Dossier pédagogique Les Chaises

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Dossier pédagogique
LesChaises3©[email protected]
Les Chaises
d’Eugène Ionesco
mise en scène Luc Bondy
Représentations du 3 au 6 mai 2011
Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, service éducatif de la Comédie de Reims :
[email protected]
Contacts relations publiques :
Margot Linard : [email protected]
Jérôme Pique : [email protected]
D’Eugène Ionesco
Mise en scène Luc Bondy
Décors et lumière Karl-Ernst Herrmann
Costumes Eva Dessecker
Conseiller artistique Botho Strauss
Son, musique André Serré
Maquillage, coiffures Cécile Kretschmar
Collaborateur artistique Geoffrey Layton
Création vidéo Thierry Aveline
Assistant à la mise en scène Roch Leibovici
Assistantes scénographie Claudia Jenatsch et Anette Hirsch
Assistant lumière Jean-Luc Chanonat
Assistant son Pierre Routin
Assistante maquillage Karunayadhaj Noï
Accessoires Laurent Boulanger
Préparation physique Paillette
Construction décors Ateliers du Théâtre Vidy-L et du Théâtre Nanterre-Amandiers
Stagiaire à la mise en scène Pénélope Biessy
Avec
Dominique Reymond
Micha Lescot
Roch Leibovici
Création le 29 septembre 2010 au Théâtre Nanterre-Amandiers
Le texte est publié aux Editions Gallimard, collection Folio
Production Théâtre Vidy-Lausanne
Coproduction Equinoxe, scène nationale de Châteauroux / Wiener Festwochen
Coréalisation Théâtre Nanterre-Amandiers
Avec le soutien de La Fondation Leenards
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Les Chaises
dossier pédagogique
sommaire
Présentation de Les Chaises
page 4
LE PROJET ARTISTIQUE
Note d’intention
page 5
Entretien avec Luc Bondy
page 6
Trois questions au comédien Micha Lescot
page 8
Trois questions à la maquilleuse Cécile Kretschmar
page 9
Photographies du spectacle
page 10
Eugène Ionesco, LES CHAISES
Extraits de Les Chaises
page 11
Auteur : biographie d’Eugène Ionesco
page 15
L’œuvre dans son contexte
page 16
ÉCHOS DANS LA PRESSE
page 17
L’EQUIPE ARTISTIQUE
page 21
Bibliographie, vidéographie
Page 3
page 23
PRESENTATION1
Deux vieux, âgés de 94 et 95 ans, vivent isolés dans une maison située sur une île battue par les
flots. Pour égayer leur solitude et leur amour désuet, ils remâchent inlassablement les mêmes
histoires. Mais le vieil homme, auteur et penseur, détient un message universel qu’il souhaite révéler
à l’humanité. Il a réuni pour ce grand jour d’éminentes personnalités du monde entier. Un orateur
professionnel aura la charge de traduire ses pensées. Les invités, invisibles pour le spectateur,
arrivent tels des fantômes et prennent place sur des chaises qui envahissent peu à peu l’espace
jusqu’à le saturer. Le couple se retire et laisse soin à l’orateur d’éclairer l’humanité. Mais, comble de
l’ironie, l’orateur est en fait sourd-muet. Comme souvent chez Ionesco, la pièce repose sur une
ambivalence déroutante : elle oscille en permanence entre comique et tragique, le rêve et le
cauchemar. Le maître du théâtre de l’absurde, pour qui «le comique est tragique et la tragédie de
l’homme, dérisoire», voyait cette pièce comme une «farce tragique».
Source : http://www.theatre-contemporain.net
Le thème de la pièce, c’est l’irréalité du monde. C’est une pièce sur l’absence.
Il n’y a personne autour de nous, personne dans le monde, dans un monde
évanescent qui disparaît, qui doit disparaître.
Où est passé le passé ? Plus rien n’est et, ce qui revient au même, plus rien ne
sera.
Les deux vieillards qui sont là sont presque inexistants eux-mêmes. Ils ne sont
là que pour manier des chaises, des dizaines de chaises, et pas pour exprimer
le vide ontologique, qui est le vrai sujet de la pièce.
Ces deux vieillards sont des ratés sociaux et dérisoires mais entre eux, il y a
l’amour. Et il n’y a en ce monde que deux essentialités : l’amour et la mort.
C’est-à-dire que l’amour peut tuer la mort.
Eugène Ionesco
1
Extrait de la pièce, mise en scène par Luc Bondy au Théâtre Nanterre-Amandiers à regarder à l’adresse suivante :
http://www.youtube.com/watch?v=O3QJrvocmdk
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NOTE D’INTENTION
« La dérision de l’écriture me parait soudainement « réaliste »
par Luc Bondy
Ionesco était très ami avec mon père. Il travaillait pour une revue que dirigeait ce dernier, qui
s’appelait Preuves. À 17 ans, je savais déjà que je voulais faire du théâtre et de la mise en scène. Il
s’avère que Ionesco mettait en scène pour la première fois une pièce intitulée Victime du devoir à
Zürich. Il avait besoin d’un traducteur et c’est ainsi que j’ai pu l’accompagner dans son travail
pendant plusieurs semaines. C’était je crois en 1968, car je me souviens qu’il était très « remonté »
contre la révolte de 68. Je garde le souvenir d’un personnage très ludique, il était à la fois celui qui
écrivait ses pièces mais était aussi en partie le personnage de ses pièces. C’était un homme qui avait
un mélange d’intelligence, d’intuition et de grande naïveté, quelque chose de presque enfantin par
moments, un grand créateur qui a inventé un monde, comme on peut le dire de Beckett. Même si
ces deux mondes n’étaient pas proches, du moins d’après la définition qu’en donne Esslin dans Le
Théâtre de l’absurde qui me semble aujourd’hui très approximatif. Ionesco affirmait d’ailleurs que
« son théâtre est un théâtre de la dérision. Ce n’est pas une certaine société qui me parait dérisoire.
