La pauvreté consomme des ressources cognitives explique le rapport. Les difficultés
quotidiennes des individus créent une situation de détresse émotionnelle qui interfère
avec une prise de décision réfléchie. La pauvreté créerait aussi un cadre de projection
limité, où les individus auraient des aspirations faibles pour eux-mêmes. Ceux-ci
préféreraient vivre au-jour-le-jour car le futur est perçu comme une fatalité plus que
comme une opportunité à saisir.
Parce que tout le monde le fait
Le mode de pensée social reflète l'idée que nos jugements se forment en référence
avec une certaine conformité sociale. On peut comprendre la diffusion de la corruption
dans ce cadre. La corruption devient une norme sociale à partir du moment où cette
pratique est répandue, tolérée et attendue. L'exemple des diplomates bénéficiant d'une
immunité diplomatique et qui ne payent pas leur amende de stationnement à New York
illustre comment une telle norme peut être internalisée dans le comportement des agents.
Une implication pour les politiques de développement
Le bilan de la Banque mondiale conclut donc à l'importance de prendre en compte ces
biais cognitifs dans la façon dont les politiques de développement sont pensées.
Point innovant, les décideurs devraient être attentifs non seulement aux biais des
bénéficiaires mais également à leurs propres biais. Il arrive parfois que des actions de
développement échouent dans leur objectif ou aboutissent à des résultats non attendus,
parce que les préférences des bénéficiaires ont été mal évaluées.
Un programme visant à connecter certains ménages de Tanger à l'eau potable avait
ainsi fait une découverte inattendue. Ces ménages non connectés passaient un temps
considérable à aller s'approvisionner à la fontaine publique. Les penseurs du projet
avaient anticipé que ce temps libéré par l'arrivée de l'eau courante dans les foyers, serait
investi dans des activités rémunératrices. Le raccordement à l'eau permettrait ainsi une
hausse du revenu du foyer. Or les résultats ont été très différents, puisque les membres
des foyers ont préféré consacrer ce temps au loisir. Les penseurs du projet n'avaient pas
envisagé le stress et les tensions créés par la question de l'eau. Libéré de cette
préoccupation, les membres du foyer ont pu augmenter leur bien-être en consacrant un
temps plus appréciable aux activités familiales, sans pour autant augmenter leur revenu.
Engager une plus grande proximité avec les bénéficiaires des actions, les intégrer aux
processus de décision et à la mise en œuvre des programmes, dans une logique
« base de la pyramide » : voici donc ce que préconise désormais la Banque Mondiale.
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