processus dynamique des paysages du Sénonais occidental

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UNIVERSITE FRANCOIS RABELAIS DE TOURS
Ecole doctorale : Sciences de l’Homme et de la Société
Année Universitaire 2000
THESE
POUR OBTENIR LE GRADE DE
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE TOURS
Discipline : Histoire
présentée et soutenue publiquement
par
CLAIRE MARCHAND
le 27 novembre 2000
RECHERCHES SUR LES RESEAUX DE FORMES ;
PROCESSUS DYNAMIQUES DES PAYSAGES DU SENONAIS CCIDENTAL
Volume 1 (texte)
Directeur de thèse : Madame Nancy Gauthier
Jury :
Monsieur Gérard Chouquer, Directeur de Recherches C.N.R.S., Tours
Madame Nancy Gauthier, Professeur Émérite, Université de Tours
Monsieur Philippe Leveau, Professeur, Université d’Aix-Marseille I (rapporteur)
Monsieur Sander Van Der Leeuw, Professeur, Université de Paris I (rapporteur)
2
Je tiens à remercier madame Nancy Gauthier d’avoir accepté de diriger ce travail, et
de l’attention bienveillante dont elle a fait preuve.
Je tiens également à remercier Gérard Chouquer dont le suivi constant, les conseils
et critiques ont permis la réalisation de ce travail.
Je remercie l’équipe tourangelle de l’U.M.R. 6575 Archéologie et Territoires qui, par
son aide matérielle et l’environnement intellectuel qu’elle m’a offert, a favorisé mon
propre cheminement.
Merci à Pascal pour la patience dont il a su faire preuve, et pour toute l’aide qu’il
m’a apportée.
Je remercie également Jean Galbois, du service municipal d’archéologie de Melun,
Béatrice Bouet du S.R.A. d’Ile-de-France, Daniel Simonin du Musée de Préhistoire
de Nemours, Christelle Hervé et Philippe Salé pour leur aide et leur disponibilité.
Merci à Christine, Coraline, et Danielle pour leur relecture attentive et leurs conseils,
à Hélène pour son travail de traduction, et à tous ceux enfin, parents, amis et
danseuses qui m’ont supporté et encouragé à ne pas lâcher prise.
3
A Pascal
4
INTRODUCTION
Cette recherche sur les formes du paysage a commencé par un travail mené dans
le cadre d'un D.E.A. sur les cadastrations antiques du Sénonais occidental.
Dans un premier temps, comme la plupart des chercheurs qui étudiaient les formes
d'occupation du sol, nous avons cherché à identifier la trace de la romanisation
dans les campagnes en nous fondant sur le modèle unique de la centuriation qui
représentait "l'empreinte principale et la plus visible laissée par Rome sur la
campagne gauloise." (LE GLAY 1975, 235). Mais au fur et à mesure que les
données s'accumulaient pour écrire cette page de l'histoire du paysage dans cette
région de Sens, ces mêmes données contribuaient à souligner les imperfections, les
lacunes et la fragilité des fondements d'une telle approche. Tel magnifique exemple
de conservation d'une centurie ne pouvait-il correspondre à une autre réalité locale,
pas nécessairement antique ? L'interprétation de tel réseau comme réseau centurié,
au prix de quelques concessions, de quelques tolérances dans la constance de
l'orientation des axes était-elle admissible ? Quelle signification pouvait-on donner à
cette voie romaine, axe majeur de la centuriation reprenant le tracé d'une voie
gauloise ? Les questions toujours plus nombreuses surgissaient, mettant
rapidement en évidence que l'étude de ces centuriations du Sénonais ne pouvait
être menée indépendamment de l'ensemble des formes du paysage présentes sur
cette région.
La quête frénétique des données susceptibles d'apporter quelque éclairage sur
l'inscription dans le sol des faits historiques s'est vite révélée décevante. Les
sources épigraphiques étaient rares et les sources archéologiques inexistantes ou
presque sur cette région. Les sources morphologiques pouvaient seules nous aider
5
à appréhender les différentes étapes de l'histoire des formes du paysage, à partir
des modèles apportés par d'autres régions, mieux documentées.
Le travail entrepris a alors permis d'apporter un certain nombre de données
permettant de proposer quelques hypothèses quant à l'histoire des formes, mais a
révélé dans le même temps un grand nombre d'impasses, de questions sans
réponses. A mesure que les connaissances s'accumulaient, les bornes de certitude
qui jalonnaient le chemin disparaissaient, les prises qui assuraient jusqu'alors
l'ascension vers la compréhension devenaient plus fragiles, et les bases qui
constituaient le fondement des recherches s'effritaient.
La nécessité de poser différemment les problèmes est apparue peu à peu,
largement suscitée, alimentée et encouragée par les débats épistémologiques
menés par quelques chercheurs comme P. Leveau et G. Chouquer par exemple, et
les réflexions mises en œuvre au sein du laboratoire Archéologie et Territoires de
Tours à l'initiative d'Henri Galinié.
Cette nécessité a entraîné dans un troisième temps la tentative de mettre en œuvre
un autre processus de connaissance en considérant les formes du paysage non
plus comme un sous-produit de l'Histoire, mais comme un système spatial
opératoire spécifique. Cette tentative est partie "non du sol ferme, mais du sol qui
s'écroule" (MORIN, 1980, 9), du constat qu'il fallait essayer de mettre l'espace au
centre des préoccupations, de lui accorder un statut particulier de source et d'objet
scientifique de recherche.
La prise de conscience de la complexité des relations, interactions des formes
paysagères posait la question de la construction de l'espace, de l'organisation de
cet espace en terme de dynamique, et du raisonnement à mettre en œuvre pour
tenter d'appréhender cette dynamique spatiale. C'est à partir de ces questions que
peu à peu nous avons engagé une réflexion sur l'ensemble des traces
morphologiques, et sur la possibilité et l'intérêt de les appréhender dans leur
6
dynamique par une approche systémique, déjà envisagée par P. Leveau et G.
Chouquer (CHOUQUER 1997a (dir.), 7-24).
Cette longue recherche n'est pas indépendante de son environnement. Elle est au
contraire le reflet des questionnements, doutes, remises en cause et évolutions
issus des débats épistémologiques et méthodologiques de ces dix dernières
années. Ce sont ces recherches qui ont généré et régénéré ce travail, qui ont
permis sa morphogenèse.
Ce travail ne constitue pas un produit achevé tel qu’on peut l’entendre
habituellement. Cela aurait sans doute été le cas si j’étais restée sourde aux
questions qui émergeaient au cours de son élaboration. J’aurais pu effectivement
retracer l’histoire de Sens et son territoire dans l’Antiquité, comme le suggérait le
sujet initialement retenu, proposer une lecture des formes du paysage conforme à
ce qui se pratiquait à ce moment de la recherche. J’aurais pu inscrire l’organisation
régulière dans le cadre de la centuriation, y replacer ici quelques villae, là une voie
romaine qui seraient venues compléter le tableau représentant l’empreinte
principale de Rome, insérer les pièces, tel un puzzle, dans un cadre préparé à
l’avance. Il aurait aussi été possible, en ouvrant un peu le cadre « temporel », de
proposer une lecture historique diachronique des formes.
Mais, pour de multiples raisons, les questions qui ont émergé au cours de cette
recherche m’ont paru constituer le véritable intérêt de cette analyse morphologique.
Qu’apportait une reconstitution « historique » de plus, et, qui plus est, sur des bases
qui semblaient de plus en plus discutables ? La région que j’étudiais, située à
l’ouest de Nemours, était « banale », et le manque de documentation, textuelle et
archéologique, constituait un obstacle sérieux à une analyse qui se voulait morphohistorique. Mais cet obstacle m’a permis de rebondir sur d’autres questions et
d’essayer de trouver des angles de vue différents qui permettent de les aborder, de
réfléchir aux principes de cette analyse morpho-historique, aux fondements
7
méthodologiques et épistémologiques sur laquelle elle reposait, et à partir de là de
tenter un travail de réflexion sur l’évolution des formes du paysage. Cette réflexion
s’est peu à peu enrichie, complexifiée, alimentée par des lectures diverses, et
parfois désordonnées, qui l’ont fait évoluer vers d’autres interrogations et d’autres
propositions.
Ce travail est représentatif d’un processus de transformation, évoluant au cours de
sa rédaction en réaction aux événements qui sont venus le perturber et l’enrichir, et
dont la sensibilité aux aléas a permis de ne pas en faire une forme figée.
Ce processus repose sur trois bifurcations. A l’issue du travail préparatoire, comme
il a été dit plus haut, le questionnement majeur qui est apparu concernait les
principes et les fondements sur lesquels reposait l’analyse des formes. Une
première réflexion a alors été engagée pour tenter de mieux comprendre d’une part
l’histoire de ces
recherches, et leur pourquoi, et d’autre part les propositions
nouvelles qui émanaient de la part de quelques chercheurs et, ce qui n’apparaissait
que de façon très floue, leurs fondements épistémologiques. La première partie de
ce travail essaiera donc de mettre en place les éléments fondamentaux à partir
desquels une évolution pourra se dessiner.
La seconde partie se développera en prenant appui sur ces éléments, en essayant
de partir des formes elles mêmes, considérées comme un système, et en tentant de
les appréhender dans leur dynamique propre.
A l’issue de cette étude morphologique, des questions et insatisfactions, encore
plus nombreuses, entraîneront une dernière (à ce moment de la recherche)
bifurcation vers une proposition de modélisation des processus dynamiques des
formes du paysage, à partir du concept d’auto-organisation.
8
Chapitre I
METHODOLOGIE ET EPISTEMOLOGIE
1. Rappels historiographiques
A partir des années 1930, les recherches sur l’histoire des paysages ont ouvert la
voie à une évolution qui, en réaction à la vision déterministe du paysage qui primait
jusqu’alors, tentait d’envisager ce dernier comme objet scientifique, dans une
problématique historique et diachronique (BLOCH 1931, DION 1934). L’Antiquité
était cependant absente de cette problématique qui donnait au Moyen-Âge le rôle
primordial dans la genèse et l’évolution du paysage.
L’utilisation de la photographie aérienne en archéologie (AGACHE 1964-1978,
CHEVALLIER 1964a et b, 1971), les recherches menées en Grande-Bretagne
(TAYLOR 1975) et aux Pays-Bas (BRONGERS 1976) sur les parcellaires fossiles
ont entraîné un renouvellement de l’histoire des paysages. Mais, à la différence de
la Grande-Bretagne et des Pays-Bas, cette recherche sur les paysages s’est
focalisée en France et en Italie sur les recherches des cadastres antiques.
L’essor de la photographie aérienne (AGACHE 1978) et l’émergence de la photo et de la carto - interprétation (GUY 1964, dans CHEVALLIER 1964, CHEVALLIER
1966), ont permis d’asseoir les bases de la recherche sur ces cadastres antiques.
Les travaux menés au sein du centre d’Histoire Ancienne de Besançon dans les
années 1970-1980 allaient amener à une problématique renouvelée, dans la
volonté d’une approche globale du paysage envisageant les cadastrations dans une
problématique historique générale.
Fondée sur le présupposé de la pérennisation des formes anciennes dans les
formes modernes, la photographie aérienne et les documents planimétriques
9
permettant de mettre en évidence leurs traces, fossiles et vivantes, l’étude des
cadastrations antiques donnait à ces formes un statut de source historique,
nécessaire à l’étude du paysage, lui-même « objet de l’archéologie » (CHOUQUER
1991b, 6).
L’essor de cette recherche sur les cadastrations antiques par la photo - et la carto interprétation et le filtrage optique a permis de proposer l’existence de tels réseaux
en Gaule, Narbonnaise notamment (CLAVEL-LEVEQUE 1983 (éd.), CHOUQUER
et FAVORY 1991, PEREZ 1995), mais aussi en Gaule Chevelue, ChampagneArdennes (JACQUES dans CLAVEL-LEVEQUE 1983 (éd.), 330 à 332), Berry
(QUERRIEN 1994), Finage jurassien (CHOUQUER et DE KLIJN 1989 ;
CHOUQUER 1993,1996 ) mettant en évidence la diffusion de ce modèle ainsi que
les modes de contact des formes cadastrales : succession, superposition et
juxtaposition.
L’apport des textes, notamment la traduction des arpenteurs romains (CHOUQUER
et FAVORY 1992, FAVORY et al. 1994, 214-236), et des données issues des
prospections et de la fouille contribuaient à asseoir ces recherches. Cependant, les
interrogations et les critiques formulées à leur encontre, ainsi que la diffusion
d’autres types d’analyses devaient apporter un renouvellement des problématiques.
Les travaux menés en Angleterre (TAYLOR 1975 et 1984) et aux Pays-Bas
(BRONGERS 1976) s’appuyant sur la photographie aérienne, les fouilles sur de
grandes surfaces et les études paléoenvironnementales montraient une réalité
complexe, celle des formes des systèmes parcellaires anciens.
Alain Ferdière soulignait déjà en 1980 (id., 1983) l’importance de ces travaux et les
avancées de la réflexion sur les parcellaires qu’ils permettaient ; en affirmant la
nécessité « d’observer « ce qu’il y a autour », tant au plan chronologique (avant et
après…), que géographique (secteurs voisins…) et typologique (différents types de
10
structures agraires attestés) » (FERDIERE 1983, 183), ce chercheur invitait à la
prudence quant à la recherche trop systématique de cadastrations romaines en
Gaule du Nord, et à une réflexion diachronique et pluridisciplinaire.
Au cours de la même table ronde, François Favory évoquait la possibilité de
l’existence de cadastres indigènes dans le Midi (FAVORY 1983, 79). La mise en
évidence de systèmes parcellaires quadrillés présumés antiques et fortement
structurants mais que l’on ne pouvait rapporter à des systèmes centuriés, l’avancée
des connaissances sur l’organisation territoriale et sociale à l’Age du Fer (PION
1989, 186-260), et sur l’évolution des sociétés, de l’agriculture et des habitats
protohistoriques (AUDOUZE et BUCHSENSCHUTZ 1989) ont contribué à faire
émerger l’idée d’une structuration du parcellaire de la Gaule à la fin de la
protohistoire (BUCHSENSCHUTZ et MENNESSIER-JOUANNET 1996).
En même temps que l’on commençait à poser le problème de l’existence de ces
réseaux indigènes – ce qui revenait, enfin, à concevoir pour la Gaule pré-romaine
un paysage agraire -, la multiplication des publications proposant la restitution de
réseaux centuriés amenait un certain nombre de critiques de la part de chercheurs
tels que Max Guy, François Favory, Jean-Luc Fiches, Gérard Chouquer ou encore
Philippe Leveau, invitant à la prudence et à une plus grande rigueur quant à la
reconnaissance et à la chronologie de ces centuriations1, et à prendre en compte
les données des sciences de la terre. Les travaux de Pierre Poupet, la création d’un
groupe interdisciplinaire, regroupant archéologues, géomorphologues et naturalistes
à l’université d’Aix-Marseille, les rencontres d’Antibes sur le thème Archéologie et
Espace en 1989 et la publication de l’ouvrage « Pour une archéologie agraire »
sous la direction de Jean Guilaine en 1991 témoignent des nouvelles interrogations
1
Nous reviendrons sur ces critiques dans la partie méthodologique.
11
qui sont apparues quant à l’analyse de l’espace, et de la nécessité d’une démarche
pluridisciplinaire s’inscrivant dans la longue durée.
Les fouilles de parcellaires, grâce notamment aux chantiers de sauvetage
préalables aux grands travaux (autoroutes, TGV…) ont apporté des résultats
majeurs sur l’existence et l’importance des linéaments antiques, d’origine romaine
ou non (Melun-Sénart2, Finage jurassien3, Tricastin4, Armorique5), mais aussi et
surtout la possibilité d’une réflexion plus globale sur la mise en place et l’évolution
des paysages, faisant appel à différents champs scientifiques.
Si l’existence de parcellaires déjà très structurés à la fin de la Protohistoire semble
désormais avérée, les interrogations demeurent quant à leur genèse. La question
des centuriations et plus généralement de la romanisation de la Gaule suscite de
nombreux débats, d’une part quant à la validité des restitutions et au problème de
leur interprétation chronologique, et d’autre part quant au formalisme excessif vers
lequel tendraient certaines analyses morphologiques. Les colloques d’Orléans et
d’Antibes en 1996 ont montré la dichotomie entre les études tendant vers un
formalisme de plus en plus poussé et abstrait (PEREZ 1995) et celles s’inscrivant
dans une réflexion sur la compréhension de la dynamique de la structuration des
parcellaires (FAVORY 1996, 193-200, ARINO-GIL et al. 1996, 142-154,
GONZALES VILLAESCUSA 1996, 155-166).
En rupture avec les travaux de Marc Bloch, Roger Dion ou Gaston Roupnel
amenant « à occulter tout ce qui, dans le paysage, ne relevait pas des temps
médiévaux » (PEREZ 1995, 33), les études sur les réseaux centuriés ont sans
doute à l’inverse amené à privilégier tout ce qui dans le paysage relevait des temps
« romains ». C’est cependant grâce aux méthodes mises en place par les
2
S. Robert, dans Chouquer 1996 (dir.), 11-26.
H. Laurent, dans Chouquer 1996b (dir.), 9-20.
4
TOUNSI et al.1997
5
M .Gautier, P. Naas et G. Leroux dans Chouquer 1996b (dir.), 45-56.
3
12
chercheurs antiquisants et certains médiévistes et à la dimension diachronique des
études déjà proposées par certains de ces chercheurs, comme F. Favory et
G. Chouquer par exemple, et aux travaux précurseurs d’Élisabeth Zadora-Rio en
1987, que la recherche sur les parcellaires médiévaux connaît un renouveau certain
depuis les années 1990. Répondant à l’invitation de G. Chouquer qui suggérait aux
médiévistes que « ces paysages ruraux les attendent, s’ils veulent bien sortir de
leurs chartes, comme les antiquisants ont dû, eux aussi, regarder à côté de leurs
inscriptions et de leurs textes » (CHOUQUER 1991b, 224-225), des chercheurs
apportent une contribution majeure à l’analyse de l’espace rural et à l’interprétation
des formes sur le temps long (ABBE 1993 et 1995 ; LAVIGNE 1996).
« Les parcellaires doivent être analysés dans le long temps mais pas dans
l’immobilisme, même lorsqu’en apparence leurs formes ne changent pas
beaucoup » écrit G. Chouquer (CHOUQUER 1996b, 219) pour situer la recherche à
venir. Pour ce chercheur, trois questions historiques fondamentales paraissent
résumer l’histoire des parcellaires : d’une part celle de la genèse des parcellaires,
dont on constate qu’ils sont déjà fortement structurés dès la fin de la Protohistoire,
d’autre part celle de l’évaluation de la romanisation des campagnes, et enfin la
question des parcellaires médiévaux et des modalités de leur mise en place
(CHOUQUER 1996, ABBE 1993 et 1996). Les notions d’interactions, de continuité
et de rupture, de permanence et de mobilité, de données du milieu et de données
sociétales, maintes fois apparues au cours des colloques d’Orléans et d’Antibes,
témoignent
des
nouvelles
problématiques qui
sous-tendent
l’analyse
des
parcellaires et des renouvellements méthodologiques liés à ces approches
différentes des systèmes spatiaux.
13
2. Méthodologie
2.1.
La recherche des cadastres antiques
2.1.1. Les années 1980-1990.
C’est à partir des années 1980 essentiellement qu’ont été mis en œuvre en
France, et plus particulièrement dans le Midi, de nombreux travaux de recherche
sur les cadastres antiques, à partir des textes anciens, textes gromatiques en
particulier, qui montraient l’importance de la maîtrise du sol dans le processus de
romanisation. C’est ainsi que dans une recherche fondée sur ces hypothèses
majeures que les cadastres antiques avaient fortement structuré le paysage,
notamment en Narbonnaise, et que ces cadastres avaient laissé dans le paysage
actuel les empreintes de cette structuration, les historiens ont tenté de mettre en
relation les textes avec une réalité paysagère. S’appuyant sur des techniques de
recherche nouvelles, prospection aérienne, traitement d’image, photo - et carto interprétation, qui permettaient une lecture de formes à deux niveaux, celui des
traces fossiles et celui des formes encore vivantes dans le parcellaire, les travaux
menés au sein du centre d’Histoire Ancienne de Besançon ont créé les fondements
de la modélisation des cadastres antiques (CLAVEL-LEVEQUE (éd.) 1983). Des
chercheurs ont établi des critères rigoureux permettant l’identification des structures
cadastrales antiques fondés sur l’analyse morphologique et métrologique des
parcellaires (FAVORY 1983, 51-135 ; CHOUQUER 1983 ; CHOUQUER et
FAVORY 1980 et 1991). Après avoir dans un premier temps proposé la restitution
d’une limitation (centuriation par exemple), il s’agit dans un second temps de
déterminer les différents caractères morphologiques et métrologiques qui peuvent
permettre la validation de cette proposition et l’interprétation de ce réseau comme
une limitation antique. Les différents critères retenus sont donc d’une part
14
l’orientation identique des axes, d’autre part la présence de mesures qui puissent
correspondre à des mesures antiques, et enfin la reconnaissance des rythmes et
des modules. « C’est la combinaison de ces deux critères - réseau orthogonal
d’orientation constante et rythmé selon une périodicité fondé sur l’actus et
s’exprimant dans le réseau par des intervalles correspondant aux sous-multiples de
la longueur du côté de la centuriation, en moyenne 709 m - qui permet de conclure
à l’existence d’un caractère romain » (CHOUQUER et FAVORY 1980, 17). La
méthode de recherche s’est peu à peu affinée par la mise en évidence d’une grande
variété de modules, des modes de subdivision des unités intermédiaires, des
formes cadastrales romaines différentes de la limitatio classique ( strigation,
scamnation), et à la prise en compte d’autres indices tels que les relations
entretenues par le parcellaire avec les voies et les habitats (FAVORY 1983, 51135).
Un des apports essentiels de ces recherches a été de considérer le paysage
comme un objet d’étude, et les formes comme une source d’hypothèses et
d’interprétation. Le travail sur les photographies aériennes permettait de dégager
une quantité importante d’informations (traces fossiles et vivantes), et traiter ces
informations nécessitait au préalable d’élaborer un raisonnement morphologique à
partir duquel on pouvait rechercher des cohérences et des anomalies, et effectuer
un tri morphologique sélectif. C’est à partir de ces premiers travaux que l’idée de la
réification au sol des cadastres antiques, en Gaule du Sud principalement, s’est
véritablement imposée et que l’on a vu se multiplier les propositions de restitution
de réseaux, centuriés notamment, par analyse morphologique. Si ces recherches
ont suscité un certain scepticisme (FERDIERE 1983, 175-183), l’apport des
prospections et des fouilles a permis de conforter cette démarche, montrant la
matérialité d’axes de réseaux dont la restitution avait préalablement été proposée.
C’est ainsi qu’en 1983, et pour la première fois en France, Thierry Odiot a pu mettre
15
en évidence par des sondages des axes de réseaux A et B de Valence, que le
centre de Recherche d’Histoire Ancienne de Besançon avait déjà proposé de
reconnaître comme cadastrations romaines (CHOUQUER et ODIOT 1984, 361396). A la suite de ce travail, d’autres fouilles ont permis de montrer la matérialité
des cadastres, comme par exemple les centuriations B d’Orange, A et B de Nîmes,
Sextantio Ambrusum, Béziers B et C (CHOUQUER et FAVORY 1992, 105).
Au moment où les propositions de restitution de réseaux centuriés commençaient à
être validées par les fouilles et les prospections, l’analyse morphologique s’est
trouvée confrontée à un certain nombre de questions et de remises en cause.
L’engouement pour l’étude des centuriations a en effet amené une multiplication
des propositions de restitution de réseaux qui a eu pour conséquence d’attirer les
critiques de la part de chercheurs pour lesquels l’analyse morphologique offrait peu
de crédibilité, mais également de la part de ceux qui avaient eux-mêmes contribué à
établir les fondements de cette méthode.
2.1.2. Les critiques
Ces critiques s’articulent essentiellement autour de deux problèmes majeurs, à
savoir la validité de la restitution des réseaux centuriés d’une part, et la chronologie
de ces structures qui montrent parfois plusieurs centuriations successives sur le
même territoire d’autre part. Très tôt, des chercheurs ont attiré l’attention sur le fait
que toutes les formes quadrillées ne relevaient pas systématiquement de la
centuriation. Les travaux de François Favory, montrant l’existence de formes
orthogonales et de possibles cadastres indigènes en Gaule du Sud (FAVORY,
1983, 77-85), ceux de G. Chouquer proposant un cadastre romano - indigène dans
16
la vallée de la Tille (CHOUQUER 1991b, 174-182), et ceux de Jean Delezir et Max
Guy, ont fréquemment mis l’accent sur le fait que les formes quadrillées n’étaient
pas l’apanage exclusif des Romains. Sous l’humour de la présentation d’un
cadastre romain… en Chine (DELEZIR et GUY 1993, 85), J. Delezir et M. Guy
montrent que « d’autres, dans d’autres lieux, construisirent des structures
analogues, dans des circonstances pas trop différentes, presque à la même
époque, et aussi à des époques très différentes » (id., 80). Examinant les
orientations des parcellaires quadrillés, Max Guy formule un certain nombre de
données nouvelles à propos de cette question. Constatant qu’une même orientation
du parcellaire ne correspond pas obligatoirement à un même parcellaire, il souligne
le risque de reconstituer des centuriations qui peuvent se révéler fictives, en
associant des formes de même orientation, certes, mais qui n’ont peut-être pas
grand chose en commun (GUY 1996, 57-68), et il nous invite donc à un examen
critique des restitutions des centuriations. D’autre part, l’imbrication ou la
superposition des réseaux, leurs orientations parfois très voisines, posent le
problème de la chronologie de ces structures.
Cette imbrication peut permettre, certes, de déterminer, par la méthode des
antériorités successives (CHOUQUER 1990, 293-297), quel réseau a précédé
l’autre, en examinant leurs modes de contacts. Cependant, la complexité éventuelle
des formes ne permet pas toujours d’appliquer cette méthode de chronologie
relative. Le problème posé par les juxtapositions et superpositions est aussi celui du
statut de ces réseaux. Comme le souligne J. L. Fiches, « la complexité des réalités
cadastrales, apparues au cours de ces douze dernières années ne permet plus de
recourir à des équations simples telles que centuriation égale création coloniale et
territoire de cité » (FICHES 1993, 99), et l’extension des réseaux peut correspondre
à des réalités et à des fonctions bien différentes (FICHES 1993, 100). La situation
de « confusion », pour reprendre le terme utilisé par ce même chercheur (FICHES
17
1996b, 92) que connaît la recherche sur les centuriations s’inscrit dans le cadre des
interrogations issues des données apportées par la fouille d’une part, et les études
pluridisciplinaires d’autre part, qui ont amené à envisager la question des formes de
l’occupation du sol dans l’Antiquité, au-delà du cadre strict de la centuriation.
2.1.3. Les données nouvelles
Les prospections et les fouilles sur de grandes surfaces ont permis de mettre en
évidence l’existence de parcellaires pré et protohistoriques. En Grande-Bretagne,
aux Pays-Bas, en Allemagne, les recherches menées sur l’organisation de ces
formes ont montré d’une part l’existence de « celtic fields », ces ensembles de
petites parcelles de forme ramassée, aux dimensions souvent restreintes et datant
de la fin de la protohistoire et de l’époque romaine. Les exemples de Vaassen aux
Pays-Bas (BRONGERS 1976) ou encore de Segsbury en Grande-Bretagne
(BOWEN et FOWLER 1978) sont bien connus. Ces travaux ont également montré
que ces champs peuvent être organisés en de plus vastes ensembles. A Dartmoor,
dans le Devon, on a pu constater la présence d’une forme cohérente en plan, une
organisation spatiale structurée par des reaves, et qui semble pouvoir être datée du
IIème millénaire av. J.C (FLEMING 1986). A Segsbury, Bradley et Richard ont mis en
évidence des ensembles cohérents comparables (BRADLEY et RICHARD 1978)
s’étendant sur une vaste surface et organisés à partir d’axes rectilignes. Si ces
ensembles sont datés de l’Âge de Bronze, ce type de structure peut perdurer
jusqu’à la période romaine et même jusqu’à nos jours puisqu’on voit encore ces
structures à l’état de relique.
François Favory a proposé de lire ces formes d’organisation comme étant de
18
véritables cadastres protohistoriques et « d’envisager, dans cette partie de l’Europe
du Nord-Ouest qui les a révélés, une véritable planification de l’aménagement du
territoire dès l’Âge du Bronze » par rapport à certaines caractéristiques formelles qui
s’en dégagent, à savoir orientation plus ou moins constante, structure hiérarchisée
des limites parcellaires, régularité relative de la morphologie agraire, et enfin
articulation des lignes fortes avec des sites protohistoriques (FAVORY 1991, 63).
En France, des recherches récentes ont apporté des données nouvelles sur cette
question des formes parcellaires protohistoriques. Si on avait déjà relevé la trace de
« celtic field » dans la Somme, les Vosges, ou encore dans la vallée de l’Aisne par
exemple (FERDIERE 1988, 125), les recherches sur l’Oscheret (CHOUQUER
1996a, 30-48), Melun-Sénart (ROBERT 1996a, 11-26), Lezoux (MENNESSIERJOUANNET et CHOUQUER 1996, 111-125), et plus généralement celles liées aux
grands travaux d’aménagement permettant de fouiller sur des surfaces assez
vastes, ont permis de mettre en évidence de grands systèmes quadrillés
imparfaitement géométriques que l’on a pu rapporter à la période laténienne. La
fouille de ce type de structure a apporté des données importantes quant à la genèse
des formes : d’une part quant au principe de pérennité des orientations des
parcellaires actuels, du moins jusqu’aux opérations de remembrement, qui trouvent
leur origine dans ces parcellaires anciens (MENNESSIER-JOUANNET et
[PR1]CHOUQUER 1996, 111-2125 ; ROBERT 1996a, 14 ; CHOUQUER et al. 1996,
38-39, 42), et d’autre part quant à la genèse de ces réseaux antiques qui est encore
mal comprise : on perçoit sans doute davantage une forme aboutie qu’une forme
originelle (CHOUQUER 1996b, 203) et ces quadrillages semblent relever d’une
mise en place progressive, les fossés d’un même réseau pouvant être de l’Âge du
Fer comme du Haut Moyen-Âge, ou plus tardifs encore (CHOUQUER 1996d, 2627). Il en résulte que si l’existence de ces systèmes semble maintenant acquise,
l’interprétation est en revanche difficile, « la morphologie de ces ensembles est
19
suffisamment régulière pour qu’on se pose la question d’une réorganisation
programmée, mais pas assez géométrique pour qu’on écarte l’hypothèse d’une
organisation
progressive
et
diffuse »
(MENNESSIER-JOUANNET
et
BUCHSENSCHUTZ 1996, 174). L’avancée des connaissances sur les sociétés
protohistoriques peut permettre d’envisager ces grands systèmes par rapport à des
mutations qui semblent apparaître à l’Âge du Fer : fixation et stabilité de l’habitat
(AUDOUZE et BUCHSENSCHUTZ 1989, 294 ; PION et al. 1990, 209), pression
démographique (AUDOUZE et BUCHSENSCHUTZ 1989, 30-31), et émergence
d’une économie monétaire (PION 1990, 251). Cependant les connaissances sont
encore trop floues pour affirmer des conclusions quant à l’organisation de la société
et de la production.
La prise de conscience de l’importance des données du milieu dans l’étude du
paysage a été, semble-t-il, le deuxième élément majeur de l’évolution de la
recherche. Si certains chercheurs déplorent le peu de place accordé par les
autorités archéologiques aux fouilles de structures parcellaires (POUPET 1993, 12 ;
FAVORY 1993, 101), les stratégies adoptées pour certains chantiers ont cependant
entraîné des renouvellements méthodologiques capitaux. C’est ainsi que l’équipe
pluridisciplinaire de l’université d’Aix-Marseille, composée d’historiens et de
géomorphologues, a entrepris des travaux sur la morphogenèse et l’anthropisation
du milieu naturel, ou « l’érosion en terme d’histoire des sociétés » (LEVEAU et
PROVANSAL 1991, 111), autour de l’étang de Berre. Les différentes méthodes
utilisées, géomorphologie, sédimentologie, palynologie, permettent de montrer la
complexité des relations des phénomènes anthropiques et des phénomènes
physiques, et qu’ « il n’y a pas de causalité simple entre la pression de l’homme sur
le milieu et le déclenchement des crises d’érosion » (FICHES 1996, 91). De même,
20
les recherches menées dans le cadre du tracé du TGV en Moyenne Vallée du
Rhône ont mis l’accent sur la confrontation des données morphologiques,
archéologiques, et paléo-environnementales (BERGER et JUNG 1996, 95-111). Les
résultats obtenus montrent l’intérêt de ce type de démarche pour la compréhension
du rôle et de l’évolution du parcellaire, montrant par exemple comment une mutation
des modes agro-pastoraux a entraîné l’abandon des réseaux de drainage, cet
abandon occasionnant lui-même des modifications paysagères (id., 110).
2.2.
L’élargissement des recherches
Si l’interprétation de la genèse des grands systèmes quadrillés antiques demeure
difficile, leur étude permet d’aborder la recherche sur l’organisation des formes du
paysage sous un éclairage différent : tout d’abord en proposant les bases d’une
réflexion sur la pérennité des formes et en montrant l’intérêt de les envisager dans
le temps long. Si l’existence de ces trames antiques, protohistoriques, commence à
être avérée, les interrogations demeurent, nous l’avons vu, quant à leur genèse,
mais aussi quant à leur devenir dans les époques ultérieures. Ces trames
quadrillées d’origine pré-romaine semblent avoir constitué le cadre principal de
l’activité agraire à l’époque romaine (ROBERT 1996, GAUTIER 1996, 45-56 ;
MENNESSIER-JOUANNET et CHOUQUER 1996, 122). Mais peut-on affirmer pour
autant qu’on aurait eu en Gaule Chevelue ces formes indigènes et dans le Midi des
formes centuriées ? Là encore, la question est plus complexe. D’une part le
problème de l’existence des centuriations en Gaule Chevelue n’est pas résolu. Des
coïncidences métrologiques, une orientation constante, un module fondé sur la
mesure de l’actus, comme on a pu les mettre en évidence à Germiny (LAFFITE
21
1996, 154-158), en Gironde (GARMY et GONZALEZ-VILLAESCUSA 1996), ou
encore en Loire-Atlantique (DESCHAMPS et PASCAL 1996), ne permettent pas de
rejeter définitivement l’hypothèse que la Gaule Chevelue ait pu connaître des
formes centuriées. Mais dans le même temps, des doutes apparaissent quant à leur
existence dans des régions qui ont fait l’objet d’études approfondies. C’est le cas
pour le Finage Jurassien où Gérard Chouquer souligne que l’hypothèse d’une
centuriation ne peut toujours pas, malgré les fouilles, être validée (CHOUQUER
1996b, 221-222, note 31).
Le problème plus général sous-tendu par ces différentes critiques est celui de
l’évaluation de la recherche sur les centuriations et de la façon dont on pose
actuellement la question. La morphologie ne peut à elle seule résoudre cette
interrogation sur les centuriations, principalement en Gaule Chevelue et il est
nécessaire de rendre à l’historien son rôle. Le débat sur les centuriations ne peut
plus être centré sur la question de leur présence ou non en Gaule. Qu’elles inclinent
vers le oui ou vers le non, les positions trop générales - comme celles de l’historien
Marcel Le Glay qui affirme que la centuriation est, avec les villae, la marque
principale de Rome en Gaule, sans autre développement, comme s’il y en avait
partout uniformément, ou bien l’opinion de ceux qui s’en tiennent à un postulat selon
lequel la centuriation ne correspond qu’aux colonies, ou encore celle de Philipp von
Cranach qui, sur la base de travaux archéologiques qu’il juge mauvais, nie la notion
de renormatio alors que les textes dont il est le spécialiste en parlent plusieurs fois ne peuvent permettre d’avancer sur la question des centuriations qui est
fondamentalement historique et pour laquelle les matériaux « historiques », textes
et épigraphie notamment, font défaut .
Dans quelles conditions Rome a-t-elle organisé ses relations avec la Gaule, avant
et après la conquête militaire ? Sans entrer dans le détail des situations, il semble
nécessaire de rappeler quelques évidences historiques que l’on a tendance à trop
22
souvent oublier : Rome pratique, vis-à-vis des peuples qu’elle domine, des relations
institutionnelles très souples, allant de la cité qu’elle honore d’un traité d’alliance à
la cité qu’elle punit lourdement de sa résistance ou de sa révolte en lui confisquant
tout ou partie de son territoire. A cette diversité de statuts territoriaux, s’ajoute la
diversité des solutions techniques que les administrateurs et arpenteurs mettent en
œuvre sur le terrain pour régler le sort de l’ager publicus6. Il y a sans doute des
différences, y compris formelles et y compris au sein d’un même territoire de cité,
entre un sol assigné dans le cadre d’une déduction coloniale, un sol assigné viritim7,
un sol vendu par les questeurs ou encore loué par eux, un sol déclaré ager
subsicivus, etc. …
Des témoignages explicites et bien connus, le Pro Fonteio de Cicéron par exemple,
indiquent clairement que les Romains ont utilisé cette palette de situations.
Il est donc probable que la Gaule Chevelue, elle aussi, a connu des situations
diverses, et que la question de la centuriation doit être abordée avec, présent à
l’esprit, ce pragmatisme juridique qui caractérise si fortement les situations antiques.
De ce point de vue, on peut s’attendre, du moins a priori, à des morphologies
différentes, selon que l’on sera chez les Eduens, alliés fidèles, chez les Lingons
[PR2]ou les Trévires, plus souvent révoltés, dans les Champs décumates, zone
militaire et de franche colonisation, chez les Sénons ou les Turons, etc. …
Le discours de l’historien, à ce stade de la recherche devrait pouvoir aider à sortir
du schématisme excessif avec lequel on a pensé le problème jusqu’ici. Les travaux
essentiels de F. Favory, de son article de 1983 à sa récente synthèse sur la
6
7
C’est-à-dire des terres confisquées aux indigènes et qui deviennent res publica de Rome et de ses
colons (CHOUQUER et FAVORY 1992).
C’est-à-dire nommément à des vétérans mais sans déduction d’une colonie.
23
Narbonnaise (FAVORY 1997), témoignent du renouvellement de l’approche sur ces
questions fondamentales.
En revanche, ce que l’on commence à percevoir en ce qui concerne les
centuriations comme les grandes formes indigènes, c’est le rôle qu’elles ont pu
jouer dans la mise en valeur du sol, principalement dans le contrôle et la maîtrise
des éléments orohydrographiques. En Moyenne Vallée du Rhône, on a pu montrer
que la centuriation B d’Orange avait eu une fonction de drainage et également
d’irrigation des terres (BERGER et JUNG 1996).
Les relations entretenues entre le parcellaire et les contraintes hydrographiques
semblent avoir été déterminantes dans le phénomène de pérennité des formes. A
Genlis, en Côte-d’Or, le respect d’un certain déterminisme naturel lié aux cours
d’eau et la fonction de drainage du parcellaire gaulois ont sans doute permis à ce
dernier d’être pérennisé jusqu’à l’époque actuelle (CHOUQUER 1996a, 32-48).
La question de la pérennité de ces trames antiques au Moyen-Âge s’impose peu à
peu dans la réflexion menée par les médiévistes sur le paysage (ZADORA-RIO
1987 ; ABBÉ 1993, 1995 et 1996). Élisabeth Zadora-Rio avait déjà envisagé ce
problème, montrant que sur la commune de Blou, dans le Maine-et-Loire, les
grands axes de la voirie et une partie de l’orientation parcellaire étaient sans doute
d’origine antique, mais que cette permanence ne signifiait pas une continuité dans
la répartition du peuplement (ZADORA-RIO 1987, 58). Les travaux engagés par les
médiévistes depuis quelques années sur les paysages8 ainsi que les données
issues des prospections et de la fouille ont montré l‘intérêt de situer les recherches
dans un cadre diachronique pour comprendre la genèse des formes parcellaires
8
On peut citer les travaux Élisabeth Zadora-Rio sur le Maine-et-Loire, de Jean-Loup Abbé sur SaintDenis et Villeneuve-l’Archevêque, d’Armelle Querrien sur le Berry, de Cédric Lavigne sur la
24
médiévales. On est souvent parti du principe que l’Antiquité avait créé des formes
quadrillées et le Moyen-Âge des formes radio-concentriques. Mais les études
récentes montrent que les situations sont plus diverses et complexes. A Murviel-lesMontpellier François Favory a mis en évidence que la conquête des terres s’était
effectuée en ondes concentriques à partir de l’oppidum antique, et que l’on pouvait
donc rapporter cette forme concentrique à l’Antiquité (FAVORY 1991, 79). En
revanche, on constate que si la polarisation de l’habitat au Moyen-Âge a entraîné le
développement d’un réseau radial de chemins, le parcellaire n’adopte pas
nécessairement une forme radio-concentrique. Les exemples de Lion-en-Beauce
(LETURCQ
1996,
180),
Melun-Sénart
(ROBERT
1996,
12),
Lempty
(MENNESSIER-JOUANNET et CHOUQUER 1996, 124), ou encore Sagonne (DE
SOUSA, CHOUQUER et FOURTEAU-BARDAJY 1996, 134) montrent que, malgré
un réseau radial de chemins issu des pôles d’habitat, le dessin parcellaire est
structuré sur une base quadrillée dont l’orientation correspond à celle d’une trame
d’origine antique. Il semble donc, d’une part qu’il est impossible d’attribuer une
forme spécifique à une époque - sauf dans les cas avérés de planification -, puisque
chaque période a visiblement connu des formes variées, d’autre part que les cadres
structurants, c’est-à-dire les formes intermédiaires, peuvent connaître une évolution
différente de celles des formes parcellaires (CHOUQUER 1996b, 213).
Mais il faut se demander si le constat de la pérennité des trames antiques à
l’époque médiévale ne présente pas le risque d’entraîner une vision du paysage où
toutes les formes seraient antiques, après avoir été celle où toutes les formes
étaient médiévales comme le proposait Robert Fossier (FOSSIER 1995, 44)9.
L’exemple de Lunel-Dassargues, dans l’Hérault, peut amener des éléments de
réponse à ce problème. Les fouilles ont en effet montré une pérennité des
9
Gascogne et de Samuel Leturcq sur le parcellaire de Lion-en-Beauce.
J.L. Abbé a soulevé ce problème de la pérennité des trames antiques dans le deuxième volume des
25
orientations antiques jusqu’au Moyen-Âge mais avec une modification des limites et
des fonctions : les fossés orthogonaux antiques ont été comblés, mais à leur
emplacement on a mis en évidence des trous de poteaux et des silos carolingiens,
montrant donc un changement du paysage mais une pérennité de l’orientation
antique (FAVORY et al. 1993). A Melun-Sénart (ROBERT 1996), Genlis
(CHOUQUER 1996a, 32, 48), on a pu montrer la réalité de ce processus qui ne
s’inscrit pas dans l’immobilisme mais conjugue évolution et permanence. Pour
Gérard Chouquer « lorsqu’on parle de pérennité, il s’agit plutôt du maintien global
d’un type de structure (…). A partir de quelques éléments morphogénétiques, les
orientations antiques se sont maintenues (…) mais le dessin du parcellaire a subi
de nombreuses mutations » (CHOUQUER 1996b, 213). A Genlis, par exemple, la
voie Traversaine a sans doute été un élément morphogénétique important, générant
des tracés isoclines de la Protohistoire au Moyen-Âge et sans doute à l’époque
moderne (CHOUQUER 1996a, 37-39).
Le constat de la pérennité des formes pose cependant la question de l’importance
de la période médiévale dans la morphogenèse des parcellaires. Faut-il considérer
les parcellaires radio-concentriques, associés à des castra, ou encore des
parcellaires associés aux villeneuves, comme étant de nature à modifier totalement
les formes antérieures ? « A moins qu’ils ne soient des épiphénomènes et que
l’essentiel soit la pérennité des trames protohistoriques et antiques » (ABBÉ 1996,
224). Dans un article de synthèse sur les « permanences et mutations des
parcellaires médiévaux » J. L. Abbé propose une réflexion sur la genèse de ces
parcellaires qui s’inscrit dans une perspective diachronique, mettant en évidence
d’une part le rôle fortement structurant des parcellaires antiques au Moyen-Âge, et
Formes du Paysage (ABBE1996)
26
d’autre part les renouvellements apportés par les créations médiévales (id., 223236).
Ce chercheur propose de distinguer différents moments dans l’évolution de ces
parcellaires : le haut Moyen-Âge montrant une cohabitation de l’héritage antique et
des créations médiévales, une seconde phase de la fin du Xème jusqu’au XIIème
siècle qui voit le regroupement de l’habitat et l’effacement des grandes formes
quadrangulaires, et enfin, à partir du XIIème siècle, une multiplication des villages
planifiés s’accompagnant de modifications des parcellaires (ABBÉ 1996).
Les données sur le haut Moyen-Âge demeurent encore relativement pauvres mais
les études menées montrent déjà la diversité des situations. Nous avons vu qu’à
Lunel-Dassargues il a été constaté que la pérennité des orientations antiques
jusqu’à l’époque carolingienne se conjuguait avec une mutation des limites et des
fonctions (FAVORY et al. 1993). Mais on peut également observer des créations
parcellaires originales concentriques, liées à une première phase de concentration
de l’habitat, comme dans le Finage où G. Chouquer a mis en évidence deux formes
curvilignes, celles de Saint-Anne et de Saint-Aubin, que les données issues des
textes, des prospections, et de l’analyse morphologique permettent d’attribuer à une
période de défrichement et de colonisation agraire du haut Moyen-Âge
(CHOUQUER 1993, 88, 1994, 44-46). Dans l’Hérault à Murviel-les-Montpellier
(FAVORY 1991, 83-86) ou encore à Campagne et Caissargues (CHOUQUER
1996d, 144-147), des formes radio-concentriques alto-médiévales semblent relever
du même phénomène.
La généralisation du regroupement à partir de la fin du Xème et jusqu’au XIIème siècle
autour du cimetière, de l’église ou du château (FIXOT et ZADORA-RIO 1990 (dir.);
ZADORA-RIO 1994,
139-155 ; BOURIN et
DURAND
1994,
98-106)
est
déterminante pour l’évolution de l’organisation du paysage. Les pôles villageois qui
se créent donnent naissance à un réseau viaire étoilé dont on peut penser qu’il sera
27
un facteur important de cette évolution. Dans le Languedoc, les textes notariaux
montrent à partir du XIème siècle une transformation progressive des formulaires
traduisant une disparition graduelle des formes géométriques orthogonales, au
profit sans doute de formes plus irrégulières. Monique Bourin et Aline Durand
proposent de lier cette transformation du parcellaire à la polarisation de l’habitat : le
réseau de chemins perturbe la trame antique, les parcelles venant peu à peu
prendre appui sur ces nouvelles voies10.
Analysant les parcellaires du Berry, Armelle Querrien a proposé de lire les
parcellaires radio-concentriques comme des créations volontaires, répondant à la
volonté seigneuriale de manifester son pouvoir politique (QUERRIEN 1994, 354).
Cette hypothèse a été critiquée (CHOUQUER 1996b, 210-212 ; ABBÉ 1996, 227).
On constate en effet que dans les cas de planifications volontaires connues et
attestées, la forme adoptée est une forme quadrillée ou en bandes, comme le
montrent les exemples de Villeneuve-l’Archevèque, Flagy (ABBÉ 1993), Torfou
(HIGOUNET 1975, 235-242), Blou (ZADORA-RIO 1991, 179-180) ou encore les
bastides de Gascogne (LAVIGNE 1996, 182-198).
La question sous-jacente posée par l’étude d’A. Querrien est de savoir si l’on est en
droit de rapporter une forme à un type de pouvoir ou à une époque spécifique, et
montre la difficulté d’interpréter les faits agraires précis et localisés en termes
historiques plus généraux.
Comme pour les réseaux protohistoriques et antiques, il semble qu’on se heurte là
encore au problème de l’interprétation de ces formes parcellaires médiévales, ou
bien comme des formes exogènes, ou de fondation, et donc volontaires et
planifiées, ou bien comme des formes endogènes ou de formation, à l’élaboration
diachronique et progressive.
10
Communication d’A. Durand au colloque d’Antibes d’octobre 1996. Cette communication n’apparaît
pas dans les actes du colloque.
28
Les renouvellements méthodologiques de ces dernières années témoignent d’une
évolution due à la multiplicité des situations et interprétations, des types d’analyse
mis en œuvre et des approches différentes du paysage.
L’ouverture tant diachronique que disciplinaire semble désormais indispensable si
l’on veut pouvoir tenter d’appréhender l’histoire du paysage dans sa dynamique. Ce
constat a conduit certains chercheurs (LEVEAU 1997 ; CHOUQUER 1997a et b) à
proposer une démarche différente pour l’étude des paysages fondée sur une
approche systémique qui permette de saisir « à bras le corps, la complexité du réel
observable » (CHOUQUER 1997b, 20), en considérant le paysage à l’instar de
certains géographes (BERTRAND 1975, 1995) comme un processus de
transformation mettant en œuvre des interactions diverses, et donc comme un
système.
Il nous semble cependant que cette proposition nécessite d’être clarifiée. En effet,
les articles de P. Leveau, G. Chouquer ou G. Bertrand, et plus généralement les
articles sur les formes du paysage, utilisent les termes de système, analyse
systémique, interactions, sans réellement définir ces concepts ni les mettre en
œuvre dans une réflexion épistémologique.
L’utilisation de ces termes semble devoir être rapportée à la « crise »
méthodologique que nous venons d’évoquer, liée à la prise de conscience de la
nécessité
d’une
approche
globalisante,
interdisciplinaire
et
diachronique
(CHOUQUER 1997, 17-19). Mais une approche interdisciplinaire n’est pas
nécessairement « systémique », un système n’étant pas seulement un ensemble
d’éléments en interactions (LE MOIGNE, 1984, 18-20 ; MORIN 1977, 102).
Il nous semble donc utile de tenter de définir quelques-uns des concepts et
principes clés de la systémique afin de mieux comprendre les enjeux et l’intérêt
éventuel d’une telle approche dans l’étude de l’espace rural.
29
3. Questions épistémologiques
Toute cette partie s’appuiera essentiellement sur les ouvrages d’Edgar Morin,
« Introduction à la pensée complexe » et « La Méthode »11 dans lesquels il affronte
la difficulté de penser la complexité du réel. D’autres lectures telles celle de M.
Weber et G. Bachelard, H. Atlan, I. Prigogine, J.L. Le Moigne, entre autres, ont
permis d’éclairer ou d’approfondir ces propos, mais je suis consciente qu’il en aurait
fallu beaucoup d’autres. Cependant la réflexion d’E. Morin, s’appuyant sur une
synthèse des questions épistémologiques fondamentales formulées par les
philosophes
et
scientifiques
du
XXème
siècle,
permet,
nous
semble-t-il,
d’appréhender les interrogations essentielles. Mais son propos va bien au-delà de la
synthèse et il met en œuvre la recherche d’une méthode qui permette « de bien
conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences » (DESCARTES 1992,
43) mais à partir d’un paradigme différent de celui exprimé par Descartes. Le
paradigme de complexité inhérent à l’évolution des sciences au XXème siècle et dont
il essaye de déterminer les principes, lui permet de proposer une appréhension
différente du monde dans laquelle prend place la notion de système, comme nous
allons tenter de le montrer12.
11
12
La Méthode est composée de quatre tomes : le premier « La Nature de la Nature » dans lequel E.
Morin envisage la méthode de la complexité, le second « La Vie de la Vie » ou il tente de « penser
le problème de la vie en même temps que de penser la pensée par la vie » (MORIN, 1980, 456), le
troisième « la Connaissance de la connaissance », ou « Anthropologie de la connaissance », dans
lequel il aborde la connaissance au sens large, et le quatrième « Les Idées, leurs vies, leurs
mœurs, leurs habitats » qui envisage la connaissance du point de vue des idées.
Entreprendre de synthétiser la pensée et le propos d’E. Morin en quelques pages nous semble être
un exercice quelque peu périlleux. Nous avons toutefois essayé d’en dégager les éléments qui
nous semblent fondamentaux, en essayant de ne pas trop dénaturer ses propos qui permettent de
mieux saisir la démarche systémique et la réflexion épistémologique dans laquelle elle plonge ses
racines.
30
3.1.
Du paradigme de simplicité au paradigme de complexité
La pensée occidentale est marquée depuis trois siècles par le cartésianisme. « Le
Discours de la Méthode » est fondé sur quatre préceptes essentiels pour bien
conduire sa raison :
- le précepte d’évidence : « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose
pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle, c’est-à-dire d’éviter
soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en
mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon
esprit que je n’eusse aucune occasion de la mettre en doute (DESCARTES 1992,
68-69).
- le précepte réductionniste : « Le second, de diviser chacune des difficultés que
j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les
mieux résoudre » (id., 69-70) ;
- le précepte causaliste : « Le troisième, de conduire par ordre mes pensées en
commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour
monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus
composés, et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point
naturellement les uns des autres » (id., 70) ;
- le précepte d’exhaustivité : « Et le dernier, de faire partout des dénombrements si
entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre » (id., 7071).
Le discours cartésien se fonde sur un principe de déterminisme causal, c’est-à-dire
sur l’idée que la structure d’un objet détermine ses fonctions ; « la structure est la
cause, la condition nécessaire et suffisante de l’effet, et donc de la fonction assurée
par l’objet » (LE MOIGNE 1984, 47).
31
Pour E. Morin, ce que Descartes a formulé, c’est le paradigme de simplicité (MORIN
1990, 18), paradigme qui va être déterminant dans l’épistémologie et la vision du
monde jusqu’au XXème siècle.
Il nous paraît nécessaire de revenir ici sur la notion de paradigme si nous voulons
tenter de percevoir l’enjeu des évolutions scientifiques et des changements
paradigmatiques auxquelles elles sont liées.
Nous reprendrons la définition proposée par E. Morin13 : « un paradigme contient,
pour tout discours s’effectuant sous son empire, les concepts fondamentaux ou les
catégories maîtresses de l’intelligibilité en même temps que le type de relations
logiques d’attraction/répulsion (conjonction, disjonction, implication, ou autres) entre
ces concepts ou catégories. Ainsi les individus connaissent, pensent et agissent
selon les paradigmes inscrits culturellement en eux » (MORIN 1991, 213).
Un paradigme détermine une vision du monde et tout changement de paradigme
signifie nécessairement un changement du mode de pensée. E. Morin nous donne
l’exemple de la révolution copernicienne comme révolution paradigmatique : la
doctrine du système géocentrique ptolémaïque reposait sur « un paradigme de
centration/hiérarchie qui privilégiait l’homme et son site en les mettant au centre du
monde et c’est ce paradigme qui fut atteint » (id., 231). En effet, le passage de la
vision géocentrique à la vision héliocentrique du monde a ébranlé non pas les
constituants planétaires mais les vérités religieuses et l’autorité du pouvoir spirituel.
Une révolution paradigmatique ne s’impose ni aisément, ni rapidement. Les
résistances sont nombreuses de par la nature même du paradigme. « Un
paradigme - maître est si profondément enraciné dans la réalité sociale - culturelle noologique - psychique, que les conditions de son dépérissement et de son
remplacement nécessitent de grandes transformations sociales, culturelles, qui elles
13
E. Morin après avoir envisagé les différents sens donnés à ce terme par différents auteurs et relevé
les imprécisions propose cette définition synthétique.
32
même ne peuvent s’accomplir qu’avec le concours d’une transformation
paradigmatique » (id., 234).
Le développement de la pensée occidentale qui plonge elle-même ses racines dans
l’antiquité gréco-latine et notamment dans la pensée aristotélicienne est inhérent au
paradigme cartésien. Ce que Descartes a formulé, c’est le paradigme de
« simplification » qui repose sur un principe de disjonction d’une part, du sujet et de
l’objet, de la philosophie et de la science, et de réduction d’autre part, par la
désintégration des phénomènes complexes en unités élémentaires (MORIN 1990,
1991, 220-227).
L’exemple donné par E. Morin peut nous aider à mieux comprendre (MORIN 1990,
80) : l’homme est en même temps biologique et culturel. Le paradigme de
simplification nous oblige soit à disjoindre ces deux réalités, soit à réduire la plus
complexe à la moins complexe : ainsi l’homme biologique sera étudié dans les
départements de biologie, et l’homme culturel dans les départements de sciences
humaines et sociales ; le cerveau sera considéré comme organe biologique et
l’esprit comme fonction ou réalité psychologique. On voit par cet exemple la
disjonction des champs de la connaissance, et la réduction de l’humain au
biologique ou au psychologique. Or « on oublie que l’un n’existe pas sans l’autre ;
plus même, que l’un est l’autre en même temps, bien qu’ils soient traités par des
termes et des concepts différents » (id., 18).
La mission de la connaissance scientifique, par cette volonté simplificatrice,
consistait donc à découvrir la simplicité derrière la multiplicité apparente, et l’ordre
du monde et son déterminisme absolu derrière le désordre apparent. « La science
classique s’est fondée sous le signe de l’objectivité, c’est-à-dire d’un univers
constitué d’objets isolés (dans un espace neutre) soumis à des lois objectivement
universelles » (MORIN 1977, 96).
33
En sciences physiques, cette méthode de décomposition et de mesures a permis
d’expérimenter, de manipuler, et de transformer le monde des objets. Les succès
obtenus par la physique grâce à cette méthode ont incité les autres sciences à
procéder de la même façon, en constituant leur propre objet en l’isolant de tout
environnement et de tout observateur, et en l’expliquant en fonction de lois
générales auxquelles il obéissait, et des éléments les plus simples qui le
constituaient (id., 96-97). Au XIXème siècle, l’idée de désordre apparaît dans la
physique avec les principes de la thermodynamique. Mais cette percée fut limitée et
étouffée, le désordre étant considéré comme un parasite n’apportant que
dégradation et désorganisation, nuisible à l’ordre.
Au début du XXème siècle, un premier renversement se produit qui va ouvrir la voie
au problème de la complexité que la pensée biologique moderne va elle aussi
contribuer à faire émerger (MORIN 1980). Les physiciens mettent en évidence que
l’atome n’est plus l’unité simple, irréductible et insécable, mais que c’est un système
constitué de particules en interactions mutuelles (MORIN 1977, 98). On pourrait
alors supposer qu’il suffit de donner à la particule la place attribuée initialement à
l’atome, celle de l’élément le plus simple. Mais la particule ne peut plus être isolée
de façon précise et ne peut plus être réduite à la conception classique d’objet. Pour
pouvoir la définir, il devient nécessaire de faire appel aux interactions auxquelles
elle participe, et lorsqu’elle fait partie d’un atome, « aux interactions qui tissent
l’organisation de cet atome (…). Dès lors, l’atome surgit comme objet nouveau,
l’objet organisé ou système, dont l’explication ne peut plus être trouvée dans la
nature de ses constituants élémentaires, mais se trouve aussi dans sa nature
organisationnelle et systémique, qui elle-même transforme le caractère de ces
composants » (ib.). Ainsi paradoxalement, le développement de la physique qui
tendait à révéler le déterminisme absolu, l’ordre du monde, aboutit finalement à la
complexité du réel. « A la place supposée de la simplicité physique et logique, on a
34
découvert l’extrême complexité micro-physique ; la particule est non pas une brique
première, mais une frontière, peut-être inconcevable ; le cosmos est, non une
machine parfaite, mais un processus en voie de désintégration et d’organisation à la
fois » (MORIN 1990, 22).
Le désordre et l’ordre, tout en étant logiquement contraire l’un de l’autre peuvent
coopérer d’une certaine façon pour organiser. Le modèle proposé par E. Morin pour
illustrer ce propos est celui du tourbillon : il s’agit d’une forme organisée constante
qui est produite par l’union du flux et du contreflux et qui va perdurer tant que le flux
et l’arche du pont demeurent. Le tourbillon, qui représente ici un ordre
organisationnel, naît donc d’un processus qui produit du désordre (la turbulence).
Le noyau principal de la complexité se trouve non seulement dans la liaison des
éléments séparés, mais aussi et essentiellement dans l’association de ce qui
semblait antagoniste. « Au premier abord, la complexité est un tissu (complexus : ce
qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle
pose le paradoxe de l’un et du multiple ; au second abord, la complexité est
effectivement
le
tissu
d’événements,
actions,
interactions,
rétroactions,
déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal » (id., 21).
La complexité propose encore E. Morin, « c’est l’union des processus de
simplification qui sont sélection, hiérarchisation, séparation, réduction, avec les
autres contre-processus qui sont l’articulation de ce qui est dissocié et distingué, et
c’est d’échapper à l’alternative entre la pensée réductrice qui ne voit que les
éléments et la pensée globaliste qui ne voit que le tout » (id., 135).
L’objet ne peut plus être conçu comme objet isolé, mais comme objet organisé dont
l’explication ne peut se réduire à la nature des éléments simples qui le constituent,
mais doit aussi être perçue dans sa nature organisationnelle ; « il s’agit désormais
de concevoir les objets comme des systèmes » (MORIN 1997, 100).
35
3.2.
La notion de système
On doit à Ludwig von Bertalanffy d’avoir élaboré au milieu du XXème siècle, une
théorie générale des systèmes (BERTALANFFY 1993), théorie liée à l’apparition de
concepts nouveaux dans les sciences et techniques et au dynamisme économique
et scientifique des États-Unis de cette époque.
Si les définitions de la notion de système sont nombreuses, elles mettent la plupart
du temps l’accent ou sur le caractère de totalité, de globalité, en le définissant
comme un ensemble d’éléments, ou sur le caractère relationnel, ou bien encore
lient ces deux caractères en proposant de le considérer comme un ensemble
d’unités en interrelations mutuelles.
E. Morin attribue à Ferdinand de Saussure le mérite d’avoir dès 1931 compris la
nécessité de lier ces deux caractères en définissant le système comme « une
totalité organisée, faite d’éléments solidaires ne pouvant être définis que les uns par
rapport aux autres en fonction de leur place dans cette totalité » (MORIN 1977,
102)14. La notion capitale apportée par Saussure est celle d’organisation, qui fait le
lien entre l’idée de totalité et celle d’interaction. « Dès lors, on peut concevoir le
système comme unité globale organisée d’interrelations entre éléments, actions, ou
individus » conclut E. Morin (ib.).
Revenons sur les concepts fondamentaux du système et qu’on peut déterminer
comme étant les suivants : interaction, globalité, organisation et complexité.
« Les interactions sont des actions réciproques modifiant le comportement ou la
nature des éléments, corps, objets, phénomènes, en présence ou en influence » (id.
51).
Dans la science « classique », la relation entre deux éléments est une relation de
14
Edgar Morin attribue cette citation à Ferdinand de Saussure dans son « Cours de Linguistique
Générale » (SAUSSURE 1995), mais nous ne l’avons pas retrouvée dans cet ouvrage.
36
cause à effet d’un élément sur un autre. Ici, elle implique une action réciproque d’un
élément sur un autre. Ces interrelations sont constitutives de la totalité. Sans
interrelation, les éléments forment seulement un agrégat. Pour qu’il y ait système, il
est nécessaire qu’il y ait interrelations entre les éléments et c’est l’agencement de
ces relations, c’est à dire l’organisation, qui produit un système, une unité complexe
qui ne peut se réduire à la somme des éléments (BERTALANFFY 1993, 30 ;
MORIN 1977, 104 et suiv.). « Le système est à la fois plus, moins, autre que la
somme des parties. Les parties elles même sont moins, éventuellement plus, de
toutes façons autres que ce qu’elles étaient ou seraient hors système. » (MORIN
1977, 115).
L’exemple donné par E. Morin, celui d’une tapisserie contemporaine, peut permettre
de mieux comprendre cette notion d’unité complexe (MORIN 1990, 113) : une
tapisserie est composée de diverses sortes de fils, eux-mêmes de couleurs variées.
Cependant, la somme des connaissances sur chaque sorte de fil n’est pas
suffisante pour saisir la réalité nouvelle qu’est le tissu, ni ses qualités propres, ni sa
forme. On peut donc dire que la tapisserie (le tout) est plus que la somme des fils
(ou des parties) qui la constituent. Mais dans le même temps, on peut dire que le
tout est moins que la somme des parties dans la mesure où le fait qu’il y a une
tapisserie entraîne que toutes les qualités de tel ou tel type de fil ne peuvent
s’exprimer totalement. Ce qui permet de dire que « le tout est à la fois plus et
moins » (et nous pourrions rajouter autre) « que la somme des parties » (ib.). Ce
principe ouvre sur un principe systémique clé : la relation entre formation et
transformation : « tout ce qui forme transforme » (MORIN 1977, 115).
La
décomposition
analytique
en
éléments
entraîne
nécessairement
la
décomposition du système. Ce sont donc les interrelations entre parties et tout qu’il
faut éclairer. Mais aucun de ces deux termes ne pouvant être réduit à l’autre,
chacun doit aussi être conçu isolément. Il est nécessaire de connaître les propriétés
37
des parties qui sont inhibées et donc invisibles au sein du système, non seulement
pour une connaissance correcte des parties mais aussi pour une meilleure
connaissance des contraintes et transformations produites par l’organisation du tout
(id., 125). E. Morin propose ainsi un circuit relationnel tout/parties que nous
reproduisons ici (ib.) :
« Les éléments doivent donc être définis à la fois dans et par leurs caractères
originaux, dans et avec les interrelations auxquelles ils participent, dans et avec la
perspective de l’organisation où ils s’agencent, dans et avec la perspective du tout
où ils s’intègrent. Inversement, l’organisation doit se définir par rapport aux
éléments, aux interrelations, au tout, et ainsi de suite. Le circuit est polyrelationnel »
(id.125-126). Le concept d’organisation est fondamental. Oublier cette « dialectique
de l’organisé et de l’organisant » (LE MOIGNE 1984, 19), et vouloir passer
directement du système aux interrelations ou des interrelations au système, signifie
que l’on vide le concept de système de son essence, puisque c’est l’organisation qui
transforme les éléments en système et qui produit et maintient ce système (MORIN
1977, 129-130 ; LE MOIGNE 1984, 17).
Le système présente donc les caractères d’une relative autonomie ; autonomie
parce qu’il s’auto-organise, mais relative parce qu’il doit nécessairement être conçu
dans
sa
relation
avec
l’environnement
(MORIN
1977,
126).
La
notion
d’environnement est difficile à définir. On peut dire qu’il correspond à l’ensemble
des éléments qui n’appartiennent pas au système mais dont l’état peut provoquer
une modification du système ou être modifié par le système. Il s’agit de percevoir
l’objet, ou le processus, comme une partie insérée et active dans un plus grand tout
dont l’intelligibilité est nécessaire à la connaissance de cet objet. Chaque système
38
possède un environnement particulier constitué par l’ensemble des systèmes avec
lequel il entretient des rapports, l’interface étant le lieu d’échange entre ces
systèmes (LE MOIGNE 1984, 54-243).