C’est l’homme. »
J’avais 17 ans mais je savais que je passais mes journées et mes nuits avec une personnalité hors du
commun. On côtoie très rarement dans la vie quelqu’un avec une telle liberté de parole, sans aucun a
priori. Il était narquois, se fichait des gens qui avaient des idées préconçues. La tradition dit que la
plupart des auteurs comiques a une vision du monde pessimiste. Le comique et l’optimisme ne se
marient guère, ils donnent du bonheur sans en avoir forcément. L’humour inclut souvent un don
d’observation, d’invention et le « savoir » des systèmes qui se reproduisent, comme l’explique Henri
Bergson dans Le Rire. Quand j’ai connu Ionesco, j’avais l’impression d’être comme avec un copain
d’internat. Il aimait bien faire des blagues qu’il inventait avec génie, et en même temps sa vision
eschatologique du monde le rendait triste et dépressif. Il était très pessimiste, se sentait en
permanence menacé par le totalitarisme. À l’époque, le totalitarisme c’était les pays communistes.
Donc il a été… mal perçu en France, parce qu’il était un anti communiste effréné. Cela a irrité
beaucoup de gens, en particulier certains intellectuels et artistes français de l’époque. On ne disait
rien de désagréable sur le communisme, comme Ionesco pouvait le faire ouvertement à cette époque
là, avec une liberté absolue. Il était un artiste et il n’aimait pas les communistes. Voilà. Aujourd’hui
c’est tout à fait courant de le dire.
J’ai toujours aimé la pièce Les Chaises. À l’époque, elle s’inscrivait dans une forme de théâtre assez
novatrice, même si elle a été écrite bien avant les années soixante-dix. Il s’agissait de s’interroger sur
comment jouer et jusqu’où aller avec ce qu’on appelle l’imaginaire. Aujourd’hui c’est la solitude de ce
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vieux couple qui m’intéresse (vu mon âge naturellement !). La dérision de l’écriture me parait
soudainement « réaliste » : quoi de plus normal que d’imaginer une fête ? La dernière fête avant de
se suicider ? Il est peut-être bien difficile d’exprimer l’Orateur aujourd’hui, car d’une certaine manière,
nous avons surmonté (ou peut-être pas) l’idée didactique du message final. C’est bien sûr l’antibrechtien Ionesco qui parle à ce moment-là. Il faut donc réfléchir à rendre « l’anti » de cette époque
pas trop vieillot et satisfaisant. C’est mon désir de distribuer deux acteurs en France que j’aime
beaucoup – Micha Lescot et Dominique Reymond – qui m’a poussé à mettre à nouveau en scène
cette pièce. D’abord parce qu’ils correspondent à la didascalie de Ionesco, c’est-à-dire de choisir
des acteurs jeunes pour jouer des vieux. Enfin, ce sont deux acteurs avec un humour incontestable
et une intelligence de jeu nécessaire à faire vivre sur le plateau ceux qui n’existent pas. La
proposition de Ionesco doit être complètement crédible dans sa folie : on devrait pouvoir deviner
aussi tous les acteurs que j’aimerais distribuer mais qui ne sont ici que les invités imaginaires de la
pièce. Ils doivent savoir jouer physiquement ces «autres» qui ne sont pas là.
ENTRETIEN2 avec Luc BONDY
Comment rendre visible une œuvre
Rêve lumineux ou cauchemar sensible, comédie ou tragédie, comment danser avec
Les Chaises de Ionesco ? Luc Bondy s’attache à travers cette pièce mythique à
explorer la dérision et l’extravagance de l’imaginaire dans l’homme.
« Je vois Les Chaises comme la plus belle pièce de Ionesco car elle évoque des
obsessions universelles : la vieillesse, la décrépitude, et tous les fantasmes qui en
découlent. »
2
Un entretien radiophonique avec Luc Bondy réalisé dans l’émission Fictions / Théâtre et Cie sur France
Culture est disponible, avant la diffusion de l’enregistrement de la pièce, à l’adresse suivante :
http://www.franceculture.com/player?p=reecoute-3076021#reecoute-3076021
Un entretien filmé avec Luc Bondy est disponible à l’adresse suivante :
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Chaises-4307/entretiens/
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Que représente pour vous l’œuvre de Ionesco ?
Luc Bondy : Ionesco est l’inventeur d’un nouveau théâtre après la Seconde Guerre mondiale.
L’invention consiste à utiliser les formes anciennes en les « mettant sur la tête ». Paradoxalement,
une certaine logique « ionescienne » est devenue pour nous, plus réaliste. Nous n’entrevoyons plus
un monde exclusivement onirique pour cadre de ses pièces. Elles commencent dans un contexte
« normal » et évoluent en décollant on ne sait où. Avec Les Chaises, c’est un peu différent : il existe à
la fois une mélancolie et une cruauté dans l’histoire de ces deux Vieux qui terminent leur modeste vie
dans une éclatante soirée fantomatique. Ces deux êtres se libèrent de leur solitude en imaginant une
multitude d’invités et un Orateur qui dira des choses essentielles au Monde. Naturellement, ce
personnage n’est pas évident car il représente une polémique anti-brechtienne, celle qui refuse le
Message final. Aujourd’hui, l’antimessage peut vite en devenir un : il va falloir se creuser la tête pour
trouver une parade poétique et non théorique. Je vois Les Chaises comme la plus belle pièce de
Ionesco car elle évoque des obsessions universelles : la vieillesse, la décrépitude, et tous les
fantasmes qui en découlent.
Vous aviez déjà mis en scène Les Chaises en 1972.
L. B. : À l’époque, je prenais moins de soin aux détails : l’idée des invités, imaginés par les deux
Vieux, m’intéressait en tant que forme. Aujourd’hui, je désirerais rendre les invisibles plus visibles
grâce au jeu des acteurs, et je voudrais voir cette vieillesse réaliste et tangible. Comment vont-ils
bouger et communiquer entre eux, ces deux « ultra-symbiotiques » ? L’habitude de la vie en commun
les a dépersonnalisés ; ils sont devenus UN, mais rêvent encore de sexualité, comme les vieux de
Beckett dans Premier Amour. Je pense très bien communiquer, en peu de mots, avec les comédiens
« physiques » que sont Dominique Reymond et Micha Lescot. Ils ont de l’humour sur scène et même
dans la vie, ce qui est rare.
Quel est le théâtre que vous défendez ?
