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Sans les déplacements de population, il aurait été difficile de construire une
interprétation de l’histoire selon laquelle l’extermination n’a pas eu lieu. Sur les
routes d’Anatolie, l’extermination est rationnalisée et “peu coûteuse“ : elle se
fait sans témoins ni dégâts socio-économiques. Coordonnés par l’Organisation
spéciale (OS), sorte d’Etat dans l’Etat - police politique et administration de la
terreur -, les massacres seront réalisés par certaines populations locales,
surtout kurdes, par des bandits de droit commun au service de l’OS, et aussi
par les détachements réguliers, avec plus ou moins de zèle. De nombreux
orphelins seront récupérés par les gendarmes.
L’extermination se fait par l’assassinat massif, la faim et la soif, la noyade. Les
témoignages insistent particulièrement sur les viols, mutilations et massacres
de femmes, d’enfants et de nouveaux-nés commis par les génocidaires. Les
survivants qui arrivent dans le désert de Syrie sont précipités vivants dans des
grottes, quand d’autres trouvent finalement refuge en Cilicie, ou au Dersim, ou
encore à Alep, là où l’écrivain juif autrichien Franz Werfel découvrira des
orphelins misérables et décidera d’écrire Les Quarante jours de Musa Dagh
(1933).
Que se passe-t-il alors, hors de l’Empire ?
Les Alliés, ennemis de l’Empire ottoman, ont tout intérêt à révéler les preuves
de cette extermination. Mais elle est aussi dénoncée par des sources plus
indépendantes, comme certains missionnaires allemands, et par le travail des
Américains, notamment l’ambassadeur à Constantinople, Henry Morgenthau,
qui fait un travail exceptionnel pour alerter son gouvernement et l’opinion
publique. En France, certains parlementaires comme Marcel Cachin se
mobilisent. Mais on est en situation de guerre totale en Europe, la barbarie est
générale, et la tragédie arménienne reste au second plan.
Comment le génocide cesse-t-il ?
Contrairement aux grands massacres de 1894-1896, le génocide ne s’arrête
pas. On estime qu’il y avait 1,5 million d’Arméniens dans l’Empire en 1896,
puis 1,3 million en 1915, à la veille du génocide, qui a lui-même fait environ
900 000 morts. Le moment central est 1915-1916, mais jusqu’à la fin de la
guerre, la machine est en action et des “génocides miniatures“, selon
l’expression de l’historien Vahakn Dadrian, se produisent - dans le Caucase
notamment.
Comment la mémoire du génocide se structure-t-elle en Turquie ?
Les principaux responsables s’enfuient en Allemagne à l’automne 1918 au
moment de l’effondrement de l’Empire ottoman. S’installe un gouvernement
issu de l’Entente libérale. Ses membres sont décidés à juger les responsables
du génocide. Des déclarations très fortes sont posées, et des procès sont
lancés. Mais cette phase de justice sera mise en échec après l’isolement
progressif des libéraux face à la croisade nationaliste de Mustapha Kemal.
A l’origine, le fondateur de la Turquie nouvelle s’était montré très sévère pour
les responsables de la défaite et du génocide, jugeant qu’une position claire
sur le sujet pourrait permettre une paix honorable. Puis sa position évolue,
parce qu’il a besoin de cadres pour son nouveau pouvoir, et parce que les
prétentions territoriales des Alliés menacent la souveraineté nationale. La
conquête de Smyrne par les Grecs est un point de non-retour. Dès lors,
l’objectif de juger des responsables unionistes du génocide est abandonné.
S’ajoutent à cela les représailles commises par les Arméniens contre les Turcs
sur le front russe, point de départ de la thèse de certains négationnistes d’un
génocide contre les Turcs perpétré par les Arméniens...
Comment le dispositif négationniste se met-il en place ?
Globalement, la cause des survivants arméniens disparaît de l’agenda
kémaliste, au point que l’idée même de reconnaissance de l’ampleur des
massacres devient un danger pour la future République. Certains députés en
viennent à les justifier, comme Hasan Fehmi en 1919 : “Ce qui a été fait l’a été
pour assurer l’avenir de notre patrie, qui est à nos yeux plus sacrée que notre
Génocide des Arméniens et crime contre l'Humanité dans l'Empire ottoman
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