Un système fermé est en état d’équilibre : une pierre ou encore une chaise
n’échangent pas avec l’extérieur et sont totalement repliés sur eux-mêmes. Dans la
pensée cartésienne toute chose, vivante ou non, est considérée comme une entité
fermée.
Un système ouvert ne peut exister que parce qu’il entretient des rapports avec son
environnement. Ainsi par exemple la structure et l’existence de la flamme d’une
bougie dépendent de leurs échanges avec l’extérieur15, « l’intelligibilité du système
doit être trouvée, non seulement dans le système lui-même, mais aussi dans sa
relation avec l’environnement. […] la réalité est dès lors autant dans le lien que
dans la distinction entre le système ouvert et son environnement » (MORIN 1990,
31-32).
Dans l’approche analytique cartésienne, l’objet à connaître est considéré comme un
tout qu’il faut décomposer en parties, « en autant de parcelles qu’il se pourrait »
(DESCARTES 1992, 70) pour le rendre intelligible. A ce réductionnisme qui isole
l’objet de son environnement, l’approche systémique oppose un précepte de
globalisme qui considère l’objet à connaître dans et par sa relation avec son
environnement et comme partie d’un plus grand tout (LE MOIGNE 1984, 34-43). La
question que l’on pose face à l’objet à connaître ne devrait donc plus être « de quoi
c’est fait ? », mais plutôt « qu’est-ce que ça fait ? », entraînant le passage d’une
« modélisation analytico-organique à une modélisation systémo-fonctionnelle » (id.,
20). Ainsi plutôt que de chercher à appréhender les formes du paysage par
déconstruction analytique en éléments, périodes …, ne devrait-on pas chercher à
15
L’exemple est donné par E. Morin (MORIN 1990, 30).
39
comprendre leur dynamique et tenter donc de mettre en évidence leurs modes
d’action spécifique dans leur environnement ?
La notion de modélisation est fréquemment source de conflit, abhorrée par les uns,
adorée par les autres. L’utilisation parfois abusive des modèles — organicisme par
exemple, ou encore dogmatisme de certains ne reconnaissant comme seul valide
qu’un modèle unique — n’est sans doute pas étrangère au mouvement de rejet dont
ils sont l’objet. Cependant on peut se demander si là encore il ne s’agit pas d’un
malentendu créé par le flou de la notion elle-même ou du moins le manque de
définition de cette notion inhérente à la connaissance scientifique. Si « connaître
c’est modéliser » comme l’affirme Y. Le Moigne (id., 11), ne serait-il pas vain de
réfuter toute idée de modèle ?
3.3.
La notion de modèle
Les travaux menés par J. Piaget sur le développement de l’intelligence ont mis en
évidence que la connaissance par analogie, ou encore « du semblable par le
semblable » (MORIN 1986, 139) était fondamentale. Le raisonnement par analogie,
par comparaison à un modèle, est en effet le premier mode de pensée de l’enfant et
qui permet à l’intelligence de se développer. E. Morin distingue quatre sens
différents du terme analogie (ib.) : il peut s’agir d’une analogie de proportions et de
rapports, d’une analogie de formes qui permet d’établir des isomorphismes ou des
homéomorphismes, d’une analogie organisationnelle et fonctionnelle qui permet
d’établir des homologies, et enfin d’analogies libres comme peuvent l’être les
métaphores poétiques. « L’élaboration de la perception s’effectue par analogie
identificatrice des formes perçues à des modèles, patterns, schèmes, qui nous
permettent de reconnaître, chien, chat, lit, chaise » (id., 139-140).
40
Ainsi toute activité cognitive et toute pensée seraient nécessairement liées au mode
de connaissance par analogie. Mais poursuit E. Morin, l’analogie seule ne suffit pas
et l’organisation de la connaissance doit lui associer la logique, c’est-à-dire une
« discrimination alternative » (id., 140) qui permet d’exclure ou d’accepter l’analogie.
« Cette discrimination, qui organise et contrôle l’emploi des analogies, obéit aux
principes/règles qui organisent et contrôlent la connaissance » (ib.). L’exemple
donné par E. Morin est celui de la chauve-souris et de l’autruche : il peut exister une
incertitude quant à leur identification — la chauve-souris : oiseau ou souris,
l’autruche oiseau ou bipède terrestre. Cependant, en fonction des principes de
classification établis en zoologie, la chauve-souris sera classée dans les
mammifères et l’autruche dans les oiseaux (ib.).
L’analogie a besoin d’être vérifiée et testée et doit donc être associée, ou « entrer
en dialogique » pour reprendre l’expression de E. Morin (id., 141) avec les
procédures logiques et analytiques de la pensée rationnelle qui, soit la rejette, soit
la fait entrer dans le raisonnement.
La cybernétique, grâce au concept d’organisation et à la notion de processus de
rétroaction (ou feed-back), a réhabilité l’analogie en montrant que le raisonnement
analogique pouvait se détacher du concret immédiat, être contrôlé, et s’abstraire
pour conduire à l’homologie et à la construction de modèle (id., 142). « Le
raisonnement par analogie fait donc partie du chemin qui mène à la modélisation et
à la formalisation, mais à condition d’obéir à la dialogique de l’analogique, du
logique, et de l’empirique, c’est-à-dire au contrôle de la vérification déduction et de
la vérification empirique » (ib.). Et c’est par ces allers - retours entre abstrait et
concret que se crée la conception, c’est-à-dire « un nouveau mode d’organiser
l’expérience et d’envisager le possible » (ib.). Cette notion est un des principes
fondamentaux de la démarche systémique qui envisage la connaissance non plus
comme l’analyse de l’objet, mais comme sa conception et donc sa modélisation ;
41
« comment identifier l’objet ? devient : comment concevoir un modèle de l’objet ? »
(LE MOIGNE 1984, 73). Le passage de l’analyse à la conception, à la dialogique
analogique/logique, signifie une modification des finalités de la connaissance : à
l’explication seule on substitue la dialogique compréhension/explication (MORIN
1986, 143-152 ; LE MOIGNE 1984, 39-7316).
Si ces deux termes compréhension et explication peuvent sembler très proches E.
Morin nous montre qu’ils relèvent de deux types de connaissances17 (MORIN 1986,
143-152). Si nous reprenons le cheminement de cet auteur, « la compréhension est
la connaissance qui appréhende tout ce dont nous pouvons nous faire une
représentation concrète, ou que nous pouvons saisir de façon immédiate par
analogie » et c’est aussi « le mode fondamental de connaissance pour toute
situation humaine impliquant subjectivité et affectivité » (id.,144). Tout ce qui
procède par analogie et représentation est de nature compréhensive (id., 148).
« L’explication est un processus abstrait de démonstration logiquement effectuée à
partir de données objectives, en vertu de nécessités causales, matérielles ou
formelles et/ou en vertu d’une adéquation à des structures ou modèles. La
compréhension comprend en vertu de transferts projectifs/identificatifs. L’explication
explique en vertu de la pertinence logico - empirique de ses démonstrations » (id.,
149). Mais compréhension et explication sont totalement liés et complémentaires et
se renvoient l’une l’autre. Nous ne pouvons comprendre une représentation que
parce qu’elle a été organisée de façon cohérente par rapport à un dispositif préexplicatif. Une fois cette représentation constituée, le cerveau la soumet à des
phénomènes explicatifs qui l’étudient et l’analysent (id.,151). « De la perception à la
16
17
J.L. Le Moigne ne parle pas de dialogique, mais dans une réflexion très proche de celle de E. Morin
envisage le passage de l’explication cause/effet à l’interprétation (ou compréhension)
comportement/finalité.
L’étymologie de ces deux mots peut nous aider à mieux percevoir la différence entre explicere qui
signifie mettre en ordre (GAFFIOT, 1934, 631) et comprehendere qui signifie saisir ensemble (Ib.
365).
42
pensée consciente une dialogique cognitive associe diversement des processus
analogiques/mimétiques et des processus analytiques/logiques ; deux types
d’intelligibilité, l’une compréhensive et l’autre explicative sont à la fois contenues
l’une dans l’autre, opposées et complémentaires (yin-yang) »(id., 152).
Le raisonnement analogique, rejeté par la pensée rationaliste, semble retrouver
dans les sciences sociales une certaine réhabilitation inhérente à la recherche d’un
mode d’approche des phénomènes, d’un mode de connaissance non (ou moins)
réducteur, qui permette de comprendre et pas seulement d’expliquer, et qui
réintègre la dimension humaine (MAFFESOLI 1985; MORIN 1986).
Toute entreprise de compréhension s’appuie sur la construction de modèles, c’està-dire la tentative d’appréhender la complexité de l’objet par une transcription, une
construction intellectuelle qui ne retient que certains caractères essentiels et
déterminés comme tels par le chercheur. On peut dire que c’est de cette
préoccupation que relève la notion introduite par M. Weber d’idéal-type, abstraction
opératoire permettant de formuler des hypothèses sur la nature des objets réels :
« on obtient un idéal-type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de
vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et
discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre, et par
endroit pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis
unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. On ne trouvera nul
part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une
utopie. » (WEBER 1992, 172-173). Ainsi par exemple, le « français moyen » peut
être considéré comme un idéal-type. C’est une construction de l’esprit. Le « français
moyen » en tant que tel n’existe pas, il est irréel, mais c’est un outil conceptuel qui
permet de lui comparer et mesurer la réalité. C’est une idée très proche de M.
Weber que développe G. Simmel pour qui la connaissance des faits sociaux ou
43
historiques n’est possible qu’à partir du moment où le sociologue ou l’historien
organise le réel à l’aide de systèmes, de catégories ou de modèles (SIMMEL 1991).
Le but de cette démarche est de chercher à identifier et analyser des modèles qui
soient susceptibles d’illustrations nombreuses, et cette notion de sociologie
« formelle »18 préfigure la notion moderne de modèle.
Cette tentative de saisir la réalité complexe par la construction d’un modèle, de
« saisir le réel par l’irréel » (MAFFESOLI 1985, 23) est au cœur de la systémique,
également qualifiée de science de la modélisation par les systèmes (LE MOIGNE
1984, 6, note1).
L’émergence de la notion de complexité a entraîné, nous l’avons vu, la nécessité de
chercher des méthodes pour appréhender les phénomènes complexes et le concept
de système, compris comme « unité globale organisée d’interrelations entre
éléments, actions, ou individus » (MORIN 1977, 102) a été adopté par de nombreux
chercheurs pour décrire la complexité.
La théorie du Système Général est la théorie de la modélisation des objets à l’aide
d’un objet artificiel élaboré par la pensée humaine : le Système Général. On peut
décrire cette construction intellectuelle qu’est le Système Général comme « un objet
qui dans un environnement, doté de finalités, exerce une activité et voit sa structure
interne évoluer au fil du temps, sans qu’il perde pour autant son identité unique »
(LE MOIGNE 1984, 61). J. L. Le Moigne distingue trois pôles à partir desquels on
peut définir un objet : un pôle ontologique ou analytique qui correspond à ce que
l’objet est, un pôle fonctionnel qui correspond à ce que l’objet fait, et un pôle
historique (ou morphogénétique) qui correspond à ce que l’objet devient (id., 63-64).
La théorie du Système Général, ou de la modélisation, se construit par la
18
M.Maffesoli propose de parler plutôt de « formisme » pour éviter les confusions avec la notion de
formalisme, et bien marquer la différence entre la Forme entendue comme formante et la forme
44
conception fonctionnelle, ontologique et génétique d’un objet perçu en activité, se
structurant et évoluant dans un environnement (id., 66). Dans cette démarche,
connaître ce n’est plus analyser mais modéliser, c’est-à-dire concevoir puis dessiner
une image à la ressemblance de l’objet (id., 75). La notion de ressemblance nous
renvoie à la notion d’analogie dont nous avons parlé précédemment et à partir de
laquelle existe l’établissement potentiel de correspondances entre forme et fonction
et sur lesquelles le modélisateur fonde sa démarche . On peut définir ces analyses
formelles comme étant de nature isomorphique, c’est-à-dire qu’à tout élément du
modèle correspond un élément et un seul de l’objet et réciproquement, ou
homomorphique, c’est-à-dire qu’à tout élément du modèle correspond un élément
au moins de l’objet sans que la réciproque soit vraie (id., 77).
Pour illustrer ce propos nous reprendrons les exemples de ces natures différentes
de correspondances données par B. Lussato (LUSSATO 1977, 103) : un bateau et
sa maquette sont homomorphes, tandis qu’un organigramme hiérarchique et sa
matrice booléenne sont isomorphes.
Modéliser, c’est donc représenter un objet par un système. Mais comment établir
une correspondance entre un objet et un Système Général ? Comme nous pouvons
créer une représentation d’un objet appelé photographie à l’aide d’un appareil
particulier
qu’est
l’appareil
photographique,
nous
pouvons
créer
une
systémographie de l’objet à l’aide de l’appareil Système Général explique J. L. Le
Moigne (LE MOIGNE 1984, 78-79). La représentation construite devra être à la fois
isomorphe du Système Général et homomorphe de l’objet représenté, et on devra
donc pouvoir établir une correspondance entre « chacun des traits dont on le dote
et un trait perçu ou anticipé de l’objet considéré » (id., 80). De même qu’en
photographie, souligne J. L. Le Moigne en conservant son idée métaphorique, le
entendue comme formelle (MAFFESOLI, 1985, 19-20, 97-118).
45
photographe peut d’une part établir différentes photographies du même objet (angle
de vue ou éclairage différent) et d’autre part choisir différents objectifs (du grand
angle au téléobjectif) le modélisateur peut en fonction de son but d’une part
concevoir et construire des systémographies différentes du même objet, et d’autre
part choisir le niveau de modélisation. « En différenciant, dans la démarche
modélisatrice, la ressemblance entre une isomorphie exhaustive avec un objet
précis mais arbitraire et artificiel, et une homomorphie nécessairement partielle avec
l’objet à modéliser, nous avons rendu plus explicite le rôle discrétionnaire de
l’observateur : c’est lui qui sélectionne les traits qui, par homomorphisme,
dessineront le modèle » (id., 82). La modélisation pose ainsi comme principe la
pluralité et des modèles concevables d’un même phénomène et des méthodes de
modélisation. La modélisation systémique, cherchant à comprendre quelles sont les
fonctions et les transformations passe nécessairement par la notion de processus.
Ce dernier peut être défini par la modification d’un objet identifiable par sa
morphologie, dans un référentiel temps - espace - forme (id., 91). Quand on parle
de processus « on évoque toujours à la fois une dualité : objets processés - objets
processeurs, et une description des changements affectant dans le temps, dans
l’espace, ou dans leur forme, les objets processés » (id., 92).
On peut résumer les caractéristiques de la démarche systémique en quelques
points essentiels.
La systémique, ou science de la modélisation par les systèmes, est une méthode
qui vise à appréhender les phénomènes complexes. A la différence de la démarche
analytique qui, pour connaître l’objet, le décompose et le réduit, la démarche
systémique propose de percevoir plutôt l’objet à connaître comme une partie active
d’un plus grand tout, que l’on appelle environnement et dont l’intelligibilité est
nécessaire à la connaissance de l’objet. Il s’agit désormais de concevoir les objets
46
comme des systèmes, c’est-à-dire comme « une unité globale organisée,
d’interrelations entre éléments, actions ou individus (MORIN 1977, 102).
La théorie des systèmes est une théorie formelle : les systèmes n’existent pas dans
la nature, ce sont des constructions de la pensée. Le système est un modèle global,
heuristique, par lequel on va représenter un objet. La théorie de la méthode
systémique est donc la théorie de la modélisation par les systèmes, c’est-à-dire de
la conception de modèles homomorphes de l’objet à connaître et isomorphe du
Système Général, que l’on peut définir comme un objet qui, doté de finalité,
fonctionne, se structure, et évolue dans un environnement (LE MOIGNE 1984, 6162).
Quels sont les apports d’une telle démarche ? D’une part, l’insistance sur la liaison
entre les éléments et non plus sur les éléments eux-mêmes, et la prise en compte
de la globalité et des parties, et de la relation dialectique entre le tout et les parties,
d’autre part la prise de conscience de la nécessité d’une approche différente de la
méthode analytique, approche fondée sur un principe de distinction/conjonction qui
ne rejette pas l’analyse mais intègre le principe de simplification/disjonction du
processus analytique, ce dernier devenant principe relatif et non plus absolu. Enfin,
la démarche systémique propose une approche transdisciplinaire qui permet de
relier les différents champs scientifiques.
Après avoir, nous l’espérons, défini et éclairci les concepts de cette démarche, nous
pouvons maintenant envisager la proposition de G. Chouquer (CHOUQUER 1997a,
14-24, 1997b, 1) de mettre en œuvre pour l’étude de l’espace rural une méthode
fondée sur ce paradigme systémique, lui-même fondé sur le paradigme de
complexité. Cette proposition sera à la base de notre démarche comme nous le
verrons plus loin.
47
4. Le paysage comme système
Les débats méthodologiques qui animent les recherches menées sur le paysage19
semblent pouvoir être rapportés aux propositions de certains chercheurs
d’envisager le paysage comme un tout actif dans un environnement, et de mettre
l’accent sur la nécessité de prendre en compte ses relations avec un ou des
systèmes plus vastes situés ou dans un même temps, dans une relation
synchronique, ou dans des temps antérieurs ou postérieurs, dans une relation
diachronique, pour pouvoir le comprendre.
Les propositions de G. Chouquer (CHOUQUER 1997, 14-24) et P. Leveau
(LEVEAU 1997, 11-13) d’adopter une démarche systémique pour la connaissance
de l’espace rural semblent apporter une réponse aux questions qui se posent
actuellement, qui sont celles du temps long, de la diachronie, de l’apport des
données du milieu, et de la réintégration de la dimension humaine. Des
géographes, dont G. Bertrand (BERTRAND 1975, 34-113), comme le souligne
G. Chouquer (CHOUQUER 1997, 17-18) avaient déjà envisagé les bases d’une
méthode renouvelée pour appréhender le paysage fondée sur une démarche
systémique. « L’espace rural ne peut s’appréhender que globalement. C’est un
« ensemble » dans lequel les éléments naturels se combinent dialectiquement avec
les éléments humains. D’une part il forme une « structure » dont la partie apparente
est le « paysage rural » au sens banal du terme ; d’autre part il constitue un
« système » qui évolue sous l’action combinée des agents et des processus
physiques et humains » (BERTRAND 1975, 43). Cette conception de l’espace rural
comme phénomène complexe et non réductible à ses parties entraîne
19
Nous garderons pour l’instant un terme général.
48
nécessairement une approche différente : « il ne s’agit plus de décrire « un
paysage », mais de comprendre le fonctionnement systémique » (id., 58).
Le besoin d’établir « la définition d’un nouveau paradigme si on veut correctement
situer les outils et les savoirs » souligné par G. Chouquer (CHOUQUER 1997b, 1),
et la démarche systémique que propose ce chercheur entrent tout à fait en
conjonction avec les conceptions de G. Bertrand. Mais cette démarche est
novatrice. En effet, si des géographes, géologues, historiens, archéologues,
écologues20 ont mis l’espace rural au centre de leurs recherches, chaque groupe l’a
toujours fait en se penchant plus spécifiquement sur un aspect de cet espace. Cela
a entraîné un savoir morcelé entre les différents champs disciplinaires. Mais la
multiplicité de ces champs disciplinaires est intéressante dans le sens où elle
témoigne de la pluralité de l’espace rural, de ses multiples facettes, et des différents
points de vue possibles. Si l’on perçoit bien que toutes ces facettes sont des
constituants, actifs et indispensables, des parties d’un grand tout, dont la relation
dialectique, la complexité, doit être prise en compte, on ne met pas réellement en
œuvre de démarche permettant d’appréhender cette complexité . Mais essayer de
comprendre le paysage par décomposition n’est-ce pas le réduire et le dénaturer ?
C’est comme si, pour reprendre une image triviale, nous considérions que des
œufs, de la farine et du sucre constituaient un gâteau ; mais des œufs, de la farine
et du sucre mis côte à côte ne font pas un gâteau. Le gâteau n’existe que par le
mélange et la mise en interrelation des ingrédients. De plus, la suppression ou la
modification d’un ingrédient entraîne la modification de tout le gâteau.
Adopter une démarche systémique, c’est prendre conscience que ce qui est
fondamental dans la connaissance de l’espace rural, ce ne sont pas tant les
20
et nous pourrions ajouter sociologues, juristes, économistes…
49
éléments qui le composent que les interrelations entre ces éléments, interrelations
dont l’agencement constitue l’organisation du système.
Nous avons vu que l’élargissement des recherches semblait mettre en évidence
d’une part l’importance des linéaments antiques, protohistoriques ou romains, dans
la morphogénèse des paysages, et la pérennité de ces formes dans les formes
postérieures, pouvant s’exprimer dans des modelés, des « habillages » différents,
d’autre part l’importance du milieu et des interrelations entre l’homme et son milieu
dans l’évolution des paysages. L’émergence de ces approches diachroniques et
interdisciplinaires paraît témoigner d’une approche différente du paysage, fondée
sur la volonté d’appréhender la totalité du réel et sa complexité dynamique. A une
vision statique et partielle on substitue peu à peu une vision dynamique et articulée
du paysage et de son histoire.
La réflexion menée par G. Chouquer sur ces cheminements de pensée divers
l’amène à proposer d’appréhender de façon différente le paysage, en termes de
systèmes et processus, par une démarche différente donc elle aussi, systémique,
qui, au lieu de disjoindre l’étude en champs disciplinaires, les conjoignent
(CHOUQUER 1997a, 14-24).
Vouloir adopter une démarche systémique pour étudier le paysage pose cependant
un certain nombre de questions qu’il est nécessaire d’envisager.
La première, posée par G. Chouquer (CHOUQUER 1997b, 8), concerne l’objet
même de la recherche : le paysage. Le terme en lui-même semble poser problème.
Qualifié de « terme à la mode, fourre tout » (ib.), le paysage recouvre en effet des
notions et des réalités très différentes qui expliquent la méfiance exercée à son
endroit. Le paysage du peintre ne serait pas celui du géographe, de l’historien ou du
poète. Ne s’agit-il pas plutôt d’un regard différent porté sur le même objet ? Et
refuser cette diversité ne serait-ce pas déjà réduire le paysage ? « La différenciation
et le droit à la différence appartiennent aussi au monde réel et la variété des objets
50
à connaître nous devient incommensurable » souligne J. L. Le Moigne (LE MOIGNE
1984, 41). C’est précisément un des apports de la démarche systémique que de
mettre en évidence qu’on ne peut pas nier la diversité, mais qu’il appartient en
revanche au chercheur d’être explicite quant au point de vue adopté, quant à son
projet (id., 40-42).
La deuxième critique formulée à l’encontre du paysage est qu’il n’est pas un tout
mais seulement une partie apparente, la surface (BERTRAND 1975, 43;
CHOUQUER 1997b, 19). Cet argument nous semble difficilement recevable : ce
n’est pas parce que nous n’en percevons immédiatement que la surface que l’objet
n’est pas un tout : nous percevons l’homme par sa surface, sa forme, mais nous ne
voyons pas l’intérieur du corps, ni les pensées ; cependant il est bien un tout, que
nous saisissons comme tel quand nous le voyons. Nous le percevrons sans doute
différemment selon le point de vue qui nous intéresse, comme un ensemble de
lignes et modelés si nous sommes peintres, comme un organisme si nous sommes
médecins, ou encore comme être social si nous sommes sociologues, mais ce que
nous percevons en premier, et ce par quoi il nous sera perceptible, sera sa surface,
sa forme.
Le paysage est le produit de l’interaction de différents systèmes qui ne sont pas
nécessairement visibles. Quand on observe un paysage sur une photographie
aérienne actuelle, on voit des champs, des formes, des réseaux, des cultures, des
habitations…, mais on ne voit pas l’endettement des paysans, le vieillissement de la
population paysanne, le jeu de la concentration foncière. C’est cependant un tout,
même si nous n’en percevons qu’une image, que la surface, qui ne fait pas
apparaître tous les processus qui l’ont produit.
Un processus se définit à la fois par son activité et par son résultat ; il « inclut
l’activité d’un système (…) et son histoire, autrement dit les changements qui en ont
51
altéré la structure » (MILLER 1975, 109, dans LE MOIGNE 1984, 92-93)21.
Concevoir le paysage comme un processus, c’est donc le concevoir comme
phénomène en activité et comme résultat, et ce résultat ne s’exprime-t-il pas, entre
autres, par l’image qui nous en est donnée et donc par des formes ? En revanche,
cette image pose le problème des limites de la lecture des documents.
La troisième question, induite par le paragraphe précédent, est celle de la
pertinence de l’étude des formes, ou encore, comme le demande G. Chouquer, si
nous pouvons faire de l’étude des formes22 « la base d’une restitution et d’une
interprétation du paysage ancien » (CHOUQUER 1997b, 19). Le paysage, nous
l’avons dit plus haut, est le résultat de l’interaction d’éléments de natures diverses
qui, ou ne laissent pas d’empreintes visibles, ou ont pu en laisser, mais que les
changements postérieurs ont effacé ou modifié, ou sont difficilement attribuables à
un seul élément en raison de ces interactions.
Les recherches sur les cadastres antiques des années 1970-1980 se sont fondées
sur une lecture sémiologique des formes, qui extrayait du paysage une forme
susceptible d’être signifiante quant au système politique supposé l’avoir mise en
place. L’évolution de ces recherches et la réflexion critique engagée par certains
chercheurs ont entraîné une remise en question non pas de l’existence des
cadastres antiques eux-mêmes mais plutôt de la lecture unidirectionnelle et causale
des formes, et au formalisme extrême et coupé de la réalité vers lequel s’orientaient
des recherches morpho - historiques recherchant la projection au sol d’une
organisation politique. Mais si les études morphologiques comportent effectivement
ce risque de « dérive formaliste » (id., 19) ce n’est peut-être pas pour autant qu’il
21
22
Il serait sans doute préférable de remplacer « altéré » par « modifié » qui exprime un changement
qui ne soit pas nécessairement en bien ou en mal.
Comme le souligne J.L. Le Moigne (LE MOIGNE, 1984, 19), accoler les termes analyse et
systémique est quelque peu contradictoire dans la mesure où la démarche systémique relève d’un
mode de pensée différent de la démarche analytique. Il nous semble donc délicat de retenir le
terme d’analyse morpho - systémique employé par G.Chouquer (CHOUQUER, 1997b, 19).
52
faille les rejeter en bloc.
Il s’agit peut-être plus de faire preuve de prudence (FAVORY 1997) et plutôt que de
chercher « à extraire du paysage un niveau directement consommable par
l’historien » (CHOUQUER 1997b, 20), tenter de « prendre à bras le corps la
complexité du réel observable » (ib.). La complexité, nous l’avons vu, ne peut être
appréhendée par une méthode analytique, l’intelligibilité de l’objet ne pouvant être
perçue par sa seule décomposition. Envisager le paysage comme un objet ou
historique, ou social, ou écologique, ou géographique, ou encore archéologique
n’est plus possible puisqu’il est tout cela à la fois. Considérer le paysage comme un
système signifie donc un renversement de l’analyse : ne plus partir d’un champ
scientifique spécifique mais de l’objet à connaître lui-même et l’envisager comme
système dans son contexte et surtout dans et par son organisation, concept
fondamental puisque c’est l’organisation qui « lie, transforme les éléments en un
système, produit et maintient ce système » (MORIN 1977, 130).
Si l’on considère le paysage comme un système, il faut l’envisager comme unité
complexe organisée, et donc de façon paradoxale : si on le considère sous l’angle
du tout, il est un et homogène, mais si on le considère sous l’angle de ses
constituants, il est divers et hétérogène. C’est une unité individuelle, divisible, qu’il
est possible de décomposer en éléments séparés ; mais si l’on effectue cette
décomposition, alors cette unité n’existe plus, à l’image d’une mélodie qu’on peut
considérer par ses constituants, des sons mais si on la décompose en sons
séparés, alors cette mélodie n’existe plus (GUILLAUME 1937, 17-18).
Le système est à la fois plus, moins et autre que la somme de ses parties et les
relations des parties au tout sont donc essentielles pour notre propos et nécessitent
d’être rappelées :
- le tout est plus que la somme des parties : « le système possède en effet quelque
chose de plus que ses composants isolés ou juxtaposés, à savoir « son
53
organisation, l’unité globale elle-même (le tout) et les qualités et propriétés
nouvelles émergeant de l’organisation et de l’unité globale » (MORIN 1977, 106).
Ainsi, par exemple, la société n’est pas seulement la somme des individus qui la
composent mais forme une entité ayant des qualités spécifiques ;
- le tout est moins que la somme des parties : « des qualités, des propriétés
attachées aux parties considérées isolément disparaissent au sein du système »
(id., 112). Toute organisation exerce des contraintes sur ses constituants, puisqu’il
n’y a système que lorsque tous les éléments ne peuvent adopter toutes les
possibilités de leurs états ;
- le tout est autre que la somme des parties : « un système est un tout qui prend
forme en même temps que ses éléments se transforment » (id., 115). La création
d’une forme nouvelle, l’unité complexe organisée, transforme ses constituants en
parties de ce tout.
Concevoir le paysage comme un système, c’est donc le concevoir comme
organisation, comme forme, transformant et se transformant. Mais cela signifie
aussi qu’on ne peut chercher, d’une part, dans les constituants la forme globale, et,
d’autre part, dans la forme globale toutes les propriétés des constituants, non parce
qu’elle n’est pas un « tout », comme le suggère G. Chouquer (CHOUQUER 1997b,
19), mais parce que ce tout inhibe nécessairement certaines des possibilités
d’expression de ses constituants.
L’organisation forme un tout à partir de la transformation des éléments et ne peut
s’organiser qu’en incluant la relation ordre/désordre (MORIN 1977, 131-132). Cette
dialogique ordre/désordre a déjà été évoquée par les écologistes et les géographes
(BERTRAND 1975) : ainsi une unité écologique (ordre) peut être perturbée par la
mise en culture ou un changement de type de culture (désordre) qui entraînera, à
plus ou moins long terme, une nouvelle organisation écologique, qui pourra ellemême être source d’une modification des pratiques agricoles.
54
Ces concepts d’unité/multiple, ordre/désordre/organisation, renvoient directement
au concept de complexité et l’on voit ici qu’une étude seulement analytique se
révèle inappropriée à la connaissance d’un objet, contrairement à une approche
systémique qui met en avant la nature organisationnelle de l’objet à connaître.
Mais si l’étude d’un objet/système passe par l’identification de ses éléments en
sous-systèmes, n’aurait-on pas procédé seulement à un changement de termes,
l’intelligibilité de l’objet étant toujours finalement apportée par sa décomposition ? La
différence repose sur la façon de concevoir l’objet ou comme une entité close,
distincte, indépendante de son environnement, et composée d’éléments conçus
eux-mêmes comme des entités indépendantes, comme c’est le cas dans la
démarche analytique, ou comme un système, composé lui-même de soussystèmes, dépendant les uns des autres, et organisés dans et par le tout, et pas
seulement juxtaposés, comme c’est le cas dans la démarche systémique. Cette
démarche va consister à mettre en évidence ces interactions, à montrer que la
forme du paysage est le produit des interrelations et des interactions entre les
éléments, de l’organisation interne, et des contraintes de l’environnement23.
23
Avant de poursuivre et de détailler cette démarche appliquée à la connaissance de l’objet paysage, il
nous semble nécessaire de revenir sur la définition de deux termes : environnement et forme,
auxquels la systémique donne un sens particulier et qui se réfèrent à des concepts qui ne sont pas
toujours explicites dans leur utilisation courante.
Le terme d’environnement est fréquemment utilisé, par les archéologues mais aussi par les médias
et le « grand public », par rapport à la « nature », un milieu naturel. Dans la systémique,
l’environnement doit être compris dans le sens de contexte, et ne se réfère pas nécessairement au
« naturel ». Ainsi, d’un certain point de vue, un système social, comme une ville, peut constituer
l’environnement d’une unité écologique, comme un jardin public.
La notion de forme, dans la systémique, ne renvoie pas à la définition de l’objet, à sa configuration
à un «moule» déterminant l’identité de l’objet. Le sens de ce terme, tel qu’il est entendu par la
systémique, est issu de la gestalt-théorie, selon laquelle la perception d’un phénomène provient
d’abord de l’appréhension globale d’une forme (Gestalt) complexe. La Gestalt renvoie à l’objet avec
sa forme. Ainsi « il faudrait dire non pas qu’un objet perçu a une forme mais qu’il est une forme »
(GUILLAUME 1937, 217). Le tout constitue une forme propre, et est différent de la somme des
parties. Si la gestalt-théorie a mis en avant l’idée de totalité, elle n’a pas développé l’idée
d’organisation essentielle pour E. Morin dans le concept de système (MORIN 1977, 106) qui définit
la forme comme « le produit des catastrophes, des interrelations/interactions entre éléments, de
l’organisation interne, des conditions, pressions, contraintes de l’environnement. La forme cesse
d’être une idée d’essence pour devenir une idée d’existence et d’organisation » (id., 123).
On peut considérer le paysage comme une forme, produite par les interrelations, interactions, et
l’organisation d’éléments sociaux, économiques, topographiques, climatiques…, c’est-à-dire
d’éléments d’origine anthropique et « naturelle ».
55
Le système paysage est lui-même une imbrication de systèmes, dépendants les
uns des autres et organisés. Le paysage nous donne à voir cette organisation qui
est à la fois l’activité, l’histoire, et les résultats de l’activité du système. Le but d’une
démarche systémique est d’étudier le processus de changement, les modifications
du système. Pour le paysage, il s’agira donc d’essayer de comprendre ce
processus, d’apprécier les changements d’état du système dans le temps. Mais en
raison des nombreux paramètres, éléments et relations mises en œuvre, il est
impossible d’étudier le tout et sous tous les angles de vue possibles. Il faut donc
nécessairement faire des choix, décider de valoriser certains éléments et certaines
relations qui semblent les plus opératoires et les plus révélateurs de l’état du
système, en fonction des objectifs, de l’angle de vue que se fixe le chercheur.
Pour étudier le paysage, nous allons donc devoir déterminer ce que nous voulons
réellement analyser, les questions qui se posent, et donc quels éléments et quelles
relations nous allons privilégier.
5. Étude du paysage par une démarche systémique
5.1.
Postulats
La spécificité du paysage est d’être une projection au sol, la représentation visuelle
d’un assemblage de formes ressortissant d’un processus historique. Il est une
forme, une organisation de formes. L’étude morphologique peut se révéler
nécessaire, voire indispensable, puisqu’elle seule permet de mettre en évidence la
spécificité du paysage, ce par quoi son histoire se donne à voir, c’est-à-dire ses
formes. Refuser de prendre en compte la morphologie, ce serait comme vouloir
56
faire une histoire de la musique en se bouchant les oreilles pour ne pas l’entendre.
Comme le souligne J. Freund dans son introduction à l’ouvrage de G. Simmel, « la
forme est parmi les catégories historiques de l’humanité la plus importante et la plus
riche en conséquences. Elle transforme en fait historique ce qui est tellement
problématique, à savoir la transmission d’un acquis » (FREUND 1981, 36).
Le constat et l’interprétation des formes par des faits historiques ont conduit à un
formalisme excessif par l’interprétation à partir d’un seul schéma explicatif préétabli,
associant obligatoirement un type de pouvoir à une forme (par exemple
l’impérialisme romain et la centuriation). Ce formalisme a entraîné un rejet, ou du
moins une méfiance, envers toutes les études morphologiques. On ne peut
cependant nier que les formes soient signifiantes des sociétés et des milieux qui les
ont produites, parce qu’elles sont « piégeantes » (CHOUQUER 1990, 11), qu’elles
peuvent enregistrer le souvenir d’un fait naturel et /ou social, et présentent donc un
caractère de pérennité.
Engager une recherche sur les formes du paysage nécessite sans doute, pour
regagner une certaine confiance, de le faire avec plus de prudence et de distance
qu’on ne pouvait en avoir au début de ces recherches, en raison même de leur
jeunesse et donc de données apparues depuis et qui ont permis de les faire
évoluer.
Ces nouvelles données mettent en évidence l’intérêt de dépasser le modelé,
l’habillage du paysage, dont les études ont montré qu’il avait pu évoluer
différemment du tracé en plan (BERGER et JUNG 1996b, 100 ; FAVORY et al.
1993). La pérennité d’un tracé ne signifie pas la pérennité d’un modelé, et on ne
peut rapporter trop vite, selon un schéma préétabli, une forme à une époque, ou,
pour schématiser, le carré à l’époque romaine, le cercle à l’époque médiévale.
Enfin il semble important de ne pas oublier que les formes ne sont pas seulement
57
sociales, mais sont aussi déterminées par leur environnement quel qu’il soit
(naturel, politique…) et par leur nature formante ou génétique : une fois construite,
une forme « crée des formes dont le développement obéit à une logique spatiale et
une temporalité qui lui sont propres » (LEVEAU 1997, 11) et constitue la dynamique
du paysage. Il ne s’agit pas ici de vouloir faire de l’étude morpho - systémique la
voie royale de l’étude des paysages, mais de la considérer comme un des points de
vue à partir duquel on peut tenter d’étudier le paysage et d’en restituer l’importance
et l’intérêt après tant d’années d’ignorance ou de rejet.
Comme nous l’avons vu, il est impossible d’étudier le tout sous tous les angles de
vue possibles. Notre point de vue sera archéo - morphologique, c’est-à-dire celui de
l’étude des formes héritées des activités humaines, en interaction avec leur
environnement, et de la dynamique de ces formes organisantes et organisées par la
forme.
5.2.
Les différentes étapes de la démarche
5.2.1. Première étape : déterminer le but
Une étude systémique consiste à mettre en évidence un processus, à mettre en
place des moyens d’appréciation de la modification des états d’un système. La
première possibilité serait de décrire l’ensemble des formes le plus essentiellement
possible en un temps donné (que nous appellerons t1), et de comparer avec un
autre état en un temps différent (que nous appellerons t2). Il s’agirait alors de tenter
d’estimer les changements entre t1 et t2, en cherchant les éléments les expliquant.
A notre avis, ceci est une démarche impossible en raison de l’incapacité de pouvoir
58
déterminer deux temps différents et donc deux états différents : par exemple, si l’on
prend comme t1 l’époque gallo-romaine et comme t2 l’époque médiévale, on va
devoir supprimer les éléments susceptibles d’avoir une origine médiévale pour
apprécier le t1 de l’époque gallo-romaine. Mais du même coup, le raisonnement
sera totalement factice puisqu’on aura déjà prédéterminé les éléments explicatifs du
changement (par exemple les villages médiévaux) qu’on est censé chercher.
La seconde possibilité consiste à étudier les interactions des formes (anthropiques
ou non) entre elles, c’est-à-dire les actions et rétroactions qu’elles produisent les
unes sur les autres, et envisager donc leurs relations de partie à partie, et de parties
à tout. Cette démarche nous semble plus intéressante dans la mesure où, ne se
fondant pas sur un a priori reliant systématiquement une forme à une époque, elle
est susceptible de mettre en évidence les caractères à la fois créateurs et
conservateurs des formes dans le temps, et de nous permettre donc de mieux en
comprendre la dynamique, comment elles se forment et se transforment, et, audelà, la dynamique de la forme qu’est le paysage.
5.2.2. Deuxième étape : établir un modèle
Un système est une imbrication de systèmes, dépendants les uns des autres et
organisés. Dans un premier temps, il est donc nécessaire de définir les systèmes et
sous-systèmes en interaction, et donc d’effectuer une première modélisation des
éléments en interaction. Il peut paraître étrange de commencer par cette définition
des objets que l’on se propose justement de connaître. Mais c’est le propre de la
démarche systémique que de s’intéresser à un objet que l’on connaît déjà. La
question posée est cependant tout à fait différente puisqu’il ne s’agit pas seulement
59
de déterminer l’objet par décomposition en éléments, mais de comprendre le
processus, les changements, et de considérer que ces phénomènes sont
constitutifs de l’objet. On peut décomposer le paysage en différentes formes
(parcellaires, viaires, d’habitat, par exemple), étudier chaque forme en elle-même et
pour elle-même, et considérer que le paysage est la juxtaposition de ces formes.
Mais ce type d’analyse ne permet pas de le comprendre, c’est-à-dire de le saisir
comme totalité organisée d’interrelations. Il est possible d’illustrer ce propos par un
exemple dans un domaine qui nous tient plus particulièrement à cœur : en danse
classique un mouvement est considéré comme une succession de poses. Mais
cette succession, on pourrait dire cette juxtaposition, de poses entraîne justement
que le mouvement n’existe pas en tant que tel. La danse classique permet
d’expliquer le mouvement mais pas de le comprendre à la différence de la danse
contemporaine où le mouvement est considéré comme une totalité organisée
d’interrelations, et donc non réductible à une succession de poses. Et ce sont ces
relations qui sont importantes et non les positions.
Comme nous l’avons déjà souligné, une modélisation nécessite de faire des choix
en fonction de la question posée, ce qui implique qu’il n’y a pas un modèle mais de
nombreuses possibilités de modèles. « Modéliser, c’est décider » (LE MOIGNE
1984, 20), décider d’accentuer certains traits, de retenir comme plus significatives
certaines liaisons et d’en écarter d’autres, et la proposition d’un modèle est donc la
proposition d’une manière d’appréhender un phénomène mais en aucun cas la
manière de le faire. De plus, un modèle peut évoluer en fonction, par exemple, de
l’apparition de relations qu’on avait pu négliger au départ, ou de questions que l’on
doit peut-être poser différemment et pour lesquelles il n’est plus adapté. Le modèle
n’est pas un moule établi définitivement dans lequel on va chercher à faire entrer
l’objet à connaître, mais il doit au contraire être capable d’évoluer et de s’adapter à
60
cet objet.
Le premier modèle que nous proposons est celui des éléments en interaction dans
le paysage. Il est très, voire trop, général sans doute, mais peut cependant
permettre de situer notre objet, celui des formes du paysage, dans un système plus
vaste. Plutôt qu’un développement discursif qui ne permet pas toujours de mettre en
évidence les interrelations, nous avons opté pour un schéma qui représente le
système en faisant apparaître les interactions et interrelations des sous-systèmes
qui le composent : le sous-système des éléments abiotiques, eux-mêmes en
interrelation (terre/eau/air), le sous-système des éléments biotiques, eux aussi en
interrelations (végétaux/animaux), et enfin le sous-système de production composé
d’éléments
eux-mêmes
en
interactions
(système politique /
système socio-
économique / système technique / système agraire / système d’échanges /
système des formes d’occupation du sol).
61
C’est un modèle très général mais dans lequel semblent pouvoir s’inscrire les
différentes questions envisagées par les géographes, historiens, archéologues,
juristes, …, et qui va au-delà des études par champs disciplinaires24.
24
C’est sans doute la critique que l’on peut faire au schéma provisoire proposé par G.Chouquer
(CHOUQUER 1997b, 18) de rester dans une démarche par champs disciplinaires, ce qui entraîne un
mélange de niveaux : par exemple l’utilisation anthropique ne peut être à la fois sous-système du
système éco-complexe et système avec lequel ce dernier est interdépendant . Mais ce schéma,
comme le souligne ce chercheur, ne constitue qu’une étape de sa réflexion sur cette question de
62
La vérification de ce modèle en prenant la liste des différents thèmes relevés par
G. Chouquer (CHOUQUER 1997a, 6-7) qui sont abordés sous différents termes
mais se rapportent tous à l’histoire du paysage, semble montrer que ce modèle peut
être fonctionnel et qu’il peut englober de nombreux points de vue. Le point de vue
qui nous intéresse ici est celui des formes d’occupation du sol, et c’est sa
modélisation que nous allons envisager à partir d’une entrée particulière,
morphologique. La complexité ne se situera pas ici dans la mise en relation des
données morphologiques, archéologiques et pédologiques, les deux dernières étant
très lacunaires sur notre région d’étude. Elle sera envisagée ici par les relations des
formes entre elles, productrices et produits d’éléments / événements de l’histoire de
ce système. On s’intéressera donc à la complexité dynamique de ces interactions
qu’on ne peut réduire à un schéma d’évolution linéaire, mais qui conjuguera au
contraire les permanences et les mobilités, les actions et les rétroactions entre les
éléments et entre les différents niveaux des éléments.
5.2.3. Les éléments du système
5.2.3.1.
Les formes
Là encore, il s’agit de déterminer les éléments et les relations constitutifs du
système. Nous avons retenu trois éléments : les formes parcellaires, les formes
viaires et les formes de l’habitat ; nous postulons que ces trois formes sont
interdépendantes et qu’il est donc possible de les représenter par un modèle
systémique, chaque forme constituant l’environnement des deux autres.
l’étude systémique.
63
Les éléments retenus, formes parcellaires, viaires et d’habitat, sont eux-mêmes
constitués d’éléments en interaction. On peut ainsi définir le système parcellaire
comme une unité globale organisée de différents éléments en interaction que l’on
peut hiérarchiser : formes parcellaires, intermédiaires et globales (CHOUQUER
1987, 24-31) ; le système viaire, comme unité globale organisée d’éléments en
interaction que l’on peut également envisager en niveaux : les formes locales,
régionales et supra - régionales (VION 1989)25, et l’habitat comme unité globale
organisée de différents éléments en interaction : l’habitat dispersé, groupé.
Le schéma modélisant ces éléments en interaction pourrait donc être le suivant :
25
Nous aborderons en détail la méthodologie proposée par E.Vion pour analyser les réseaux viaires p.
67.
64
Cependant le système des formes n’est pas clos et les formes ne peuvent être
envisagées indépendamment de leur contexte. Il est donc nécessaire là aussi de
déterminer les systèmes avec lesquels les relations nous paraissent déterminantes.
Le relief et les types de sol : on sait que les formes ne se développent pas de la
même façon suivant le relief et les types de sol ; le relief peut ainsi entraîner des
types morphologiques particuliers, que ce soit au niveau du système parcellaire,
avec des parcellaires induits par les pentes par exemple (MENNESSIERJOUANNET et CHOUQUER 1996, 114), du réseau viaire : on ne peut circuler de la
même manière en plaine et en montagne, ou de l’habitat. Les types de sol peuvent
également entraîner des formes particulières par une nécessité de drainage et/ou
d’irrigation (BERGER et JUNG 1996, 102-105). Mais le type de sol n’est pas seul en
cause et l’hydrographie est en étroite relation avec lui. A l’inverse, les formes
peuvent avoir des conséquences sur les sols et le réseau hydrographique : érosion,
perturbation du réseau par exemple.
Le climat est en interaction avec le relief et le réseau hydrographique, et peut
également influencer les formes, par exemple par un réseau hydrographique
particulier, par des types de cultures ou des systèmes agraires différents.
Le contexte anthropique est lui aussi déterminant. Il est ici encore impossible de
prendre en compte toutes les relations envisageables. La proposition de P. Leveau
(LEVEAU 1997, 12) nous semble retenir l’essentiel et nous conserverons donc
globalement les systèmes, politique, technique, d’échanges et agraire, ainsi que les
relations qu’il a retenues comme déterminantes. Les formes peuvent être
influencées par les systèmes politiques (centuriation par exemple), les systèmes
techniques (techniques de labour…), les systèmes d’échanges qui peuvent être
65
locaux, régionaux, ou plus importants (importance de certaines foires sur le réseau
viaire et l’habitat), les systèmes agraires et les types de culture. Mais, à l’exception
du système politique, les formes influencent elles aussi ces différents systèmes qui
sont eux-mêmes en interaction.
La prise en compte de ces interactions est fondamentale et peut aider d’une part à
ne pas tomber dans un formalisme excessif, d’autre part à comprendre l’apparition
ou la non - apparition de certaines formes dans un contexte particulier, les
modifications et les adaptations entraînées par ce contexte, et éventuellement les
décalages entre une volonté de mettre en place un type de forme et sa réalisation
effective.
Le revers de cette démarche, nous l’avons vu, est qu’il est difficile d’extraire ces
éléments dans la mesure justement où ils sont en interrelation et interaction. Le
langage discursif permet difficilement de mettre ces relations en évidence et le
schéma est pour cela un instrument pratique de la modélisation. Nous retiendrons
comme modèle le schéma ci-dessous qui reprend tout ce qui vient d’être écrit, pour
servir de base à notre recherche.
66
67
Une fois le modèle établi, il s’agira d’une part de chercher à caractériser chaque
élément individuellement, puis d’autre part de tenter de mettre en évidence leur rôle.
Ce sera le problème central autour duquel notre travail s’articule, puisqu’il pose la
question des interactions entre les éléments et de l’évaluation des changements
d’état du système.
Dans un premier temps, nous nous attacherons à caractériser chaque type de
forme, parcellaire, viaire et d’habitat.
5.2.3.2.
Les formes viaires
Dans la recherche sur les formes du paysage, l’étude du réseau routier n’occupe la
plupart du temps qu’un chapitre restreint, se limitant souvent à un constat de
dépendance des formes parcellaires par rapport aux chemins, mais sans une réelle
interrogation sur leur façon de s’inscrire dans le paysage et leur histoire. Or le
réseau viaire étant un des niveaux essentiels dans l’organisation des formes de
l’occupation du sol, il nous semble important de chercher à mieux comprendre la
genèse de ces chemins et leur évolution. Jusque dans les années 1980, la
recherche sur les réseaux viaires s’est pour l’essentiel focalisée sur les voies
romaines (HUGUES 1897 ; CHEVALLIER 1972 ; CAESARODUNUM 1983).
Milliaires, toponymes, anciens itinéraires « antiques » et découvertes ponctuelles de
tronçons étaient autant d’indices qui permettaient d’établir un tracé.
Les travaux menés par E. Vion sur les voies commerciales en Suisse (VION 1989)
l’ont amené à poser le problème des limites de cette méthode. En effet, la
reconstitution d’un réseau à partir de la mise en évidence de segments était
68
nécessairement fondée sur des indices lacunaires, et cet assemblage de tronçons,
excluant généralement tout contexte spatial ou temporel, ne pouvait témoigner de la
complexité des relations que constitue un réseau. Dans une démarche très proche
des méthodes mises en œuvre pour l’étude du paysage, E. Vion propose une
méthodologie renouvelée pour l’analyse des réseaux routiers, partant de
l’hypothèse que « le réseau routier actuel est combiné de l’empilement de strates
successives et qu’il contient en lui-même les indices de sa propre histoire » (id., 69).
Cette hypothèse entraîne un renversement de l’analyse : il ne s’agit plus de
reconstituer un réseau ancien à partir de segments attestés, mais de commencer
par la cartographie du réseau, dans son ensemble et à l’instant donné de sa
configuration, pour tenter de reconnaître, par une analyse régressive, les tracés et
itinéraires. Conséquence de ce renversement, l’interprétation s’inscrit dans un
contexte spatial d’une part — l’étude systématique de chaque segment permettant
de l’inscrire dans un ensemble cohérent —, temporel d’autre part — l’étude
systématique de chaque segment permettant de déceler une chronologie, sinon
absolue, du moins relative -.
Dans un premier temps, l’analyse morphologique des tracés permet à E. Vion de
distinguer trois niveaux de communication différents : local, supra-local ou régional,
et de grand transit. Les sources écrites et cartographiques, apparemment assez
riches pour le canton de Vaud, ont permis à E. Vion d’étayer ses critères
d’interprétation, l’autorisant ainsi à proposer un type d’analyse historique qu’il était
possible de mener sur des cartes contemporaines.
Le but de la recherche étant de comprendre l’histoire routière, E. Vion souligne la
nécessité de poser le problème de la nature de cette histoire et de son moteur
(VION 1989, 70). S’il y a une histoire routière, il est nécessaire que le réseau
témoigne de changements. Cela signifie qu’il faut refuser tout déterminisme
69
géographique. Cependant, il est évident qu’il existe des passages « naturels » de
communication dictés par la topographie : évitement de pentes trop raides,
franchissement de cours d’eau… mais la communication y est seulement potentielle
et les tracés se déplacent d’un passage à l’autre. Pour E.Vion, « la concurrence des
villes est le moteur de l’histoire routière » (id., 73), le changement de statut,
d’importance des centres régionaux, qui sont le but des itinéraires, entraîne la
modification de ces itinéraires et leur déplacement. Ainsi, un réseau est constitué
d’itinéraires, eux-mêmes constitués d’un faisceau de tracés, aux statuts divers. Ce
point de vue peut paraître très proche des propos de R.Chevallier pour qui les voies
antiques étaient souvent constituées d’un faisceau de chemins, correspondant à
des usages différents, et non d’un tracé unique (CHEVALLIER 1972, 143) ;
cependant, cette notion de faisceau de tracés s’inscrit dans un contexte très
différent puisque E. Vion considère un réseau dans la longue durée, avec des
tracés différents pouvant être « actifs, léthargiques ou désuets » (VION 1989, 74).
Deux éléments essentiels peuvent ainsi être dégagés : d’une part une certaine
permanence du réseau viaire, avec des couloirs de circulation « naturels »
potentiels, et d’autre part une mobilité des itinéraires, la concurrence politique et
économique des pôles entraînant le déplacement de ces itinéraires au sein du
réseau. On ne peut donc parler de déterminisme géographique, mais plutôt de
relations entre histoire et géographie. Les couloirs « naturels » de circulation
forment un contexte dans lequel l’histoire routière va s’inscrire.
La méthodologie proposée par E. Vion s’appuie sur une étude tout à fait
comparable à celle mise en œuvre dans les analyses morphologiques des
parcellaires, prenant en compte l’ensemble du réseau routier et sa dynamique dans
le temps et l’espace.
70
Le tri graphique
Le premier travail qu’effectue E. Vion consiste donc en une analyse morphologique
des tracés. Pour ce chercheur, ces derniers témoignent de niveaux de
communication différents. Tout d’abord, les chemins qui rayonnent en étoile depuis
les habitats, servant à la desserte des champs, des bois, ou se dirigeant vers les
chemins des communes voisines, constituent ce qu’il appelle le réseau local. Les
tracés qui morphologiquement ne peuvent s’intégrer à ce rayonnement sont
répertoriés comme anomalies du réseau local. Ces anomalies, relevées sur une
seconde carte et reliées par des éléments du réseau local font apparaître un
deuxième niveau de communication : le réseau régional.
Une fois ces relevés effectués, l’étude des mentions historiques menée par E. Vion
sur le réseau local et régional de la région d’Echallens entre le XIXème et le XVème
siècle lui permet de montrer d’une part qu’il existe une réelle corrélation entre les
anomalies relevées et les mentions des grands itinéraires historiques trouvées dans
les archives, et d’autre part qu’un fort pourcentage de ces grands chemins ne sont
plus actifs, qu’ils soient délaissés ou désuets. Cette démarche permet à ce
chercheur de valider ainsi les hypothèses émises : tout d’abord celle d’un réseau
routier constitué « d’un empilement de strates historiques » (VION 1989, 79) et dont
la densité de tracés traduit les phases successives ; en deuxième lieu l’intérêt du tri
graphique dans l’analyse archéologique du réseau viaire qui, s’il ne dispense pas de
la recherche archivistique, apparaît tout de même comme un véritable révélateur
d’indices non négligeables ; enfin, la hiérarchisation du réseau a bien une forme
particulière, tout à fait discernable, et il est donc possible de travailler à partir des
cartes contemporaines. Mais si le tri graphique peut se révéler pertinent sur des
cartes à grandes échelles (au 1/25000ème ou au 1/50000ème ) pour étudier les
réseaux locaux et régionaux, il ne permet cependant d’envisager la structuration du
71
réseau viaire que dans un contexte spatial réduit, en raison de l’échelle. E. Vion
propose donc un second type d’analyses morphologiques fondées sur le tri
numérique pour tenter de mettre en évidence d’une part les itinéraires disparus, et
d’autre part la structure supra-régionale des réseaux (id., 82-84).
Le tri numérique
Ce travail s’effectue donc à partir de cartes plus générales, au 1/100000ème, échelle
nécessaire pour pouvoir apprécier des relations sur de plus grandes distances, et
consiste en trois étapes : une première sélection des carrefours à cinq branches et
plus, qui va permettre de faire émerger les réseaux locaux, une seconde sélection
des carrefours à huit branches et plus qui mettra en évidence les structures
régionales, et enfin une dernière sélection ne conservant que les carrefours à dix
branches et plus, permettant de faire apparaître une structure supra-régionale des
réseaux routiers liée aux grands transits (ib.).
Si l’idée de l’existence d’une structure de grands transits n’est pas neuve, ce que
montre en revanche E. Vion par cette méthode, c’est que ces liaisons sont
morphologiquement inscrites dans le réseau.
En complétant l’analyse morphologique par l’étude des mentions historiques, ce
chercheur met en évidence une densité des tracés qui témoigne non d’un flux de
circulation important mais de l’empilement des strates viaires, correspondant à
l’accumulation des tracés successifs des itinéraires. Une fois ces itinéraires
reconnus, on peut alors tenter d’en comprendre l’évolution par l’analyse
chronologique.
72
L’analyse chronologique
Il s’agit d’essayer de reconstituer, pour chaque itinéraire, « l’histoire interne des
tracés qui le composent » (id., 87). E. Vion montre qu’il est possible, grâce à une
lecture régressive, d’établir une chronologie qui pourra être relative ou absolue
selon les indices de datation.
Ces éléments de datation peuvent être apportés par les mentions historiques,
l’archéologie, la morphologie et l’habitat, ce dernier jouant souvent un rôle
déterminant dans le déplacement ou la fixation des tracés.
L’analyse du réseau viaire du Pays de Vaud menée par E. Vion lui permet de
proposer une histoire routière (id., 89-97), dont nous allons reprendre les points
essentiels.
La plupart des grands chemins montre un tracé originel à l’écart des villages. Au
Moyen-Âge, les villages vont développer des bretelles et peu à peu capturer ces
grands chemins. On peut penser que ces derniers sont antérieurs aux villages. Mais
rien n’indique qu’ils soient d’origine romaine et, comme le souligne l’auteur, « les
romains ne sont pas non plus arrivés, machette à la main, dans une forêt vierge »
(id., 89), et en Pays vaudois, il apparaît nettement que le dessin des grandes
circulations était en place avant la conquête romaine. Mais cela ne signifie pas que
le réseau soit resté statique. En fait, il semble que l’on puisse constater qu’à chaque
époque correspond non seulement une part de réutilisation des chemins antérieurs,
mais également une part importante de création routière. Si les Romains ont
continué à emprunter les routes préexistantes, ils ont aussi été à l’origine d’un
certain nombre de grands chemins, les réorganisations administratives entraînant
une réorganisation du réseau viaire. Au Moyen-Âge, la formation des villages a
amené la mise en place de réseaux locaux, et les réseaux régionaux ont, eux, été
73
modifiés par la concurrence des villes et la création de villes nouvelles.
Au XVIIIème siècle, le régime bernois met en place un nouveau réseau qui privilégie
Berne au détriment du cœur du Pays de Vaud. Avec la fin de ce régime au XIXème
siècle, le Pays de Vaud restructure son réseau viaire qui, tout en tenant compte des
liaisons préexistantes, va favoriser cette fois Lausanne, qui devient un carrefour
important, tandis que d’autres villes, mises en avant au XVIIIème siècle, sont laissées
à l’écart des routes de première classe. Le XXème siècle est marqué par deux
phénomènes majeurs : d’une part la reconstruction des chemins ruraux, et d’autre
part le développement des autoroutes pour la circulation de grand transit.
Par cette analyse, E. Vion montre d’une part que la morphologie du réseau viaire
constitue elle-même une source d’information historique, permettant l’identification
des itinéraires et leur analyse chronologique, et d’autre part que ce réseau ne
s’inscrit pas au hasard mais témoigne des enjeux politiques, des modes de
conception et d’appropriation de l’espace.
La méthodologie proposée par E. Vion, s’appuyant sur l’idée que le réseau a
nécessairement une forme et que cette forme est constituée d’éléments
morphologiques différents et tout à fait discernables, est novatrice dans sa volonté
de prendre en compte l’ensemble du réseau pour effectuer une analyse régressive
aboutissant à l’identification des tracés et présente une grande similitude avec la
méthodologie mise en œuvre pour les études morphologiques des parcellaires
(CHOUQUER 1996a et b).
En montrant que le réseau viaire est composé d’un « empilement de strates
historiques » (VION 1989, 89), E. Vion apporte une vision dynamique s’inscrivant
dans la longue durée.
Cette méthode présente sans doute elle aussi ses limites. En effet, l’analyse est très
dépendante des sources modernes et peut donc se révéler peu fiable pour les
74
hautes époques. Le travail sur des cartes contemporaines signifie que l’on ne prend
pas en compte des chemins qui ont pu disparaître, ou, si l’on travaille à l’échelle du
1/100 000ème, des voies qui ne se sont conservées qu’à l’état de chemin et
n’apparaissent donc pas sur la carte. La méthode est donc limitée par le document
de travail lui-même. Mais il faut accepter le fait que l’étude morphologique ne peut
apporter que peu de données pour l’analyse synchronique antique.
L’analyse du réseau viaire et celle du dessin parcellaire s’inscrivent dans un même
champ de recherche, celui de l’organisation des formes de l’occupation du sol. Il
paraît donc nécessaire de travailler sur un fond de carte commun, permettant la
compilation de l’ensemble des données vivantes et fossiles de la trame viaire et de
la trame parcellaire. La question posée est en effet celle de savoir si la constitution
du réseau routier peut être un élément d’appréciation quant à la genèse des
parcellaires.
Reprenant, pour l’essentiel, la méthodologie et la terminologie d’E. Vion, nous
chercherons à mettre en évidence les réseaux les plus prégnants qui se
développent autour des habitats actuels et que nous appellerons réseaux locaux,
puis à dégager les anomalies qui ne s’accordent pas avec ces réseaux. Nous
chercherons ensuite à savoir si le recueil de ces anomalies est structuré ou non, et
si se dégage un réseau régional, obéissant à une logique différente de celle des
réseaux locaux. Enfin, par la méthode de tri numérique, nous essaierons de voir
comment notre zone d’étude s’inscrit dans les relations de grands transits.
Dans un second temps, nous tenterons de procéder à l’interprétation et à la lecture
dynamique des réseaux viaires, et d’en comprendre leur évolution.
75
5.2.3.3.
Les systèmes parcellaires
La prise de conscience apparue ces dernières années de la nécessité d’étudier la
totalité des formes ressortit à la volonté de « prendre à bras le corps la complexité
du réel observable » (CHOUQUER 1997a, 20) et résulte de l’émergence de
données nouvelles quant à l’organisation de l’espace agraire antique.
Jusque dans les années 1990, les études françaises menées sur les formes du
paysage ont pour l’essentiel tenté de mettre en évidence les traces d’une
planification romaine, faisant de la centuriation le modèle unique de l’organisation
parcellaire antique. Les études parcellaires en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et
en Allemagne ne se sont pas focalisées sur la recherche de parcellaires pré et
protohistoriques (BRONGERS 1976 ; BOWEN et FOWLER 1978; BRADLEY et
RICHARD 1978; FLEMING 1986; RILEY 1980).
Les données récentes issues principalement des fouilles de sauvetage sur les
grands tracés linéaires ferroviaire ou autoroutiers ont contribué à élargir le champ
de vision des recherches françaises, montrant qu’il existait de grands systèmes
quadrillés imparfaitement géométriques que l’on pouvait rapporter à une époque
pré-romaine. L’exemple des Îles Britanniques montre dès l’Âge du bronze la mise
en place de systèmes hiérarchisés, de divisions agraires structurées par de longs
linéaments, fossés ou talus, pouvant dépasser plusieurs kilomètres et déterminant
de longues bandes parallèles, elles-mêmes divisées perpendiculairement pour
tracer les champs (FLEMING 1986; BRADLEY et RICHARD 1972). À Dartmoor par
exemple, ce type de système, appelé cohesive system par les Britanniques, a été
une organisation des formes structurée, hiérarchisée, à l’emprise spatiale étendue.
À côté de ces grands systèmes, les archéologues britanniques ont distingué des
76
aggregate systems, de plus petite extension, composés de champs contigus,
juxtaposés, mais sans hiérarchisation des formes par des limites principales, et qui
relèvent d’une simple reproduction et addition de forme (BRADLEY et RICHARD
1978).
En France, les études récentes ont renouvelé les problématiques en posant la
question de la structuration des formes agraires dès la Protohistoire, notamment à
l’Âge du Fer. La thermographie, l’analyse morphologique et les fouilles ont révélé
des systèmes relativement réguliers, montrant parfois une emprise spatiale
importante, en discordance avec les réseaux radiaux de chemins issus des habitats
médiévaux. Il semble ainsi qu’ « à une date qui reste à préciser et à moduler suivant
les régions mais très vraisemblablement dans le courant de l’Âge du Fer, la
campagne est déjà découpée en parcelles régulières » (BUCHSENSCHUTZ 1997,
16). Les exemples de ces grands systèmes quadrillés pouvant attester de cette
structuration dès l’époque gauloise commencent à se multiplier. Cela semble être le
cas dans l’Oscheret, où un parcellaire gaulois paraît se structurer sur une grande
voie, la voie Traversaine, qui lui sert d’axe principal et à partir duquel une armature
régulière de structures intermédiaires et déterminées, dessine une forme quadrillée
non rigoureusement géométrique mais régulière, fondée sur un module de 1000
pieds environ. Le parcellaire qui respecte l’orientation naturelle de la vallée a fixé les
grands traits constitutifs du paysage que les remembrements n’ont pas effacé
(CHOUQUER 1996a, 32-48).
A Melun-Sénart, Sandrine Robert a mis en évidence deux réseaux que l’on peut
rapporter à des systèmes parcellaires gaulois mis en place au début de l’Âge du
Fer. Cette étude souligne que les formes sont encore remarquablement conservées
sur le cadastre napoléonien qui montre la pérennité des orientations principales et
de certaines limites (ROBERT 1996a, 11-26).
Dans la région de Lezoux, un parcellaire quadrillé couvre la zone étudiée par C.
77
Mennessier-Jouannet et G. Chouquer ; ce parcellaire est structuré par de grands
axes rectilignes qui dessinent un quadrillage régulier mais dont l’orientation varie de
10° environ, indifférent aux types de sol rencontré s comme aux habitats médiévaux.
Des bandes longitudinales semblent être à la base de la structuration du parcellaire.
Il s’étend, semble-t-il, sur l’ensemble de la Limagne et répondrait à plusieurs
nécessités, principalement l’organisation du drainage et la délimitation des parcelles
(MENNESSIER-JOUANNET et CHOUQUER 1996, 111-125).
Les recherches menées à l’occasion du tracé de l’autoroute A 85, entre Angers et
Langeais (CARCAUD et al. 1997) et que nous citerons comme dernier exemple, ont
montré la présence de plusieurs réseaux qui organiseraient fortement le paysage.
Les conclusions qui se dégagent de l’étude mettent en évidence quelques points
majeurs : d’une part l’importance du milieu sur les formes, d’autre part l’ancienneté
des orientations du parcellaire, dès la protohistoire, mais aussi et enfin « la
permanence diachronique des orientations comme cadre structurant de l’espace, et
leur fonctionnement - synchrone ou alterné - sur la longue durée » (id., 188). Les
réseaux observés montrent sans doute une mise en place très précoce mais se
structurant sur la longue durée, chacun ressortissant à des époques multiples
depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne et leur juxtaposition et superposition
témoignent davantage « de jeu et de rejeu » (ib.) que d’une mise en place
chronologique, l’un ne venant pas se substituer à l’autre.