L. B. : Je ne suis pas un « combattant » de cette forme ou de cette autre. J’admire ce dont je serais
incapable. Les formes de Robert Lepage m’enthousiasment, celles de Bob Wilson me font rêver,
j’envie l’apesanteur de James Thierrée et la musicalité de Marthaler, j’admire la prouesse et la
radicalité des visions de Chéreau. Et si je parviens à oublier que j’existe car ce qui existe sur le
plateau m’enchante, je suis libéré. Le style qui ne s’applique ni ne s’apprend appartient au corps des
acteurs comme à celui des metteurs en scène. Plutôt classique, je dois faire confiance aux situations.
Le metteur en scène se démène avec les acteurs sur le plateau. Il sent les acteurs physiquement, il
saisit leurs difficultés à transposer le texte et l’imaginaire de l’auteur, comme sa propre interprétation
visuelle et intellectuelle. Il n’est pas un homme de pouvoir mais au meilleur de lui-même, un grand
chef d’orchestre !
Entretien réalisé par Véronique Hotte, La Terrasse, Septembre 2010.
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ENTRETIEN AVEC UN COMEDIEN
Trois questions à MICHA LESCOT
Humour et intelligence de jeu caractérisent le comédien Micha Lescot actuellement à l’affiche aux
Amandiers dans Les Chaises de Ionesco. Ne le ratez pas dans ce rôle de drôle de Vieux imaginé par
le maître de l’absurde. Eclairages en trois questions.
Le metteur en scène Luc Bondy déclare avoir été poussé à remettre Les Chaises en scène par
le désir de vous faire jouer. Comment avez-vous accueilli sa demande ?
J’espérais qu’il me demande de retravailler avec lui depuis cette Seconde Surprise de l’amour de
Marivaux qu’il a monté il y a deux ans et dans lequel il m’a confié le rôle du jeune premier. C’était
complètement déstabilisant pour moi. Je ne me suis jamais regardé comme un jeune premier…il m’a
montré que je pouvais le devenir. Quand il m’a proposé le rôle, j’ai lu la pièce. Je l’avoue je n’avais
jamais travaillé Ionesco. C’est pas du tout évident. Je n’ai vu d’abord que l’aspect comique. J’ai eu
très envie de la jouer. A la seconde lecture, je n’ai plus vu que l’aspect tragique. Et j’ai eu très peur
de la jouer… d’avoir dit oui un peu rapidement. Légèrement.
Comment le jeune papa que vous êtes entre-t-il dans la peau de ce Vieux de 96 ans au-delà de
l’heure et demi de maquillage nécessaire ?
Il est très difficile de qualifier la manière dont Luc vous fait travailler. Dans le choix du rôle, il vous
fragilise. Il vous place dans un état de réceptivité absolue. En même temps, il vous met totalement en
confiance en vous mettant très à l’aise, en vous laissant libre. C’est aussi un très fin observateur du
comportement humain. Il a donné à Dominique [Reymond – la comédienne à qui Luc Bondy a confié
le rôle de La Vieille dans la pièce] et à moi-même des indications très précises sur les attitudes, les
habitudes, des vieilles personnes. Au début, nous avons fait beaucoup d’improvisations. Il fallait
chercher une énergie particulière, une manière de parler, un langage. Et Luc nous disait : on va
trouver ensemble. Et effectivement, il y a un moment où on sait, on sent que c’est là.
Diriez-vous que c’est le rôle le plus difficile que vous ayez eu à interpréter ?
Ionesco passe sans cesse d’un ton à l’autre, du tragique au comique et inversement. Il faut tenir les
deux, ensemble, en permanence parce que dans la pièce l’un déteint sur l’autre en permanence. Ce
n’est pas facile, facile. Et c’est aussi très, très ludique. L’écriture est magnifique. D’une subtilité rare.
Quand des impros, on est passé à apprendre le texte pur et dur, alors là oui on a peiné.
Heureusement, il y avait les répétitions. Y’en a eu… Nous avons beaucoup travaillé. Aujourd’hui je
suis confiant. Le spectacle est chargé de beaucoup d’émotion. C’est un condensé de vie en une
heure et demi.
Propos recueillis par Marie-Emmanuelle Galfré
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ENTRETIEN AVEC LA MAQUILLEUSE
Deux questions à CECILE KRETSCHMAR
Quelles sont les différentes contraintes liées à la création d'un maquillage scénique?
Les seules contraintes sont liées à la mise en scène, au bon vouloir du metteur en scène ou au plaisir
des acteurs. Pour Les chaises le maquillage est une prouesse technique car les acteurs sont plus
jeunes que les rôles mais aussi parce que ces derniers ne sortent pas de scène et que c'est très
agité dans les dix premières minutes donc si mon maquillage et plus spécialement les prothèses et
faux crâne réalisés spécialement pour les comédiens ne tiennent pas il n'y a aucun moyen de réagir,
il faut attendre la fin...
Pour les Chaises, Ionesco précise qu'il souhaite des acteurs jeunes jouant des personnes
âgées. Vos maquillages rendent parfaitement compte de cette demande, et les acteurs
subissent une vraie transformation. Comment ont-ils vécu cette transformation? Quelle est
votre base de travail commune avec les comédiens et le metteur en scène ?
Pour Les chaises, le metteur en scène m'a seulement demandé de les transformer en vieux, il ne
voulait pas qu'ils aient leur tête de tous les jours. Par la suite, il y a en effet eu de petites discussions
avec les comédiens mais aussi avec la costumière. Nous nous sommes beaucoup inspirés des
photos prises lors de la mise en scène des Chaises, par Avedon ainsi que d’autres mises en scène
en concentrant notre attention sur les vieux qui ont une ressemblance physique avec nos acteurs
(quel genre de vieux ils seront...)
Micha m'a assez vite dit qu'il aimerait un dentier et j'ai eu envie de fabriquer des choses (comme des
esquisses) pour les répétitions et de faire évoluer mon travail en fonction ou en parallèle avec le jeu
scénique.
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PHOTOGRAPHIES du spectacle
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EXTRAITS DE LES CHAISES3
EXTRAIT 1
DÉCOR
Murs circulaires avec un renfoncement dans le fond.
