs- Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », dans lequel il analyse une
rentrée des classes, à l'école, la majorité des règles sont implicites.
L'instauration des règles de l'échange va être l’une des premières et des plus urgentes tâches de
l'enseignant de cours préparatoire. Pour ce faire, il va s'appuyer sur leur édiction, mais surtout sur
leur construction pratique grâce à leur fréquentation régulière.
La liberté des enfants sera au prix de l'intelligibilité des règles. Une règle qui, si elle est mal
comprise ou mal interprétée, pourra être aliénante.
D'autre part, il est essentiel de garder à l'esprit que « la règle ne délivre jamais totalement ses
multiples usages et les conditions de son application ne sont jamais entièrement données, mais
81
Pain Jacques, L'école et ses violences, Paris, Edition Economica, 2006, page 177
Alain Marchive « Le rituel, la règle et les savoirs-Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », Université
Victor Segalen – Bordeaux 2, 2007
83
Perrenoud Ph. Métier d'élève et sens du travail scolaire, ESF éditeur Paris 1995, page 53
82
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
31
construites dans la Praxis même »84. C'est ainsi que la règle ne peut pas contenir la totalité de ses
conditions d'exécution et laisse inévitablement une certaine marge de jeu.
« L’implicite, la « praticabilité » de la règle, les changements de cadre, autant de situations dans
lesquelles l’élève doit en permanence effectuer des ajustements. Cette capacité à interpréter la
règle n’est pas seulement un enjeu social (devenir membre affilié à la « communauté classe » et
être reconnu comme tel par ses pairs), c’est un enjeu didactique de premier plan, comme la
capacité à anticiper et à répondre correctement aux réquisits des situations d’enseignement. Cette
question de la praticabilité de la règle – c’est-à-dire, au-delà de sa stricte énonciation,
l’interprétation de ses « propriétés dormantes » [Coulon, 1993 : 223] – est donc une question
centrale pour l’élève. Dans la mesure où le sens de la règle n’apparaît que dans l’action, il ne peut
être sûr d’agir en conformité avec celle-ci que s’il prend le risque de se tromper, ou si d’autres avant
lui ont pris ce risque et qu’il a su en tirer profit. L’enjeu est d’importance, car c’est dans les tout
premiers jours de classe que s’instaurent les règles du jeu scolaire et que chacun va définir – ou se
voir attribuer – sa place dans l’ordre didactique. »85
La capacité à entendre la règle et à la maîtriser suffisamment afin de pouvoir en jouer, n'est pas
anodine. En effet, comme le suggère Pierre Bourdieu, l'une des marques de l'excellence est : « le
fait de savoir jouer avec la règle du jeu jusqu’aux limites, voire jusqu’à la transgression, tout en
restant en règle ». Mais il nous dira aussi que nous ne sommes pas tous égaux devant la règle.
2) Egalité
« Pour que la sélection soit
juste, tout le monde doit
passer le même examen : s’il
vous plaît, grimpez à cet
arbre. »
« L'égalité n'admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs. »
1795, Déclaration des Droits de l'Homme.
84
Marchive Alain, « Le rituel, la règle et les savoirs-Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », in Ethnologie
française, 2007
85
Ibid.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
32
a - L'école cultive les inégalités présentes dans la société
Nous avons très longtemps pensé que le système scolaire français était parmi les meilleurs au
monde : c'est sans doute ce qu'on nous a enseigné à l'école ! Combien de fois nous a-t-on invités à
prendre conscience de la chance que nous avions de vivre au pays des Droits de l'homme, où
l'école gratuite permet la mobilité sociale. Quelle chance : cela dépend pour qui ?
« En France, la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien
plus marquée que dans la plupart des autres pays de l’OCDE ; le niveau de performance
en mathématiques y reste toutefois dans la moyenne des pays de l’OCDE. L’augmentation d’une
unité de l’indice PISA de statut économique, social et culturel entraîne une augmentation du score
en mathématiques de 39 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE, et de 57 points en France,
soit l’augmentation la plus marquée de tous les pays de l’OCDE.
Le système d’éducation français est plus inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était 9 ans auparavant et
les inégalités sociales se sont surtout aggravées entre 2003 et 2006 (43 points en 2003 contre 55
en 2006 et 57 points en 2012). En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a
clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en 2003.
Les élèves issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les
élèves en difficulté. La proportion d’élèves issus de l’immigration se situant sous le niveau 2 en
mathématiques lors du cycle PISA 2012, ne dépasse pas 16 % en Australie et au Canada, mais
atteint 43 % en France et globalement plus de 40 % uniquement en Autriche, en Finlande, en Italie,
au Mexique, au Portugal, en Espagne et en Suède. Même après contrôle du milieu socioéconomique, en France, les élèves issus de l’immigration accusent des scores inférieurs de 37 points
à ceux des élèves autochtones, soit presque l’équivalent d’une année d’études (contre 21 points, en
moyenne, dans les pays de l’OCDE).
En France, les élèves issus d’un milieu socio-économique défavorisé n’obtiennent pas seulement
des résultats nettement inférieurs, ils sont aussi moins impliqués, attachés à leur école,
persévérants, et beaucoup plus anxieux par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. »86
Alors que la France continue de s'enorgueillir de l'efficacité d'une partie de son système scolaire,
celui consacré à l'élite (cinq des meilleures écoles de commerce européennes sont françaises, nos
ingénieurs sont toujours très convoités par les start-up de la côte ouest des Etats-Unis...), force est
de constater qu'elle échoue lamentablement en revanche dans les niveaux inférieurs. En effet,
chaque année, 40 % d'enfants, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves
lacunes, (selon un rapport du Haut Conseil à l'Education87), et ce ne sont pas moins de 122 000
jeunes -soit 17 % des élèves français- qui quittent le système scolaire sans avoir obtenu le moindre
diplôme et, par conséquent, se retrouvent sans qualification.
Les difficultés apparaissent notamment au collège où, comme l'avoue notre ministre de l'éducation
Najat Vallaud Belkacem : le système actuel « ne garantit pas l'acquisition des connaissances de
bases ». De plus, la permanence d'un système à deux vitesses est caractérisée par le choix des
parents d'élèves des classes moyennes de mettre leurs enfants dans des classes bilingues ou à
option latin ou grec afin de leur permettre d'accéder à un enseignement d'élite. Ce phénomène a
86
Davindenkoff E. Taddei F. Paris C. « Les enfants de pauvres sont-ils tous des fainéants ? » in Libération 25 septembre
2014
87
http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/121.pdf
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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pour conséquence de créer des classes de niveaux : les meilleurs ensemble, les autres n'ont qu'à se
débrouiller.
« A défaut de nous confronter au réel, nous entretenons des mythes. Ainsi, certains persistent à
affirmer que, sous sa forme actuelle, l’école française, ciment de l’égalité républicaine, peut donner
sa chance à tous les élèves et favoriser l’ascension sociale au mérite. Hélas, l’étude Pisa 2012 le
rappelait, le système éducatif français est, de l’OCDE, celui qui renforce le plus les inégalités
sociales. Champion du monde des inégalités face à la réussite scolaire pour le pays de Jaurès ;
insupportable distorsion entre les paroles et les faits. Ce déni de réalité freine l’évolution nécessaire
de notre système, fait peser l’échec scolaire sur l’unique responsabilité individuelle et favorise le
développement de stratégies familiales pour sortir gagnant de la grande compétition scolaire. Dans
le fond de l’air, la question de l’effort revient comme un leitmotiv, sous-entendant que les enfants
de maintenant seraient moins méritants qu’avant. Alors, si l’échec est d’abord ce manque d’effort
déployé par un individu, posons la question : «Les enfants de pauvres sont-ils fainéants?». Si oui,
alors ils n’ont que ce qu’ils méritent. Sinon, il est scandaleux et injuste qu’ils soient les premières
victimes de la production d’échec scolaire massif de notre système éducatif. »88
Déjà, de 1960 à 1980, quelques sociologues dont Pierre Bourdieu donnaient naissance à une
théorie des inégalités et montraient comment l'école, même si elle donne accès à l'instruction, ne
permet que la reproduction des inégalités sociales.
« C'est sans doute par un effet d'inertie culturelle que l'on peut continuer à tenir le système scolaire
pour un facteur de mobilité sociale, selon l'idéologie de « l'école libératrice », alors que tout tend à
montrer au contraire qu'il est l’un des facteurs les plus efficaces de conservation sociale en ce qu'il
fournit l'apparence d'une légitimation aux inégalités sociales et qu'il donne sa sanction à l'héritage
culturel, au don social traité comme don naturel. »89
b - Fonction de l'école - Sélection et qualification
« Les moments les plus forts de la ritualisation scolaire, ceux où les attitudes sont les plus codifiées, les
contenus les plus contraints, les attentes les plus calibrées, sont les moments d'évaluation : tests, contrôles,
examens. Ce sont aussi les moments où l'école exerce au plus près ses
fonctions sociales de sélection et de qualification. »90
Selon Christine Delory-Momberger, l'école remplit les fonctions sociales qui lui sont assignées, soit
l’intégration, la qualification et la sélection à travers des procédures de ritualisation, c'est-à-dire à
travers des dispositifs scéniques qui ont pour particularité d'accomplir, dans le geste même de leur
représentation, les actes d'instruction et d'éducation qui constituent l'objet spécifique de
l'institution scolaire.
En d'autres termes, l'école n'est donc pas faite pour rendre libres et égaux les enfants qui lui sont
confiés, mais pour sélectionner ceux qui occuperont les places les plus enviables au sein de la
88
Davindenkoff E. Taddei F. Paris C. « Les enfants de pauvres sont-ils tous des fainéants ? » in Libération 25 septembre
2014
89
Bourdieu Pierre. L'école conservatrice. Les inégalités devant l'école et devant la culture. In: Revue française de
sociologie. 1966, 7-3. Les changements en France. pp. 325-347
90
Delory-Momberger Christine, « Espaces et figures de la ritualisation scolaire »,in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43,
p.87-92
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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société ; et, pour ce faire, elle dispose d'une armada de rituels. Il faut bien légitimer cette sélection
afin qu'elle soit acceptée de tous.
« Cette sélection et les modes d'appropriation qui l'accompagnent, composent une culture scolaire
liée à une idée de la culture légitime dont on peut se demander si leur fonction, strictement
scolaire, n'est pas d'abord de trier et sélectionner les élèves capables d'entrer dans un jeu aussi
décontextualisé et abstrait.
Ajoutons (Perrenoud, 1984) que le curriculum réel subit d'autres distorsions du fait des contraintes
strictement scolaires : le maître doit adapter la matière à sa classe, stimuler ou encourager par des
exercices faisables, mais aussi distinguer les meilleurs des moins bons en proposant quelques
tâches plus difficiles, sans compter les découpages et rythmes de travail destinés à maintenir à la
fois l'attention et l'ordre. »91
La « machine à trier »92 fonctionnera en s'octroyant les services d'outils disciplinaires afin de
séparer les bons élèves des mauvais. Seront mis en avant le labeur, le mérite, l'excellence, afin de
valoriser des figures biographiques correspondant à des normes préétablies.
« L'école institue des figures et des trajectoires idéal-typiques de la réussite scolaire et sociale, pour
lesquelles certains savoirs disciplinaires (aujourd'hui les mathématiques et les sciences dures)
jouent un rôle indicatif et sélectif majeur. Ce rapport de l'école à la «performance» se traduit par
des modes d'étiquetage codifiés et restrictifs de ce que font et de ce que sont les individus-élèves et
par des typisations construites sur un critère quasi exclusif de réussite/échec dans les
apprentissages scolaires.
De ce point de vue, l'artefact élève est une construction fonctionnelle et maniable qui se décline
selon les étapes instituées du cursus scolaire (passage d'un cycle et d'un secteur d'enseignement à
un autre, passage de classe en classe) et sur le mode d'un système d'attribution de qualités (les
appréciations portées sur les devoirs, celles du bulletin scolaire) très fortement articulé sur les
résultats obtenus dans les apprentissages. »93
La mise en scène rituelle s'appuiera sur la croyance en la neutralité de l'école et en l'indépendance
de ses savoirs, et sur le fait que tout le monde a sa chance à condition de jouer le jeu, de respecter
les règles. Ainsi, elle permettra, tout en muselant les victimes de ce système, de faire admettre et
reconnaître cet état de fait aux yeux de tous, jusqu'à ce que l'institution se berne elle-même en se
gargarisant d'être l'instrument démocratique de la mobilité sociale.
Malheureusement, comme nous l'avons vu, les études et statistiques ne prouvent qu'une seule
chose : notre école aboutit non seulement à la reproduction des inégalités mais elle contribue à les
renforcer.
91
De Queiroz J-M., L'école et ses sociologies Paris, Edition Nathan, 1995. p.40
92
Cahuc P. Carcillo S., Galland O., Zylberberg A. La machine à trier-Comment la France divise sa jeunesse Editions
Eyrolles , Paris, 2011.
93
Delory-Momberger Christine, « Espaces et figures de la ritualisation scolaire »,in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43,
p.87-92.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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c - La ritualisation de l'école permet la reproduction d'un modèle de société
« Et, même quand il nous arrive de pouvoir exhiber quelques miraculeuses réussites, nous ne savons jamais
vraiment si ce ne sont pas là de dangereux faux-semblants, quelques gesticulations dociles mais provisoires
de ceux qui nous sont confiés, la « reproduction » subtile mais implacable d'appareillages économiques et
sociaux dont nous ne serions que les spectateurs ou les complices. »94
Philippe Meirieu
Cet aveu de Philippe Meirieu, professeur et pédagogue, nous touche et nous interpelle car nous
savons à quel point il est un artisan acharné de la lutte contre les inégalités scolaires. Cela nous
rappelle combien la tâche est difficile et qu'il ne suffit pas d'être conscient des mécanismes en
place pour les déjouer. Il confirme la puissance de la magie performative du rituel qui se joue
malgré nous. Combien de fois nous surprenons-nous, alors que nous ne sommes pas sur nos
gardes, à reproduire des situations pédagogiques héritées d'on ne sait où. Combien de fois
reprochons-nous à nos pairs d'être dans la contradiction du « faites ce que je dis et pas ce que je
fais ». Il y a bien là quelque chose qui nous dépasse et qui ne nous est pas personnel, mais qui est
bien de l'ordre de la société toute entière.