La question majeure posée par ces réseaux agraires quadrillés à la fin de la
protohistoire est moins celle de leur existence que celle des « conditions de leur
genèse et partant, de leur interprétation » (CHOUQUER 1996b, 203). On connaît en
effet peu de choses sur ces premiers parcellaires et les conditions de leur mise en
place demeurent énigmatiques (id. et BUCHSENSCHUTZ 1997, 18). Il faut sans
doute les rapprocher des acquis récents de l’archéologie d’une part quant à
l’évolution des techniques dans l’agriculture et l’élevage, et d’autre part quant aux
78
modifications de l’organisation sociale durant La Tène. La mise au point de
procédés permettant d’éviter l’épuisement des sols, par fumure et rotation des
cultures, la diversification des plantes cultivées, l’amélioration de l’outillage ont
permis un développement important de l’agriculture et une exploitation intensive des
sols permettant de dégager des surplus, et d’exporter des céréales et des salaisons
principalement vers la Méditerranée (FERDIERE 1988, 54; AUDOUZE et
BUCHSENSCHUTZ 1989, 203).
L’amélioration des techniques agricoles va autoriser l’exploitation pendant plusieurs
années du même champ et entraîner ainsi une fixation de l’habitat et du parcellaire
(BUCHSENSCHUTZ 1996, 175). Dans la vallée de l’Aisne, secteur particulièrement
bien étudié, Patrick Pion a pu constater l’émergence des fermes indigènes à la
Tène C2 (PION 1996). L’organisation sociale semble marquée par l’apparition de
systèmes sociaux centralisés (PION 1990). Si les conclusions apportées par Patrick
Pion à propos de la vallée de l’Aisne ne peuvent être directement extrapolées à
d’autres régions, elles montrent cependant l’émergence de territoires très structurés
pendant la période de la Tène moyenne et finale et dont « l’organisation est très
centralisée et hiérarchisée » (id., 250). Cette étude met en évidence quatre niveaux
d’intégration sociale et territoriale, depuis la communauté locale exploitant un terroir
jusqu’au niveau le plus haut qui peut être assimilé à un état qui semble contrôler
politiquement l’ensemble de son territoire (id., 233-251).
Il serait dangereux d’en conclure rapidement que ce type d’organisation était le
même sur l’ensemble de la Gaule et qu’il aurait permis d’imposer un mode de
division agraire sur l’ensemble d’un territoire.
Mais il montre cependant que la structuration sociale gauloise pouvait avoir atteint à
la Tène moyenne et finale un haut degré d’organisation et de centralisation, bien
différent de ce que l’imagerie traditionnelle véhiculait jusqu’à ces dernières années.
Si l’on peut envisager une mise en place précoce de ces réseaux, ce que semblent
79
confirmer les rapports de fouilles, la question de leur genèse reste cependant
posée. La plupart des études mettent l’accent sur une réification continue, depuis
l’époque gauloise jusqu’à la période médiévale, voire moderne, avec une certaine
fixité des lignes de force, par le maintien de limites fortes et une évolution de détail
du parcellaire (ROBERT 1996b, MENNESSIER-JOUANNET et CHOUQUER 1996,
CHOUQUER 1996a et 1996b, CARCAUD et al. 1997).
Excepté peut-être dans l’Oscheret (CHOUQUER 1996a), la matérialité de réseaux
cohérents à l’Âge du Fer ne semble pas, dans l’état actuel des recherches, vraiment
démontrée. Les datations données par les fouilles ne permettent pas de distinguer
véritablement l’apparition de ces réseaux, et les dates correspondant au IIème Âge
du Fer fréquemment proposées ne sont pas nécessairement représentatives du
moment de la création de ces formes, mais refléteraient davantage une étape dans
le processus de résélification26 (ROBERT 1996, 24-25, CHOUQUER 1996a, 39 ;
CARCAUD et al. 1997, 188-189).
En revanche, l’importance de cette étape serait majeure, l’époque laténienne
mettant en place les fondements de la trame parcellaire qui vont générer des
formes
durables
et
diachroniques
(MENNESSIER-JOUANNET
ET
BUCHSENSCHUTZ 1996, 177-178; ROBERT 1996a).
Mais on ne peut parler de planification, dans le sens où on l’entend habituellement,
c’est-à-dire comme une création volontaire et concertée, une projection au sol d’une
forme préétablie, mais plutôt de la mise en place d’une « structure de rigidité »
(CHOUQUER 1996b, 211) qui va fréquemment influencer la trame médiévale et
moderne.
Les conditions de cette réticulation dans la longue durée semblent reposer sur le
26
J’emprunte ce terme à G.Chouquer.
80
maintien de lignes de force. Deux éléments majeurs se dégagent des études
menées sur ces réseaux : d’une part les liens entretenus avec le milieu et d’autre
part, l’un n’excluant pas l’autre, leurs rapports avec le réseau viaire.
On peut constater que ces réseaux ne sont généralement pas en contradiction avec
les contraintes du milieu. Les exemples de Lezoux (MENNESSIER-JOUANNET et
CHOUQUER 1996), Melun-Sénart (ROBERT 1996a), de l’Oscheret (CHOUQUER
1996a), du Val d’Authion (CARCAUD et al. 1997), montrent le respect des
déterminismes naturels : pentes, écoulement des eaux, réseaux hydrographiques,
types de sol, et les réponses apportées par ces réseaux, drainage principalement.
La conquête des basses terres paraît être une des composantes majeures de
l’occupation du sol à partir de l’Âge du Fer. L’implantation humaine sur des sols
hydromorphes, à proximité des rivières, ou dans des zones marécageuses, pose la
question de la maîtrise de la gestion de l’eau.
Si le rôle des limitations romaines dans cette gestion commence à être mieux perçu
- le dossier particulièrement bien documenté sur le Tricastin montre les fonctions de
drainage, d’irrigation et de canalisation des eaux de pluie, tenues par les limitations,
ici la centuriation B d’Orange (BERGER et JUNG 1996) - les grands systèmes
quadrillés d’origine indigène paraissent, pour certains, montrer des fonctions
identiques qu’imposait l’occupation de basses terrasses.
A Lezoux (MENNESSIER-JOUANNET et CHOUQUER 1996), Melun (ROBERT
1996a), dans l’Oscheret (CHOUQUER 1996a), dans le Baugeois (CARCAUD et al.
1997) le rôle de drainage des réseaux semble établi, et la mise en place de ces
réseaux pourrait donc être liée à la mise en valeur de certains sols.
Le rôle du réseau viaire dans la structuration de ces réseaux a été souligné par
certaines études : dans l’Oscheret, la voie Traversaine, grande voie gauloise, a
sans doute été l’axe principal du découpage agraire (CHOUQUER 1996a, 38-39). À
81
Sagonne, dans le Cher, une armature de chemins antiques, adaptée à la vallée, a
probablement servi de cadre au développement progressif du parcellaire (DE
SOUZA, CHOUQUER et FOURTEAU-BARDAJI 1996). À Melun enfin, pour ne citer
que quelques exemples, S. Robert a mis en évidence l’importance des voies
comme éléments structurants du paysage, utilisées comme support du parcellaire et
qui auraient pu agir également comme limites du réseau quadrillé. Les rapports
entretenus par les voies et les réseaux semblent montrer que certaines ont entraîné
le développement de réseaux « linéaires » (ROBERT, 1996a, 11), d’une emprise
spatiale limitée de part et d’autre de la voie, mais pouvant s’étirer linéairement sur
plusieurs kilomètres.
Cet exemple pourrait indiquer qu’il existe différentes formes de réseaux : d’une part
les réseaux linéaires qui se développeraient à partir d’un axe majeur et le long de
cet axe, et dont l’emprise spatiale serait donc limitée latéralement à la proximité de
la voie - les réseaux dits vert, jaune et rouge mis en évidence à Melun par S. Robert
relèveraient de ce type de forme, de même que le parcellaire protohistorique et
gallo-romain s’appuyant sur la voie Traversaine dans l’Oscheret - et d’autre part des
réseaux « larges » qui développeraient un quadrillage selon les deux axes, dans les
deux dimensions, avec des surfaces d’extension variables, pouvant s’étendre sur
plusieurs communes comme à Lezoux ou Melun, pour les réseaux dits orange et
violet, ou de moindre extension comme à Sagonne.
Les exemples de réseaux d’origine protohistorique commencent à abonder dans la
Gaule Chevelue, semblant indiquer que les chercheurs abandonnent peu à peu
l’idée qu’on puisse trouver des centuriations dans cette partie de la Gaule, au profit
du modèle d’explication « indigène ». Si ces grands réseaux semblent être une des
composantes majeures de la structuration des formes du paysage à la période préromaine et romaine, la question des centuriations doit être envisagée sous un
nouvel éclairage.
82
Les centuriations
La présence de ces grands réseaux peut-être d’origine protohistorique a jusqu’à
maintenant été perçue essentiellement en Gaule Chevelue, ce qui pourrait laisser
sous-entendre qu’il y aurait eu dans l’Antiquité des réseaux centuriés en Gaule
Narbonnaise, et des réseaux indigènes en Gaule Chevelue. Mais la situation est
sans doute beaucoup moins tranchée et on peut raisonnablement penser que la
palette de situations juridiques, territoriales, techniques, a donné naissance à une
grande diversité de formes. À Nîmes, une orientation à environ NL 23° W, présente
dès l’Âge du Fer, n’est peut être pas une centuriation et l’hypothèse a été posée
qu’il puisse s’agir d’un système parcellaire pré-romain (FAVORY 1997, 100 ;
CHOUQUER 1996d (dir.), 183). À Rezé, en Loire Atlantique, de nombreux indices
paraissent indiquer une structuration par un réseau centurié (DESCHAMPS et
PASCAL 1996). Le modèle explicatif Gaule Chevelue versus Gaule Narbonnaise ne
peut suffire et, comme le propose G. Chouquer, la Gaule a pu connaître
simultanément des réseaux purement indigènes, d’époque pré-romaine et/ou
romaine, à l’image de l’Oscheret par exemple, et des réseaux centuriés générant
des parcellaires neufs (CHOUQUER 1996 b, 203) à l’intérieur desquels il est
également possible de trouver une métrologie indigène (ib. et FAVORY 1996, 199200).
À ces formes, il faudrait peut-être ajouter les grands domaines associés à des villae,
comme la proposition en avait été faite par exemple pour Tourmont et Molay dans le
Finage (CHOUQUER 1983, 118-120 ; 1993, 52-59) ; COMPATANGELO 1985, 2527 et 1995, 12-16), à Mauron en Bretagne (GAUTIER 1996), ou encore dans
l’Oscheret (CHOUQUER 1996b, 221 note 28) ou le Midi à Marsanne (CHOUQUER
1996c (dir.), 92), bien qu’il demeure de nombreuses questions par rapport à cette
83
réalité domaniale (COMPATANGELO 1995 ; CHOUQUER 1996b, 15). « la
romanisation du paysage est une réalité, mais sa généralisation se heurte à des
enquêtes de détails qui montrent l’hétérogénéité des campagnes à l’époque
romaine » souligne P. Leveau (LEVEAU 1997, 11). Mais qu’on puisse aborder la
question de la structuration du paysage autrement que par le seul type de la
centuriation, en envisageant l’ensemble des formes et la complexité de leurs
relations, sans permettre de résoudre aisément le problème de leur genèse, ouvre
néanmoins un « champ des possibles ».
La volonté d’appréhender l’ensemble des formes nous amènera dans un premier
temps à essayer de mettre en évidence les différentes structures parcellaires
rurales en mettant en œuvre deux procédures différentes : la recherche de grandes
formes d’une part et celle des unités morphologiques de l’autre.
Nous tenterons donc tout d’abord d’estimer l’existence sur notre zone d’étude des
grandes formes qui sous-tendent l’organisation générale par la mise en évidence de
cohérences, d’alignements remarquables de limites, quel qu’en soit le statut actuel.
Si une (ou plusieurs) grande forme apparaît, il faudra alors tenter de l’interpréter. S’il
s’agit d’une structure quadrillée, celle-ci sera étudiée en regard des données
nouvelles qui viennent d’être évoquées à propos de ces grandes formes.
L’interprétation de ce type de structure demeure un exercice délicat dans la mesure
où les réseaux quadrillés non centuriés peuvent présenter des variations angulaires
pouvant atteindre 20°. Il est parfois difficile de déterminer ce qui relève de cette
organisation et ce qui est différent, ressortissant à un autre type d’organisation. Il
paraît ainsi nécessaire de réexaminer l’hypothèse de l’existence de plusieurs
cadastrations romaines dans la zone d’étude (CHOUQUER et PATIN 1991 ;
MARCHAND 1992). Cela ne signifie pas qu’il faille rejeter systématiquement
l’interprétation comme centuriations des formes quadrillées, mais que celles-ci ne
doivent pas être envisagées selon un modèle unique de référence (CHOUQUER
84
1996; BUCHSENSCHUTZ 1996).
La seconde étape consistera à mettre en évidence les différentes unités
morphologiques. Il s’agira ici de relever dans le tissu parcellaire des formes
spatiales cohérentes, mais de dimensions plus modestes que les grandes formes.
Cette recherche n’est pas toujours aisée quand ces formes ne sont pas
individualisées par une enveloppe ou par une organisation bien distinctes.
Dans un premier temps, ces formes seront regroupées par catégories formelles,
selon leur modalité de structuration : en peigne, quadrillée, radiale, concentrique ou
autre. Quelques unités morphologiques seront ensuite étudiées spécifiquement en
tentant de mettre en évidence les différents processus ayant pu participer à la
genèse du dessin parcellaire. Il s’agira ici d’essayer d’apprécier la dynamique de
ces formes en terme de mobilité et de pérennité, et de proposer des hypothèses
quant à leur mode d’organisation.
5.2.3.4.
L’habitat
Il nous a paru plus intéressant de ne pas séparer l’étude de l’habitat de celle des
formes parcellaires en raison de leur interdépendance. Nous ne consacrerons donc
pas un chapitre particulier à l’analyse de l’habitat qui sera menée simultanément
avec celle des unités morphologiques. Son étude sera effectuée à partir des
cadastres napoléoniens qui nous permettront une analyse plus fine que celle
procurée par les clichés aériens. De même que les formes parcellaires de
l’organisation rurale peuvent être prégnantes, la morphologie des villages peut
85
révéler des traces d’organisation différentes pouvant être liées à des processus
divers. Si certaines questions commencent à être mieux perçues, comme par
exemple le rôle du château et/ou de l’église dans le groupement de l’habitat dans
certaines régions (BOURIN-DERRUAU 1978; FIXOT et ZADORA-RIO 1994 (dir.) ),
ou encore la planification dans les villeneuves (HIGOUNET 1975 et 1990; ABBÉ
1993; LAVIGNE 1993), de nombreux points d’ombre subsistent. Il n’est pas toujours
évident de distinguer ce qui peut relever de la création volontaire planifiée de ce qui
est fortuit, une forme peut en effet paraître régulière mais ne pas ressortir à une
planification intentionnelle. Les conditions historiques, topographiques, sociales…
peuvent être diverses, la genèse et l’évolution des formes ne sont sans doute pas
identiques partout, et comme le souligne J.L. Abbé « toute entreprise de
globalisation et de généralisation est souvent risquée » (ABBÉ 1996, 231). Si le rôle
de l’habitat semble être un élément décisif de l’organisation parcellaire, nous
essaierons de mieux comprendre son impact dans les processus de changement et
d’évolution du dessin parcellaire.
5.2.4. Les formes en interaction
Cette partie est fondamentale puisque nous chercherons à appréhender les actions
et rétroactions que les formes, anthropiques ou non, exercent les unes sur les
autres, pour tenter de comprendre les modifications d’états, les transformations du
système, par les interrelations, et donc son dynamisme.
Face à cette démarche, on pourra rétorquer qu’il ne s’agit là que d’un nouvel
habillage, et que, tout en cédant à la mode « systémique » ambiante, on ne change
réellement que peu de choses. Ce serait donc seulement une façon de « faire du
86
neuf avec du vieux ». D’une part, en effet, il s’agirait uniquement de remplacer la
notion de paysage comme source par celle de système, et d’autre part ce serait un
moyen pratique de justifier l’intérêt de l’analyse morphologique lorsque les autres
sources manquent.
Mais les implications d’une telle approche nous paraissent fondamentales et les
débats épistémologiques sur lesquels l’équipe de l’U.M.R. « Archéologie et
Territoires » de Tours tente de réfléchir, et qui ont nourri nos propres
questionnements, ne peuvent, semble-t-il, s’inscrire uniquement dans une illusion
de nouveauté.
Comme nous avons essayé de le montrer27, jusqu’à ces dernières années, les
présupposés historiques ont constitué le fondement des recherches sur le paysage.
On a tenté de retrouver dans les formes paysagères l’application de certaines
théories et l’illustration de faits historiques que l’on connaissait par d’autres sources,
conquête et puissance romaine et discours des gromatici veteres pour les
centuriations par exemple, ou encore pouvoir et autorité seigneuriale et rupture de
l’An Mil pour les terroirs circulaires.
On cherchait à interpréter les formes rencontrées en fonction de faits historiques
déjà connus par les textes. Dans ce type d’analyse, les formes du paysage étaient
traitées par la sélection afin qu’elles livrent des états successifs qui puissent ensuite
devenir chacun des documents d’histoire synchronique, au même titre que
l’archéologie et les textes28.
Mais chercher à faire correspondre les différentes sources pour interpréter les
formes en terme de faits historiques pose un certain nombre de questions quant à
leurs limites et à leur interprétation.
27
28
Supra, chapitre 1.
ce n’était pas totalement au même titre d’ailleurs, dans la mesure où on demande à l’analyse
morphologique d’être validée par ces autres sources, ou bien encore qu’elle n’est sollicitée que
lorsque ces autres sources ne peuvent être mises en œuvre, analyse par défaut en quelque sorte.
87
Les sources textuelles n’ont pas été écrites pour répondre aux questions que nous
nous posons et leur emploi peut s’avérer délicat dans la mesure où elles sont
détournées de leur propos original. Les risques de mésinterprétation sont donc
importants. On peut ainsi être amené à interpréter comme des réalités spatiales,
physiques, des éléments mentionnés dans des textes, mais qui peuvent en fait
renvoyer à des réalités différentes. Il semble ainsi que la villa, le manse,
correspondent sans doute plus à un découpage fiscal, administratif, qu’il serait vain
d’ examiner en terme de réalité domaniale (MAGNOU-NORTIER 1993).
À un niveau différent, les recherches menées sur le territoire de Delphes dans
l’Antiquité (THIEBAULT et RENAULT-MISKOSVKY 1997) montrent le risque de
vouloir tenter de passer des sources textuelles à une réalité paysagère : en effet
d’après les textes antiques, le laurier était utilisé sur le sanctuaire, et on aurait pu en
déduire que cette essence faisait partie de son environnement végétal. Cependant
des études paléobotaniques ont permis à Stéphanie Thiebault et Josette RenaultMiskosvky de montrer qu’il n’en était rien et que le laurier était absent de cet
environnement.
Une seconde réserve que l’on peut émettre à l’encontre des sources textuelles est
qu’elles sont lacunaires, et la présence ou l’absence de textes ne renvoie pas
nécessairement
à
une
réalité
effective
mais
témoigne
davantage
d’une
hétérogénéité de la documentation, dans le temps comme dans l’espace. Ainsi la
première mention d’un village dans un texte ne signifie pas qu’il apparaît à ce
moment là et qu’il n’existait pas auparavant.
Enfin, une dernière difficulté soulevée par l’utilisation de ce type de source provient
de ce qu’un texte est un document spécifique, souvent inséré dans une série
particulière – un cartulaire, un terrier, un registre administratif, un compte
domanial…– et que son interprétation réclame le savoir faire d’un historien
spécialisé. Le risque est donc grand qu’un chercheur obligé de travailler dans la
88
diachronie et donc rencontrant des textes antiques (rares), médiévaux et modernes
et qui ne peut en être un spécialiste ne se livre à une « pêche aux mentions » sans
le recul critique nécessaire. F. Favory, dans son article sur les centuriations, dans le
tome 3 des Formes du Paysage souligne ainsi l’abus de l’usage des textes
gromatiques (FAVORY 1997). On peut relever un tel exemple de surinterpétation
des textes dans l’ouvrage de G . Fourquin consacré à l’étude du domaine royal en
Gâtinais au XIVème siècle (FOURQUIN 1963). Ce chercheur reconstitue sur une
carte le trajet suivi par les envoyés royaux chargés d’établir la Prisée de 1332. Si les
textes mentionnent effectivement que le trajet aller s’est effectué entre Moret et
Lorrez par Flagy (id.,118-122-124), ils ne précisent en aucune manière le chemin du
retour. On sait seulement que les priseurs sont allés de Chéroy à Orouer-Le-Vougis
en deux jours mais sans plus de précision. On n’a aucun moyen de savoir s’ils sont
passés par Lorrez et Moret. Le trajet établi par G. Fourquin sur sa carte (id.,168169) est donc une extrapolation puisque le texte ne dit rien à ce propos.
Les sources archéologiques ont, elles aussi, leurs limites. Souvent liées au hasard,
puisque généralement issues de fouilles de sauvetage à l’occasion de grands
travaux, les sources archéologiques sont nécessairement lacunaires, en raison
d’une part de la limitation spatiale de la fouille en fonction de l’emprise des travaux,
de l’absence de fouilles dans certaines régions d’autre part, et enfin de l’intérêt ou
du
désintérêt
des
archéologues
pour
certaines
périodes
ou
certains
questionnements. Très souvent centrées sur le site, point sur la carte, les
problématiques des archéologues prennent rarement en compte la question du
paysage et l’intégration de ce site dans son environnement.
Vouloir intégrer les données archéologiques peut conduire à diverses dérives que
souligne Gérard CHOUQUER (CHOUQUER 1997, 23) et que nous reprenons ici :
celle tout d’abord de sur- ou sous-valoriser un fait archéologique. Ce chercheur
donne l’exemple des fossés parcellaires « dont la modestie en terme d’histoire est
89
généralement flagrante » (ib.) que l’on pourrait ou tenter de faire entrer à tout prix
dans un réseau pour leur donner du sens, ou au contraire exclure s’ils ne semblent
pas vouloir s’intégrer à une structure générale. À l’inverse, on peut d’autre part être
tenté de vouloir prouver un réseau, un texte, une forme, en sollicitant des faits
archéologiques « au-delà du vraisemblable » (ib.).
Les questions récurrentes qui bien souvent sous-tendent l’intérêt porté au
croisement des données sont celles de pouvoir inscrire les formes paysagères dans
un espace géographique déterminé et dans un temps historique connu, et donc
d’inscrire le paysage dans l’espace et dans l’histoire comme un construit planifié et
synchronique.
Les recherche menées dans ce sens depuis les années 1980 ont contribué à une
production relativement importante de données dans l’analyse des formes du
paysage. Mais dans le même temps, ces études soulignent la difficulté à écrire
l’histoire du paysage, en mettant en évidence certains éléments à partir du
croisement des sources.
Les travaux menés sur la longue durée font ainsi apparaître la difficulté à pouvoir
inscrire les formes paysagères dans la chronologie de l’histoire. Les données
récentes issues de fouilles mettent en évidence d’une part le caractère endogène
de certains grands réseaux ne ressortissant pas à une planification volontaire mais
« résultant d’une création plurimillénaire » (CARCAUD et al. 1997, 185) et qu’on ne
peut donc dater puisque relevant de périodes multiples (id., 185-189). Ces données
soulignent, d’autre part, le caractère morphogénétique de certains éléments qui
peuvent jouer, bien après leur période de création, un rôle déterminant dans la mise
en place d’un nouveau parcellaire et enfin le mélange et la dynamique des formes
anthropiques et/ou naturelles entre elles (TOUNSI et JUNG et al. ; LAVIGNE 1997 ;
GONZALEZ 1996).
Dans des articles de synthèse, Philippe Leveau (LEVEAU 1997) et François Favory
90
(FAVORY 1997) proposent respectivement une réflexion sur cette question majeure
des rapports entre la recherche sur les paysages et la recherche historique.
Soulignant le temps de latence qui peut exister entre la décision d’une opération et
« la réification du projet » (id., 104), F. Favory met en évidence que cette opération
d’arpentage et la construction du paysage relèvent de temporalités différentes.
L’article méthodologique de P. Leveau s’inscrit dans cette réflexion sur les
temporalités, montrant que dans l’histoire des paysages « le temps historique n’est
pas le seul en jeu » (LEVEAU 1997, 8) et que les formes paysagères ressortissent
aussi à une temporalité différente, celle des phénomènes naturels.
Cela ne signifie pas que les formes paysagères sont indépendantes de l’histoire,
mais ce que montrent toutes ces recherches, c’est qu’elles relèvent d’un mélange et
d’une dynamique de formes endogènes, exogènes, anthropiques et naturelles, et
donc qu’il n’y a ni causalité linéaire, ni histoire linéaire. Le paysage n’est pas
seulement un produit de l’histoire, mais résulte de l’interaction de phénomènes
complexes et de processus multiples.
La morphologie, pas plus que les textes ou l’archéologie, ne permet d’écrire
l’histoire du paysage en continu. Si tel devait être le but ultime de nos recherches,
alors sans doute ne nous resterait-il plus qu’à refermer le dossier en se disant que
l’on n’aura jamais les données nécessaires et qu’on ne peut donc avancer.
Mais peut-être faut-il envisager le problème sous un angle différent, tenter de
réfléchir à « d’autres perspectives, de nouveaux desseins » (GUILAINE 1991, 27).
La nécessité de poser autrement le problème « indépendamment de la recherche
historique proprement dite et parallèlement à elle » (LEVEAU 1997, 11) semble être
une des propositions fondamentales qui émerge du questionnement des chercheurs
91
(FAVORY 1997; LEVEAU 1997; CHOUQUER 1997; GALINIÉ 199829), c’est-à-dire
ne plus mettre le temps chronologique au centre des recherches, mais au contraire
l’espace, ne plus chercher dans le sol la projection de modèles historiques, le
témoignage des faits de l’histoire, mais « prendre à bras le corps la complexité du
réel observable » (CHOUQUER 1997, 20). Cependant les questionnements qui
apparaissent actuellement au sein d’équipes telles que celles de Tours, d’Aix…,
montrent la difficulté à penser autrement, à mettre en œuvre des problématiques
différentes, à renouveler les perspectives.
Mettre l’espace au centre des recherches témoigne d’un bouleversement de
problématique, puisqu’il devient à la fois source et objet d’étude et que l’on cherche
à en comprendre la dynamique. Dans cette perspective, il ne s’agit plus de
considérer le paysage « comme produit de l’histoire, mais comme produit de sa
propre histoire » pour reprendre l’expression de G. Chouquer30 et donc d’essayer
d’appréhender les processus, les systèmes qui l’ont généré. Cette proposition, nous
semble-t-il, va bien au-delà d’un nouvel habillage illusoire. Mais il reste certes à
élaborer de nouvelles problématiques.
Pour étudier le comportement d’un système, il est nécessaire d’observer les
interactions et interrelations des formes de l’occupation du sol entre elles et avec
leur environnement. C’est donc poser la question du processus d’organisation de
ces formes, c’est-à-dire comment, et pourquoi, les formes d’une part se forment et
se transforment, et d’autre part forment et transforment d’autres formes, en
interaction avec leur environnement.
Comme le souligne G. Chouquer, l’étude morphologique est fondée « sur l’idée
29
30
Communication de H. Galinié lors du séminaire de l’U.M.R. « Archéologie et territoires » du
04/05/1998 à Tours.
Intervention de G.Chouquer lors du séminaire de l’U.M.R. « Archéologie et territoires » du
04/05/1998 à Tours.
92
d’une certaine permanence des formes originelles dans les formes héritées »
(CHOUQUER 1997b, 20). Mais cette permanence ne signifie pas immobilisme des
formes. La dynamique des paysages repose en effet sur la rencontre de deux
processus inhérents à leur genèse et à leur évolution : un processus de
permanence et de continuité d’une part, de mobilité et d’innovation de l’autre. Tenter
de comprendre les processus du changement des formes conduit donc
nécessairement à essayer d’apprécier la part de mobilité et la part de permanence
des formes d’un paysage, de mettre en évidence les caractères endogènes ou
exogènes de ces formes.
Il faudra donc se poser la question de l’importance des trames anciennes dans les
formes postérieures, de l’existence d’éléments ayant pu être des morphogènes,
c’est-à-dire ayant pu produire ou influencer l’organisation des formes bien après leur
propre création et leur fonctionnement31, et enfin de l’importance du Moyen-Âge et
des époques postérieures dans l’évolution de ces formes. Si l’on sait que le MoyenÂge a été déterminant dans l’évolution de ces formes, il n’est pas en effet toujours
aisé de reconnaître la part endogène et la part exogène des formes médiévales,
même dans le cas de villages neufs de fondation attestée (LAVIGNE 1997, 157).
La question de l’importance du réseau routier dans la genèse des parcellaires, déjà
envisagée par B. Liger (LIGER 1974), doit être posée notamment par rapport à la
structuration des parcellaires de formation.
Une analyse mettant en relation les formes parcellaires, viaires et d’habitat et leur
environnement devrait nous permettre de mieux comprendre la genèse de ces
formes, leur insertion dans les formes préexistantes, leur influence et leur évolution.
Cette analyse ne sera pas menée seulement au niveau des formes globales et
intermédiaires mais également, lorsque cela sera possible, à celui de la trame du
31
Cette notion de morphogène a été dégagée par F.Favory (CHOUQUER 1989, 109).
93
détail du parcellaire qui peut témoigner d’évolutions différentes (CHOUQUER 1990,
31-32). Les données morphologiques seront confrontées avec les données issues
des textes, des cartes anciennes et de l’archéologie (fouilles ou prospections),
lorsque ce sera possible, c’est-à-dire quand ces sources existent et sont
disponibles, en essayant cependant de rester prudent quant à leur usage et d’être
conscient de leurs limites et des risques de surinterprétation qu’elles peuvent
présenter.
Le but de ce travail est de tenter de mieux comprendre la dynamique historique d’un
paysage, et de proposer des hypothèses sur l’organisation des formes, les
conditions de leur genèse et leur évolution. Si ces propositions peuvent permettre
d’apporter des éléments de compréhension et de comparaison des modes
d’appréhension et de conception de l’espace par les sociétés, elles demeurent par
nature hypothétiques et ne peuvent donc prétendre à être la base d’une synthèse
sur les formes du paysage, d’une modélisation des modes d’organisation, mais
seulement à apporter quelques données susceptibles d’enrichir, peut-être, la
réflexion sur la dynamique des formes des paysages et sur l’élaboration d’un projet
de recherche sur les paysages dans lequel les formes seraient convenablement
intégrées, dans le respect de leur spatialité et de leurs temporalités.
94
Chapitre II
LES FORMES DU PAYSAGE
Le principe de la recherche sur les formes du paysage est fondé sur l’idée que les
formes parcellaires relèvent d’un processus dynamique complexe conjuguant
mobilités et permanence. Cette idée de permanence ne signifie pas que rien
n’aurait changé depuis l’Antiquité, mais met l’accent sur le fait qu’une organisation
n’oblitère pas nécessairement la précédente, et que l’organisation spatiale repose
sur la mise en œuvre de deux processus conjoints, de pérennité d’une part, mais
aussi de changements d’autre part.
Les recherches récentes montrent qu’on peut percevoir les traces de la genèse
antique dans la structuration spatiale, et que cet héritage a sans doute été
déterminant, mettant en place les grandes lignes de l’organisation de l’espace
agraire, même si d’autres formes se sont ensuite développées.
La perception de ces processus de pérennité et de mobilité est très dépendante
d’une part de l’échelle à laquelle on travaille (FICHES et VAN DER LEEUW 1996,
508) – une petite échelle tendra à accentuer l’impression de pérennité tandis qu’une
grande celle de mobilité – et d’autre part des éléments pris en considération. Il y a
en effet une différence entre le tracé en plan d’une limite, qui peut présenter un
caractère de pérennité, et le modelé de cette limite qui peut quant à lui être évolutif
(BERGER et JUNG 1996). Ce point est capital car c’est sur ce tracé de la limite en
plan qu’est fondée la recherche sur le principe de pérennité de certains éléments
spatiaux, au-delà de la variation des modelés. Les évolutions méthodologiques de
ces dernières années affirment avec force la nécessité d’orienter les recherches
vers l’étude de la relation entre les formes et l’évaluation de leur degré de mobilité
et de pérennité, donc d’associer des méthodes qui permettent d’apprécier l’une et
95
l’autre. Ce principe s’appuie sur quelques concepts et notions assez bien connues
maintenant, que F. Favory et G. Chouquer ont pour beaucoup contribué à établir
(CHOUQUER 1989; 1996; 1997; FAVORY 1983; 1996 ; CHOUQUER et FAVORY
1991) et que nous rappellerons rapidement.
La conservation de l’orientation repose sur un principe d’isoclinie. Les formes
nouvelles sont susceptibles de reprendre par isoclinaison, l’orientation de formes
plus anciennes. Cette conservation de l’orientation peut s’appuyer sur des
morphogènes, c’est-à-dire sur des éléments qui continuent à influencer les formes
bien après leur création. Ces éléments morphogénétiques peuvent être d’origine
anthropique, comme un axe de limitation antique, un chemin…, ou naturelle comme
les éléments topographiques, géologiques ou hydrologiques.
Les permanences et les mobilités s’affirment par le jeu des asynchronies des
changements et des effets retards que peuvent avoir certains phénomènes. Cette
hysteresis morphologique, ou latence, renvoie à celle d’hysteresis écologique des
géographes, et porte sur « des phénomènes dont la cause est depuis longtemps
éteinte mais dont les effets continuent à se maintenir et parfois même à se
développer par simple effet d’inertie » (BERTRAND 1975, 104). Les « pesanteurs
écologiques » comme les appelle G.Bertrand (ib.) sont comparables aux pesanteurs
des structures paysagères dans lesquelles il faut distinguer par exemple la décision
d’implanter un cadre sur le sol et sa réification qui peut être beaucoup plus lente. F.
Favory a évoqué ce phénomène de temps de latence avec l’exemple des
centuriations, soulignant l’existence d’un décalage temporel potentiel entre
l’arpentage et la réification du projet dans l’espace à partir des lignes tracées par les
arpenteurs (FAVORY 1997, 104). Les changements reposent sur des ruptures, des
scansions (LEVEAU 1997, 8-9), des événements qui ont, à partir d’un certain seuil,
constitué des évolutions, inscrivant dans l’espace des formes organisatrices sur
lesquelles s’appuieront de nouvelles morphogénèses.
96
Toutes ces notions soulignent la complexité de la dynamique de formes dont
l’organisation ne relève pas d’une structuration élaborée par juxtaposition ou
superposition
par
paliers
chronologiques
historiques,
mais
résulte de
la
combinaison de formes, de temporalités et d’interactions multiples.
L’analyse des formes mise en œuvre s’appuiera sur ces différentes notions pour
tenter de mettre en évidence cette dynamique des transformations au niveau de
chaque type de forme dans un premier temps, et en essayant dans un second
temps de mieux comprendre les interactions que peuvent avoir ces formes entre
elles par une étude plus détaillée de l’articulation des différents niveaux
d’organisation des formes du paysage.
1. Présentation de la région
1.1.
Présentation géographique
La zone étudiée (fig.1) se situe en Ile-de-France, dans le département de la Seineet-Marne. Elle constitue l’extrémité sud-est de cette région, limitrophe avec celle de
Bourgogne d’une part, avec le département de l’Yonne, et avec celle du Centre
d’autre part à l’ouest, avec le département du Loiret.
Elle s’étend sur environ 18 kilomètres d’est en ouest, et 12 kilomètres du nord au
sud, limitée au nord par la forêt de Fontainebleau, au sud par la forêt de Nanteau et
le bois de Darvault, à l’est par le cours d’eau de l’Orvanne, et à l’ouest par la rivière
97
du Loing, et concerne 19 communes (fig.1 et 2) : Bourron-Marlotte, Darvault,
Dormelles, Ecuelles, Episy, Flagy, La Genevraye, Grez-sur-Loing, Montarlot,
Montcourt-Fromonville, Montigny-sur-Loing, Nemours, Nonville, Thoury-Ferottes,
Treuzy-Levelay, Villecerf, Villemaréchal, Villemer et Ville-Saint-Jacques.
Située à 46 kilomètres à l’ouest de Sens et à 60 kilomètres au sud-sud-est de Paris,
la ville de Nemours constitue la limite ouest du secteur étudié. C’est la ville la plus
importante des 19 communes concernées, mais elle demeure cependant modeste
avec seulement 3500 habitants en 1790 (LE MEE-ORSETTI ET LE MEE 1988, 586)
et 13000 actuellement.
La zone d’étude présente une surface topographique très aplanie, aux formes très
douces. Le relief peu accentué reste au-dessous des 130 mètres, à l’exception d’un
point légèrement plus élevé, à 146 mètres, à proximité de Villemaréchal. Le
pendage, globalement nord-ouest, est d’environ 5 pour 1000.
Trois cours d’eau traversent cette région : le Loing, le Lunain et l’Orvanne. Le Loing
décrit une grande courbe depuis Nemours au sud ouest jusqu’à Moret au nord, où il
se jette dans la Seine, un peu au-delà de la limite nord de notre zone d’étude. Cette
rivière a été doublée par le Canal du Loing au début du XVIIIème siècle, afin de
permettre la jonction de la Loire et de Seine, ce qui était difficile par la rivière ellemême en raison de son débit instable, de sa dénivellation insuffisante et de son
envasement (PINSSEAU 1963). Les berges de la rivière ont ainsi sans doute connu
des remaniements liés à l’édification de ce canal, et actuellement d’autres
transformations sont générées par l’exploitation des graviers et des sables.
Le Lunain et l’Orvanne, cours d’eau moins importants, traversent le secteur à peu
près en sud-est nord-ouest et se jettent dans le Loing, à Episy pour le premier et à
Moret pour le second.
98
Cette partie occidentale du Sénonais est un secteur encore très rural, qui n’a pas
été atteint par la dilatation de la grande banlieue parisienne. Elle est aussi appelée
Gâtinais oriental, le Gâtinais correspondant à une grande plaine entre la Seine et la
Loire, s’étendant approximativement d’Etampes au nord-ouest, à Sens à l’est et
Montargis au sud-ouest, et dont la dénomination se rapporte à des terres pauvres et
incultes.
Les cartes géologiques1 montrent une relative homogénéité d’ouest en est sur la
zone étudiée, où les terrains affleurants se rapportent à des formations tertiaires
issues des régimes marins et lacustres successifs, avec, globalement2, à l’ouest
calcaires de Champigny, marnes et poudingues de Nemours, et à l’est argiles,
sables et grés yprésiens. Ces formations tertiaires se sont déposées sur un
substratum constitué de craie sénonienne.
Les formations quaternaires sont épisodiques, cantonnées, pour la plupart, à
proximité des rivières3 et principalement sur la rive gauche du Loing, à Grez-surLoing, Bourron-Marlotte et Montigny-sur-Loing.
Les terrains tertiaires ainsi que les formations superficielles plus récentes sont semiperméables, sables et calcaires fissurés laissant circuler l’eau, et le ruissellement
est faible.
1
Cartes géologiques du B.R.G.M. ; pour l’ouest : carte Fontainebleau ; pour l’est : carte Montereau.
Ces formations seront davantage détaillées dans l’étude des villages.
3
A Varennes-sur-Seine, à proximité de la limite nord de notre zone d’étude, au nord de Ville-SaintJacques, les limons ont livré le site bien connu de Pincevent, montrant ainsi un remblaiement
récent du lit du fleuve.
2
99
1.2.
Cadre historique général
A l’époque gauloise, Sens, le chef-lieu du peuple Sénon porte le nom d’Agedincum.
Après la conquête, le Sénonais constitue tout d’abord une subdivision de la
Lyonnaise, avant d’en être détaché à la fin du IVème siècle pour former la Lyonnaise
IVème.. Agendincum prend alors le nom de capitale Civitas Senonum (HURE 1938,
236).
La cité de Sens comprenait cinq pagi : celui de Sens, de Melun, de Provins,
d’Etampes et du Gâtinais (QUANTIN 1958, 43). Mais on ne peut en établir les
limites avec certitude, et bien qu’au XVIIIème siècle les cinq archidiaconés du diocèse
de Sens portent les mêmes noms que ces cinq pagi , il faut sans aucun doute se
garder, en l’absence d’une documentation suffisante, de rapprocher hâtivement,
ainsi que le fait A. Hure (HURE 1931, 176), ces limites diocésaines de celles des
pagi.
L’importance de Sens repose sur son rôle primatial dans l’administration
ecclésiastique dès le Vème siècle. Les évêchés de Paris, Orléans, Auxerre, Chartres
et Troyes, auxquels s’ajouteront ceux de Meaux et de Nevers, sont en effet placés
sous la juridiction de l’archevêque de Sens.
Rattachés au début du XIème siècle au domaine royal par Robert Le Pieux, la ville de
Sens et le Sénonais occidental vont prendre une importance certaine aux XIèmeXIIIème siècles, en raison de leur situation frontalière, en limite des domaines
capétiens et champenois.
Face au Sénonais oriental tenu par le puissant Comte de Champagne, le Sénonais
occidental occupe une place privilégiée dans la politique royale. Les rois Louis VI,
puis Louis VII et enfin Philippe Auguste vont s’employer à raffermir leurs positions
par une politique frontalière visant à renforcer leur présence grâce à différents
100
moyens : associations avec des seigneurs laïcs ou religieux, tel l’archevêque de
Sens par exemple, par des paréages, développement et création de villages, et
enfin octroi de chartes de coutumes destinées à attirer ou fixer l’implantation des
hommes (PROU 1884 ; HUBERT 1955 ; PACAUT 1964 ; BUR 1977).
A ces motifs politiques, il faut ajouter des motifs économiques puisque d’une part
cette entreprise de développement et de peuplement signifiait également mise en
valeur des terres, mais aussi d’autre part, parce que cette région permettait de
contrôler des voies commerciales importantes, tant terrestres, avec l’axe ParisLyon, que fluviales, avec les liaisons Yonne-Seine ainsi que Loire-Seine par le
Loing4.
Le conflit avec les Champenois, qui cesse définitivement à la fin du XIIIème siècle, a
ainsi sans doute largement contribué au développement, à l’occupation et à la mise
en valeur du sol à l’époque médiévale dans cette région, définitivement rattachée au
domaine royal.
Mais à l’intérieur de ce cadre historique général, on ne possède que peu d’éléments
quant à l’occupation du sol dans cette partie de la Seine-et-Marne5, souffrant sans
doute de son éloignement de Paris, de sa situation frontalière et de l’intérêt porté
davantage sur d’autres secteurs proches, tels que Melun ou Pincevent, en raison de
gros travaux d’aménagement.
4
Avant d’être canalisée, cette rivière a été utilisée pour le commerce (FOURQUIN 1964, carte III hors
texte)
5
Qualifiée de « sinistrée » par des archéologues du S.R.A d’Ile-de-France.
101
Les rares données historiques et archéologiques ont été acquises, pour l’essentiel,
par des groupes amateurs de cette région et ne constituent que quelques points sur
la carte6.
Ces données puisque rares peuvent être rapidement mentionnées7 :
-
pour la période préhistorique : nous n’avons pas de données précises.
Cependant, certains agriculteurs rencontrés possèdent de belles collections
d’objets récupérés lors du travail des champs.
-
pour la période protohistorique : un site fouillé à Montarlot, au lieu-dit Les Petits
Vaux : 4 fonds de cabanes et foyers de l’Age du Fer, et deux sites révélés par
prospection aérienne : enclos quadrangulaire à Ville-Saint-Jacques au lieu-dit
les Blanchis et enclos circulaire à Episy à l’est du village.
-
pour la période gallo-romaine : une villa fouillée par J. Patin au sud-est de
Bourron-Marlotte au lieu-dit Le-Mont-Saint-Juillet, La-Fontaine-au-Lard, et des
indices de sites (céramiques, tegulae) repérés par prospections pédestres à
Montarlot, au lieu-dit Les-Caves, à Dormelles au lieu-dit Le-Bois-d’Echalas et
l’Orme des Plantes, à Ecuelles aux lieux-dits La-Fontaine-du-Dy et Le-Marais, à
Bourron-Marlotte au lieu-dit La Ferme-Saint-Léger et dans le bourg, à Darvault
enfin au lieu-dit Les-Mazes.
-
pour le Haut Moyen-Age : un habitat carolingien fouillé à Ecuelles au lieu-dit
Ravannes, des silos et trous de poteau dans le bourg d’Episy, des silos et fonds
de cabanes au nord de Nemours.
-
Pour le Bas Moyen-Age : une commanderie templière, la commanderie de
Beauvais, entre Grez et Nemours, sur la rive ouest du Loing, connue par des
6
7
Et dont la fiabilité n’est pas toujours assurée, à l’image de l’interprétation du site repéré par
prospection aérienne à Villemer comme un fanum gallo-romain, et inscrit comme tel sur la carte
archéologique qui ne peut être validée après l’examen d’autres clichés de missions différentes (fig.
90)
Ces données ont été acquises auprès du S.R.A. d’Ile-de-France, du Musée archéologique de
Nemours, et par consultation des revues locales telles que B.G.A.S.M, R.A.S.M., … Nous avons
102
mentions et dont l’emplacement a été repéré par prospection pédestre et clichés
aériens, et un prieuré Grandmontain à Villecerf, au lieu-dit Train, connu par des
mentions dans les textes, et dont on suppose qu’il se situe sous l’emplacement
de l’actuelle ferme de Train.
Si ces données très ponctuelles montrent que la région a connu effectivement une
occupation humaine, ce qui n’a rien de surprenant, elles n’apportent en revanche
que peu de renseignements quant à l’organisation et au mode d’occupation du sol.
Les recherches aux archives départementales n’ont apporté également que peu
d’éléments quant à cette organisation et à la mise en valeur des terres.
Ce constat aurait pu entraîner un blocage évident des recherches. La région étudiée
était relativement banale. Le choix d’un tel secteur avait été déterminé d’une part en
raison de la présence possible de centuriations, ce qui pouvait ouvrir des
perspectives nouvelles sur les formes du paysage dans cette partie de la Gaule
Chevelue, et d’autre part en raison du désir d’un érudit local que l’on fasse l’histoire
du paysage de cette petite région, pour laquelle il était prêt à me fournir une
documentation inédite.
Peu à peu est apparue avec force une évidence : l’histoire des formes, telle qu’on la
concevait habituellement, c’est-à-dire une histoire linéaire, chronologique et
événementielle, n’était pas faisable et la question devait être posée autrement, en
partant des formes elles-mêmes et donc de l’espace. Ce renversement de
problématique, mettant l’espace au centre du questionnement et donc plus
particulièrement ici celui des processus dynamiques agissant dans l’organisation et
exclu les découvertes fortuites isolées telles que « une fibule à tel endroit, une monnaie à tel
autre… »
103
la transformation des formes du paysage, a rendu nécessaire de réfléchir à d’autres
modalités d’appréciations spatio-temporelles que celles apportées par l’usage des
documents historiques et archéologiques datés.
En partant du point de vue que les formes avaient leur propre dynamique spatiotemporelle, il devenait insensé de figer cette dynamique des formes dans un cadre
historique chronologique prédéterminé et prédéterminant, alors que le propos était
justement de mettre en évidence cette dynamique morphologique spécifique.
La
documentation
historique,
textuelle,
archéologique,
n’était
certes
pas
inintéressante mais par rapport à la problématique envisagée elle n’apportait
véritablement que peu d’informations dont on puisse tirer profit quant à la
morphologie.
Ainsi, par exemple pour la planification antique éventuelle8 de notre secteur, il
n’existait pas de documentation, pas de texte, d’inscription, concernant réellement
la morphologie locale de cette planification. Ou encore, en ce qui concernait la
planification médiévale de Flagy9, mieux documentée, il était évident que le texte du
paréage indiquait seulement la mise en place d’une villeneuve, mais qu’il ne
décrivait en rien le lotissement effectué ni la façon dont on avait procédé.
La question qui se pose alors est celle de la place et de l’intérêt d’un tel chapitre
« introductif », répondant certes à un passage obligé en conformité avec l’exercice
d’une recherche s’inscrivant dans cette discipline qu’est l’Histoire, mais qui pose
problème en installant un contexte historique en préalable à cette étude
morphologique.
Il ne s’agit pas ici de nier l’importance que peut avoir cette documentation, mais
plutôt de réfléchir aux implications et à l’intérêt de fixer ce cadre à cet endroit et de
8
9
Cette planification sera envisagée dans le chapitre 4.1 consacré aux grandes formes.
Pour l’étude détaillée de ce village et de cette planification, voir chapitre 4.2.1.1.
104
cette manière. Nous retrouvons ici le questionnement de G. Bertrand face à cet
« impossible tableau géographique » (BERTRAND 1975, 37-53) qu’on lui demande
de tracer en introduction à un ouvrage d’histoire.
L’angle de vue de la dynamique morphologique adopté pour cette recherche
entraîne la nécessité de tenter d’appréhender de façon différente la question des
rapports entre la dynamique des formes et l’Histoire. Dans cette perspective, cette
dernière ne doit pas être considérée comme une donnée préalable. La dynamique
historique participe à la dynamique morphologique, mais elle n’en constitue pas le
seul déterminant. Cette volonté de se démarquer des analyses morpho-historiques
habituellement mises en œuvre ne doit cependant pas être interprétée comme une
approche des formes coupées de tout environnement, totalement indépendantes de
tout facteur historique, géographique, topographique,… Il s’agit en fait de proposer,
à l’instar des suggestions de G. Bertrand, un changement de paradigme qui
permette d’envisager les interactions, le jeu de ces différentes dynamiques. Dans
cette approche, l’histoire, plutôt que de constituer un chapitre à part, fixant
« objectivement » le cadre temporel et spatial de l’action, peut être envisagée en
fonction des questions et des problèmes rencontrés, et dans la perspective de la
complexité des relations entre les différents éléments, et aux différents niveaux de
l’étude.
C’est ce que nous avons tenté de faire dans cette étude des formes du paysage du
Sénonais occidental en essayant, lorsque cela était possible, de mettre en relation
la documentation, mais aussi en montrant les limites de cette documentation qui
n’est pas nécessairement intéressante dans le cadre de cette problématique.
La banalité de cette région, comparable en cela à bien d’autres, dont le choix n’a
pas été déterminé par rapport à un cadre historique estimé intéressant au préalable,
ni par rapport à une documentation textuelle, archéologique, riche, a plus été un
atout qu’un handicap, permettant de se libérer plus facilement des déterminismes,
105
des schémas explicatifs linéaires et de la survalorisation de l’histoire locale, dont
l’étude des formes paysagèrse à souvent du mal à se distancer.
2. Constitution du document de travail
Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, l’évolution des problématiques a
entraîné un renouvellement méthodologique.
Afin de pouvoir appréhender l’ensemble des formes, il est nécessaire de constituer
un document de travail spécifique, compilant toutes les informations disponibles et
permettant de travailler à un deuxième niveau : celui du parcellaire encore actif et
celui des formes fossiles.
Le choix du support a été fait par rapport à la surface étudiée. Si le travail à partir du
cadastre napoléonien est possible à l’échelle d’un petit nombre de communes, il
était inapproprié à celle de notre zone d’étude (une vingtaine de communes) pour
laquelle la photographie aérienne était donc préférable. Ce type de document offre
l’avantage de pouvoir travailler sur de vastes surfaces, et de pouvoir montrer des
traces fossiles, anthropiques ou non, qui viendront enrichir le relevé des tracés
encore existants. Mais il présente aussi des inconvénients ; d’une part la nécessité
d’utiliser des photographies qui présentent un état des formes avant les
remembrements entraîne l’usage de clichés de missions anciennes qui ne sont pas
toujours de bonne qualité et dont l’agrandissement ne fera que renforcer les
défauts ; d’autre part, les clichés, par effet de parallaxe, présentent des
déformations, sur les bords principalement, qu’il faudra essayer de corriger à
106
l’assemblage10.
Pour notre étude, la mission de 1949 a été retenue car c’était la plus ancienne qui
existait
sur
cette
zone,
et
parce qu’elle
était
antérieure
aux
premiers
remembrements connus.
Le travail a été effectué sur des agrandissements de 50 X 50 cm, à partir desquels
nous avons réalisé un fond de carte représentant les plus petites masses
parcellaires repérables. Quand cela était possible, nous avons éliminé les limites
résultant de la division d’une même parcelle. Enfin, nous avons procédé au report
des données archéologiques disponibles. Sur cette région, elles sont très peu
nombreuses : quelques clichés verticaux à basse altitude, mais peu de gisements
réellement connus, répertoriés, bien localisés ou fouillés.
Les relevés sur transparents ont ensuite été réduits puis assemblés en essayant
d’atténuer au mieux les effets de distorsion dus aux photographies elles-mêmes
d’une part, aux photocopies lors de l’assemblage d’autre part.
La carte ainsi réalisée permet d’obtenir une image de données brutes, sorte de
radiographie (fig. 2) à partir de laquelle il est possible de procéder à une analyse à
partir de tris morphologiques, pour d’une part rechercher s’il existe des grandes
formes pouvant sous-tendre l’organisation générale, et d’autre part mettre en
évidence les différentes unités morphologiques.
Si l’analyse des réseaux viaires proposée par É. Vion (VION 1989) repose sur les
cartes actuelles, il paraît cependant nécessaire de travailler sur un document
unique, celui établi par le relevé des formes à partir de la photographie aérienne
pour pouvoir d’une part mettre en évidence des alignements remarquables pouvant
témoigner de la présence d’anciens chemins et qui n’apparaissent plus sous cette
forme sur les cartes actuelles, et d’autre part analyser les relations entre les
10
L’article de S.Robert dans le tome 3 des « Formes du paysage » fait une synthèse des limites et de
l’intérêt des différents types de documents.
107
différentes formes, viaires, parcellaires et d’habitat.
3. Le réseau viaire
Reprenant pour l’essentiel la méthodologie et la terminologie d’Éric Vion (VION
1989), nous chercherons au cours de cette analyse à mettre en évidence les
réseaux les plus prégnants, qui se développent autour des villages actuels, et que
l’on nommera réseaux locaux, puis à dégager les anomalies du réseau viaire qui ne
s’accordent pas avec ces réseaux locaux.
Dans un deuxième temps, on cherchera à savoir si le recueil de ces anomalies est
structuré ou non, et si se dégage un réseau régional, obéissant à une logique
différente de celle des réseaux locaux.
Le travail a été effectué à partir des cartes I.G.N. les plus anciennes de cette région
qui permettent d’avoir une vision avant les remembrements. Si les routes
principales ont en effet peu changé, des chemins ont, eux, complètement disparu à
la suite de ces remembrements. Et la comparaison de ces cartes avec les plans
d’Intendance du XVIIIème siècle montre qu’il y a eu des modifications du réseau
viaire jusqu'au milieu du XXème siècle. De plus, l’échelle de ces cartes, au
1/20000ème, permet d’obtenir une densité maximale de chemins.
3.1.
Les réseaux locaux
Dans un premier temps, nous avons donc cherché à mettre en évidence les
réseaux locaux, déterminés par les chemins rayonnant depuis les centres d’habitat
vers les limites communales ou servant à desservir les champs, les bois, les
108
communes ou hameaux voisins, ou encore des lieux particuliers comme les
moulins.
Le schéma relevé de ces réseaux locaux montre une forte densité de tracés (fig. 3)
Souvent, plusieurs réseaux locaux s’entrecroisent sur le territoire d’une même
commune, lorsque des hameaux ou des sites particuliers coexistent avec le village
principal, chacun d’eux donnant naissance à un réseau plus ou moins complexe.
Sur la commune de Villemer, on peut ainsi noter trois réseaux locaux : l’un
rayonnant depuis le village, d’une grande amplitude, un second depuis le hameau
de Rebours, et enfin un troisième depuis le château du Coudray, ces deux derniers
montrant une moindre extension. Ces trois réseaux entretiennent une continuité les
uns par rapport aux autres alignant mutuellement leurs segments. En revanche, les
réseaux de Villemaréchal et du hameau de Boisroux s’entrecroisent avec une
indépendance certaine de l’un envers l’autre et présentent une extension de même
importance. Les réseaux de Montcourt et de Fromonville témoignent de leur
indépendance, puisque jusqu’en 1926 ces deux communes étaient distinctes. Le
réseau en peigne de Montcourt est recoupé par le réseau en étoile de Fromonville.
C’est le même phénomène que l’on retrouve à Treuzy-Levelay, réunis en 1903, où
chaque ancienne commune possède son propre réseau.
Le tracé des réseaux locaux met également en évidence des carrefours
remarquables mais où nul habitat ne se trouve. Il peut s’agir d’un habitat disparu
comme à Cugny, sur la commune de La Genevraye, où l’on sait ainsi qu’il existait
un hameau aujourd’hui disparu11. Mais certains carrefours, comme celui de la Croix
Blanche, sont difficilement interprétables : on ne trouve pas de mention d’habitat à
cet endroit ; la position de ce carrefour en limite de trois communes (Villemaréchal,
Paley, Lorrez) peut amener l’hypothèse d’un point remarquable de bornage des
11
AN p.131, fol.160 v° dans STEIN et HUBERT 1954,176, et carte de Cassini.
109
territoires communaux.
Le problème est encore différent à Flagy, par exemple, où le franchissement de la
rivière d’une part et le contournement obligé de la colline d’autre part, donnent au
réseau local un aspect un peu particulier au nord-ouest du village avec des
segments qui ne partent pas directement du village mais sont issus d’un axe unique
qui se ramifie ensuite. On trouve une organisation similaire, axe unique se ramifiant
plus loin du village, au sud-ouest, alors qu’aucune contrainte topographique ne
semble la justifier. Nous essaierons plus loin d’en comprendre l’origine.
Tous les villages ne présentent pas un réseau en étoile. A Nanteau, Ferottes, et de
façon remarquable à Montigny et Montcourt, le faisceau de chemins présente un
aspect en peigne, s’étirant à peu près perpendiculairement à l’axe du village. Dans
chacun de ces cas, il s’agit d’un village rue. Par contre, la plupart des villages de
forme ramassée semble donner naissance à un réseau étoilé de chemins. Nous
reviendrons sur cette question dans l’étude plus fine des rapports entre systèmes
parcellaires et viaires.
A côté de ces réseaux locaux, nous voyons apparaître des tracés qui
morphologiquement ne peuvent s’y intégrer (fig. 4). Ces anomalies sont
relativement nombreuses et leurs traces discontinues se mélangent à celles des
réseaux locaux. Elles constituent les marques d’un réseau différent. En reliant ces
anomalies par des tracés issus du réseau local, un autre réseau apparaît (fig. 5).
3.2.
Le réseau régional
En examinant la figure 5, une première constatation s’impose : de nombreux tracés
semblent être attirés par les pôles que constituent Montereau-Faut-Yonne, Moret
sur Loing, Nemours et Lorrez-Le-Bocage, et mettre ces pôles en relation, passant à
110
l’écart des villages, ce qui confirmerait la présence d’un niveau supra local ou
régional de communication.
L’analyse morphologique complétée par l’étude des mentions portées sur les plans
d’Intendance et qualifiant ces chemins a permis de dégager les axes de
communication suivants :
3.2.1. La liaison Nemours – Montereau-Faut-Yonne (fig. 5, n°1,2,3).
Plusieurs itinéraires permettant de relier Nemours à Montereau semblent se
dégager.
Le premier (noté 1, fig. 5) part de Nemours, puis passe au Landy où il franchit le
Lunain au gué de la Coutière, au Coudray, à Rebours, Villecerf, au nord-est de
Ville-Saint-Jacques et gagne ensuite Montereau. Il prend les appellations
successives de « chemin de Nemours à Cherelle »12 (ferme), « du Coudray à
Rebours »13, « de Rebours à Villecerf »14, et à partir du territoire de la commune de
Ville-Saint-Jacques, « chemin de Nemours à Montereau »15.
Le deuxième itinéraire (noté 2 sur la fig. 5) part de Nemours, se dirige vers Basse
Pleignes, puis vers le Moulin de la Coutière, franchit le Lunain au « droit d’eau » au
sud de l’actuelle ferme de Chauville, traverse Le Coudray où il rejoint l’itinéraire 1
vers Montereau. Entre Nemours et le Coudray, il est appelé « chemin de Basse
Plaine à Nemours », puis « chemin de La Coutière »16. La suite du tracé est plus
incertaine : il peut rejoindre l’itinéraire n°1 au Coudray, et continuer vers Rebours.
Mais un plan cadastral ancien17 montre au nord-est de Villemer, entre les
12
A.D.S.M., P.I., Montcourt-Fromonville, 1786 (fig. 28).
A.D.S.M., P.I., C 39, Villemer, 1782 (fig. 41).
14
A.D.S.M., P.I., C 39, Villecerf (fig. 39).
15
A.D.S.M., P.I., Ville-Saint-Jacques, 1783 (fig. 42).
16
A.D.S.M., P.I., Montcourt-Fromonville, 1786 (fig. 28).
17
A.D.S.M., 4 P 34 / 488. Ce plan de Villemer n’est pas daté.
13
111
Batardeaux et le Croix Rompue (à mi-chemin environ de Villemer et de Rebours),
une portion de chemin appelée « chemin de Nemours à Montereau », mais qui
s’arrête à l’ouest de la D148 et qui pourrait correspondre à l’ancien tracé du chemin
n°1. A l’est, son tracé se prolonge vers Villecerf.
Le troisième itinéraire (noté 3 sur la fig. 5) part de Nemours, puis passe à Darvault,
au nord de Nonville, au sud de Villemer, au hameau du Pimard, à Dormelles, puis il
longe la limite communale entre Ville-Saint-Jacques et Noisy, et se dirige ensuite
vers Montereau. Au départ de Nemours, il prend l’appellation de « grand chemin de
Montereau »18, puis « chemin de Nemours au Landy »19, « de Treuzy à Villemer »,
« de Nemours à Dormelles », sur la commune de Villemer13, et enfin « chemin des
chariots ou de Dormelles à Montereau » à Ville-Saint-Jacques15.
Avec la méthode d’Éric Vion consistant à aligner les anomalies, le tracé de la route
actuelle n’apparaît pas, n’empruntant que des axes des réseaux locaux qui la font
passer par Darvault, Villemer, mais cette fois en coupant par le village, Villecerf,
Ville-Saint-Jacques, où là aussi elle traverse le village, et Montereau.
Comme l’a montré Éric Vion dans son analyse des réseaux routiers vaudois, les
tracés des itinéraires sont souvent multiples et composés de strates successives.
Mais si la reconnaissance morphologique de ces réseaux est relativement simple,
leur lecture dynamique se révèle plus délicate. Nous pouvons cependant proposer
l’hypothèse suivante : le tracé actuel, nous l’avons vu, traverse un maximum de
villages, sans souci de la ligne la plus directe. En revanche les itinéraires 1, 2, et 3,
mentionnés dans les plans d’Intendance comme des liaisons entre Nemours et
Montereau, passent à l’écart des agglomérations, avec une exception : Villecerf,
pour les tracés 1 et 2, Dormelles pour le tracé 3 (fig. 6, schéma 1). Le village de
Villemer, situé entre les deux itinéraires, a développé des bretelles de raccordement
18
19
A.D.S.M., P.I., C 40, Nemours, 1779 (fig. 33).
A.D.S.M., P.I., C40, Darvault, 1786 (fig. 18).
112
(fig. 6, schéma 2) et a capturé ces chemins, les bretelles de raccordement a et b
prenant le pas sur le tracé antérieur, et donnant naissance à un nouveau tracé
conjuguant les deux itinéraires précédents (fig. 6, schéma 3). Les segments
Nemours-Villecerf pour les tracés 1 et 2, et Villemer-Dormelles-Montereau pour le
tracé 3, devenant désuets, ne servent plus alors qu’à la desserte locale. Le nouvel
itinéraire a donc été constitué à partir de deux tracés différents, Villemer devenant
apparemment un pôle d’attraction au détriment des autres villages. De même, VilleSaint-Jacques a capturé le tracé 1. Le chemin de Nemours à Montereau qui passe
au nord-ouest du village est encore noté sur le plan de 1783 de Ville-Saint-Jacques,
mais il est déjà en concurrence avec le grand chemin de Nemours à Montereau qui,
lui, traverse l’agglomération20. Jusque dans les années 1960, il existe toujours sous
la forme d’un chemin de desserte rurale, mais en 1989, il disparaît complètement.
L’itinéraire 3, passant par Dormelles, a, nous l’avons vu, été capturé lui aussi par
Villemer. Il subsiste toutefois sous forme de chemin pour la desserte locale, et de
Dormelles à Montereau sous la forme du G.R. 11 actuel, qui sert également de
limite communale.
Mais si la morphologie de l’actuel tracé de Nemours à Montereau est relativement
aisée à comprendre, par les phénomènes d’attirance et de capture des chemins par
les villages, il est cependant plus difficile de déterminer l’antériorité de l’un ou l’autre
de ces tracés 1, 2 et 3. Nous reviendrons sur cette question à la fin de notre analyse
des réseaux routiers.
20
A.D.S.M., P.I., C 39, Ville-Saint-Jacques, 1783 (fig. 42).
113
3.2.2. La liaison Nemours  Moret-sur-Loing (fig. 5, n°4, 5).
Cette liaison emprunte également des tracés différents pour relier les deux villes.
Un premier itinéraire (noté 4 sur la fig. 5) part de Nemours, et jusqu’au moulin de la
Coutière suit un tracé identique à l’itinéraire Nemours-Montereau 1.
Il coupe ensuite en ligne droite le territoire d’Épisy, passant très à l’écart de ce
village, traverse Écuelles, et se dirige enfin vers Moret.
Sur les plans d’Intendance, il est mentionné comme « chemin de Nemours à
Cherelle »21, « de Cherelle à Moret »22, « chemin du Luat »23, « chemin d’Écuelles à
Villeron »24. Au delà d’Écuelles, le plan est illisible.
Un autre itinéraire est mentionné sur le cadastre napoléonien (noté 5 sur la fig. 5)25.
Il se dirige, depuis Nemours, vers Pleignes, puis La Genevraye. Ensuite, son tracé
se perd. Peut-être se confond-il avec le tracé de la route actuelle qui suit le canal du
Loing. Sur le cadastre napoléonien il est indiqué comme « chemin de Nemours à
Moret » sur les communes de Montcourt-Fromonville et de La Genevraye. Le
creusement du canal du Loing a sans doute modifié la morphologie des réseaux
viaires lesquels ont dû s’adapter à cette nouvelle contrainte. On peut aussi penser
que ce chemin traversait le Loing à La Genevraye, vers Montigny. Un lieu-dit Le
Parc du Gué à cet endroit semble en effet indiquer un lieu de passage possible.
À côté de ces deux liaisons majeures, Nemours-Montereau, et Nemours-Moret,
d’autres réseaux locaux ont été mis en évidence.
21
A.D.S.M., P.I., Montcourt-Fromonville, 1786 (fig. 28).