C’est une salle très dépouillée. A droite, en partant de l’avant-scène, trois portes. Puis une fenêtre
avec un escabeau devant ; puis encore une porte. Dans le renfoncement, au fond, une grande porte
d’honneur à deux battants et deux autres portes se faisant vis-à-vis, et encadrant la porte d’honneur.
Ces deux portes, ou du moins l’une d’entre elles, sont presque cachées aux yeux du public. A
gauche de la scène, toujours en partant de l’avant-scène, trois portes, une fenêtre avec escabeau et
faisant vis-à-vis à la fenêtre de droite, puis un tableau noir et une estrade.
Sur le devant de la scène, deux chaises côte à côte.
Une lampe à gaz est accrochée au plafond.
Le rideau se lève. Demi-obscurité. Le Vieux est penché à la fenêtre de gauche, monté sur l’escabeau.
La Vieille allume la lampe à gaz. Lumière verte. Elle va tirer le Vieux par la manche.
LA VIEILLE : Allons, mon chou, ferme la fenêtre, ça sent mauvais l’eau qui croupit et puis il entre des
moustiques.
LE VIEUX : Laisse-moi tranquille !
LA VIEILLE : Allons, allons, mon chou, viens t’asseoir. Ne te penche pas, tu pourrais tomber dans
l’eau. Tu sais ce qui est arrivé à François Ier. Faut faire attention.
LE VIEUX : Encore des exemples historiques ! Ma crotte, je suis fatigué de l’histoire française. Je
veux voir ; les barques sur l’eau font des taches au soleil.
LA VIEILLE : Tu ne peux pas les voir, il n’y a pas de soleil, c’est la nuit, mon chou.
LE VIEUX : Il en reste l’ombre.
Il se penche très fort.
LA VIEILLE, elle le tire de toutes ses forces : Ah !... tu me fais peur, mon chou... viens t’asseoir, tu ne
les verras pas venir. C’est pas la peine. Il fait nuit...
Le Vieux se laisse traîner à regret.
LE VIEUX : Je voulais voir, j’aime tellement voir l’eau.
LA VIEILLE : Comment peux-tu, mon chou ?... Ça me donne le vertige. Ah ! cette maison, cette île, je
ne peux m’y habituer. Tout entourée d’eau... de l’eau sous les fenêtres, jusqu’à l’horizon...
3
Un enregistrement radiophonique de la pièce pour l’émission Fictions et Cie sur France Culture est
disponible, après un entretien avec Luc Bondy à l’adresse suivante :
http://www.franceculture.com/player?p=reecoute-3076021#reecoute-3076021
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La Vieille et le Vieux, la Vieille traînant le Vieux, se dirigent vers les deux chaises au-devant de la
scène ; le Vieux s’assoit tout naturellement sur les genoux de la Vieille.
LE VIEUX : Il est 6 heures de l’après-midi... il fait déjà nuit. Tu te rappelles, jadis, ce n’était pas ainsi ;
il faisait encore jour à 9 heures du soir, à 10 heures, à minuit.
LA VIEILLE : C’est pourtant vrai, quelle mémoire!
LE VIEUX : Ça a bien changé.
LA VIEILLE : Pourquoi donc, selon toi ?
LE VIEUX : Je ne sais pas, Sémiramis, ma crotte... Peut-être, parce que plus on va, plus on
s’enfonce. C’est à cause de la terre qui tourne, tourne, tourne, tourne...
LA VIEILLE : Tourne, tourne, mon petit chou... (Silence.) Ah ! oui, tu es certainement un grand savant.
Tu es très doué, mon chou. Tu aurais pu être Président chef, Roi chef, ou même Docteur chef,
Maréchal chef, si tu avais voulu, si tu avais eu un peu d’ambition dans la vie...
LE VIEUX : A quoi cela nous aurait-il servi ? On n’en aurait pas mieux vécu... et puis, nous avons une
situation, je suis Maréchal tout de même, des logis, puisque je suis concierge.
LA VIEILLE, elle caresse le Vieux comme on caresse un enfant : Mon petit chou, mon mignon...
LE VIEUX : Je m’ennuie beaucoup.
LA VIEILLE : Tu étais plus gai, quand tu regardais l’eau... Pour nous distraire, fais semblant comme
l’autre soir.
LE VIEUX : Fais semblant toi-même, c’est ton tour.
LA VIEILLE : C’est ton tour.
LE VIEUX : Ton tour.
LA VIEILLE : Ton tour.
LE VIEUX : Ton tour.
LA VIEILLE : Ton tour.
LE VIEUX : Bois ton thé, Sémiramis.
Il n’y a pas de thé, évidemment.
LA VIEILLE : Alors, imite le mois de février.
LE VIEUX : Je n’aime pas les mois de l’année.
LA VIEILLE : Pour l’instant, il n’y en a pas d’autres. Allons, pour me faire plaisir…
LE VIEUX : Tiens, voilà le mois de février.
Il se gratte la tête, comme Stan Laurel.
LA VIEILLE, riant, applaudissant : C’est ça. Merci, merci, tu es mignon comme tout, mon chou. (Elle
l’embrasse.) Oh ! tu es très doué, tu aurais pu être au moins Maréchal chef, si tu avais voulu…
LE VIEUX : Je suis concierge, Maréchal des logis.
Silence.
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EXTRAIT 2
Quelques instants, les Vieux restent figés sur leur chaise. Puis on entend de nouveau sonner.
LE VIEUX, avec une nervosité qui ira grandissant : On vient. Du monde. Encore du monde.
LA VIEILLE : Il m’avait bien semblé entendre des barques...
LE VIEUX : Je vais ouvrir. Va chercher des chaises. Excuses-moi, Messieurs, Mesdames.
Il va vers la porte n° 7.
LA VIEILLE, aux personnages invisibles qui sont déjà là : Levez-vous, s’il vous plaît, un instant.
L’Orateur doit bientôt venir. Il faut préparer la salle pour la conférence. (La Vieille arrange les chaises,
les dossiers tournés vers la salle.) Donne-moi un coup de main. Merci.
LE VIEUX, il ouvre la porte n° 7 : Bonjour, Mesdames, bonjour, Messieurs. Donnez-vous la peine
d’entrer.