Comme nous l'avions évoqué dans notre premier chapitre, Aristote remarquait que l'homme est
l'espèce la plus apte à l'imitation, c'est pourquoi il possède d'extraordinaires capacités
d'apprentissage. Ainsi, toute l'activité sociale va être régie par des processus mimétiques.
« Partant d'une analyse du rôle des processus mimétiques dans l'activité sociale, ces recherches
tendent en particulier à montrer comment les individus construisent leur être social selon des
formes d'imitation créative par lesquelles ils réitèrent et réinvestissent des gestes, des énoncés, des
arrangements scéniques rituels pour accomplir les actes de leur existence sociale ; de façon
complémentaire, elles examinent comment l'agir rituel participe de la genèse, du maintien et de la
transformation des formes instituées de la vie sociale et des rapports de hiérarchie et de pouvoir
qui s'y exercent. »95
Christine Delory-Momberger s'appuie sur les travaux de Gebauer et Wulf de 2004 pour montrer
que les milieux de l'éducation et de formation sont des lieux d'observation privilégiés « des
fondements mimétiques et du pouvoir d'accomplissement de la représentation rituelle » car ils
voient se confronter transmission et innovation, héritage et devenir.
« Dans un article de la revue Paragrana, l'acte rituel est décrit à travers six critères formels : « sa
capacité de répétition selon les voies d'une activité mimétique ouverte aux changements,
l'homogénéité d'un déroulement convenu et formalisé pouvant se traduire en protocoles
cérémoniels, sa dimension de manifestation publique, qui distingue d'une part les processus
performatifs rituels des comportements individuels contraints et souligne d'autre part la nature
sociale du rituel, sa dimension de seuil qui marque clairement le rapport de l'intervention rituelle
avec l'expérience de situations et d'espaces différentiels, son opérativité en tant
qu'accomplissement pratique qui implique pour les participants au rituel une transformation
concrète, et enfin sa nature symbolique qui lui permet de faire passer les expériences concrètes à
94
Meirieu Ph., « Freinet et les sciences de l'éducation. »
Delory-Momberger Christine, « Espaces et figures de la ritualisation scolaire », in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43,
p.87-92
95
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un autre niveau de signification (par exemple sociale, religieuse)» (Wulf/Zirfas, 2001, p. 96). »96
Pour Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron97, l'école et les systèmes d'enseignement
contribuent bien à la reproduction de l'ordre social. Selon eux, les savoirs qui y sont enseignés ne
sont pas choisis au hasard, ils sont l'apanage de la classe dominante. Par conséquent, les enfants
de cette classe seront plus familiers de ces savoirs de par leur héritage culturel (capital subtil fait
de savoirs, de savoir-faire et de savoir-dire) et auront beaucoup plus de chances de réussir. Le
capital culturel (cf. Annexe 1) dont ils disposent facilitera leur accès à la réussite et donc, grâce à
l'obtention de diplômes, les confortera dans leur position sociale.
Comme nous l'avons vu dans notre premier chapitre, Pierre Bourdieu identifie ce qu'il va appeler
des rites d'institution, qui vont permettre de légitimer cette reproduction des inégalités au sein de
la société.
d - L'école : un rite de passage - sa fonction d'institution
« Opérer la séparation entre les parents et leurs enfants d’une part, instaurer l’ordre en posant les
règles et les limites d’autre part, telle semble bien être la double fonction du rituel de rentrée.
Franchir la ligne qui sépare les parents des enseignants, signifie pour les enfants de devenir élèves,
et du même coup, s’assujettir à la forme scolaire et à ses règles. En indiquant à chacun sa place et
en édictant les règles de bonne conduite, le rituel contribue à définir l’ordre scolaire et à instituer
l’enfant comme élève. Ce n’est pourtant que le premier moment de l’apprentissage de son « métier
d’élève » [Perrenoud, 1994], lequel va se poursuivre avec la mise en place des règles, dès les
premiers jours de classe. »98
Dès l'entrée en maternelle se produit pour l'enfant un changement radical : il est séparé de ses
parents et confié à un enseignant mandaté par l'institution, et par conséquent par toute la société,
afin de l'instruire et de l'éduquer.
Le passage au cours préparatoire sera d'autant plus significatif qu’il marque le début de la scolarité
obligatoire en France, ce que l’on appelle communément « la grande école ». L'enfant se verra
répéter telle une assignation à grandir : « Tu n'es plus un bébé maintenant, tu rentres à la grande
école ! ». Il sera alors institué comme « grand » et devra quitter le monde de la petite enfance. Il y
aura donc bien un avant et un après.
Cette fréquentation de l'école va le transformer à jamais. Il passera la frontière imaginaire qui
sépare certains enfants des autres et abandonnera le monde de l'oral pour celui de l'écrit, celui de
la « mise en signes » (enseigner, insignare = faire connaître par un signe). Il découvrira la
prédominance des signes et des discours, caractéristique « du mode indirect d'appréhension du
monde et du rapport au savoir qui est celui de la culture scolaire »99.
L'école opèrera donc bien un changement sur l'enfant, on l'aura fait passer d'un état à un autre :
c'est en cela qu'on peut dire qu'il s'agit d'un rite de passage comme ceux identifiés par Arnold Van
Gennep.
96
Ibid.
Bourdieu P., Passeron J-C., Les Héritiers, Editions de Minuit, Paris, 1985
98
Marchive A., « Le rituel, la règle et les savoirs-Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », in Ethnologie
française, 2007
99
Delory-Momberger C., « Espaces et figures de la ritualisation scolaire », in Hermès 2005
97
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«Instituer l’enfant comme élève en posant les règles de la vie scolaire et en lui indiquant ce qu’il
doit être. « Deviens ce que tu es », telle est, selon Bourdieu « la formule qui sous-tend la magie
performative de tous les actes d’institution » et qui est, selon lui, un véritable fatum : « C’est une
des fonctions de l’acte d’institution que de décourager durablement la tentation du passage, de la
transgression, de la désertion, de la démission » [Bourdieu 1982 : 61]. Opérer la séparation entre
les parents et leurs enfants d’une part, instaurer l’ordre en posant les règles et les limites d’autre
part, telle semble bien être la double fonction du rituel de rentrée. »100
L'enfant propulsé dans son métier d'élève n'aura plus vraiment le choix, il sera contraint d'adopter
un comportement adéquat à son nouveau statut. Il devra dès lors participer aux rituels en
manifestant des signes actifs de sa présence, en montrant dans son corps, dans sa parole, dans son
mode de relation, son adhésion aux façons d'être et de faire de l'école. Il devra montrer son
adhésion à l'agir rituel et à la « performance scolaire ».
« Le rituel d’accueil des élèves et des parents qui inaugure la rentrée scolaire contribue à donner à
l’événement son caractère plus ou moins solennel et lui confère une dimension particulière, celle
d’un rite de passage [Van Gennep, 1981], dont un des effets essentiels est d’instituer une différence
durable entre ceux que le rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas ou du moins pas de la même
façon. Une des fonctions essentielles du rite de passage serait en effet de consacrer et de légitimer
une limite arbitraire, de séparer ceux qui l’ont subi de ceux qui ne le subiront pas ; mais, surtout, il
fonctionnerait comme une instance de légitimation qui tend à faire reconnaître comme naturelle
une limite arbitraire [Bourdieu, 1982]. »101
Il y a là quelque chose d'essentiel à comprendre car nous sommes au cœur de la magie
performative du rituel. Comme lorsqu'on instituait le petit garçon en homme dans les sociétés
traditionnelles, on cherchait moins à le séparer des autres petits garçons que du monde féminin en
s'appuyant sur un fait naturel, mais en occultant tout ce qui permet de dire qu'un homme est un
homme en dehors du fait d'avoir un sexe masculin. L'enjeu est de rendre légitime une différence
de traitement entre les sexes et de la faire accepter. Il en est de même pour les élèves que l'on va
pouvoir séparer en deux catégories : les bons et les mauvais.
« La sélection sociale qui passe par l'école n'apparaît plus comme une sélection sociale et collective,
mais comme le résultat normal et naturel d'un processus pédagogique, de nature psychologique et
individuelle. Cette apparence exerce sa force d'imposition tant sur les élèves et leurs parents (il a
« bien » ou « mal travaillé », il est « doué » ou « pas doué »), que sur les enseignants. Chacun paraît
n'avoir que ce qu'il mérite : on parlera d'idéologie méritocratique dans un premier sens. Il y a donc
un fétichisme propre de la forme scolaire, une dissimulation qui ne doit rien à la volonté des acteurs
et qui, naturalisant le processus scolaire, a pour effet d'en rendre les verdicts légitimes : sélection,
mais surtout légitimation, telle est la découverte spécifique présente dans Les Héritiers (1964) puis
La Reproduction (1970). »102
C'est ainsi que l'école primaire va marquer le début d'une scolarité que Claude Rivière considérera
comme fortement ritualisée car obligatoire, sélective et théâtralisée et dont le but sera chaque
année de passer dans la classe supérieure. L'élève va alors devoir gravir les échelons au travers
100
Marchive A., « Le rituel, la règle et les savoirs Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », in Ethnologie
française, 2007
101
Marchive Alain,« Le rituel, la règle et les savoirs Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », in Ethnologie
française, 2007/4 Vol. 37, p. 597-604
102
De Queiroz J-M. L'école et ses sociologies Paris, Edition Nathan, 1995
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
38
d'un parcours sélectif ponctué par les travaux écrits, les examens, les notes et les moyennes, les
concours...
« L'école remplit les fonctions sociales qui lui sont assignées (intégration, qualification, sélection) à
travers des procédures de ritualisation, c'est-à-dire à travers des dispositifs scéniques qui ont pour
particularité d'accomplir, dans le geste même de leur représentation, les actes d'instruction et
d'éducation qui constituent l'objet spécifique de l'institution scolaire. Les mises en œuvre et les
pratiques qui résultent des modes d'organisation et d'action de l'école empruntent en effet à l'agir
rituel leur double caractère : elles mettent en scène, selon des protocoles reconnus et partagés, les
gestes et les signes de l'enseignement-apprentissage, elles réalisent performativement ce qu'elles
donnent en représentation. »103 L'élève se verra donc imposer une essence sociale, un droit d'être
qui sera un devoir d'être. Qu'il soit d'un côté ou de l'autre de la ligne, il devra se conduire en
conséquence. Il aura alors à jouer son rôle, celui du bon ou du mauvais élève, et se comporter
comme tel.
Pour Pierre Bourdieu, l'institution est un acte de magie sociale si puissant qu'il est capable de créer
de la différence ex nihilo, en s'appuyant, comme nous l'avons vu, sur des différences
préexistantes :
droit d'aînesse pour les héritiers, différences biologiques entre les sexes, don naturel pour
l'éducation. Les distinctions les plus efficaces sont celles qui donnent l'apparence de se fonder sur
des différences objectives. À cela, le sociologue ajoutera que la magie sociale est toujours capable
de produire du discontinu avec du continu, le meilleur exemple étant les concours. En effet, entre
le premier reçu et le dernier, la différence ira du tout au rien, et ce, pour la vie entière. « l'un sera
polytechnicien, avec tous les avantages afférents, l'autre ne sera rien. »104
« Le véritable miracle que produisent les actes d'institution réside sans doute dans le fait qu'ils parviennent à
faire croire aux individus consacrés qu'ils sont justifiés d'exister, que leur existence sert à quelque chose.
Mais, par une sorte de malédiction, la nature essentiellement diacritique, différentielle, distinctive, du
pouvoir symbolique, fait que l'accès de la classe distinguée à l'Etre a pour contrepartie inévitable la chute de
la classe complémentaire dans le Néant ou dans le moindre Etre. »105
Pierre Bourdieu
3) Fraternité
« Nous évoluons dans une société hiérarchique et l'école y contribue. Arc-boutée sur le culte de la
performance, l'école est une véritable fabrique d'humiliés. Quand les enfants sont malheureux à l'école, nous
portons une partie de ce malheur. Et le malheur comme le bonheur sont contagieux. Les profs participent de
cette culture hiérarchisée. Ils sont ceux qui ont triomphé, parce qu'ils ont eu de bonnes notes. On a fait de ce
triomphe une culture de la domination. Combien d'enfants se mettent à détester cette école de
l'humiliation ? Combien, en revanche, ont été « sauvés » parce qu'un enseignant s'est un beau jour intéressé
à leur vécu ? Le système continue de ressasser le mythe d'une soi-disant excellence, des bons et des mauvais
résultats scolaires. Untel possède un cerveau. Un autre est perdu pour l'école. De telles assertions reposent
sur un raisonnement raciste ! »
103
Delory-Momberger Christine, « Espaces et figures de la ritualisation scolaire »,in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43,
p.87-92
104
Bourdieu Pierre. « Les rites comme actes d'institution ». In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 43, juin
1982. Rites et fétiches. pp. 58-63
105
Ibid.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
39
Boris Cyrulnik106
La fraternité appartient à la sphère des obligations morales, elle fut aussi définie dans la
Déclaration des droits et des devoirs de l'homme et du citoyen de 1795, figurant en tête de la
Constitution de l'an III (mais non retenue par la constitution actuelle) : « Ne faites pas à autrui ce
que vous ne voudriez pas qu'on vous fît ; faites constamment aux autres le bien que vous voudriez
en recevoir. » L'autre forme de fraternité est celle professée par l'Eglise : « Aime ton prochain
comme toi-même. »
a - L'école : lieu initial de la socialisation du petit d'homme
L'école est souvent le lieu initial de la socialisation, celui où l'enfant va être pour la première fois
confronté à autrui : cet être si semblable et si différent de lui. Séparé des siens et dénué de leur
protection, il va devoir trouver sa place au sein d'un groupe et apprendre à vivre en collectivité.