A.D.S.M., P.I., C 39, Villemer, 1782 (fig. 41).
23
A.D.S.M., P.I., C 39, Épisy, s.d. (fig. 21).
24
A.D.S.M., P.I., Écuelles, 1783 (fig. 20 ).
25
Cadastre napoléonien, tableau d’assemblage, Fromonville, 1825 (fig. 44).
22
114
3.2.3. La liaison Grez-sur-Loing  Le Bois de Darvault (fig. 5, n°6)
Ce chemin passe au nord-est du village de Grez, avec peut-être un doublet par le
centre du bourg, puis à Montcourt, et descend ensuite vers l’est du village de
Darvault et le Bois de Darvault. Il est mentionné comme « chemin de Recloses ou
du Moulin de la Fosse » sur les plans d’Intendance26. A partir de Montcourt et
jusqu'à Darvault, il prend le nom de « chemin de Grez »27. Sur le cadastre
napoléonien, il est appelé « chemin de Sens ». Ce chemin continue son tracé vers
le sud, dans la forêt domaniale de Nanteau, où un lieu-dit porte encore le nom de
Bois de Sens. Il se dirige ensuite vers Egreville. Au nord, le prolongement de son
tracé est plus difficile à suivre, et se perd dans la forêt de Fontainebleau.
3.2.4. La liaison La Genevraye  Nanteau-sur-Lunain (fig. 5, n°7)
Ce chemin passe à l’est de La Genevraye, continue vers le sud-est en ligne droite,
traverse le hameau Launoy, puis s’oriente vers l’est de Nanteau. Il ne comporte
aucune indication de destination sur les plans d’Intendance des communes de La
Genevraye et de Treuzy28. Une seule mention existe à Nonville où il est appelé
« chemin de Nanteau »29. On peut suivre son prolongement jusqu'à Egreville vers le
sud-est. En revanche, là encore son tracé vers le nord-ouest se perd en forêt de
Fontainebleau.
26
A.D.S.M., P.I., C 40, Grez-sur-Loing, 1778 (fig. 25).
A.D.S.M., P.I., C.40, Montcourt-Fromonville, 1786 (fig. 28).
28
A.D.S.M., P.I., C 40, Treuzy (fig. 38).
29
A.D.S.M., P.I., C.40, Nonville,1778 (fig. 34).
27
115
3.2.5. La liaison Moret-sur-Loing  Lorrez-Le-Bocage
(fig. 5[PR3],
n°8,9)
Au départ de Moret, deux chemins suivent des tracés sensiblement parallèles et se
rejoignent à Boisroux. Mais le tracé le plus à l’ouest (noté 8 sur la fig. 5[PR4]) ne
rencontre aucun village jusqu’au hameau de Boisroux. Il passe à l’écart d’Écuelles,
fait un crochet pour contourner la montagne de Train et continue ensuite en ligne
droite vers Lorrez, passant par Boisroux mais évitant le village de Villemaréchal. Sur
les plans d’Intendance, il est mentionné comme « chemin de Villemaréchal à
Moret » sur le territoire des commune d’Écuelles30 et de Villecerf31, puis « chemin de
Boisroux » et « de Villemaréchal à Moret » sur le territoire de Villemer32, « chemin
de Montereau »33 puis « chemin de Sens » sur la commune de Villemaréchal34, et
se dirige ensuite vers Lorrez.
Le second itinéraire possible (noté 9 sur la fig. 5) se sépare du premier à la sortie de
Moret, prenant un tracé plus à l’est, passe à Villecerf où il sert d’axe principal au
village, demeure ensuite parallèle au premier mais à environ 800 mètres plus à l’est,
et le rejoint à Boisroux. Sur les plans du XVIIIème siècle, il est appelé « chemin de
Moret » sur la commune d’Écuelles35, « chemin de Villecerf à Moret » sur la
commune de Villecerf36. Sur la commune de Dormelles37, il est tracé sans indication
de nom. Actuellement, il correspond à la route départementale.
Comment expliquer ces deux tracés ayant un même point de départ et qui après un
30
A.D.S.M., P.I., C 39, Ecuelles 1783 (fig. 20).
A.D.S.M., P.I., C 39, Villecerf (fig. 39).
32
A.D.S.M., P.I., C 39, Villemer, 1782 (fig. 41).
33
Sans doute parce qu’il permet de rejoindre un chemin qui se dirige vers Montereau par Dormelles.
34
A.D.S.M., P.I., C 37, Villemaréchal, 1780 (fig. 40).
35
A.D.S.M., P.I., C 39, Ecuelles, 1783 (fig. 20).
36
A.D.S.M., P.I., C 39, Villecerf (fig. 39).
37
A.D.S.M., P.I., C 39, Dormelles (fig. 19).
31
116
itinéraire parallèle, se réunissent dans un segment unique et un point d’arrivée
identique ? On peut penser que le chemin 8, ne traversant aucun village, pourrait
être le plus ancien. Le segment commun au nord de Lorrez est situé dans l’axe du
trajet ouest, et le tracé 9 est obligé de s’infléchir pour le rejoindre. Le trajet par l’est
pourrait correspondre à un doublet du premier chemin, développé par la mise en
place du réseau local du village de Villecerf, entraînant peu à peu l’abandon du
vieux tracé. Mais sur les plans d’Intendance, à la fin du XVIIIème siècle donc, le tracé
ouest est toujours indiqué comme chemin principal de Villemaréchal à Moret. Les
deux chemins semblent donc avoir coexisté, le trajet ouest comme tracé direct vers
Villemaréchal, Lorrez et Sens, le trajet est comme réseau local, desservant Villecerf
et le hameau du Pimard. La présence d’un prieuré Grandmontain à partir du XIIème
siècle38 sur le tracé ouest, à la place de l’actuelle ferme de Train, a sans doute été
également un pôle d’attraction et de conservation de l’itinéraire, l’empêchant de
tomber trop rapidement en désuétude.
Cet itinéraire n’est pas mentionné comme itinéraire ancien vers Sens, le chemin
habituellement reconnu passant sur l’autre rive de l’Yonne, par Montereau-FautYonne. C’est l’itinéraire qu’a tracé G. Fourquin comme étant celui emprunté par les
envoyés royaux chargés d’établir l’assiette du douaire de Jeanne II en 1332
(FOURQUIN 1963, 168-169). Nous avons cependant vu précédemment que rien
dans les textes ne permettait de l’affirmer.
3.2.6. La liaison Moret-sur-Loing  Chéroy (fig. 5, n°10)
Cet itinéraire part de Moret et se dirige vers le sud-est. Il passe sur le territoire des
117
communes d’Écuelles puis de Montarlot, mais à l’écart des villages, continue
jusqu'à Dormelles où il franchit l’Orvanne, se dirige vers Flagy, passant à environ
900 mètres au sud de village, puis vers Thoury et Ferottes, mais avec un tracé
toujours à l’écart des villages, contourne Voulx, passant en limite de cette
commune, et gagne Chéroy.
Sur les plans d’Intendance, on le trouve mentionné comme « chemin de Moret à
Montarlot » sur la commune d’Écuelles39, puis « chemin de Chéroy à Moret » sur la
commune de Dormelles, puis « de Chéroy à Dormelles » au sud de ce village. A
900 mètres au sud de Dormelles, il rejoint le chemin dit « de Chéroy à Nemours »40.
Son tracé au sud de Flagy est appelé « de Dormelles à Chéroy »41, puis « de Flagy
à Chéroy » sur le territoire de la commune de Thoury-Ferottes42, et enfin « chemin
de Chéroy à Moret » sur la commune de Voulx43 à laquelle il sert de limite
communale.
Ce tracé est marqué par la présence d’un doublet (fig. 5, n°11) qui, lui, rejoint et
traverse tous les villages depuis Dormelles jusqu'à Ferottes. Cet itinéraire semble
donc postérieur au tracé n°10 qui évite tous les vi llages entre Moret et Chéroy, à
l’exception de Dormelles, lieu de franchissement de la rivière. Il faut également
souligner que ce réseau n°10 est jalonné de sites a rchéologiques ou d’indices de
sites, puisque nous pouvons relever à proximité du tracé un habitat du Xème siècle à
Ravannes, ainsi que des indices de sites pré et protohistoriques44 sur la commune
d’Écuelles, un site protohistorique aux lieux-dits Les petits Vaux et la Remise des
Boulins45 sur la commune de Montarlot, une commanderie templière au lieu-dit les
Hôpitaux au nord-est de Dormelles, des indices de sites gallo-romains entre
38
STEIN et QUESVERS, Pouillé de l’ancien diocèse de Sens, 1894, p.104.
A.D.S.M., P.I., C 39, Ecuelles, 1783 (fig. 20).
40
A.D.S.M., P.I., C 39, Dormelles (fig. 19).
41
A.D.S.M., P.I., C 37, Flagy, 1778 (fig. 23).
42
A.D.S.M., P.I., C 37, Thoury-Ferottes, 1782 (fig. 37).
43
A.D.S.M., P.I., C 37, Voulx (fig. 43).
39
118
Dormelles et Flagy au lieu-dit les Antes46, un menhir, détruit vers l’année 1874 entre
Flagy et Dormelles47, le menhir dit « La Pierre Cornoise » entre Flagy et Thoury, et
des indices de sites gallo-romains à Thoury à proximité du cimetière48.
Le peu de prospection et de fouilles réalisées sur ce secteur ne permet pas
d’appréhender la globalité de l’occupation du sol dans cette région. Il faut donc
relativiser la fréquence des sites constatée le long du réseau. Elle est toutefois
troublante.
3.2.7. La liaison Moret-sur-Loing  Nanteau-sur-Lunain (fig.5, n°12)
Ce chemin part de Moret, passe à Écuelles, se dirige ensuite vers Rebours, passe à
l’ouest de Villemer, puis entre Treuzy et Levelay49 et gagne Nanteau. Ce chemin est
appelé « chemin de Moret », puis « d’Écuelles à Rebours »50, « de Rebours à
Moret », sur le territoire de Villecerf, et jusqu'à Rebours51. Aucun nom ne lui est
donné au sud-ouest de ce hameau52 sur les plans d’Intendance, mais sur le
cadastre napoléonien il est appelé La Chaussée de l’Étang53. On le retrouve sur la
commune de Treuzy-Levelay comme « chemin de Branles à Moret »54. Les
mentions confirment que Moret est bien le point d’attache nord de ce réseau, et que
44
S.R.A. Ile de France, Fouilles J.Galbois, 1987-1988.
S.R.A. Ile de France, commune de Montarlot, travaux de 1959.
46
Renseignement d’un agriculteur (mais non vérifié).
47
Société d’excursions scientifiques, Louviers, 1916, p.19.
48
Prospection au sol de M.Larsonneur.
49
Jusqu’en 1903 la commune portait seulement le nom de Treuzy. Le hameau de Levelay a ensuite
été réuni à Treuzy, (LE MEE-ORSETTI et LE MEE, Paroisses et communes de France, Seine-etMarne, Paris, 1988, p.77).
50
A.D.S.M., P.I., C.39, Ecuelles, 1783 (fig. 20).
51
A.D.S.M., P.I., C.39, Villecerf (fig. 39).
52
A.D.S.M., P.I., C.39, Villemer, 1782 (fig. 41).
53
A.D.S.M., C.N., 4P, 34/488, Villemer.
54
A.D.S.M., P.I., C.40, Treuzy (fig. 38).
45
119
ce dernier se prolonge bien au delà de notre zone, puisqu’il rejoint Branles sur le
Chemin de César, l’ancienne voie romaine de Sens à Orléans.
Là aussi, il faut constater que l’ancien chemin ne passe pas par les villages,
exceptés Écuelles, le hameau de Rebours et Nanteau. Villemer a ensuite capturé
ce réseau, le tronçon entre Rebours et le nord-est de Treuzy est alors tombé en
désuétude.
3.2.8. La liaison Moret-sur-Loing  Grez-sur-Loing (fig. 5, n°13)
Ce réseau suit approximativement la vallée du Loing. Depuis Moret, il dessert
Montigny-sur-Loing, puis longe la rivière au sud de Bourron-Marlotte, passe à Grez
et continue vers l’est. Il est appelé « chemin de Montigny à Moret » puis « de Grez à
Montigny » sur la commune de Montigny55, « chemin de Grez à Montigny » sur la
commune de Bourron56. Sur les plans d’Intendance, son tracé sur la commune de
Grez n’est pas net57. En revanche, le cadastre napoléonien montre que ce chemin
traverse le village, et à l’extrémité sud-ouest se divise en deux branches, l’une se
dirigeant vers Larchant, l’autre mentionnée comme « chemin de Nemours à
Moret »58.
Nous serions donc là en présence d’un autre itinéraire possible entre Nemours et
Moret. Le premier, nous l’avons vu (n°4, fig. 5), é vitait les villages. Le second (n°5,
fig. 5), dont le tracé est plus flou, semblait suivre la rive sud du Loing. Cet axe par
Grez suit l’autre rive, évite ainsi le franchissement de la rivière, et dessert des
villages différents.
55
A.D.S.M., P.I., C.39, Montigny, 1778 (fig. 30).
A.D.S.M., P.I., C.40, Bourron-Marlotte, 1778 (fig. 15).
57
A.D.S.M., P.I., C.40, Grez-sur-Loing, 1778 (fig. 25).
56
120
La branche nord du chemin n°13 est appelé « chemin de Larchant ». Il est
exactement dans l’alignement d’un autre axe du réseau régional, qui au delà de
Grez continue son tracé vers le nord-est, passant entre Bourron et Marlotte, et
appelé sur cette commune « chemin de Samois » (n°14 , fig. 5)59. Il était donc
possible, par Grez, de relier Samois, situé au nord-est de Fontainebleau, à Larchant
d’une part, mais également à Nemours d’autre part.. La route passe maintenant à
Fontainebleau et non plus à Samois. G. Fourquin fait de Samois le chef-lieu d’une
prévôté dans laquelle était englobé Fontainebleau au XIVème siècle (FOURQUIN
1963, 38). Mais un peu plus loin dans son ouvrage, il indique une prévôté double
Samois-Fontainebleau, ce qui n’est pas la même chose. Et dans le relevé de la
Prisée, on constate qu’il y a deux articles différents pour chaque nom de lieu, et non
pas un seul (id.,114-118).
3.2.9. La liaison Grez — Samois (fig. 5, n°14).
Cet itinéraire à partir de Grez se dirige vers le nord-est, passant entre les deux
communes aujourd’hui réunies en une seule, Bourron et Marlotte, où il est qualifié
de « chemin de Samois »60, village que nous avons déjà évoqué pour l’itinéraire
précédent.
58
59
C.N., Grez-sur-Loing, 1825.
A.D.S.M., P.I., C.40, Bourron-Marlotte, 1778 (fig.15).
121
3.2.10. La liaison Montereau-Faut-Yonne  Lorrez-Le-Bocage
(fig.5,
n°15)
A partir de Montereau-Faut-Yonne, cet axe du réseau régional passe à Rudignon,
Flagy, Saint-Ange-le-Vieil, et rejoint Lorrez-Le-Bocage.
On le trouve mentionné comme « chemin de Montereau à Flagy », au nord de ce
village, puis « de Flagy à Saint-Ange » au sud61, et jusqu'à ce village, puis « chemin
de Chéroy » au sud de Saint-Ange-le-Vieil62. Il rejoint ensuite le chemin de Moret à
Sens à son arrivée à Lorrez-Le-Bocage. C’est l’itinéraire qui fut, semble-t-il,
emprunté par les envoyés du roi, pour effectuer la Prisée de 1332, entre Flagy et
Lorrez-Le-Bocage (FOURQUIN, 1963, p.29 et carte p.168-169)63. La continuité de
l’itinéraire paraît indiquer que ce chemin reliait Montargis (et Lorris) à MontereauFaut-Yonne. La liaison n°15 Lorrez-Le-Bocage  Flagy  Montereau-Faut-Yonne
est antérieure à 1332 puisque empruntée par les hommes chargés de la Prisée
entre Lorrez-Le-Bocage et Flagy. Mais il est difficile de déterminer si elle est
contemporaine de ce village ou si elle lui est antérieure.
Flagy est un village neuf de fondation attestée au XIIème siècle. Il a très bien pu
s’implanter sur un chemin préexistant, profitant ainsi de liaisons déjà présentes pour
son réseau local, en « capturant » d’emblée un axe du réseau régional. En
revanche, on peut constater qu’il ne profite pas du réseau n°10. Plusieurs raisons
peuvent être invoquées. Ou bien la rivière a joué un rôle plus attractif, ou bien ce
réseau était peut-être déjà désuet lorsque Flagy s’est implanté, Dormelles et
Thoury64, les deux villages situés de part et d’autre, ayant sans doute déjà
60
A.D.S.M., P.I., C.40, Bourron-Marlotte, 1778 (fig. 15).
A.D.S.M., P.I., C.37, Flagy et Noisy, 1778 (fig. 23).
62
A.D.S.M., P.I., C.37, Saint-Ange-le-Vieil, 1782 (fig. 36).
63
Le texte mentionne ici clairement Flagy et l’on peut, dans ce cas, rapprocher le texte et les formes.
64
ème
Mentionné dès le XI
siècle dans le Liber Sacramentorum, dans Quantin, Cartulaire Général de
l’Yonne, II, 1858, p.66.
61
122
développé un réseau local (le tracé n°11) supplanta nt peu à peu l’axe plus ancien et
situé à distance et dont Flagy pouvait tirer profit.
3.2.11. La liaison Ferottes  Nemours (fig. 5, n°16)
Cet itinéraire part de Ferottes et se dirige vers Boisroux où il se divise en deux
branches. La première, notée 16A, évite ce hameau par le nord et rejoint le réseau
Nemours  Montereau-Faut-Yonne par Dormelles (fig. 5, n°3) a u sud-ouest de
Villemer. La seconde, notée 16B, passe par Boisroux, Treuzy, et rejoint ensuite le
même réseau Nemours  Montereau-Faut-Yonne que la première, mais un peu
plus loin, à l’est de Darvault.
Sur les plans d’Intendance, il est appelé « chemin de Ferottes à Saint-Ange » sur la
commune de Thoury-Ferottes65, puis « chemin de Nemours à Voulx » sur la
commune de Villemaréchal66. A partir de la séparation en deux branches, on le
retrouve, pour la branche 16A, sous le nom de « chemin des Bourguignons à
Nonville » sur la commune de Treuzy-Levelay67 à partir de laquelle il rejoint le
« chemin de Montereau à Nemours », et pour la branche 16B, sous le nom de
« chemin de Treuzy à Villemaréchal » puis « de Larche68 à Nemours ». Il rejoint
ensuite l’axe du réseau Montereau  Nemours n°3, à l’est de Darvault.
65
A.D.S.M., P.I., C.37, Thoury-Ferottes, 1782 (fig. 37).
A.D.S.M., P.I., C.37, Villemaréchal, 1780 (fig. 40).
67
A.D.S.M., P.I., C.40, Treuzy-Levelay (fig. 38).
68
Nous ignorons s’il s’agit d’un hameau, d’un lieu-dit, ou d’une ferme, ce nom étant introuvable sur les
cartes.
66
123
3.2.12. La liaison Nemours  Voulx (fig. 5, n°17)
En fait, ce parcours présente plusieurs possibilités de tracés. La première rejoint le
réseau n°16 à l’est de Boisroux puisque un segment y conduit. La deuxième, à
partir de Voulx, passe au nord de Saint-Ange-le-Vieil et de Villemaréchal à Levelay,
Launay, puis ou rejoint le réseau 16B, ou continue par le bois de Darvault.
Il est appelé « chemin de Villemaréchal à Voulx » sur la commune de Voulx69,
« chemin de Nemours » sur la commune de Villemaréchal70, et ne porte aucune
indication sur la commune de Treuzy71.
3.2.13. La liaison Montereau-Faut-Yonne  Pont-Thierry (fig.5, n°18)
Ce chemin, au départ de Montereau, suit le même tracé jusqu'à Dormelles que le
chemin n°3 de Montereau à Nemours. Au sud de Dormel les, il continue en revanche
en ligne droite jusqu'à Boisroux, passant à l’ouest de ce hameau, et continue
toujours en ligne droite vers le Lunain qu’il franchit à Pont-Thierry.
A partir de Dormelles, ce chemin est mentionné sur le plan d’Intendance du XVIIIème
siècle comme « chemin de Montmery à Dormelles »72, puis « chemin de Montereau
aux Fontaines », sur la commune de Villemaréchal73.
Là encore, il faut noter que ce chemin ne traverse aucun village entre l’Yonne et le
Lunain excepté Dormelles au franchissement de l’Orvanne. Il passe à l’écart des
hameaux de Boisroux et des Fontaines, à l’écart également de Villemaréchal. Ce
chemin a disparu actuellement au lieu-dit « Terre de la Grande Chasse » à l’ouest
69
A.D.S.M., P.I., C.37, Voulx, 1784 (fig. 43).
A.D.S.M., P.I., C.37, Villemaréchal, 1780 (fig. 40).
71
A.D.S.M., P.I., C.40, Treuzy-Levelay (fig. 38).
72
A.D.S.M., P.I., C.39, Dormelles (fig. 19).
73
A.D.S.M., P.I., C.37, Villemaréchal, 1780 (fig. 40).
70
124
de Villemaréchal, mais il est porté sur les plans d’Intendance du XVIIIème siècle ainsi
que sur la carte au 1/80000ème de la fin du XIXème siècle74. Il semble que PontThierry ait été un lieu de passage antique75.
3.2.14. La liaison Montereau-Faut-Yonne  Nanteau-sur-Lunain
Le tracé de cet itinéraire passe depuis Montereau-Faut-Yonne, par Ville-SaintJacques, Villecerf, Villemer, entre Treuzy et Levelay, et gagne Nanteau.
Il est composé de différents segments qui sont tous issus des réseaux étudiés
auparavant : il emprunte l’itinéraire n°1 (fig. 5), Montereau-Faut-Yonne  Nemours,
jusqu'à Villecerf, puis le tracé issu de la capture des chemins n°1 et 3 par Villemer,
un segment du réseau local de Villemer jusqu’au réseau n°12, et enfin cette liaison
n°12 jusqu'à Nanteau-sur-Lunain.
Cet itinéraire semble donc être sinon postérieur, du moins contemporain, des axes
n°1, 3 et 12, comme l’indique également son tracé q ui passe systématiquement par
tous les villages selon une logique en conformité avec l’habitat présumé médiéval.
3.2.15. La liaison Voulx  Lorrez-Le-Bocage (fig. 5, n°19)
Nous n'avons ici qu’une petite partie d’un itinéraire sans doute plus important, qui
relie directement Voulx à Lorrez-Le-Bocage sans passer par Chevry-en-Sereine.
Son tracé correspond à peu près à celui de la Départementale 219 actuelle.
74
Carte au 1/80000
ème
75
S.R.A Ile-de-France, Paley, site 003, pot, voie et gué antique.
, Fontainebleau, dressée en 1880 et révisée en 1902.
125
Cependant, l’ancien tracé apparaît ponctuellement de part et d’autre de cette route
qui le recoupe sur la carte ancienne au 1/80000ème
76
. Il contourne Voulx par le sud
et l’est. Son tracé semble ensuite se poursuivre vers Montmachoux.
3.2.16. La liaison Paley ― Dormelles (fig. 5, n°20)
Ce chemin part de Paley, traverse la commune de Villemaréchal, et se dirige vers
Dormelles sans rencontrer de lieux habités. Son tracé se prolonge peut-être au delà
de Dormelles, vers Ville-Saint-Jacques, qu’il borde à l’est, et Pincevent. Sur les
plans d’Intendance du XVIIIème siècle, il est appelé «chemin de Paley à
Villemaréchal» sur la commune de Paley77, puis «chemin de Dormelles» sur la
commune de Villemaréchal78, et «chemin de Dormelles à Boisroux» sur la commune
de Dormelles79. Au nord de ce village, son prolongement est mentionné comme
«chemin de l’Orgenoy », puis «chemin de l’Aulnais» au nord de Ville-SaintJacques80.
3.2.17. La liaison de Bichereau à Paley (fig. 5, n°21 et 22)
Ces deux chemins sont issus d’un même tracé qui provient de Montereau-FautYonne, la limitation de notre secteur d’étude n’en montre qu’une partie, mais il est
aisé de le prolonger sur une carte à plus petite échelle.
76
ème
Carte au 1/80000 , Fontainebleau, dressée en 1880 et révisée en 1902.
A.D.S.M., P.I., C.37, Paley, 1788 (fig. 35).
78
A.D.S.M., P.I., C.37, Villemaréchal, 1780 (fig. 40).
79
A.D.S.M., P.I., C.39, Dormelles (fig. 19).
80
A.D.S.M., P.I., C.39, Ville-Saint-Jacques, 1783 (fig. 42).
77
126
Après être passé à l’est du hameau de Bichereau, le chemin n°21 franchit l’Orvanne
au sud de Thoury et se dirige vers Paley. Au nord de Saint-Ange-le-Vieil, il s’infléchit
vers ce village. Mais un chemin situé dans son prolongement semble montrer que
son tracé initial se trouvait à l’écart du bourg et que ce dernier l’a ensuite capturé. Il
se dirige ensuite directement vers Paley.
Le chemin n°22 suit un tracé à peu près parallèle a u précédent, mais franchit, lui,
l’Orvanne à Ferottes et se dirige vers Paley sans traverser de villages. Il bifurque au
sud de Saint-Ange-le-Vieil vers Lorrez-Le-Bocage. Mais là encore, son tracé montre
que le chemin se dirigeait à l’origine vers Paley, Lorrez-Le-Bocage ayant ensuite
capturé cet itinéraire.
Le chemin n°21 est mentionné comme « chemin de Fero ttes à Montereau » sur la
commune d’Esmans81, « de Montereau à Ferottes et à Thoury » puis « chemin de
Ferottes à Saint-Ange-le-Vieil » sur la commune de Thoury-Ferottes82.
Le chemin n°22 est mentionné comme « chemin de Fero ttes à Montereau » sur la
commune d’Esmans83, « chemin de Ferottes à Villemaréchal » puis « chemin de
Lorrez à Ferottes » sur la commune de Saint-Ange-le-Vieil84.
3.2.18. La liaison Épisy  Lorrez-Le-Bocage (fig. 5, n°23)
Ce parcours est un peu particulier car il n’est mis en évidence par aucune anomalie
du réseau local, excepté au nord-ouest d’Épisy et entre Villemaréchal et Lorrez-LeBocage, c’est-à-dire les deux extrémités de son tracé sur notre zone d’étude.
Toutefois, son tracé rectiligne sur 12 kilomètres nous incite à croire qu’il ne s’agit
81
A.D.S.M., P.I., C.38, Esmans, 1782 (fig. 22).
A.D.S.M., P.I., C.37, Thoury-Ferottes, 1782 (fig. 37).
83
A.D.S.M., P.I., C.38, Esmans, 1782 (fig. 22).
84
A.D.S.M., P.I., C.37, Saint-Ange-le-Vieil, 1782 (fig. 36).
82
127
pas seulement d’un alignement fortuit d’axes des réseaux locaux.
Il est mentionné comme « chemin de Rebours à Épisy »85, « de Villemer à
Rebours » et « de Villemer à Villemaréchal » sur la commune de Villemer86,
« chemin de Nemours » puis « de Lorrez-Le-Bocage » sur la commune de
Villemaréchal87. Toutefois l’aménagement du parc du château dans ce village a
sans doute modifié le tracé qui est obligé de faire un coude pour le contourner.
Ce réseau est jalonné de gisements archéologiques : traces d’occupations
protohistoriques et carolingiennes à Épisy, au lieu-dit le Bourg88, menhir à Villeron
appelé « la Pierre Louve » détruit en 1909, ainsi que des indices de site de villa
gallo-romaine89, un gisement important entre Villemer et Rebours sur lequel nous
reviendrons ci-dessous (fig. 93 [PR5]), sans doute diachronique. Ce chemin semble
trouver sa continuité jusqu'à Chéroy au sud-est et Fontainebleau au nord-ouest.
3.2.19. La liaison Moret-sur-Loing  Montereau-Faut-Yonne (fig.5, n°24)
Ce réseau est lui aussi un peu particulier puisque, à l’inverse du précédent, il n’est
composé que d’anomalies du réseau local, à l’exception de son tracé sur la
commune de Moret. Cependant sur les plans d’Intendance, il est mentionné comme
« ancien chemin de Moret à Montereau »90, il était donc impossible de l’écarter. Son
tracé sort de Moret, traverse le Loing au pont de Bourgogne, passe en limite nord
de la commune de Montarlot, puis coupe au travers du territoire de Ville-SaintJacques et rejoint le réseau n°1 de Nemours à Monte reau-Faut-Yonne.
85
A.D.S.M., P.I., C.39, Épisy (fig. 21).
A.D.S.M., P.I., C.39, Villemer, 1782 (fig. 41).
87
A.D.S.M., P.I., C.37, Villemaréchal, 1780 (fig. 40).
88
S.R.A. Ile de France, Fouilles J.Galbois, B.G.A.S.M. n°28-31, 1987-1990, p.111-124.
89
R.A.S.M., Toussaint, 1953, p.32.
90
A.D.S.M., P.I., C.39, Ville-Saint-Jacques, 1783.
86
128
Ce tracé est lui aussi jalonné d’éléments témoignant d’occupations antérieures : il
passe auprès de Ravannes sur la commun d’Écuelles, où, nous l’avons vu, se
trouvait un habitat gallo-romain et un autre du Xème siècle, puis passe à proximité de
trois villae gallo-romaines et d’un site protohistorique sur la commune de
Montarlot91. Ce chemin n’existe plus sur la carte de la fin du XIXème siècle. En
revanche son tracé apparaît par intermittence sur le dessin parcellaire issu de la
photographie aérienne.
Certains axes montrent des tracés qui se poursuivent au delà des villes ou villages
de notre secteur d’études et dont l’analyse sur des cartes au 1/25000ème semble ne
montrer qu’une partie de l’extension.
Une méthode différente d’analyse morphologique menée sur une échelle plus petite
peut permettre d’appréhender l’extension des réseaux régionaux ainsi que d’autres
types de réseaux.
3.3.
Le tri numérique
Un autre type d’analyse du réseau routier est possible : le tri numérique, technique
grâce à laquelle E. Vion (VION, 1989) a montré que l’on pouvait mettre en évidence
91
S.R.A. Ile de France, commune de Montarlot, lieu-dit Les Caves, vestiges gallo-romains, prospection
au sol, 1987 ; lieux-dits Les Petits Vaux, La Remise des Boulins, fonds de cabane proto-historique,
travaux de 1959.
129
d’une part des itinéraires disparus, et d’autre part la structure dite supra-régionale
des réseaux.
Ce chercheur effectue ce travail à partir de cartes plus générales, au 1/100000ème,
échelle nécessaire pour pouvoir apprécier des relations sur de plus grandes
distances. Il nous semble toutefois que la pratique du tri sélectif en fonction de
l’importance des carrefours sur des cartes contemporaines à cette échelle présente
un inconvénient majeur : il est en effet nécessaire que les itinéraires aient perduré
au moins sous la forme d’une route départementale pour pouvoir être repérés. S’ils
sont effectivement tombés en désuétude complète ou s’ils ne sont conservés qu’à
l’état de chemin rural, ils n’apparaissent pas sur les cartes au 1/ 100000ème
contemporaines. Ainsi la voie romaine d’Orléans à Sens qui figure dans la table de
Peutinger (fig. 7) (DESJARDINS 1969) ou encore mentionnée au XIIIème siècle sous
le nom de Grand Chemin Ferré de Sens à Orléans, et au XIVème sous le nom de
Via Aureliana (HURE 1978, 53), n’apparaît que sur un très court tronçon à sa sortie
de Sens. Au delà, la voie réduite actuellement au mieux à l’état de chemin ne figure
pas sur les cartes générales actuelles et son prolongement jusqu’à Orléans
disparaît donc complètement. Il semble peut-être plus intéressant de travailler
lorsque cela est possible sur une carte compilée comportant tous les indices d’axes,
disparus ou non. Nous sommes parvenus à le faire sur la fenêtre d’étude choisie,
mais ce travail semble difficilement réalisable sur la vaste surface qu’implique cette
méthode.
Ce travail de tri numérique consiste en trois étapes : une première sélection des
carrefours à cinq branches et plus qui va permettre de faire émerger les réseaux
locaux ; une seconde sélection de carrefours à huit branches et plus qui mettra en
évidence les structures régionales ; et enfin une dernière sélection ne conservant
que les carrefours à dix branches et plus, permettant de faire apparaître la structure
supra-régionale des réseaux routiers, liée au grands transits.
130
Notre secteur d’étude se trouvant aux limites de la Champagne, de la Bourgogne et
de l’Orléanais, nous avons choisi de privilégier l’analyse dans un rectangle situé au
sud-est de Paris, avec Paris en limite nord-ouest, Reims en limite nord-est, Autun
en limite sud-est, et Reuilly (Vierzon) en limite sud-ouest.
3.3.1. Les réseaux locaux (fig. 9[PR6])
La carte des réseaux locaux obtenue par la sélection des carrefours à cinq
branches et plus montre un tissu de liaisons relativement dense et homogène,
excepté autour de Troyes où l’on peut noter que dans une ceinture située à 25
Kilomètres autour de cette ville, on ne rencontre aucune structure liée au réseau
local. Cette faible densité se poursuit entre Troyes et Châlons-sur-Marne. La carte
au 1/1 000 000ème montre sur ce secteur une organisation très particulière, où les
chemins ne forment pas un faisceau étoilé à partir des villages, mais se recoupent
selon une structure orthonormée avec un village à chaque angle. Ce schéma est
très différent du schéma habituel de chemins qui donne aux réseaux locaux, comme
nous le voyons sur la carte (fig. 9[PR7]), un aspect de foisonnement et d’imbrication
des tracés.
3.3.2. Les réseaux régionaux (fig. 10 [PR8])
La carte des réseaux régionaux a été obtenue à partir de la carte précédente, mais
en sélectionnant cette fois les carrefours à huit branches et plus. Il ne s’agit pas ici
de supprimer des routes, mais seulement des villages ou des carrefours, l’extension
131
du réseau régional issu de ces carrefours à huit branches et plus englobant une
partie du réseau local. Comme nous l’avons noté dans l’analyse morphologique
fondée sur la recherche des anomalies des réseaux locaux, de nombreux segments
du réseau régional sont en étroite relation avec les réseaux locaux. Nous voyons la
même chose ici. La ville de Montereau-Faut-Yonne disparaît mais son réseau local
est englobé dans les réseaux régionaux issus des villes de Melun, Sens, Provins,
Nogent-sur-Seine et Nemours. C’est le même phénomène que l’on retrouve à
Chéroy, à l’ouest de Sens. Ce village est éliminé mais son réseau local est englobé
dans les réseaux régionaux issus des villes de Melun, Provins, Sens, Auxerre et
Nemours.
Comme on pouvait s’y attendre, les plus grosses villes demeurent sur cette carte du
réseau régional. En revanche, des petites villes et des villages, apparemment de
peu d’importance, résistent à cette sélection, montrant leur dynamisme au sein de
ce réseau. C’est le cas de (du nord au sud) Montmirail, Tonnerre, Châtillon-Coligny,
Sully-sur-Loire, Neuvy-sur-Barangeon et Reuilly. Pour certains, leur position
topographique peut expliquer ce cas de figure. Sully est situé sur la Loire et offrait
sans doute un pont ou un gué pour la franchir. Montmirail, Tonnerre et ChâtillonColigny sont également situés sur des cours d’eau. En revanche, aucun fait
topographique majeur ne peut expliquer l’importance de Reuilly ou de Neuvy-surBarangeon, qui sont de plus très proches de Vierzon et Bourges.
La carte des réseau régionaux met en évidence des liaisons directes entre villes
mitoyennes comme Nemours et Sens, Fontainebleau et Provins, Melun et
Fontainebleau, Fontainebleau et Nemours, Nemours et Montargis...
Mais à côté de ces itinéraires se dessinent également d’autres tracés, a priori moins
directs, qui mettent en relation deux villes, mais sans passer par les centres
d’habitat situés sur le trajet. C’est le cas pour un itinéraire reliant Fontainebleau à
132
Montargis qui évite Nemours, également un itinéraire reliant Châlons-sur-Marne à
Tonnerre, qui évite la ville de Troyes en la contournant par l’ouest, un itinéraire
reliant Melun à Nemours, qui évite Fontainebleau, ou encore un itinéraire reliant
Melun à Montargis qui contourne Fontainebleau et Nemours par l’est, enfin
l’itinéraire menant de Châtillon-Coligny à Tonnerre qui contourne Auxerre par le
nord. Cet itinéraire relie d’ailleurs peut-être directement Orléans à Dijon, qui sont les
deux villes dans le prolongement de ce tracé, sans passer par Auxerre.
E. Vion avait constaté ces phénomènes d’évitement pour établir des relations
directes entre villes sur la Bourgogne (VION 1989, p.83). On retrouverait donc ici le
même processus sur notre région d’étude.
Ces réseaux permettent déjà de supposer qu’il existe des itinéraires de grand transit
dont la logique commerciale est différente de celle visant à relier entre eux les
centres régionaux.
3.3.3. Les réseaux supra-régionaux (fig. 11 )
La carte des réseaux supra-régionaux est obtenue par une dernière sélection, celle
des carrefours à dix branches et plus. Pour notre secteur, Fontainebleau et Provins
disparaissent. Toutefois, comparée au schéma des réseaux supra-régionaux
obtenus par E. Vion sur la Bourgogne (VION 1989, 83), la carte que nous obtenons
montre une densité beaucoup plus importante de tracés en raison du nombre de
carrefours encore présents, principalement au nord-ouest, entre Paris, Sens,
Montargis et Orléans.
L’extension des branches des réseaux montre que Nemours est au carrefour de
liaisons importantes : Orléans-Reims ou Soissons, Paris-Montargis, avec possibilité
133
d’extension vers Bourges ou Nevers, Troyes-Chartres en passant par Sens, ParisDijon, et Paris-Autun. Ce dernier itinéraire prolonge celui de Lyon vers Avallon mis
en évidence par E. Vion (ib.). Nous serions donc là en présence d’une ancienne
liaison Paris-Lyon. En effet, la comparaison de ce tracé avec celui de l’itinéraire
actuel, montre qu’il est aujourd’hui désuet, alternant les types de voies et
l’importance des itinéraires, conjuguant routes
départementales
et routes
nationales.
Ce type de schéma permet donc de replacer les réseaux dans un contexte plus
général de communication. Le segment qui relie Montereau-Faut-Yonne à Nemours
peut ainsi prendre place dans un réseau plus vaste, de Nemours à Provins dans un
cadre régional, et de Reims à Orléans dans un cadre supra-régional. Il acquiert de
ce fait une importance particulière dans notre fenêtre d’étude.
Comme le soulignait E. Vion lui-même (id.,84), cette forme d’analyse morphologique
des réseaux routiers, fondée sur le tri numérique est certes beaucoup plus
grossière, et comme nous l’avons démontré, incomplète. Les limites de cette
méthode apparaissent très nettement ici puisque, nous l’avons vu, la voie romaine
de Sens à Orléans n’aurait pas dû figurer sur le relevé alors que son évidence
paraît très forte dès que l’on pratique une analyse morphologique à l’échelle du
1/25000ème. Pour que l’analyse des réseaux puisse ainsi être employée pour
l’époque antique, il faut donc travailler à d’autres échelles et sur une base
cartographique compilée, associant limites actives et limites fossiles. Il est évident
que la procédure des tris numériques de carrefours met en avant une structuration
du réseau étroitement dépendante de la carte de l’habitat à la fin du Moyen-Âge et à
l’époque moderne. Cependant certains itinéraires et certains pôles peuvent avoir
des permanences de longue durée et ressortir à une organisation antérieure. Des
pôles gaulois ont pu existé à l’emplacement de sites villageois médiévaux et
134
actuels. On ne peut donc affirmer que cette structuration est d’origine médiévale.
Cette procédure permet cependant, par un point de vue différent, de mettre en
évidence des couloirs de circulation et certains itinéraires aujourd’hui désuets.
Ce travail à un autre niveau que celui des réseaux locaux et régionaux et la
synthèse des deux types d’analyse morphologique peuvent apporter des éclairages
différents pour la compréhension des réseaux. C’est ainsi que, par la méthode des
tris numériques, nous avons pu montrer que le couloir de circulation entre Nemours
et Montereau-Faut-Yonne était un segment d’itinéraire de grand transit. Mais
l’analyse plus fine des réseaux locaux et régionaux à partir des cartes au
1 /25000ème permet, elle, de montrer que les itinéraires sont souvent la résultante de
plusieurs faisceaux de chemins antérieurs.
Les travaux d’Éric Vion l’ont amené à émettre plusieurs propositions relatives à la
constitution des réseaux routiers : d’une part, les grandes routes ne peuvent être
des créations récentes puisque les villages ont eu tendance à les capturer, donc
nécessairement à une période postérieure et d’autre part, c’est le passage de
l’habitat dispersé à l’habitat groupé, entre le Vème et le IXème siècle, et donc la
formation des villages, qui a impliqué dans le même temps la mise en place des
réseaux locaux ; si les grands chemins de communication étaient contemporains
des villages, ils seraient en connexion avec ces villages, répondant au même souci
de relations des habitats entre eux que les réseaux locaux. Mais ce type de
raisonnement oublie que les époques gauloises et romaines ont également connu
l’habitat groupé. L’image traditionnelle de ce passage de l’habitat dispersé à
l’habitat groupé au Moyen-Age est totalement remise en question par les travaux
récents. Les exemples de la vallée du Rhône (FAVORY et al 1998), de la vallée de
l’Aisne (PION 1990) ou encore de Levroux (CHOUQUER 1996b, 210) montrent que
l’habitat groupé n’a pas attendu le Moyen-Age pour exister et d’autre part que, pour
135
certains, des villes et villages médiévaux se sont établis à l’emplacement de ces
habitats groupés antiques. D’autre part, les grands chemins de communication et
les réseaux locaux correspondent à deux réalités qui ont pu coexister dès l’époque
antique. Il ne s’agit pas de tomber dans l’excès inverse en affirmant que toutes les
voies sont d’origine romaine ou gauloise, mais plutôt de considérer qu’il existe une
certaine permanence des couloirs de circulation et que, d’une part « les Romains ne
sont pas (...) arrivés, machette à la main, dans une forêt vierge » (VION 1989, p.89)
et que, d’autre part, certains de ces chemins ont pu connaître une certaine
pérennité jusqu’à l’époque actuelle parfois. On peut toutefois se demander pourquoi
les villages ne se sont pas implantés directement sur les axes des grands chemins.
Ces chemins ne pouvaient être déjà désuets puisque les villages s’y raccordent par
des bretelles. Peut-être le chemin était-il considéré comme une nuisance pour les
habitants des agglomérations qui préféraient donc s’établir à l’écart. Mais il faut
certainement se garder d’une interprétation fondée sur une préoccupation
environnementale très actuelle, et considérer plutôt qu’il s’agit d’une logique
différente, à l’image de celle que nous montrent aujourd’hui
l’autoroute et la route
départementale. Les villages se sont sans doute rapprochés des grands axes à
mesure que l’intérêt économique et social s’affirmait, et les ont alors capturés peu à
peu92.
En regard de ces propositions et de ces données issues de l’analyse morphologique
des réseaux routiers sur notre secteur, nous allons tenter de proposer, pour certains
tracés, une lecture dynamique pour en comprendre l’évolution.
92
On assiste actuellement au phénomène inverse où l’on voit les villages s’entourer de bretelles
d’évitement, leur permettant d’échapper à la nuisance routière (bruits, pollution, accidents…).
136
3.4.
Lecture dynamique
Pour certains itinéraires, le croisement des informations issues de l’analyse
morphologique, des textes, des données archéologiques et des plans anciens peut
permettre de proposer une lecture dynamique de leur tracé, de proposer des
hypothèses quant à l’histoire de ces tracés et leur évolution.
Nous allons donc reprendre les trois itinéraires dont l’étude morphologique a mis en
évidence qu’ils étaient les axes majeurs du réseau routier dans notre secteur93,
c’est-à-dire les liaisons Montereau-Faut-Yonne  Nemours, Moret-sur-Loing
 Sens, et Montereau-Faut-Yonne  Paley, que nous traiterons en même temps
que la liaison Montereau-Faut-Yonne  Lorrez-Le-Bocage.
3.4.1. L’itinéraire Montereau-Faut-Yonne  Nemours (fig. 12)
Nous avons vu que les chemins n°1, 2 et 3 (fig. 5) mettaient en relation Nemours et
Montereau-Faut-Yonne. L’analyse morphologique par tri numérique a montré qu’il
s’agissait de l’ancien itinéraire Reims  Nemours, et peut-être Orléans, aujourd’hui
désuet. L’existence de ces trois faisceaux indique la présence de plusieurs
itinéraires dont on peut tenter de faire une lecture chronologique. La carte des
itinéraires sur notre secteur d’étude montre que ces derniers laissaient initialement
à l’écart les villages de Villemer et Ville-Saint-Jacques (fig. 6, schéma 1). En se
93
Aucune grande voie antique ne passe dans notre fenêtre cartographique, la grande voie Sens–
Orléans se trouve juste au sud de ce secteur. Nous en reparlerons à propos des relations entre
système viaire et système parcellaire.
137
développant le village de Villemer a donné naissance à des bretelles permettant de
faire la liaison avec d’une part les chemins n°1 et 2 au nord, avec le chemin n°3 au
sud d’autre part. Dans le même temps sans doute, Ville-Saint-Jacques développe
également deux bretelles permettant de le relier aux chemins n°1 et 1’ ici confondus
(fig. 6, schéma 2). Puis Villemer capture les chemins par ces bretelles, et la partie
des chemins située entre ces bretelles nord d’une part, sud d’autre part, tombe en
désuétude (fig. 6, schéma 3). Le même phénomène se produit à Ville-SaintJacques. Deux itinéraires entre Nemours et Montereau-Faut-Yonne sont toujours
possibles : le premier par le nord, obliquant vers Villemer, pour repartir ensuite vers
Villecerf et Ville-Saint-Jacques, le second par le sud, s’incurvant légèrement pour
atteindre Villemer et se dirigeant ensuite vers Montereau-Faut-Yonne par Dormelles
mais cette fois sans passer par Ville-Saint-Jacques. Dans un dernier temps (fig. 6,
schéma 4) un seul itinéraire demeure et qui est la résultante des autres : le chemin
n°3 est conservé de Nemours à Villemer puis est pro longé par le segment issu des
chemins n°1 et 2 dont le tracé passe par Villecerf et Ville-Saint-Jacques, tandis que
le chemin n°3 par Dormelles tombe en désuétude.
La capture des réseaux n°1 et 2 par Villemer et Vil le-Saint-Jacques signifie que ces
chemins sont probablement antérieurs aux villages. Les premières mentions que
nous possédons de ces derniers sont du XIIème siècle (STEIN et HUBERT, 1954,
572). On peut donc penser que ces chemins sont antérieurs au XIIème siècle. Le
réseau n°3, capturé lui-aussi par Villemer, est don c également antérieur au XIIème
siècle. Mais un problème se pose quant à la signification des axes n°1 et 2, partant
tous les deux de Nemours, qui suivent ensuite des tracés parallèles à environ un
kilomètre d’écart, pour se retrouver à l’ouest du Coudray et se fondre ensuite dans
le même tracé. Ce doublet correspond-il à deux chemins concurrents ? Mais il n’y a
pas de villages sur ces tracés, seuls un moulin pour le tracé n°1 et un hameau pour
le tracé n°2 sont présents sur leur tracé à la trav ersée du Lunain.
138
L’absence de pôle qui aurait pu justifier le développement d’un axe au détriment de
l’autre, et la proximité des tracés est étrange. Le fief de Pleignes aurait pu être un
pôle d’attraction de l’axe n°1, mais un chemin diff érent le relie directement à
Nemours d’une part, et d’autre part les tracés n°1 et 2 sont en liaison avec lui par
des chemins mais sans être réellement attirés ou capturés. La desserte locale, celle
des fermes, ne semble pas non plus de nature à justifier ni la suprématie de l’un ou
l’autre des tracés, ni son éventuelle création. La ferme de Basse-Pleignes est située
un peu à l’écart du chemin n°1, celle de Cherelle u n peu à l’écart du chemin n°2,
montrant donc plutôt une implantation postérieure à l’existence des axes.
L’analyse morphologique n’apporte que peu d’éclaircissements. L’axe n°1 montre
un tracé qui s’infléchit pour se diriger vers Nemours. Nous pourrions donc être là en
présence d’un phénomène de capture : Nemours se serait établie à l’écart du
chemin et aurait développé une bretelle pour se relier à ce chemin préexistant
venant de Montereau-Faut-Yonne. Comme à Villemer, la bretelle reliant Nemours
au chemin serait devenue l’itinéraire principal et le tronçon de l’ancien tracé,
passant au nord de Nemours, tombé en désuétude, aurait disparu (fig. 6, schéma
2). Le chemin dans ce cas serait antérieur au développement de Nemours, et le
chemin n°2 serait issu des réseaux locaux du hameau du Landy, de la ferme de
Cherelle et de Nemours. Nous serions donc en présence d’un déplacement du
tracé, le tracé du chemin n°2, plus direct, devenan t peu à peu l’axe principal.
Une autre hypothèse est envisageable : le tracé n°2 pourrait être antérieur au tracé
n°1. Dans ce cas, Nemours ou bien se serait établie directement sur le chemin
préexistant, ou serait à l’origine de son apparition, le développement de la ville
entraînant le développement d’un réseau régional vers Montereau-Faut-Yonne, voir
supra-régional. L’hypothèse de l’antériorité du chemin n°2 signifierait alors que le
tracé n°1 ne serait que le prolongement d’un faisce au issu des réseaux locaux
139
mettant en relation Nemours, Basse-Pleignes, et le moulin de la Coutière.
Cependant la photographie aérienne présente des traces fossiles qui montrent que
Basse-Pleignes était reliée au chemin n°2 par un tr acé qui continuait vers la
Genevraye. L’orientation de la ferme de Basse-Pleignes est d’ailleurs alignée sur ce
tracé oblique et non sur celle du chemin n°1 ou 2. Ce n’était donc pas le chemin n°1
qui était le plus important. Un autre phénomène, assez curieux, se produit au
hameau du Coudray, là où les deux chemins se rejoignent. En effet, à cet endroit, le
chemin n°1 s’infléchit pour contourner le hameau et retrouver en même temps le
chemin n°2. S’agit-il du tracé originel ou bien a-t -il été capturé par le Coudray,
entraînant la désuétude du tronçon primitif qui serait donc passé au nord du
hameau ? Dans ce cas, le point de rencontre des chemins n°1 et 2 se situerait plus
à l’est, peut-être à Rebours.
Si les deux hypothèses sont envisageables, la première nous paraît toutefois plus
convaincante dans la mesure où elle correspond au schéma-type d’évolution d’un
itinéraire montré par E. Vion (VION 1989), c’est-à-dire capture du chemin n°1 par le
bourg, apparition d’un tracé n°2 issu du réseau loc al qui double puis déclasse peu à
peu le chemin n°1.
Mais il reste à expliquer la présence du tracé n°3, parallèle aux deux précédents
jusqu'à Villemer, dans l’histoire de cette liaison.
Nous avons soulevé l’hypothèse, dans l’étude morphologique de ce tracé, de son
rattachement possible au tracé n°10 (fig. 5). Ce de rnier, entre le sud de ThouryFerottes et Dormelles suit un itinéraire à l’écart des habitats, et présente lui aussi un
doublet constitué par le tracé n°11 qui, lui, desse rt tous les villages. Le tracé n°10
serait donc le tracé initial, concurrencé peu à peu par le tracé n°11 issu des réseaux
locaux des différents villages. Dormelles et Thoury, dont on sait qu’ils existaient
140
respectivement aux VIIème et XIème siècles94,sont implantés bien à l’écart du chemin
n°10. Mais pour les raisons énoncées plus haut on n e peut affirmer que ce dernier
leur est antérieur. Dans un premier temps, les villages sont établis à l’écart du
chemin. Le réseau local se développe reliant d’une part les villages au chemin n°10
par des bretelles, et d’autre part les villages entre eux, donnant naissance au tracé
n°11 qui devient le tracé majeur au détriment du tr acé n°10. Entre Moret et Flagy,
c’est sans doute le tracé n°11 qu’ont emprunté les envoyés royaux pour la Prisée de
1332 (FOURQUIN, 1963, 29). Ce qui signifierait qu’il existait déjà à cette date, au
moins entre Moret et Flagy. Montarlot, mentionné comme Dormelles dès le VIIème
siècle (STEIN et HUBERT, 1954, 373), est établi à l’écart du chemin que les plans
d’Intendance du XVIIIème siècle signalent toujours comme « chemin de Moret à
Chéroy »95. Le chemin n°10 pourrait être antérieur au village et donc au VIIème
siècle. S’ils étaient contemporains ou si le chemin était postérieur, ils seraient en
effet probablement en connexion directe.
Le chemin n°3 semble trouver son prolongement dans le chemin n°10 au sud de
Dormelles. Tout se passe comme si le chemin n°10 se divisait en deux branches au
niveau de ce village, l’une se dirigeant vers Moret, l’autre vers Nemours. Dans ce
cas le chemin n°3 n’aurait à l’origine pas eu Monte reau comme destination. E. Vion
avait souligné que certains tracés pouvaient appartenir à deux itinéraires différents.
C’est peut-être le cas ici. Nous avons vu que le chemin n°18 mettait en relation
Dormelles et le gué antique de Pont-Thierry, à l’ouest de Paley96. Or ce chemin se
trouve, en se dirigeant vers le sud-ouest à partir de Dormelles, dans l’alignement du
tracé n°3. On peut donc se demander dans quelle mes ure ce segment ne ressortit
94
Dormelles est mentionné sous le nom Doromello Vico (et non Dormello comme le notent Stein et
ème
siècle dans Frédégaire, et Thoury sous le nom Tohirei dans le Liber
Hubert) au VII
ème
Sacramentorum au XI
siècle.
95
A.D.S.M., P.I., C.39, Montarlot, 1780 (fig. 27).
96
S.R.A. Île de France, commune de Paley, site 003.
141
pas davantage au tracé n°18, mettant Montereau en r elation avec ce gué
permettant le franchissement du Lunain, avant de se diriger vers Souppes-sur-Loing
au sud-ouest, et peut-être le « chemin de César », et donc au-delà Orléans. Son
tracé entre Montereau et le gué, sans traverser de village excepté Dormelles, sa
relative rectitude, nous amènerait à proposer une origine antique pour ce chemin,
bien que cet itinéraire ne soit pas mentionné sur la table de Peutinger (fig. 7) ou sur
l’itinéraire d’Antonin (fig. 8) pour relier Montereau à Orléans. Si le segment entre
Dormelles et Montereau correspond effectivement au chemin n°18, cela signifie
donc que le tracé n°3, à l’origine, n’était pas rel ié à Montereau mais à Chéroy97
dans le prolongement du tracé n°10. Mais se pose al ors un problème quant à la
logique de son tracé qui dessine une grande boucle alors qu’il serait beaucoup plus
simple et plus direct de passer par le sud, le long de la vallée du Lunain.
Si le tracé n°10 Moret-Chéroy, est bien le chemin i nitial, l’embranchement vers
Nemours pourrait être antérieur au VIIème siècle puisque le vicus de Dormelles le
capture et le raccorde au chemin de Montereau.
La compilation de l’ensemble des données permet de proposer l’hypothèse suivante
pour l’histoire du réseau Montereau-Nemours (fig.12). Les trois chemins qui
semblent donc avoir servi de base à l’ossature du réseau sont d’une part le chemin
n°1, qui de Montereau, ancien vicus de Condate de la table de Peutinger, se dirige
vers le sud-ouest, sans doute vers Orléans, d’autre part le chemin n°18, qui de
Montereau se dirige vers le gué de Pont-Thierry et Château-Landon au sud-ouest,
et enfin le chemin n°3 qui, de Nemours, conduit à D ormelles avant de se diriger vers
Esmans et se prolonger vers Cannes-Écluses.
97
Il est bien évident que Chéroy est ici considéré comme un repère géographique. Le village
s’implantant sans doute plus tard, donne postérieurement son nom à l’itinéraire n°10, comme on le
voit sur les plans d’Intendance.
142
Ces chemins ne traversent en effet aucun village à l’exception de Dormelles pour
les chemins n°3 et 18. De plus, la capture des chem ins n°1 par Villemer et VilleSaint-Jacques, et n°3 par Villemer suggère que ces tracés sont antérieurs à ces
noyaux villageois dont les premières mentions connues se rapportent au XIIème
siècle. Dormelles en revanche s’inscrit au carrefour des chemins n°1, 3, 10 et 18 et
à la traversée de l’Orvanne. On peut penser que les voies ont attiré l’implantation de
ce village, mentionné dès le VIIème siècle, qui se serait donc établi sur ce point de
passage privilégié (fig. 12, schéma 1).
Deux itinéraires semblent donc possibles à l’origine pour relier Montereau à
Nemours : directement par le chemin n°1 (ou 2), ou bien par un tracé appartenant à
deux parcours différents : les chemins n°3 de Nemou rs à Dormelles, et n°18 de
Dormelles à Montereau (fig. 12, schéma 1).
Le développement des villages médiévaux entraîne une modification des tracés. On
peut penser que le segment du chemin n°18 entre Dor melles et Pont-Thierry tombe
en désuétude dans la mesure où situé réellement à l’écart des habitats, il n’est
capturé a posteriori par aucun des villages et n’attire pas d’implantation, supplanté
par le chemin n°20, les villages de Nanteau, Paley et Lorrez polarisant désormais
les tracés (fig. 12, schéma 2). Les villages de Villemer et Ville-Saint-Jacques
développent des bretelles qui dans un premier temps les raccordent au chemin n°1
et deviennent dans un second temps l’itinéraire principal.
Le chemin n°3 est également capturé par Villemer. M ais le segment au nord-est de
Dormelles vers Cannes Écluses tombe sans doute lui aussi en désuétude, la liaison
vers Montereau par le chemin n°18 présentant désorm ais davantage d’intérêt.
Dans un dernier temps le développement de Villecerf, au carrefour des axes MoretLorrez et Nemours-Montereau, et de Ville-Saint-Jacques (fig. 12, schéma 3) a dû
s’effectuer au détriment de Dormelles, ce qui peut expliquer que le tracé n°1 se soit
définitivement fixé sur ces deux villages, laissant Dormelles à l’écart de la liaison
143
Nemours – Montereau. Entre Nemours et Villemer, le village de Darvault a fixé le
tracé n°3 comme chemin principal. Le tracé définiti f serait donc la résultante de
l’évolution des chemins n°1 (ou 2) Montereau – Orlé ans, n°3 Cannes Écluses –
Orléans, et n°18 Montereau – Pont-Thierry – Château -Landon.
3.4.2. Le faisceau Moret-sur-Loing – Sens (fig. 13)
L’analyse morphologique a mis en évidence que les tracés n°8 et 9 étaient des
segments d’un itinéraire Moret-Lorrez-Sens. Le chemin n°9 étant un doublet du
tracé n°8 plus ancien, ce dernier ne desservant auc un village, excepté le hameau
de Boisroux. On peut supposer que le développement de Villecerf a sans doute
donné naissance au tracé n°9, reliant Moret, Villec erf, les hameaux du Pimard et de
Boisroux, puis Lorrez. Les deux tracés ont pu coexister, la fondation du prieuré
Grandmontain à Train entraînant sans doute la conservation du tracé n°8.
Cependant il est vraisemblable que l’itinéraire n°9 l’a supplanté dans le cadre du
réseau régional, le tracé n°8 demeurant, mais décla ssé, au titre des réseaux locaux
de Moret, du prieuré, et de Boisroux.
La position du village de Villemaréchal est cependant étonnante, demeurant en effet
à l’écart de cet itinéraire auquel il est certes relié, mais qu’il ne capture pas
réellement. L’explication de ce phénomène se trouve peut-être dans la présence
d’un autre tracé, mettant en relation Moret et Lorrez, mais cette fois par Villemer. Ce
tracé est issu de deux itinéraires différents : Moret-Nanteau d’une part (fig. 13, n°12)
144
jusqu'à Villemer, puis Épisy-Lorrez d’autre part (fig. 13, n°23). Villemaréchal se
serait établi sur ce chemin qui le mettait en relation avec Villemer, et de là avec
Écuelles et Moret mais aussi Villecerf et Épisy. Nous avons vu que les deux
chemins n°12 et 23 semblaient être antérieurs au XI Ième siècle. Si Villemaréchal
s’implante sur ce chemin plutôt que sur le chemin n°8, cela peut indiquer d’une part
qu’il est en usage au XIIème siècle et d’autre part qu’il présente plus d’intérêt que le
chemin n°8. Mais en 1332, les envoyés royaux ne son t pas passés par Villemer
pour rejoindre Moret depuis Lorrez, ce qui peut sous-entendre que le chemin
principal au XIVème siècle ne suivait pas les tracés n°12 et 23.
L’évolution de cet itinéraire pourrait donc être la suivante : avant l’implantation des
villages médiévaux, un chemin venant de Sens se dirigeait vers le nord-ouest, sans
doute vers Melun (fig. 13, schéma 1). Les villages de Villemer et Villemaréchal
s’établissent sur ou à proximité du chemin n°23, Vi llemer capture le chemin n°12,
l’intégrant à son réseau local, et créant donc un autre itinéraire vers Moret, tandis
que le prieuré Grandmontain de Train s’installe à proximité du chemin n°8 entre
1140 et 1163 (QUESVERS et STEIN, 1894, p.104) (fig. 13, schéma 2). Le
développement du village de Villecerf entraîne le déplacement du tracé n°8 qui va
désormais passer vers ce village qui devient semble-t-il un pôle d’attraction plus
important que Villemer puisque l’itinéraire de Moret à Lorrez se fixe définitivement
sur le tracé n°9 (fig. 13, schéma 3).
Un autre itinéraire peut permettre de relier Moret à Sens par le chemin n°10. Ce
tracé suit la rive de l’Orvanne à environ un kilomètre où il franchit la rivière à
Dormelles, et se dirige vers Chéroy en suivant toujours l’Orvanne à une distance
d’environ 500 mètres jusqu’à Voulx, puis mène à Chéroy (fig. 5). Sur les plans
d’Intendance, Sens n’est pas mentionné comme but d’itinéraire. Toutefois, menant
jusqu’à Chéroy, il permet de rejoindre la voie romaine à Montacher ou Saint
Valérien et, de là, de rejoindre Sens à moins de 20 kilomètres à l’est.
145
A l’exception de Dormelles, ce chemin ne traverse aucun village et possède lui
aussi un doublet constitué par le chemin n°11, qui lui, dessert tous les villages.
Le tracé n°10 pourrait donc être le plus ancien. Le s villages se seraient établis à
l’écart de cette voie (environ 500 m). Des réseaux locaux issus de ces villages se
sont développés, reliant d’une part les villages au chemin n°10, et d’autre part les
villages entre eux, donnant naissance au parcours n°11, qui est sans doute devenu
peu à peu le tracé majeur au détriment du tracé n°1 0.
On aurait ainsi deux itinéraires possibles pour relier Montereau à Sens : l’un par
Lorrez-Le-Bocage, l’autre par Chéroy. Ont-ils été utilisés simultanément ? Un de
ces itinéraires était-il susceptible d’être impraticable selon les conditions
météorologiques ? L’état actuel de nos connaissances ne nous permet pas de le
déterminer assurément.
3.4.3. Les faisceaux Montereau-Paley et Montereau - Lorrez (fig.14)
Comme nous allons le montrer, l’évolution de ces itinéraires ne permet pas de les
envisager de façon séparée.
Nous avons vu que le chemin n°18 de Montereau à Pon t-Thierry, à proximité de
Paley, était sans doute un chemin antique dont il fallait chercher les prolongements
vers Provins d’une part, Souppes, Château-Landon et peut-être Orléans d’autre
part.
Le développement de Paley, dont l’occupation du site est attestée à l’époque
146
mérovingienne98, et de Dormelles a sans doute entraîné le déplacement du tracé
n°18, mettant cette fois les deux villages en conne xion par le chemin n°20 (fig. 14).
Un autre itinéraire s’est développé (fig.14, n°21) sans que l’on puisse avancer
d’hypothèse chronologique par rapport au tracé n°18 et 19. Mais l’implantation de
Thoury, village mentionné au XIème siècle, ne peut qu’avoir accentué son
exploitation, si le chemin existait au préalable, et les deux itinéraires par Dormelles
d’une part, Thoury d’autre part, ont donc tout à fait pu coexister. Le développement
du hameau voisin de Thoury, Ferottes, amène une modification du tracé n°21 qui se
déplace pour relier Montereau à Paley, mais cette fois par Ferottes (fig. 14, n°22) et
le chemin n°21 est sans doute déclassé, Thoury perd ant son importance par rapport
à Ferottes.
Le XIIème siècle va certainement voir une modification des itinéraires qu’’il est peutêtre possible, mais avec prudence, de mettre en rapport avec la volonté de Louis VII
d’affermir la présence capétienne dans cette région99. Certains villages vont être en
effet créés ou développés dans cette optique politique et économique.
Pour assurer l’essor de ces villages, Louis VII accorde des avantages aux
habitants. C’est ainsi que Lorrez-Le-Bocage, Flagy, Voulx et Ferottes vont
bénéficier de l’octroi des coutumes de Lorris (PROU, 1884, 73 ; 75 ; 77 ; 86) qui
favoriseront au moins pour un temps leur développement. Mais il est probable que
cet essor se fera au détriment d’autres villages. Paley perd ainsi sans doute de
l’importance au profit de Lorrez qui capte tous les itinéraires. Le roi de France est
98
S.R.A. Ile de France, commune de Paley, nécropole du Haut Moyen-Age, lieu-dit les Dadées.
Si le rôle de la royauté a certainement été déterminant dans le développement local et dans
l’affirmation de polarités (nouvelles ou non), les documents tels que la Prisée de 1332 ou les comptes
royaux sont focalisés sur le domaine royal et il faut sans doute tenir compte de ce que ne disent pas
ces documents par rapport à la présence de domaines autres que ceux du roi de France, qui ont pu
ont pu jouer un rôle dans la réorganisation des itinéraires.
99
147
associé à la possession de Lorrez-Le-Bocage depuis 1169 (LUCHAIRE 1885,
N°570) et la localité devient le siège d’une prévôt é du domaine royal entre cette
date et le début du XVIIIème siècle (LOT et FAWTIER 1932). Les chemins principaux
mettent désormais en relation Montereau et Lorrez par Flagy (fig. 14, n°15),
Ferottes (fig. 14, n°22), ou par Voulx (fig. 14, n° 19). En revanche, il n’existe pas
d’itinéraire Montereau-Lorrez par Dormelles, et même le réseau local ne fait
apparaître aucun chemin direct entre ces deux villages, comme si Dormelles ne
présentait plus qu’un intérêt mineur, supplanté par Flagy et Villecerf. L’itinéraire
principal s’est finalement fixé sur le tracé passant par Voulx, le chemin VoulxMontereau correspondant à un segment du réseau supra-régional Auxerre-MelunParis mis en évidence précédemment (fig.17).