Les trois ou quatre personnes invisibles qui arrivent sont très grandes et le Vieux doit se hausser sur
la pointe des pieds pour serrer leur main.
La Vieille, après avoir placé les chaises comme il est dit ci-dessus, va à la suite du Vieux.
LE VIEUX, faisant les présentations : Ma femme... Monsieur... Madame... ma femme... Monsieur...
Madame... ma femme...
LA VIEILLE : Qui sont tous ces gens-là, mon chou?
LE VIEUX, à la Vieille : Va chercher des chaises, chérie.
LA VIEILLE : Je ne peux pas tout faire!...
Elle sortira, tout en ronchonnant, par la porte n° 6, rentrera par la porte n° 7, tandis que le Vieux ira
avec les nouveaux venus vers le devant de la scène.
LE VIEUX : Ne laissez pas tomber votre appareil cinématographique... (Encore des présentations.) Le
Colonel... La Dame... Madame la Belle... Le Photograveur... Ce sont des journalistes, ils sont venus
eux aussi écouter le conférencier, qui sera certainement là tout à l’heure... Ne vous impatientez pas...
Vous n’allez pas vous ennuyer... tous ensemble... ( La Vieille fait son apparition avec deux chaises
par la porte n° 7.) Allons toi, plus vite avec tes chaises... il en faut encore une.
La Vieille va chercher une autre chaise, toujours ronchonnant, par la porte n° 3 et reviendra par la
porte n° 8.
LA VIEILLE : Ça va, ça va... je fais ce que je peux... je ne suis pas une mécanique... Qui sont-ils tous
ces gens-là?
Elle sort.
LE VIEUX : Asseyez-vous, asseyez-vous, les dames avec les dames, les messieurs avec les
messieurs, ou le contraire, si vous voulez... Nous n’avons pas de chaises plus belles... c’est plutôt
improvisé... excusez... prenez celle du milieu... voulez-vous un stylo?... téléphonez à Maillot, vous
aurez Monique... Claude c’est providence... Je n’ai pas la radio... je reçois tous les journaux... ça
dépend d’un tas de choses; j’administre ces logis, mais je n’ai pas de personnel... il faut faire des
économies... pas d’interview, je vous en prie, pour le moment... après, on verra... vous allez avoir tout
de suite une place assise... mais qu’est-ce qu’elle fait?... (La Vieille apparaît par la porte n° 8 avec
une chaise.) Plus vite, Sémiramis...
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LA VIEILLE : Je fais de mon mieux... Qui sont-ils tous ces gens-là?
LE VIEUX : Je t’expliquerai plus tard.
LA VIEILLE : Et celle-là? celle-là, mon chou?
LE VIEUX : Ne t’en fais pas... (Au Colonel.) Mon Colonel, le journalisme est un métier qui ressemble à
celui du guerrier... (A la Vieille.) Occupe-toi un peu des dames, ma chérie... (On sonne. Le Vieux se
précipite vers la porte n° 8.) Attendes, un instant... (A la Vieille.) Des chaises!
LA VIEILLE : Messieurs, Mesdames, excusez-moi...
Elle sortira par la porte n° 3, reviendra par la porte n° a; le Vieux va ouvrir la porte cachée n°
9
et
disparaît au moment où la Vieille réapparaît par la porte n° 3.
LE VIEUX, caché : Entrez... entrez... entrez... entrez... (Il réapparaît, traînant derrière lui une quantité
de personnes invisibles dont un tout petit enfant qu’il tient par la main.) On ne vient pas avec des
petits enfants à une conférence scientifique... il va s’ennuyer le pauvre petit... s’il se met à crier ou à
pisser sur les robes des dames, cela va en faire du joli ! (Il les conduit au milieu de la scène. La Vieille
arrive avec deux chaises.) Je vous présente ma femme. Sémiramis, ce sont leurs enfants.
LA VIEILLE : Messieurs, mesdames... oh! Qu’ils sont gentils!
LE VIEUX : Celui-là c’est le plus petit.
LA VIEILLE : Qu’il est mignon... mignon... mignon!
LE VIEUX : Pas assez de chaises.
LA VIEILLE : Ah ! la la la la...
Elle sort chercher une autre chaise, elle utilisera maintenant pour entrer et sortir les portes n° 2 et 3 à
droite.
LE VIEUX : Prenez le petit sur vos genoux... Les deux jumeaux pourront s’asseoir sur une même
chaise. Attention, elles ne sont pas solides... ce sont des chaises de la maison, elles appartiennent au
propriétaire. Oui, mes enfants, il nous disputerait, il est méchant... il voudrait qu’on les lui achète,
elles n’en valent pas la peine. (La Vieille arrive le plus vite qu’elle peut avec une chaise.) Vous ne vous
connaissez pas tous... vous vous voyez pour la première fois... vous vous connaissiez tous de nom...
(A la Vieille.) Sémiramis, aide-moi à faire les présentations...
LA VIEILLE : Qui sont tous ces gens-là?... Je vous présente, permettez, je vous présente... mais qui
sont-ils?
LE VIEUX : Permettez-moi de vous présenter... que je vous présente... que je vous la présente...
Monsieur, Madame, Mademoiselle... Monsieur... Madame... Madame... Monsieur...
LA VIEILLE, au Vieux : As-tu mis ton tricot? (Aux invisibles.) Monsieur, Madame, Monsieur...
Nouveau coup de sonnette.
LE VIEUX
Un autre coup de sonnette.
LA VIEILLE : Du monde !
Un autre coup de sonnette, puis d’autres, et d’autres encore; le vieux est débordé […]
Ionseco, Les Chaises, extraits.
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BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR Ionesco
Né à Slatina (Roumanie), le 13 novembre 1909, d’un père roumain et d’une
mère française, Eugène Ionesco passe sa petite enfance en France. Il y écrit
à onze ans ses premiers poèmes, un scénario de comédie et un «drame
patriotique». En 1925, le divorce de ses parents le conduit à retourner en
Roumanie avec son père. Il suit là-bas des études de lettres françaises à
l’université de Bucarest et participe à la vie de diverses revues avantgardistes.