Grande révolution chez ce petit être dont on oublie souvent à quel point il est sans défense. On
imagine aisément en quoi ces premières expériences scolaires seront déterminantes pour la suite
et conditionneront le reste de sa vie en société.
C'est donc lors de cette scolarisation précoce que l'enfant va apprendre à se connaître. Selon
Aristote, l'être humain a besoin d'autrui pour se connaître lui-même : « La connaissance de soi est
un plaisir qui n'est pas possible sans la présence de quelqu'un d'autre qui soit notre ami ; l'homme
qui se suffit à soi-même aurait donc besoin d'amitié pour apprendre à se connaître soi-même. » La Grande Morale, Livre II, Chap. XV
Au gré des relations qu'il va tisser, lors de sa fréquentation de l'école, avec les autres enfants ainsi
qu'avec les adultes, va se dresser un nouveau portrait de lui-même, différent de celui renvoyé par
sa sphère familiale. Il va apprendre à se connaître et à construire sa personnalité par imitation mais
aussi par opposition aux autres, tout en endossant son rôle d'élève. Là encore, la puissance du
rituel scolaire va agir et l'assigner : « Deviens ce que tu es ».
« Les acteurs de l'école définissent les situations, construisent le sens de leur expérience et
interagissent entre eux, développent une approche « dramatisée » de la réalité scolaire conçue
comme une scène relationnelle et interactive, où la place de chacun des acteurs est définie selon un
jeu de positions à la fois institutionnelles et individuelles. »107
L'école devient alors un théâtre où le spectacle sera représenté une fois par jour pendant des
années, avec une distribution précise des rôles. Malheureusement, pour endosser un nouveau
rôle, il faudra attendre que quelqu'un abandonne le sien.
« Le propos de cet article est de mettre en regard les formes de la ritualisation scolaire et les
constructions biographiques spécifiques dont est porteuse l'institution scolaire. À l'égal de tous les
milieux et environnements sociaux, l'école produit des figures statutaires et des parcours
curriculaires ritualisés qui prennent la forme de standards biographiques ou de biographies
typiques s'imposant à ses usagers. La figure de l'élève est la plus prégnante de ces constructions
rituelles de l'école : en même temps qu'elle désigne une position et une fonction dans l'institution,
elle établit une injonction biographique particulière, qui entre en confrontation avec les figures de
soi et l'expérience biographique des individus-élèves. »108
106
107
108
Meirieu Philippe Le plaisir d'apprendre, Paris, Edition Autrement, 2014
Ibid.
Delory-Momberger Christine, « Espaces et figures de la ritualisation scolaire »,in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43,
p.87-92
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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b - La classe : lieu d'isolement et de compétition
La classe, dans l'école traditionnelle, fonctionne sur un modèle autocratique dans lequel le pouvoir
est détenu par l'enseignant.
Comme nous l'avons vu, le système de la contrainte exercé au sein du milieu scolaire, aura
tendance à engendrer entre autre des « êtres serviles », mais aussi égoïstes et peu enclin à
l'empathie. Alors, que dire de l'isolement dans lequel ils sont plongés sachant qu'ils ne peuvent
communiquer ni interagir entre eux pendant la classe ?
À quel moment pourra s'établir le conflit sociocognitif109 identifié par Jean Piaget, si nécessaire à la
construction de l'intelligence chez l'être humain ?
Mais surtout, on se demande à quel moment ce système favorise la fraternité ?
« C'est la contrainte disciplinaire par laquelle l'école fait vivre l'enfant en tant qu'individu isolé. Cela
est d'autant plus criminel que l'enfant à un certain âge ressent impérieusement le besoin d'agir
avec autrui. Or, la satisfaction de ce besoin vital est interdite par une organisation scolaire
contraignant l'écolier à l'isolement (alors que l'homme ne s'est développé, amélioré, civilisé que par
l'entraide). Cet isolement édifie tout simplement l'égoïsme chez les enfants à qui l'on prêche, par
ailleurs, l'altruisme : « Tu dois aider ton prochain, excepté dans cette école où nous ne cessons de
t'interdire de l'aider. » »110
Une fois de plus, nous nous retrouvons face à l'un des paradoxes de l'institution. Mais là, c'est
peut-être toute la société qui est en cause.
« Un système éducatif ne peut être beaucoup plus vertueux que la société dont il tire sa légitimité
et ses ressources. »111
Avec la montée des individualismes et la crise économique, les valeurs de solidarité et d'entraide
se sont sensiblement délitées. Mais nous croyons, comme Nelson Mandela, que l'éducation a le
pouvoir de changer la société. Il est évident que dans un système où la seule façon de se prouver
sa propre valeur est de la mesurer à celle des autres, les valeurs de l'entraide n'auront pas leur
place. Un système qui examine, qui établit des classements, qui note, ne fait que dresser les élèves
les uns contre les autres et les mettre en concurrence.
« Le curriculum caché véhicule aussi une conception particulière de l'intelligence et de la division du
travail. À l'exception des pédagogies coopératives, dans la lignée de Freinet, le travail scolaire
repose sur la concurrence et la compétition individuelle. L'élève apprend à travers ses résultats à
mesurer sa valeur à celle des autres et à accepter leur hiérarchisation comme naturelle. La fonction
spécifique de l'école serait dès lors moins de transmettre des connaissances en sélectionnant
socialement, que de légitimer une telle sélection en imprégnant ses agents d'une conception
méritocratique. »112
109
110
111
112
Apparaissant vers 7-8 ans, le conflit sociocognitif est la confrontation à un problème entre plusieurs enfants. Il est
très formateur car après avoir entendu le point de vue des autres, l'enfant reformulera le sien et enfin jaugera
quelle est la solution la plus adéquate.
Raillon Louis, Roger Cousinet, Une pédagogie de la liberté, Armand Colin, Paris, 1990, page 273
Perrenoud Ph. L'école est-elle encore le creuset de la démocratie ? Chronique Sociale, Lyon, 2003, page 9
De Queiroz Jean-Manuel, L'école et ses sociologies Paris, Edition Nathan, 1995, p. 41
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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L'univers scolaire va, par conséquent, sélectionner les élèves et les assigner à des places, les inciter
à développer un individualisme compétitif, ce qui favorisera une agressivité latente. La classe,
quand elle ne sera pas un lieu démocratique, sécurisant et bienveillant, pourra vite basculer dans
la violence. Cette violence s'exprimera de différentes manières au sein de la classe, mais c'est dans
la cour de récréation qu'elle pourra s'épanouir davantage.
c - La figure du cancre et l'enfant harcelé : des victimes émissaires ?
La figure du cancre :
« J'annonce à Bernard que je songe écrire un livre
concernant l'école ; non pas l'école qui change
dans la société qui change, comme a changé
cette rivière, mais, au cœur de cet incessant
bouleversement, sur ce qui ne change pas,
justement, sur une permanence dont je n'entends
jamais parler : la douleur partagée du cancre, des
parents et des professeurs, l'interaction de ces
chagrins d'école. »
Daniel Pennac
Archétype emblématique de l'école traditionnelle au même titre que la figure du premier de la
classe, le cancre nous rappelle comme l'école peut être le théâtre de la violence et de la cruauté
humaine.
Si l'on s'extrait à la croyance ancestrale, celle qui dit que la nature a mieux doté certains d'entre
nous, qu'il y a ceux qui méritent parce qu'ils ont bien travaillé et qu'ils sont doués, et les autres, on
aimerait comprendre ce qui peut conduire un être à « endosser » le rôle de cancre qu'on lui
« propose ». Ce témoignage de Philippe Meirieu pourra nous apporter un éclairage :
« Je l'ai souvent observé : ça commence, en général, par une simple maladresse, un pot de peinture
renversé, une réponse qui part trop vite, une confusion stupide entre deux exercices ou deux mots.
L'élève trébuche, regarde autour de lui : il voudrait pouvoir disparaître, revenir en arrière, effacer
l'irréversible. Il cherche à éviter le fou rire de ses camarades, à échapper au regard désapprobateur
du maître... Il suffit alors de presque rien pour éloigner le spectre de l'échec et restaurer la
confiance : que le professeur rectifie sans condamner, qu'il entende l'erreur sans dénoncer la faute,
qu'il laisse entrevoir qu'un progrès est possible. Car on doit pouvoir se tromper à l'école sans
risquer d'être humilié ou exclu. L'école est faite pour ça : pour qu'on y apprenne à rectifier ses
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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erreurs... et qu'on se trompe moins au dehors, face aux dangers de toutes sortes, quand le maître
ne sera plus là pour parer les coups et aider à remonter la pente.
Mais, je l'ai vu aussi : il arrive que l'erreur fige le temps et que l'école ne fasse pas de cadeau. La
faute est épinglée au tableau. Nulle échappée possible. L'élève s'enkyste dans l'échec jusqu'à
perdre tout espoir de pouvoir progresser un jour. La réussite scolaire, ce n'est pas pour lui. Les
savoirs scolaires, ce n'est pas son affaire. Dorénavant, il exécutera- « exécuter » est bien le mot qui
convient ici- les tâches scolaires avec la résignation du découragement. Souvent, il affectera une
désinvolture de façade : il vaut mieux bâcler ostensiblement un devoir que de paraître rater de
manière besogneuse : l'humiliation est moindre. On peut revendiquer son propre échec et, même,
en être fier. On égrène alors à l'infini un chapelet de mauvaises notes avec, dans la bouche, un goût
d'amertume qui fait perdre définitivement toute saveur au savoir. »113
Le bonnet d'âne a certes disparu, mais pas l'enfant qui, étalon malgré lui, permet au reste des
élèves de la classe de mesurer leur réussite, d'une cruelle comparaison encouragée par le système
scolaire. Même si on n'est plus censé classer les enfants du premier au dernier (certains le font
encore), les notes permettent toujours de viles comparaisons. De plus, sur les bulletins scolaires,
on fait toujours apparaître la moyenne de la classe la plus haute et celle la plus basse afin de situer
les enfants les uns par rapport aux autres. Je me pose encore la question de la valeur morale de
telles pratiques. Certains se justifieront en disant que « le niveau a baissé vertigineusement ces
dernières années » et que c'est une manière de motiver les élèves. D'autres argueront que leur
instituteur les classait bien, eux, et que cela ne les a pas traumatisés. Mais alors, à quel moment
enseigne-t-on à l'élève que le seul à qui il doit faire concurrence, c'est lui-même ? Progresser pour
soi-même, pour savourer le plaisir de devenir meilleur, d'acquérir des savoirs nouveaux, de
grandir... Tel l'enfant que l'on mesure semaine après semaine contre le mur de sa chambre et à qui
on permet de visualiser chaque centimètre gagné grâce à une petite marque au stylo, n'y a-t-il pas
moyen de permettre à chacun de mesurer ses progrès, d'être valorisé et d'avoir envie de se
dépasser, lui et rien que lui ?
Seulement, les contrôles, les notes, les moyennes, les bulletins trimestriels, les classements, les
cancres font partie intégrante du rituel scolaire, au même titre que les chapelets, le confessionnal,
la soutane font partie de la liturgie catholique ; la société aura donc du mal à appréhender l'école
sans eux. On peut même avancer que les supprimer pourrait menacer l'adhésion au rite.
« Pour que le rituel fonctionne et opère, il faut d'abord qu'il se donne et soit perçu comme légitime,
la symbolique stéréotypée étant là précisément pour manifester que l'agent n'agit pas en son nom
personnel et de sa propre autorité, mais en tant que dépositaire mandaté. "Il y a deux ans, une
vieille voisine mourante me demande d'aller chercher le prêtre. Il arrive, mais sans la communion,
et, après l'Extrême Onction, l'embrasse. 'Si je demande un prêtre à mes derniers moments, ce n'est
pas pour qu'il m'embrasse, mais pour qu'il m'apporte la provision de voyage pour l'éternité. Ce
baiser, c'est du paternalisme et non le Ministère sacré '". Le symbolisme rituel n'agit pas par soi,
mais seulement en tant qu'il représente -au sens théâtral du terme- la délégation : l'observance
rigoureuse du code de la liturgie uniforme qui régit les gestes et les paroles sacramentels constitue
à la fois la manifestation et la contrepartie du contrat de délégation qui fait du prêtre le détenteur
du "monopole de la manipulation des biens de salut" ; au contraire, l'abdication de tous les
attributs symboliques du magistère, la soutane, le latin, les lieux et les objets consacrés, manifeste
la rupture du contrat de délégation ancien qui unissait le prêtre aux fidèles par l'intermédiaire de
l'Eglise : l'indignation des fidèles rappelle que les conditions qui confèrent au rituel son efficacité ne
113
Meirieu Philippe Le plaisir d'apprendre, Paris, Edition Autrement, 2014, page 28
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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peuvent être réunies que par une institution qui se trouve investie, par là même, du pouvoir d'en
contrôler la manipulation »114
Dans son article « Le langage autorisé », Pierre Bourdieu analyse la crise de la liturgie et montre en
quoi il n'est pas possible de se défaire des attributs symboliques qui permettent d'identifier le rite
et de le légitimer. Pour lui, la spécificité du discours d'autorité (cours professoral ou sermon),
réside dans le « fait qu'il ne suffit pas qu'il soit compris (il peut même dans certains cas ne pas
l'être sans perdre son pouvoir) ; il n'exerce son effet propre qu'à condition d'être reconnu comme
tel ». En d'autres termes, le prêtre comme l'enseignant ne seront plus crédibles s'ils s'éloignent de
la tradition. C'est bien la société qui refuse ces mutations : les fidèles réclament une observance
rigoureuse de la liturgie, « l'abdication de tous les attributs symboliques manifeste une rupture du
contrat de délégation ancien qui unissait le prêtre aux fidèles par l'intermédiaire de l'Eglise ». Ce
qu'ils redoutent en cela, c'est de voir le Paradis leur passer sous le nez ! Il en est de même pour les
parents et les élèves, pour qui la réussite, l'atteinte de l'excellence, l'obtention de diplômes et
d'une situation sociale enviable sont en jeu.
