CONGRÈS RÉUNION 30e RICAI : actualités en microbiologie F. Fily* Paris, 2 et 3 décembre 2010 Mission accomplie pour cette 30e édition de la RICAI : ambiance chaleureuse, orateurs au rendez-vous... Malgré un froid polaire et la neige ! De belles présentations aussi, et une opportunité unique d’avoir accès aux dernières données issues de la microbiologie. Évolution des résistances bactériennes D’après les communications affichées de D. de Mouy (Réseau AFORCOPI-BIO, Paris), M. Étienne (CHU de Rouen), M.H. Nicolas-Chanoine (hôpital Beaujon, Clichy), S. Diamantis (hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris), S. Vaux (InVS, SaintMaurice) * Service des maladies respiratoires et infectieuses, centre hospitalier de Saint-Malo, CHU de Rennes. Cette 30e RICAI a été l’occasion de la diffusion du rapport 2008 de l’Observatoire national de l’épidémiologie et de la résistance bactérienne aux antibiotiques (ONERBA) [1]. Alors que la proportion de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) poursuit sa décroissance dans les hôpitaux (de 32,9 % en 2002 à 25,3 % en 2007 pour les bactériémies recensées dans 20 laboratoires de CHU du groupe AZAY-Résistance) [1, p. 112], et que l’on constate même une disparition des souches de sensibilité intermédiaire à la vancomycine (VISA), on est un peu moins rassuré quant à l’évolution de la résistance des entérobactéries en France : 6,5 % des souches d’Escherichia coli responsables de bactériémie étaient résistantes aux céphalosporines de troisième génération (CIIIG) en 2009 (2), jusqu’à 10,7 % pour les bactériémies nosocomiales du réseau Île-de-France 2007 (1, p. 94). Dans une majorité de cas, cette résistance est due à l’acquisition d’une bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE). On assiste effectivement à l’émergence des E. coli, qui représentent désormais plus de 50 % des entérobactéries productrices de BLSE (figure 1) [1], et jusqu’ à 60,4 % dans le réseau Centre de coordination pour la lutte contre les infections associées aux soins Est (CClin Est) en 2007 (1, p. 131), avec en particulier la diffusion de la β-lactamase CTX-M. 6 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 1 - janvier-février 2011 Cette évolution ne concerne pas exclusivement les milieux de soins : 3,5 % des E. coli responsables d’infections urinaires communautaires (IUC) en 2010 étaient résistants aux CIIIG, et l’émergence des BLSE est flagrante (0 % en 2000, 1 % en 2007, 1,83 % en 2009 et 2,34 % en 2010) [D. de Mouy]. Il s’agit, dans cette étude du réseau AFORCOPI-BIO, de toutes les infections urinaires ; les taux de résistance varient cependant selon le cadre nosologique, de moins de 1 % (cystites aiguës simples non récurrentes dans une étude menée dans la région de Rouen [M. Étienne]) à 5 % de résistance aux CIIIG (infections urinaires chez l’homme [D. de Mouy]). La résistance aux fluoroquinolones continue de progresser également : plus de 15 % des E. coli responsables d’IUC sont résistants à la ciprofloxacine (jusqu’à 30 % chez l’homme en 2010) [D. de Mouy]. Peut-on prédire le risque de résistance par BLSE lors d’une infection à E. coli ? Dans une étude castémoin réalisée dans 10 centres de l’AP-HP entre novembre 2008 et juin 2009, à propos de 152 patients ayant un prélèvement positif pour un E. coli CTX-M, en plus des facteurs de risque “attendus” (antibiothérapie préalable, hospitalisation dans les 6 mois précédents), un pays de naissance hors Europe semblait exposer à un surrisque (M.H. Nicolas-Chanoine). Une autre étude a retrouvé un taux élevé de portage digestif d’entérobactéries productrices de BLSE chez des patients hospitalisés pour suspicion de paludisme à leur retour d’une zone tropicale (30 % des 46 patients) [S. Diamantis]. Encore rare en France et concernant surtout Klebsiella pneumoniae, la résistance à l’ensemble des β-lactamines par production d’une carbapénémase a néanmoins tendance à augmenter ; le nombre de signalements (infection ou colonisation) est passé de 2 en 2002 à 5 en 2009 puis à 10 sur les 8 premiers mois de 2010. Dans deux tiers des cas était retrouvé un cas index rapatrié d’un pays étranger (Grèce, Inde, etc.) [S. Vaux]. Il est pour l’instant recommandé de dépister tous les patients rapatriés