Classes logarithmiques des corps de nombres
Jean-François Jaulent
Résumé. Nous définissons le `-groupe des classes logarithmiques d’un corps de nombres
par analogie avec le groupe des classes d’idèaux au sens ordinaire et nous établissons les
résultats de base de l’arithmétique des classes logarithmiques.
Abstract. We introduce the logarithmic `-class group of a number field as a cyclotomic
analogue of the ordinary ideal class group and we establish the fundamental results of the
arithmetic of logaritmic classes.
Sommaire
1. Valuation logarithmique sur un corps local.
2. Groupe des classes logarithmiques d’un corps de nombres.
3. Structure du groupe des unités logarithmiques.
4. Formule des classes logarithmiques ambiges.
5. Genre logarithmique et groupe des classes centrales.
Introduction
Le but de cet article est de poser les définitions de base et d’établir quelques
propriétés fondamentales de l’arithmétique des classes logarithmiques dans les corps
de nombres.
La motivation principale de l’introduction des valuations logarithmiques evpprovient
de la théorie des symboles et, plus précisément, du désir de relier concrètement le
noyau dans K2(K)des symboles de Hilbert attachés aux places non complexes d’un
corps global Kà un groupe de classes effectif (i.e. algorithmiquement accessible
aux méthodes numériques). La formule explicite obtenue ailleurs (cf. [J3]) pour
les -symboles de Hilbert construits sur les racines r-ièmes de l’unité contenues
dans K(pour un premier donné), de la forme ζ,x
p=ζ
evp(x)conduit, en ef-
fet, à remplacer la valuation ordinaire vpà valeurs dans Zpar une application
evpà valeurs dans Z`dont la définition fait intervenir le logarithme -adique de
la valeur absolue de l’élément x. La notion de diviseur correspondante, que nous
proposons d’appeler logarithmique, donne lieu à une arithmétique voisine de celle
idéaux mais plus proche par certains aspects de celles des diviseurs des corps de
fonctions, puisque l’invariant-clef de la théorie est finalement le -groupe des classes
de diviseurs (logarithmiques) de degré nul, qui est fini sous les conjectures -adiques
standard.
J. Théor. Nombres Bordeaux 6(1994), 301-325.
1
Index des principales notations
Notations attachées à un corps local Kp:
Rp= lim
K×
p/K×`n
p: le -complété profini de K×
p.
µp: le -groupe des racines de l’unité dans Kp.
vp: la valuation (au sens ordinaire) sur Rpà valeurs dans Z`.
Up= Ker vple sous-groupe unité de Rp.
evp: la valuation logarithmique sur Rpà valeurs dans Z`.
f
Up= Ker evp: le sous-groupe des normes cyclotomiques dans Rp.
Notations attachées à un corps de nombres K:
P lK=P l0
KP l
Kl’ensemble des places (finies ou infinies)
JK=Qres
pRp: le -groupes des idèles de K.
RK=Z`ZK×: le sous-groupe des idèles principaux.
UK=QpUp: le groupe des idèles unités dans JK.
EK=RK∩ UK: le -groupe des unités globales.
f
UK=Qpf
Up: le groupe des normes logarithmiques dans JK.
f
EK=RKe
Up: le groupe des unités logarithmiques.
DK' JK/f
UK: le -groupe des diviseurs logarithmiques.
e
JK=le noyau dans JKde la formule du produit.
f
DK'e
JK/f
UK: le -groupe des diviseurs logarithmiques de degré nul.
PK' RK/e
EK: le sous-groupe des diviseurs logarithmiques principaux.
f
CK=f
DK/P: le -groupe des classes logarithmiques (de degré nul).
Quelques pro--extensions abéliennes de K:
Kab : maximale Gal(Kab/K)' JK/RK
Klc : localement cyclotomique maximale Gal(Klc/K)' JK/f
UKRK
Kc:Z`-extension cyclotomique Gal(Kc/K)' JK/g
JK
Knr : non ramifiée maximale Gal(Knr /K)' JK/UKRK
1. Valuation logarithmique sur un corps local.
Dans tout ce qui suit, désigne un nombre premier fixé, et Log le logarithme
d’Iwasawa , qui est défini sur le groupe 1 + Z`des unités principales du complété
-adique de Zpar son développement en série entière
Log(1 + x) = X
k1
(1)k+1 xk
k,
se prolonge classiquement au groupe multiplicatif Z×
`des éléments inversibles de Z`
au moyen de l’équation fonctionnelle
Log(xy) = Log x+ Log y,
(qui impose évidemment la condition Log ζ= 0 pour chaque racine de l’unité ζ
dans Z×
`), et finalement au groupe Q×
`tout entier avec la convention Log = 0. En
particulier, si l’on convient d’écrire x=ω(x)< x > la factorisation canonique d’un
élément xde Z×
`dans la décomposition directe
Z×
`=µ`×(1 + 2Z`)
2
du groupe multiplicatif Z×
`comme produit de son sous-module de torsion µ`(d’ordre
2 ou 1) et du sous-groupe principal 1+2Z`, on a Log x= Log <x>, pour
tout xde Z×
`; l’image du logarithme est le sous-module 2Z`de Z`, et son noyau
est le groupe µ`des racines de l’unité dans Q`.