Comment ne pas admettre que le paradis n'est désirable que parce que certains iront en enfer,
qu'on ne sera premier de la classe que s'il y a un dernier, que le spectacle même de la misère du
cancre motivera les efforts afin de ne pas sombrer comme lui.
C'est certainement en cela que le cancre est une victime émissaire, il est sacrifié afin que le reste
de la classe puisse prétendre à la réussite.
Nous l'avons compris, l'enfant qui sera élu au rôle de cancre sera institué comme tel. Les notes, les
bulletins, les remarques du maître, la déception qu'il lira dans le regard de ses parents, les railleries
de ses camarades, la mise en route de mécanismes de défense : tout sera mis en place pour qu'il
soit digne de son rang. Mais plus sournois encore, le rituel de la classe le conduira à se convaincre
que c'est un juste état de chose, qu'il n'a que ce qu'il mérite.
Ce qu'il mérite ? Rien n'est moins sûr.
Combien sont ceux qui, parvenus à une situation honorable, voire privilégiée, confessent qu'ils ont
été de très mauvais élèves : des cancres !
« Donc, j'étais un mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l'école.
Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n'étais pas le dernier de ma classe, c'est que
j'en étais avant-dernier. (Champagne!) Fermé à l'arithmétique d'abord, aux mathématiques ensuite,
profondément dysorthographique, rétif à la mémorisation des dates et à la localisation des lieux
géographiques, inapte à l'apprentissage des langues étrangères, réputé paresseux (leçons non apprises,
travail non fait), je rapportais à la maison des résultats pitoyables que ne rachetaient ni la musique, ni le
sport, ni d'ailleurs aucune activité parascolaire. »115
Daniel Pennac, écrivain, Prix Renaudot en 2007
Pour notre plus grand bonheur, Daniel Pennac est passé de l'autre côté de la barrière, mais
combien d'autres sont sacrifiés chaque année ? À côté de combien d'autres « génies » sommesnous passés ?
114
115
Bourdieu Pierre. « Le langage autorisé » [Note sur les conditions sociales de l'efficacité du discours rituel]. In: Actes
de la recherche en sciences sociales. Vol. 1, n°5-6, novembre 1975. La critique du discours lettré. pp. 183-190
Pennac Daniel, Chagrin d'école, Paris, Gallimard 2008, page17
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LE CANCRE
Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ce qu’il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec les craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur.
“Le Cancre”, tiré du recueil “Paroles” paru aux éditions Gallimard
© Fatras/ Succession Jacques Prévert, pour les droits audiovisuels et numériques
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L'enfant harcelé :
« Les dispositifs rituels invitent autrui à « entrer dans le jeu, ce qui incite à accepter comme une donnée la
hiérarchie et les rapports de pouvoir qui s’y manifestent. Tout membre d’une communauté qui refuse
d’entrer dans le jeu se singularise, il est exclu et court même le risque de devenir un bouc émissaire, offrant
ainsi une surface de projection à la négativité et la violence »116
René Girard
La violence latente présente dans la classe de l'école traditionnelle peut être une des causes du
harcèlement scolaire. Si le groupe-classe est géré de manière trop autocratique ou au contraire s'il
est livré à lui-même par manque de leadership, l'hostilité, l'agressivité et la violence peuvent
s'installer, menaçant le groupe d'autodestruction117 (annexe 2). L'autodestruction du groupe est ce
que René Girard a appelé la crise mimétique, soit le chaos, « la guerre de tous contre tous ». Dans
ce cas-là, le groupe déclenchera un mécanisme de survie, qui remplacera le « tous contre tous »
par le « tous contre un » en choisissant une victime émissaire (cf. Chapitre I, 5).
Choisi pour sa différence (origine, couleur de peau ou de cheveux, surpoids...) pour sa condition
sociale (plus riche, plus pauvre) ou pour sa fragilité (handicap, isolé socialement), l'enfant va
devenir le bouc émissaire (le souffre-douleur) de la classe ou de l'école. Le groupe social va ainsi
pouvoir s'acharner sur lui pour s'exonérer de ses propres fautes ou pour masquer son échec. Faible
ou dans l'incapacité de se rebeller, l'enfant désigné endossera sans protester la responsabilité
qu'on lui aura inculquée et acceptera de « porter le chapeau ».
« Afin d’expulser cette violence intestine, le bouc émissaire doit en effet correspondre à certains
critères. Premièrement, il faut que la victime soit à la fois assez distante du groupe pour pouvoir
être sacrifiée sans que chacun se sente visé par cette brutalité et en même temps assez proche pour
qu’un lien cathartique puisse s’établir (on ne peut expulser que le mal qui est en nous...). Aussi, le
véritable bouc émissaire de la tradition hébraïque est à la fois différent par sa qualité d’animal et
semblable par son caractère domestiqué.
Deuxièmement, il faut que le groupe ignore que la victime est innocente sous peine de neutraliser
les effets du processus. Troisièmement, le bouc émissaire présente souvent des qualités extrêmes :
richesse ou pauvreté, beauté ou laideur, vice ou vertu, force ou faiblesse.
Enfin, la victime doit être en partie consentante afin de transformer le délire de persécution en
vérité consensuelle. Dans les mythes, c’est souvent un prisonnier de guerre, un esclave, un enfant
informe, un mendiant… »118
C'est donc l'acceptation de la victime qui conditionnera l'efficacité du rituel. Nous sommes encore
une fois dans la magie performative du rituel qui, après avoir assigné des individus à des rôles, les
transforment et font d'eux ce que le groupe a besoin qu'ils soient.
116
Wulf Christoph et Gabriel Nicole, « Introduction » Rituels. Performativité et dynamique des pratiques sociales », in
Hermès, La Revue, 2005/3 n° 43, p. 9-20
117
Cf. Travaux sur le phénomène du leadership de Kurt Lewin repris par Lippit et White
118
lea.u-paris10.fr/IMG/pdf/2.le_bouc_emissaire_version_def_.pdf
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d - Du cancre au sauvageon, du sauvageon au délinquant...
«A tous ceux qui aujourd'hui imputent la constitution de bandes au seul phénomène des banlieues, je dis :
vous avez raison, oui, le chômage, oui, la concentration des exclus, oui, les regroupements ethniques, oui la
tyrannie des marques, la famille monoparentale, oui, le développement d'une économie parallèle et les
trafics en tout genre, oui, oui, oui... Mais gardons-nous de sous-estimer la seule chose sur laquelle nous
pouvons personnellement agir et qui, elle, date de la nuit des temps pédagogiques : la solitude et la honte
de l'élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où tous les autres comprennent. »119
Daniel Pennac
La massification scolaire ainsi que l'évolution de la société ont considérablement transformé les
problématiques de l'école. La récurrence du discours sur « le niveau qui baisse » est juste l'arbre
qui cache la forêt. Ce n'est pas le niveau qui baisse, c'est l'école qui n'est pas à la hauteur de la
révolution que vit notre société. Nous avons des décennies de retard, et alors que notre système
obsolète se raccroche aux branches, que certains pays européens innovent, c'est l'adhésion au rite
qui est entamée. La magie performative cesse progressivement d'opérer et notre école publique
républicaine est menacée. L'hémorragie vers le privé s'intensifie, tandis que l'échec scolaire se
diffuse.
« La confrontation avec les programmations biographiques spécifiques dont l'école est porteuse,
active chez les enfants et les adolescents un travail particulier de biographisation de l'expérience
scolaire (Delory Momberger, 2003 ; 2005). D'une façon générale, alors que dans l'école républicaine
dont le modèle a perduré jusque dans les années 1970, l'incorporation biographique de l'expérience
scolaire était vécue de manière positive et se traduisait dans les termes d'une déclinaison de la
performance scolaire (de l'«excellent élève» au «cancre»), qui n'engageait pas de rupture entre «le
monde de la vie » et « le monde de l'école », la massification des publics de l'école et les évolutions
sociétales intervenues dans les trente dernières années font observer aujourd'hui des attitudes de
retrait, de décrochage ou de refus qui manifestent à des degrés divers des fractures par rapport au
modèle scolaire et à ses figures biographiques : pour toute une frange de la population scolaire, la
figure de l'élève et le monde de l'école ne sont plus reconnus et ne sont plus investis comme
éléments positifs et valorisés de construction de soi.
Selon un renversement significatif des valeurs, celui qui fait son «métier» de collégien ou de lycéen,
celui qui se prête au jeu imposé par l'école, est déconsidéré auprès des autres : l'élève devient le
«pitre», le «bouffon», celui qui est dans la fiction, dans le faux-semblant, sinon dans le mensonge
de l'école. Le caractère rituel et performatif des mises en œuvre scolaires trouve ainsi une
illustration négative dans les rejets que peut aujourd'hui susciter l'école : dès lors que n'est plus
partagé le consensus de la culture scolaire, que les dires et les signes de l'école n'ont plus valeur de
faire, que ses dispositifs scéniques perdent de leur sens ou sont refusés, la « magie performative »
qui fondait « le langage autorisé » (Bourdieu, 1982) de l'école n'opère plus, les conditions de la
reconnaissance rituelle qui lui donnait sa validité et son efficacité ne sont plus réunies, et l'école
n'est plus aux yeux de ceux à qui elle prétend s'adresser qu'une scène vide de sens et d'enjeu.
Ce qui se joue dans les crises et les rejets que connaît l'institution scolaire, à côté de causes sociales
et économiques dont les enjeux dépassent de très loin les murs de l'école, c'est aussi la disposition
scolastique elle-même (Bourdieu, 2003), entendue comme espace de jeu et d'exercice où
s'acquiert, sans risque majeur et à l'écart des contraintes et des verdicts de «la vie dans le monde»,
119
Pennac Daniel, Chagrin d'école, Paris, Gallimard, 2008, page17
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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la faculté de mettre à distance le réel pour le connaître. »120
Emile Durkeim a montré qu'à chaque époque du système d'enseignement s'est caractérisé un
élève idéal type, qui produit nécessairement son contraire : un contre-modèle résistant à la norme
scolaire. Pendant longtemps cette figure stéréotypée a été le cancre immortalisé par la littérature.
Dans notre système scolaire actuel, celui qui introduit un désordre exogène dans la classe est selon
les mots d'un « ministre de l'Intérieur néo-républicain en 1998, un « sauvageon », qu'il convient de
confronter au plus vite aux exigences de la civilité républicaine et nationale. »121
Du « sauvageon » au « délinquant », nous imaginons sans peine qu'il n'y a qu'un pas. Alors, si au
lieu de pratiquer la politique de la « tolérance zéro » et de « carsheriser » les banlieues où, ce n'est
un secret pour personne, l'échec scolaire est à son paroxysme, nous réfléchissions à comment
proposer un autre modèle d'école ?
120
121
Delory-Momberger C., « Espaces et figures de la ritualisation scolaire »,in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43, p.87-92
Geay Bertrand. Du "cancre" au "sauvageon" ["Les conditions institutionnelles de diffusion des politiques
"d'insertion" et de "tolérance zéro"]. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 149, septembre 2003. Les
contradictions de la "démocratisation" scolaire. pp. 21-31
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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UNE RITUALISATION AU SERVICE D’UN SYSTÈME EDUCATIF
PLUS JUSTE ET PLUS EFFICACE
« Instruire, c’est donc toujours choisir un type d’homme et de société… même si ce choix est inconscient ou
implicite. Le choix de l’éducation n’est pas celui de la neutralité ou du respect des personnes, comme on
voudrait nous le faire croire, c’est d’abord celui de la lucidité sur les fins que l’on se donne
et la socialité que l’on veut promouvoir. »122
Philippe Meirieu
Après avoir vu en quoi le type de ritualisation mis en place à l'école traditionnelle n'est pas
satisfaisant, nous allons tenter de proposer quelques pistes pour instaurer des rites et des rituels
au service d'un système éducatif plus juste et plus efficace.
«Aujourd’hui comme hier, la vie en communauté n’est pas possible sans rituel ni ritualisation. Tout
changement, toute réforme d’une institution ou d’une organisation nécessite une modification des
rituels. »123
Nous partageons l'idée que l'être humain a besoin de rituels pour vivre en société, mais nous
doutons que le rétablissement des rites républicains (hymne national, drapeau, devise) dans les
établissements suffise à impliquer davantage les élèves à la vie démocratique. Il nous semble au
contraire fondamental de sortir du modèle de l'école comme rite archaïque afin d'instaurer une
véritable démocratie en son sein et d'accompagner les élèves sur le chemin de la citoyenneté.
1) Faire de l’école un lieu démocratique
Voilà une affirmation qui devrait être un pléonasme, car dans un pays démocratique, l'école
devrait, avant toute chose, être démocratique. Mais encore une fois, l'école souffre du paradoxe
« faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Pourtant, depuis quelque temps, les instructions
officielles pour l'école (primaire, collège et lycée) sont de véritables injonctions à l'éducation à la
citoyenneté.
a - De la nécessité de permettre aux élèves de devenir des citoyens
« On ne résoudra pas le problème des contributions du système éducatif à la démocratie en
introduisant dans la grille horaire une ou deux heures hebdomadaires à l'éducation et à la
citoyenneté. Rien ne progressera si l'on ne met pas cette préoccupation au cœur des disciplines, de
toutes les disciplines. »124 (Vellas, 1993, 1999)
En effet, nous pensons que, pour apprendre à être citoyen, il faut devenir citoyen, comme c'est en
122
123
124
Meirieu Ph. Entretien avec Armen Tarpinian « Instruire ou éduquer »
Wulf Christoph et Gabriel Nicole, « Introduction » Rituels. Performativité et dynamique des pratiques sociales », 2005
Perrenoud Ph. L'école est-elle encore le creuset de la démocratie ? Chronique Sociale, Lyon, 2003, page 12
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
49
forgeant que l'on devient forgeron. On peut se demander qu'est-ce qui est fait à l'école pour
éduquer nos enfants à la citoyenneté ? Des élections de délégués de classe, avec pour les élus la
possibilité d'assister aux conseils de classe ? Parodie de démocratie !