d’un établissement de santé étranger à la recherche d’un portage de bactérie multirésistante ; d’autres études sont nécessaires pour savoir à quels patients élargir ces recommandations. CONGRÈS RÉUNION Antibiothérapie : à quel point êtes-vous bi ? La stratégie de la bi-antibiothérapie, vue sous l’angle de la synergie ou de la prévention de l’émergence des résistances, revient au cœur des discussions ces dernières années, avec, d’un côté, un impact médico-économique et surtout écologique évident et, de l’autre côté… un bénéfice qui n’est pas toujours clair, soutenu le plus souvent par des données expérimentales ou in vitro. En ce qui concerne les infections à staphylocoque doré, il faut désormais reconnaître que la synergie de l’association aminoside-β-lactamine n’a que peu d’intérêt en pratique clinique, au regard de la toxicité qu’elle comporte et de la pression de sélection qu’elle engendre. La bithérapie reste en revanche impérative pour la prévention de l’émergence de la résistance à la rifampicine. Pour les infections à SARM, l’association à la daptomycine (forte posologie) semble intéressante, et les modèles d’infection sur matériel étranger montrent une bonne efficacité en termes de clairance bactérienne et de prévention des mutations des résistances à la rifampicine. Pour les infections à entérobactéries, la bithérapie devrait être essentiellement envisagée pour les sepsis sévères, à la recherche d’une synergie (même si cela reste controversé) et, surtout, car une infection par une bactérie multirésistante ne peut être a priori exclue (deux tiers des E. coli BLSE restaient sensibles à la gentamicine en 2008, trois quarts à l’amikacine). Les situations où une bithérapie doit être envisagée en prévention de l’émergence de résistances sont rares pour les infections à entérobactéries (inoculum bactérien très important ou site d’infection particulier tel que tissu osseux ou matériel étranger) et elles ne concernent que quelques couples “bactérie-antibiotique” : infections à certaines entérobactéries du groupe III traitées par CIIIG (risque de résistance par dérépression de céphalosporinase), infections à entérobactéries résistantes à l’acide nalidixique traitées par une fluoroquinolone. Pour les infections fongiques invasives, la gravité constante pourrait inciter à la bithérapie, mais chaque molécule ajoutée peut représenter un surcoût élevé et il faut rester prudent sur les associations car la discordance entre in vivo et in vitro est ici majeure. Les associations antagonistes in vitro peuvent se révéler synergiques in vivo (ex. : fluconazole et amphotéricine B), des molécules constitutionnellement inactives (les échinocandines sur le cryptocoque) peuvent Évolution de la répartition des espèces parmi l’ensemble des BLSE (%) D’après les communications orales de B. Fantin (hôpital Beaujon, Clichy), F. Caron (CHU de Rouen), O. Lortholary (hôpital Necker, Paris) 60 54,2 52,4 50 Enterobacter aerogenes Klebsiella pneumoniae Autres Escherichia coli Enterobacter cloacae 40 30 23,3 20 15 12,7 11,5 13,9 10 0 5,5 8,4 3,1 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Suivi (années) 2004 2005 2006 2007 Figure 1. Entérobactéries productrices de BLSE : évolution de la répartition des espèces (1). devenir “actives” lorsqu’elles sont associées à une autre molécule active (caspofungine et 5FC) et, enfin, une molécule peut parfois rester efficace en association, même en cas de résistance in vitro acquise (l’addition de la 5FC reste intéressante pour le traitement de certaines cryptococcoses, à condition que le 5-FU reste actif in vitro). En pratique, seules quelques situations justifient une bithérapie, comme la difficulté d’éradication du pathogène (infection urinaire sur matériel à Candida glabrata chez le transplanté, par exemple), ou, plus souvent, la gravité immédiate du cas (cryptococcoses avec fongémie ou avec titre d’antigène élevé, pneumopathies graves, localisation neuro-méningée). L’association la plus classique est alors amphotéricine B + 5FC (même si la 5FC est inactive in vitro, puisque la résistance au 5-FU n’est pas testée en routine). Enfin, une bithérapie peut être instaurée dans les cas de candidoses à localisation particulière (méningée, endocarditique ou