Définition 1.1. Nous appelons degré -adique d’un nombre premier pla quantité :
(i) deg p= Log p= Log < p >, pour p6=;
(ii) deg =, pour 6= 2 & deg = 4, pour = 2.
Prenons maintenant un corps local Kp, de degré fini dp= [Kp:Qp]sur Qp;
notons vpla valuation associée ; et désignons par | |pla valeur absolue -adique
principale qui est définie sur K×
ppar la formule
|x|p=(< Npvp(x)>, pour p- ,
< NKp/Q`(x)Npvp(x)>, pour p| ,
Npest la norme absolue de p. Considérons enfin l’application
hp=Log | |p
dpdeg p =Log NKp/Q`(.)
dpdegp
qui envoie le groupe multiplicatif K×
pdans un Z`-module du groupe additif Q`:
Une vérification immédiate montre que le choix de l’indice dpau dénominateur
assure, pour chaque extension finie LP/Kpde corps locaux, la commutativité du
diagramme :
K×
p
extension
L×
P
Norme
K×
p
hp
y
yhP
yhp
Q`
Identité
Q`
[LP:Kp]
Q`
de sorte que la quantité hp(x) = Log |x|p/dpdeg pest indépendante du corps local
contenant xdans lequel on le calcule.
Nous noterons hpl’application de Q×
pdans Q`ainsi obtenue, qui est donc définie
sur le groupe multiplicatif de la clôture algébrique de Qp.
Pour interpréter arithmétiquement l’application hp, introduisons le compactifié
-adique
Rp=
déf lim
K×
p/K×`n
p' Up×πZ`
pavec (Up=µp,pour p-
Up= 1 + p,pour p|
du groupe multiplicatif K×
p, que nous écrivons UpπZ`
pen désignant par πpl’image
dans R×
pd’une uniformisante de Kpet en prenant pour sous groupe unité Upsoit
le -sous-groupe de Sylow µpdu groupe des racines de l’unité dans Kppour p-,
soit le groupe 1 + pdes unités principales de Kppour p|. Dans l’isomorphisme du
corps de classes local, le groupe R×
ps’identifie au groupe de Galois Gal(Kab
p/Kp)
de la pro--extension abélienne maximale de Kp, le sous-groupe unité Upau groupe
d’inertie Gal (Kab
p/Knr
p)qui fixe donc la Z`-extension non ramifiée Knr
pde Kp, et
le noyau
Rp=
déf Ker | |p
de la valeur absolue -adique principale au sous-groupe Gal (Kab
p/Kc
p)associé à la
Z`-extension cyclotomique de Kp(cf., [J2]). En d’autres termes, Rpest le groupe
des normes cyclotomiques dans Rp, et l’application hpinduit un isomorphisme de
groupes topologiques du quotient Rp/e
Up'Gal (Kc
p/Kp)sur un Z`-sous-module
libre de Q`qu’il est facile de préciser :
3
(i) Pour Kp=Qp, le compactifié R×
ps’écrit :
Q×
p=(µppZ`,pour p6=,
(1 + Z`)Z`,pour p=.
Et il vient dans tous les cas en vertu de la définition 1.1 :
hp(Q×
p) = Log |Q×
p|p
deg p=Z`,
(ii) Lorsque Kpest de degré dpsur Qp, la théorie du corps de classes nous donne
le diagramme commutatif :
Gal(Kc
p/Kp)
− Rp/e
Up
hp(Rp)Q`
res
yNKp/Qp
ydp
y
Gal(Qc
p/Qp)
− Rp/e
Up
hp(Rp) = Z`
Et il vient ainsi :
(hp(Rp) : Z`) = (hp(Rp) : dphp(Rp))
(Z`:dphp(Rp)) =[Kp:Qp]
[KpQc
p:Qp]= [Kp:KpQc
p].
Autrement dit, hp(Rp)est le Z`-module [Kp:KpQc
p]1Z`.
L’ensemble de la discussion peut ainsi se résumer comme suit :
Proposition 1.2. Soient pun nombre premier, b
Qc
pla b
Z-extension cyclotomique
de Qp, puis Kpune extension quelconque de degré fini dpsur Qp, et | |pla valeur
absolue -adique principale sur K×
p.