« Que fait l'école, comment fonctionne-t-elle pour que les enfants et les jeunes y construisent leurs
expériences citoyennes ? De quel fonctionnement républicain et démocratique y font-ils l'expérience
qui leur permettrait de percevoir au moins des piliers des institutions républicaines que sont le
respect des droits des citoyens inscrits dans le préambule -donc le point d'ancrage- de la
Constitution et la séparation des pouvoirs ? »125
Comme le dit Gérard Castellani, les devoirs n'ont de fondements ou de raisons d'être dans une
démocratie, que de permettre ou de protéger l'exercice de ses droits. Il propose donc comme seul
moyen légitime d'enseigner leurs devoirs à des enfants, de leur montrer en quoi les devoirs qu'on
leur impose sont fondés sur le respect et l'exercice de leurs droits.
Dans les faits, l'école fonctionne plus comme une monarchie, voire comme une dictature. Et
Gérard Castellani de citer Montesquieu : « Tout serait perdu si le même homme ou le même corps
des principaux, ou des nobles ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire les lois,
celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes et les différends des
particuliers. » - De L'Esprit des lois, XI, 6.
Que fait l'école de la séparation de ces trois pouvoirs ? Qui fait les lois, veille à leur exécution et
juge à l'école ? Les enseignants. Comment les élèves peuvent-ils saisir l'importance de cette
séparation des pouvoirs s'ils n'ont pas pu en faire l'expérience ?
« Si l'on vivait à l'école -dans toutes les écoles- et dans la classe -dans toutes les classesl'expérience de la démocratie, telle qu'elle se pratique dans certaines bonnes classes coopératives,
ne permettrait-on pas aux enfants de comprendre le fonctionnement d'une démocratie et ne leur
donnerait-on pas l'envie indélébile de participer à la vie démocratique de leur commune, de leur
pays, voire de l'Europe et du monde ? »126
Si l'on souhaite que la société change, afin de l'amener vers plus de justice sociale, il est essentiel
que l'école de la république sorte de son système autocratique et commence à développer le
« faites ce que je fais » en montrant l'exemple.
« À quoi bon enseigner le respect, la tolérance, la coopération, si le système éducatif pratique la
ségrégation, l'humiliation ou la compétition ? Le curriculum réel est fait de l'ensemble des
expériences formatrices qu'engendre la vie dans l'institution scolaire, jour après jour. L'éducation à
la citoyenneté est donc l'affaire de toutes les disciplines, de tous les moments de la vie scolaire. »127
La Finlande, l’un des pays occidentaux les mieux placés au classement PISA, a déjà compris cela. Sa
ministre de l'éducation et des sciences, Krista Kiuru, déclare : « Les enfants n'ont pas seulement
besoin de connaissances académiques, l'école est aussi l'endroit où ils apprennent que la société a
besoin d'eux, où ils acquièrent des compétences du vivre-ensemble et où ils comprennent qu'il est
important de s'occuper des autres. »128
125
126
127
128
Castellani G.A. « L'éducation nouvelle, la citoyenneté et l'école » in Vers l'Education Nouvelle, N° 532 Octobre 2008
Ibid.
Perrenoud Ph. L'école est-elle encore le creuset de la démocratie ? Chronique Sociale, Lyon, 2003, page 13
« Ecole : comment réforment-il ailleurs ? » in Courrier International n°1283 du 4 au 10 juin 2015
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
50
« La solidarité est une composante de la citoyenneté. Quiconque ne se sent guère concerné par ce
qui arrive aux autres n'a aucune raison de développer des savoirs et des compétences civiques. Il a
plutôt intérêt à se préparer à survivre dans la jungle. Il n'y a pas de cité démocratique sans un
minimum de solidarité, qu'elle naisse d'un simple calcul ou qu'elle repose sur des valeurs humaines.
Le contrat social est d'abord un contrat : un arrangement satisfaisant pour les diverses parties,
chacune se souciant légitimement de ses propres intérêts, mais avec assez de hauteur de vue et de
sens stratégique pour comprendre que la réciprocité est à moyen terme un avantage, même si elle
impose des obligations. »129
Jacques Pain le dit : « Dans une institution dépressive, la violence travaille sournoisement. »130 . Il y
a donc urgence pour l'école à se ressaisir afin de remettre au premier plan les valeurs de solidarité
et de fraternité. Les événements du mois de janvier 2015 sur notre territoire le confirment, une
partie de notre population ne se sent plus en accord avec notre société et se retourne contre elle
à la manière d'une maladie auto-immune.
« Chaque fois qu'elle fabrique de l'échec, l'école n'éduque pas à la citoyenneté ! L'exclusion, la
sélection sont bien plus graves que l'absence de cours d'éducation civique (Vellas, 1993). Je ne puis
ici développer tout ce qui touche à la lutte contre l'échec scolaire et les inégalités sociales devant
l'école. J'insiste surtout sur une connexion essentielle : l'échec scolaire n'est pas un autre problème,
c'est le cœur du problème de l'éducation à la citoyenneté, parce que, sans en être des conditions
suffisantes, l'appropriation des savoirs et de l'écrit (Lahire, 1993) et la construction de compétences
de haut niveau en sont des conditions nécessaires. »131
L'éducation, toujours l'éducation, notre seule arme pour changer la société.
C'est bien là que les rituels ont un rôle à jouer, ils doivent permettre de créer un cadre cohérent et
accepté par tous. « Dans une institution, c'est le cadre qui tient l'ambiance. »132. En effet, si le
cadre est juste, l'institution sera plus saine.
« J'entends par ritualisation la mise en place progressive d'habitus, de comportements attendus,
de prise de rôles, de dispositions d'esprit, acquis par le recours volontaire, délibéré et systématique,
de la part d'enseignants et/ou de formateurs, à un cadre, édictant les règles de fonctionnement et
les objectifs de l'activité. »133
En France, la pédagogie institutionnelle a mis en place depuis des décennies des institutions qui
sont structurantes pour la vie de la classe. Elles permettent d'appréhender la démocratie et de
vivre ensemble libres et en paix.
129
130
131
132
133
Perrenoud Ph. L'école est-elle encore le creuset de la démocratie ? Chronique Sociale, Lyon, 2003, page 16
Pain Jacques, L'école et ses violences, Paris, Edition Economica, 2006, page 46
Perrenoud Ph., L'école est-elle encore le creuset de la démocratie ? Chronique Sociale, Lyon, 2003, page 30
Pain Jacques, L'école et ses violences, Paris, Edition Economica, 2006, page 46
Christiane Montandon « Règles et ritualisations dans la relation éducative. » in Hermes, 2005
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
51
b - De l'utilité de faire institution
« Et, comment devenir philanthrope, se demande Aristote, sans « institution » et sans règles sociales ? »134
« Ce qui distingue la réalité sociale humaine de la réalité sociale animale est l’émergence
d’une réalité institutionnelle chez les êtres humains. »135
John Searle
Faire institution est une capacité dont seuls les êtres humains sont dotés. C’est un créant des
institutions qu’une vie sereine en société sera possible.
« Les êtres humains ont une capacité de symbolisation liée à leur langage, ils peuvent charger d’un
contenu signifiant des faits qui en sont initialement dépourvus. Dans le cas des faits institutionnels,
cette capacité rend possible l’assignation collective d’un nouveau statut sémantique à un fait brut,
qui acquiert par là même une nouvelle fonction à laquelle s’associent un faisceau d’activités et un
système déontique composé de droits, d’obligations, d’autorisations, etc. »136
La pédagogie institutionnelle « place enfants et adultes dans des situations nouvelles et variées qui
requièrent de chacun engagement personnel, initiative, action, continuité. Ces situations souvent
anxiogènes (...) débouchent naturellement sur des conflits (...). De là cette nécessité d’utiliser, outre
des outils matériels et des techniques pédagogiques, des outils conceptuels et des institutions
sociales internes capables de résoudre ces conflits par la facilitation permanente des échanges
matériels, affectifs et verbaux. »137
134
Pain Jacques, L'école et ses violences, Paris, Edition Economica, 2006
135
Éric Monnet et Pierre Navarro, « Les institutions sont-elles dans la tête ? Entretien avec John Searle», 2009
Éric Monnet et Pierre Navarro, « Les institutions sont-elles dans la tête ? Entretien avec John Searle», 2009
Oury F. et Vasquez A., Vers une pédagogie institutionnelle, (p. 245 et 248), Paris, Maspéro, 1967
136
137
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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« La nomination de la P.I. est le fait de Jean OURY138 (...). Il s’agit d’une pédagogie “institutionnelle”,
c’est-à-dire d’une pédagogie qui déchiffre à la fois l’enseignement, mais aussi le “savoir”, comme un
champ d’instances concrètes, étroitement articulées par la règle de l’Échange, comme un lieu
structuré par “l’institution”. Et l’institution ne va pas sans “l’institutionnalisation” quotidienne. »139
« Qu’entendons-nous par « institutions » ? La simple règle qui permet d’utiliser le savon sans se
quereller est déjà une institution. L’ensemble des règles qui permet de définir « ce qui se fait et ne
se fait pas » en tel lieu, à tel moment, ce que nous appelons les lois de la classe, en sont une autre »
(Fernand Oury).
Dans ce type de classe, la loi ne sera pas écrite par et pour les adultes, mais par l'ensemble des
membres de la classe. Elle sera rédigée puis affichée, créant un rituel vertueux que tous auront à
cœur de respecter.
« L'obéissance à la règle qu'on s'est soi-même prescrite est liberté »
Jean-Jacques Rousseau
Les institutions incontournables des pédagogies nouvelles sont :
Le « Quoi d'neuf ? » est un temps de parole quotidien au cours duquel, le matin en arrivant,
chaque élève peut s'exprimer sur le sujet de son choix. Le but étant de permettre une transition
entre la maison et le début de la classe, et d'encourager l'expression orale de manière concrète.
Le « Conseil de classe coopératif» ou l' « Heure du vivre ensemble », sont des institutions
importantes dans cet accès à la démocratie. Il aura lieu au moins une fois par semaine. En vue de
ce moment de bilan, une feuille aura été affichée, permettant à ceux qui le souhaitent de s'inscrire
pour prendre la parole sur un sujet de son choix. Tous les sujets en rapport avec la vie du groupe
pourront être abordés.
138
139
NDLR : Jean Oury, médecin psychiatre et frère de Fernand Oury. S’est intéressé aux Techniques Freinet,
mouvement pédagogique, dès 1949. A travaillé avec Félix Guattari.
Pain J., Pédagogie institutionnelle et formation, (p. 22), Paris, Micropolis, 1982
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Ces temps de parole collective sont animés par les enfants eux-mêmes. Composée d'un président
et d'un secrétaire, le conseil est un organe d'épuration : il permettra de libérer la parole, d'évacuer
les tensions, de régler les différends... et ainsi contribuera à faire de la classe un lieu de paix.
« J’ai le droit de copier si il est d’accord, mais je dois vérifier avec lui. »
« J’ai le droit de travailler avec quelqu’un, mais je ne gêne pas mes voisins. »
« J’ai le droit de bouger dans la classe, mais je ne bouscule pas les tables. »
« J’ai le droit de faire mon travail comme je veux, avec qui je veux, mais je dois faire ce qui est noté
dans mon plan de travail. »
« J’ai le droit d’aller boire quand je veux, mais je dis où je vais à la maîtresse. »
« La Loi, à la limite, ce serait ce qui permet qu'il y ait du passage, qu'il y ait du jeu, entre les
espaces, entre les investissements, et qui soit en rapport direct avec l'éthique, à condition qu'elle ne
soit pas « représentée » par quelqu'un. Par contre, pour que la loi fonctionne, il faut qu'il y ait un
règlement, règlement qui doit être remis en question constamment. Autrement dit : la loi, c'est ce
qui peut se déchiffrer de ce qui se donne à voir des systèmes de transgression. Parce qu'il y a
toujours de la transgression. Mais pourquoi dit-on « transgression » ? C'est parce qu'on a
implicitement un concept de loi. C'est à partir du déchiffrement de quelque chose -aussi bien sur le
plan matériel que sur le plan des relations, du respect d'autrui- qu'on va mettre en question la loi,
laquelle reste toujours abstraite. »140
140
Pochet Catherine, Oury Fernand, Oury Jean « L'année dernière j'étais mort... » signé Miloud Pédagogie et
psychothérapie institutionnelles, Edition Matrice Vigneux 1986. p.187.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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Ce qui est sans doute le plus frappant lorsqu'on assiste à la classe dans une école aux pédagogies
dites « nouvelles », c'est qu'il plane un doux sentiment de liberté. Non pas parce qu'on a
l'impression que chacun fait ce qui lui passe par la tête, mais parce qu'on a la sensation que chacun
est à sa place. C’est un peu comme lorsqu'on observe une ruche. Chacun est absorbé par la tâche
qu'il a à accomplir et tout semble en harmonie.
« Sous ces réserves que dicte la prudence et qu'appelle le soin de l'intérêt de l'enfant et de sa
sécurité, le régime de la liberté n'enfante que d'heureux résultats. Il entraîne l'enfant dès l'âge de
raison, vers l'exercice des plus nobles facultés ; il l'habitue à la responsabilité ; il éclaire son
jugement ; il ennoblit son cœur ; il fortifie sa volonté ; il actionne en lui les efforts les plus féconds,
stimule les poussées les plus généreuses ; il attire son attention sur les conséquences de ses actes ; il
favorise son esprit d'initiative ; il multiplie ses activités ; il décuple ses énergies ; il développe
merveilleusement sa personnalité. Il construit, lentement mais sûrement, un être digne sans
arrogance, fier sans morgue, épris d'indépendance pour les autres autant que pour lui, respectueux
de la liberté d'autrui comme il entend qu'autrui respecte la sienne... »141
2 - Un lieu de paix
« Dans une classe « ordinaire », bien en rang, y a-t-il un lieu du « dire », un lieu de parole véritable ?