En 1938, il regagne la France pour préparer une thèse, interrompue par le
déclenchement de la guerre qui l’oblige à regagner la Roumanie. C’est en
1942 qu’il doit se fixer définitivement en France; il obtient sa naturalisation
après la guerre. En 1950, sa première œuvre dramatique, La cantatrice
chauve, sous-titrée « anti-pièce », est représentée au théâtre des
Noctambules. C’est un échec lors de sa création, mais cette parodie de
pièce va durablement marquer le théâtre contemporain et faire de Ionesco l’un des pères du « théâtre de
l’absurde », une dramaturgie dans laquelle le non-sens et le grotesque recèlent une portée satirique et
métaphysique, présente dans la plupart des pièces du dramaturge.
Citons, entre autres, La leçon (1950), Les chaises (1952), Amédée ou comment s’en débarrasser (1953),
L’Impromptu de l’Alma (1956), Rhinocéros (1959), dont la création par Jean-Louis Barrault à l’OdéonThéâtre de France va apporter à son auteur la véritable reconnaissance. Viendront ensuite Le roi se
meurt (1962), La soif et la faim (1964), Macbeth (1972).
Auteur de plusieurs ouvrages de réflexion sur le théâtre, dont le célèbre Notes et contrenotes, Eugène
Ionesco connut à la fin de sa vie cette consécration d’être le premier auteur à être publié de son vivant
dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Eugène Ionesco fut élu à l’Académie française le 22
janvier 1970, par 18 voix contre 9 à Jules Roy, au fauteuil de Jean Paulhan. Il fut reçu par le professeur
Jean Delay, le 25 février 1971.
Il meurt le 28 mars 1994.
Source : http://www.academie-francaise.fr/
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L’œuvre dans son contexte
Le théâtre des années cinquante est un genre renouvelé par deux dramaturges, Eugène Ionesco et Samuel
Beckett. Le drame psychologique, la tragédie antique revisitée (Giraudoux), la comédie sont désormais
écartés, et la mise en scène est réduite à quelques objets emblématiques, à un décor saugrenu. Les
obsessions des personnages sont « cultivées » par des monologues confus ou des dialogues illusoires,
dans lesquels le langage - son pouvoir, ses structures, ses préjugés idéologiques - est sans cesse remis
en cause.
Ce nouveau théâtre a parfois été nommé le « Théâtre de l’Absurde », car il rappelle en effet les thèmes
existentialistes des œuvres de Sartre ou de Camus. Toutefois, cet absurde ne semble pas aboutir à un
engagement (Sartre) ou à une révolte (Camus). Personnages et situations chez Ionesco et Beckett
semblent plutôt s’immobiliser dans un tragique total, un nihilisme sans fin. La nature absurde de ce
« nouveau théâtre » trouve également ses origines dans le mouvement surréaliste, et plus généralement,
dans le rejet des propagandes totalitaires, fascisantes, qui ont tant marqué les premières décennies du
XX siècle.
ème
La particularité de Eugène Ionesco et Samuel Beckett est qu’ils ont exposé une philosophie dans un
langage lui-même absurde qui réduit les personnages au rang de pantins, détruit entre eux toutes
possibilités de communication, ôte toute cohérence à l’intrigue et toute logique aux propos tenus sur
scène.
L’absurdité des situations mais également la déstructuration du langage lui-même ont fait de ce style
théâtral un mouvement dramatique à part entière. Ce type de théâtre montre une existence dénuée de
signification et met en scène la déraison du monde dans laquelle l’humanité se perd.
Il désigne essentiellement le théâtre de Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Fernando Arrabal, les premières
pièces d’Adamov et de Jean Genet…
Cette conception trouva appui dans les écrits théoriques d’Antonin Artaud, Le Théâtre et son double
(1938), et dans la notion brechtienne de l’effet de distanciation (Verfremdungseffekt). L’apparente
absurdité de la vie est un thème existentialiste que l’on trouvait chez Sartre et Camus mais ceux-ci
utilisaient les outils de la dramaturgie conventionnelle et développaient le thème dans un ordre rationnel.
Sans doute influencé par Huis clos (1944) de Sartre, le théâtre de l’absurde ne fut ni un mouvement ni une
école et tous les écrivains concernés étaient extrêmement individualistes et formaient un groupe
hétérogène. Ce qu’ils avaient en commun, cependant, outre le fait qu’ils n’appartenaient pas à la société
bourgeoise française, résidait dans un rejet global du théâtre occidental pour son adhésion à la
caractérisation psychologique, à une structure cohérente, une intrigue et la confiance dans la
communication par le dialogue. Héritiers d’Alfred Jarry et des surréalistes, Samuel Beckett (En attendant
Godot, 1953, Fin de partie, 1957) ou Jean Vauthier (Capitaine Bada, 1950) introduisirent l’absurde au sein
même du langage, exprimant ainsi la difficulté à communiquer, à élucider le sens des mots et l’angoisse
de ne pas y parvenir.
Ils montraient des antihéros aux prises avec leur misère métaphysique, des êtres errants sans repère,
prisonniers de forces invisibles dans un univers hostile (La Parodie d’Adamov, 1949 ; Les Bonnes de Jean
Genet, 1947 ; La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, 1950). Par des processus de distanciation et de
dépersonnalisation, ces pièces démontent les structures de la conscience, de la logique et du langage.
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ECHOS DANS LA PRESSE
Le regard tendre de Luc Bondy sur la vieillesse à travers Les
Chaises de Ionesco
©Pascal_Victor
Les Chaises est l’une des premières pièces écrites par Ionesco. Créée en avril 1952 au
Théâtre Lancry, Tsilla Chelton alors âgée de 34 ans tenait le rôle de la vieille au côté de Sylvain
Dhomme. C’était la volonté de l’auteur dans ses didascalies, et Luc Bondy a respecté ce choix en
confiant les rôles à deux grands comédiens français plus jeunes que leurs personnages : Dominique
Reymond et Micha Lescot. Et dès leur entrée, l’on sent qu’il va se passer quelque chose, que
l’alchimie va prendre. Les deux comédiens traversent l’énorme plateau, parsemé de quelques flaques
d’eau, le dos courbé, le geste lent. Leur composition est exemplaire. Micha Lescot habitué à jouer les
adolescents attardés (Sextett, Un garçon impossible…) est littéralement habité. Ce rôle va marquer
un tournant dans sa carrière. Dominique reymond est touchante, ses yeux brillent constamment.