3.5.
Conclusion
Le Moyen-Age est marqué par le développement des villages et celui des réseaux
locaux qui en sont issus, mais aussi par un phénomène de modification ou de
renforcement des axes du réseau régional lié à l’évolution des centres d’intérêt,
économiques et politiques. C’est ainsi que le développement des foires de
Champagne au XIIème siècle a sans doute entraîné un renforcement des itinéraires
Orléans-Nemours-Montereau,
et
Montargis-Lorrez-Montereau,
tous
deux
se
dirigeant vers Provins et mettant en relation le bassin de la Loire et celui de la
Seine. Le passage de ces itinéraires a sans doute bénéficié aux villages situés sur
leurs tracés comme Villemer, Villecerf et Ville-Saint-Jacques d’une part, Lorrez-LeBocage, Voulx et Flagy d’autre part.
148
La présence du comté de Champagne tout proche a donné un rôle particulier de
zone frontière au secteur nord-est. Il était nécessaire pour les rois de France Louis
VI, Louis VII, et Philippe Auguste d’affirmer leur présence et donc leur pouvoir sur
cette zone frontalière. L’octroi de coutumes de Lorris à certains villages va favoriser
leur développement et la mise en valeur des terres répondant à une nécessité
politique et économique : Flagy, Voulx et Lorrez, à qui l’on accorde ces coutumes
attirent ou s’établissent sur certains grands itinéraires, sans doute au détriment
d’autres villages comme Paley, Villemaréchal ou Dormelles.
Enfin, parallèlement au réseau routier, les voies d’eau ont joué un rôle important. Le
Loing offrait un passage privilégié entre la Loire et la Seine (CHAPELOT 1993,
p.198) et a servi au transport de marchandises notamment du vin (FOURQUIN,
1964, carte III hors texte). La présence des voies d’eau a sans aucun doute
contribué à asseoir l’importance de Nemours sur le Loing, de Moret à la confluence
du Loing et de la Seine et de Montereau à la confluence de la Seine et de l’Yonne,
contrôlant et profitant de ces couloirs de circulation.
L’étude morphologique conduit à l’affirmation de quelques points essentiels.
On constate d’une part une structuration de l’espace par un réseau de grands axes
vraisemblablement très anciens tels que les itinéraires Orléans-Sens, OrléansReims, Melun-Sens, Melun-Auxerre, et à un niveau plus local Montereau- Orléans,
Montereau-Sens et Moret-Sens. Ces itinéraires vont connaître une pérennité
certaine, continuant à fonctionner, pour certains, jusqu’à notre époque.
La mobilité des tracés est le deuxième élément essentiel mis en évidence. Cette
mobilité se traduit par des déplacements, des dédoublements, des abandons, des
reprises des tracés. Cette mobilité devra être prise en compte lors de l’analyse des
formes parcellaires.
Le troisième élément enfin, qui rejoint le précédent, est la fixation sans doute tardive
149
du réseau viaire tel qu’il apparaît actuellement, d’une part en fonction de la mobilité
de certains pôles socio-économiques, mais aussi, d’autre part, en raison des
modifications des tracés eux-mêmes, de leur mobilité spatiale.
L’étude du réseau routier a montré que la morphologie de ce réseau présentait une
dynamique certaine et pouvait être en elle-même une source d’information
historique. L’étude de ce réseau n’est cependant pas ici une fin en soi, mais elle
s’inscrit dans notre analyse comme un des éléments d’organisation des formes
paysagères. Il sera donc nécessaire d’analyser les relations entretenues par la
trame viaire et la trame parcellaire, d’articuler les différents éléments organisant les
formes paysagères, afin d’appréhender l’évolution dynamique de l’occupation du sol
dans cette région.
150
4. Les formes parcellaires et d’habitat
4.1.
Les grandes formes
Ce travail cherche à mettre en évidence la présence éventuelle de grandes formes
d’organisation. Il est fondé sur la recherche d’une cohérence morphologique mais
sans préjuger du rattachement de cette structuration à une strate historique
particulière, ou à une planification volontaire.
La recherche des alignements remarquables et du parcellaire isocline à ces
alignements à permis de mettre en évidence trois grands réseaux différents que
nous appellerons respectivement rouge, vert et jaune, dénominations correspondant
à la couleur utilisée pour souligner et différencier leurs linéaments sur la carte (fig.
46).
4.1.1. Le réseau rouge (fig. 46)
4.1.1.1.
Morphologie générale
Ce grand système quadrillé présente une extension importante puisqu’il est présent
sur l’ensemble de la zone concernée par notre étude, avec une densité de
linéaments plus ou moins forte selon les secteurs.
151
Très fortement structurant à l’ouest du Lunain, il conditionne une grande partie des
axes du village et du terroir de Bourron-Marlotte au nord du Loing, et plus
généralement l’ensemble du parcellaire situé entre le Loing au nord-est et le Bois de
Darvault. Sa présence est également remarquable autour de Villemer. Certains de
ces axes correspondent à des segments de limites communales comme c’est le cas
entre La Genevraye et Nonville, Darvault et Nonville, Darvault et MontcourtFromonville, Montcourt Fromonville et La Genevraye jusqu’au XVIIIème siècle, la
limite ayant ensuite été modifiée1.
Le réseau n’est pas rigoureusement géométrique: les axes montrent une certaine
souplesse d’orientation qui oscille entre NL 25° et 40° W, et on ne constate pas de
réelle régularité de mesure. La distance entre les axes n’est pas toujours identique.
L’organisation est marquée par de grands tracés linéaires sud-ouest - nord-est. Les
axes perpendiculaires sont en revanche plus fragmentés, à l’exception d’un seul qui
se prolonge sur environ 15 km jusqu’à Lorrez-Le-Bocage au sud-est. Mais au sudest, c’est un des rares linéaments de ce réseau, dont la présence est beaucoup
moins forte dans ce secteur sud-est.
4.1.1.2.
Interprétation
La première question suscitée par ce réseau, orienté entre NL 23° et 38° W, est de
tenter de déterminer s’il s’agit de plusieurs trames différentes ou d’un système
unique.
Il faut rappeler la proposition de G. Chouquer et J. Patin (CHOUQUER et PATIN
1991) de reconnaître sur ce secteur géographique une cadastration antique dite de
Sens C, orientée à NL 23°30’ W et interprétée comme
1
une centuriation
A.D.S.M., P.I., C40, La Genevraye, 1782 (fig. 24) et C40 Montcourt, 1786 (fig. 28).
152
orthonormée.
Il faudrait donc voir dans le réseau rouge l’imbrication de plusieurs trames : d’une
part celle correspondant au réseau centurié de Sens C, et d’autre part des trames
différentes dont l’étude permet de distinguer trois orientations majeures à NL 29° W,
NL 33° W et NL 38° W.
L’étude de G. Chouquer et J. Patin mettait en évidence les caractéristiques de ce
réseau de Sens C : orientation à NL 23°30’ W, modul e de 709 m, vestiges
relativement importants surtout dans la région de Dollot, Chéroy, Chevry-enSereine, Nemours, Darvault et Bourron-Marlotte. Dans cette dernière commune, le
découpage parcellaire figuré sur le cadastre napoléonien2 montrait une conservation
de la forme centuriée et des mesures antiques avec des parcelles à la mesure de
l’actus quadratus, du jugerium (deux actus), ou encore de l’heredium (deux jugera)
ainsi que des unités intermédiaires (fig. 4) (PATIN 1984, 116-117). La présence
d’une villa du Bas Empire au lieu-dit « La Fontaine au Lard » à proximité3 venait
renforcer cette hypothèse d’une possible centuriation.
Dans le cadre de notre DEA, nous avions abordé brièvement cette question à
propos d’un autre réseau. L’étude rapide de cette centuriation de Sens C montrait
une densité peu importante de tracés pouvant lui être rapportés dans la région
située entre Sens et Chéroy. L’interprétation du réseau rouge impose de reprendre
cette hypothèse d’une centuriation et tenter de progresser sur cette question.
Nous avons donc adapté une grille de centuriation classique à maille carrée de 20
actus avec un module de 709 m sur la carte au 1/25000ème, et relevé les traces
isoclines, actives et fossiles, pour tenter de mettre en évidence les linéaments
pouvant ressortir à un carroyage de limites.
Le relevé ainsi obtenu (fig. 47) montre effectivement une densité relativement forte
2
3
Section C, 1825.
S.R.A. Île de France, n°294.
153
de traits pouvant relever de la limitation théorique de Sens C autour de BourronMarlotte, Montigny, Darvault, Nonville, La Genevraye, c’est-à-dire dans la partie
occidentale de notre zone d’étude.
En revanche dans la partie orientale, à l’est de Villemer, sa présence devient très
marginale, n’apparaissant que de façon sporadique, à l’exception d’un axe plus
important traversant Ville-Saint-Jacques et correspondant à la route Nemours –
Montereau. Cependant ayant procédé au même relevé pour les autres orientations
ouest présentes, celle à 29°, 33° et 39°, nous avon s pu constater que la densité de
traits pour chaque orientation était en moyenne équivalente à ceux relevés pour
Sens C et qu’il était également possible pour chacune de ces orientations de trouver
des équidistances pouvant être rapportées à une métrologie d’origine antique (fig.
49).
G. Chouquer, reprenant les réflexions de Max Guy, a proposé de calculer le
pourcentage de limites conservées par rapport au total théorique de la grille.
(CHOUQUER 1996d, p. 29-31). Le calcul effectué sur notre zone (Sens C) donne
les résultats suivants :
Orientation à NL 23°30’ W : axes est-ouest : 3,5%
axes nord-sud : 3,5%
moyenne : 3,5 %.
L’orientation à NL 33° W : axes est-ouest : 2,5%,
axes nord-sud : 1,5%
moyenne : 2%
L’orientation à NL 38°W : axes est-ouest 2,5%,
axes nord-sud : 3,3%,
moyenne : 2,9 %
Comme le souligne G. Chouquer, les résultats obtenus ne constituent pas une
preuve dans la mesure où tous les limites ne sont pas nécessairement pérennisés,
154
et même n’ont peut-être pas tous été réalisés (id., 31).
Cependant ce calcul permet de voir que les moyennes obtenues ne mettent pas en
évidence une prégnance réellement plus forte de la possible centuriation par rapport
aux autres orientations.
Orientée selon Sens C, la forme parcellaire relevée par J. Patin sur le cadastre
napoléonien de Bourron Marlotte montre en revanche des coïncidences
métrologiques remarquables avec les mesures agraires romaines (PATIN 1984)
(fig. 50). Mais il faut peut-être reconsidérer cette forme sous un éclairage différent
apporté par l’évolution des recherches4 qui souligne d’une part la nécessité de faire
preuve de prudence dans l’étude et l’interprétation des cadastres antiques : toutes
les formes quadrillées ne relevant pas de la centuriation et la métrologie ne
constituant pas à elle seule une preuve de leur existence (FAVORY 1983 ; 1987 ;
FICHES 1993 ; 1996 ; CHOUQUER 1996 ; DELEZIR et GUY 1993 ; GUY 1996), et
d’autre part l’importance de l’héritage antique par rapport à la métrologie agraire, de
la survivance de la métrologie antique et de l’éventuelle parenté entre les mesures
antiques médiévales et modernes. On peut observer que le pied est à la base de
ces mesures, et des chercheurs ont montré que le pied romain semblait être à
l’origine des pieds médiévaux dont les différentes valeurs paraissent résulter des
adaptations des différentes valeurs du pied romain (MACHABEY 1962).
Le pied du Gâtinais, en usage dans notre région, était le même que celui de Paris,
appelé également pied de Roi et était égal en 1790 à 0,3248 mètres. Il a coexisté
avec le pied des géomètres de 0,28 mètre environ jusqu’en 1531, date à laquelle la
réformation de la coutume de Lorris imposa celui de Roi parce que plus utilisé et
plus ancien (THOISON 1904, 36). La valeur de l’arpent composé de 100 perches
carrées dépend du nombre de pieds contenus dans la perche. Dans le Gâtinais,
4
supra, chapitre I.
155
trois arpents différents sont connus pour la fin du Moyen-Age : l’arpent de Paris de
100 perches carrées de 18 pieds de côté, correspondant à 34,19 ares, l’arpent
d’ordonnance ou de roi de 100 perches carrées de 22 pieds de côté correspondant
à 51,07 ares, et l’arpent commun de 100 perches carrées de 20 pieds de côté
correspondant à 43,21 ares (ibid.).
Jusqu’en 1531, il semble que l’arpent d’ordonnance ou de Roi ait été le plus
largement utilisé. E. Thoison nous en donne quelques exemples avec entre autres
Dormelles et Ville-Saint-Jacques, où des terres sont données aux Templiers en
1260 et 1265 « à la mesure de Roi » (id., 18).
C’est à partir de 1531 que l’arpent commun va devenir le plus usité après la réforme
de la coutume de Lorris. La mesure est alors unifiée dans les paroisses qui
suivaient la coutume de Lorris, ce qui est le cas de celles de notre zone d’étude,
tant dans ses dimensions que dans la nature de terrain et de culture, comme
l’indique clairement l’article XXII de cette coutume : « la mesure de l’arpent par
ladite coutume est semblable tant en terre, prés, bois, vignes qu’eaux, et contient
100 cordes, et chaque corde de 20 pieds de Roi qui est 12 pouces pour pieds, sans
préjudice de faits auparavant le jourd’hui, laquelle coutume commencera avoir lieu
dudit jourd’hui» (LHOSTE 1771, 215). C’est donc l’arpent de 42,21 ares qui au
XVIème siècle semble devenir le plus courant pour les paroisses qui suivaient la
coutume de Lorris, mais également pour d’autres qui ne la suivaient pas comme
Villiers-sous-Grez par exemple (THOISON 1904, 18).
Sur l’ensemble des communes de notre secteur d’étude, E. Thoison relève que
deux paroisses, Dormelles et Treuzy, auraient continué à utiliser l’arpent
d’ordonnance et l’arpent commun (id.[PR9], 80-83). Les plans d’Intendance dressés
entre 1778 et 17895 donnent le tableau des superficies de chaque paroisse en
5
A.D.S.M., P.I., C37 à C40.
156
mesure locale comparée à la mesure du roi. Pour la plupart des paroisses, il est
précisé que la mesure locale est de 20 pieds par perches6. Lorsque ce n’est pas
précisé ou que seule l’indication « mesure du lieu » ou « mesure locale » est
donnée7, un rapide calcul permet de voir que cette mesure est également celle à 20
pieds par perches. A la veille de la Révolution c’est donc l’arpent commun qui était
utilisé sur l’ensemble des paroisses de notre secteur. Mais avant cette relative
unification de la mesure à l’arpent commun à partir du XVIème siècle, c’est l’arpent
d’ordonnance qui était semble-t-il en usage dans la plupart des paroisses. Cet
arpent était, nous l’avons vu, composé de 100 perches carrées de 22 pieds de côté
et correspondait à une surface de 51,07 ares. Or cette surface coïncide avec un
carré de 71,46 m de côté, soit une mesure très proche de l’ heredium, le 1/100ème
de la centurie romaine, qui, lui, équivaut à un carré de 70,96 m de côté et à une
surface de 50,35 ares.
Le tableau de correspondance ci-dessous nous permet de comparer rapidement les
mesures romaines avec les mesures médiévales et modernes.
6
SURFACE
LONGUEUR PAR COTE
Arpent d’ordonnance
51,07 ares
71,46 X 71,46 mètres
Heredium
50,35 ares
70,96 X 70,96 mètres
½ arpent
25,53 ares
71,46 X 35,73 mètres
Jugère
25,18 ares
70,96 X 35,48 mètres
¼ arpent
12,76 ares
35,73 X 35,73 mètres
Actus
12,59 ares
35,48 X 35,48 mètres
C’est le cas pour les communes de Dormelles, Flagy, La Genevraye, Grez-sur-Loing, MontereauFaut-Yonne, Montigny-sur-Loing, Nonville, Thoury, Villemer, Écuelles, Villecerf, Ville-Saint-Jacques,
Voulx.
157
Ce tableau montre que le côté de l’actus mesure environ 25 cm de moins que le
côté d’un quart d’arpent. A l’échelle du cadastre napoléonien, au 1/2500ème, cela
représente donc une différence de 0,1 millimètre et 0,2 millimètres pour l’arpent et
l’heredium. Or le dessin du XIXème siècle peut difficilement revendiquer une telle
précision. Ainsi les mesures identifiées comme romaines par J. Patin pourraient tout
à fait correspondre à des mesures médiévales, l’heredium correspondant à un
arpent, le jugère à un demi arpent et l’actus au quart d’arpent, également appelé
quartier dans le vocabulaire métrologique du Gâtinais (THOISON 1904, 39).
L'ambiguïté des relations métrologiques antiques et médiévales ne permet donc pas
d’affirmer que le découpage parcellaire observé à Bourron est directement lié à une
éventuelle centuriation.
En revanche, le résultat est en lui même intéressant. Il y aurait avantage à savoir de
quand date le parcellaire de Bourron-Marlotte afin de réfléchir d’une part à la
pérennité des mesures médiévales s’il s’agissait d’un parcellaire moderne, ou
d’autre part aux conditions de sa conservation, assez exceptionnelle, s’il s’agissait
d’un parcellaire médiéval.
L’hypothèse de la présence de quatre orientations différentes ne semble pas
vraisemblable. Si la recherche à l’aide de grilles orthonormées à la mesure de
l’actus permet de mettre en évidence quelques limites et équidistances
remarquables, elles ne sont pas suffisantes pour nous autoriser à considérer qu’il
s’agit de centuriations. Si chacune rend compte de quelques lignes importantes du
parcellaire, aucune ne s’impose réellement par rapport aux autres, quel que soit le
secteur envisagé y compris dans celui de Bourron où celle à NL 23°30’ W semblait
7
C’est le cas pour Épisy, Montcourt, Treuzy-Levelay, Villemaréchal, Bourron-Marlotte, Darvault.
158
prépondérante. Ces quatre orientations sont totalement imbriquées et aucune ne
constitue véritablement une structure cohérente suffisante. De plus, on peut se
demander à quoi correspondraient ces quatre formes différentes, aux orientations
relativement proches, sur une zone aussi restreinte, auxquelles il faudrait peut-être
rajouter les centuriations éventuelles de Sens A et B (CHOUQUER et PATIN 1991).
La présence de plusieurs villae au sud de Bourron peut amener à envisager la
possibilité d’un domaine qui serait lié à ces établissements. On aurait alors une
organisation quadrillée associée à ces villae, individualisée par cette orientation à
NL 23°30’ W, au sein d’un réseau qui pourrait être d’origine indigène. Mais il existe
peu d’éléments sur lesquels on puisse véritablement fonder cette hypothèse. La
question des domaines associés à des villae est largement débattue et on ignore
encore pour beaucoup leur réalité territoriale (MAGNOU-NORTIER 1993;
COMPATANGELO 1995). Ces grands domaines pourraient représenter un mode
d’occupation
du
sol
différent
et
complémentaire
des
réseaux
centuriés
(CHOUQUER 1983; COMPATANGELO 1995, 13-16). Dans le Finage, on constate
la mise en place de parcellaires géométriques qui sembleraient ne pas ressortir à
des centuriations mais aux domaines de grandes villae (CHOUQUER 1994, 41-44).
Mais dans cette région, le dossier documentaire est bien établi. À Bourron,
l’hypothèse ne repose que sur deux éléments : l’orientation d’une des villae au lieudit « La Fontaine aux Lards », et la présence de l’ensemble parcellaire, que nous
avons déjà évoqué, présentant des coïncidences métrologiques avec les mesures
romaines. Nous avons vu que cet argument métrologique ne pouvait constituer à lui
seul un élément d'appréciation de la présence d’une limitation romaine. De même,
la seule orientation de la villa n’apporte pas d’information majeure. L’exemple du
Finage ou de la plaine de Melun-Sénart montre qu’il n’existe pas de lien
systématique entre l’orientation d’un parcellaire et celui des établissements romains
(LAURENT 1996 (dir.), 14-16; ROBERT 1996, 20-21).
159
À Bourron, on ignore comment les villae sont insérées dans le parcellaire et on ne
peut tirer aucune conclusion de leur seule similitude d’orientation. L’extension de
l’orientation à NL 23°30’ W parait difficilement co mpréhensible dans le cadre d’un
domaine de villae dans la mesure où ce dernier s’étendrait jusqu’à la ville de Sens,
située à 40 km au sud-est.
Mais il faut peut-être envisager cette question par rapport aux autres orientations
présentes et se demander si l’on ne serait pas plutôt ici en présence d’un réseau
unique, comparable à ceux que les études récentes ont mis en évidence dans un
certain nombre de régions (MENNESSIER-JOUANNET et BUCHSENSCHUTZ
1976).
L’extension de ce réseau, son indifférence aux unités formées par les terroirs
médiévaux et modernes, son organisation quadrillée mais imparfaitement
géométrique semblent plaider en faveur de l’interprétation de ce réseau comme une
structure parcellaire d’origine indigène et de réification diachronique. La consultation
des cartes I.G.N. au 1/25000ème limitrophes montrent que sa zone d’influence n’est
pas limitée à notre secteur d’étude mais se prolonge vers l’est, le sud-est et le sud.
En revanche, il semble disparaître au nord, autour de Montereau et au delà de cette
ville de même que dans la forêt de Fontainebleau au nord-ouest. À l’ouest il parait
se prolonger dans le Bois de la Commanderie mais de façon plus sporadique, et on
ne peut affirmer que les tracés qui lui sont isoclines se rapportent effectivement à
cette structure ou s’ils relèvent d’autres formes, ou du hasard.
Sur notre secteur d’étude, le relevé met en évidence quelques longs linéaments
remarquables qui correspondent au tracé des itinéraires de Moret à Larchant, de
Nemours à Montereau et d’Épisy à Lorrez dont l’étude du réseau viaire8 avait
permis d’envisager une possible origine pré-médiévale, au moins en ce qui
8
Supra : 2.4
160
concerne les deux derniers. Ces trois itinéraires pourraient être des linéaments
morphogénétiques du réseau. L’orientation des axes est très souple et si ce réseau
n’est pas orthonormé, on peut cependant dégager quelques équidistances et
quelques constantes métrologiques autour de 650-700 mètres et ses multiples
c’est-à-dire des mesures qui pourraient correspondre aussi bien à des mesures
médiévales qu’à des mesures modernes, voire même romaines.
La prégnance de ce réseau dans l’organisation de certains villages est
remarquable. À Villemer, Montarlot, Villecerf, Bourron-Marlotte, Montcourt, Darvault
et La Genevraye, une grande partie des limites du parcellaire rural est intégrée à
cette grande structure générale. Pour certains, comme Marlotte, la Genevraye,
Darvault, Montarlot, Villecerf, le noyau d’habitat paraît s’organiser selon des axes du
réseau. Villemer et Villecerf sont placés sur ou à proximité d’un carrefour d’axes
importants. Les limites administratives sont également fortement marquées par
l’empreinte de ce réseau, principalement dans la partie ouest. Entre Montigny et
Bourron, la Genevraye et Montcourt-Fromonville, Darvault et Nonville, la Genevraye
et Nonville, Montcourt-Fromonville et Darvault, les limites correspondent à des axes
du réseau.
L’orientation de cette grande structure présente également des rapports très nets
avec le tracé du Loing d’une part et du Lunain d’autre part; ces deux rivières ont pu
elles aussi être des linéaments morphogénétiques du réseau.
Le relief et les types de sol ont sans doute joué un rôle important dans sa mise en
place. Nous sommes ici en présence d’un paysage de plaine dont le relief est donc
généralement peu accentué à l’exception de quelques collines plus marquées, et
dont le sol composé de marne et calcaire, avec quelques nappes d’argile et de
poudingue comme autour de Villemer et du Landy, doit être rapidement gorgé d’eau
dans cette région où la pluviométrie est relativement importante. Le drainage a-t-il
été une des raisons de la mise en place de ce réseau, comme c’est le cas à Lezoux
161
(CHOUQUER et MENNESSIER-JOUANNET 1996) et Melun (ROBERT 1996) qui
semblent présenter des caractères oro-hydrographiques à peu près similaires ? Il
est fort probable que son adaptation à ces déterminismes naturels a été un élément
clé de son développement et, comme le souligne l’étude sur Sagonne, il n’y a pas
nécessairement lieu d’opposer les formes anthropiques aux formes naturelles (DE
SOUZA, CHOUQUER et FOURTEAU-BARDAJI 1996).
Les caractéristiques morphologiques de ce réseau permettent de le rapporter à une
forme parcellaire pré-médiévale, mais dont la morphologie relèverait d’un processus
diachronique. Les parcellaires des noyaux villageois et les limites administratives
qui ressortissent à ce réseau témoigneraient moins de la conservation d’axes
anciens que de l’effet morphogénétique d’une armature de base, de quelques
linéaments majeurs comme peut-être certains chemins, effet d’autant plus prégnant
qu’il est adapté à l’oro-hydrographie et correspond à la vallée du Loing. Chaque
époque aurait ainsi contribué à façonner progressivement cette forme, qu’on ne
peut donc rapporter à une époque spécifique. L’hypothèse d’une structure héritée
de l’Antiquité n’implique par nécessairement la mise en place dès cette période
d’une organisation parcellaire planifiée. L’exemple du Baugeois souligne le
caractère endogène des réseaux quadrillés de cette région qui résultent d’une mise
en place progressive et diachronique et dont il est difficile de connaître les éléments
d’origine (CARCAUD et al. 1997). Ce pourrait être le même cas de figure pour le
réseau rouge de notre région.
4.1.2. Le réseau vert (fig. 51)
La région de Villemaréchal, Thoury-Ferottes, Flagy, Noisy, Dormelles et Ville-Saint-
162
Jacques est dominée par une orientation générale NL 20°/30° E. Son emprise est
donc très localisée, à l’est de notre zone d’étude. Sur la carte au 1/25000ème,
limitrophe, on ne relève pas de présence forte de cette orientation à l’exception du
secteur au proche sud-est, autour d’Esmans et Cannes-Écluses.
Cette grande forme parait déterminante pour les axes principaux du territoire de
Flagy et de Villemaréchal. En revanche sur les autres communes, elle apparaît
plutôt en marge des territoires dont elle n’influence apparemment pas l’organisation.
La morphologie générale de ce réseau est essentiellement marquée par de longs
linéaments
sud-ouest
-
nord-est,
aux
tracés
assez
souples,
les
axes
perpendiculaires étant nettement moins marqués et plus ponctuels, et on ne peut
véritablement parler de structure quadrillée.
Ce réseau parait s’apparenter davantage aux réseaux linéaires mis en évidence à
Melun et dans l’Oscheret, dont le développement s’appuie sur une voie et qui
montrent une emprise peu conséquente, limitée à la proximité du chemin, mais qui
peut en revanche s’étirer en longueur en suivant cet axe sur plusieurs kilomètres.
L’étude du réseau viaire a mis en évidence la présence d’un couloir de circulation,
sans doute dès l’Antiquité, l’itinéraire Montereau - Paley - Montereau - Lorrez9 et il
est permis de supposer que ce réseau s’est développé à partir de ces tracés
linéaires. Sa souplesse d’orientation pourrait résulter de son adaptation à l’évolution
de l’itinéraire qui, nous l’avons vu, s’est déplacé progressivement. Il est cependant
étonnant de constater que le linéament le plus long, qui correspond au chemin de
Montereau à Pont-Thierry n’a aucune influence sur les formes parcellaires
limitrophes à l’ouest et paraît former une limite au développement du réseau. Les
formes ont-elles ici été davantage modifiées par la mise en place des unités
9
Supra p.145 et fig.14 faisceau Montereau - Paley - Lorrez.
163
médiévales ? Ou bien est-ce la présence d’autres grandes formes qui a limité son
développement à l’ouest ? Nous reviendrons sur cette question dans le dernier
chapitre.
4.1.3. Le réseau jaune (fig. 52)
Ce grand système orienté globalement nord – sud est présent principalement dans
la zone située à l’est du Lunain. Son emprise est large avec des secteurs de forte
présence comme autour de Ville-Saint-Jacques et Villemer. Sur le reste de la zone,
il dessine de longs linéaments qui traversent l’espace rural.
Son extension n’est pas limitée à notre zone d’étude et on peut constater sur les
cartes au 1/25000ème que sa présence est également très forte au nord autour de
Montereau, à l’est de l’Orvanne, et au sud vers Lorrez-Le-Bocage, Egreville et la
voie romaine de Sens à Orléans.
L’orientation de ce réseau n’est pas constante et montre une tendance à s’incliner
légèrement vers l’est.
À l’ouest, il est absent au-delà d’un long tracé qui correspond à un ancien chemin
de Moret à Nanteau10 ; seuls deux linéaments perpendiculaires se prolongent un
peu au-delà et correspondent aux chemins de Nemours à Ferottes et Voulx11. La
relation de ce réseau avec les noyaux villageois paraît montrer quelques
constantes : Ville-Saint-Jacques, Écuelles, Villemer, Levelay et le hameau de
Boisroux semblent ainsi installés ou sur un axe du réseau ou à un carrefour d’axes.
10
Chemin n°12 dans l’étude du réseau viaire (fig. 5) .
164
Mais on ne constate véritablement une structure du parcellaire correspondant à
cette forme qu’à Ville-Saint-Jacques. À Villemer, la structure jaune apparaît de
façon non négligeable dans le parcellaire mais sans réellement l’organiser, excepté
dans quelques zones réduites. La recherche d’une métrologie particulière montre
une distance assez fréquente entre les principaux axes d’environ 1000 mètres.
Cependant cette mesure n’induit pas une régularité rigoureuse et ne s’impose pas
véritablement avec force sur l’ensemble de l’organisation.
L’extension de ce réseau sous forme de longs linéaments qui traversent les villages
et sont relativement discordants par rapport à l’organisation parcellaire générale de
ces derniers à l’exception de Ville-Saint-Jacques, le grand tracé correspondant au
chemin de Moret à Nanteau et dont nous avons vu qu’il pourrait être pré-médiéval,
la souplesse de l’organisation des axes de cette forme et son quadrillage à la
géométrie non rigoureuse, pourraient permettre d’interpréter cette structure comme
une forme d’origine antique, mais plutôt indigène. Comme pour les réseaux
précédents, l’hypothèse qui semble la plus probable est celle d’une mise en place
progressive éventuellement à partir d’une armature de chemins.
Au nord, la route royale, reliant Paris à Auxerre et Lyon12 et située en limite
extérieure de notre zone d’étude, adopte un tracé rectiligne entre Montereau et
Moret dont l’orientation ressortit au réseau jaune. L’intégration de cette voie dans ce
dernier semble confirmer un processus de mise en place sur la longue durée. La
densité de parcellaire qui lui est isocline entre cette voie et Ville-Saint-Jacques, à
deux kilomètres au sud, n’est pas sans doute étrangère à cet élément viaire dont on
peut penser qu’il a contribué à accentuer cette organisation nord – sud.
Mais l’étude de ce réseau pose quelques questions, notamment par rapport à la
centuriation dite de Sens A. Cette dernière, qui serait orientée à NL 9°30’ W ne
11
12
Chemins n°16A et 16B dans l’étude du réseau viaire ( fig. 5).
Il s’agit de l’actuelle Nationale 6.
165
semble pas particulièrement influencer l’organisation du parcellaire dans notre zone
d’étude, alors qu’elle paraît dominante dans la région située immédiatement au sud,
à proximité de la voie romaine. Nous avons également constaté que certains
linéaments rapportés au réseau jaune avaient été relevés parmi les tracés pouvant
ressortir à cette centuriation. Cette question demande donc à être réexaminée,
peut-être de façon légèrement différente.
4.1.3.1.
La centuriation dite de Sens A (fig.53)
L'hypothèse de cette centuriation émise par G. Chouquer et J. Patin (Chouquer et
Patin, 1991) a été à l'origine de notre D.E.A.. Ce réseau orienté à NL 9°30' W a été
interprété comme une centuriation classique, à mailles carrées de vingt actus de
côté et fondée sur un module de 708 m.
Cette interprétation reposait sur un certain nombre d'éléments que nous
rappellerons brièvement et qui seront dans un deuxième temps repris et discutés.
- Les rapports du réseau avec la voie romaine Orléans-Sens.
Appelée "chemin de César" sur les cartes actuelles, cette voie se présente sous la
forme d'un long tronçon rectiligne de 18 km environ, entre le lieu-dit « Les
Canivelles » près du village de Bransles à l'ouest, et Montacher-Villegardin à l'est.
Cette voie paraît constituer un limes majeur de la limitation, peut-être son
decumanus maximus. Dans la zone de Chéroy-Villebéon13 (fig. 54), la puissance
13
Carte IGN au 1/25 000
ème
. 2518 ouest Lorrez-Le-Bocage - Chéroy.
166
organisatrice de cet axe sur le parcellaire et le réseau viaire actuel paraît évidente.
Un certain nombre de chemins et de limites parcellaires correspondent à
l'emplacement des limites, et des chemins issus du réseau étoilé de Chéroy
s'infléchissent à proximité de la voie romaine pour couper celle-ci à angle droit,
suivant l'orientation des axes de la centuriation.
Le relevé parcellaire met en évidence une forte densité de limites parcellaires
isoclines à cette voie antique le long de cet axe, densité qui faiblit à mesure que l'on
s'en éloigne à l'exception de la zone de Villebéon (fig.54).
La voie antique semble jouer un rôle organisateur majeur. Les parcelles se
structurent de part et d'autre dans une relation d'étroite dépendance. A Villebéon,
situé à 5 km environ de la voie, la photographie aérienne à basse altitude a mis en
évidence un ensemble de traces fossiles linéaires dont un groupe de linéaments
isoclines peut être rapporté à ce réseau (fig. 55).
- Les rapports du réseau ancien avec l'habitat antique.
On ne connaît pas dans la fenêtre d'étude de villae, à l'exception de Lorrez-LeBocage au lieu-dit La Cave-aux-Fées, où une villa a été fouillée mais dont
l'orientation ne correspond pas à celle du réseau de Sens A14, et peut-être
Montacher, sur la voie romaine à l'est où l'on a trouvé des fragments de mosaïque
mais qui pourraient être des réemplois (DARMON et LAVAGNE 1977, 73-74;
QUANTIN 1868, 182).
La photographie aérienne a révélé quelques enclos dont l'orientation est assez
variable. Quelques structures paraissent cependant être en relation avec le réseau
14
SRA Ile de France, n° d'enregistrement 391, et dans VIRE 1977-1978.
167
de Sens A, ou par leur orientation, ou par leur place dans la centuriation, situées sur
un axe ou un carrefour d'axes.
Au lieu-dit "Champ des Pois", au sud de Chéroy, la photo-interprétation a permis de
mettre en évidence un ensemble indigène qui semble présenter des témoignages
de réaménagements (fig. 56). La relation entretenue par la ferme indigène centrale
avec l'orientation du réseau de Sens A est remarquable et paraît montrer que la
romanisation aurait ici récupéré et transformé des réalités locales.
- Les rapports du réseau avec l'habitat médiéval et moderne.
La voie romaine est jalonnée de villages-rue établis sur cet axe et qui en conservent
donc l'orientation.
Les villages qui ne sont pas implantés sur la voie montrent pour la plupart des
orientations diverses mais parmi lesquelles celles de Sens A est toujours présente
avec plus ou moins de force. A Chéroy, elle est peu marquée alors qu'à Villebéon,
le réseau de Sens A semble largement dominant. L'organisation de ce village établi
à proximité de la D 225, probable voie antique entre Sens et Chartres, n'a que peu
de rapport avec cet axe (fig. 54), mais est en revanche dominée par l'orientation de
Sens A, et un des axes nord-sud du village correspond au tracé d'un limes.
- Les rapports de réseau avec l'urbanisme de Sens.
La ville de Sens est implantée sur un lieu de passage correspondant à trois voies
importantes : de Sens à Meaux, de Sens à Troyes, et de Sens à Alise, et dans la
zone de confluence de la Vanne et de l'Yonne.
L'existence d'une occupation gauloise à l'emplacement de la ville actuelle est
acquise et le développement de la ville romaine se serait donc effectué à partir
d'une cité gauloise préexistante (PERRUGOT 1990). Pour A. Hure (HURE 1938), P.
Pinon (PINON, 1988) et D. Perrugot (PERRUGOT 1990), l'élaboration du plan a été
168
fondée sur un quadrillage général de voies distantes de 110 m (150 m à
l'emplacement du Forum),
dont les données,
issues des fouilles,
semblent
indiquer une longue durée d'utilisation à partir de leur construction, sans doute pas
antérieure au milieu du Ier siècle (PERRUGOT 1990, 51).
Le plan de la ville est orthogonal et s'organise autour de deux axes perpendiculaires
de même orientation que le réseau rural de Sens A, et dont l'axe nord-sud principal
correspond à un cardo de ce réseau (fig. 57). La ville de Sens montre donc un
urbanisme régulier fondé sur une orientation majeure, et sans doute unique,
identique à celle du réseau de Sens A, ce qui pourrait indiquer un acte de
planification volontaire portant à la fois sur l'organisation urbaine et sur
l'organisation rurale environnante.
- Les rapports du réseau avec les autres orientations rurales.
Deux autres trames rurales d'origine antique ont été mises en évidence et
interprétées comme des réseaux centuriés : une orientée à NL 23° 30' ouest, dite
Sens C que nous avons déjà évoquée, et une autre orientée à NL 18° 30' ouest,
dite Sens B.
L'analyse du relevé parcellaire établi à partir de photographies aériennes sur une
fenêtre d'étude centrée sur Chéroy et Villebéon montrait la juxtaposition et la
superposition de ces trois réseaux (fig. 54).
Cette analyse soulignait la prégnance des réseaux de Sens A par rapport aux deux
autres, mais aussi les liens étroits qu'ils entretenaient.
Un essai de chronologie relative avait permis d'émettre l'hypothèse de l'antériorité
du réseau A sur le réseau B en raison du rapport de dépendance de ce dernier par
rapport à la voie romaine de Sens à Orléans, et du recoupement de parcelles
ressortissant au réseau A par des axes du réseau B.
169
En ce qui concerne Sens C, il n'avait pas été possible de formuler d'hypothèse
chronologique, ses liens avec les deux autres réseaux étant davantage marqués
par des rapports d'imbrication que de superposition.
- Les inscriptions trouvées à Sens.
Le musée gallo-romain de Sens conserve quatre inscriptions faisant mention de
vétérans15. Le fait qu'il s'agisse de vétérans et non de milites tendrait à montrer qu'il
ne s'agit pas de soldats de passage et morts accidentellement à Sens. Une des
épitaphes16 montre que le monument porteur de l'inscription a été élevé par le
vétéran de son vivant pour sa fille. On pourrait donc être là en présence d'indices
d'assignations, phénomène exceptionnel en Gaule Chevelue.
Mais ces différents éléments qui nous avaient semblé suffisants pour asseoir
l'hypothèse d'une centuriation doivent être réexaminés à la lueur des données
apparues ces dernières années.
A une vision relativement schématique de la centuriation se substitue peu à peu une
approche envisageant une diversité de situations (CHOUQUER 1996 - FAVORY
1996, 1997).
En Gaule Chevelue, il a ainsi sans doute existé des zones d'occupation militaire et
de colonisation romaines. Mirebeau, en Côte-d'Or, serait un exemple de
restructuration du paysage, de la mise en place d'un nouvel ordre militaire et
administratif imposé par Rome en réponse aux troubles liés à l'insoumission des
Lingons (CHOUQUER 1991b, 182-187). A Rezé, en Loire Atlantique, un
15
CIL XIII 2944, 2945, 2946 et 2947 correspondant respectivement aux références J 48, J 47, J 46 et J
49 du musée G.R. de Sens et du catalogue des inscriptions du musée (JULLIOT, 1891). Voir
annexe 1.
16
CIL XIII 2944.
170
redécoupage politique a, semble-t-il, séparé le territoire des Ambiliates de
l'Armorique pour le réunir à l'Aquitaine, César remerciant ainsi les Pictons de leur
aide, et cette réorganisation pourrait s'être traduite par la mise en place d'une
centuriation (DESCHAMPS et PASCAL 1996).
F. Favory a proposé l'hypothèse de la coexistence au sein d'une même centuriation
de mesures romaines et indigènes (FAVORY 1996, 199-200), composant ainsi une
sorte de forme "mixte" .
A la diversité des cas de figures concernant la mise en place des centuriations, il
faut ajouter la présence de formes indigènes qui n'ont sans doute pas été partout
remplacées par une nouvelle organisation romaine imposée. Et comme le souligne
G. Chouquer, on pourrait avoir eu en même temps en Gaule des réseaux purement
indigènes d'époque pré-romaine et romaine, et des réseaux centuriés liés à une
assignation, créant une organisation nouvelle, mais qui peuvent conserver des
formes indigènes (CHOUQUER 1996, 203). On pourrait ainsi
être parfois en
présence de « formes romaines de régularisation du parcellaire indigène » mais
dont la lecture s'avère délicate.
A-t-on eu à Sens un remodelage radical du territoire lié à des assignations - comme
pourrait le laisser penser la présence de vétérans - par la mise en place d'une
centuriation ? Ce remodelage a-t-il concerné l'ensemble du territoire ? Ou bien la
forme quadrillée ne peut-elle ressortir à une organisation d'origine indigène ? Ou
bien encore la limitation qui semble bien présente dans certains secteurs
correspond-elle à une mise en place partielle, s'appuyant sur des formes indigènes
déjà présentes, et véritablement matérialisée seulement dans quelques zones ?
A défaut d'apporter une réponse, quelques éléments peuvent alimenter la réflexion
par rapport à ces questions.
171
Afin de tenter de valider la proposition de restitution de la centuriation, nous avons
procédé au calcul du pourcentage d'axes correspondant à des limites conservés par
rapport au total théorique des axes du carroyage17.
Ce comptage a été effectué dans un premier temps sur une zone test, là où le
réseau de Sens A semblait le plus présent, dans une bande restreinte de dix
centuries de part et d'autre de la voie romaine (cinq au nord, cinq au sud) sur la
carte au 1/25 000ème de Lorrez-Le-Bocage - Chéroy18. Dans un second temps, la
calcul a été effectué sur la totalité de cette carte. Et enfin dans un troisième temps,
sur les deux cartes correspondant au secteur d'étude davantage concerné par notre
recherche, celles de Montereau-Faut-Yonne et Fontainebleau, correspondant à
l'extension du réseau au nord et à l'ouest.
Les résultats obtenus sont les suivants :
-
pour la zone test : axes est-ouest : 15 %
axes nord-sud : 10 %
moyenne : 12,5 %
-
pour la carte 2518 ouest : axes est-ouest : 9,9 %
axes nord-sud : 10,2 %
moyenne : 10 %
-
pour la carte de Montereau : axes est-ouest : 4,4 %
axes nord-sud : 6,5 %
moyenne 5,5 %
-
pour la carte de Fontainebleau : axes est-ouest : 3,3 %
axes nord-sud : 5,1 %
moyenne 4,2 %.
17
Ce protocole de recherche proposé par G. Chouquer à la suite des propositions de M. Guy
(CHOUQUER 1996d (dir.), 29-32 ) a déjà été évoqué plus haut.
172
Par comparaison, nous avons pratiqué le même exercice dans des régions très
éloignées, dans la Vienne et en Charente19, en posant la grille carroyée, orientée à
NL 9° 30' ouest, au hasard. Les résultats obtenus s ont les suivants :
-
carte Mirebeau-Neuville : axes est-ouest : 6 % ;
axes nord-sud : 4,5 %
moyenne : 5,25 %
-
carte Vouillé : axes est-ouest : 4 %
axes nord-sud : 5,5 %
moyenne : 4,75 %
-
carte Villefagnan : axes est-ouest : 6,7 %
axes nord-sud : 5,6 %
moyenne : 6,15 %
Ces chiffres ne sont pas significatifs en soi. Comme l'a souligné G. Chouquer, ce
type d'évaluation statistique ne constitue pas une preuve de l'existence ou non
d'une centuriation. Tous les limites ne sont en effet pas pérennisés et n'ont même
peut-être pas été tous réalisés. De plus, la parenté des mesures médiévales et
modernes avec les mesures romaines ne permet pas de savoir si l'on est en
présence de valeurs réellement antiques (CHOUQUER 1996, 29-32).
Mais ces résultats mettent cependant en évidence quelques éléments qu'il paraît
nécessaire de souligner.
Le pourcentage d'axes relevé sur notre zone d'étude (Montereau - Fontainebleau)
est à peu près équivalent à celui relevé sur les deux cartes concernant des zones
de la Vienne, et même légèrement inférieur à celui relevé sur la carte de Villefagnan
18
19
carte n° 2518 ouest.
Pour la Vienne, carte 1726 est Mirebeau-Neuville de Poitou et 1726 ouest Vouillé. Pour la Charente,
173
en Charente. Il serait absurde de prétendre que cette similitude signifie que le
réseau de Sens A a une extension de 500 km. On peut en revanche s'interroger sur
cette parenté de pourcentages.
Une des questions qui émerge est celle de la part du hasard dans la conservation
des formes qui peut amener le parcellaire à présenter des mesures apparentées à
des modules ou des valeurs romaines de façon totalement fortuite.
Le pourcentage d'axes trouvés sur la Vienne et la Charente semble ainsi relever ou
du hasard, ou de la parenté de mesures d'époques différentes.
Mais il faut aussi se demander ce qu'il en est sur la région de Montereau - Nemours
(Fontainebleau) puisque les pourcentages sont identiques voire inférieurs. Il ne faut
sans doute pas en conclure trop rapidement que les tracés relevés sur cette zone
ne relèvent que du hasard. Une des différences majeures entre ces deux secteurs
est que sur la Vienne et la Charente, il n'est pas possible d'articuler les formes
intermédiaires relevées à une forme globale cohérente.
Il est cependant nécessaire de se demander pourquoi on obtient un pourcentage
aussi faible sur la zone Montereau - Nemours. Les résultats obtenus sur la zone test
de dix centuries, de 12,5 % et sur la carte entière Lorrez-Le-Bocage - Chéroy de
10 %, montrent une diminution du pourcentage d'axes conservés à mesure que l'on
s'éloigne de la voie romaine. Cela tendrait à confirmer l'importance de cet axe dans
l'organisation du parcellaire. La pérennisation de la voie aurait ainsi permis la
pérennisation des axes à proximité, et le plus faible pourcentage constaté dans les
secteurs plus éloignés serait dû à la dégradation de la structure par la mise en place
d'autres formes d'occupation du sol qui auraient effacé l'organisation romaine.
Une autre façon d'envisager le problème de la diminution du pourcentage d'axes
conservés est de se demander si la centuriation a effectivement été réalisée sur
carte 1730 ouest Villefagnan.
174
l'ensemble de la zone ou si elle a pu n'être que partielle, complétant des formes
indigènes déjà en place. Mais cela signifie qu'il faille s'interroger sur le pourquoi et
le « pour qui » de la mise en place de cette organisation.
A la différence des Lingons, les Sénons n'ont, semble-t-il, pas été particulièrement
belliqueux et n'ont pas participé aux différentes rébellions du Ier siècle (HURE 1938,
3-4). On peut donc penser qu'il n'y a pas à Sens un contexte colonial militaire
comme cela a pu être le cas à Mirebeau par exemple, et une restructuration totale
du
territoire
est
difficilement
compréhensible.
Les
monuments
funéraires
épigraphiques trouvés à Sens faisant mention de vétérans paraissaient autoriser
l'hypothèse d'assignations. En ce qui concerne ces quatre vétérans, on sait que l'un
d'eux appartenait à la XXIIème Légion20, un autre sans doute à la XXXème Légion21, et
que les deux autres avaient fait partie de la VIIIème Légion22. Les monuments
funéraires semblent pouvoir être rapportés au IIème siècle de notre ère23. A la fin du
Ier siècle, les VIIIème et XXIIème Légions sont en Germanie supérieure, et à l'époque
d'Hadrien, vers 118-120, la XXIIème Légion est envoyée en Germanie inférieure
(PARKER 1961, 158-163). Mais à la même période, à la fin du Ier siècle et au début
du IIème, des détachements des VIIIème et XXIIème Légions sont aussi présents en
Côte-d'Or, autour du site militaire de Mirebeau (CHOUQUER 1991b, 183-187). Les
vétérans de Sens auraient donc pu également appartenir à ces détachements. Mais
on peut se demander pourquoi dans ce cas ils ne se sont pas établis à Mirebeau où
la centuriation est, semble-t-il, très liée à la présence de la VIIIème Légion et de ses
20
Inscription n° 46 dans le catalogue des inscriptio ns du musée G.R. de Sens (JULLIOT 1891, 17) et
CIL XIII 2946. Nous avons reproduit cette inscription en annexe 1.
21
ème
L'appartenance de ce soldat à la XXX
Légion n'est pas certaine et repose uniquement sur le
rapprochement avec une autre inscription de Châlons sur Saône (CIL XIII 2614) qui mentionne un
vétéran de cette légion et sa femme citoyenne de la colonie d'Agrippine, orthographiée de la même
façon, avec un seul P (renseignements du conservateur du musée G.R. de Sens). Mais ce soldat
ème
légion, envoyée à Cologne sous Vespasien (PARKER
pourrait aussi avoir appartenu à la XXII
1961, 146)
22
Inscription n° 48 et 49 dans JULLIOT, op. Cit., 18 -19 et CIL XIII 2944 et 2947. Nous avons reproduit
cette inscription dans l’annexe 1.
23
Renseignement du conservateur du musée G.R. de Sens.
175
vétérans. L'étude onomastique réalisée par J. Guerrier sur la cité des Sénons
(GUERRIER, 1979) met en évidence l'origine celtique de ces vétérans qui ne sont
pas des militaires romains mais indigènes. A-t-on fait appel à un recrutement
régional pour ces vexillations ? On pourrait alors être en présence de Sénons qui
seraient revenus chez eux après leur démobilisation. Ce pourrait être aussi le cas si
ces soldats avaient été envoyés en Germanie. Mais on ne peut réellement savoir s'il
s'agit de Sénons revenus après avoir accompli leur service, ou de soldats d'autres
régions établis à Sens après leur démobilisation. Et rien ne permet d'affirmer que
ces vétérans ont reçu un lot de terres dans la région de Sens à l'issue de leur
service.
Nous avons souligné l'importance de la voie romaine dans l'organisation de cette
éventuelle centuriation, mais cet argument n’est pas nécessairement recevable.
D’une part, en effet parce que chez les arpenteurs romains, le principe de relation
entre une limitation et une voie régionale ne constitue qu’un des cas de figure
possibles (CHOUQUER et FAVORY 1992, 55). D’autre part parce que cette voie se
serait, semble-t-il, superposée à un chemin gaulois préexistant et n'aurait été refaite
par les Romains qu'au IIème siècle de notre ère (HURE 1931, 197-198). On peut
émettre l'hypothèse qu'il existait des formes indigènes déjà en place avant la
conquête romaine. La ferme indigène que nous avions proposé d'interpréter comme
ferme indigène romanisée puisque reprenant l'orientation du réseau de Sens A,
pourrait ainsi être isocline au chemin gaulois sans avoir été nécessairement
romanisée. Cependant, la photographie aérienne ne permet pas de dater une forme
et rien ne permet d’affirmer qu’elle est antérieure, contemporaine ou postérieure à la
voie romaine. On ne peut que constater que leur orientation est identique.
L'orientation des limites parcellaires isoclines à la voie romaine pourrait également
ressortir à une réalité locale antérieure. Et la forte densité de ces limites parcellaires
isoclines pourrait être fondée sur le rôle morphogénétique de la voie sur la longue
176
durée et ne pas nécessairement correspondre à une puissance organisatrice « à
l’origine ».
La question de l’urbanisme régulier de la ville de Sens, dont l’orientation est
identique à celle du réseau rural, semblait être un des rares éléments
morphologiques et archéologiques permettant de valider l’hypothèse de la
centuriation. Cette question doit cependant être revue par rapport à l’adaptation
possible de l’urbanisme de Sens à une réalité locale antérieure.
On ne sait encore que peu de choses sur la cité gauloise que les fouilles paraissent
localiser plutôt dans la partie ouest, et principalement dans le quartier Saint-Paul, au
sud-ouest de la ville actuelle (PERRUGOT 1990, 49). Mais on ignore l'organisation
urbanistique de la cité gauloise et on ne peut dire si la ville romaine s'est appuyée
sur une éventuelle organisation urbaine antérieure lors de sa mise en œuvre dans
la seconde moitié du Ier siècle de notre ère.
A son arrivée à Sens, la voie romaine perd son dessin rectiligne pour s'adapter au
relief plus marqué et se détache donc du tracé du limes s'infléchissant vers le nordest pour rejoindre la ville. Ce ne serait donc pas la voie elle-même qui aurait servi
d'assise au plan urbain. En revanche, le tracé rectiligne de la voie à l'ouest peut
avoir contribué à donner une orientation générale à l'organisation des formes du
paysage antérieure que l'on a conservée lors de la mise en place de la ville
romaine, d'autant plus que cette orientation correspond à celle du cours de l'Yonne
à cet endroit.
Si la voie romaine s'infléchit pour se diriger vers la ville romaine, on ignore si le
chemin gaulois avait le même parcours ou s'il conservait un tracé plus rectiligne, se
dirigeant ensuite vers Troyes. Il serait alors passé au sud-ouest de la ville et donc à
proximité du quartier Saint Paul où serait établie la cité gauloise. La ville romaine
aurait donc capturé cet itinéraire a posteriori.
177
A l'issue de cette étude, les différents éléments envisagés ne permettent pas
d'affirmer l'existence d'une centuriation.
La présence de la voie romaine qui semble avoir servi de decumanus principal, le
taux de limites conservés à proximité de cet axe, l'orientation identique de
l'organisation rurale et urbaine, la présence de vétérans auxquels on aurait pu
assigner des terres semblent plaider en faveur de cette centuriation. Mais, a
contrario, d'autres éléments peuvent remettre les précédents en question. La
présence de formes antérieures de même orientation que le réseau de Sens A,
comme la voie gauloise, les habitants de la Tène finale sous les niveaux de la ville
romaine de Sens, et la ferme indigène à Chéroy, montrent la possibilité qu'il ait
existé
une
organisation
antérieure
que
l'administration
romaine
n'a
pas
nécessairement remise en cause, conservant globalement son orientation.
On peut ainsi se demander s'il ne faut pas inclure cette forme orientée à NL 9° 30'
ouest dans le réseau jaune présent sur la partie est de notre étude.
Ce réseau, globalement nord-sud, semble s'appuyer sur quelques linéaments,
viaires principalement, majeurs. Mais, autour de Sens, d'autres voies antiques
isoclines comme celle d'Orléans à Sens et Troyes, mais aussi d'Auxerre à Paris qui
est à peu près parallèle au cours de l'Yonne dans le secteur de Sens, ont pu
constituer également des lignes fortes de l'organisation des formes paysagères.
L'orientation à NL 9° 30' ouest relèverait alors no n pas d'une orientation spécifique
ressortissant à une centuriation, mais de la variation angulaire du réseau jaune,
cette souplesse angulaire associée à la parenté des mesures antiques, médiévales
et modernes et au hasard permettant sans doute de dégager quelques tracés
d'axes pouvant être reliés à la restitution de la centuriation proposée. Le faible
pourcentage d'axes théoriques conservés, même s'il ne constitue pas une preuve
en soi, invite cependant à s'interroger sur la validité de la forme centuriée. La
possibilité qu'on ait pu procéder à l'époque romaine à une régularisation de certains
178
tracés, voire à l'implantation ponctuelle sur de petites zones d'un découpage
géométrique, créant ainsi un nouveau parcellaire n'est pas à exclure. G. Chouquer
envisage de la même façon certaines formes géométriques du Finage qui
pourraient correspondre à « des formes romaines de "limitation" mais qui ne
répondent pas à la forme précise de la centuriation » (LAURENT 1996 (dir.), 15).
Mais à l'hypothèse d'une vaste planification romaine s'étendant au plan urbain et à
l'organisation rurale, il nous paraît plus plausible de substituer l'hypothèse de lignes
de force qui, dès la Protohistoire, auraient constitué une trame globale que la
romanisation n'aurait pas fondamentalement modifiée, contribuant même plutôt à
son développement et sa réification.
D. Bayard et J.L. Collart ont souligné la complexité des processus de la
romanisation et "la difficulté à discerner dans les transformations celles qui sont
attribuables à l'influence romaine et celles qui sont le produit de mutations liées à
des phénomènes ou des tendances amorcées antérieurement » (BAYARD et
COLLART 1996, 7).
Si l'analyse morphologique autorise l'affirmation de la pérennisation de l'orientation
antique, dont l'axe Orléans-Sens serait un des éléments morphogénétiques
majeurs, en revanche, et cela peut paraître paradoxal, la matérialité de la
centuriation paraît de moins en moins avérée, et semble plutôt devoir être
envisagée dans le cadre plus large d'un réseau s'établissant de façon diachronique
à partir de la Protohistoire, dans lequel les formes romaines ne sont pas absentes
mais ne peuvent être isolées des autres formes pour être rapportées au cadre strict
d'une vaste centuriation recouvrant en partie le territoire compris entre l'Yonne et le
Loing.
179
4.2.
Les unités morphologiques
Les unités morphologiques correspondent à des formes spatialement cohérentes
qui se distinguent par une organisation particulière de l’espace. De superficies plus
restreintes que les grandes formes, elles présentent un mode d’agencement et
d’occupation spatiale homogène. Elle peuvent correspondre à une mise en valeur
du sol particulière et /ou à des phénomènes liés aux conditions naturelles (relief,
hydrographie…)
La carte de ces unités morphologiques (fig. 58) a été obtenue en sélectionnant les
unités parcellaires présentant une certaine homogénéité et de cohérence dans leur
agencement formel et/ou leurs orientations. Les différentes formes d’agencement
ont permis de distinguer dans un premier temps diverses formes d’organisation.
Parmi ces type d’organisation, il semble que l’on puisse distinguer :
- les formes quadrillées directement associées à un village (en orange sur la figure
58). Ce mode d’organisation est caractérisé par un découpage du sol à partir d’un
ou plusieurs axes dans le prolongement d’un village, de façon plus ou moins
rigoureuse. On peut le relever à Grez-sur-Loing, Bourron, Montcourt, Fromonville,
La Genevraye, Darvault, Nonville, Treuzy-Levelay, Montarlot, Ville-Saint-Jacques,
Challeau, Dormelles, Flagy, Thoury et Ferottes. Dans de nombreux cas, le
quadrillage ne se déploie que d’un seul côté du village ; ainsi à Grez, TreuzyLevelay, Challeau, Flagy, Thoury, le réseau hydrographique semble avoir joué un
rôle de limite naturelle et a pu entraîner, dans un premier temps du moins, une
occupation unilatérale.
180
- les organisations radiales (en vert sur la figure 58).
Ces organisations sont marquées par la prégnance d’un réseau radial de chemins
et par la présence éventuelle d’une enveloppe circulaire. De tailles variées, elles
englobent un terroir dont le dessin parcellaire peut être ou non concentrique.
Écuelles, Épisy, Nemours, Villemer sont les plus étendues. Mais on peut également
ajouter Villemaréchal, les hameaux de Boisroux, le lieu-dit « Le Coudray » au nordouest de Villemer. Là encore, on constate que certaines formes sont incomplètes
comme à Écuelles et Épisy, où la rivière sert de limite.
-
l’organisation en peigne (en marron sur la figure 58).
Elle est assez proche du type précédent mais présente un découpage
essentiellement par bandes perpendiculaires à l’axe du village et s’étendant d’un
seul côté de ce dernier. Montigny-sur-Loing, Marlotte et Villecerf s’apparentent à ce
type d’organisation assez comparable aux strip systems anglo-saxons.
-
l’organisation liée à une contrainte topographique (en bleu sur la figure 58).
Au nord de l’Orvanne, entre Villecerf et Challeau, on peut relever une forme
parcellaire qui se développe en suivant une courbe imposée par la présence d’une
colline. Le relief est également à l’origine d’une petite forme particulière au sud de
Bourron-Marlotte.
-
Les organisations atypiques (en rose sur la figure 58).
Certaines unités morphologiques constituent des ensembles distincts cohérents
mais relativement atypiques, ne correspondant pas véritablement aux organisations
précédentes.
Au sud-ouest de Dormelles, on peut remarquer une petite unité morphologique
autour de la ferme « La Bikad » (notée 1 sur la figure 58). Les plans d’Intendance
181
du XVIIIème siècle montrent que cet ensemble correspond à un ancien bois1. Sa
forme particulière pourrait indiquer une ancienne garenne sur la base d’une
comparaison avec des cas avérés (ZADORA-RIO 1986). Mais l’absence de levée
de terre, de fossés ou de murets incitent à la prudence quant à cette interprétation.
Entre Montcourt-Fromonville et La Genevraye, une forme particulière se distingue
du quadrillage assez régulier environnant (notée 2 sur la figure 58). Elle apparaît
sous la forme d’une bande relativement étroite d’environ un kilomètre et demi de
largeur, étirée en nord sud sur trois kilomètres, organisée par un découpage assez
géométrique dont l’orientation diffère de celui qui l’entoure. Dans cette forme
s’inscrit le château de Pleignes et les plans d’Intendance du XVIIIème siècle montrent
la présence d’une chapelle, à l’ouest du château, qui a disparu aujourd’hui (fig. 28).
Cette forme pourrait correspondre au fief de Pleignes mentionné dans les textes à
partir du XIIème siècle (STEIN et HUBERT 1954, 451).
A l’ouest de Villecerf, le dessin parcellaire met en évidence un ensemble cohérent
(noté 3 sur la figure 58) qui vient buter contre la forme en peigne de Villecerf. Au
centre se trouve actuellement la ferme de Train, à la place qu’occupait
approximativement un prieuré Grandmontain2 disparu aujourd’hui. Ce petit
ensemble d’environ un kilomètre sur huit cent mètres est peut-être à mettre en
relation avec ce prieuré.
Cependant, l’interprétation de cette anomalie, comme de la précédente, pose la
question du rapport que l’on peut établir entre une forme et un « pouvoir » - un fief à
Pleignes, un prieuré à Train -. Il existe des exemples où cette relation a pu être
établie comme à Saint-Aubin, dans le Jura (CHOUQUER 1994a, 47, 54 ; 1996b,
215), ou encore dans l’Aude, autour de la grange cistercienne d’Hauterive (ABBE
1
2
A.D.S.M., Dormelles, C37, 1743 (fig. 19).
S.R.A. Ile de France
182
1997). Mais en ce qui concerne Pleignes et Train une telle interprétation doit être
envisagée avec beaucoup de prudence.
Nous avons déjà évoqué les critiques que l’on pouvait émettre à l’encontre d’une
telle lecture « directe » d’une forme alors que le lien entre cette dernière et le
pouvoir susceptible de l’avoir généré n’est pas suffisamment établi. Rien ne permet
dans les deux exemples de notre région d’affirmer avec certitude un lien entre la
forme de ces anomalies et l’étendue du fief ou du domaine religieux. Et ces
anomalies pourraient tout à fait relever d’événements différents.
Une telle caractérisation des unités morphologiques ne permet qu’un classement
typologique et ne rend compte que d’une organisation générale d’une part, et d’un
produit final d’autre part. Il semble donc nécessaire de procéder à une étude de ces
formes à un niveau d’analyse plus fin pour tenter d’appréhender les processus
ayant pu œuvrer à leur structuration. Nous reprendrons donc quelques types de
formes dans le détail à partir de quelques exemples qui nous paraissent être les
plus représentatifs.
4.2.1. Les formes quadrillées
4.2.1.1.
Flagy
Flagy est l’une de ces villes neuves de fondation attestée connues en
Sénonais dont les études de C. Higounet (HIGOUNET 1975 et 1990) et J.L. Abbé
183
(ABBÉ 1993) ont contribué à souligner le rôle politique et économique ainsi que
l’importance pour le modelage des formes du paysage.
Un des objectifs principaux de l’implantation et du développement de ces
villages au XIIème siècle, en limite du domaine champenois et du domaine capétien,
était sans doute d’affirmer les positions frontalières de chacune des deux parties en
présence (HUGUES 1955). Les paréages réalisés par Louis VII, puis Philippe
Auguste3 témoignent de cette politique territoriale visant à asseoir l’autorité royale
dans le comté de Sens. La plupart des villages fondés ou réactivés sont dotés des
coutumes de Lorris4 qui vont favoriser l’installation des hôtes. Ces coutumes avaient
été établies dès Louis VI pour mettre fin aux abus de pouvoir des prévôts en fixant
les redevances qui pouvaient être perçues et les privilèges dont bénéficiaient les
habitants des villages régis par ces coutumes (PROU 1884).
La fondation de Flagy s’inscrit dans ce contexte de jalonnement domanial et de
peuplement. En 1177, Louis VII conclut un acte de paréage avec un seigneur local,
Hugues le Noir de Merreolis (de Marolles). Par cet accord, Hugues de Marolles
associe le roi à la possession des terres qu’il possède à Flagy et tous deux
s’engagent à y installer des hôtes qui bénéficieront des coutumes de Lorris
(LUCHAIRE 1885)5.
Le village a été implanté en bordure de l’Orvanne et son territoire s’étend
essentiellement sur les pentes douces au sud-ouest, délaissant, semble-t-il, les
prairies humides et les collines plus accentuées au nord.
3
Un paréage est conclu entre Louis VII et l’abbaye de Saint-Jean de Sens pour la possession des
villages de Chéroy, Lixy et Voulx qui appartenaient à l’abbaye, avec sans doute l’octroi des
coutumes de Lorris à ces villages (PROU 1884, 73). En 1169, Louis VII s’associe à l’abbé de SaintFlorentin de Bonneval pour les terres dépendant des villages de Lorrez et Préau pour y établir une
ville régie par les coutumes de Lorris (id., 75). L’archevêque Guillaume de Sens donne les
coutumes de Lorris en 1172 à Villeneuve l’Archevêque à laquelle l’avait associé le chapitre de
Saint-Jean de Sens (QUANTIN1890, 292)
4
C’est le cas par exemple pour Villeneuve le Roi en 1163, Lorrez le Bocage en 1169, Villeneuve
l’Archevêque en 1172, Chéroy, Voulx, Lixy et Ferrotes.
5
Le texte de ce paréage est reproduit en annexe 2
184
La nature du sol est à peu près identique des deux côtés nord et sud du village (fig.
59) et celui-ci est établi sur les alluvions de l’Orvanne. Au nord, une fois passé la
zone marécageuse de l’Orvanne, une bande étroite de colluvion sur craie suit la
vallée. C’est la même formation que l’on trouve au sud sur environ 250 mètres
depuis le village. Sur la colline de Bellefontaine, on trouve des sables et grès de
Fontainebleau ainsi que du calcaire de Brie et des argiles à meunière. Le reste du
territoire et donc la plus grande partie, est constitué de sable et poudingues à galets
noirs. Ces sols sont dans l’ensemble semi-perméables et la part de ruissellement y
est faible.