Il n'y a souvent que du bavardage, forme défensive d'un « dire » opprimé. D'où l'importance, encore une
fois, de cette modification de l'espace par Freinet.
Que le maître ne soit plus le « buste » de Chirico : le maître derrière son bureau, sans jambes, les pauvres
gosses alignés, comme ça, dans une atmosphère de fin du monde, de « crainte et tremblement » !
Modifier l'espace, supprimer cette sorte de belvédère, ce poste d'observation, afin que les lieux soient
investis. C'est ainsi que les « praticables » se mettent en place, là où se manifeste
quelque chose de l'ordre du désir.
C'est analogue à ce que Freud -reprenant l'expression de Fechner- appelait « l'autre scène ».
Ce sont ces « autres scènes » qui, se constituant, doivent être fabriquées et préservées par la dynamique
institutionnelle de la classe. »142
Jean Oury
141
142
Faure Sébastien, « La contrainte ou la liberté ? » 1910
Pochet Catherine, Oury Fernand, Oury Jean « L'année dernière j'étais mort... » signé Miloud Pédagogie et
psychothérapie institutionnelles, Edition Matrice Vigneux 1986. p.182
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
55
Nous avons vu combien l'école traditionnelle peut être sujette à la violence, et c'est une tendance
qui s'amplifie depuis quelques années. La violence latente dans une classe n'est absolument pas
propice à la réalisation d'apprentissages.
« L'agressivité, ce n'est pas l'agression -on confond souvent, en particulier les éthologistes.
L'agressivité, c'est ce qui a été travaillé par l'Imaginaire, par le face à face, par le miroir, par la
reconnaissance du soi-disant semblable ; l'agressivité est un corollaire du spéculaire ; il n'y a pas
d'agressivité en soi. Il ne s'agit donc pas de traiter l'agressivité en tant que telle, mais de traiter
pourquoi elle se développe, c'est-à-dire traiter ce qui apparaît comme une sorte de palais des
mirages : la classe traditionnelle avec ses comparaisons permanentes, ses reflets, ses compétitions,
etc. Le problème de ce palais de mirages, c'est tout ce qui, d'une part, est négligé, mais tout ce qui,
d'autre part, est provoqué, déclenché, déterminé par cette massification ; c'est ce problème qui est
en question dans la structuration, l'organisation d'une classe. »143
Il est vrai que l'organisation et la structuration d'une classe va être déterminante dans
l'instauration de la paix. Mais comme le spécifie Jean Oury, il n'est pas question de supprimer les
conflits, car sans conflits pas de dialectique possible.
« S'il n'y a pas de conflit, il n'y a pas de vie ! C'est dans le conflit qu'on va manifester sa
personnalité. Le maître est là, non pas pour supprimer, étouffer les conflits, mais pour les
interpréter, les rendre utiles à quelque chose. »144
Le rôle de l'enseignant va être essentiel afin de permettre au groupe d'exister, d'échanger, de
grandir, sans s'enliser dans des conflits.
« Le maître est là pour que puisse se manifester la personnalité de chaque sujet, mais d'une façon
qui soit profitable aussi bien pour soi-même que pour les autres. On doit donc tenir compte de soimême et des autres, c'est-à-dire préserver une dimension éthique ; c'est, si l'on veut, travailler au
niveau de ce qu'Aristote appelait « Zôon koinônikon ». Qu'il y ait de la « koinônia », c'est-à-dire une
sorte de « tenir compte » des autres dans une atmosphère, pas forcément non conflictuelle, mais
de respect, de « philia », c'est-à-dire d'amitié, d'honnêteté. C'est indispensable, et ce n'est pas du
tout incompatible avec la singularité de chacun. Au contraire. »145
Il va devoir créer des rituels qui permettent ces échanges dans un climat constructif et bienveillant.
Comme l'a expliqué Francis Imbert, c'est dans ces rituels de construction du collectif que « la voix se détache
du cri », que « l'enfant hors-la-loi se libère du masque qui le brûle (...) parce qu'il dispose d'un lieu
d'interpellation -d'appel et de partage de paroles- et peut, à la différence de Narcisse, se séparer des images
dans lesquelles il se pétrifiait et se consumait ».146
C'est ce que propose Isabelle Peloux, qui a créé une école basée sur la pédagogie de la
coopération, dans la Drôme.
143
144
145
146
Pochet Catherine, Oury Fernand, Oury Jean « L'année dernière j'étais mort... » signé Miloud Pédagogie et
psychothérapie institutionnelles, Edition Matrice Vigneux 1986. p.171-172
Ibid.
Ibid.
Imbert Francis, Médiations, institutions et loi dans la classe, Paris, ESF, 1994
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
56
a - L'éducation à la paix à l'école du Colibri : Isabelle Peloux147
Le projet de l'école du Colibri, d'Isabelle Peloux, s'inspire de la phrase de l'Unesco :
« Les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que
doivent être élevées les défenses de la paix. »
L'apprentissage est donc décliné autour de trois grands thèmes :
être en paix avec soi-même,
avec les autres,
avec son environnement.
Être en paix avec soi-même :
. Apprendre à gérer ses émotions
Les enfants sont entrainés à connaître et à identifier leurs états émotionnels, afin de les accepter
sans les juger. Par un travail autour de la relaxation, de postures et du recentrage, ils apprennent à
se responsabiliser face à ce qu'ils ressentent.
. Le coin du beau
Ils peuvent également aller voir le « coin du beau », endroit installé dans la grande salle commune.
Sur une petite table sont disposés des objets qu'ils ont choisis et glanés ici et là pour leur beauté.
Ils les contemplent afin de retrouver la paix en eux.
147
Peloux Isabelle, Lamy Anne, L'école du colibri, Arles, Actes Sud, 2014
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
57
Être en paix avec les autres :
. Travailler sur les avantages et les inconvénients du groupe
Des exercices leur sont proposés afin de travailler sur les avantages et les inconvénients du groupe.
Avant de débattre, les élèves sont réunis par groupes de quatre à partir d'une situation concrète de
la vie collective. La totalité des élèves est ensuite réunie et les conclusions seront exposées à tous
puis affichées.
. Les mots du conflit
Afin que les petites chamailleries quotidiennes ne s'enveniment, un travail va être fait sur les mots
du conflit afin de repérer ce qui est vraiment grave par rapport à ce qui n'est qu'une saute
d'humeur. Les enfants ont établi une gradation des mots du conflit, des moins graves (rapporter,
titiller, taquiner, enquiquiner, narguer) aux plus graves (faire du chantage, se moquer, dénoncer),
aux encore plus graves (voler, accuser, harceler), pour finir avec les très graves (humilier, insulter,
taper, menacer, racketter).
La médiation par les pairs :
Si les élèves ne parviennent pas à démêler un conflit, ils sont invités à demander l'intervention
d'un tiers : c'est le principe même de la médiation par un pair. Isabelle Peloux insiste sur le fait
qu'ici, tous les enfants sont formés à la médiation par les pairs. Même si certains sont des
ambassadeurs de la paix plus convaincants, cela évite que, comme dans les autres établissements,
les enfants formés à la médiation se voient conférer une place particulière au sein de l'école. De
plus, lorsque tous les enfants sont formés, la médiation est plus efficace car ils en connaissent le
protocole.
Pour compléter cette présentation, citons Roger DELDIME et Richard DEMOULIN148 : ” La
Pédagogie Institutionnelle se caractérise par la médiation qui peut être un objet (outil ou but) ou
une personne, ou une institution, mais qui se révèle toujours être plus qu’un objet ou une personne.
”
Etre en paix avec son environnement :
L'école du Colibri est au cœur d'un projet agro-écologique, le respect de l'environnement se vit
donc en transversalité. Les élèves vivent avec le rythme des saisons. Ils apprennent à respecter la
nature, à se contenter de ce qu'ils ont : principe de la sobriété heureuse. Ils cultivent un jardin
potager et passent beaucoup de temps en extérieur.
148
Deldime R., Demoulin R., Introduction à la psychopédagogie, 3ème édition, (p.181), Bruxelles, De Boeck Université,
1994
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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L'atelier Philo :
Chaque lundi matin, tous les élèves de l'école se réunissent dans la grande salle afin de participer à
l'atelier philo.
« L'atelier philo entraîne chaque enfant à puiser ses ressources en lui, à réfléchir par lui-même sans
juger ni se sentir jugé, à réaliser que tout le monde n'a pas la même opinion et que personne n'a
tort ou raison, à s'enrichir de la réflexion des autres et faire évoluer sa pensée.
En plus de cette occasion d'ouvrir grand son regard, les séances du lundi matin invitent l'enfant à
s'impliquer, à prendre sa place dans le groupe. C’est un excellent entraînement pour se construire
comme citoyen responsable et pour comprendre la richesse de notre système démocratique. »149
Ces séances sont très ritualisées, les enfants sont assis au sol, disposés en cercle, une petite bougie
est allumée afin de rappeler que la parole est sacrée. Le sujet est proposé par un des adultes, puis
les enfants vont pouvoir prendre la parole à tour de rôle. Ils viennent au centre et s'emparent du
bâton de parole. Un adulte prend en notes la séance.
Quelques thèmes suggérés par les enfants :
- Faut-il vivre un drame dans sa vie pour être heureux ?
- À quoi ça sert de se faire peur ?
- Qu'est-ce qui se passe dans notre tête quand on fait des bêtises ?
- Peut-on penser à quelque chose d'inconnu ?
- Obliger, est-ce que c'est bien ?
- Comment affronter les incertitudes ?
- Pourquoi parfois on a peur de choisir ?
Pour avoir assisté à l'une de ces séances, nous avons réellement apprécié ce travail et avons pu
constater avec quelle implication et quel sérieux les enfants se sont emparé du sujet proposé.
149
Peloux Isabelle, Lamy Anne, L'école du colibri, Arles, Actes Sud, 2014, page 110
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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b - Développer la coopération et non la compétition
"Nous pourrions coopérer, c'est-à-dire progresser vers
une humanité unifiée, qui va du 'je' au 'nous', du 'nous'
au 'je' pour faire émerger le meilleur de chacun.
Nous pourrions donner envie à l'enfant d'oser être
lui-même. Et lui donner la soif d'apprendre
et la joie d'être élève."
Isabelle Peloux
L'école traditionnelle est construite sur un modèle où règne la compétition, ce qui débouche sur la
concurrence et l'agressivité. Cette ambiance n'est pas propice aux apprentissages.
« Notre discussion antérieure sur le contenu de l'enseignement, en partant de l'activité directe
ayant un objectif immédiat pour élargir ensuite le sens que l'on donne à la géographie et à l'histoire
pour accéder finalement à la connaissance scientifiquement organisée, reposait sur l'idée de
maintenir un lien vivant entre la connaissance et l'activité. Ce qui est appris et utilisé dans une
occupation ayant un objectif et impliquant la coopération avec les autres est une connaissance
morale, qu'on la considère consciemment ainsi ou non. Car elle crée un intérêt moral et confère
l'intelligence requise pour rendre cet intérêt effectif dans la pratique.150 »
« La qualité morale et la qualité sociale de la conduite sont, en dernière analyse, identiques. On ne
fait que répéter explicitement l'essentiel des premiers chapitres concernant la fonction sociale de
l'éducation lorsqu'on dit que la valeur de l'administration, du programme et des méthodes
d'enseignement scolaire se mesure au degré d'esprit social qui les anime. Le grand danger qui
menace le travail scolaire est l'absence des conditions permettant la pénétration de l'esprit social
sans lequel toute formation morale efficace est impossible. Car cet esprit n'est présent et opérant
que lorsque certaines conditions sont réunies. »151
La classe coopérative et l'imprimerie : Célestin Freinet et Fernand Oury
La coopérative scolaire que Célestin Freinet a développée dans son village de Bar-sur-Loup a pris
son essor avec l'arrivée de l'imprimerie. Elle a permis au groupe-classe de coopérer autour du
projet commun de la création d'un journal, de la production de textes libres, de correspondances
avec d'autres écoles... Tout était imprimé au sein même de la classe.
150
151
Dewey John, Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin, 1990 (rééd) p.440
Dewey John, Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin, 1990 (rééd) p.442
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Le groupe d'apprentissage selon Philippe Meirieu
« J’ai tenté, il y a maintenant plusieurs années, de formaliser ce que j’ai appelé le « groupe
d’apprentissage » et qui représente un effort pour que les apprentissages cognitifs s’appuient sur
les interactions sociales et constituent, simultanément, un apprentissage de l’écoute, du respect de
ce que l’autre a à me dire et de ce en quoi, par la différence qu’il représente et la contradiction qu’il
m’apporte, il me fait progresser. De tels dispositifs requièrent, sans doute, une préparation
importante puisque l’enseignant doit y faire respecter des règles de fonctionnement minimales qui
garantissent que la tâche commune n’est possible que par la participation et l’apport de chacun ; ils
supposent une préparation individuelle du travail, une distribution et une rotation des rôles, une
vigilance permanente pour que le groupe ne privilégie pas systématiquement la production (au
risque de marginaliser ceux qu’il perçoit comme incompétents) ou le bien-être collectif qui scelle
son unité sur le plan fantasmatique… Tout cela est difficile, j’en conviens. Mais il y a là un travail
essentiel si l’on ne veut pas que l’École continue à fabriquer de l’exclusion et, parfois même, de la
délinquance.