endophtalmique). Infections nosocomiales et associées aux soins D’après les communications orales de B. Coignard (InVS, Saint-Maurice), A. Lotthé (CHU de Montpellier), F. Fily (CHU de Rennes) Infection à Clostridium difficile L’étude ICD Raisin 2009 (INVS-CNR CD) [B. Coignard] qui visait à préciser les caractéristiques épidémiologiques et microbiologiques des infections La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 1 - janvier-février 2011 | 7 CONGRÈS RÉUNION Électrode Incision frontale Incision rétro-auriculaire Infection de stimulation cérébrale profonde Extension À propos des infections sur matériel étranger “émergentes”, une série de 12 cas d’infections de stimulation cérébrale profonde (SCP) prises en charge au CHU de Rennes a été présentée (F. Fily). L’indication de la SCP pour un nombre grandissant de pathologies neurologiques (maladie de Parkinson, tremblement essentiel, etc.) voire psychiatriques (trouble obsessionnel compulsif) explique l’émergence de ces infections. Outre le taux d’incidence relativement élevé de ces infections par patient (8,9 % dans cette série, de 3,8 à 12,6 % dans la littérature), on retiendra leur potentielle gravité (infection intracérébrale dans 25 % des cas de cette série). En l’absence de recommandations, cette série plaide pour l’ablation totale du matériel en cas d’infection du site des incisions frontale ou rétro-auriculaire, alors que l’ablation partielle (générateur et extension) semble suffisante en cas d’infection isolée du générateur (en association à une antibiothérapie prolongée, le plus souvent antistaphylococcique) [figure 2]. Incision pariétale Générateurs Figure 2. Stimulation cérébrale profonde bilatérale. à Clostridium difficile (ICD) en France en 2009, et à laquelle 125 établissements de santé ont participé, apporte des informations supplémentaires par rapport au signalement mis en place en 2006, qui ne concernait, quant à lui, que les cas groupés et les cas sévères. Dans les services de court séjour, l’incidence des ICD était de 1,1 pour 1 000 admissions. Quatorze pour cent des cas étaient jugés sévères et la mortalité liée à l’ICD était de 4 % (sur près de 1 000 cas, avec un suivi actif de plus de 30 jours). De façon assez surprenante, plus d’un quart des ICD des courts séjours étaient définis comme “communautaires”, sans que l’on ait pour autant connaissance de l’historique des patients (hospitalisation antérieure ?). Sur les 224 souches toxinogènes reçues par le Centre national de référence (CNR), toutes étaient sensibles au métronidazole et à la vancomycine. La souche épidémique 027 était minoritaire (3,1 %, et uniquement dans le Pas-de-Calais et l’Ille-et-Vilaine) alors que semble émerger la souche 078/126 (12 %). Une autre étude, réalisée sur 7 mois au CHU de Montpellier (A. Lotthé), montre que l’on surestime peut-être le rôle de la transmission croisée dans la survenue des ICD nosocomiales en période non épidémique ; celle-ci était responsable de moins de 10 % des 63 cas d’ICD nosocomiale. En effet, sur 13 foyers de cas groupés (définis comme la survenue d’au moins 2 cas sur une période de moins de 30 jours chez des patients ayant eu au moins 24 heures de séjour dans la même unité), moins de la moitié étaient confirmés par le ribotypage des souches. Selon cette étude, modifier la 8 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 1 - janvier-février 2011 définition clinique des cas groupés, en réduisant la période à moins de 15 jours, augmenterait sa valeur prédictive. Pneumocystose : actualités 2010 D’après les communications orales de M. Chabé (CHU de Lille), E. Azoulay (hôpital Saint-Louis, Paris), P. Roux (hôpital Saint-Antoine, Paris), A. Totet (CHU d’Amiens) Non, il n’est malheureusement toujours pas possible de cultiver Pneumocystis en laboratoire en 2010… Mais grâce aux progrès importants de la biologie moléculaire, on en sait chaque jour davantage sur ce champignon atypique, et ce symposium, qui a notamment abordé l’épidémiologie et la problématique de la transmission, s’est révélé être une excellente mise à jour. Concernant l’épidémiologie, dans les pays à ressources élevées, on savait que l’incidence de la pneumocystose (PCP) chez les patients infectés par le VIH avait chuté depuis la