La forme de ce territoire, en bande étroite6, tranche nettement par rapport à celles
des communes avoisinantes, plutôt ramassées et irrégulières. J.L. Abbé analysant
le territoire de Villeneuve l’Archevêque a constaté un phénomène identique pour
cette ville et voyait dans cette forme géométrique une réalisation rapide « en une
fois au moment de la création » (ABBÉ 1993, 61). Au sud de Flagy, la bande de
territoire communal s’étire sur la longueur d’environ trois kilomètres pour une
largeur oscillant entre 1 et 1,3 km. Au nord, la morphologie est très différente, plus
large que longue, sans doute en raison du relief plus accentué, principalement au
nord-est où le bois de Bellefontaine est sur une colline qui culmine à 150 mètres et
que contourne la limite communale.
4.2.1.1.1. La villeneuve
Le plan de la villeneuve se présente sous la forme d’un quadrilatère enveloppé par
une enceinte plus arrondie. Cette enceinte n’existe plus mais elle est encore très
6
ème
Les limites communales étaient différentes au XVIII
puisque le bourg de Rudignon était alors
rattaché à Flagy. En 1832, ce hameau a été distrait (soustrait) de la commune de Flagy et réunit à
Noisy (LE MEE-ORSETTI et LE MEE 1988, )
185
nette sur le plan du XVIIIème (fig. 60). A partir du XIXème siècle, elle ne subsiste plus
que sous forme de chemins (fig. 61).
Si le plan paraît globalement régulier, l’étude de détail montre cependant que la
rectitude est loin d’être parfaite. L’Orvanne qui traverse le village7 d’est en ouest
passe en biais par rapport aux axes des îlots et des rues, et dicte sa forme à la
limite nord du village précédant l’enceinte qui n’a été construite qu’au XIIIème siècle
(HIGOUNET 1990 , 145). C. Higounet suggérait que la partie ouest du village avait
peut-être été rajoutée postérieurement à l’édification de la villeneuve primitive.
Celle-ci aurait été constituée par les îlots 2, 3, 4, et 5 (fig. 62) dessinant un carré
d’environ 210 mètres de côté. L’intégration de l’îlot 1 dans la villeneuve d’origine est
plus problématique. La rue de Traverse, rectiligne qui relie les îlots d’est en ouest et
ouvre sur la place de l’église a, dans l’îlot 1, un tracé oblique et en chicane comme
s’il avait dû s’adapter à des éléments déjà en place, s’insérant tant bien que mal
dans la continuité de la rue de Traverse.
Si l’îlot 1 a été rajouté ultérieurement, l’îlot 2 formait et fermait le côté ouest. Les
ressauts enregistrés par le cadastre napoléonien sur la partie 2a pourraient garder
le souvenir d’une éventuelle fonction défensive des bâtiments tournés vers
l’extérieur et la forme notée A (fig. 61) ou celui d’une porte de ville ou peut-être
d’une première fortification ou d’un enclos autour de l’église et du cimetière (FIXOT
et ZADORA-RIO 1990 (dir.) ). L’îlot 1 se serait développé ultérieurement entre la
route et la villeneuve, en intégrant peut-être un chemin issu du village.
Si l’îlot 1 est contemporain de la villeneuve, on peut difficilement expliquer le tracé
de cet axe. On ne peut que formuler quelques hypothèses, comme la présence d’un
7
Selon un érudit local, la rivière aurait été détournée pour passer dans Flagy au moment de
l’édification du village. Nous n’avons pu avoir confirmation de cette hypothèse. Le tracé de la
fausse rivière au nord du village, beaucoup plus sinueux, pourrait correspondre au cours de
l’Orvanne avant qu’il ne soit modifié. Mais on pourra tout de même s’étonner, s’il y a eu plan
concerté, que cette modification du cours d’eau n’ait pas été réalisée en respectant les axes et
l’orientation du plan de la villeneuve.
186
chemin antérieur conservé dans le dessin de la ville, ou bien il a été réalisé après
coup, le bâti étant déjà en place, on a dû composer avec les éléments en place pour
tracer la rue dans le prolongement de la rue de Traverse, ou encore on n’a pas
systématiquement recherché la géométrie dans l’élaboration de la ville. D’autres
éléments montrent qu’on est loin d’une orthogonalité parfaite : les îlots présentent
des renflements ou des resserrements, la partie nord est influencée par l’orientation
donnée par le cours de l’Orvanne, la place centrale de l’église ne s’inscrit pas dans
un rectangle mais montre une différence de longueur d’environ 10 m entre le côté
est mesurant à peu près 46 m et le côté ouest de 56 m environ. Cette différence est
due à l’extrémité de l’îlot 3a qui suit l’inclinaison de l’église alors que de l’autre côté
de la place, l’îlot 3b dans son prolongement conserve l’alignement de la rue de
Traverse. Les îlots 6, 7 et 8 appartiennent sans doute à une deuxième étape de
développement de la ville. On observe sur l’îlot 6 un découpage en parcelles
allongées qui ne montrent que peu de morcellements internes. J.L. Abbé a fait le
même constat à Villeneuve l’Archevêque pour les îlots les plus éloignés du centre,
moins attirants et donc plus ruraux (ABBÉ 1993, 72). A Flagy, les parcelles de l’îlot
6 les plus au nord trouvent leur prolongement au delà de l’enceinte dans les
parcelles rurales. Lors de l’élévation de cette enceinte, on a sans doute intégré dans
la ville des parcelles dont on a conservé les lanières. Dans les îlots 1, 2, 3, 4 et 5, le
découpage interne au sein des îlots est plus important et seules deux parcelles
relient les deux rues adjacentes. Dans un grand nombre de cas, il semble qu’on ait
procédé à un découpage par moitié des îlots sur leur longueur, comme c’est le cas
à Grenade sur Garonne (LAVIGNE 1996, 192). Les parcelles les plus petites sont
concentrées en bordure des rues alors que les parcelles internes sont plus larges.
Les dimensions des îlots ne sont régulières ni dans leur longueur, ni dans leur
largeur.
187
Nous avons relevé les dimensions suivantes pour les longueurs8 :
Îlot 1a 52 m 1b 143 m
Longueur totale : 202 m
Îlot 2a 65 m 2b 94 m
Longueur totale :
217 m en incluant la place,159 m sans
l’inclure
Îlot 3a 80 m 3b 106 m
Longueur totale :
234 en incluant la place, 186 m sans
l’inclure
Îlot 4a 81 m 4b 141 m
Longueur totale : 229 m
Îlot 5a 83 m 5b 142 m
Longueur totale : 231 m
Îlot 6a 35 m 6b 150 m
Longueur totale : 191 m
Îlot 7a 153
m
Îlot 8a 137m
Pour les largeurs9 :
Îlot 1
Îlot 2
Îlot 3
Îlot 4
Îlot 5
Îlot 6
Îlot 7
Îlot 8
41 m
44 m
49 m
44 m
45 m
36 m
39 m
41 m
La place de l’église n’est pas un rectangle parfait. Sa longueur a été mesurée aux
deux extrémités et au milieu : on obtient 45 m pour le côté le plus étroit, 56 m au
8
9
La mesure a été prise au milieu des îlots.
Les mesures ont été effectuées à quatre points différents pour chacun des îlots afin d’obtenir une
moyenne.
188
milieu et 62 m pour le côté le plus large. Pour la longueur, à partir de la rue du
Poêlon 112,5 m, et à partir du bord interne de la forme A : 96 m.
La présence d’une mesure ayant pu servir de module à l’élaboration du plan ne
semble pas évidente. Si les îlots 2, 4 et 5 ont sensiblement la même largeur de 4445 mètres, l’îlot 3 correspondant à l’emplacement de l’église est plus large, et les
îlots 1, 8, 7 et 6 ont des valeurs inférieures. En ce qui concerne les longueurs, elles
sont également toutes différentes.
Les surfaces des parcelles sont aussi très variées selon les îlots[PR10] : l’îlot 3b a
très peu de découpages internes contrairement aux îlots 1, 2b, 4 et 5 dont se
dégage une impression de morcellements importants. Comme nous l’avons déjà
signalé, il ne reste pratiquement plus de parcelles entières, à l’exception de celles
composant l’îlot 6. 70% des parcelles ont une longueur de façade comprise entre 4
et 10 mètres, et 20% entre 10 et 15 mètres. Il faut sans doute tempérer l’importance
de ces chiffres en raison des partages successifs qui ont certainement effacé en
partie le découpage d’origine. La comparaison avec l’îlot 6, moins urbanisé, tend à
montrer des largeurs sensiblement identiques, oscillant entre 6 et 9 mètres10,ce qui
pourrait indiquer que le découpage d’origine à l’intérieur des îlots correspond à peu
près à ces valeurs, et qu’on aurait donc eu des lots d’environ 7 mètres de large pour
22 mètres de long11 soit un rapport de 1 à 3 entre la longueur et la largeur. Ces
chiffres sont très proches de ceux obtenus à Villeneuve l’Archevêque par J.L. Abbé
(ABBÉ 1993, 73) ou à Grenade sur Garonne par C. Lavigne (LAVIGNE 1996,192).
10
La longueur des parcelles y est en revanche d’environ 36 mètres, l’îlot rajouté après coup étant
moins large que les autres.
11
En considérant que les îlots ont été partagés en deux dans le sens de la longueur.
189
Mais on peut difficilement, dans le cas de Flagy, parler d’un module de base.
Les dimensions très variables des îlots, celles de la place centrale de l’église qui ne
correspondent pas à celle des îlots, ne plaident pas en faveur de la mise en place
d’un plan géométrique à partir d’un module. Les voies principales ont-elles servi
d’axes au découpage ? Le plan montre que les axes nord-est - sud-ouest et nordouest - sud-est ne sont pas perpendiculaires : la rue de Traverse n’est
perpendiculaire à aucune des rues qu’elle traverse, ni à la Grande Rue, sans être
pour autant orientée comme la rivière. Le chemin de Dormelles à Thoury au sud
n’est pas non plus à angle droit avec les axes nord-est - sud-ouest. En revanche, il
est à peu près parallèle à la rue de Traverse. Les axes nord-est - sud-ouest sont
approximativement parallèles. On peut toutefois noter leur déformation et leur
tendance à s’évaser vers l’est pour les îlots 4a et 5a, peut être pour suivre la courbe
du chemin de Dormelles. Cela confirmerait que ce chemin a servi de base pour
tracer le plan de la ville.
En ce qui concerne la route de Flagy à Montereau, qui forme la Grande Rue du
village, il est plus délicat de l’interpréter comme un des axes fondateurs de Flagy.
Le coude formé par la route avant son entrée dans Flagy au nord pourrait indiquer
qu’elle a été déviée de son tracé initial. Le village se serait établi un peu à l’écart de
la voie et celle-ci n’aurait été intégrée que postérieurement au plan du village. Le
cadastre napoléonien (fig. 61 et 62) montre plusieurs anomalies : la route fait un
coude pour contourner l’angle nord-ouest de l’îlot 1a, et la rue entre cet îlot et l’îlot 2
est coupée partiellement par la rivière, enterrée sur 1/3 environ pour ne ressortir
que dans l’îlot 2b, comme si la rue avait eu initialement un tracé plus oblique et
qu’elle ait ensuite ou bien été décalée, redressée par rapport au reste du plan, ou
bien gagnée peu à peu par des parcelles. A-t-on réaménagé ce secteur au moment
de la construction de l’enceinte en donnant à la Grande Rue le statut de voie
principale prolongeant la route, maintenant intégrée et donc susceptible d’être
190
contrôlée ? Le tracé au nord de Flagy est parfaitement intégré au parcellaire qui a la
même orientation et prend appui sur lui. S’il y a eu réaménagement du réseau
viaire, celui-ci s’est visiblement intégré à l’organisation qu’avait sans doute
développé la villeneuve dans son prolongement. On sait que la création de
villeneuve ne s’arrêtait pas à l’implantation d’un village mais consistait également à
la mise en valeur d’un terroir, et il est nécessaire de s’interroger sur les
prolongements du village pour tenter de cerner les rapports ayant pu exister entre le
plan urbain et le plan rural au cours de la mise en œuvre de ce projet.
4.2.1.1.2. Le territoire
La partie se développant au sud de Flagy paraît avoir été privilégiée pour la mise en
place de l’organisation rurale. La partie nord est en effet constituée, aux abords du
village, de prairies humides et de marécages et, au delà, d’un relief beaucoup plus
accentué qui ont sans doute été considérés comme moins propices à la mise en
valeur des terres. On n’y constate pas de régularité dans l’orientation globale de
l’agencement des parcelles, et l’occupation du sol semble essentiellement avoir été
déterminée par les éléments physiques.
Au sud, l’impression qui domine à la vision d’ensemble est celle de la continuité
entre le village et le terroir (fig. 63). L’analyse détaillée montre cependant que la
situation est moins simple qu’il n’y paraît, et la régularité moins évidente. De même
que les axes de la villeneuve, les grandes lignes qui semblent avoir prévalu pour le
découpage des terres ne sont généralement ni exactement parallèles ni
orthogonales. Les limites principales des terres ne sont pas dans l’axe des rues du
village dont deux seulement se prolongent et semblent organiser l’espace rural.
191
Les limites communales qui dessinent une bande étroite et allongée sur environ 3
km au sud de la villeneuve montrent un tracé de la limite assez particulier : celui-ci
ne suit pas une ligne continue mais tout en gardant globalement l’orientation
générale, il se resserre vers l’ouest par des angles rentrants successifs pour aller
rejoindre progressivement la route issue de la Grande Rue de Flagy, qui d’une
position centrale dans le village devient limite est à environ un kilomètre au sud de
ce village. En revanche, la projection de ce chemin, en conservant son orientation,
aboutit à une rue située entre les îlot 3 et 4, et donc à la place de l’église. Nous
reviendrons sur cette coïncidence.
Aucun lieu habité isolé, ferme ou hameau, n’est présent dans la partie située au sud
de Flagy12, à la différence de la partie nord où sont installés le château de
Bellefontaine13, la ferme de Guemery14, et le moulin sur l’Orvanne15 (Mâche Moulin)
fig. 63).
Dans un premier temps, nous avons tenté de repérer les différentes unités
morphologiques. Deux ensembles ont été retenus, auxquels il faudrait peut-être
ajouter un troisième.
Un premier ensemble figuré en rouge sur la figure 64 semble se développer dans le
prolongement de la villeneuve. Il est très présent à son abord immédiat. Son dessin
n’est pas rigoureusement géométrique : au sud-est, il correspond aux limites
communales et s’incline davantage vers l’est. Cette légère différence d’orientation
entre la partie nord-ouest et sud-est ne nous a pas paru significative pour séparer
ces deux ensembles, dont se dégage une impression de cohérence. Un second
ensemble figuré en vert sur la figure 64 est peu important aux abords de Flagy.
12
ème,
Une ferme ruinée est mentionnée sur la carte au 1/25000
mais elle ne figure pas sur le plan
ème
siècle (fig.59).
d’Intendance du XVIII
13
ème
ème
ème
Château XII
et XIII
rasé et remplacé par un manoir au XIX
siècle, SRA Île de France et
ème
(STEIN et HUBERT 1954, 27).
mention XIII
14
Première mention en 1356 (id., 279).
15
Première mention en 1247 (id., 328).
192
Dans un premier temps, nous avons tenté de discerner ce qui dans le parcellaire
était orienté comme la villeneuve. Le problème qui se posait alors était celui du
choix de l'orientation dans la mesure où, nous l'avons vu, le plan urbain n’est pas
rigoureusement géométrique. Nous avons opté pour les orientations des linéaments
qui avaient paru être déterminants dans le plan du village, à savoir celle du chemin
de Dormelles, qui est la même que la section ouest de la rue de Traverse pour
l’orientation nord-ouest - sud-est, et celle de la Grande Rue (n°1) et de la rue n°4
pour les axes sud-ouest - nord-est. La proximité immédiate du village est très
nettement structurée selon ses orientations, mais au delà de 200 mètres environ,
elles disparaissent complètement et on ne les retrouve que un kilomètre plus au
sud, aux abords du chemin qui rejoint la Grande Rue. On pourrait en conclure que
l’organisation a été effacée. Cependant on peut envisager une autre hypothèse qui
serait de considérer que, à l’image du plan urbain, l’espace rural a été structuré
d’une façon assez souple, ne s’appuyant pas nécessairement sur le respect strict
des orientations.
Nous avons donc tenté de mettre en évidence les axes majeurs à partir desquels le
parcellaire semblait être organisé (fig. 65). Trois axes principaux orientés sudouest - nord-est paraissent avoir structuré profondément le parcellaire.
Le plus important est sans doute l’axe issu de la rue n°5 de la villeneuve (noté 1 sur
la figure 65) à partir de laquelle il se prolonge jusqu’au chemin qui sert de limite
communale. Son tracé est remarquable : il est continu sur la largeur totale de la
partie sud du territoire de Flagy, soit environ 3,1 km. A l’exception de la partie la
plus méridionale où il est conservé comme chemin, il est constitué d’un alignement
de limites parcellaires.
Le deuxième axe, à l’ouest (noté 2 sur la figure 65), est issu de la Grande Rue de
Flagy. A partir du chemin noté A (fig. 65), il s’infléchit pour rejoindre l’axe précédent,
mais on peut supposer que son tracé initial se prolongeait ou tout droit, comme
193
semblent l’indiquer quelques limites placées dans son axe, ou légèrement en
oblique vers l’ouest, comme le fait actuellement le chemin rural.
Le troisième axe, noté 3 sur la figure 65, à l’est du village, se prolonge bien au delà
de la limite communale où il continue à organiser le parcellaire.
Dans
le
sens
nord-ouest - sud-est,
l’organisation de
l’espace,
sans
être
rigoureusement géométrique, est relativement régulière approximativement jusqu’au
chemin A situé à environ 650 m au sud de Flagy. Le sol est découpé en quatre
bandes orientées nord-ouest - sud-est, globalement perpendiculaires aux trois axes
précédents. Une première bande, qui prend appui sur le chemin de Dormelles est
plus large, à peu près 190 mètres, alors que les trois suivantes ont des largeurs
sensiblement voisines comprises entre 125 et 150 mètres. A partir du chemin A, la
structure générale devient plus souple sur 600 mètres environ [PR11]vers le sud, à
l’exception d’une longue bande qui borde la limite communale à l’est. La courbure
du chemin A forme une anomalie dans le dessin relativement géométrique du
parcellaire. Ce dernier s’adapte à son tracé sans l’effacer. Il est intégré au
parcellaire tout en conservant ses variations d’orientation et ses courbes. Ce
chemin correspond à l’ancien itinéraire Moret - Sens par Dormelles16. Il n’était plus
nécessairement en usage lors de la création de Flagy mais son empreinte était
encore sans doute très forte dans le paysage de sorte que le nouveau parcellaire ne
peut l’effacer et l’intègre dans son dessin, intégration certainement facilitée par une
orientation générale à peu près identique. Le découpage géométrique dans le
prolongement de Flagy à l’est du village est présent bien au delà de la limite
communale, ce qui laisse supposer que cette bande de territoire y était à l’origine
rattachée. Le texte de fondation associe Louis VII et Hugues de Marolles mais
également la Dame de Bichereau. Or Bichereau est actuellement un petit hameau
16
cf. supra p.134.
194
situé à 1,2 km à l’est de Flagy, sur l’autre rive de l’Orvanne. On peut supposer que
cette bande de terre à la jonction du hameau et du bourg était dans la mouvance
des terres appartenant à l’un ou l’autre des seigneurs cosignataires du paréage et
faisait à l’origine partie du territoire concerné par le paréage. Ce n’est que plus tard
que Bichereau a été rattaché à la commune de Thoury-Ferrottes, ce qui a entraîné
une limite communale de Flagy différente.
La zone suivante est composée de fines parcelles étirées en est - ouest, très
régulières entre les axes n°1 et 3 (fig. 65), mais elles ne sont théoriquement plus sur
le territoire communal, leur tracé est beaucoup plus sinueux à l’ouest, obéissant
davantage aux courbes dictées par le relief. Cette zone est actuellement en partie
boisée.
A l’intérieur des quartiers de culture[PR12], le découpage tel qu’il nous est donné à
voir sur la photographie aérienne mélange quadrillage et laniérage. La présence
d’un module n’est pas certaine. Les limites intermédiaires délimitent des quartiers
de culture dont la taille oscille entre 100 et 240 mètres de large et entre 150 et 240
mètres de long pour les parcelles les plus régulières. La mesure de 240 mètres est
fréquente, ce qui semble normal puisque c’est la distance comprise entre les axes
au départ de la villeneuve. Les surfaces des parcelles sont elles-mêmes très
diverses. Nous avons mesuré les parcelles de la première zone à proximité de la
villeneuve et les surfaces trouvées vont de 40 ares à 150 ares, avec une majorité
comprise entre 44 et 80 ares. La validité de ces mesures est certes discutable. Le
travail sur la photographie aérienne ne permet pas de mesures fines ni
l’appréciation de ce qui peut ressortir à un regroupement ou au contraire à un
redécoupage interne des parcelles. Mais il aurait pu permettre de mettre en
évidence, même approximativement, des régularités sur la base d’un module. Dans
le cas de Flagy, nous n’avons pas pu en trouver. La mesure de 45 mètres qui est la
195
largeur moyenne des îlots est ponctuellement présente, mais on ne peut pas dire
qu’elle s’impose majoritairement comme mesure de base.
Flagy donne la sensation d’une occupation du sol progressive, à partir de trois axes
principaux mais sans réelle projection d’une planification s’étendant à l’ensemble du
territoire. On peut imaginer qu’on a tracé les trois axes majeurs à partir desquels on
a progressivement organisé le découpage au fur et à mesure de l’arrivée et de
l’installation des hôtes dans la villeneuve.
La comparaison avec Villeneuve l’Archevêque, étudiée par J.L. Abbé (ABBÉ 1993),
autre villeneuve de la même région, de taille à peu près identique et ressortissant à
des conditions de création similaires, montre des concordances morphologiques
certaines. Comme à Flagy, le parcellaire y est organisé à partir de deux bandes
déterminées par trois axes dont deux sont issus de la ville et un troisième
correspond à une limite communale. L’axe central, matérialisé comme chemin de
Pouy sur la commune de Villeneuve l’Archevêque, est fondamental dans
l’organisation du terroir des deux villages. La régularité du découpage où se
mélangent laniérage et quadrillage, est très sensible sur un kilomètre environ depuis
le village à Villeneuve l’Archevêque, sur 650, voire 1200 mètres si l’on inclut la
deuxième zone, à Flagy, mais elle s’estompe à mesure que l’on s’éloigne du village
sous l’influence du relief et peut-être, comme à Villeneuve l’Archevêque, de formes
antérieures. Flagy, d’après ce qu’en disent les textes, est une création ex nihilo. On
peut cependant se demander si des formes antérieures n’ont pas influé ici aussi sur
le dessin parcellaire. Quelques indices permettent d’en proposer au moins
l’hypothèse : les quartiers 3, 10 et 4 (fig. 64) montrent un découpage interne dont
l’orientation est divergente par rapport à celle des parcelles voisines. Pourtant
situées à proximité de la villeneuve, et donc là où le dessin de la mise en valeur du
sol est le plus géométrique et en lien direct avec le village, ces parcelles, ou limites
de parcelles pour celles du quartier n°4, sont en d écalage, montrant une inclinaison
196
est – ouest nettement plus marquée. Cette inclinaison plus forte est également
sensible à partir du léger coude effectué par l’axe n°2 à 400 mètres au sud de
Flagy, entre les quartiers 9 et 10, mais ici, elle est intégrée au dessin général qui a
tendance à la conserver. La mise en évidence de cette orientation montre qu’elle
est dominante de part et d’autre des deux bandes nord-sud délimitées par les trois
axes principaux, alors qu’elle est pratiquement absente dans cette dernière zone,
comme partiellement effacée par le cadastre mis en œuvre avec la villeneuve. Le
tracé du chemin de Moret à Sens par Dormelles est peut-être à l’origine de cette
forme. Mais on la retrouve aussi ponctuellement dans la partie nord du territoire de
Flagy, autour de la ferme de Guemery et dans un chemin qui longe la rive nord de
l’Orvanne mais sans lui être parallèle.
On pourrait donc penser qu’il existait sans doute une forme générale antérieure à la
création de la villeneuve, liée éventuellement aux tracés des chemins, et dont on n’a
pas pu totalement s’affranchir lors de la création du village et de son terroir. Sa
présence ponctuelle mais bien marquée est cependant difficilement explicable au
milieu du parcellaire jouxtant la villeneuve, là où il est précisément le plus organisé
et sans doute planifié. Ou bien il existait quelques linéaments forts qui ont été
conservés ou réactivés ultérieurement.
Une deuxième hypothèse[PR13] serait de proposer une apparition postérieure de
cette forme. Elle se serait développée essentiellement là où le parcellaire lié à la
villeneuve était le moins établi et donc le moins fortement structurant. L’hypothèse
pourrait être éventuellement recevable pour les tracés situés à l’est à l’ouest et au
nord, plus éloignés du village. Mais d’une part son interprétation en serait délicate
puisqu’elle s’étend de part et d’autre de Flagy sur les territoires des communes
avoisinantes de Thoury-Ferrottes à l’est et Dormelles à l’ouest, et d’autre part le
problème reste toujours posé par rapport aux tracés situés à proximité immédiate
197
de Flagy qui auraient dû au contraire conserver le plus fortement l’organisation
issue de la villeneuve.
La première hypothèse est d’autant plus convaincante qu’il existe, nous l’avons vu,
un réseau sur ce secteur. La mise en place de la villeneuve se serait ainsi effectuée
en tenant compte des formes générales préexistantes, en les intégrant dans la
nouvelle organisation dont l’orientation est très proche et qui prend appui d’une part
sur des tracés issus de la villeneuve, mais aussi d’autre part sur l’ancien chemin de
Moret à Sens qui a pu servir à délimiter la première zone d’occupation du sol. C’est
aussi sans doute ce qui explique l’impression que le territoire de Flagy s’étend à
l’est bien au-delà de ses limites communales : correspondant davantage à un
réaménagement et n’étant donc pas en opposition avec la forme générale
préexistante, l’organisation du parcellaire en relation avec la villeneuve ne se
démarque pas véritablement, excepté dans l’accentuation de sa géométrie.
Le texte de fondation de Flagy n’apporte aucune donnée sur l’élaboration et la
construction du projet prévu par Louis VII et Hugues de Marolles. Les similitudes
présentées avec les villeneuves du Bassin Parisien (HIGOUNET 1975; 1990; ABBÉ
1993) permettent cependant d’entrevoir un schéma général d’organisation. Le plan
régulier du village se prolonge dans un plan assez régulier lui aussi du parcellaire
rural.
La mise en place se fait sans doute progressivement, sorte de plan, de trame
évolutive en fonction des besoins liés , on peut le supposer, à l’établissement de
nouveaux villageois. A Flagy, le plan urbain montre que les îlots ont été rajoutés a
posteriori. La mise en valeur des terres se serait effectuée à partir d’axes de
pénétration issus de la villeneuve et s’étirant jusqu’aux confins du territoire, formant
un cadre sur lequel a pu progressivement se développer perpendiculairement un
parcellaire agraire dessinant des bandes parallèlement à la villeneuve. Ce
198
processus de planification est donc ici très peu rigide par rapport aux formes
repérées en Gascogne (LAVIGNE 1996 ; 1997) tant en ce qui concerne le plan
urbain que le plan rural. Nous avons souligné les différences de mesures entre les
îlots du village qui ne semblent pas reposer véritablement sur un module de base.
La mise en valeur des terres paraît quant à elle être fondée sur un processus de
progression méthodique.
La planification serait donc, dans le cas de Flagy, davantage qualitative que
quantitative, reposant sur une régularité certes, mais davantage morphologique que
métrologique.
4.2.1.2.
Grez-sur-Loing
Le village de Grez est situé en bordure nord-ouest de notre zone d’étude, sur la rive
gauche du Loing, au nord de Nemours (fig. 1).
Il est établi sur un sol composé de calcaire et de marne (fig. 66). Au nord-ouest, son
territoire s’étend sur un sol limoneux interrompu par des formations ou calcaires et
marneuses, ou de sables stampiens avec des galets de silex.
Au sud-ouest, une zone de sables stampiens et une moyenne terrasse
correspondent au bois de la Commanderie, et à l’est un secteur d’alluvions
modernes et récents suit le tracé du Loing (fig. 66).
Le relief est peu marqué, avec un léger pendage d’environ 2% en nord-ouest - sudest depuis le village jusqu’à la rivière, et quelques collines dans le bois de la
199
Commanderie dont la hauteur ne dépasse pas les 84 mètres maximum, ce qui est
modeste par rapport à l’altitude au bord du Loing de 58 mètres environ.
La commune de Grez recouvre actuellement une superficie de 1297 hectares (LE
MÉE-ORSETTI et LE MÉE 1988, 415), ce qui la range parmi les communes les plus
étendues de la zone d’étude. Sa forme est particulière, étirée en nord-est - sudouest, depuis le village situé au bord de la limite communale nord-est, jusqu’au
second pôle important, la Commanderie de Beauvais, située quant à elle à la limite
opposée de la commune au sud-ouest.
On ne connaît pas la date de fondation de cet établissement. Un acte de Philippe
Auguste permet seulement de penser que les Templiers étaient établis à Grez en
11841. Il ne reste actuellement de la commanderie qu’une cave, dans la forêt.
Le moulin de Hulay au sud de Grez faisait partie des possessions de la
commanderie de Beauvais (SADLER 1906, 363). Il y avait six moulins à Grez dont
trois ont complètement disparu.
Les limites communales sont un peu différentes de ce qu’elles étaient au XVIIIème
siècle avec un tracé au sud-ouest dans le bois, qui n’était pas rectiligne comme il
l’est aujourd’hui (fig. 67).
4.2.1.2.1. Le village
Le plan cadastral du XIXème siècle (fig. 68) montre que le village est établi à partir de
deux axes parallèles à la rivière et d’un axe perpendiculaire dans le prolongement
du pont, formant un bloc central à peu près quadrangulaire. Cependant l’analyse
détaillée révèle l’existence probable de deux ensembles distincts : d’une part un
ensemble régulier à peu près géométrique mais aussi d’autre part un second
1
A.N., S 5167 dans SADLER 1906, p. 367.
200
ensemble autour de l’église dont l’agencement est manifestement différent du plan
quadrillé.
Le plan quadrillé (fig. 69) s’organise à partir de deux rues parallèles à la rivière, la
Grande Rue, la plus proche du Loing, et la rue Victor Hugo, autrefois Rue Neuve2,
et d’un axe perpendiculaire, la rue du Vieux Pont, dans le prolongement du pont sur
le Loing. À partir de ces axes, on a, semble-t-il, procédé à un découpage différent
selon les secteurs. À partir de la place du Sauvage en allant vers le nord-est, entre
la Grande Rue et la Rue Neuve, le découpage s’est effectué perpendiculairement à
ces deux rues et l’habitat se répartit en bordure des axes majeurs. On a semble-t-il
peu de rues reliant les deux voies principales : la place du Sauvage, notée h, et les
rues notées e et f (fig. 70) sont les seules liaisons existant au XIXème siècle, et les
deux autres ne sont que des hypothèses. Sur les autres secteurs, le découpage est
réalisé dans un sens inverse, à partir de rues perpendiculaires à la Grande Rue et à
la Rue Neuve, dessinant quelques îlots. Les trois rues principales à angle droit avec
la Grande Rue (notées a, b et c sur la fig. 70) ne sont pas équidistantes et dessinent
deux îlots de taille différente. Le plan de Grez présenté sur le Plan d’Intendance du
XVIIIème siècle ne fait pas apparaître la rue centrale, notée b sur la fig. 70 (fig. 71 ).
Nous avons essayé de caler le plan de Grez du XVIIIème siècle avec celui du XIXème
siècle et un certain nombre d’incohérences sont apparues qui nous font penser que
le plan du XVIIIème n’est pas exact. La superposition des deux plans montre qu’en
positionnant l’une sur l’autre la Grande Rue, la Rue Neuve et la rue du Vieux Pont
de chacun d’eux, l’église se trouve bien au même endroit sur les deux plans, les
deux rues principales se rencontrent au même point à chaque extrémité du village,
et les rues reliant perpendiculairement ces deux axes dans la partie nord du village
sont identiques. En revanche, l’ensemble situé à l’ouest du pont et de la rue du
2
F.SADLER indique que cette rue portait le nom de Rue Neuve en 1314 (SADLER 1906, 452).
201
Vieux Pont est totalement différent : le chemin qui part de Grez vers l’ouest n’est
pas à la même place, le découpage des îlots est autre et les rues sont décalées. Si
l’on superpose approximativement les chemins de Recloses de chaque plan, les
formes situées de part et d’autres, les rues b, d et e retrouvent leur place, mais cette
fois tout le reste du plan est décalé : l’église, le pont, les extrémités nord et sud du
village entre autres ne sont plus au même endroit sur les deux schémas. Tout se
passe comme si les relevés de mesure avaient été effectués en confondant la rue a
et la rue b, comme si l’on avait mesuré en prenant la rue a comme rue principale, et
dans un second temps en prenant cette fois la rue b pour la principale, qui de ce fait
se trouve effacée du plan du XVIIIème parce que confondue avec la rue a. On peut
en effet difficilement imaginer qu’en 50 ans, on ait totalement modifié le tracé des
rues, et qui plus est en les gardant à l’identique mais seulement décalés de 40
mètres environ vers le sud. L’église, du XIIème, serait de toute façon restée à son
emplacement. Le Plan d’Intendance a été établi pour l’imposition et on s’intéressait
sans doute davantage aux terres comprises dans la paroisse qu’au plan du village
en lui-même. Le fait que la rue b n’apparaisse pas sur ce plan ne semble donc pas
lié à sa création entre 1783 et 1825, mais plutôt à une erreur de relevé au XVIIIème.
L’îlot A compris entre les rues a et b (fig. 70) ne mesure que 18 mètres de large
environ, ce qui correspond approximativement à la moitié des îlots B ou C et donne
la sensation que la rue a n’existait pas à l’origine et résulte davantage d’un
découpage interne d’un îlot unique qui aurait été constitué par l’ensemble des îlots
A et E, découpage peut-être dû à la construction du pont.
L’impression d’ensemble qui se dégage du plan est celle d’une assez grande
régularité avec des mesures qui paraissent intervenir de manière constante.
La mesure de 37,5 mètres et ses multiples, 75 et 112,5 mètres, est nettement
dominante (fig. 72 schéma 1). Elle correspond par exemple à la longueur de l’îlot A
202
en incluant la rue g, à la longueur de l’îlot B, à celle du C également jusqu’à la rue
qui le coupe en nord-sud, à la longueur de l’îlot F, Grande Rue et Rue Neuve
comprises, à celle de l’îlot G, à la largeur de l’îlot f en incluant la place du Sauvage,
à la largueur de l’îlot B, à celle de l’îlot A et la moitié de l’îlot E, etc.3.
Un seconde mesure à 42,5 mètres et ses multiples est également présente (fig. 72
schéma 2). Elle correspond à la longueur de l’îlot E, à celle de l’îlot I Grande Rue
incluse, à la distance entre la rue du Vieux Pont et les limites nord-est - sud-ouest
du village en suivant l’axe de la Grande Rue, à la distance comprise entre
l’extrémité ouest de l’îlot E et le pont, à la largeur des îlots B et C réunis, rue d
comprise, à la largeur de l’îlot C, etc. En revanche, on peut constater que cette
mesure est absente du secteur de l’église.
D’autres mesures apparaissent de façon ponctuelle : une de 62,5 mètres qui est
essentiellement localisée entre le Rue Neuve et le Grande Rue (fig. 73 schéma 3) et
peut-être deux autres de 65 et 200 mètres (fig. 73 schéma 4).
Les mesures à 37,5 et 42,5 mètres sont étroitement mêlées dans le plan et posent
la question de savoir si l’on a effectivement deux mesures différentes ou s’il s’agit
seulement d’une variante autour de 40 mètres. La longueur de 200 mètres
ponctuelle se rattacherait alors à cette valeur comme multiple. Mais on peut se
demander dès lors d’une part pourquoi cette mesure de base de 40 mètres est
quasiment absente du plan, et d’autre part pourquoi les deux autres mesures à 37,5
et 42,5 mètres sont aussi fortement marquées et individualisées, et montrent
chacune un écart de 2,5 mètres avec cette éventuelle valeur de 40 mètres. Peutêtre faut-il également considérer que la précision du plan n’offre sans doute pas
toutes les garanties pour apprécier une telle différence. Mais en revanche, les
figures 72 et 73 paraissent souligner avec force ce que le dessin du plan parcellaire
3
L’énumération est incomplète et nous renvoyons aux figures 71 et 72 pour avoir l’ensemble des
tracés ressortissant à ces mesures.
203
laissait déjà entrevoir, à savoir la présence d’un ensemble différent dans le secteur
de l’église.
La morphologie permet, semble-t-il de distinguer deux formes distinctes à l’intérieur
de cet ensemble (fig. 74). La première est mise en évidence par quelques limites
qui dessinent une forme semi-circulaire incluant le côté nord de l’église. À l’est, son
dessin est interrompu par le tracé de rues perpendiculaires à la Grande Rue, mais
semble réapparaître dans celui d’une ruelle et de quelques limites parcellaires qui
esquissent également une forme arrondie. À l’intérieur du demi-cercle, une parcelle
hexagonale irrégulière, notée A sur la figure 74, correspond à l’emplacement du
cimetière du XIXème siècle. La présence de l’église et du cimetière au sein de cette
forme permettent d’envisager l’hypothèse d’un enclos cimétérial (FIXOT et
ZADORA-RIO 1990 (dir.) ) dont l’enveloppe curviligne dessinée par les limites
parcellaires aurait fossilisé la trace. Il est impossible de préciser si cet enclos était
fortifié et/ou habité. L’église Notre-Dame et Saint-Laurent était un prieuré cure qui
dépendait de l’abbaye de Saint-Jean de Sens depuis 1145 (QUANTIN 1960, I, 503504). On ne connaît pas la situation exacte de ce prieuré brûlé sans doute par les
Anglais au XIVème siècle (QUESVERS et STEIN 1894, 96), seulement qu’il se
trouvait devant le fief de la Rivière (SADLER 1906, 65). Certaines études soulignent
le souci de constituer un quartier ecclésiastique homogène autour de l’église : à
Arbois dans le Jura (JEANNIN 1990, 55-56), Broc et Courchamps dans le Maine et
Loire (ZADORA-RIO 1990, 77-78 ; 87-90), l’ensemble église-prieuré est inclus dans
l’enceinte cimétériale. C’était peut-être le cas à Grez. Les dimensions de cet enclos
sont difficilement évaluables dans la mesure où l’on ne connaît pas réellement son
emprise spatiale, la forme arrondie repérée à l’est n’étant qu’une hypothèse
reposant sur des indices ténus. Si la forme est effectivement ovalaire, sa superficie
serait autour d’1,2 hectare. Mais il pourrait être moins grand, avec un dessin plus
circulaire, ou plus vaste, sa taille d’origine se réduisant peu à peu à partir de la fin
204
du Moyen-Âge, comme cela semble être fréquemment le cas (ZADORA-RIO 1990,
71), n’ayant alors laissé aucune empreinte.
Sa forme est d’autant plus difficile à cerner qu’il existe semble-t-il une deuxième
enveloppe. Louis VII aurait en effet fortifié Grez en 1127 (DELISLES 1877 (dir.),
225), en même temps que Moret-sur-Loing. La Tour de Ganne, donjon
quadrangulaire, en est le seul témoin encore partiellement en élévation à l’ouest du
pont (fig. 75a) et sa forme est identique à celle du donjon de Moret4 (fig. 75b). En
revanche, les remparts qui entouraient Moret sont en partie toujours en place, ce
qui n’est pas le cas à Grez où seule une gravure du XIXème les représente, déjà très
dégradés (CHATELAIN 1983). Il est difficile de savoir si les fortifications de Grez
étaient aussi importantes qu’à Moret. La position clé de cette dernière ville, à la
limite de la Bourgogne et de la Champagne, à proximité de la jonction du Loing et
de la Seine, et sur la voie de Paris à Lyon a sans doute entraîné la mise en œuvre
de moyens de contrôle et de défenses plus importants qu’à Grez. Deux hypothèses
sont possibles quant au tracé de cette fortification. La première est celle d’une
enceinte large (fig. 76), incluant la quasi totalité du village et dont l’emplacement
serait pérennisé par des orientations de limites obliques constituant des anomalies
dans le plan géométrique, et par la rue bordant le village au nord-est. Au sud, à
l’autre extrémité du village, les limites parcellaires montrent deux excroissances qui
pourraient indiquer son tracé. Une distance identique de 200 mètres environ sépare
la rue du Vieux Pont (a) des extrémités nord et sud potentielles. À l’est, quelques
limites parcellaires pourraient indiquer son dessin, mais on peut aussi penser que la
rivière jouait le rôle de défense naturelle.
La seconde hypothèse (fig. 76) n’inclut pas la totalité du village mais seulement la
partie sud-ouest, entre le donjon au nord et l’église au sud à partir d’où son tracé
4
Les dimensions du donjon de Moret sont un peu plus grandes : 17,5 m sur 13,5 m pour 15,3 m sur
12,1 m à Grez (CHATELAIN 1983, 101-105).
205
rejoindrait celui proposé par la première hypothèse. Cependant, il semble qu’il y ait
eu quatre portes de ville à Grez : la porte de Paris à l’ouest vers Recloses, la porte
Saint-Jacques au sud dans la direction de Nemours, une porte à l’entrée du pont
vers l’est, et la porte de la Croix ou de Boissettes au nord vers Marlotte (SADLER
1906, 450). La patte d’oie formée par le chemin de Bourron et la rue du Moulin de la
Fosse suggère que cette porte pouvait être située à cet endroit, ce qui semble
renforcer l’hypothèse d’une fortification large.
La première enveloppe, correspondant à l’enclos cimétérial a visiblement été plus
ou moins effacée par le plan géométrique. L’église et le cimetière sont séparés par
la Grande Rue qui coupe l’enclos en nord-sud, et la rue f ainsi que le prolongement
de la rue c le traversent en est-ouest (fig. 70). On peut se demander si le village n’a
pas connu deux phases différentes d’organisation : un premier épisode avec un
habitat groupé autour de l’église et du cimetière, et un second correspondant à la
mise en place d’un plan géométrique. Quelques éléments, limites de parcelles,
rues, bâtiments, pourraient figurer les indices ténus de cette organisation antérieure
distincte de l’ensemble plus géométrique par la différenciation de leur inclinaison
plus accentuée (fig. 77). À leurs extrémités ouest, les rues a et b ne conservent pas
l’axe rectiligne qu’elles ont depuis la Grande Rue et ces deux tronçons se
trouveraient en dehors du tracé éventuel de l’enceinte. Au centre du village, la Rue
Neuve forme un léger coude et les limites perpendiculaires qui s’appuient sur elle
respectent cette orientation. Elles s’insèrent dans le plan géométrique tout en
conservant une inclinaison légèrement différente, comme si ce plan avait dû
s’adapter à des axes forts préexistants. L’ensemble autour de l’église est en
discordance relative : les rues c et d bordant les îlots dans la partie ouest de la Rue
Neuve ne correspondent pas avec les rues a et b, mais la rue f a cependant la
même orientation. Le tracé du chemin de Recloses dessinant deux coudes à son
arrivée à l’ouest du village paraît avoir été modifié pour être placé dans l’axe de la
206
rue du Vieux Pont en respectant la régularité du plan. Ce chemin pourrait avoir subi
plusieurs transformations ; passait-il à l’origine par la rue b comme semble l’indiquer
la faible largeur des îlots A et G et l’inclinaison de la rue e à l’approche du pont ?
C’est une hypothèse5. Mais les deux coudes du chemin à l’ouest du village montrent
que ce tracé par la rue b était sans doute déjà le fruit d’une adaptation de l’itinéraire
dont on peut penser, ou qu’il était oblique pour rejoindre le gué, ou continuait en
ligne droite, ce qui pourrait expliquer l’emplacement de la rue f qui n’est pas alignée
avec la rue c mais avec ce chemin. Mais il aurait alors scindé l’enclos, ce qui
semble peu probable, à moins que, déjà dévié par celui-ci, il ait perduré comme
simple limite dans le parcellaire, la réduction progressive de cet enclos ayant permis
sa régénérescence sous forme de rue.
A l’exception du quartier de l’église, les différentes mesures trouvées dans le plan
ne coïncident pas avec la différenciation que les formes paraissent suggérer.
L’ensemble plus incliné autour de la place du Sauvage ne correspond pas à des
mesures particulières et ressortit aux mêmes valeurs métrologiques que celles
mises en évidence sur l’ensemble du plan géométrique. Ce dernier aurait donc
intégré les formes antérieures sans toutefois les effacer totalement, la Rue Neuve,
qui était sans doute déjà une limite forte, et les rues perpendiculaires conservant
leur orientation initiale.
Un autre ensemble diffère totalement, par son orientation du reste du village (fig.
78). Il est limité à la partie sud-est et au tracé oblique qui limiterait l’agglomération
au nord et paraissant prolonger la rue du Moulin. On a l’impression ici d’une
organisation antérieure complètement gommée par le village. La rue du Moulin au
nord-ouest correspond au chemin de Moret et on peut se demander si le village n’a
pas capturé cet itinéraire pour l’intégrer à son plan, son tracé initial étant conservé
5
Pour F.SADLER, la porte de Paris était située au bout de la rue b (SADLER 1906, 452).
207
par le tracé de la fortification. Au sud, une majorité de limites parcellaires
s'accordent avec cette orientation qui s’arrête brutalement avec la limite sud de la
localité.
L’organisation géométrique ne concerne apparemment pas seulement le plan du
village mais également une partie du territoire rural.
4.2.1.2.2. L’organisation du territoire rural
A l’exception de trois zones dont une très réduite, l’ensemble du territoire est
actuellement boisé, ce qui rend son étude à partir des clichés aériens délicate. Une
de ces zones, située au nord-est autour de la ferme des Chapelottes entre le Loing
et le canal du Loing, est un peu particulière. Elle a connu de profondes
modifications en raison de l’exploitation de sablières. Sur la carte au 1/25000ème
actuelle, pratiquement tout le secteur est recouvert par les trous d’eau constitués
par cette exploitation, ce qui n’était pas encore le cas en 1945 d’après la carte
I.G.N. plus ancienne6 (fig. 79), et seulement très ponctuellement sur les
photographies aériennes de 1949 et 1962. Cette dernière mission met en évidence
un ensemble de traces fossiles (fig. 80) qui semblent correspondre à des formes
parcellaires et des sections de chemins dont un présente un embranchement dans
sa partie sud-ouest. L’ensemble des formes parcellaires n’est pas homogène (fig.
81) : certains tracés sont orientés comme la ferme des Chapelottes, d’autres,
comme il est possible de le constater dans la zone comportant les chemins, sont
approximativement nord-sud, d’autres enfin ont une orientation est-ouest plus
accentuée. Quelques traces correspondent à des chemins inexistants au XVIIIème
6
Carte I.G.N. au 1/20000
ème
dressée en 1945.
208
siècle mais la plupart sont situés dans une zone boisée à cette époque (fig. 67). La
carte au 1/20000ème dressée en 1945 et donc avant l’exploitation des sablières fait
apparaître certains des tracés principaux (fig. 79). Sur le plan d’Intendance, cette
zone correspond à la limite est de la Terre des Chapelottes. On peut émettre
l’hypothèse qu’elle correspond à peu près au fief des Chapelottes dont les
premières mentions apparaissent au XIIème siècle7. Le fief dépendait des seigneurs
de Chevry-en-Sereine et jouxtait le fief des Grands Buissons, maintenant sur la
commune de La Genevraye (SADLER 1906, 295). Ces deux fiefs eurent, semble-til, des seigneurs communs à partir du XVème et jusqu’au XVIIIème siècle (id., 297). Au
XVIIIème, les Grands Buissons ne relèvent plus de la paroisse de Grez mais de celle
de La Genevraye.
L’ensemble parcellaire fossile correspond-il à l’empreinte laissée par la mise en
valeur de ce fief ? Les tracés paraissent dessiner des petits champs carrés
relativement réguliers d’environ 25 mètres de côté. Nous avons vu que cet
ensemble pouvait ressortir du grand réseau rouge , présent sur l’ensemble de la
zone d’étude (fig. 47), sans doute d’origine indigène. L’emplacement de ces traces
dans une zone basse et marécageuse pourrait aussi correspondre à un système de
drainage peut-être lié à la mise en valeur du sol à l’époque médiévale, ou moderne.
Au nord-ouest du village, le cadastre du XIXème siècle montre un ensemble
parcellaire géométrique (fig. 82) s’étirant en longueur sur environ deux kilomètres,
principalement compris entre les chemins de Recloses au Moulin de la Fosse et de
Montcourt-Fromonville au nord, et de Recloses à Grez et Montcourt-Fromonville au
sud, et s’étendant un peu au delà du chemin vers le sud, pour une largeur totale
d’environ 900 mètres. Les grands axes approximativement est-ouest sont reliés par
des chemins perpendiculaires qui les organisent en grands blocs quadrangulaires
7
Archives de l’Yonne, H 377 dans STEIN et HUBERT 1954, 103.
209
(fig. 82). À l’intérieur de ces blocs se dessinent de longues parcelles, au laniérage
majoritairement est-ouest jusqu’à 600 mètres du village, à l’exception du lieu-dit
« Les Bergeries » et d’un petit ensemble au lieu-dit « l’Épine », puis un laniérage
« mixte », ou est-ouest ou nord-sud, sur 400 mètres environ, et enfin exclusivement
nord-sud sur les 900 derniers mètres, jusqu’à la limite de Recloses (fig. 82). Ce type
de découpage et le sens du laniérage n’ont quasiment pas changé entre le début du
XIXème et le milieu du XXème siècle ; l’ancien cadastre montre que dans la zone la
plus éloignée du village, les lanières relient les deux chemins de Recloses sans
interruption, sur une longueur de 535 mètres pour une largeur de 7,5 mètres
environ. À proximité du village, les lanières sont de dimensions plus modestes,
oscillant entre 120-180 mètres de long, voire même 62 mètres pour les plus petites,
et de 4 à 15 mètres de large. À partir du lieu-dit « Les Vallées » et jusqu’aux limites
nord-est de la commune, le territoire est actuellement boisé et le plan d’Intendance
montre que c’était déjà le cas en 1783 (fig. 67). Le développement, l’aménagement
et l’entretien de la forêt de Fontainebleau ont sans doute contribué à l’extension du
domaine forestier dont on peut supposer qu’il n’a pas été toujours aussi important.
Un texte du début du XIVème siècle concernant la vente d’une garenne du roi
apporte quelques éléments intéressants8 à ce propos. Cette garenne qui s’étendait
entre Recloses à l’ouest et Bourron à l’est avait été délimitée par onze bornes, et a
été vendue aux habitants de Recloses, des Cumiers, de Grez-sur-Loing et de
Bourron ayant leur demeure ou leur propriété à l’intérieur de cette garenne. Les trois
villages de Recloses, Grez et Bourron existent toujours ; par contre ce n’est pas le
8
Registre du Trésor des Chartes, n°190, T 1, Paris, 1958. Archives nationales, JJ 38 fol.49 v°50, n°89.
Malgré l’appel à un épigraphiste, il n’a pas été possible de déchiffrer et donc de traduire ce document.
210
cas des Cumiers. Il n’est pas précisé s’il s’agissait d’un village ou d’un simple
hameau d’un des villages cités. Quelques lieux-dits dans la forêt portent encore ce
nom : les Ventes Cumier, le Bois des Cumiers, le Carrefour des Ventes Cumier
permettent de localiser globalement cet habitat disparu mais rien ne permet de le
situer avec plus d’exactitude. Les carrefours de chemins forestiers sont nombreux
avec des tracés rectilignes. Seuls peut-être quelques chemins comme la route du
Chardon, la route de l’Épine et la route des Tapisseries ont un dessin particulier : ils
semblent converger mais sont arrêtés par la limite communale de Bourron avant
d’avoir pu se rejoindre et leur tracé s’interrompt brusquement. Le relief étant à cet
endroit beaucoup plus accentué, on ne peut déterminer si cette configuration résulte
de la topographie ou si elle pourrait correspondre à l’emplacement éventuel de cet
habitat disparu.
En revanche, un des intérêts supplémentaires de cette charte est d’indiquer que le
gibier endommageait les vignes des habitants. Le bois ne recouvrait donc sans
doute pas, comme c’est le cas au moins à partir du XVIIIème siècle jusqu’à nos jours,
l’ensemble de ce secteur à la limite des communes de Grez, Recloses au nordouest et Bourron au nord-est.
L’organisation du parcellaire est très semblable à celle des parcellaires de
défrichements des villeneuves du Bassin Parisien comme Villeneuve l’Archevêque
ou Flagy (HIGOUNET 1975; ABBÉ 1993) avec un découpage à partir de deux ou
trois axes principaux qui mélangent les divisions en blocs quadrangulaires et les
laniérages, tout en étant beaucoup plus géométrique sur ces deux exemples.
Dans un premier secteur (fig. 82) à peu près jusqu’au lieu-dit « Les Vallées », la
structuration semble établie à partir de formes intermédiaires importantes : cinq
chemins perpendiculaires aux axes principaux A et B délimitent des bandes
parallèles au village ; ces chemins ne sont pas équidistants : 115 mètres du village
211
au premier chemin, 127 mètres de ce chemin
au deuxième, 117 mètres du
deuxième au troisième chemin, 125 mètres du troisième au quatrième chemin et
105 mètres du quatrième au cinquième chemin. Sans être identiques, les valeurs
trouvées sont cependant proches, autour de 120 mètres, à l’exception de la
dernière. Mais ces chemins ne sont pas continus et seul le premier relie
véritablement les deux grands axes A et B. Le deuxième chemin est interrompu par
le bloc du lieu-dit « Les Maladreries » et ne constitue que la limite du bloc des
Bergeries, le quatrième chemin est arrêté par le quartier situé à l’ouest des
Bergeries et le cinquième chemin enfin est courbe et se termine sur un bloc
parcellaire central. En fait, ces chemins ne sont présents qu’en bordure des
quartiers dont le laniérage leur est perpendiculaire et où ils sont donc nécessaires à
la desserte des parcelles. Les divisions parallèles aux axes A et B ne sont pas
toujours très nettes. Certaines sont marquées par les chemins, essentiellement
entre les quatrième et cinquième chemins. Un ensemble est nettement individualisé
par l’orientation de son laniérage, perpendiculaire à l’axe A, au lieu-dit « Les
Bergeries » de part et d’autre de cet axe. Son toponyme pourrait signifier la
présence à cet endroit d’un parc à bétail, d’une zone réservée à l’élevage.
Le deuxième secteur (fig. 82) est moins homogène quant au découpage parcellaire:
certaines blocs sont laniérés, ou parallèlement ou perpendiculairement aux chemins
A et B, d’autres sont organisés en parcelles quadrangulaires de tailles différentes.
Le secteur semble structuré en trois bandes parallèles aux axes A et B, de largeur
presque identique comprise entre 180 et 200 mètres.
Le dernier secteur (fig. 82) enfin correspond à de longues parcelles, certaines, nous
l’avons vu, reliant sans interruption les axes A et B. Il est difficile ici de déterminer si
ce laniérage correspond à une première mise en valeur du sol ou à un remodelage
radical du terroir comme pour l’exemple de Wharram Percy (ZADORA-RIO 1991). À
Lion-en-Beauce, le remodelage du territoire s’est effectué en respectant cependant
212
des cadres plus anciens (LETURCQ 1996). Le laniérage pourrait résulter d’un
découpage interne de bloc quadrangulaire, mais aussi à l’inverse de la réunion de
petites parcelles comme c’est le cas à Blou (ZADORA-RIO 1987, 48).
Cette question des laniérages est complexe et, comme le souligne J.L. ABBÉ les
cas de figures peuvent être multiples (ABBÉ 1996, 229-230).
A Grez, on a la sensation que le laniérage a coexisté avec une organisation en bloc
quadrangulaire comme c’est probablement également le cas à Flagy et Villeneuve
l’Archevêque (ABBÉ 1993).
Deux chemins traversent en diagonale ce parcellaire géométrique : le Grand
Chemin de Lyon à Paris, actuellement Nationale 7, et un chemin rectiligne qui ne
porte pas d’indication de direction. Il est aussi présent sur le plan d’Intendance avec
une légende partiellement illisible - il semble être écrit « Route de … C …
Recloses -
et
il
est
possible
de
supposer
que
le
C…
correspond
à
« Commanderie », située effectivement dans le prolongement au sud. Le dessin de
ce chemin est cependant étonnant avec un changement brutal de direction vers
l’ouest, et donc Recloses, à la limite de Grez, et se confond ensuite avec l’axe B,
chemin de Recloses au Moulin de la Fosse au Nord de Grez. On voit cependant
que son tracé se poursuit en ligne droite vers la garenne de Bourron où il
s’interrompt, mais ne correspond alors pas à la destination indiquée par le plan
d’Intendance. Il s’agit donc plutôt d’un itinéraire issu de l’assemblage d’itinéraires
différents : la Commanderie - La Garenne de Bourron d’une part, et Recloses - Le
Moulin de la Fosse d’autre part.
Ce chemin comme la Route de Paris à Lyon se surimpose à l’organisation du
parcellaire mais ne l’influence en aucune manière. Néanmoins, le chemin appelé
« Chemin de Paris » sur le cadastre napoléonien est parfaitement intégré comme
axe perpendiculaire aux chemins A et B. Il est issu du réseau local de Villiers-sous-
213
Grez et se dirige vers Bourron. Il permet de rejoindre le Grand Chemin de Paris
sans passer par Grez, d’où sans doute son appellation.
La partie de cadastre napoléonien que nous possédons s’arrête à l’axe A.
Cependant, les photographies aériennes montrent qu’il existe un troisième axe qui
lui est parallèle, à 300 mètres environ au sud. La structuration géométrique entre
ces deux axes apparaît plus ponctuellement et semble ou bien avoir été réalisée de
façon moins systématique ou bien être davantage dégradée que la partie située
entre les axes A et B. Un certain nombre de parcelles ou blocs parcellaires ont des
orientations différentes, et à l’exception du premier tracé , les chemins reliant les
voies A et B ne trouvent pas leur prolongement de l’autre côté de l’axe B.
Les surfaces des parcelles sont très variables. Le calcul effectué pour presque la
moitié des parcelles comprises entre les axes A et B, et sur l’ensemble des trois
secteurs, donne des mesures que l’on peut regrouper en trois ensembles
différents : un premier groupe avec des valeurs variant autour de 53 ares, un
deuxième groupe autour de 44 ares et un troisième groupe autour de 37 ares.
Souvent, ces valeurs sont représentées ou par leur moitié, ou par leur double. Ces
mesures ne sont pas sans évoquer celles des trois arpents connus du Gâtinais
(THOISON 1904, p. 17-18)9, leurs valeurs sont cependant légèrement supérieures :
53 ares alors que la mesure de l’arpent d’ordonnance ou du roi est de 51,07 ares,
44 ares alors que celle de l’arpent commun est de 42,21 ares, et 37 ares alors que
l’arpent de Paris correspond à 34,19 ares. La précision et du cadastre et de nos
mesures n’est sans doute pas étrangère à ces différences de valeurs ; par exemple,
sur les parcelles laniérées les plus larges, la surface obtenue est de 26,75 ares soit
la moitié de 53,5 ares, correspondant à une largeur de 5 mètres pour une longueur
de 535 mètres. Une erreur de 0,01 millimètre dans le calcul de la largeur modifie
9
Supra, p.145.
214
cette dernière de 0,25 mètre, et pour une longueur identique de 535 mètres, la
surface obtenue est alors de 25,41 ares, soit la moitié de 50,8 ares, ce qui, en étant
toutefois inférieur est cependant encore proche du demi arpent d’ordonnance. Sur
les parcelles plus petites, la différence est moins sensible mais à un mètre près, soit
0,4 millimètre à l ‘échelle du plan du XIXème siècle, précision que l’on a du mal a
revendiquer tant en ce qui concerne le plan lui-même que nos mesures, les
surfaces sont quand même suffisamment modifiées pour que la valeur trouvée soit
réellement très précise.
La présence simultanée de ces trois groupes de valeurs, proches des arpents
d’ordonnance, commun ou de Paris, et sans que l’une d’elles soit privilégiée ni
quant au nombre de parcelles concernées, ni quant à une localisation particulière
au sein de l’organisation, pourrait signifier que le découpage des parcelles a connu
un certain nombre de modifications et ne témoigne sans doute pas d’une mise en
place originelle. En revanche, il est intéressant de s’interroger sur les rapports de
mesures et d’orientations entretenus par le plan du village et l’organisation rurale.
La première constatation qui s’impose est celle de la similitude d’orientation des
axes principaux des villages et du dessin parcellaire rural (fig. 82). Mais celle-ci
n’est cependant pas rigoureuse. Les axes du village ont en effet une inclinaison
vers le sud légèrement plus accentuée. Les deux axes majeurs du parcellaire ne
correspondent pas à des axes importants du village. L’axe B passe à l’extérieur de
Grez, l’axe A n’est pas exactement en face de la rue c dans laquelle elle pourrait
trouver son prolongement. La rue principale, a, du Vieux Pont, ne correspond à
aucun axe du parcellaire rural. Les limites intermédiaires parallèles à l’axe A, ne
paraissent pas être en relation directe avec des limites ou des rues de
l’agglomération. Toutefois, si l’on prolonge effectivement ces limites vers le village,
quelques coïncidences apparaissent avec des limites du plan de Grez. Les
correspondances métrologiques (fig. 72, 73 et 83) sont nombreuses avec la mesure
215
de 37,5 mètres - particulièrement 112,5 mètres soit trois fois cette mesure, 150
mètres soit 4 fois la mesure et 187,5 mètres soit 5 fois la mesure - et de 42,5 mètres
- en particulier 127,5 et 170 mètres correspondant à respectivement 3 et 4 fois la
mesure. On retrouverait donc dans le parcellaire rural les mêmes mesures de base
que celles relevées dans le plan urbain, avec une assez nette prédominance de
celles fondées sur 37,5 mètres. Il est étonnant de constater que cette valeur
correspond au module mis en évidence par C. Lavigne dans les parcellaires des
villeneuves de Gascogne (LAVIGNE 1997). Dans cette région, cette valeur
concorde à 0,56 hectares, soit 37,5 par 150 mètres, et à l’arpent de Toulouse, cette
surface servant apparemment de module. Mais on s’aperçoit que 3/4 de l’arpent de
Toulouse, soit 37,5 par 112,5 mètres (ib.) équivalent à 42 ares 19, c’est-à-dire, à
deux mètres près, à la valeur de l’arpent commun, le plus utilisé en Gâtinais, et qui
s’accorde à l’arpent de 20 pieds par perche que la réforme de la coutume de Lorris
en 1531 contribua à imposer (THOISON 1904, 17-18). On ne connaît pas la mesure
en usage avant le XVIème siècle à Grez. Mais les coïncidences métrologiques entre
le plan urbain et l’organisation parcellaire rurale tendraient à nous faire penser que
l’arpent commun aurait pu prévaloir à Grez dès le Moyen-Âge10.
La question importante posée par la parenté d’organisation du village et de l’espace
rural par un plan géométrique est celle de l’interprétation de Grez comme
villeneuve. À la différence de Flagy, il n’existe pas de texte faisant état d’une
création volontaire. Quelques éléments peuvent toutefois apporter certaines
données. La présence du donjon et le texte, déjà mentionné, concernant la
fortification de Grez sans doute en 1127 par Louis VII, témoignent de la présence
10
Pour obtenir plus de finesse et d’exactitude de ces observation et de ces mesures, il serait
intéressant de mettre en œuvre une analyse moins « artisanale » du même type que celle effectuée
sur Villeneuve l’Archevêque (abbé 1993), les villeneuves de Gascogne (LAVIGNE 1997) ou encore à
Sagonne (DE SOUZA, CHOUQUER et FOURTEAU-BARDAJI 1976) permettant une recherche des
périodicités par un traitement numérique d’images.
216
royale dans ce village dès le début du XIIème siècle. Le second élément est constitué
par l’octroi probable d’une charte de coutumes issues de celles de Lorris à ce
village. Grez ne fait pas partie des villages recensés par M. Prou (PROU 1884)
comme ayant possédé une telle charte. On sait cependant par un acte de Philippe
Auguste que ce dernier a confirmé en 1186 les coutumes que Louis VI et Louis VII
avaient accordées aux habitants de La-Chapelle-La-Reine et aux villages
appartenant au même bailliage11. Or les comptes royaux de 1202-1203 montrent
que La-Chapelle-La-Reine et Grez sont associés au sein d’une prévôté double, et
que cette prévôté est royale (LOT et FAWTIER 1932, CXL). Cette prévôté paie un
droit de sénéchaussée directement au roi, en une seule fois au premier terme, ce
qui était uniquement le cas des plus vieilles prévôtés (id., 12). On peut dès lors
supposer que Grez a reçu les coutumes de Lorris en même temps que La-Chapellela-Reine, entre 1108 et 1137.
Ces deux éléments, la présence royale au début du XIIème siècle, et l’octroi très
probable des coutumes de Lorris, alliés à la présence du plan quadrillé du village
associé à un parcellaire rural géométrique paraissent accréditer l’hypothèse selon
laquelle Grez serait une villeneuve.
A la différence de Flagy, celle-ci ne serait pas une création ex nihilo mais
interviendrait plutôt dans le cadre d’une mise en valeur de nouvelles terres à partir
d’un noyau villageois préexistant, comme ce fut le cas à Villeneuve-l’Archevèque
(ABBÉ, 1993). La délimitation très rectiligne du parcellaire rural au nord par un
chemin qui sert de limite communale, le toponyme l’Épine à proximité du village au
sein du parcellaire rural, la faible extension nord-sud de ce dernier, qui ne se
développe pas latéralement mais en profondeur sur une bande étroite entre deux
axes distants d’environ 850 mètres perpendiculairement à l’axe du village et sur
11
Ordonnance XI, 239, dans DELISLES n°171 et DELABORDE I, n °83, p.218 ; Nous avons reproduit
ce texte en annexe 3.
217
pratiquement deux kilomètres, et enfin l’absence quasi totale d’orientations
divergentes sur l’ensemble de cette zone amènent à supposer que ces terres ont
été gagnée par des défrichements dans un secteur qui ou bien n’était peut-être pas
encore cultivé, ou bien était peut-être plus ou moins délaissé.
Cette entreprise de colonisation s’est sans doute appuyée sur des éléments
antérieurs. Deux chemins importants passent en effet à Grez : d’une part celui de
Moret à Grez qui se divise en deux pour aller ou vers Larchant ou vers Nemours, et
d’autre part probablement un ancien chemin qui, de Sens, se dirigeait vers le nordouest. Le village initial s’est il établi sur ces deux axes ? L’orientation du parcellaire
quadrillé correspond à celle du chemin de Sens, tandis que l’ensemble situé au sudouest du village, orienté différemment du reste du parcellaire géométrique et qui
semble limité à l’extérieur à l’enceinte, est orienté comme le chemin de Moret d’une
part, mais aussi comme le réseau rouge présent sur l’ensemble de notre zone
d’étude (fig. 47). L’orientation du chemin de Sens semble avoir prévalu lors de cette
opération de défrichement et de peuplement, d’autant plus vraisemblablement que
cette orientation correspondait à peu près au dessin de la rivière à proximité de
laquelle l’ancien noyau villageois s’était établi.