L’enjeu est de taille : il s’agit de montrer que l’on peut apprendre avec l’autre et non pas toujours
contre lui, non pas pour dominer mais pour se réaliser ensemble et substituer au seul plaisir
individuel la satisfaction collective d’un progrès réalisé grâce à la participation de chacun… Il s’agit,
plus profondément encore, d’apprendre à surseoir à sa propre violence pour prendre le temps
d’entendre l’autre. C’est même là la condition fondamentale pour que la violence entre élèves, cette
violence verbale ou physique de l’intimidation qui interdit à qui veut prendre la parole de terminer
sa phrase et le condamne à l’onomatopée ou à l’insulte, soit progressivement éradiquée. Et, peutêtre, ne fais-je que définir là la condition essentielle de l’exercice de la démocratie : ce sursis à la
violence première qui seul permet d’espérer entrer dans le champ de l’inter-argumentation
constructive. »152
L'échange de stratégies mentales
Isabelle Peloux permet à ses élèves de coopérer afin de s'échanger leurs stratégies mentales.
Encore une fois, le protocole est très ritualisé. Elle leur propose par exemple de résoudre un
problème de mathématiques (ce qu'elle préfère appeler « une enquête » car c'est plus stimulant
pour les enfants). Les élèves commencent d'abord par chercher tout seuls pendant cinq minutes.
« Ensuite, même si son raisonnement débouche sur une impasse, il va découvrir les chemins
empruntés par ses voisins et il en tirera quelque chose. »153
Ensuite, les élèves se mettent par groupes de trois et échangent leurs stratégies mentales chacun à
leur tour. Si l'un d’eux s'est trompé, il doit tenter de reformuler le bon raisonnement avant de
corriger sur sa feuille. Cet échange est très instructif et les élèves adorent ce moment. La
reformulation est une part très importante du travail. De même qu'expliquer son raisonnement à
autrui est très bénéfique. Le savoir est la seule chose que nous avons plus après l'avoir partagé
avec quelqu'un d'autre. Reformuler permet d'assimiler ses connaissances.
152
153
Meirieu Ph. Entretien avec Armen Tarpinian « Instruire ou éduquer »
Peloux Isabelle, Lamy Anne, L'école du colibri, Arles, Actes Sud, 2014, page 77
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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3) Un lieu propice à l'apprentissage
a - Installer un cadre sécurisant
« Si tout rite assume cette fonction de cadrage, inversement, tout cadrage induit des processus de
ritualisation, particulièrement mis en évidence par F. Oury et A. Vasquez. Ainsi, ce recours au cadre est
corrélatif des difficultés de socialisation, des phénomènes de violence, et d'exclusion.
Et devant l'absence de rituels d'intégration d'élèves marginalisés, les théoriciens de la pédagogie
institutionnelle et des chercheurs en pédagogie interactive ont montré l'intérêt d'initier à nouveau des
processus de ritualisation par un encadrement de l'activité qui trouve son principe organisateur dans
l'instauration d'un cadre, rejoignant ainsi, sous certains aspects,
l'intuition freudienne du dispositif de la cure. »154
Christiane Montandon
Nous avons vu comment notre société, tout d'abord de par sa sécularisation, ainsi que de par ses
bouleversements sociétaux, a abandonné la plupart des rites qui oeuvraient pour sa cohésion
sociale.
« On pourrait ainsi interpréter comme témoignant d'un déficit de rituels dans certains secteurs de
l'éducation et de la formation, cette nécessité désormais de recourir à un cadre, défini comme nonprocessus (Montandon, 2001 ), pour qu'adviennent des processus de ritualisation sur lesquels
peuvent s'étayer habitus et démarches d'apprentissage. «Le rite fournit un cadre» (M. Douglas,
1992, p. 81). En tant que tel, il est ce par quoi notre expérience prend sens. En dégageant les trois
fonctions des rites séculiers, M. Douglas met en lumière l'aspect performatif du cadre, comme ce
qui détermine l'émergence de processus psychiques individuels :
- concentration de l'attention et focalisation sur un événement,
- stimulation de la mémoire,
- moyen de dominer notre expérience en structurant la perception et en médiatisant notre rapport
au monde. »155
« En matière d'éducation, peut-être encore plus que dans d'autres domaines, on peut interpréter
les rituels comme des façons de «contenir», au sens où l'entend le psychanalyste Bion (voir
Blanchard-Laville, 1996), les émotions et notamment la peur. »156
L'instauration de rituels va sans aucun doute permettre de rassurer les élèves et ils en auront
besoin s'ils veulent réellement assimiler de nouveaux savoirs. La situation d'apprentissage
comporte toujours un moment inconfortable pour l'apprenant.
« Une situation d'apprentissage véritable suppose, de manière simultanée et complémentaire, une
certaine déstabilisation (faute de quoi il n'y a rien, vraiment, à apprendre) en même temps qu'un
point d'appui possible (sinon, ce qu'il y a à apprendre n'est pas repérable comme tel). Son efficacité
suppose qu'elle joue bien sur ce que Bruner appelle la zone proximale. Il reprend, ce faisant, les
154
155
156
Christiane Montandon « Règles et ritualisations dans la relation éducative. » in Hermes, 2005
Christiane Montandon « Règles et ritualisations dans la relation éducative. » in Hermes, 2005
Hatchuel Françoise, « Rituels d'enseignement et d'apprentissage », in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43, p.93-100
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travaux du grand psychologue russe Lev Vygotski »157
« Le cadre fournit des délimitations spatio-temporelles, renferme les prémisses organisationnelles
qui structure l'activité et assigne aux élèves des rôles respectifs. »158
Une fois le rituel instauré, le cadre bien délimité, le rôle de l'enseignant durant l'apprentissage sera
de se mettre en retrait. Pour que l'élève apprenne, il lui faudra cesser d'enseigner. Il devra se tenir
prêt à intervenir seulement en cas de besoin de la part de l'élève.
« Or, deux résultats viennent infirmer cette hypothèse : M. Cherkaoui (1979) montre que, sous
certaines conditions, les enfants d'origine populaire réussissent mieux dans des classes plus
nombreuses, tandis que, selon une étude de l'Apfee (association pour une école efficace), les
classes à double-niveau sont plus efficaces que les classes à simple niveau (Apfee, 1995). Dans les
deux cas, on peut supposer que les élèves disposent de moins de temps avec les enseignants et
enseignantes. Ces résultats, reliés à mes précédents travaux sur l'engagement d'élèves dans des
ateliers mathématiques (Hatchuel, 2000), m'ont incitée à faire l'hypothèse de la difficulté, pour
certains élèves, à développer leur propre pensée lorsqu'ils et elles sont sous le regard de
l'enseignant (e), ou, plus probablement, sous un certain type de regard que les rituels vont nous
permettre de mieux comprendre, en nous appuyant sur la notion d'espace transitionnel telle que l'a
définie Winnicott (1975). »159
Les rituels, en tant que cadres sécurisants et structurants, vont également autoriser plus de liberté
durant l'acquisition des savoirs. Le travail construit permettra de créer des espaces transitionnels, à
l'intérieur desquels il sera possible aux apprenants de procéder au tâtonnement expérimental.
« J'avais en effet montré, en interrogeant les élèves sur leur pratique des mathématiques dans les
ateliers, c'est-à-dire un espace situé hors de la classe et de ses contraintes, comment la liberté qui
leur était laissée dans la façon d'organiser leurs recherches permettait à ceux et celles qui en
étaient capables de s'en emparer pour trouver «leur propre façon de faire», comme le disait ellemême l'une des élèves interviewées. J'interprétais alors les ateliers comme un espace transitionnel
instauré, non pas par l'adulte, comme c'est le cas dans les processus que décrit Winnicott pour le
jeune enfant, mais par certains élèves qui ont réussi à en acquérir la capacité, probablement à
partir de la façon dont cet espace a été instauré pour eux et elles dans leur enfance. Je fais
l'hypothèse que ces élèves correctement « transitionnalisés » peuvent investir l'espace qui leur est
offert comme terrain de jeu propice à développer leurs capacités d'apprentissage en s'autorisant à
essayer et à se tromper. La question se pose alors de ce qui pourrait faciliter un tel investissement
chez des jeunes moins capables de le faire par eux-mêmes. Il me semble que cela peut être le cas
des rituels, à condition qu'ils restent ouverts aux processus mimétiques qui permettent aux élèves
de s'en emparer en les modifiant. »160
Le rôle de l'enseignant sera, en plus d'avoir créé le cadre et les conditions propices à
l'apprentissage, de se placer en garant de la loi. Il devra être présent sans être envahissant.
« Mais, à l'inverse du rituel dont l'ordonnancement se déploie à l'insu des acteurs, dans l'évidence
implicite d'un déjà-là, d'un donné enraciné dans la tradition, la ritualisation des processus
157
158
159
160
Astolfi Jean-Pierre, L'école pour apprendre, ESF Editeur, Paris, 1992, page 141
Christiane Montandon « Règles et ritualisations dans la relation éducative. » in Hermes, 2005, n°43
Hatchuel Françoise, « Rituels d'enseignement et d'apprentissage », in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43, p.93-100
Hatchuel Françoise, « Rituels d'enseignement et d'apprentissage », in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43, p.93-100
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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d'apprentissage et de formation qu'engendre l'instauration inaugurale du cadre renvoie à
l'explicitation volontaire, réitérée des règles de fonctionnement, par un animateur (enseignant ou
formateur) symboliquement garant de la loi. »161
« La répétition d'une telle configuration de rôles et d'activités induit peu à peu des processus de
travail spécifiques : circulation de la parole, diversification des rôles, investissement dans une
activité collective, posture d'écoute active, attention soutenue, tout un ensemble d'habitus, ou
encore de savoirs incorporés qui étaient loin d'être acquis au départ et qui se sont construits
progressivement grâce au maintien de ce cadre sécurisant.
L'instauration de relations équilibrées entre les élèves requiert d'autre part des modalités
d'intervention spécifiques de la part de l'enseignant. Garant du cadre, il cherche à saisir la
signification, au niveau des processus cognitifs, des démarches d'apprentissage dans le champ
épistémique visé et intervient en reformulant pour faciliter la prise de conscience de ce qui se joue,
et éventuellement fournir les termes adéquats pour nommer les éléments de connaissance. Mais
cette fonction de régulation des interactions durant l'activité ne prend tout son sens que par
rapport au démarrage. Ce moment d'initialisation rejoint ce que E. Goffman pointe comme étant
des marqueurs conventionnels (Goffman, 1991, p. 246). Et il remarque que «pour certaines
activités, la parenthèse d'ouverture a une signification plus importante que la parenthèse de
clôture». » 162
L'enseignant devra être vigilant afin que les rituels d'apprentissages puissent évoluer et ne pas
enfermer les apprenants dans une routine ennuyeuse qui serait à même de forclore toute situation
didactique.
« Car si l’action de l’enseignant consiste à organiser un milieu fonctionnant sur la base de règles
relativement stables, pouvant même conduire à la routinisation de certaines pratiques, un ordre
scolaire trop rigide, une invariabilité des formes de l’action didactique risqueraient de forclore
l’activité de l’élève et de la réduire à des pratiques répétitives et sclérosantes. »163
b - Permettre à chacun de définir sa place
« À l'opposé, la pédagogie institutionnelle (voir par exemple Imbert, 1998) insiste depuis
longtemps sur l'intérêt des rituels pour faire exister l'individu dans sa singularité, qu'il s'agisse des
« métiers » attribués à chaque enfant-élève ; de l'importance accordée aux procédures de
nomination et de reconnaissance ; de la distribution rigoureuse de la parole dans les différentes
instances de la classe (conseil, moment d'expression libre)... Nous voyons donc que les rituels
donnent des places ; mais cette attribution fait courir le risque, comme nous l'avons vu
précédemment, d'assigner le sujet à des places trop étroitement définies. Toute la question est donc
de savoir comment le sujet pourra contribuer à définir « sa » place, en lien avec celle que lui donne
le collectif. Or ce jeu, permis ou non, avec les places attribuées, est incarné par des personnes et va
donc dépendre de leurs enjeux psychiques respectifs, en fonction de ce que l'adulte rendra possible
pour l'enfant et de ce que l'enfant s'autorisera, dans une dialectique croisant son histoire
personnelle avec les signaux précédemment reçus de la part de l'adulte qu'il/elle a en face de
lui/elle. Comment se construire sa place en fonction de celle que nous donnent les autres, de la
161
Christiane Montandon « Règles et ritualisations dans la relation éducative. » in Hermes, 2005. n°43
Ibid.
163
Marchive Alain,« Le rituel, la règle et les savoirs Ethnographie de l'ordre scolaire à l'école primaire », in Ethnologie
française, 2007/4 Vol. 37, p. 597-604
162
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façon dont ils nous «interprètent» pour reprendre le terme de P. Castoriadis-Aulagnier (1975) ? La
question renvoie à celle de l'intimité et de la délimitation du territoire psychique propre à chacun et
chacune de nous, à la façon dont nous avons pu construire ce territoire et dont les signaux
extérieurs viennent ou non « envahir» ce territoire. Les travaux de Jean-Yves Rochex (1995)
montrent ainsi comment une jeune fille autorisée à exister en-dehors de la langue et de la religion
de ses parents aura plus de chance de réussir scolairement que celle qui a grandi dans la confusion
des places et la difficulté de symbolisation. »164
c - Mettre en valeur chaque enfant-élève
« Ce n'est pas parce qu'on n'est pas motivé qu'on ne réussit pas ; c'est parce qu'on n'a jamais réussi -ou si
peu- qu'on n'est pas motivé. Car, en réalité, en classe comme ailleurs,
rien ne démobilise plus que l'échec. »165
Françoise Hatchuel
Isabelle Peloux a une image très efficace pour évoquer la motivation ; elle nous dit que c'est
comme si on jouait à un jeu auquel on ne gagnait jamais ; au bout d'un moment, nous n'aurions
plus envie de jouer. Pour être motivé, il faut avoir la possibilité de réussir, il faut que l'élève soit
dans sa zone proximale de développement.