mise à disposition des multithérapies antirétrovirales, même si ce taux semble actuellement “stagner”, rendu apparemment incompressible par la persistance de diagnostics tardifs de l’infection par le VIH et, à un moindre degré, par l’échec de la prophylaxie CONGRÈS RÉUNION (pentamidine) chez les sujets les plus immunodéprimés. En parallèle, on observe une augmentation de l’incidence de la PCP chez les patients immunodéprimés non infectés par le VIH, du fait de situations d’immunodépression profonde plus fréquentes, avec notamment des traitements plus agressifs en oncohématologie ou l’utilisation de nouveaux traitements immunomodulateurs pour les connectivites ou les greffes d’organe. Ces pneumocystoses, comparativement à celles des patients porteurs du VIH, sont marquées par une particulière gravité, en lien avec une réaction inflammatoire pulmonaire plus importante, alors même que la charge fongique est souvent plus faible. Cela explique également la difficulté à établir le diagnostic et le manque de sensibilité de l’examen direct par coloration, voire même de l’immunofluorescence chez ces patients. La place de la biologie moléculaire dans la démarche diagnostique est encore mal définie puisqu’une PCR positive sur un prélèvement respiratoire peut n’être le témoin que d’une simple colonisation. Pour l’heure, il semble préférable, en pratique clinique, de ne considérer la PCR que sous l’angle de son excellente valeur prédictive négative : une PCP “possible” devient “très peu probable” en cas de PCR négative. Une valeur-seuil de PCR temps réel permettant de discriminer la colonisation de l’infection par Pneumocystis jirovecii n’est pas encore définie. Prudence donc, d’autant plus qu’une colonisation pulmonaire par P. jirovecii est fréquente ; colonisation probablement transitoire chez les sujets sains, potentiellement chronique chez les sujets immunodéprimés ou atteints d’une pathologie respiratoire chronique (BPCO ou fibrose par exemple). Outre l’émergence de la notion de colonisation, les progrès de la biologie moléculaire ont permis de valider la théorie de la spécificité de l’hôte (Pneumocystis carinii, spécifique du rat, etc.), de l’infection acquise de novo (au détriment de la théorie de la réactivation), d’un réservoir humain strict et d’une très probable transmission interhumaine. Ces dernières théories sont étayées par des modèles expérimentaux (transmission de Pneumocystis à partir d’une souris colonisée, charge fongique aérienne de l’environnement d’un rat infecté proportionnelle à la charge fongique pulmonaire, etc.), par la description de cas groupés de PCP (notamment chez des patients transplantés rénaux) et par la colonisation du personnel soignant par du P. jirovecii génétiquement identique à celui infectant un patient. Nous sommes donc bien devant un réservoir humain dynamique, au sein duquel le rôle de la colonisation reste cependant à déterminer. La gravité de ces PCP amène à se poser la question de la chimioprophylaxie, mal codifiée chez les immunodéprimés non infectés par le VIH. Certaines situations comme les greffes d’organes ou de cellules souches imposent une prophylaxie, au moins temporaire. Celle-ci doit être envisagée dans d’autres situations, et il peut être utile de connaître le taux de lymphocytes CD4 (dans le cadre des traitements par anti-TNFα par exemple) des patients. La possibilité d’une transmission nosocomiale fait discuter la mise en place de mesures d’isolement respiratoire des patients immunodéprimés vis-à-vis des patients atteints de PCP ; il n’existe actuellement pas de recommandation en ce sens, pas plus que pour le port du masque par le personnel soignant. ■ Références bibliographiques 1. ONERBA. Rapport d’activité 2008 (édition décembre 2010). www.onerba.org/IMG/pdf/ onerba_rapport2008_LD.pdf ? 2. European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) 2010, Stockholm. Antimicrobial resistance surveillance in Europe 2009. Annual report of the European Antimicrobial Resistance Surveillance Network (EARS-Net). Notre équipe, toujours plus près de vous, vous souhaite une très belle le année 2011 11 Claudie Damour-Terrasson am mou mo our-Terra La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 1 - janvier-février 2011 | 9