(i) Pour tout xde K×
p, la quantité hp(x) = Log |x|p/dpLog pest indépendante
de l’extension finie de Qp(contenant x) dans laquelle on la calcule.
(ii) La restriction hpde hpau groupe multiplicatif K×
pinduit un Z`-morphisme
du compactifié -adique Rp= lim
K×
p/K×`n
pde K×
pdans le groupe additif
Q`, qui a pour noyau le groupe e
Updes normes cyclotomiques dans Rpet pour
image le Z`-réseau [Kp:Kpb
Qc
p]1Z`.
On notera que le remplacement de la Z`-extension cyclotomique Qc
pde Qppar la
b
Z-extension cyclotomique b
Qc
p(i.e. par la composée des Zq-extensions cyclotomiques
de Qppour tous les qpremiers) ne modifie en rien le Z`-module [Kp:KpQc
p]1Z`,
puisque le degré relatif [Kpb
Qc
p:KpQc
p]est étranger à .
Définition 1.3. Les notations étant celles de la proposition, nous disons que :
(i) eep= [Kp:Kpb
Qc
p]est l’indice de ramification logarithmique de Kp;
(ii) e
fp= [Kpb
Qc
p:Qp]est son degré d’inertie logarithmique ;
(iii) deg p=e
fpdeg pest le degré -adique de l’idéal p;
(iv) evp=Log | |p/deg pest la -valuation logarithmique attachée à p.
Avec ces conventions, les résultats précédents peuvent se reformuler comme suit :
4
Théorème 1.4. Soit Kpune extension finie de Qp. Alors :
(i) La -valuation logarithmique evpest un Z`-épimorphisme du compactifié -
adique K×
pde K×
psur le groupe additif Z`, qui a pour noyau le sous-module
K
pdes normes cyclotomiques dans Rp.
(ii) Pour chaque premier q6=p, les degrés d’inertie au sens ordinaire fpet loga-
rithmique e
fp(respectivement les indices de ramification au sens ordinaire ep
et logarithmique eep) on la même q-partie. En particulier ils coïncident dès
qu’on a p-[Kp:Qp].
(iii) Pour p-, la -valuation logarithmique evpest proportionnelle à la valuation
ordinaire vp, et on a plus précisement :
evp=fp
e
fp
vp=eep
ep
vp= [Kpb
Qnr
p:Kpb
Qc
p]vp,
si b
Qnr
p(respectivement b
Qc
p) désigne la b
Z`-extension non ramifié (respective-
ment cyclotomique) de Qp.
Preuve : (i) n’est autre que l’assertion (ii) de la proposition 1.2, puisqu’on a evp=
eephp.
(ii) s’obtient en remarquant que, pour q6=p, la Zq-extension non ramifiée de
Qpest aussi sa Zq-extension cyclotomique.
(iii) provient enfin de l’expression explicite de la valeur absolue -adique princi-
pale dans le cas p-, comme annoncé :
evp=Log | |p
deg p=Log Np
e
fpdeg p vp=fp
e
fp
vp=[Kpb
Qnr
p:Qp]
Kpb
Qc
p:Qp]vp;
et l’assertion (ii) affirme que le quotient des degrés est une puissance de p.
Remarques.
(i) La définition des indices eepet e
fpest indépendante du premier .
(ii) Une extension Kpde Qpest logarithmiquement non ramifiée sur Qp(en
ce sens que l’on a eep= 1) si et seulement si elle est contenue dans la b
Z-extension
cyclotomique b
Qc
p(de même qu’elle est non ramifiée au sens ordinaire si et seulement
si elle est contenue dans b
Qnr
p). En particulier toute extension logarithmiquement non
ramifiée de Qpest abélienne (et même cyclique).(iii) Si LPest une extension finie
de Kp, on définit de façon immédiate l’indice de ramification relatif ee(LP/Kp) =
[LP:LPb
Qc
pKp]et le degré d’inertie relatif e
f(LP/Kp) = [LPb
Qc
pKp:Kp]au sens
logarithmique. On en tire comme dans le cas classique les formules de transition :
eeP=eeLP/Kpeep&e
fP=e
fLP/Kpe
fp, qui relient indices absolus et indices relatifs.
2. Groupe des classes logarithmiques d’un corps de nombres
Définition 2.1. Nous appelons -groupe des diviseurs logarithmiques d’un corps de
nombres Kle Z`-module libre DKconstruit sur les places finies de K:
DK=M
pP l0
K
Z`p.
Pour chaque diviseur logarithmique d=Ppνpp, nous écrivons degKd=Ppνpdeg p
son degré dans K. Nous notons enfin f
DKle sous-modules de DKformé des di-
viseurs logarithmiques de degré nul.
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