Les élèves ont besoin d'encouragements afin de développer leur estime de soi.
Dans toute tête d'ex-écolier, un élève intelligent est celui qui est fort en maths et en français. Ceux
qui ne réussissent pas dans ces matières ont souvent tendance à penser qu'ils sont « nuls » alors
qu'ils ont très certainement par ailleurs d'autres compétences remarquables. Isabelle Peloux se
sert des intelligences multiples mises en évidence par le psychologue du développement Howard
Gardner, afin d'aider ses élèves à retrouver l'estime d'eux-mêmes.
L'intelligence linguistique, l'intelligence logico-mathématique, l'intelligence kinesthésique,
l'intelligence visuo-spatiale, l'intelligence naturaliste, l'intelligence musicale, l'intelligence
interpersonnelle, l'intelligence intra personnelle.
Elle utilise cette grille de lecture, principalement pour aider les enfants à retrouver l'estime d'euxmêmes : lorsque l'un d'eux se sent dévalorisé, elle l'emmène voir le tableau des formes
d'intelligence et elle lui fait chercher là où il a particulièrement du talent. Ainsi, il regagne en
assurance et il est prêt à essayer de nouveau.
De son côté, Fernand Oury, s'inspirant de son passé de judoka, développa le système des ceintures
de comportement et de compétences. Bien conscient du fait qu'une classe homogène, cela
n'existe pas, il crée des ceintures de niveau afin de permettre aux enfants d'évaluer positivement
leur réussite dans plusieurs domaines d'activité de la classe. Chaque ceinture donnant des droits et
des devoirs.
164
165
Hatchuel Françoise, « Rituels d'enseignement et d'apprentissage », in Hermès, La Revue, 2005/3 n°43, p.93-100.
Meirieu Philippe Le plaisir d'apprendre, Paris, Edition Autrement, 2014 page 27.
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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4 - Un lieu de création
« Les arts, la culture, l'expression de la beauté, sont les meilleurs alliés de l'école
pour stimuler l'envie d'apprendre d'un enfant. »
Boris Cyrulnik166
Dans notre système scolaire, on ne recherche ni ne cultive ce qui fait la singularité de chaque être
humain ; au contraire, la tendance est plutôt à uniformiser, à donner le même enseignement à tout
le monde.
« Entre les sciences morales et physiques s'étend le domaine intermédiaire des sciences de la vie où
l'on n'a permis à la liberté de recherche de s'exercer qu'à contrecoeur et sous la pression de fait
accompli. Bien que l'histoire passée ait démontré la possibilité d'augmenter et de garantir le bien
de l'humanité quand on se fie aux compétences acquises dans le processus même de la recherche,
la théorie de l' « autorité » délimite un domaine sacré de la vérité qu'il faut préserver de tout risque
de variation des croyances. Dans le domaine de l'éducation, il se peut que l'on n'insiste pas sur la
vérité éternelle, mais l'accent est mis sur l'autorité du maître et du livre et l'on décourage la
diversité individuelle. »167
166
167
Meirieu P. Le plaisir d'apprendre, Ed.Autrement, 2014 page 137
Dewey John Démocratie et éducation 1990 (rééd) p. 374-375
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
66
L'école traditionnelle encourage rarement la création. Les élèves qu'elle forme sont davantage
préparés à être des exécutants. Les pédagogies qui y sont appliquées majoritairement ne
favorisent pas la prise de risque inhérente à l'acte de créer. Créer signifie risquer de se tromper, et
l'erreur est plutôt mal vue dans le système traditionnel.
« Cet état de choses suggère une définition du rôle de l'individu ou du moi dans la connaissance, à
savoir, la re-direction ou la reconstruction des croyances reçues. Toute idée nouvelle, toute
conception des choses qui diffère de celle qu'autorisent les croyances doit avoir son origine dans un
individu. De nouvelles idées se forment sans doute, mais une société gouvernée par la coutume
n'encourage pas leur développement. Au contraire, elle a tendance à les réprimer, précisément
parce qu'elles s'écartent de ce qui est communément admis. Dans une communauté de ce type,
l'homme qui regarde les choses d'un œil différent des autres est un personnage suspect ; s'il
s'entête, cela ne peut généralement que lui être fatal. Même lorsque la censure sociale des
croyances n'est pas aussi stricte, les conditions sociales peuvent ne pas fournir les moyens
indispensables à l'élaboration correcte de nouvelles idées : ou bien, elles peuvent ne pas soutenir ni
récompenser matériellement leurs auteurs. Par suite, ces idées restent pures fantaisies, des
châteaux romantiques en Espagne, de vaines spéculations. »168
«Ceci ne veut pas dire que des diversités individuelles n'aient pas existées de tous temps, mais une
société dominée par le conservatisme et la coutume les réprime ou, à tout le moins, ne les
encourage pas et ne s'en sert pas. »169
Quel dommage de ne pas utiliser de telles ressources, sachant que l'action de créer sera source
d'épanouissement et de bonheur chez les enfants. Elle leur permettra de prendre confiance en eux
et de s'affirmer.
« Il s'agit avant tout d'un mode créatif de perception qui donne à l'individu le sentiment que la vie
vaut la peine d'être vécue ; ce qui s'oppose à un tel mode de perception, c'est une relation de
complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ses éléments sont alors
reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s'ajuster et s'adapter. La soumission
entraîne chez l'individu un sentiment de futilité, associé à l'idée que rien n'a d'importance. Ce peut
être même un réel supplice pour certains êtres que d'avoir fait l'expérience d'une vie créative juste
assez pour s'apercevoir que, la plupart du temps, ils vivent de manière non créative, comme s'ils
étaient pris dans la créativité de quelqu'un d'autre ou dans celle d'une machine. »170
Dans l'éducation, les apprenants ne pourront donner libre cours à leur créativité que si
l'enseignant sait s'effacer, se faire discret. Il lui faudra comme nous l'avons vu créer un cadre
bienveillant à l'intérieur duquel il laissera s'exprimer son élève en lui accordant toute sa confiance.
« Si je parviens à donner la description exacte d'une séance, le lecteur constatera que, pendant de
longs intervalles, je m'abstiens de toute interprétation et que, très souvent je n'émets aucun son.
Cette discipline stricte s'est avérée payante. J'ai pris des notes, ce qui m'est très utile quand je ne
vois un patient qu'une fois par semaine. J'ai d'ailleurs constaté que le fait d'avoir pris des notes
n'avait pas rompu, dans ce cas, la continuité du travail. Je me suis aussi souvent détendu en
écrivant des interprétations qu'en réalité je m'abstenais de faire. Cette retenue que je m'impose est
récompensée quand la patiente, peut-être après une heure ou deux, donne elle-même
168
169
170
Dewey John Démocratie et éducation 1990 (rééd), page 372-373
Dewey John Démocratie et éducation 1990 (rééd), page 382
Winnicott Donald, Jeu et réalité- L'espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975, page 91
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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l'interprétation.
Ma description est, en quelque sorte, un plaidoyer pour amener les thérapeutes à favoriser chez
leurs patients la capacité de jouer, c'est-à-dire d'être créatifs dans le travail analytique. La créativité
du patient, le thérapeute qui en sait trop peut, avec trop de facilité, la lui dérober. Ce qui importe,
ce n'est pas tant le savoir du thérapeute que le fait qu'il puisse cacher son savoir ou se retenir de
proclamer qu'il sait. »171
De même qu'en tant que thérapeute Donald Winnicott ouvre un espace transitionnel pour sa
patiente, l'enseignant devra trouver l'art et la manière de conduire son élève sur le chemin de l'art.
« Quant aux « textes libres », on voit bien qu'ils se placent dans cette même dimension. Libres, c'est
beaucoup dire ! C'est dans le même sens que la technique de Freud dite des « associations libres ».
Il s'agit en effet d'aborder un niveau d'expression qui n'est pas celui demandé par la société. Il me
semble important de bien préciser qu'il s'agit d'espace, d'un espace où il y a possibilité d'un certain
jeu, un jeu entre les mots, entre les phrases ; le même jeu dont parle Winnicott à propos de
« l'espace transitionnel », cet espace complexe et fragile, et cependant basal. Là où il y a du jeu,
pour qu'il puisse y avoir du mouvement. »172
L'important est de ne jamais douter des capacités de son élève. Lui accorder toute sa confiance est
nécessaire pour le faire accéder à la création.
L’éducation devrait toujours valoriser la curiosité, la créativité, l’expérimentation et l’innovation,
notamment en « décloisonnant la classe ». Il faut donner aux élèves les outils de réinventer leur
monde en pensant différemment.
171
172
Winnicott Donald, Jeu et réalité- L'espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975. p.80-81
Pochet Catherine, Oury Fernand, Oury Jean « L'année dernière j'étais mort... » signé Miloud Pédagogie et
psychothérapie institutionnelles, Edition Matrice Vigneux 1986. p.176
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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La rédaction de ce mémoire a été un voyage, un voyage long et tortueux, éprouvant et magique.
Comme tous les voyages de cette trempe, je n'en sors pas indemne, mes yeux sont ourlés de larges
cernes, mon visage est pâle de n'avoir vu le soleil durant deux mois, mais j'ai la tête remplie
d'images et de concepts, d'histoires et de verbes qui certainement font que je ne suis plus tout à
fait la même aujourd'hui.
Je suis partie un matin d'avril d'un rivage paisible où j'avais cru apercevoir la silhouette attirante du
rituel, dispositif répétitif et rassurant, ronronnant même, qui donnait l'illusion d'accéder à toutes
les libertés.
Telle Alice qui court après le lapin blanc, je l'ai suivi sans relâche et il m'a fait perdre la tête. Je n'ai
finalement pu visiter aucune des contrées qui avaient fait battre mon cœur, ni celle de la musique,
ni celle de l'improvisation, non rien de tout cela... J'ai parcouru, malgré les tempêtes, des îles
lointaines dont certaines étaient sans doute imaginaires, et ce faisant, j'ai assisté à tant de choses
que je ne puis vous raconter : le chaos, la violence ancestrale, les sacrifices humains et la rage des
dieux. Que dire, à part que j'ai eu la sensation de sombrer, sombrer, sombrer dans les méandres de
l'humanité archaïque.
La chute a été vertigineuse, j'ai tenté de rebrousser chemin mais j'étais en proie à un véritable
« fatum », « Deviens ce que tu es », m'ordonnait-il.
Combien de fois avais-je répété à qui ne m'entendait pas : « Dans la création, on ne fait jamais ce
que l'on veut, mais ce que l'on doit » ; quand cette phrase a fini par revenir à mes oreilles, alors la
seconde est arrivée juste après, la plus importante : « Dans l'acte de création, ce qui est
fondamental, c'est le travail... » Alors j'ai travaillé d'arrache pied, j'ai tenté de tenir le cap sans trop
regarder derrière moi. Je me suis permis de nombreuses escales quelques jours dans une
charmante bicoque à La Neuville, puis chez un ancien cancre détraqué qui avait décidé de devenir
écrivain, chez une fée au royaume des courges qui avait décrété qu'elle pouvait rendre tous les
enfants heureux, chez un fils de paysans travailleur acharné, égaré au pays des nantis...
Un soir d'orage, j'ai dû accoster malgré moi sur un continent torturé, celui de l'école ; je l'avais
quitté depuis si longtemps que je pensais l'avoir oublié. Je n'avais pas prévu de m'éterniser, mais
en découvrant certaines de ses régions abandonnées, livrées à elles-mêmes, où seulement
quelques idéalistes assez fous pour continuer à rêver, luttaient jour et nuit afin de sauver une
poignée de sauvageons de la noyade, j'ai décidé de m'arrêter un moment.
J'eus la sensation que l'on a quand on revient dans un endroit familier après des années
d'absence : rien n'avait changé, mais plus rien n'était comme avant. Je suis allée à tâtons, j'ai
scruté chaque recoin, j'ai cherché à comprendre et, petit à petit, j'ai cru apercevoir une autre
image dans ce paysage, une image qui ne m'était jamais apparue jusqu'alors. J'ai pensé me
tromper, j'ai eu peur, j'ai douté, mais encore une fois je n'ai pas eu l'impression d'avoir le choix :
c'était ça mon voyage, mon voyage à moi. Pas celui que j'avais choisi, mais celui qui m'avait choisi,
moi petite cervelle d'oiseau... Alors pourquoi moi ? Je n'ai pas encore compris ? Ou plutôt si, hier,
j'ai eu un élément de réponse en te regardant mon petit Prince, mon amour, et si c'était pour toi
tout ça ? Si c'était pour tous les petits Princes de la terre... Depuis que tu as fait de moi une
Yemaya, je n'ai d'yeux que pour vous.
Tout ça c'était mon rite de passage à moi...
Elisabeth Herbepin – Cefedem Rhone-Alpes - Promotion 2013-2015
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OUVRAGES
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D'ORTOLI Fabienne et AMRAM Michel : Fernand OURY Un homme est passé Frémeaux & Associés
Télévisions & L'école La Neuville 2010.
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WOLFF Françoise, Jacques LACAN parle, Arte France, 2008.
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« Espace social de Bourdieu » par Nicolas Lardot — Own Work (created with Inkscape)
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Elisabeth HERBEPIN
Notre dernier grand rite de passage :
l'école républicaine,
à quand le changement ?
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ABSTRACT /
L'école républicaine est-elle le dernier grand rite de passage de notre société ? Ce mémoire
propose de comprendre, grâce à l'éclairage de l'ethnologie, de la sociologie et de
l'anthropologie, ce que sont les rites et les rituels, et en quoi ils sont présents au sein de
notre système scolaire.
Il avance des pistes pour envisager une ritualisation différente au service d'une pédagogie
de la liberté, citoyenne et créative.
MOTS-CLEFS /
Ecole
Education
Rite d'institution
Rituel
Bouc émissaire
Pédagogie institutionnelle
Rite de passage
Citoyenneté
Cancre
Liberté, Egalité, Fraternité
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Performativité
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