Comme à Flagy ou Villeneuve l’Archevêque, la conquête des terres paraît avoir été
réalisée progressivement par des bandes parallèles au village. On peut cependant
s’interroger sur le succès escompté de cette entreprise : la partie nord-ouest du
village montre des parcelles laniérées relativement identiques à celles du parcellaire
rural et sans doute contenues dans l’enceinte. Or ces parcelles n’ont apparemment
pas été loties, comme si l’on avait prévu, dans le plan quadrillé du village, de la
place pour de nouveaux habitants, et que ceux-ci ne venant pas, elles aient
conservé leur découpage d’origine rurale.
Comme la plupart des villeneuves du Bassin Parisien, Grez semble donc s’inscrire
dans la vaste entreprise menée par Louis VI et surtout Louis VII et Philippe Auguste
218
de peuplement et de défrichement répondant à un but économique mais également
politique en affirmant ainsi leur présence et leur autorité. La situation de Grez, sur le
Loing et sur des itinéraires assurément relativement importants a dû favoriser la
réactivation d’un village qui devait à l’origine être plus modeste, par la mise en
valeur volontaire et organisée d’un espace rural.
Le plan du village montre cependant en enchevêtrement de formes (fig. 78) qui
laisse supposer qu’il résulte plus de modifications, de réaménagement successifs,
que d’une création globale en une seule fois.
4.2.2. Les formes circulaires
4.2.2.1.
Villemer
Le territoire est très étiré en est - ouest et ses limites communales sont identiques à
celles du XVIIIème siècle (fig. 1 et 84).
Le village de Villemer comprend de nombreux écarts et hameaux : la ferme du
Gallois à l’est, la Viennerie à l’ouest du village, le Coudray et Villeron au nord-ouest,
le Coignet, la Chamauderie et le Luat à l’ouest en limite de commune, et les deux
hameaux de Montmery au sud-est et de Rebours, le plus important, situé à 1500
mètres au nord - ouest de Villemer.
La surface de Villemer est la plus vaste de toutes les communes de notre zone
d’étude avec 1843 hectares (LE MEE ORSETTI 1988, 809), alors que les
communes voisines, par comparaison, ont des superficies qui varient entre 741
219
hectares pour Épisy (id., 361), la moins étendue et 1421 hectares pour Treuzy
Levelay (id., 765) la plus vaste.
4.2.2.1.1. Le village
Il occupe une place presque centrale dans le territoire communal. L’organisation
n’est pas homogène et l’on peut différencier deux ensembles (fig. 85 et 86) : au
nord et à l’est de l’église, le plan est quadrangulaire et prend appui semble-t-il sur le
chemin de Dormelles, en revanche, à l’ouest et au sud, le plan est rayonnant avec
des rues qui convergent vers l’église. La Grande Rue du Bout d’en Haut et la rue de
l’École paraissent dessiner une enveloppe dont la forme pourrait évoquer celle des
enclos ecclésiaux (ZADORA-RIO - FIXOT 1990) (fig. 86). Avait-on à Villemer une
telle délimitation ? Les indices donnés par le plan parcellaire permettent du moins
d'en proposer l'hypothèse. Le tracé de cet enclos pourrait avoir à peu près les
contours suivants : la rue de Dormelles, la Grande Rue du Bout d’en Haut – le
carrefour de ces deux rues montre deux petites anomalies et une petite forme
carrée qui pourraient indiquer la présence d’une porte – et l’angle rentrant au sud de
la Grande Rue. Le contour sud est difficilement repérable. Par contre, deux limites
de parcelles à l’est ne sont pas perpendiculaires aux autres pourtant régulières
dans le secteur, et il faut peut-être y reconnaître le tracé de ce possible enclos. La
rue de l’École reprend la même forme que la Grande Rue, comme s’il avait existé
une seconde enveloppe. Mais peut-être est-ce seulement dû à l’adoption du dessin
parcellaire généré par la forme de la Grande Rue. Les limites parcellaires situées à
l’ouest conservent en effet également cette même courbure. Cette dernière n’existe
plus dans la forme actuelle, le dessin de ces deux rues a été redressé et elles
montrent maintenant un trajet rectiligne.
220
Le plan de Villemer ne donne pas l’impression de planification telle qu’on pourrait la
supposer dans celui des villeneuves comme à Flagy. L’habitat s’est sans doute
développé progressivement autour du noyau ecclésial. La forme, la taille et
l’orientation des parcelles sont très variables, et deviennent de plus en plus grandes
à mesure que l’on s’éloigne du centre. L’habitat semble s’être concentré autour de
la Grande Rue, alors qu’à l’est de l’église la taille des parcelles montre que le village
n’a pas connu de fort développement urbain dans ce secteur.
L’église est datée du XIIIème siècle, mais on ne sait rien de l’implantation de ce
village ni d’une éventuelle occupation antérieure. En revanche, la photographie
aérienne met en évidence des traces fossiles importantes1 dans le parcellaire rural
entre Villemer et Rebours au nord-ouest qui laissent penser que le village s’est
établi dans une zone déjà occupée à des époques antérieures.
4.2.2.1.2. L’organisation rurale
Dans un premier temps, nous avions interprété cette organisation comme une
forme circulaire en raison de certaines limites parcellaires qui semblaient dessiner
une grande enveloppe à l’est et au nord du terroir de Villemer, et, peut-être une plus
petite autour du village lui-même (fig. 87). En fait, il semble qu’il s’agisse davantage
d’une organisation radiale : les chemins dessinent en effet un réseau étoilé depuis
le village, mais qui n’influence pas véritablement le dessin du parcellaire, celui-ci
restant découpé selon un mode quadrillé. Ce quadrillage s’organise autour de deux
orientations fortes : une nord - sud, et l’autre nord-ouest - sud-est (fig. 88). La
première est très présente à l’ouest où un chemin traverse le territoire. Il semble
s’infléchir vers l’ouest à la hauteur de Rebours, mais on peut sans doute plutôt
1
Ces traces seront étudiées plus loin.
221
trouver sa continuité au nord de ce hameau qui devait être le point de
franchissement du ruisseau. Il paraît organiser l’ensemble de la zone ouest et sudouest jusqu’à 1200 mètres environ de Villemer, à l’exception d’un petit groupe de
parcelles agencées de façon différente. On retrouve cette orientation nord – sud à
l’est de Villemer sous forme de linéaments qui traversent l’espace en délimitant de
longs blocs parcellaires.
La seconde orientation nord-ouest – sud-est semble plus souple. Elle est
essentiellement localisée au nord de Villemer (fig. 88). C’est elle aussi qui
interrompt le découpage nord - sud au sud-ouest de Villemer.
Ces deux orientations correspondent aux deux réseaux jaune et rouge qui
structurent l’ensemble de notre zone d’étude (fig. 47). Leur interpénétration
remarquable sur ce secteur nécessite d’en faire un étude plus détaillée.
Le rôle des chemins semble essentiel dans la mise en place du parcellaire. L’axe
principal de l’orientation nord – sud paraît être le chemin de Moret à Nanteau, et au
delà vers Château-Landon, qui traverse le territoire en ne rencontrant aucun village.
Dans l’étude de ce chemin, nous avons suggéré qu’il pourrait s’agir d’un axe ancien,
sans doute pré-médiéval. Ici, il passe à l’écart de Villemer dont il organise
cependant une partie du parcellaire. Les chemins de Nemours à Montereau par
Dormelles au sud, ou directement par Villecerf au nord, et d’Épisy à Villemaréchal et
Chéroy relèvent de la seconde orientation. Nous avons vu que l’itinéraire
Nemours – Montereau, par le nord, était constitué d’un ensemble de faisceaux aux
tracés assez souples. Les agencements parcellaires du territoire de Villemer
semblent relever, pour la plupart, d’une adaptation à ces chemins et à leurs
orientations. Les parcelles structurées selon l’orientation nord-ouest – sud-est
montrent ainsi fréquemment un quadrillage qui n’est pas orthogonal : par exemple,
le bloc noté A sur la figure 89 est appuyé sur le chemin d’Épisy mais le découpage
interne nord-est – sud-ouest n’est pas perpendiculaire et reprend pour sa part
222
l’orientation du chemin de Nemours à Montereau. Les traces fossiles apparues sur
la photographie aérienne montrent des parcelles, par exemple celles notées B sur la
figure 89, qui sont plutôt orientées comme le chemin de Nemours à Dormelles alors
qu’elles sont recouvertes par des limites orientées comme le chemin d’Épisy. Pour
les traces notées C et D, on constate le phénomène inverse : elles étaient orientées
comme le chemin d’Épisy et ont été modifiées en étant alignées sur l’orientation de
l’ancien chemin de Nemours à Montereau.
Au sud-est, un vaste ensemble noté G sur la figure 89, se démarque de l’ensemble
par son orientation, plutôt à l’est. Il paraît prendre appui sur le chemin de Montmery,
petit hameau voisin, et être limité au nord par le chemin de Dormelles issu du village
qui s’infléchit vers la ferme du Gallois, où la présence d’un gisement de tegula a été
repéré par prospection2.
Un gros bloc orienté nord – sud le sépare en deux. Un petit massif forestier de
forme triangulaire en marque la limite nord-est. Sur le plan ancien, le chemin qui le
traverse en nord – sud est appelé « chemin de la Garenne ». Le gros bloc orienté à
l’est correspond-il à cette garenne ? Rien ne permet d’affirmer que l’on est ici en
présence d’une de ces réserves de chasse. Il n’existe aucune clôture, levée de
terre, aucun fossé, qui délimitaient habituellement les réserves de gibier (ZADORARIO 1996). Il pourrait également s’agir d’une réserve de chasse, d’une garenne
ouverte. Mais les résidus forestiers sont nombreux sur Villemer et particulièrement
dans tout les secteurs nord, est, et sud-est, et on ne peut véritablement distinguer
de forme particulière, à l’exception du massif boisé triangulaire autour de la ferme
du Gallois, qui pourrait constituer à lui seul cette garenne. Mais il faut également
remarquer que ce secteur correspond à une zone un peu accidentée, avec des
collines plus importantes. Dans ce terrain globalement très plat, cela devait
2
Renseignement J.Galbois, archéologue de Melun.
223
constituer un événement topographique majeur et on a sans doute d’une part dû
composer avec la présence de ce relief et adapter l’orientation au pendage et
d’autre part peut-être mis en valeur plus tardivement ces terres en s’appuyant alors
sur les chemins issus du réseau local généré par le village. Ici les défrichements se
seraient effectués sur l’axe du chemin de Montmery et la présence d’un bloc à
proximité du village orienté de la même façon serait seulement due à l’orientation du
chemin vers le Gallois sur lequel il se serait appuyé pour se développer.
Au sud, dans l’alignement du village, un groupe de parcelles (noté H sur la figure
89), est lui aussi un peu différent. Il est limité à l’est par le chemin d’Épisy et à
l’ouest par un grand axe nord – sud. Très circonscrit dans l’espace, il semble
correspondre à une zone de contact et de transition entre l’ensemble organisé en
nord – sud à l’ouest et le chemin d’Épisy. A l’ouest deux blocs se différencient
également. Le premier semble dessiner une petite forme circulaire à proximité de la
ferme du Coudray. Le second est situé au sud et se présente sous la forme d’une
grande pièce au découpage interne laniéré et qui ne correspond pas aux grandes
orientations, même s’il est orienté à l’ouest. On doit sans doute l’envisager en
relation avec les deux chemins qui le bordent et sont issus du réseau local de
Villemer, se dirigeant l’un au nord vers la Chamauderie et le gué du Moulin de
Coutière, l’autre au sud vers Chauville, un écart de Nonville.
Au sud, le chemin de Nemours à Dormelles semble avoir joué un rôle peu important
dans la structuration du paysage. Dans ce secteur, c’est essentiellement avec le
réseau nord – sud que les liens paraissent davantage s’établir. Ainsi, le secteur noté
E sur la figure 89 montre que le chemin de Nemours vers Dormelles a généré un
petit ensemble parcellaire qui est en concurrence avec l’ensemble parcellaire
appuyé quant à lui sur le chemin de Moret à Nanteau. Ce secteur est
particulièrement intéressant puisque immédiatement au nord, un ensemble de
traces fossiles, noté F sur la figure 89 montre des témoignages d’occupation du sol
224
sans doute d’époques différentes. Cet ensemble (fig. 90 et 91) est situé à l’ouest du
chemin d’Épisy à Chéroy. Il apparaît dans une zone aujourd’hui cultivée mais qui
jusqu’au XIXème siècle était recouverte par deux étangs, l’étang de Villemer et
l’étang de Rebours, à l’exception d’un espace appelé « la Cave »3. Le cliché aérien
met en évidence une forme circulaire complète et deux autres incomplètes, deux
petites formes carrées, un bâtiment carré avec quatre tours aux angles et entouré
semble-t-il d’un fossé. Au sud enfin, on peut distinguer trois formes quadrangulaires
et sur l’ensemble de la zone des tracés linéaires plus ou moins larges.
A l’est de la route d’Épisy, une autre forme semble se détacher, globalement
quadrangulaire, mais dont les contours sont cependant plus flous, recoupée par une
trace linéaire.
L’interprétation de ces formes pose quelques questions. Les petits groupes de
formes circulaires et carrées ressortissent sans doute à des enclos funéraires protohistoriques. La forme carrée avec quatre tours aux angles est visiblement un
château; mais nous n’avons trouvé aucun texte qui fasse mention de ce bâtiment.
Ses dimensions sont relativement modestes, environ 20 mètres de côté, et si, dans
sa forme globale, on peut le comparer avec les châteaux des villages voisins de
Dormelles et Challeau, datés du XIIIème siècle4, c’est le seul rapprochement que l’on
puisse faire avec ces deux derniers, de dimensions plus importantes5 et dont la
situation en bordure de l’Orvanne et à la frontière de la Champagne est
complètement différente de celle de Villemer.
Cette petite fortification pourrait s’apparenter à une maison forte dont le rôle est
obscur de par son implantation dans une cuvette, à l’un des points les plus bas de
3
ADSM P1 Villemer C 39,1782, et ADSM 4P 34/488 - cadastre napoléonien Villemer, section B 3
feuille.
4
SRA Île de France - Dormelles
5
40 m de côté environ.
ème
225
ce secteur6, et par son isolement. Mais l’église aurait pu jouer un rôle de point
d’ancrage pour l’implantation de l’habitat et non le château, comme c’est le cas en
Anjou (ZADORA-RIO 1994). On ne sait rien non plus de sa disparition qui pourrait
être due à un incendie7, les pierres étant ensuite peut-être récupérées pour d’autres
constructions à Villemer ou à Rebours.
L’interprétation des trois formes à peu près quadrangulaires est plus délicate. Il
pourrait s’agir d’enclos de fermes indigènes, mais elles présentent aussi des points
communs avec les traces observées en Grande-Bretagne de villages médiévaux
disparus (TAYLOR 1984 ; BERESFORD et HURST 1990 ). Les deux formes les
plus au sud semblent être alignées sur un chemin à l’est qui paraît aboutir au
château. On serait peut-être alors en présence d’un habitat médiéval antérieur qui
se serait déplacé pour se regrouper autour de l’église. La grande forme
quadrangulaire à l’est du chemin d’Épisy pourrait être un enclos proto-historique,
peut-être
une
ferme
indigène.
Ses
contours
relativement
flous
rendent
l’interprétation très hypothétique8. À ces éléments, il faut ajouter la présence
possible d’une villa gallo-romaine entre les lieux-dits La Viennerie et la Gandone
(notée A sur la figure 91), sans doute masquée par les habitats contemporains9. Ne
faut-il pas alors interpréter ces formes quadrangulaires comme des enclos associés
à la villa, peut-être une ferme indigène romanisée ? Le parcellaire orienté nord–sud
qui se développe plus particulièrement dans cette zone entre le chemin de Moret à
Nanteau et le village pourrait être interprété comme les champs possibles de cette
6
Dans l’Oscheret, la motte de Magny-sur-Tille présente la même situation très basse par rapport au
village, et localisée en zone marécageuse - le Marais des Tilles – mais qui ne l’était pas au MoyenAge. Ce marais est en fait cyclique et les zones les plus basses ont pu être occupées à certaines
périodes de forte résorption (CHOUQUER 1996, 46-47). A Villemer, la présence de deux étangs
ème
dans cette cuvette jusqu’au XIX
siècle pourrait indiquer une situation assez similaire, avec des
occupations épisodiques en fonction des conditions climatiques et peut-être également de la mise
en place de système de drainage.
7
D’après un agriculteur, on trouve à cet endroit de nombreux agrégats de plomb fondu.
8
Une prospection au sol sur l’ensemble de la zone de traces fossiles s’est révélée totalement
infructueuse.
9
Renseignement de J.Galbois, archéologue départemental de Melun.
226
villa qui se serait organisé par rapport à ce chemin. Mais une telle interprétation est
loin de pouvoir être établie. D’une part en effet parce que les traces fossiles
pourraient correspondre à des champs. Et il faudrait pouvoir démontrer que ces
derniers sont contemporains de l’établissement antique, si celui-ci est effectivement
une villa , ce que l’on ne peut faire ici. D’autre part, la notion de domaine renvoie,
comme nous l’avons déjà souligné, à une notion économique et juridique dont on ne
connaît pas véritablement la réalité matérielle, et dont la reconnaissance éventuelle
ne peut être fondée sur la seule morphologie. Les inconnues sont ici beaucoup trop
nombreuses pour pouvoir proposer une telle interprétation.
Les autres tracés linéaires semblent plutôt en discordance avec les éléments
précédents. Ils présentent des orientations diverses : certains sont orientés nord –
sud comme les deux tracés au nord-ouest du château et celui situé à l’est de la
route d’Épisy, d’autres s’infléchissent vers l’ouest comme ceux bordant les formes
quadrangulaires et se dirigeant vers le château. D’autres tracés enfin sont orientés
est - ouest avec une légère inclinaison un peu plus accentuée en ouest - nord-ouest
– est - sud-est comme c’est le cas pour l’ensemble des lignes situées à l’est et à
l’ouest du château.
Si l’interprétation de ces formes demeure délicate, il est cependant possible
d’étudier leur insertion dans les formes parcellaires actuelles (fig. 89).
La première forme quadrangulaire au sud est orientée nord – sud alors que la
suivante, qui la jouxte au nord, montre une tendance à s’infléchir vers l’ouest. La
forme au sud-est du château est orientée nord - sud alors que le château lui même
possède à peu près la même orientation que le chemin d’Épisy. Les chemins, nous
l’avons vu, sont diversement orientés. En revanche, les traces fossiles linéaires
montrent que les tracés des chemins d’Épisy et de Villecerf ont été modifiés. Le
chemin d’Épisy a été décalé de 50 mètres environ vers l’ouest, ce qui explique son
tracé actuel en baïonnette à la sortie de Rebours au sud. Son raccordement à la
227
route moderne un peu plus au sud paraît étrange et il est possible de supposer que
le chemin continuait à peu près en ligne droite. Son tracé au niveau du bourg est
visiblement remanié : un premier angle lui donne une orientation nord – sud qui sert
d’axe au village, un deuxième angle vers l’est cette fois l’amène en dehors du
village, et un troisième angle vers l’ouest lui permet de recouvrer l’orientation qu’il
avait au sud de Rebours. Si l’on trace une ligne droite dans le prolongement de la
trace fossile, on retrouve le chemin au sud-est du village, mais en ayant traversé ce
dernier de part en part et en oblique. Bien sûr, le chemin n’avait sans doute pas un
trajet aussi rectiligne, mais son tracé dans Villemer ne peut que résulter d’un
aménagement, si l’on conserve l’idée d’un chemin antérieur. Ou bien ce chemin est
postérieur ou contemporain de Villemer et ses faisceaux vers Épisy et Chéroy sont
seulement issus du réseau local développé par le village. Nous reviendrons sur
cette question. Le chemin de Villecerf est appelé chemin de Montereau sur le
cadastre napoléonien et correspond à la route actuelle. Son tracé a visiblement été
modifié. Il sortait du village en gardant dans un premier temps un axe parallèle à la
rue de Dormelles et approximativement perpendiculaire à la Grande Rue. Ce tracé
est encore celui qui est indiqué sur les plans du XVIIIème et du XIXème siècle (fig. 84
et 85). Vers le nord-est, son dessin est sommairement parallèle à la route de
Villecerf actuelle mais décalé vers le sud. Il rejoint ensuite cette route, mais
quelques limites parcellaires semblent montrer qu’il a pu, à un moment de son
histoire, se prolonger en ligne droite.
Le chemin de Dormelles, situé au sud du précédent et parallèle à lui au départ de
Villemer, a sans doute aussi connu plusieurs tracés différents avant de voir son
itinéraire définitif se fixer (fig. 92). Les traces fossiles paraissent indiquer la
présence d’un tracé situé un peu plus au nord et qui ne s’infléchit pas comme le fait
le chemin actuel. Son tracé est identique dans son orientation à l’ancien chemin de
Dormelles à Nemours qui passe plus au sud du village. Les multiples tracés que le
228
chemin de Dormelles semble avoir connu et leur influence sur le dessin parcellaire
ne sont pas inintéressants.
On aurait d’une part un ancien chemin (fig. 92, n°1 ) avec plusieurs faisceaux
parallèles au sud de Villemer qui ne passe pas par les hameaux situés à proximité
de son trajet. Un second chemin (fig. 92, n°2), app elé chemin de Dormelles sur le
cadastre napoléonien part du village, s’infléchit vers la ferme du Gallois pour
récupérer le tracé de l’ancien chemin, s’en détache de nouveau pour aller vers le
hameau du Pimard, et rejoint enfin le premier chemin à l’ouest de ce hameau. Un
troisième chemin (fig. 92, n°3) a le même point de départ que le précédent mais ne
s’infléchit pas vers le Gallois et poursuit en ligne droite vers le Pimard, avec sans
doute deux faisceaux. Il n’existe pas actuellement sous forme de chemin mais
l’alignement remarquable de limites parcellaires permet d’en proposer l’hypothèse.
Le chemin n°2 semble davantage ressortir à une comb inaison de diverses
directions et serait donc plutôt un tracé résultant, empruntant des éléments sans
doute antérieurs mais en les adaptant à deux nécessités : la relation avec
Dormelles certes, mais aussi avec les hameaux et habitats voisins. Le chemin
actuel pour aller de Villemer à Dormelles s’est fixé sur ce trajet mettant en relation
et desservant tous les lieux habités à proximité de la ligne tracée vers sa
destination. Le parallélisme du tracé des chemins 1 et 3 pose la question de leur
contemporanéité. Ont-ils fonctionné simultanément et s’agit-il dans ce cas de
faisceaux appartenant au même itinéraire ? Le trajet 3 est un axe important du
village qui aurait pu s’établir sur le chemin, mais il ne se prolonge pas de l’autre côté
du village dominé par l’orientation nord - sud du chemin de Moret à Nanteau.
Servait-il uniquement à la desserte locale du Pimard ? L’espace compris entre les
chemins 1 et 3 pourrait être une zone particulière qui témoignerait des modifications
et variations de ces itinéraires. Le chemin 3 paraît faire barrage au développement
du parcellaire orienté comme le chemin d’Épisy à l’ouest. Entre les chemins 1 et 3,
229
des parcelles sont orientées nord - sud, d’autres comme le chemin 3, d’autres enfin
sont légèrement orientées à l’ouest. À la différence du reste du territoire, on a
l’impression d’une juxtaposition d’orientations, sans homogénéité, et qui ressortit
davantage à une adaptation progressive, même si l’orientation nord - sud demeure
assez forte.
Le plan parcellaire doit aussi être envisagé sous l’angle de ses rapports avec le plan
urbain. L’implantation de Villemer a-t-elle été déterminée par des axes préexistants,
se fait-elle ex nihilo ? Quels processus ont été mis en œuvre dans l’implantation et
le développement du village ?
Les axes est – ouest principaux du village sont orientés comme l’ancien chemin de
Dormelles dont le tracé passe à environ 400 mètres du sud de l’agglomération. Il se
serait donc établi à l’écart du chemin mais en conservant son orientation. Cela peut
paraître étrange dans la mesure où il aurait écarté la présence de ce chemin, dont il
garde l’orientation, pour s’installer sur un autre, dans le sens nord-ouest – sud-est,
celui d’Épisy, dont il ne garde pas l’orientation. Un première explication pourrait être
donnée par la présence d’un autre faisceau vers Dormelles que nous avons
précisément évoqué (chemin n°3 sur la figure 92) et sur lequel se serait établi le
village. Mais on comprend difficilement dans ce cas pourquoi Villemer aurait
développé des bretelles de raccordement à un itinéraire qui n’aurait présenté aucun
intérêt du fait de la présence de l’autre faisceau, le mettant directement en relation
avec Dormelles.
Une seconde explication pourrait être d’ordre géologique. Villemer est en effet placé
au centre d’une poche crayeuse (fig. 93), où le sol moins humide a pu être préféré.
Or le chemin de Dormelles au sud est situé en limite de cette zone de craie, le
terrain a pu paraître défavorable à cet endroit et le village se serait ainsi développé
plus au nord, délaissant le chemin pour cette raison. Mais pourquoi avoir conservé
l’orientation du chemin de Dormelles, laissé à l’écart, et non celle du chemin d’Épisy
230
sur lequel on s’installait ? Le chemin d’Épisy n’a peut-être pas toujours eu la relative
rectitude qu’on lui connaît actuellement. Situé dans une poche argileuse (fig. 93) il
devait être assez vite impraticable par temps de pluie et son tracé a pu connaître
quelques petites variations.
Enfin, la présence du chemin de Nemours à Montereau, et certainement là aussi
sous forme de plusieurs faisceaux10, orienté dans cette partie de la carte comme le
chemin de Dormelles, pourrait avoir contribué à imposer l’orientation de ce village.
Les traces fossiles et la présence des villae gallo-romaines nous permettent de
savoir que Villemer s’est implanté sur un lieu déjà occupé précédemment. Si l’on ne
peut parler réellement de continuité, cela signifie cependant que les terres ont déjà
été mises en valeur et que l’espace devait donc déjà être organisé. Même s’il y a eu
pendant un temps un retour à la friche, cette occupation préliminaire avait dû laisser
des lignes fortes dans l’espace sur lesquelles Villemer s’est sans doute appuyé lors
de son développement.
La recherche d’une métrologie commune au village montre quelques coïncidences.
Dans le village et les parcelles situées à proximité, les mesures les plus fréquentes
sont de 18 mètres et ses multiples – particulièrement 90 mètres soit 5 fois 18
mètres –, 21 mètres et 24 mètres. Dans le territoire rural, on constate la division des
blocs, fréquemment réalisée sur une base de 100, 200 ou 300 mètres, et ce, quels
que soient les secteurs et les orientations concernés. La précision du document de
travail ne permet pas d’effectuer des mesures fines, mais on constate cependant
une relative unité. À 10 mètres près, et le relevé obtenu à partir des photographies
aériennes n’a probablement pas cette précision, on retrouverait donc les mêmes
mesures ayant prévalu et à la mise en valeur des terres et dans le plan urbain. Il ne
s’agit pas ici de parler de planification. Il semble seulement que la délimitation et le
10
Le cadastre napoléonien montre une limite parcellaire appelée « chemin de Nemours à
Montereau ».
231
découpage se soient effectués à partir d’une mesure de base que l’on aurait
répétée, ce qui ne paraît pas exceptionnel. En revanche, ces mesures ne paraissent
correspondre ni à un multiple de l’arpent commun, ni à celui de l’arpent
d’ordonnance, les deux mesures encore en usage dans cette région au XVIIIème
siècle. Des mesures plus fines et systématiques seraient nécessaires pour pouvoir
l’affirmer avec certitude. Cependant, les mesures relevées sur une partie du
cadastre napoléonien semblent le confirmer.
Le hameau de Rebours, à 1500 mètres au nord-ouest de Villemer, a certainement
occupé une place particulière. Il est établi au carrefour des chemins de Moret à
Nanteau, d’Épisy à Chéroy, et vraisemblablement d’un des faisceaux de l’itinéraire
Nemours – Montereau. Dans certains textes, il paraît avoir un statut indépendant de
celui de Villemer, comme s’il composait une identité propre11.
A-t-on eu à un moment deux villages et deux territoires distincts, celui de Rebours
et celui de Villemer ? La vaste superficie de la commune actuelle de Villemer
pourrait le laisser supposer. S’agissait-il comme à Blou (ZADORA-RIO 1987) d’une
structure bi-polaire avec d’un côté Villemer remplissant les fonctions religieuses, et
de l’autre Rebours remplissant des fonctions défensives ? Mais que signifie dès lors
le petit château disparu, situé sensiblement à égale distance des deux centres
d’habitat ? La maison forte de Rebours est-elle liée à la disparition de la petite
fortification ? La documentation ne permet pas d’avancer sur ce questionnement. Le
parcellaire ne montre pas de différence notoire entre les deux territoires
hypothétiques. Autour de Rebours, l’orientation nord-ouest – sud-est domine de part
et d’autre du hameau, à l’est et à l’ouest du chemin d’Épisy. En se dirigeant vers le
nord-ouest et vers l’étang de Villeron, le parcellaire épouse la forme du ru de l’Étang
et du chemin qui mène à ce dernier. Quelques parcelles sont orientées en nord –
11
ADSM Archives Hospitalières de Nemours, Terriers Rebours BZ 1366 à 1567, A1 n°17.
232
sud à l’est du chemin de Moret. Rien ne permet donc dans la morphologie de
pouvoir déterminer deux territoires différents éventuels.
S’il reste de nombreux points dont l’explication demeure encore dans l’ombre et qui
permettraient de proposer un approfondissement des pistes de compréhension de
l’organisation de ce territoire, l’étude de ce village apporte cependant quelques
éléments non négligeables.
Si Villemer montre une occupation du sol à l’époque antique, rien ne permet
d’affirmer qu’il n’y a pas eu abandon entre cette époque et l’époque médiévale qui a
vu naître le village. Par contre la permanence des orientations paraît manifeste
comme en témoignent les traces fossiles par exemple, ressortissant toujours à l’une
des orientations majeures, ou nord – sud, ou nord-ouest – sud-est.
L’importance des chemins semble déterminante dans le processus de pérennisation
de ces orientations. A l’exception des blocs G, H et I (fig. 89) et de quelques cas
isolés, la majorité des parcelles est orientée ou sur le chemin de Moret en nord –
sud, ou sur les chemins d’Épisy à Chéroy à environ NL 36° W, de Dormelles autour
de NL 20° W et de Nemours à Montereau à près de NL 27° W. Ces différentes
orientations ne paraissent pas ressortir à diverses phases chronologiques mais
plutôt à des phases de jeu et de rejeu qui ont créé une forme composite. Les traces
fossiles, ici imprimées en nord - sud sur l’orientation ouest, ou là, à l’inverse, en
nord-ouest – sud-est sur un découpage actuel nord – sud, ou encore le jeu des
différentes orientations ouest entre elles, montrent qu’on ne peut établir d’antériorité
de l’une par rapport à l’autre, mais qu’elles ont dû jouer simultanément et à
plusieurs époques. Le réseau local des chemins apporte ici ou là des modifications
dans le parcellaire mais ne remet pas fondamentalement en cause l’organisation
quadrillée sur la base des deux orientations majeures. Les traces fossiles montrent
cependant que les quadrillages ne sont pas uniques ni complètements pérennes.
233
On aurait ainsi pu avoir sur Villemer une évolution des formes assez souple, à partir
de quelques morphogènes, avec peut-être dans un premier temps un mélange
imbriqué de différents orientations, et des modes d’occupation du sol divers. Dans
un deuxième temps, il pourrait y avoir une restructuration du parcellaire, plus
géométrique que la forme antique, ou orienté différemment, mais avec le maintien
d’éléments morphogénétiques et de quelques éléments antiques. Une troisième
modification, mais qui est peut-être en partie synchrone avec la précédente, serait
marquée par l’accentuation de la radialité avec la polarisation des itinéraires vers
Villemer.
4.2.2.2.
Episy
Avec ses 741 hectares de surface (LE MÉE-ORSETTI et LE MÉE 1988, 361),
Épisy fait partie des plus petites communes de notre zone d’étude.
Limitée par le Loing au nord-ouest, elle s’étend essentiellement vers le nord-est et
le sud-est. Au XVIIIème siècle, elle était, semble-t-il, un peu plus étendue vers le sudouest, le plan d’Intendance montre que les limites ont été légèrement modifiées,
l’amputant d’une petite partie de territoire située au bord du Lunain (fig. 1 et 94). À
l’inverse, à l’est la modification des limites a légèrement augmenté la surface.
Le village est établi sur une petite zone de formation à chailles et de Poudingues de
Nemours, tandis que la presque totalité du terroir occupe les sols composés de
calcaire et marne, à l’exception des secteurs marécageux le long du Loing et du
Lunain et d’une poche de sable de Fontainebleau (fig. 95).
234
Le relief est faiblement pentu, avec deux collines plus importantes, une au nord du
village et une s’étirant à l’est, correspondant à la formation de sables de
Fontainebleau. Le pendage général est incliné vers le Loing d’une part et vers le
Lunain d’autre part dans la partie sud-ouest.
Le village centralise l’intégralité de l’habitat. Une seule ferme est présente à l’est,
mais elle semble postérieure au XVIIIème siècle puisqu’elle n’apparaît pas sur le plan
d’Intendance (fig. 94).
4.2.2.1.1. Le village
Épisy est établi en bordure du Loing qui forme la limite communale et ne se trouve
donc pas en position centrale dans le territoire. Le cadastre du XIXème siècle (fig. 96)
montre que le plan du village n’est pas homogène et paraît constitué de deux
ensembles différents : un ensemble à proximité de l’église établie le long de la
Grande Rue, et un autre plus à l’est, entre la Grande Rue et la Rue Basse au nord.
Ces deux ensembles sont séparés par un espace formé de grandes parcelles, un
carrefour et une place centrale, la place de la Croix du Gué (fig. 97)).
Dans le premier ensemble, noté A sur la figure 97, les parcelles sont alignées
perpendiculairement à la Grande Rue et sur deux rues orthogonales à celle-ci.
Seule une rue a un tracé arrondi qui pourrait évoquer l’emplacement d’un éventuel
enclos ecclésial (fig. 97). Mais cette partie du village a sans doute subi quelques
transformations dues à la construction du canal du Loing et on ne peut donc émettre
cette hypothèse qu’avec la plus grande réserve.
L’organisation des parcelles est très différente de part et d’autre de la Grande Rue
(fig. 97); au sud, où est située l’église, les parcelles sont longues et régulières,
235
alignées parallèlement les unes aux autres, et perpendiculairement à la Grande
Rue. À l’est et au nord de l’église, l’espace n’est pas découpé en parcelles et est
inoccupé ; on peut supposer qu’il s’agit de l’emplacement de l’ancien cimetière qui a
ensuite été déplacé sur le chemin de Moret.
Au nord de la Grande Rue, les parcelles sont beaucoup plus petites, irrégulières
dans leur taille comme dans leur forme, avec un groupe de parcelles assez grandes
le long de la forme arrondie, mais d’autres très petites sur les deux rues
perpendiculaire à la Grande Rue.
La place centrale, au carrefour de la Grande Rue et de la Rue Basse semble avoir
été séparée de l’ensemble C, qui paraît quant à lui tronqué par la Rue Basse. Cet
ensemble C est composé de quatre grandes parcelles, cinq avec la place de la Tour
du Gué, beaucoup plus vastes et de forme plus quadrangulaire que celles de
l’ensemble A.
L’ensemble B paraît relativement homogène. L’orientation des parcelles est à peu
près identique à celle de la Rue Basse, qu’elles soient parallèles ou
perpendiculaires à cette dernière. L’ensemble est bien circonscrit dans l’espace et
paraît organisé sur un mode relativement géométrique, avec de gros blocs
quadrangulaires subdivisés en parcelles allongées. Au sud, l’ensemble s’appuie sur
le chemin d’Écuelles à l’orientation à peu près similaire. Ces deux blocs A et B
correspondent-ils à une implantation de l’habitat autour de deux pôles différents,
l’église et le château comme il est possible parfois de l’observer (ZADORA-RIO
1989 et BOURIN-DERRUAU 1987) ? Le parcellaire de la partie B montre quelques
anomalies comme par exemple la Rue Basse qui se termine en impasse, ou encore
le décalage très net dans l’alignement et l’orientation des parcelles dans la partie
nord-ouest qui pourraient montrer une adaptation à des éléments antérieurs. Mais là
encore, il est difficile d’apprécier l’impact qu’a pu avoir la construction du canal du
Loing sur ces formes. Des vestiges d’habitats protohistoriques et carolingiens ont
236
été mis au jour dans la partie B1 mais rien ne prouve, en l’absence d’une enquête
plus étendue, que leur implantation ait été limitée à ce secteur. La première mention
connue de ce village, du IXème siècle, apparaît dans une charte qui parle seulement
d’un pré à Épisy2. Mais il n’est pas précisé s’il s’agit effectivement d’un village ou
seulement d’un lieu-dit, et on ignore s’il y a une continuité de l’occupation du sol
entre le IXème siècle et le village qui se développe aux XIIème - XIIIème siècles.
La place de la Croix du Gué paraît significative de l’établissement d’Épisy à
proximité d’un point de franchissement de la rivière. Mais le parcellaire du village ne
montre pas particulièrement de convergence de rues ou d’inclinaisons de parcelles
qui pourraient être significatives. Les chemins venant des autres villages
aboutissent à la Grande Rue, mais à ses extrémités uniquement, en formant des
pattes d’oie. Le chemin noté 4 sur la figure 97, qui coupe le parcellaire, est le seul à
aboutir au milieu du village, mais non représenté sur le plan d’Intendance, il paraît
être postérieur au XVIIIème siècle.
Le village semble structuré comme un village-rue, et son organisation ne refléterait
donc pas celle de son territoire rural à partir des chemins en étoile.
4.2.2.1.2. L’organisation rurale
L’organisation du terroir rural d’Épisy est marquée par le dessin radial des chemins,
au moins dans les parties nord-est, est et sud-est, et la présence forte d’une
enveloppe circulaire. Celle-ci ne concerne pas la totalité du territoire communal et la
partie est relève d’une organisation différente (fig. 98). Le relevé parcellaire montre
une succession d’enveloppes qui s’interrompent au contact du Loing au nord-ouest
1
2
SRA Île de France. Fouilles de J.Galbois en 1987 et dans B.G.A.S.M. 1987-1990, n°28-31.
« in Spiriaco, 1 pratum » dans le Recueil des chartes de l’abbaye de St-Benoît / Loire, PROU et
VIDIER, Paris 1907, vers janvier 876, XXVI, p.73.
237
et de la zone marécageuse du Lunain au sud-ouest. Leur tracé est perceptible dans
une zone située à 1600 mètres environ du village, et jusqu’à 700-1000 mètres de ce
dernier. Entre le village et cette zone, le dessin de ces enveloppes devient
inexistant. On peut en revanche y distinguer plusieurs formes (fig.99). La première
est constituée par un agencement plus ou moins orthogonal avec une longue bande
(en jaune sur la figure 99) qui s’étire le long du village en est-ouest et que l’on
retrouve semble-t-il à l’ouest , mais cette fois étirée en nord-sud. Cette forme est
coupée par un petit ensemble (en rouge sur la figure 99) dont la forme paraît
curieuse mais qui est sans doute due au relief, puisqu’on note ici la présence d’une
butte plus importante. Son découpage interne s’appuie sur l’orientation du chemin
de Villemer qui la limite au nord-est, mais elle se prolonge légèrement au sud, de
part et d’autre de ce chemin. Au nord-est, à proximité du chemin de Villecerf, deux
petites
traces
fossiles
linéaires
apparaissent
ayant
la
même
orientation
perpendiculaire au chemin de Villemer. À l’est, une autre petite forme (en bleu sur la
figure 99) ressortit sans doute elle aussi au relief.
Une fois dépassé ce rayon d’environ 700-1000 mètres, l’ensemble du parcellaire est
induit par les chemins rayonnant en étoile depuis le village, et forme une succession
d’enveloppes circulaires. Celles-ci sont constituées ou bien par des chemins ou
limites isolant des quartiers de cultures et sur lesquels s’appuient un découpage
perpendiculaire, mais qui est parallèle aux chemins en étoile, ou bien par des limites
de parcelles dont l’agencement est cette fois parallèle à ces enveloppes et le
découpage perpendiculaire aux chemins.
Un seul chemin n’est pas issu du village et coupe le parcellaire en oblique. Au nord,
il est partiellement effacé par le dessin parcellaire, à l’est il sert de l’imite à des
quartiers de culture en prenant la courbure de l’enveloppe circulaire, et au sud, il
traverse le parcellaire en oblique. Ce chemin correspond à un ancien chemin de
238
Moret à Nemours3. Il a été capturé par Épisy par le développement d’un axe de son
réseau local vers Écuelles, mais passait à l’origine, comme cela est très nettement
visible sur la figure 7, à l’écart du village. Son rapport avec le parcellaire montre qu’il
est à la fois intégré, effacé ou divergent suivant les secteurs et son rapport
chronologique avec la mise en place de l’organisation rurale est difficile à
déterminer. Là où il est effacé, comme c’est le cas des tronçons B et D (fig. 98), on
pourrait penser, d’après les « lois » chronologiques habituelles, qu’il est antérieur.
Ailleurs, son tracé se superpose aux formes parcellaires en les coupant à l’oblique,
comme c’est le cas des tronçons C et F, et on devrait alors le supposer postérieur.
En ce qui concerne les segments A et E, leur intégration parfaite à l’est pourrait
signifier ou bien qu’il a servi de base à une partie de l’organisation et lui serait donc
antérieur ou contemporain.
Le fait qu’il soit raccordé à Épisy par un axe issu du réseau local du village semble
montrer son antériorité par rapport à l’implantation villageoise, mais on peut aussi
imaginer qu’il s’agit d’un itinéraire développé a posteriori entre Moret et Nemours
permettant une liaison plus rapide en évitant le village. Mais dans ce dernier cas, le
tracé n’aurait peut-être pas traversé les parcelles en oblique et serait sans doute
davantage adapté aux formes préexistantes. L’hypothèse de son antériorité qui
semble plus séduisante ne peut ainsi être déterminée, et les différents aspects de
ce chemin montrent ici nettement les limites de l’utilisation des chronologies
relatives.
Les autres chemins ont, semble-t-il, servi d’armature au développement du
parcellaire mais n’éludent pas la question posée par la présence de formes très
différentes selon l’éloignement du noyau villageois.
3
chemin n°4 dans l’étude du réseau viaire, fig. 5.
239
Les terroirs circulaires ou radio-concentriques paraissent fortement liés à
l’organisation du territoire, à partir du pôle ecclésial notamment, au haut Moyen-Âge
(FIXOT et ZADORA-RIO 1994 (dir.), CHOUQUER 1993, 88) et la forme circulaire
qui se développe dans un rayon d’1,6 kilomètre autour d’Épisy pourrait être le fruit
de la mise en valeur du sol par des défrichements progressifs à partir de l’habitat
établi entre le VIIIème et le IXème siècle. Mais les études récentes ont montré que la
genèse de ces formes polarisées pouvait être plus ancienne. Ainsi à Murviel-lesMontpellier, la conquête des terres s’est effectuée en ondes concentriques à partir
de l’enceinte antique (FAVORY 1991) et à Dassargues, un site polarisant les
chemins est occupé dès l’antiquité tardive (FAVORY et al. 1993). À Épisy, la
polarisation des chemins a pu se faire autour de l’habitat, peut-être dès le haut
Moyen-Âge, mais également plus tôt, autour d’un point de franchissement de la
rivière. Ce point est délicat à établir car si les gués permettant de franchir le Loing
sont apparemment nombreux au XVIIIème siècle d’après les plans d’Intendance, on
ne peut aisément extrapoler ce fait aux époques antérieures. Seule la présence
d’un éventuel chemin antique, le chemin de Villemer, constitue un indice d’un gué
possible à cet endroit. L’emplacement même de ce gué est délicat à établir. Il
pourrait se situer au nord de la place de la Croix du Gué, au nom évocateur, où l’on
peut constater la présence d’une rue située dans le prolongement de la Grande
Rue, qui ne sert apparemment qu’à rejoindre le canal. Il existe également un autre
point à l’ouest du village qui est marqué par la convergence de plusieurs chemins.
Enfin, le prolongement du tracé du chemin de Villemer en ligne droite donnerait un
point de franchissement plus à l’est du village. Mais ce gué a pu varier selon les
époques et les points de passage éventuels repérés pourraient correspondre à ces
variations. Et là encore, la construction du canal a pu modifier les itinéraires. La
présence d’une écluse à l’ouest du village a sans doute attiré une partie d’entre eux.
240
La présence de formes distinctes laisse entrevoir des phases de mise en valeur du
sol différentes. Mais leurs rapports chronologiques sont impossibles à déterminer et
il n’est possible que d’émettre quelques hypothèses.
La première consiste à proposer que la forme circulaire correspond à une première
étape de concentration de l’habitat et à une première mise en valeur du sol au haut
Moyen-Âge, comme à Chaux et Sainte-Anne (Saint-Aubin) dans le Finage
(CHOUQUER 1994, 44-45). Les défrichements auraient été effectués par ondes
concentriques successives à partir du noyau villageois. Dans un second temps, au
XIIème - XIIIème siècle4 peut-être, un village-rue s’établit autour de l’église, et l’on
procède à une mise en valeur des terres par bandes successives, parallèles à l’axe
du village-rue, en gommant partiellement l’organisation précédente (fig. 99). On ne
peut savoir s’il y a eu continuité d’occupation entre le haut Moyen-Âge et le XIIème XIIIème siècle. La mise en place d’une organisation parcellaire différente pourrait
laisser supposer une phase d’abandon, mais il existe des cas de remodelage
radical du terroir sans qu’il y ait nécessairement abandon de l’occupation du sol
(ZADORA-RIO 1991, 185). La présence de cet ensemble est relativement limitée
dans l’espace par rapport à la surface occupée par la forme concentrique. Cette
mise en valeur a-t-elle été plus réduite ? Ou bien s’est-elle davantage concentrée
dans la zone ouest, du côté du village, délaissant les zones les plus éloignées à
l’est et au nord-est qui auraient alors conservé l’empreinte de l’ancienne forme
circulaire ?
La mise en valeur du sol a sans doute été réalisée progressivement à partir du
village et il est également possible que les zones les plus éloignées aient été
exploitées plus tardivement, alors que le réseau étoilé des chemins issus d’Épisy
devait être plus prégnant et on se serait alors davantage appuyé sur lui, redonnant
4
ème
A l’exception de la mention du IX
siècle, Épisy n’apparaît dans les textes qu’au début du XIIIème.
241
ainsi vie à une forme circulaire antérieure. La présence au milieu de cet ensemble
de la structuration marquée par l’axe du chemin de Villemer est problématique.
Nous avons vu que cet axe pourrait être un ancien itinéraire, éventuellement
antique, et qu’il constitue un des tracés importants ressortissant au grand réseau
rouge (fig. 47). La forme plus ou moins géométrique qui lui est isocline pourrait
résulter d’une organisation antérieure à celle de la période médiévale. Ces
nouvelles organisations successives n’auraient pu s’affranchir totalement de la
forme antérieure, et ce d’autant moins qu’elle était fortement liée d’une part au
relief, et d’autre part au chemin de Villemer, revivifié sous la forme d’un axe du
réseau local d’Épisy, à la différence du chemin de Moret. Cette organisation est
cependant très localisée : une bande étroite de part et d’autre de ce chemin, et une
seconde bande en bordure du Loing à l’est du village (fig. 99).
Mais cet itinéraire ancien aurait pu également être un morphogène important,
générant des formes isoclines diachroniques. Ainsi le prolongement de la Grande
Rue depuis l’ouest du village vers l’est pourrait correspondre à une bretelle de
raccordement à ce chemin, intégrée a posteriori au village comme prolongement de
la Grande Rue, mais dont le tracé semble à l’origine avoir été rectiligne et qui aurait
dicté son orientation à la partie est du village, notamment à la Rue Basse qui lui est
perpendiculaire, mais aussi au chemin noté 4 sur la figure 97, dont nous avons vu
qu’il n’existait sans doute pas au XVIIIème siècle.
Les parcelles orientées comme le chemin de Villemer dans le parcellaire rural
pourraient donc ressortir à une forme antérieure à l’organisation rurale médiévale,
mais aussi avoir été générée par ce chemin plus tardivement, en effaçant
partiellement l’organisation née du village-rue.
En résumé, il y aurait donc plusieurs scenarii différents. Ou bien la forme circulaire
correspond à une première mise en valeur des terres, à une époque qu’il est
impossible de déterminer entre la Protohistoire et le haut Moyen-Âge, avec un
242
défrichement par ondes concentriques. Une seconde phase dans l’occupation du
sol se traduit par la mise en place d’un village-rue et d’une organisation en bande à
partir de ce dernier, peut-être moins développée aux extrêmes nord et est, ce qui
permet la pérennisation de la forme circulaire que les défrichements tardifs,
s'appuyant sur le réseau viaire étoilé issu du village conserveront. L'importance du
chemin de Villemer lui confère un rôle de morphogène qui génère des formes
indépendamment de l’organisation issue du village-rue.
Ou bien, deuxième scénario possible, la forme circulaire correspond effectivement à
une première mise en valeur des terres, mais antérieure au Moyen-Âge, peut-être
dès
la
Protohistoire.
L’établissement
au
Moyen-Âge
du
village
d’Épisy,
vraisemblablement peu important, entraîne la mise en place d’un parcellaire à partir
de l’axe du village, d’extension limitée et qui ne modifie qu’en partie l’organisation
antérieure. Les formes correspondant à l’orientation du chemin de Villemer
pourraient alors se rapporter ou à une structuration alto-médiévale, qui aurait peutêtre dans ce cas déjà modifié partiellement la forme circulaire, ou à une forme
postérieure au village-rue médiéval et qui se serait développée au contact du
chemin de Villemer.
Ou bien encore, troisième scénario envisageable, il existe une organisation antique,
probablement protohistorique, composite, avec des éléments quadrillés et radiaux,
et dans laquelle le chemin de Villemer est un morphogène important. Dans un
second temps, des défrichements en ondes concentriques sont effectués à partir
d’un premier noyau d’habitat alto-médiéval. Le chemin de Villemer est un des axes
de progression de ces défrichements et il est donc intégré à cette nouvelle forme
qui le dynamise à nouveau et n’efface pas, voire même accentue, les formes
générées à son contact, d’autant plus qu’une partie d’entre elles est fortement liée
au relief. Dans un troisième temps, un parcellaire différent est mis en place,
organisé en bandes parallèles à l’axe du village et dont on ne connaît pas
243
véritablement les conditions de l’apparition. Y a-t-il eu abandon après le IXème siècle
de l’occupation du sol et un retour des terres à la friche ? A-t-on eu un remodelage
radical de l’organisation sans qu’il y ait eu abandon préalable ? L’habitat s’est-il
déplacé, peut-être autour d’un nouveau pôle ecclésial ? La morphologie ne permet
pas ici de répondre.
La mise en place de ce nouveau parcellaire intègre visiblement de nouveau, ou
conserve, le chemin de Villemer comme axe du réseau local. Il est difficile de
déterminer si les formes qui s’appuient sur lui, divergentes par rapport au nouveau
parcellaire, se maintiennent, ou si elles sont effacées provisoirement pour ne
réapparaître sous l’influence du chemin que postérieurement ; la forme arrondie
plus marquée par le relief n’a peut-être pas été modifiée, et les parcelles situées
dans son prolongement au sud ne paraissent pas plaquées sur une autre forme ou
interrompues brutalement par elle, mais plutôt s’y adapter par un changement
progressif de l’orientation des parcelles qui pourrait être un indice de leur
contemporénaité.
Ce « remembrement » n’aurait sans doute pas concerné l’ensemble du territoire,
dont on voit qu’une grande partie au nord, à l’est et au sud-est a conservé la forme
circulaire. La dernière hypothèse, assez proche de la précédente, présume là aussi
la présence d’une organisation antique composite. Au Moyen-Âge, l’accentuation de
la radialité, par les chemins convergeant vers Episy, n’entraîne pas la
réorganisation immédiate du parcellaire qui conserve une base
géométrique
peut-être
en
s’appuyant
sur
deux
chemins
globalement
à
peu
près
perpendiculaires. La forme concentrique serait alors davantage le résultat d’une
adaptation progressive du réseau parcellaire au réseau viaire étoilé, ce processus
concernant davantage les terres les plus éloignées du village, dont la mise en
valeur à peut-être été plus tardive. D’autres régions montrent que la mise en place
d’un réseau étoilé de chemins n’entraîne pas nécessairement la mise en place d’un
244
nouveau découpage parcellaire, qui peut tout à fait conserver une base quadrillée
(ROBERT 1996). Les mesures effectuées par tirage aléatoire sur l’ensemble du
territoire ne montrent pas de différences significatives d’une zone à l’autre et on
peut même plutôt constater une certaine unité dans les dimensions et les surfaces
de parcelles et/ou blocs de parcelles qui sont très fréquemment des multiples de 60
mètres (fig. 100), mesure que l’on ne retrouve dans le village ni dans la partie A ni
dans la partie B. Mais la nature et les échelles très différentes des deux documents
n’autorisent pas véritablement de comparaison.
Si parmi les quatre hypothèses, rien ne permet d’affirmer une quelconque certitude ;
en revanche quelques éléments se dégagent : Épisy a certainement connu
plusieurs phases différentes d’occupation du sol et d’organisation. La forme
circulaire qui apparaît très nettement sur le relevé parcellaire ne s’exprime
réellement que sur une zone située en bordure du territoire. À proximité du village et
dans son prolongement, le découpage semble plutôt relever d’une organisation ou
quadrillée ou en bandes.
L’étude des formes parcellaires paraît souligner le poids des héritages successifs
avec probablement la cohabitation de plusieurs systèmes parcellaires issus de ces
héritages d’une part, et la pérennisation de certaines formes qui sont , non
seulement conservées par les organisations successives, mais aussi réinvesties et
revitalisées par elles d’autre part. Ce processus dynamique de conservation des
formes est, semble-t-il, très net dans le rôle du chemin de Villemer qui paraît être un
élément morphogène majeur, à la fois conservateur des formes antérieures et
créateur de nouvelles.
245
5. Conclusion
L'étude morphologique a permis de dégager un certain nombre d'éléments. On a pu
mettre en évidence des grandes formes, les réseaux rouge, jaune et vert, dont
l'origine pourrait être antique. Mais si l'on a souvent rapporté ce type d'organisation
quadrillée à des centuriations parce qu'on ne connaissait que ce modèle, leur
interprétation dans le cas du Sénonais occidental, comme dans d'autres régions,
doit, semble-t-il, être reconsidérée. Ces formes quadrillées n'ont souvent pas la
rigidité des centuriations, que ce soit dans leur rectitude, leur orientation ou leur
métrique. Une centuriation correspond à un modèle précis auquel on ne peut
rattacher systématiquement toutes les formes qui pourraient s'y apparenter, au prix
de quelques accommodements et concessions, parfois involontaires1. Une meilleure
connaissance des sociétés protohistoriques permet d'envisager l'existence dès
cette époque d'une structuration de l'espace agraire mais dont on ne peut encore
réellement appréhender le mode de constitution et l'évolution (BUCHSENSCHUTZ
1997). La présence manifeste de ces grands systèmes quadrillés a été mise en
évidence dans un grand nombre de régions telles que l'Oscheret, le Beaugeois, en
Beauce, à Lezoux ou encore à Melun, et dans les cas les mieux documentés, on
constate que s'il est possible de proposer une datation haute pour leur mise en
place, leur réification relève, elle, de la longue durée et de conditions qu'il est
difficile de déterminer. Si l'origine des grands réseaux qui constituent la base du
parcellaire peut ressortir à l'Antiquité, il semble que l'on soit moins en présence de
formes planifiées, de fondation, que de réseaux de formation, réifiés de façon
1
On peut rapporter à ce propos les travaux de M. Guy sur les variations angulaires et métriques crées
par le support lui-même (la carte) (GUY 1976) et ceux d’A. Combe qui montre qu’il est parfois
difficile de différencier l’orientation des lignes à 10° près (COMBE 1996, 170)
246
diachronique, qui témoignent d'une forme en évolution, en cours de réification et
dont on perçoit un état. Dans la plupart des cas, on ne sait pas si l'extension de
cette mise en réseaux est effective dès la protohistoire. Jusqu'à maintenant, à notre
connaissance, seuls l'Oscheret et peut-être la Limagne offrent un dossier suffisant
pour proposer une organisation régulière du parcellaire à l’Âge du Fer sur une
étendue
conséquente
(CHOUQUER
1996a
;
MENESSIER-JOUANNET
et
BUCHSENSCHUTZ 1996), et la documentation est généralement insuffisante
ailleurs pour pouvoir simplement poser la question ; ce qui ne préjuge en rien de la
situation protohistorique.
L'étude à partir des photographies aériennes ou des cadastres napoléoniens
témoigne de la présence de ces grandes formes correspondant à un instant donné
dans le processus, qui n'est pas un état d'achèvement puisqu'il continue à évoluer,
mais présente suffisamment de cohérence dans son organisation pour être qualifié
de réseau et de système.
Le second élément mis en évidence concerne les rapports de ces grandes formes
avec les unités morphologiques médiévales et modernes dont on constate qu'elles
s'inscrivent, ou en rupture sur cette trame constituée par le (ou les) réseau(x), ou en
continuité, s'y intégrant et la renforçant. Mais il s'avère souvent délicat d'apprécier
véritablement les modalités de cette inscription, en perturbation ou en intégration,
qui peuvent être différentes au sein même des unités morphologiques. Dans un
grand nombre de cas, on peut constater en effet que la mise en place d'un réseau
de chemins à partir d'un habitat médiéval ne remet pas fondamentalement en cause
l'organisation quadrillée. A Villemer et Episy par exemple, le dessin étoilé des axes
viaires ne donne pas naissance à un parcellaire concentrique. Ce constat n'est pas
spécifique à notre région : G. Chouquer avait déjà souligné ce phénomène
(CHOUQUER 1996 b 214-215) que l'on retrouve à Melun (ROBERT 1996 a 12),
dans la région de Beaugency (ROBERT 1996 b), ou encore à Lion en Beauce
247
(LETURCQ 1996) par exemple. Il peut donc y avoir en même temps perturbation de
la trame quadrillée au niveau des formes intermédiaires, et donc mobilité, alors que
les formes parcellaires pérennisent, en la transformant, l'organisation quadrillée
d'origine antique. Car cette pérennisation ne signifie pas que ces grandes formes
quadrillées ont été mises en place sur le sol à cette époque antique et n'ont pas été
modifiées par les remodelages successifs. On constate au contraire qu'il n'y a
pérennisation que parce qu'il y a mobilité, ou des formes, ou des fonctions dans les
réorganisations successives. Les deux processus soulignent la difficulté, voire
même l'impossibilité d'établir des typo-chronologies ou des chronologies relatives à
partir de la seule étude morphologique.
On a en effet vu d'une part qu'il n'était pas possible d'attribuer une forme à une
époque, et les études récentes montrent bien que le modèle : formes quadrillées
pour l'Antiquité, formes circulaires pour le Moyen-Age, n'est pas efficient. La réalité
est beaucoup moins tranchée et chaque époque a connu des structurations
différentes, quadrillées et circulaires. De plus, ces typo-chronologies reposent
souvent davantage sur le dessin d'un seul niveau des formes, ou d'un seul soussystème des formes d'occupation du sol. On qualifie ainsi fréquemment de forme
circulaire ce qui n'est en fait que le dessin du réseau viaire polarisé et ne
correspond pas nécessairement au dessin des formes parcellaires, ces deux
éléments ressortissant en fait à deux niveaux, à deux échelles différentes. Ainsi à
Villemer et Épisy, le dessin étoilé des chemins ne donne pas naissance à un
parcellaire spécifique et le découpage conserve une forme quadrillée. À cela il faut
ajouter la mobilité des itinéraires qui ont souvent connu des variations avant de se
fixer définitivement, qu’il s’agisse de liaisons régionales, comme celle de Nemours à
Montereau-Faut-Yonne, ou locales, comme celle de Villemer à Dormelles. Cette
souplesse des itinéraires souligne la difficulté à pouvoir élaborer des hypothèses sur
248
la régularité des formes alors que ces dernières ont pu tout à fait avoir la même
souplesse d’orientation si elles s’y sont appuyées.
D'autre part la carte ou la photographie aérienne ne permettent d'appréhender qu'un
espace plan, et dans un état de structuration actuel, ou au mieux du XIXème siècle
dans le cas de plans napoléoniens, combinant des héritages divers. Les limites
isoclines à une centuriation peuvent ainsi tout à fait relever d'une réalité différente. A
Bourron-Marlotte par exemple, rien ne permet d'affirmer que l'exceptionnelle
conservation des formes « romaines » relevées par J. Patin (PATIN 1984) ressortit
effectivement à une centuriation, alors que ces formes pourraient tout à fait être
rapportées à une organisation médiévale ou moderne. A l'inverse certains territoires
radio-concentriques médiévaux peuvent avoir pérennisé une organisation antique
que la seule étude du relevé parcellaire ne peut mettre en évidence (CHOUQUER
1996 b, 210), ignorant les données stratigraphiques.
Enfin, les typo-chronologies et chronologies relatives ne tiennent pas compte des
éléments morphogénétiques. En présupposant qu'un linéament prenant appui sur
un autre lui est nécessairement postérieur ou contemporain, on oublie le rôle que
peuvent avoir des morphogènes et le principe d'isoclinaison dans la création des
formes. On pourrait ainsi être tenté par l'établissement d'une chronologie relative
des trois réseaux présents sur notre zone d'étude. Mais l'exemple de Villemer
montre qu'il est impossible de pratiquer une telle lecture des formes : à tel endroit
on observe que le parcellaire est orienté selon le réseau rouge mais que des traces
de linéaments fossiles apparaissent, isoclines au réseau jaune. On pourrait donc en
déduire que le réseau jaune est antérieur et a été effacé par le réseau rouge. Mais
dans un autre secteur on observe le phénomène inverse, et on ne peut plus
présumer de l'antériorité de l'un sur l'autre. Les recherches menées à l'occasion du
tracé de l'A 85 ont montré que les deux réseaux du Beaugeois ressortissaient à des
périodes multiples et que si leur mise en place était sans doute antique, il n'était pas
249
possible "d'interpréter cette information en disant qu'un réseau est antérieur à l'autre
et que le suivant efface ou comble les vides des précédents" (CARCAUD et al.
1997, 188). L'un et l'autre relèvent d'une évolution sur la longue durée, avec une
mise en place progressive depuis l'Antiquité jusqu'à l'époque moderne et il est
impossible de procéder à un classement chronologique. La formation de ces
réseaux par des phénomènes "de jeu et de rejeu" (ib.), et qui semble être identique
sur notre zone d'étude, relève d'un processus dynamique qu'on ne peut sans doute
pas appréhender en l'enfermant dans le cadre d'une histoire linéaire, d'un modèle
historique explicatif. Cette dynamique suppose une temporalité différente,
uchronique2, où les formes ne sont pas uniquement dépendantes de la temporalité
historique, mais où «nées à une époque, impriment potentiellement dans le sol des
éléments de durabilité qui jouent ou plutôt rejouent selon des rythmes divers,
supposant de plus ou moins longs temps de latence et des rétroactions »
(CHOUQUER, essai à paraître). Cela signifie qu'il faut écarter une vision des
formes paysagères se superposant, les unes effaçant les autres, en fonction des
changements politiques et sociaux. La question posée par J.L. Abbé sur "la part du
millénaire médiéval dans la morphogenèse parcellaire" (ABBÉ 1996, 224) se situe
dans ce contexte de la réflexion sur les permanences et les ruptures. Si les formes
antiques ne sont pas nécessairement gommées et remplacées par les formes
médiévales, les modalités de leur évolution ne sont pas toujours aisées à distinguer.
L'étude des unités morphologiques dans notre région souligne la difficulté à mettre
en évidence la part de cette création médiévale insistant sur la prégnance des
trames quadrillées ressortissant aux trois grands réseaux dans l'organisation des
formes médiévales. Même dans le cas de villages de fondation attestée, il est
difficile de déterminer ce qui relève d'une planification. A Flagy par exemple, il n'y a
2
Gérard Chouquer propose ce terme à partir d’une notion qu’il relève dans un ouvrage de Charles
Renouvier, du milieu du XIXème siècle (CHOUQUER, essai à paraître).
250
pas de rupture franche dans l'orientation mais plutôt remodelage et continuité à
partir d'une structure héritée sans doute de l'Antiquité. Il ne s'agit pas de nier
l'apport du Moyen-Age dans le processus d'évolution des formes et de considérer
qu'à partir du moment où la structuration par les trois grandes orientations majeures
est fixée, les formes ne font que conserver cet état. Ce serait alors avoir une vision
des formes du paysage totalement immobiliste, reposant sur l'idée d'une
conservation du paysage antique jusqu'à nos jours, sans qu'il y ait eu de
modifications. Le paysage que nous avons sous les yeux, ou du moins que nous
avions jusqu'aux grands remembrements du milieu du XXème siècle, serait identique
à celui qu'auraient connu les Gaulois. L'étude des réseaux et des unités
morphologiques montre au contraire une évolution permanente, et s'il y a pérennité
des orientations, il n'en est pas nécessairement de même pour les formes.
En revanche, ce que souligne cette étude, c'est la difficulté à appréhender ces
processus et la genèse des formes paysagères.
On ne peut établir de rapports directs de causalité linéaire qui permettraient
d'interpréter les formes selon le schéma qu'une cause impliquant un effet particulier,
les mêmes causes produisent les mêmes effets, et qu'un même effet peut être
expliqué par une cause identique.
D'une part parce qu'un tel schéma impliquerait de connaître tous les paramètres, ce
qui est rarement le cas, et d'autre part, parce que s'il existe des déterminismes
historiques, sociaux, du milieu..., leur influence ne peut être réduite à un rapport de
causalité simple, et qu'ils ne peuvent seuls expliquer la morphogenèse. Cette
dernière a une temporalité et une logique spatiale particulières qui reposent en
grande partie sur les principes d'isoclinaison, de temps de réponse et d’uchronie qui
conjuguent la permanence et la mobilité.
251
Tenter d'étudier cette dynamique particulière des formes du paysage, ou par
tranches chronologiques prédéterminées par l'Histoire, ou par tranches formelles en
dissociant chaque type de forme, viaire, parcellaire, habitat, ou encore par
catégorisation, formes anthropiques, formes naturelles, revient, nous semble-t-il, à
nier cette dynamique.