Luc Bondy a déjà monté Les chaises en 1972 à Nuremberg, il y revient quarante ans plus
tard. L’histoire oscille entre absurdité et fantastique. Le couple invite des personnages imaginaires à
partager le bilan de leur vie et les convie à écouter un orateur. La pièce en dit long sur la vieillesse.
Ce regard tendre nous amène à nous interroger sur notre propre perception de la vieillesse. Certaines
scènes sont poignantes. Lorsque Micha Lescot se déshabille et laisse entrevoir une énorme couche
culotte ou lorsque le couple fait mine d’échanger leur dentier, on ne rie plus, on retient son souffle.
L’écriture de Ionesco souvent assimilée au théâtre de l’absurde devient beaucoup alors réaliste. La
solitude de ce couple est déchirante.
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Lorsque les premiers invités imaginaires arrivent,
le plateau se transforme en une forêt de chaises,
amenées une à une par la vieille. Derniers instants avant
la mort, le couple finit par s’étreindre. C’est alors que le
spectacle de Luc Bondy se transforme dans un final très «
Lynchien ». Au fond du plateau, une scène de music hall
apparaît, un rideau rouge se lève, le fauteuil rouge de
l’orateur est au centre. L’orateur, un rockeur en blouson
de cuir installe le micro. Le vieux prend la parole une
dernière fois, invite sa femme à la rejoindre, c’est le
moment de mourir. Noir dans la salle. L’orateur s’avance,
muet, il ne peut sortir aucun discours. Le couple git alors
au centre de la scène dans une flaque d’eau. Luc Bondy
signe une mise en scène brillante, dont les images fortes
risquent de marquer l’histoire du théâtre.
©Pascal_Victor
Stéphane Capron, le 3 octobre 2010, sur www.sceneweb.fr.
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Partie avant la fin du monde
Luc Bondy met superbement en scène le chef-d’œuvre d’Eugène Ionesco aux
Amandiers de Nanterre. Avec deux comédiens renversants
Un cube tendu de noir, deux cordes de « pendu » tombant des cintres, des néons blêmes,
une mare d’eau sombre comme le Styx… La mort rôde sur la scène des Amandiers, où se jouent Les
Chaises montées par Luc Bondy. Mais une mort joyeuse – on rit souvent – et une mort vive : les deux
comédiens – Micha Lescot et Dominique Reymond – qui interprètent le couple âgé de la pièce de
Ionesco sont jeunes – comme le souhaitait l’auteur. C’est à petits pas, mais avec enthousiasme, voire
frénésie, que le Vieux et la Vieille organisent leur dernière soirée. Toute une vie se bouscule à la
porte, il faut redoubler d’ardeur, pour faire place aux fantômes.
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Scénographie royale
Le metteur en scène suisse montre avec crudité les ravages de la vieillesse – visages grimés,
silhouettes courbées, déplacements lents, voix chevrotantes, pour mieux la transcender et la glorifier.
Les deux morts-vivants orchestrent leur sortie avec panache. Leur toute petite histoire devient
immense : avant de disparaître, le Vieux va livrer son message à une foule d’invités imaginaires, via
l’Orateur (Roch Leibovici), qui se fait attendre. La cérémonie d’adieux sera à grand spectacle. Pourvu
qu’il y ait assez de sièges…
Karl-Ernst Herrmann a conçu une scénographie royale. Les chaises, au nombre de duex au
début, envahissent peu à peu la vaste scène, portées par la Vieille ou poussées par des mains
spectrales. Elles tombent et glissent toutes seules comme par magie, mikado géant animé par les
hôtes invisibles. L’entrée suggérée de l’empereur – dans un fauteuil pourpre… - et celle style « bal
rock » de l’Orateur sont des moments de grâce.
Micha Lescot et Dominique Reymond, au sommet de leur art, interprètent avec une
intelligence et un engagement physique sans faille cette tragicomédie du dernier souffle. Ils en
marquent toutes les nuances : la douleur, la colère, la joie, la peur… et l’amour. L’amour absolu,
inoxydable entre deux être humains dérisoires – les derniers peut-être d’un monde absurde en
extinction.
©Pascal_Victor
Avec l’humour et l’énergie du désespoir, nos deux « jeunes vieux » tutoient merveilleusement
les fantômes, remplissant tout l’espace de la scène de leur fin de « partie » rêvée. Après le
« message » incompréhensible bredouillé par l’orateur, la mort sort sa dague. Au milieu des chaises
vides enchevêtrées, leurs deux corps unis pour l’éternité disent la douceur du silence et du néant.
Philippe Chevilley, octobre 2010, in Les Echos.
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Luc Bondy monte Les Chaises de Ionesco
Gros événement au Grand théâtre [de Lorient], mercredi et jeudi. Luc Bondy, monte
Les Chaises, d'Eugène Ionesco, avec Dominique Reymond et Micha Lescot. Nous
l'avons vu aux Amandiers, à Nanterre.
Ce sera pour beaucoup un choc. D'abord pour Bondy. L'un des plus grands metteurs en
scène du théâtre contemporain européen, innovant, curieux, éclectique, 40 ans de théâtre. De Genet
à Ionesco, Bond à Ibsen, Beckett à Botho Strauss, Bernhard à Strindberg, il a monté les auteurs les
plus forts et les plus exigeants, passant de l'Allemagne à la France avec autant de succès.
Bondy monte Les chaises et le public va prendre une claque, et découvrir - si besoin est - la
signification de l'expression « mettre en scène » ou comment un homme peut s'emparer d'un texte et
d'un plateau pour en faire une œuvre, en majuscules.
Se confronter à ses propres peurs
Dans un espace scénique cubique, fermé de filets tendus, sous des lumières grises, un
couple de vieux ressasse tendrement de vieilles histoires. Au soir, ils attendent des invités
imaginaires ou réels, pour lesquels il leur faudra des chaises, d'où le titre de la pièce. Absurde,
métaphorique, onirique, Les Chaises ne racontent rien, mais laissent tout imaginer, plongeant le
spectateur dans un univers très fort avec lequel il doit se débrouiller pour faire sa propre
interprétation, qui peut aller du très noir au très clair, de la gorge serrée au rire tendre. Un moment de
théâtre qui n'est pas confortable, parce que ces personnages âgés radotent, délirent, rêvent,
suscitant à la fois tendresse ou angoisse, nous ramenant à nos propres peurs.
Un parcours hypnotique
Long, immobile, faiblement éclairé, le déroulement de la pièce demande une forte implication
du spectateur qui, s'il se laisse engluer dans ce climat brumeux et étrange, dans ces présences qui
esquissent une lente danse, sera vraiment récompensé de son endurance par le sentiment d'avoir
vécu une expérience onirique. Sans parler des quinze dernières minutes du spectacle, qui à elles
seules justifient les presque deux heures précédentes. Un moment d'une intensité rare, à la façon du
final de 2001 l'Odyssée de l'espace, que l'on prend de plein fouet, glacé jusqu'au sang et émerveillé.
Isabelle Nivet, le 23 novembre 2010, sur http://www.letelegramme.com
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L’EQUIPE ARTISTIQUE
Luc Bondy, metteur en scène
Né à Zurich en 1948, Luc Bondy passe une partie
de son enfance et de son adolescence en France. Il
s’installe en 1969 à Hambourg où il monte
plusieurs pièces du répertoire contemporain
(Genet, Ionesco), puis classique (Shakespeare,
Goethe).
En 1979, il réalise son premier long-métrage de
cinéma, Die Ortliebschen Frauen. Son travail au
théâtre continue. Après deux ans à la Städtische
Bühne de Francfort, Bondy travaille surtout à la
Schaubühne de Berlin, qu’il co-dirige de 1985 à 1987. Il revient en France une première fois en 1984
à l’invitation de Patrice Chéreau pour monter aux Amandiers de Nanterre Terre étrangère d’Arthur
Schnitzler. En 1988 Terre étrangère sera aussi son deuxième film au cinéma avec Michel Piccoli,
Bulle Ogier et Dominique Blanc. En 1989, il présente Le chemin solitaire, également de Schnitzler, au
Théâtre du Rond-Point. Toujours entre opéra et théâtre, entre classiques et contemporains, sa
carrière se poursuit de Berlin à Bruxelles, de Salzbourg à Lausanne ou Paris, à travers toute l’Europe.
Luc Bondy dirige actuellement les Wiener Festwochen. En juin 2008, le metteur en scène y a
présenté Les Bonnes de Jean Genet, avant de diriger Cate Blanchett, en 2010, dans Grand et petit
de Botho Strauss. Il a publié son dernier livre le Mes dibbouks aux Editions Christian Bourgois.
Dominique Reymond, comédienne
Élève au Conservatoire de Genève, Dominique Reymond se rend à
Paris, au Théâtre National de Chaillot, où elle a pour professeur
Antoine Vitez. Cette grande actrice de théâtre - qui travaille avec
Sobel, Grüber ou encore Lassalle - fait sa première apparition à
l'écran en 1984 dans Pinot simple flic de Gérard Jugnot, […] les
spectateurs la découvrent véritablement en 1996 : dans Y aura-t-il
de la neige a Noël ?, conte de fées d'hiver en milieu rural signé
Sandrine Veysset, elle campe avec délicatesse une mère-courage
douce
et
bienveillante,
prestation
qui
lui
vaut
un
Prix
d'interprétation au Festival du film de Paris.
Ce rôle de mère va lui coller à la peau. Ainsi, le cinéma va se servir
de son visage rassurant et aimant pour en faire la mère idéale. […]
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Avec sa voix grave et son allure élégante, Dominique Reymond s'impose bientôt comme une
comédienne aussi discrète que précieuse. L'actrice n'hésite pas à prendre part à des œuvres
dérangeantes, comme Dans ma peau de Marina De Van, le quasi-expérimental Process ou encore
Ma mère, adaptation de Bataille par Christophe Honoré. […] Toujours au théâtre en parallèle, passion
qui ne la quitte jamais […]
Micha Lescot, comédien
En 1993, Micha Lescot entre au Conservatoire national supérieur
d'art dramatique de Paris. Il joue ensuite sous la direction de Roger
Planchon dans La Tour de Nesle d'Alexandre Dumas et Le
Triomphe de l'amour de Marivaux. Il interprète plusieurs rôles
classiques, de Molière à Feydeau. Parallèlement, il fait quelques
apparitions au cinéma et travaille avec Didier Haudepin ou Laurent
Perreau. Très touche-à-tout, l'acteur s'intéresse à la télévision, où il
est dirigé par Denys Granier Deferre dans Les Grands Enfants,
Françoise Decaux, Manuel Poirier ou Claire Denis.
Roch Leibovici, Comédien
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BIBLIOGRAPHIE
Eugène Ionesco, Les Chaises, Gallimard, Folio, 1958.
Eugène Ionesco, Théâtre complet, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1991.
Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, Galliamrd, Folio, 1991.
Luc Bondy, A ma fenêtre, Christian Bourgois, Bruxelles, 2009.
Luc Bondy, Mes dibbouks, Christian Bourgois, Bruxelles, 2010.
E. Jacquart, Le théâtre de la dérision : Beckett, Ionesco, Adamov, Gallimard, Paris, 1998.
Marjorie Schone, Le théâtre d’Eugène Ionesco, figures géométriques et arithmétiques, L’Harmattan,
Paris, 2010.
Ionesco dans tous ses états, 40 photographies inédites de Massin, publiées par Typographies
expressives, Paris, 2009.
VIDEOGRAPHIE
Thierry Zéno, Eugène Ionesco, voix et silences, ADAV, 2004.
Sonia de Leusse-Le Guillou, Eugène Ionesco, quoi de neuf ? FTV Pôle France 5, Zadig Productions.
LA COMEDIE DE REIMS
Centre dramatique national
Direction : Ludovic Lagarde
3 chaussée Bocquaine 51100 Reims
Tél : 03.26.48.49.00
www.lacomediedereims.fr
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