La nécessité d'une approche différente qui permette d'appréhender les formes du
paysage dans leur dynamique propre, dans leur complexité, paraît être une des
préoccupations majeures qui émerge des réflexions épistémologiques et des
évolutions méthodologiques de ces dernières années. La démarche systémique
paraît être une des voies d'accès possible à cette complexité. Mais si
intellectuellement on parvient à comprendre et à admettre cette façon de penser
"autrement", la mise en œuvre d'une procédure, d'une méthode, se révèle en
pratique redoutable. Ou, en d'autres termes, si le "pourquoi" d'une autre approche
est assez accessible à notre entendement, il n'en est pas de même du "comment".
Nous avons tenté dans la partie suivante de réfléchir au moyen d’appréhender cette
dynamique en essayant de comprendre les processus de morphogenèse du
système, de réfléchir à ce "comment", en cherchant les moyens d'appréhender un
réseau comme un système, c'est-à-dire un objet structuré, évoluant irréversiblement
dans le temps, une organisation qui "transforme, produit, relie, maintient" (MORIN
1977, 104).
252
Chapitre III
LE RÉSEAU COMME SYSTÈME AUTO-
ORGANISÉ
1. Les fondements
L’organisation en réseau des formes est à la fois processus et résultat d’un
processus. Nous la percevons par ce résultat, une forme organisée « stable » , ce
que l’on appelle généralement la structure, mais dont la fixité n’est qu’apparente et
qui est indissociable du processus d’actions qui la produit. Cette organisation en
réseau n’est pas dépendante d’une volonté exogène, le produit d’une organisation
volontairement décidée par les hommes, bien que des éléments ressortissant à ce
réseaux puissent quant à eux être planifiés, mais résulte des interactions entre ses
composantes. Cet objet étonnant de par sa capacité à s’organiser lui-même dans le
temps relève d’un processus et d’une histoire particulière qui nécessitent de mettre
en œuvre une démarche susceptible de les appréhender. Les propriétés spécifiques
de cet objet organisé, de ce système, ne peuvent être perçues et interprétées par la
seule analyse disjonctive de ses éléments, mais plutôt par une démarche qui mette
en lumière sa nature organisationnelle et systémique fondée sur des interactions
entre ces éléments et entre les éléments et le tout. Le concept d’auto-organisation
semble ici de nature à nous permettre d’appréhender ces processus. S’il faut sans
doute être conscient des problèmes posés par l’emprunt de concepts issus d’autres
disciplines, de « concepts-caméléons » (GUTSATZ 1983, 32) tels que ceux d’autoorganisation, d’émergence, les apports du systémisme sont, comme le souligne E.
Morin, des matériaux scientifiques utilisables mais dont il est nécessaire de préciser
le sens afin d’éviter les malentendus (MORIN 1983, 329).
253
Nous rappellerons brièvement les éléments essentiels sur lesquels s’appuiera notre
tentative de modélisation de ce processus de mise en réseau des formes1.
Le système doit être entendu comme une « unité complexe organisée » (MORIN
1977, 148) c’est-à-dire une organisation qui, active, s’organise elle-même, une
conjonction d’actions complexes : à la fois auto-organisation, s’autonomisant, écoorganisation, fonctionnant dans son environnement, et réorganisation, se
transformant. Une « organisaction », pour reprendre le terme proposé par E. Morin
(id., 154 et suiv.) exprimant sa capacité à produire et à se produire, relier et se
relier, maintenir et se maintenir. Cette triade « morinienne » peut être rapprochée
du système général proposé par J.L. Le Moigne dans sa théorie de la modélisation
(LE MOIGNE 1984) et des trois modes de représentation d’un système qu’il
suggère : un objet actif (qui correspond à l’éco-organisation), stable (l’autoorganisation) et évoluant (la réorganisation) dans un environnement, par rapport à
quelques finalités, ou encore « un objet qui, dans un environnement, doté de
finalités, exerce une activité et voit sa structure interne évoluer au fil du temps sans
qu’il perde pourtant son identité unique » (id., 61).
Le réseau : quelle identité ?
La première question qui se pose est de pouvoir déterminer les paramètres sur
lesquels on se fonde pour interpréter une forme comme réseau. Jusqu’à
maintenant, cette détermination demeure liée à l’appréciation de chaque chercheur,
à sa sensation qu’à tel endroit les formes sont structurées en réseau selon des
paramètres assez vagues d’orientation, de formes reliées en maillage, d’extension.
On classe ainsi sous la définition de trame quadrillée non orthonormée d’orientation
souple, des formes relativement différentes. Si l’on effectue un rapide inventaire des
1
Ces concepts ont été présentés et explicités dans le chapitre 1.
254
variations possibles, on obtient ainsi une orientation plus ou moins souple, un
maillage dont la répartition spatiale peut être diffuse ou ponctuelle et qui peut être
lui-même serré ou lâche (fig. 101), des lignes trames et des lignes chaînes2
continues ou discontinues, une extension enfin qui peut varier de une à plusieurs
communes, de quelques centaines de mètres à plusieurs dizaines de kilomètres, et
dont la forme peut être ou surfacique ou linéaire.
On pourra ainsi reconnaître comme réseau aussi bien une forme présentant une
orientation à peu près constante, un maillage diffus et lâche, des lignes trames
continues et lignes chaînes discontinues et une extension forte, qu’une forme
présentant à l’inverse une orientation très souple, un maillage ponctuel et serré, des
lignes trames discontinues, des lignes chaînes continues et une extension faible.
Ces paramètres sont également ceux qui peuvent correspondre à des changements
d’état du réseau lui-même non seulement dans le temps mais aussi dans l’espace
puisqu’il n’est pas nécessairement identique sur l’ensemble de son extension.
L’appréciation de ces paramètres pose un certain nombre de questions. Tout
d’abord comment estimer une valeur pouvant permettre de déterminer la possibilité
de la présence d’un réseau ? Existe-t-il des valeurs seuils, par exemple, pour le
paramètre d’extension ? Supérieure à 10 km², ou moins ? ou plus ? Comment
également fixer une valeur seuil entre serré et lâche, lâche et absent, entre continu
et discontinu, entre discontinu et absent; à partir de quel seuil de discontinuité peuton considérer qu’il n’y a pas de lignes ? Peut-on tolérer des paramètres, et
combien, au-dessous du seuil sachant que la redondance entre ces différents
paramètres est également importante ? Par exemple, si deux paramètres sont audessous du seuil, une forme constituée d’îlots de maillage considérés comme trop
2
Pour conserver l’image de la forme réticulaire, nous avons adopté les termes de maillage, de lignes
trames pour les lignes nord-sud, de lignes chaînes pour lignes est-ouest. Le terme diffus employé
pour qualifier le maillage est compris dans le sens d’étendue uniformément alors que le terme de
ponctuel est utilisé dans le sens de localisé, par plages discontinues (fig. 101).
255
ponctuels et des lignes chaînes presque inexistantes mais dont les autres
paramètres sont suffisants, doit-on écarter la possibilité d’existence d’un réseau ?
Autre question encore, qui rejoint la précédente, existe-t-il des paramètres plus
importants que d’autres, tels que si leur valeur est au-dessous d’un seuil x, la
possibilité d’un réseau doit être éliminée ? On pourrait être tenté de répondre par
l’affirmative en ce qui concerne, par exemple, l’orientation. Mais d’autres variables
peuvent intervenir. Il faudrait peut-être aussi tenir compte du relief : un réseau se
développant dans une région au relief très marqué pourra sans doute avoir une
orientation beaucoup plus souple qu’un réseau se développant en plaine. Mais dans
ce cas, à partir de quel seuil considère-t-on que le relief peut être influent ?
L’appréciation de ces paramètres qui permettent d’identifier une forme comme un
réseau demeure donc problématique. On peut se demander s’il n’y aurait pas
moyen de les simplifier, de réunir ces paramètres en un seul, voire deux, comme
par exemple la proportion de liaisons organisatrices. Mais dans ce cas, il faudrait
déterminer par rapport à quoi se calcule cette proportion. Le procédé proposé par
exemple par G.Chouquer pour les centuriations (CHOUQUER 1996d, 29-31) est
valable si l’on peut déterminer un cadre théorique, ici par exemple l’ensemble des
lignes qui constitueraient une centuriation parfaite, à partir duquel on puisse
effectuer ce calcul. Mais il n’existe pas de réseau « parfait » , le propre de ces
réseaux étant justement d’être polymorphe.
Cette question d’identification de la forme en tant que telle est en fait parallèle et
rejoint la question de la genèse des réseaux, c’est-à-dire celle de la transition, du
passage du non-réseau au réseau. La recherche de valeurs seuils à partir
desquelles on considère qu’un ensemble de lignes dessinent un réseau s’apparente
à la recherche des valeurs seuils à partir desquelles on passe, dans le temps, des
îlots à une continentalisation des formes (CHOUQUER à paraître).
256
L’identification de ces valeurs seuils des paramètres est sans doute une des
questions sur lesquelles il serait nécessaire de se pencher. Il peut se révéler
intéressant de les étudier au regard de certains modèles issus d’autres disciplines,
comme par exemple ceux proposés par la physique pour les transitions ordre–
désordre en milieu aléatoire (WEISBUCH 1983). La percolation est un de ces
modèles fondé sur le problème de la transmission d’une information : au dessous
d’un seuil, l’information reste confinée dans l’îlot où elle est née ; au dessus du
seuil, l’information percole, se transmet à l’ensemble du système. Si bien
évidemment ces modèles ne sont pas directement transposables, ils offrent
cependant les pistes de recherche et permettent d’envisager les questions
différemment. S’il n’est pas possible de donner un seuil de probabilité statistique,
quantifié donc, qui va constituer un paramètre d’ordre de percolation, l’organisation
des formes en réseau peut être envisagée d’une façon similaire, c’est-à-dire comme
un problème de communication et de diffusion de l’information dans un milieu
composé d’éléments hétérogènes mais manifestant un comportement homogène à
un niveau global.
La dialectique diversité/unité constitue un des fondements du processus
d’organisation qui « transforme une diversité séparée en une forme globale »
(MORIN 1977, 130). La mise en réseau des formes est un processus de
transformation par lequel des éléments hétérogènes vont être différenciés et
intégrés à un tout organisé, un processus de création inhérent à sa capacité d’autoorganisation, c’est-à-dire à la fois transformer et se transformer, produire et se
produire, maintenir et se maintenir. Le réseau est à la fois le résultat et le
processus, une organisation récursive générant les éléments nécessaires à sa
propre génération, produisant malgré et par les déséquilibres, les diversités, les
changements, une certaine forme de stabilité. René Thom pose, nous semble-t-il,
257
particulièrement clairement le problème dans le chapitre introductif de son ouvrage
« stabilité structurelle et morphogénèse » : « un des problèmes centraux posé à
l’esprit humain est le problème de la succession des formes. Quelle que soit la
nature ultime de la réalité (à supposer que cette expression ait un sens), il est
indéniable que notre univers n’est pas un chaos ; nous y discernons des êtres, des
objets, des choses que nous désignons par des mots. Les être ou choses sont des
formes, des structures douées d’une certaine stabilité ; elles occupent une certaine
position de l’espace et durent un certain laps de temps ; de plus, bien qu’un objet
donné puisse être perçu sous des aspects très différents, nous n’hésitons pas à la
reconnaître comme tel » (THOM 1977, 1).
La notion de stabilité structurelle n’est pas antithétique de la notion de changement.
Ces deux notions, de même que diversité et unité, sont étroitement liées dans
l’organisation active, à la fois morphostatique, maintenant la permanence du
système dans sa forme, son existence, son identité, et morphogénétique
transformant « la transformation en forme » (MORIN 1977, 130-131).
Les questions de stabilité et d’évolution sont au cœur du processus de mise en
réseau des formes. Comme pour tout système auto-organisé, la perduration du
réseau comme résultat est indissociable de la perduration du réseau comme
processus, qui est elle-même résultat et processus de morphostases et
morphogenèses.
La stabilité structurelle des réseaux ne signifie pas inertie mais repose au contraire
sur une dynamique récursive, une organisation permanente. « Les organisations
récursives sont des organisations qui dans et par le déséquilibre, dans et par
l’instabilité, dans
et par l’accroissement d’entropie,
produisant des
états
stationnaires, des homéostasies, c’est-à-dire une certaine forme d’équilibre, une
258
certaine forme de stabilité, une forme certaine de constance, une véritable
morphostase » (id. , 187).
2. Morphostases
Un réseau est en perpétuelle interaction avec son environnement. Il reçoit et émet
en permanence des flux de matières, d’énergie et d’information. Il n’est pas
volontairement entretenu par une intervention délibérée extérieure à lui-même, par
une intervention humaine par exemple. Cependant, cette organisation ne disparaît
pas,
témoignant
ainsi
de sa capacité
à
résister
aux
perturbations
de
l’environnement, à maintenir un état défini par une « norme » , et à tolérer de petites
perturbations. Le système est capable de s’adapter, de s’auto-réguler pour
maintenir les paramètres nécessaires à sa survie. On suppose donc qu’il existe des
processus internes qui agissent pour maintenir l’état stationnaire du réseau, dans sa
morphologie et dans ses conditions intérieures, en dépit des perturbations externes,
des processus donc de résistance et de prévention, d’adaptation. Ces processus
morphostatiques constituent un phénomène d’équilibration, permettant au réseau
de maintenir son identité par des changements.
Ces processus morphostatiques peuvent être de nature différente suivant que l’on
considère que le système a une réaction « défensive »
par rapport à une
sollicitation de son milieu, une réaction d’adaptation à son environnement, et l’on
parlera alors d’accommodation, ou une action « offensive » par rapport à son
milieu, une adaptation de l’environnement au système, et l’on parlera dans ce cas
d’assimilation (LE MOIGNE 1984, 194-214 ; 1990, 118 ; PIAGET 1975 ),
« l’équilibration peut s’interpréter comme l’intervention finalisée du système sur et
259
dans son environnement »
(LE MOIGNE 1984, 209). Ces deux notions
d’accommodation et d’assimilation ont été proposées par J. Piaget pour
conceptualiser les deux aspects caractérisant tous les phénomènes d’adaptation.
La réunion de ces deux notions permet de relier dans une perspective
organisationnelle l’interne et l’externe : c’est le tout, intérieur et extérieur qui
s’adapte, se transforme et qui est à la fois cause et conséquence de son évolution
organisationnelle. C’est cette dynamique de l’équilibration d’un réseau que nous
allons tenter de modéliser à partir de ces concepts.
Dans un premier temps, nous envisagerons les différents processus relatifs à une
adaptation du système à l’environnement : la régulation et l’adaptation.
2.1.
La régulation
La stabilité globale du système que l’on constate au niveau macroscopique, et que
l’on pourrait qualifier de méta-stabilité, repose sur la capacité à pouvoir maintenir sa
stabilité en réagissant aux perturbations internes et externes par des fluctuations qui
à la fois expriment et corrigent les perturbations qu’il peut subir (MORIN 1977, 190).
Tout se passe comme si le réseau était informé de son état et compensait en
permanence la dégradation et la disparition de ses composants.
Cette régulation par turnover, par remplacement, des composants entraîne de la
concevoir d’une part sous cet aspect « réparateur » mais également sous un
aspect « producteur » puisque par ce processus, le réseau produit lui-même ses
propres composants. La dégradation entraîne la production, et la désorganisation la
réorganisation. Le réseau produit les éléments qui en même temps le produisent. La
260
résistance aux aléas repose sur cette dynamique d’auto-réparation et donc d’autoproduction par le renouvellement permanent des composants.
Cette capacité d’autonomisation du système nous amène à concevoir l’organisation
sous son aspect informationnel, à envisager l’adaptation du réseau comme un
processus interne d’information et de mémorisation qui permet au réseau de
maintenir son identité par une orientation constante, un taux de maillage et une
extension minimale. L’état stationnaire du réseau passe nécessairement par la
conservation, la mémorisation de l’information dans les divers constituants, et sa
diffusion entre constituants. L’efficacité de ce processus semble reposer elle-même
sur trois variables. D’une part sur la quantité d’éléments susceptibles de conserver
et de diffuser l’information. Ceci ne signifie pas obligatoirement que plus il y aura
d’éléments, meilleure sera la communication. Une trop grande quantité d’éléments
peut même amener la disparition du réseau par son invasion généralisée dans
l’environnement. En revanche, on peut supposer qu’un nombre minimum de
constituants est nécessaire pour assurer ces fonctions de mémorisation et de
diffusion.
La seconde variable concerne la variété des éléments. Cette variété va permettre
de faire passer le même message de façon différente, par des canaux différents, et
donc en principe d’améliorer la transmission du message. Ainsi par exemple,
l’information d’orientation pourra être véhiculée et par des voies, et par des limites
parcellaires, et par des alignements remarquables, et par un système d’irrigation…
Cette variété entraîne une redondance de l’information constituant une réserve, un
stock, susceptible de permettre au réseau de résister aux événements et de
maintenir son identité.
La dernière variable enfin concerne la capacité de chaque élément à conserver et
diffuser l’information. Si l’on considère que chaque sous-système, que chaque
élément, peut agir comme régulateur par rapport aux autres, on peut se demander
261
si certains n’ont pas un rôle déterminant, si la stabilité macroscopique du réseau ne
repose pas en partie sur la stabilité d’un sous-système ou d’un élément particulier.
La stabilité du système viaire régional semble dans un certain nombre de régions
être un des éléments fondamentaux de stabilité des réseaux. Dans notre région
d’étude, mais aussi par exemple en Beauce (LETURQ 1997), autour de Beaugency
(LIGIER 1974, ROBERT 1996b), de Melun-Sénart (ROBERT 1996a), la continuité
du système viaire dans le temps a sans doute été un phénomène majeur de
fixation/pérennisation des grands réseaux, leur permettant de résister aux petites
perturbations telles que les variations d’orientation, les différents tracés des
itinéraires. Mieux même, les tracés multiples d’un même itinéraire que l’on peut
entrevoir avant que ce dernier ne soit fixé par les routes modernes auraient renforcé
cette stabilité par une multiplication des linéaments globalement d’orientation
équivalente.
L’adaptation par régulation permet au réseau de s’adapter à des variations
passagères de l’environnement, de maintenir un état stationnaire dans un
environnement peu changeant, et de faire face à de petites fluctuations internes.
L’image fréquemment donnée de ce type de régulation est celui du thermostat qui
va réguler la température d’une pièce fermée (MORIN 1977, 191-192 ; WALLISER
1977, 91).
Mais la variabilité d’un réseau repose également sur sa capacité à s’adapter à des
conditions nouvelles, à des perturbations exogènes plus importantes. Si nous
reprenons l’image du thermostat, la fenêtre est maintenant ouverte, avec une
température extérieure oscillant entre –15 et –30°c3. D’une stabilité régulée, le
réseau passe à une stabilité adaptative.
3
L’exemple est repris de J.L. Le Moigne (LE MOIGNE 1984, 201)
262
2.2.
L’adaptation
On entendra donc plus spécifiquement par adaptation la capacité d’un réseau à
exister dans des milieux différents, et à engendrer des variétés selon les différentes
contraintes environnementales rencontrées.
Cette capacité va se manifester par les divers caractères morphologiques, les
différents aspects qu'il va pouvoir présenter en fonction des aléas et en réactions à
ces aléas. Comme nous l’avons déjà souligné, on peut inclure dans la catégorie
réseau des organisations présentant des états variés, qui semblent donc
correspondre à des adaptations multiples.
Tout en maintenant son identité constante, identité que nous avons définie sur le
plan morphologique par une orientation à peu près constante, un taux de maillage
et une certaine extension, l’organisation réticulaire va s’ajuster aux conditions
changeantes de son environnement.
L’environnement considéré ici sera l’environnement spécifique du réseau, son
environnement morphologique, constitué donc des autres formes.
Nous allons donc envisager les différentes adaptations possibles du réseau à ces
contraintes morphologiques, à ces variations externes qu’il ne peut assimiler, mais
sans qu’il soit ici question de leur rapports chronologiques Les variations
correspondent d’une part aux autres faits morphologiques comme par exemple la
présence d’autres réseaux, ou d’une multitude de petites formes, mais aussi aux
conditions orohydrographiques.
263
Adaptation par enchevêtrement (fig. 102)
Les lignes qui ressortissent au réseau sont entremêlées à celles des autres formes.
Il y a cohabitation sans que ni les unes ni les autres ne soient prédominantes et
prédatrices. Le maillage est assez lâche (un maillage trop serré ne permettant pas
aux autres formes d’exister) et diffus, le domaine d’existence n’étant pas limité par
les autres formes.
C’est le cas rencontré lorsque par exemple plusieurs réseaux coexistent sur le
même espace – dans notre zone d ‘étude par exemple les réseaux jaune et rouge
dans le secteur de Villemer (fig. 103), ou plus globalement dans le secteur nord de
ce village où les lignes sont très mélangées, imbriquées.
Adaptation par zonage (fig. 102)
Le réseau ne peut se diffuser uniformément sur l’ensemble de l’espace et occupe
principalement des secteurs d’influence plus prononcée. Les zones d’influences
peuvent elles-mêmes être différentes selon les cas, avec par exemple un maillage
très serré ou un maillage plus lâche. C’est par exemple la situation que l’on peut
rencontrer lorsque deux réseaux sont présents sur le même espace mais en se
répartissant chacun des zones de plus forte influence. Dans notre secteur d’étude,
le réseau rouge montre une très forte influence à l’ouest, alors que le réseau jaune
occupe davantage le nord-est (fig. 103). Les réseaux dit linéaires pourraient
également correspondre à une adaptation de type zonage. Leur secteur d’influence
serait limité à une bande longitudinale. Le réseau vert (fig. 103) en est sans doute
un exemple.
Adaptation par ajours (fig. 102)
Le réseau se diffuse relativement uniformément mais est ajouré ponctuellement par
des formes plus circonscrites, plus restreintes que dans le cas du zonage (comme
264
s’il y avait des trous dans le filet). Il présente un effacement ponctuel, par petites
plaques. C’est le phénomène que l’on peut constater par exemple à l’ouest de
Villemer et au sud de Montarlot (fig. 103).
Adaptation par distorsion (fig. 102)
Le réseau subit une contrainte par exemple du relief ou s’adapte à la forme d’un
cours d’eau. Cette adaptation concerne essentiellement l’orientation générale du
réseau.
Les adaptations relevées ci-dessus ne sont pas limitatives ; il en existe sans doute
d’autres. Elles peuvent correspondre à un type de réseau, comme les réseaux
linéaires par exemple, mais aussi, comme nous l’avons vu pour notre zone d’étude,
à des variations locales du même réseau suivant les différentes situations
rencontrées sur son domaine d’extension. Elles correspondent à un état particulier
du réseau à un moment donné de son histoire et ne sont pas figées. Elles peuvent
évoluer dans le temps. Un remembrement peut par exemple amener une forme
d’adaptation différente du réseau dans un secteur particulier4.
Les adaptations nécessitent des zones de stabilité suffisantes permettant la
continuité malgré les ajustements locaux, stabilité assurée par des poches et/ou des
lignes de résistance. Si des éléments sont détruits ou ne peuvent apparaître, les
autres assurent la stabilité en exploitant leur complémentarité. Une action plus forte
du maillage par exemple compensera un effacement ponctuel d’éléments linéaires,
ou encore une ligne, trame ou chaîne, assurera la stabilité malgré la défaillance
d’une partie du maillage. L’adaptation joue comme une organisation contre l’anti-
4
La question de l’évolution morphogénétique du réseau sera examinée dans le paragraphe 3
265
organisation. Loin d’affaiblir le réseau, sa souplesse, les variations qu’il est capable
d’adopter en réaction à un environnement défavorable lui permettent de se
maintenir en s’adaptant.
La difficulté réside dans la détermination de ce qui est du domaine de l’adaptation,
des variations d’un réseau et de ce qui ressortit à une autre forme, ou qui n’est pas
un réseau. Une forte distorsion ou une forme très ajourée peuvent ainsi
correspondre à des variations d’un réseau mais également à des faits
morphologiques totalement différents. Nous rejoignons ici la question des seuils à
partir desquels il est possible d’interpréter une forme comme réseau.
3. Morphogenèse
La morphogenèse, c’est-à-dire l’apparition dans l’espace et le temps d’une réalité
nouvelle renvoie nécessairement à la notion de changement, à l’évocation d’une
différence par rapport à un état antérieur5.
Elle pose la question essentielle de pouvoir comprendre comment et pourquoi il y a
émergence, quelque chose de nouveau, ou encore, pour reprendre les termes d’Y.
Barel « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » (BAREL 1993, 197).
Comme le souligne E. Morin, « l’idée d’émergence est inséparable de la
morphogenèse systémique, c’est-à-dire de la création d’une forme nouvelle qui
5
Le terme de morphogenèse gêne un certain nombre de personnes en ce sens qu’il pourrait renvoyer
à une conception vitaliste. Mais il doit être compris ici dans le sens que lui donne E. Morin, et plus
généralement les chercheurs qui se sont penchés sur les problèmes de l’auto-organisation, c’est-àdire celui de la transformation, de l’évolution, et ne se traduit donc pas nécessairement par la
recherche d’une « date de naissance », d’un point originel explicatif, bien impossible à trouver par
ailleurs.
266
constitue un tout : l’unité complexe organisée » (MORIN 1977, 115). Comme toute
morphogenèse, celle d’un réseau se fonde sur une dynamique de formation et de
transformation, de création et de reproduction. Les changements morphologiques
qui constituent l’objet de cette dynamique reposent sur un processus de
différenciation/coordination.
Un changement de forme peut être interprété selon un principe dual de
différenciation /intégration : un processus de différenciation d’une part puisqu’il fait
émerger de l’anonymat des formes qui ont entre elles certaines affinités, qui les
différencie donc d’un « magma » , du fond, morphologique. Ce processus peut être
rapproché de celui de catastrophe proposé par René Thom (THOM 1977) qui
correspond à l’expression d’une discontinuité, d’une forme sur un substrat, un fond :
une distinction entre une continuité et une discontinuité que l’on peut rapprocher de
la distinction gestaltiste. Un processus d’intégration également puisque le réseau
est une organisation qui transforme une diversité discontinue d’éléments en une
forme globale. Il distingue des éléments singuliers selon des normes qui sont les
siennes. Des formes différentes, viaires, parcellaires… vont, à un moment donné,
être différenciées et intégrées dans et par le réseau. Une différenciation entre le
réseau et son environnement, correspondant à l’apparition d’une organisation par
les interrelations qui se créent entre les différents éléments. Le réseau prend forme
en même temps que ses éléments se transforment en parties de cette totalité.
Si la reconnaissance de l’existence de ces grands réseaux comme forme autoorganisée commence à être mieux perçue, la question du passage du non-réseau
au réseau, de l’indifférenciation à la différenciation, de la formation du nouveau
dans l’ancien est un des problèmes majeurs de leur compréhension.
267
Le réseau se tisse à partir de lignes déjà présentes, un « déjà là » 6 mais qui n’est
pas encore un déjà cela, et dont l’aspect créateur va s’exprimer par cette forme là
précisément ; une auto-création donc mais qui n’est pas née de rien. La
morphogenèse comme le souligne E. Morin est et n’est pas une création ex nihilo.
Elle est une création ex nihilo dans le sens où elle produit quelque chose là où il n’y
avait rien, mais elle ne crée pas ex nihilo puisqu’elle ne crée pas à partir de rien
(MORIN 1977, 214).
L’état initial précédant l’organisation en réseau des formes nous est inconnu mais
on peut le qualifier d’état de non-organisation avec coexistence de formes diverses.
On peut imaginer l’état de non-réseau comme un système comportant un très grand
nombre « d’attracteurs enchevêtrés » (ATLAN 1983, 263), un champ de possibles.
A un moment, un processus sélectif aboutit à privilégier, à différencier, dans cet
enchevêtrement un ou quelques-uns de ces attracteurs.
On suppose donc qu’il se produit une bifurcation, une modification du système
morphologique qui va être à l’origine de cette transition. Les relations entre des
éléments relativement isolés vont franchir un seuil de connexion donnant naissance
à cette forme nouvelle qu’est le réseau.
Si on ne peut réellement expliquer pourquoi cet attracteur là va être privilégié et pas
un autre, on peut cependant souligner certains phénomènes qui nous semblent
déterminants dans l’apparition de la forme réticulaire, à savoir la modification de
l’occupation du sol durant la Protohistoire d’une part, et la relative stabilisation des
réseaux de chemins d’autre part.
6
L’expression est empruntée à C.Castoriadis (CASTORIADIS 1993, 71).
268
Modification de l’occupation du sol
Les protohistoriens semblent mettre en évidence deux phénomènes majeurs dans
l’évolution de l’occupation du sol liés à la modification des pratiques culturales.
Grâce à l’amélioration des techniques, le déplacement de l’habitat en fonction de
l’épuisement du sol n’est plus nécessaire et les rendements vont progresser.
La stabilisation, dans un premier temps, qui paraît coïncider avec l’émergence des
fermes indigènes (PION 1996, 96) semble avoir entraîné l’apparition d’une
occupation du sol discontinue par la mise en place progressive d’unités de
production (BUCHSENSCHUTZ 1996 ; 1997) dont le découpage parcellaire a sans
doute constitué des îlots de maillage ponctuels dispersés. Mais on peut cependant
penser que ces exploitations ne vivaient pas en totale autarcie et qu’il existait donc
des éléments viaires leur permettant les échanges.
Dans un second temps, la densification des unités a sans doute abouti à une
exploitation intégrale du territoire7. Les unités qui étaient alors éparpillées auraient
peu à peu investi l’ensemble de la campagne (MENNESSIER-JOUANNET et
BUCHSENSCHUTZ 1996 ; BUCHSENSCHUTZ 1997). On peut donc penser que
cette
densification
de
l’exploitation
du
sol
a
favorisé
la
transformation
morphologique de l’espace, substituant à des îlots de maillage plus dispersés, peutêtre
séparés
par
des
« outfields »
(MENNESSIER-JOUANNET
et
BUCHSENSCHUTZ 1996, 176), un agencement de formes contiguës entrant en
connexion, un maillage plus général de l’espace.
7
Les facteurs de cette densification demeurent énigmatiques. L’essor démographique qui aurait pu
être invoqué ne semble pas constituer un moteur déterminant (PION et al. 1990, 255).
269
Les réseaux de chemins
Certains itinéraires paraissent avoir joué un rôle majeur en inscrivant des grandes
lignes d’orientation directrices qui constitueront un des éléments essentiels de
l’organisation réticulaire. On peut émettre l’hypothèse que quelques itinéraires vont
devenir plus importants et se stabiliser, du moins provisoirement, en raison de la
fixation de l’habitat d’une part, du développement et de l’intensification des
échanges commerciaux et monétaires (PION et al. 1990, 251-252 ; MENNESSIERJOUANNET et BUCHSENSCHUTZ 1996, 178) instaurant des couloirs de
circulations d’autre part, et enfin, en relation avec les deux précédentes, la présence
de points de franchissement des cours d’eau.
On constate que ces itinéraires anciens, sans doute à l’origine davantage constitués
d’un faisceau de chemins que d’une voie unique bien délimitée, forment comme
l’armature des réseaux, leurs lignes, trame ou chaîne, contribuant à établir et à fixer
leur orientation. Cette forte corrélation entre voies anciennes et réseaux apparaît
ainsi par exemple à Genlis (CHOUQUER 1996), Melun-Sénart (ROBERT 1996a) ou
encore Beaugency (LIGIER 1974 ; ROBERT 1996b). Sur notre zone d’étude, les
trois réseaux mis en évidence correspondent à l’orientation des itinéraires qui
paraissent les plus anciens.
Comme nous l’avons souligné ci-dessus, les connaissances acquises ces dernières
années sur la période protohistorique semblent mettre en évidence un certain
nombre de changements susceptibles d’avoir créé les conditions de la mise en
réseau des formes. Il se peut que le manque de documentation sur l’organisation
spatiale aux époques antérieures n’induise quelque peu le raisonnement. On sait
par exemple que dès la fin du Néolithique on pratiquait des échanges commerciaux
270
à longues distances (BUCHSENSCHUTZ 1986, 16). On peut imaginer que des
itinéraires commerciaux se sont, dès cette époque, mis en place et ont commencé à
imprimer sur le sol des couloirs de circulation, qui, tout en étant peut-être
relativement flous, ont pu néanmoins jouer un rôle dans le processus de mise en
réseau en déterminant quelques grandes orientations.
L’organisation des formes en réseau semble donc s’appuyer sur un processus
conjoint de modification de l’occupation du sol d’une part et de différenciation et
sélection de quelques itinéraires d’autre part. A partir de ces deux éléments, on peut
essayer de proposer un modèle hypothétique de la dynamique de ce processus,
des relations qui vont permettre l’émergence du réseau.
3.1.
Modèle hypothétique d’une genèse
- Création ?
Le réseau n’a pas jailli du néant ; il s’est formé à partir des éléments d’autres soussystèmes, éléments constituant autant de potentialités différentes, mais qui en
réaction à des événements, des perturbations, vont cependant bifurquer pour
évoluer irréversiblement dans le sens d’une mise en réseau des formes.
Nous proposons de distinguer deux bifurcations essentielles dans la genèse des
réseaux.
La première correspond à l’émergence de grandes lignes directrices. La Picardie a
livré semble-t-il quelques exemples de ces grands tracés qui sont reliés entre eux
par des voies transversales (LAMBOT 1996, 24-25). Les itinéraires et les faisceaux
de chemins qui les constituent vont imprimer dans l’espace des orientations
271
majeures. Il nous faut présumer la relative stabilité de ces itinéraires, au moins
provisoirement, pour que le développement du réseau ait pu s’effectuer à partir de
ces éléments linéaires. Nous verrons que cette stabilité ne correspond pas
nécessairement à une fixité des itinéraires en tant que tels sur la longue durée, et
que les modifications de leur fonction dans le temps, comme limites parcellaires par
exemple, se révéleront être un facteur important de conservation8. Cependant, si
l’on admet que les éléments parcellaires, et plus généralement les formes
d’occupation du sol, étaient encore peu nombreux et ponctuels, il faut que ces
itinéraires aient fonctionné pendant un certain temps pour pouvoir jouer un rôle
véritablement structurant sur les formes à venir.
Sur notre zone d’étude, les trois réseaux mis en évidence correspondent à des
itinéraires ressortissant au réseau régional, voire supra-régional, et pour lesquels
l’étude morphologique a permis d’envisager une existence antique.
Le réseau dit rouge reposerait ainsi sur les axes Nemours–Montereau-Faut-Yonne,
qui est une section de l’itinéraire qui relierait Orléans à Reims, Nemours à Esmans
(et au-delà Cannes-Écluses), ces deux axes mettant en relation la Seine et la Loire,
et enfin Moret-sur-Loing–Sens, section probable de l’itinéraire Melun (Paris ?)–
Sens.
Le réseau dit vert reposerait lui sur l’axe Montereau-Faut-Yonne–Pont-Thierry,
correspondant à une section de l’itinéraire Provins–Château-Landon–Orléans.
Le réseau dit jaune enfin s’appuierait sur un axe Moret-sur-Loing–Nanteau-surLunain. On constate que trois axes importants ont apparemment servi de base au
réseau rouge, qui est le plus prégnant, alors qu’un seul paraît fonder le jaune et le
vert. Il serait téméraire de faire de la multiplicité des axes une explication d’un
développement futur plus ou moins prégnant des réseaux. Les axes Nemours–
8
Cf. infra, 3.2.3 .
272
Montereau-Faut-Yonne et Nemours–Esmans pourraient correspondre à des
faisceaux différents d’un même itinéraire global qui auraient pu ou exister
simultanément comme variantes spatiales d’un même itinéraire (Orléans–Reims par
exemple), ou bien également se déplacer dans le temps.
De plus, les réseaux jaune et vert ont pu s’appuyer sur d’autres axes maintenant
disparus, effacés par des réaménagements ultérieurs.
Tous les itinéraires anciens ont-ils systématiquement donné naissance à un
réseau ? Cela semble être le cas pour notre région mais on peut également
interpréter ce phénomène par la disparition éventuelle de certains itinéraires et/ou
de réseaux par exemple. D’autres régions ont sans doute connu des situations
différentes, où par exemple un seul réseau s’est créé privilégiant un axe, même si
d’autres itinéraires ont existé et perduré.
Parallèlement à la mise en place de ces grands axes, on suppose que s’établissent
de petites unités constituant sans doute des îlots de maillage, mais dont on a du
mal à percevoir véritablement l’organisation.
Dans notre région, on ne connaît que très peu de fermes indigènes. Quelques
données rares sur de possibles habitats à Épisy, Ville-Saint-Jacques, Montarlot et
peut-être Flagy ne permettent pas de connaître la répartition, la densité, l’orientation
et l’organisation de ces petites unités. Il est vraisemblable que la situation est
relativement proche de celles rencontrées dans d’autres régions, avec des
parcellaires
semblant
couvrir
une
surface
restreinte
autour
de
l’habitat9
(MENNESSIER-JOUANNET et BUCHSENSCHUTZ 1996, 176 ; PION 1996, 95-96 ;
COLLART 1996, 137-138). Les orientations parcellaires étaient sans doute diverses
d’un îlot à l’autre. Si la proximité d’un axe, pouvant éventuellement servir de limite à
9
Mais ce phénomène est aussi sans doute lié aux conditions d’observation en prospection aérienne et
en archéologie préventive.
273
pu influencer l’orientation, cette corrélation n’est cependant pas systématique
(MENNESSIER-JOUANNET et BUCHSENSCHUTZ 1996, 176).
La seconde bifurcation correspond à l’émergence du réseau en tant que tel à partir
des éléments apparus « clandestinement » lors de la bifurcation précédente.
L’augmentation des échanges économiques et monétaires a sans doute contribué à
valoriser et fixer certains itinéraires, renforçant leur impact dans l’organisation
spatiale. La modification des formes de l’occupation du sol, habitats et parcellaires,
est sans doute un des événements importants qui va permettre de franchir un seuil
par la mise en relation des différents éléments. Deux phénomènes majeurs
témoignent de cette modification : la régularisation des formes elles-mêmes, et la
densification de l’occupation et de l’exploitation du sol.
La plupart des études concernant l’évolution des formes durant la Protohistoire
mettent en évidence la tendance à une progressive géométrisation de celles-ci.
Qu’il s’agisse de la reprise de formes préexistantes ou d’une implantation voisine,
on constate que les plans sont de plus en plus réguliers et géométriques (BAYARD
et COLLART 1996 (dir.)). Les formes arrondies des enclos sont peu à peu
remplacées, par superposition ou par déplacement des enclos, par des formes plus
quadrangulaires (COLLART 1996 ; FEMOLANT et MALRAIN 1996). L’exemple de
Translay (Somme) montre une implantation de la fin de l’Âge du Fer organisée en
grandes parcelles régulières quadrangulaires (BAYARD 1996, 177-178).
Mais les modalités de la densification de l’occupation du sol et de l’extension des
territoires cultivés sont encore mal connues.
L’accroissement de la densité a pu se réaliser par extension progressive du
parcellaire à partir des occupations antérieures, celles-ci pouvant correspondre à
l’augmentation du nombre de parcelles et/ou à l’augmentation de la surface des
274
parcelles10, ou bien par une multiplication des points d’occupation qui vont finir par
se rejoindre.
Il faut sans doute envisager une action conjointe de ces deux processus. La plupart
des connaissances acquises ces dernières années sur les modifications de
l’occupation du sol l’ont été essentiellement dans le cadre de fouilles de sauvetage
dont l’ampleur est donc nécessairement limitée par rapport à l’extension des
réseaux en question, et ne permet pas de percevoir l’extension de l’organisation
parcellaire. En revanche, elles semblent mettre en évidence des réaménagements
successifs11 et des déplacements des habitats, déplacements pouvant s’inscrire
dans une occupation continue d’un espace mais témoignant parfois de phases
d’abandon intermédiaires. Le constat est assez fréquent d’une relative continuité de
l’occupation mais avec une relative instabilité des habitats (PION 1996 ; BAYARD
1996 ; HASELGROVE 1996 ; FEMOLANT et MALRAIN 1996)12.
Cette instabilité des habitats a-t-elle eu un impact sur l’organisation parcellaire ?
Quelques exemples en Picardie semblent indiquer que les réaménagements
successifs n’ont pas nécessairement modifié de façon radicale l’organisation
antérieure (BAYARD 1996, 177). La perduration des installations pourrait
éventuellement être liée à la proximité de grands axes de circulation (FEMOLANT et
MALRAIN 1996, 51). Les données sont actuellement insuffisantes pour pouvoir
l’affirmer. Les rapports entretenus par ces axes et les formes parcellaires sont
rarement envisagés. On peut cependant supposer qu’ils ont joué un rôle important
dans la constitution des réseaux en instaurant des lignes fortes, les différents
10
er
Dans l’Oise, certains sites montrent une transformation spatiale à la fin du 1 siècle avant J.C. due à
la mise en place de nouveaux fossés délimitant des parcelles beaucoup plus importantes que
celles des périodes précédentes (FEMOLANT et MALRAIN 1996, 52).
11
Dans la vallée de l’Aisne, P. Pion indique une réorganisation de fond tous les 20-30 ans (PION
1996, 96).
12
Ces déplacements rendent souvent difficile l’appréciation des créations, une forme nouvelle pouvant
être interprétée comme un déplacement. Comme le souligne D.Bayard, la différence des résultats
qu’il obtient sur la Picardie avec ceux obtenus dans la vallée de l’Aisne pourrait être imputée à la
prise en compte ou non de ces déplacements (BAYARD 1996, 168).
275
faisceaux des voies et les lignes transversales le reliant renforçant ce « cadre »
viaire linéaire sur lequel le parcellaire pouvait prendre appui et se développer
suivant des limites isoclines à ces axes. A Genlis, au Clos du Varin, la Voie
Traversaine, sans doute gauloise, sert ainsi d’appui à l’armature des structures
parcellaires (CHOUQUER 1996). Cet exemple met en évidence le rôle important de
la voie de communication comme élément morphogénétique mais également
l’adaptation du système viaire et parcellaire aux conditions naturelles, s’inscrivant
dans un couloir fluvial et contribuant sans doute à régulariser le réseau
hydrographique (id., 39). Cette adaptation a certainement constitué également un
facteur important dans le processus de mise en réseau des formes dans notre
région d’étude. Le réseau se serait développé par rapport à plusieurs axes
dominants d’autant plus aisément que son orientation pouvait s’inscrire dans une
gestion des conditions naturelles par une fonction de drainage de cette pénéplaine.
Comme à Genlis, l’axe viaire important a la même orientation que la rivière. En
revanche cette relation entre conditions naturelles et réseau est moins perceptible
en ce qui concerne les réseaux jaune et violet, à l’exception peut-être du secteur de
Ville-Saint-Jacques où le réseau jaune est à peu près parallèle à la Seine et où le
pendage est plus accentué.
L’émergence et la formation d’un réseau reposeraient donc d’une part sur la
dynamique de grands axes de circulation et d’autre part sur un développement
progressif du parcellaire, par juxtaposition et dilatation des formes déjà présentes,
et par multiplication des points de diffusion. Les axes viaires et parfois naturels ont
eu un rôle morphogénétique majeur, influençant le développement du maillage
parcellaire par isoclinaison mais aussi sans doute par attirance.
Toutes les formes parcellaires n’ont sans doute pas participé à la mise en réseau. Il
est vraisemblable que certaines ont adopté un processus de développement
276
différent, en raison de multiples facteurs, tels que, par exemple, la présence d’une
organisation antérieure autre, ou une conjoncture orohydrographique particulière.
Notre région, comme un certain nombre d’autres, pose la question du
développement parallèle de plusieurs réseaux et de leur imbrication. Si dans la
partie ouest le réseau rouge est ainsi quasiment exclusif, la partie est en revanche
montre à partir de Villemer une coexistence des trois réseaux sur un même espace
(fig. 103). Une des difficultés majeures est de raisonner ici sur un état « final » où
des tracés ressortissants à des époques différentes sont mêlés. Toutefois lorsque
ces réseaux imbriqués ont pu être mieux étudiés, comme dans le Baugeois par
exemple, les fouilles ont montré qu’il n’existait pas de rapport de succession entre
eux, que l’un ne se superposait pas à l’autre dans le temps, mais qu’ils cohabitaient
dans le même espace en même temps (CARCAUD et al. 1997).
Les trois réseaux de notre secteur d’étude semblent s’appuyer, nous l’avons déjà
noté, sur les itinéraires qui paraissent les plus anciens – sachant que d’autres ont
pu disparaître sans laisser de trace. On peut supposer que chacun de ces axes de
circulation a été un élément morphogénétique. A Villemer, où se croisent deux de
ces axes, l’influence de l’un
ou de l’autre a pu jouer de façon aléatoire, le
développement du parcellaire s’organisant sans privilégier nécessairement
l’orientation et la relation avec un seul d’entre eux. Mais on peut aussi envisager un
scénario différent, dans lequel le développement du parcellaire se serait effectué au
contraire en privilégiant un axe. Son extension aurait alors été localisée dans une
zone, et chaque réseau se serait organisé dans un premier temps dans une zone
particulière, l’extension plus large et l’imbrication apparaissant dans un deuxième
temps
par
la
dilatation de
ces
zones
d’influences
et
leur
progressive
interpénétration. Ce schéma est différent de celui que l’on semble constater sur le
Baugeois mais la genèse des réseaux ressortit sans doute à des processus
modulables selon les endroits.
277
De même la question de savoir quand ces réseaux sont apparus est encore
discutable ; s’il ressort des différentes études que l’âge du Fer semble avoir été le
moment privilégié de l’organisation régulière de la campagne par une trame
quadrillée souple mais régulière, et que cette organisation était en place à l’époque
gallo-romaine, les différentes régions n’ont pas nécessairement connu les mêmes
rythmes de transformation.
L’organisation réticulaire est cependant un fait morphologique majeur dont témoigne
encore la trame viaire et parcellaire actuelle. Mais cette structuration n’est pas
seulement un fait qui s’est conservé comme une forme figée, par fixation dans le sol
de telle sorte que les organisations postérieures n’auraient pu l’effacer. La pérennité
de la forme globale repose au contraire sur sa capacité à se transformer dans le
temps, à se reproduire, malgré et grâce à son environnement et aux événements
qui l’affectent et qu’elle affecte.
3.2.
Réorganisation permanente
Le concept d’organisation active comporte à la fois auto- et ré- organisation, c’est-àdire la capacité du système de se produire et de se reproduire. Il renvoie à l’idée de
génération et de régénération, à une transformation évolutive qui est à la fois
conservation et innovation, à une évolution créatrice fondée et sur les morphostases
et sur les morphogenèses. Morphostases et morphogenèses sont liées par la
réorganisation permanente, une reproduction à la fois de l’identique et du différent,
278
où « la continuité se constitue à partir de la discontinuité d’individualités
éphémères » (MORIN 1980, 236).
Comme tout système ouvert, pratiquant des échanges avec son environnement, un
réseau doit nécessairement, pour ne pas se désintégrer, se régénérer à partir des
éléments/événements de son environnement, dont il est paradoxalement à la fois
indépendant, de par son identité, son autonomie, et dépendant puisqu’il se nourrit
de cet environnement et ne peut exister que grâce à lui.
La réorganisation n’est pas seulement rétroaction négative, morphostatique,
atténuant ou annulant les perturbations, endogènes ou exogènes, pour maintenir et
conserver la constance de la forme, mais aussi et en même temps rétroaction
positive, morphogénétique, produisant de la diversité, du nouveau, à partir et grâce
aux déviances et à l’amplification des perturbations. La morphostase ne s’oppose
pas à la morphogenèse, la stabilité à l’évolution, à la création, mais l’une et l’autre
sont complémentaires.
« La rétroaction négative seule est l’organisation sans l’évolution. La rétroaction
positive seule est la dérive et la dispersion » (MORIN 1977, 224). La première peut
être interprétée comme une tendance du système à s’isoler face aux perturbations
de son environnement, et la seconde comme une tendance du système à s’ouvrir
sur son environnement, comme un principe donc de sensibilité à l’événement,
formulée par Von Foerster comme un principe d’ « order from noise » , d’ordre à
partir du bruit. Ce principe repris et développé par H. Atlan sous les termes de
« complexité par le bruit » (ATLAN, 1979) postule que dans le processus de
désorganisation/réorganisation, la complexité du système peut augmenter sous
l’action et l’influence du bruit par la création de variété au dépens de la redondance
initiale.
279
Nous proposons d’analyser l’évolution d’un réseau à la lumière de ce principe
général d’évolution des systèmes auto-organisés envisagée comme un processus
de co-engendrement de redondance et de variété, où les perturbations sont
considérées comme éléments/événements de l’histoire du réseau.
L’apparition du réseau comme forme organisée s’est produite à partir de la mise en
relation de formes hétérogènes, apparemment sans planification volontaire globale.
Cette forme aurait tout à fait pu disparaître sous l’effet des pressions et des
perturbations successives telles que les modifications du réseau viaire ou plus
généralement des modes différents d’occupation du sol. Or on constate au contraire
que non seulement cette forme réticulaire ne disparaît pas, mais qu’elle continue à
exister, à fonctionner comme réseau, intégrant ces perturbations issues de son
environnement comme source de régénération et de reproduction dans le temps.
L’évolution du réseau dans le temps peut être interprétée comme un processus
informationnel reposant sur sa capacité de se produire et de se reproduire, de
générer les éléments nécessaires à sa régénération par reproduction et du même –
un phénomène de redondance – et du différent – un phénomène de diversification –
et exprimant sa capacité de résister au bruit mais aussi d’utiliser et d’intégrer ce
bruit.
L’évolution doit donc être envisagée comme un processus double : sous l’effet
déclencheur du bruit, une complexification informationnelle transforme de la
redondance en variété, et cette variété se trouve inscrite et intégrée aussitôt dans le
phénomène de répétition, et devient donc redondance.
Ainsi d’une part l’inscription durable du nouveau permet la constitution d’une
nouvelle redondance et d’autre part le nouveau ne peut s’inscrire que s’il y a
redondance initiale suffisante (MORIN 1979, 347-350).
Si ces deux processus sont donc intimement liés, nous procéderons cependant à
leur séparation, relative et provisoire, pour la commodité de l’analyse de la
280
reproduction du réseau, qui sera donc dans un premier temps envisagée du point
de vue du phénomène de redondance, et dans un second temps de celui du
phénomène créateur de diversité sous l’effet du bruit.
3.2.1. Redondance
Tout se passe comme si l’inscription informationnelle des événements producteurs
de la mise en réseau constituait une sorte de mémoire. La multiplicité des différents
éléments contribue à une multiplication du même message, participant à
l’établissement d’une redondance de l’information, une répétition du même, qui va
maintenir une référence, une identité entre les différents éléments, qui va donc
garantir la cohésion de la structure.
L’évocation d’une forte redondance dans le réseau est assez aisée : au niveau
viaire par les différents itinéraires composés d’un faisceau de voies de même
orientation ainsi que par le quadrillage spatial formé par ces itinéraires, au niveau
parcellaire par les îlots multiples ayant eux-mêmes une forme réticulaire, au niveau
des connexions entre les voies et les formes parcellaires, au niveau enfin des
relations entre les formes naturelles et anthropiques. Si ces différents éléments
participent à l’établissement d’une redondance de l’information au sein du réseau et
par le réseau, cette redondance ne repose cependant pas sur la conservation des
éléments figés dans le temps, mais sur une re-création permanente de redondance.
Celle-ci peut être assimilée à un stockage d’informations, une mémoire, qui doit
nécessairement être réalimentée pour maintenir un taux minimum lui permettant de
pallier les effets destructeurs des perturbations.
281
La faculté de mémorisation repose nous semble-t-il sur des phénomènes liés à
l’asynchronie des changements.
Tous les changements ne se produisent pas en même temps. Les différentes
parties ne se modifient pas simultanément ni à la même vitesse. Il reste ainsi
toujours des éléments conservant la mémoire de l’organisation qui vont donc
assurer un taux minimum de redondance. Ces asynchronies peuvent être reliées
divers facteurs :
- à l’extension du réseau : les changements qui peuvent se produire en un point du
réseau ne vont concerner qu’une partie de l’extension spatiale à un moment donné.
- à des phénomènes d’hysteresis : ces phénomènes, que l’on pourrait qualifier
d’effets retard, « dont la cause est depuis longtemps éteinte mais dont les effets
continuent à se maintenir et parfois même à se développer par simple effet
d’inertie » (BERTRAND 1975, 104). Le réseau lui-même peut être considéré
comme un phénomène d’hysteresis, mais il ne relève pas véritablement d’un effet
d’inertie.
- aux éléments eux-mêmes en fonction de leur capacité variable de mobilité : Tous
les éléments ne changent pas à la même vitesse.
-
à
la
présence
d’éléments
morphogénétiques
qui
ne
changent
pas
nécessairement13 mais vont permettre le changement bien après leur époque
d’apparition et de fonctionnement.
La redondance constitue une réserve de mémoire, qui est indispensable à
l’inscription du nouveau. Sans redondance initiale suffisante, le nouveau ne sera
que dispersion, une diversité séparée, désordonnée.
13
Dans le cas de morphogènes naturels tels que rivière ou relief, leur pérennité est fondée sur un nonchangement. En revanche, dans le cas de morphogènes anthropiques tel qu’un axe viaire par
exemple, leur pérennité peut être fondée sur un changement de fonction dans le temps comme
nous le verrons ci-après.
282
3.2.2. Variété
Pour survivre, un système doit évoluer, se transformer. Pour être encore actifs, les
réseaux ont dû intégrer au cours de leur histoire des éléments nouveaux qui leur ont
permis de ne pas devenir une forme morte, fossile. Comme le souligne E. Morin,
« la conservation du même nécessite renouvellement » (MORIN, 1980, 344). Et ce
renouvellement est possible grâce aux perturbations de l’environnement, au bruit.
Ces perturbations peuvent ne pas être assimilées par le réseau, et on aura dans ce
cas un processus d’accommodation. Si ces perturbations sont intégrées dans et par
le réseau, il s’agira alors d’un processus d’assimilation et « les effets du bruit
deviennent alors des événements de l’histoire du système et de son processus
d’organisation » (ATLAN, 1979, 57). L’auto-organisation et la réorganisation sont
donc liées à la capacité du réseau de se servir des perturbations pour augmenter sa
variété.
Le réseau procède d’un processus d’actualisation d’une mémoire : à partir de
l’empreinte des événements, des formes passées, un « déjà-là » , il produit des
événements et des formes qui vont réactualiser cette mémoire, et pourront à leur
tour être la base de nouvelles aventures.
L’accroissement de variété des réseaux peut être envisagé à deux niveaux : le
niveau microscopique qui est celui des changements concernant les éléments
viaires et parcellaires, et le niveau macroscopique correspondant à l’ordre global de
l’organisation et qui concerne les modifications de la structure réticulaire, son
orientation, son maillage et son extension. Ces deux niveaux ne sont pas
283
indépendants et les modifications de l’un ou de l’autre vont entraîner des boucles de
rétroactions de l’un sur l’autre.
3.2.2.1.
Niveau microscopique
L’accroissement de variété peut ressortir à des phénomènes différents : l’intégration
de formes nouvelles et la transformation de formes préexistantes, par changement
morphologique et/ou fonctionnel ou par réactivation, réinvestissement d’une forme
et de sa fonction.
- L’intégration de formes nouvelles.
Nous entendrons par ces termes le phénomène qui repose sur l’apparition de
formes nouvelles viaires ou parcellaires, ou autres, dans le paysage qui vont être
intégrées dans le réseau, ou bien par le jeu de l’aléatoire, ou bien par l’action
d’influence exercée par le réseau sur ces formes, ce qui dans un sens, ressortit
également à de l’aléatoire dans la mesure où cette influence ne s’exerce pas
systématiquement sur toutes les formes nouvelles.
Le développement des éléments viaires liés aux échanges entre les centres
d’habitat va générer des linéaments dont certains s’inscriront dans le réseau et
contribueront à l’enrichir. Le réseau viaire local, qui s’établit entre les différents
centres d’habitat, villages, fermes, hameaux, moulins…, comme les réseaux viaires
régional et supra-régional correspondant à des échanges à moyenne ou longue
distance, ont été modifiés, remodelés, comme nous l’avons mis en évidence
précédemment, en fonction de l’importance de ces pôles économiques et sociaux,
importance elle-même en relation avec leur situation sur un couloir de circulation
important. Quelques exemples peuvent souligner ce phénomène d’intégration.
284
Au niveau du réseau viaire local, nous avons vu qu’il existait entre Dormelles Flagy
et Thoury (fig. 5), un tracé passant à l’écart de ces villages, tracé qui semble avoir
été remplacé, ou doublé pendant un temps, pour permettre une relation directe
entre les villages. Le premier tracé était un linéament du réseau rouge, et le second
tracé qui lui est parallèle s’est donc également intégré dans ce réseau.
Le réseau viaire régional nous donne également un exemple d’intégration de
nouveaux linéaments routiers avec l’évolution de l’itinéraire Montereau–ChâteauLandon14, sans doute en rapport avec le développement de Flagy et Lorrez-LeBocage. Cet itinéraire s’est apparemment décalé vers l’est, renforçant ainsi le
réseau vert dans lequel était déjà inclus le premier tracé. De même, la route de
Bourgogne, actuelle N6, située en limite nord de notre zone d’étude, sur la rive sud
de la Seine a un tracé nord-sud entre Cannes-Écluses et Moret et paraît avoir
constitué un élément important du réseau jaune.
Enfin, l’autoroute du Soleil qui traverse une partie de notre secteur de recherche, à
l’est de Nemours, est un élément viaire contemporain supra-régional intégré dans le
réseau rouge.
L’intégration des nouvelles formes parcellaires est plus délicate à appréhender.
Certains exemples dans des régions davantage documentées comme le Baugeois
montrent que les linéaments des réseaux peuvent ressortir à des périodes très
différentes, et on peut supposer qu’il y a eu à différents moments, apparition et
assimilation de nouvelles formes. La forme réticulée que nous pouvons observer est
le résultat de ces assimilations successives.
L’exemple de Flagy dans notre zone d’étude montre la difficulté d’appréhender la
question de la création de nouvelles formes. Ce village est, nous l’avons vu, une
villeneuve fondée au XIIème siècle et on peut supposer que cette création a généré
14
fig. 14
285
une mise en valeur des terres et donc un développement de formes parcellaires
liées à cette fondation. L’étude de ce village met en évidence son inscription dans
une forme globale, le réseau vert, s’appuyant sur un couloir de circulation qui a dû
être important. La mise en valeur des terres se serait effectuée progressivement, à
partir de grands axes parallèles à partir et dans le prolongement du village, dont on
ne sait pas s’ils ont précédé ou suivi son établissement. Cette création pourrait ainsi
s’inscrire dans une forme préexistante, le réseau vert, dont on ignore le mode
d’organisation interne au moment de cette installation. Il se peut alors que cette
dernière ait ou utilisé un découpage déjà en place, ou réactivé d’anciens
linéaments, ou utilisé des linéaments présents à partir desquels on aurait procédé à
un découpage parcellaire progressif, ce découpage étant intégré, assimilé dans et
par le réseau, et contribuant ainsi à son enrichissement.
Le fait de raisonner sur des documents contemporains peut paraître problématique
mais il ne l’est, nous semble-t-il, que si l’on affirme que ces formes sont des
créations médiévales et qu’elles n’ont pas changé depuis. Si ce découpage est plus
récent, ou plus ancien, il relèvera cependant d’un processus d’enrichissement du
réseau dans le temps. L’apparition de formes véritablement nouvelles est, à
quelques exceptions près, difficile à appréhender, et le processus d’assimilation
peut sans doute être envisagé essentiellement comme un processus de
transformation des formes dans le temps.
- Transformation
On peut différencier deux phénomènes différents de transformation : d’une part
ceux qui relèvent d’une modification de formes qui n’étaient pas intégrées dans un
réseau (ou qui étaient intégrées à un autre) et qui vont, par son action et son
influence, être modifiées et assimilées par ce dernier, et d’autre part ceux qui
relèvent d’un réinvestissement dans le temps de formes antérieures déjà intégrées.
286
Sur notre région d’étude, le réinvestissement des formes dans le temps paraît être
le phénomène dominant. La modification des formes est rarement perceptible. Les
photographies aériennes anciennes montrent peu de formes fossiles. En revanche,
les plus récentes enregistrent un relativement grand nombre de traces qui
correspondent pour la plupart aux formes encore actives en 1949, année de la
mission que nous avons utilisé pour établir notre document de travail. L’absence de
traces fossiles sur des missions anciennes relèverait donc davantage d’une
conservation relative des formes que de l’impossibilité de repérer des formes
disparues en raison de la nature du sol par exemple et de leur recouvrement
éventuel.
Villemer montre toutefois un exemple de modification : lors de l’étude du territoire de
ce village, on a pu mettre en évidence des limites parcellaires fossiles (notées B sur
la figure 89) recouvertes par d’autres limites présentant une orientation différente et
qui était celle du réseau rouge. De même, entre le Loing et Darvault, à l’est de
Nemours, la comparaison des missions aériennes de 1949 et de 1994 montrent
qu'en certains endroits, les remembrements ont modifié l’agencement de certaines
parcelles en les intégrant dans ce même réseau, ce qui n’était pas le cas en 1949.
Mais la plupart des changements s’inscrit davantage dans le cadre d’un processus
de réinvestissement des formes. Ces réinvestissements peuvent concerner et la
forme et la fonction, comme par exemple un élément viaire qui a été modifié pour
conserver sa fonction de voie jusqu’à notre époque, mais le plus souvent les
changements ont également porté sur la nature et/ou la fonction. Dans le cas des
éléments viaires, la nature de ces modifications n’est pas nécessairement identique
sur la totalité du linéament. La voie Moret–Nanteau, sans doute ancienne, qui a
constitué un axe important du réseau jaune est ainsi conservée sous la forme d’une
petite route d’Écuelles à Rebours, et d’un chemin de desserte rurale au sud de
Rebours. Le faisceau nord de l’itinéraire Nemours–Montereau-Faut-Yonne (fig. 6,
287
n°2) qui est un des linéaments majeurs du réseau ro uge, survit comme petite route
de Nemours au Landy, chemin d’exploitation jusqu’au Coudray, limites parcellaires
jusqu’à Rebours et un peu à l’est de ce hameau, chemin d’exploitation jusqu’à
Villecerf, tronçons de chemin alternant avec des limites parcellaires jusqu’à
Varennes-sur-Seine, et route départementale de Varennes à Montereau-FautYonne.
La transformation des autres éléments est plus difficile à apprécier. De tels
exemples sont attestés dans d’autres régions : à Lunel Dassargues dans l’Hérault,
des silos et des trous de poteaux carolingiens ont été implantés sur des fossés
antiques comblés (FAVORY et al., 1993), ou encore à Pierrelatte où des fossés se
sont succédés au même emplacement entre l’époque antique et moderne et sont
matérialisés aujourd’hui encore par une haie (BERGER et JUNG, 1996, 100).
Sur notre secteur d’étude, la région de Bourron-Marlotte est sans doute un exemple
d’un tel réinvestissement des formes. Comme nous l’avons vu précédemment (fig.
50) le cadastre napoléonien montre un ensemble de formes parcellaires insérées
dans le réseau rouge et qui pourrait témoigner d’une constance des formes
parcellaires entre l’époque antique (peut-être), médiévale, et moderne.
Ces réinvestissements ne signifient pas nécessairement continuité. Il y a sans doute
eu des abandons relatifs et des reprises. Cependant, ils sont significatifs de la
maintenance d’un taux de redondance minimum de l’organisation en réseau dans le
temps qui a permis l’inscription de ces transformations dans ce réseau,
transformations qui constitueront à leur tour une redondance à partir de laquelle
d’autres transformations pourront se développer en apportant de nouvelles
diversités.
288
3.2.2.2.
Niveau macroscopique
Les changements à ce niveau vont reposer sur les perturbations de l’environnement
et leur assimilation, soit directement, au niveau des éléments du réseau dont le jeu
« offensif » va permettre d’influencer les effets des perturbations dans un sens
bénéfique et donc d’intégrer ces effets comme facteurs de diversité, soit, en
quelque sorte, indirectement par le jeu « défensif »
du réseau face aux
perturbations qu’il ne peut assimiler. Ceci peut paraître contradictoire : une
assimilation par non-assimilation, et demande à être explicité. Nous avons vu que le
processus d’accommodation, d’adaptation du réseau à son environnement,
constitue les réponses possibles du système face à des événements qu’il n’intègre
pas. Ces morphostases sont des réactions défensives qui permettent au réseau de
résister, en s’adaptant, à des perturbations, par l’acceptation, la tolérance de
modifications locales (ajours, zonage…). Mais les effets de ces perturbations,
considérés ici du point de vue destructeur au niveau local, peuvent aussi être
envisagés du point de vue organisateur au niveau global, puisque contribuant à
accroître la variété du réseau. On peut en effet considérer que les effets des
perturbations, les différentes réponses morphostatiques, vont constituer des
événements de l’histoire du réseau, événements qui vont être intégrés et récupérés
comme facteurs d’organisation par apport de diversité à un niveau différent.
L’évolution du réseau peut donc être interprétée comme un processus de
construction qui s’appuie sur une destruction (ATLAN 1979, 56-58). L’intégration de
la différence, dans et par le réseau, est un élément essentiel de son évolution, à la
fois cause et conséquence de ces désorganisations/réorganisations successives.
Les destructions partielles ne peuvent cependant jouer un rôle bénéfique que s’il y a
289
maintien d’une connectivité suffisante. Mais dans le même temps, les perturbations,
en diminuant cette connectivité du réseau, vont lui permettre d’être moins rigide et
de pouvoir accepter plus facilement les transformations. La diversité du réseau
favorise la diversité des réponses possibles aux perturbations qui augmente en
retour la diversité du réseau, tant en ce qui concerne l’extension par dilatation ou
contraction, que le maillage, par resserrement ou relâchement, diffusion ou
ponctualisation, et enfin que l’orientation, plus ou moins ondulante. Cette variété va
pouvoir
servir
elle-même
de
point
d’appui
possible
pour
de
nouvelles
morphogenèses.
- Transformation de l’extension
Le réseau peut ou se dilater ou se contracter et cette modification peut concerner le
sens trame, ou le sens chaîne, ou les deux.
Mais cette transformation n’est pas nécessairement identique sur l’ensemble du
réseau et n’est pas déterminée une fois pour toutes.
La dilatation par exemple peut en effet ne concerner
qu’un secteur du réseau
tandis que le reste peut demeurer stationnaire ou se contracter. Et l’appréciation
d’un tel phénomène est difficile à appréhender par la seule morphologie puisque,
sauf exception par la présence de traces fossiles, on ne peut connaître l’état
antérieur à celui que nous connaissons actuellement. Par exemple, autour de VilleSaint-Jacques, les tracés du réseau rouge tendent à être moins présents. Mais on
ne peut dire si cela correspond effectivement à une contraction (sous l’effet de la
dilatation et de la concurrence du réseau jaune) ou s’il n’a jamais pu se diffuser
dans ce secteur.
290
De même, la présence très ponctuelle de formes pouvant être rattachées à ce
réseau dans la région de Cheroy15 correspond-elle à une contraction de ce réseau
dont il ne subsisterait que quelques traces ou bien à des îlots d’organisation qui
n’ont jamais été véritablement reliés au réseau rouge ?
La dilatation est encore plus délicate à reconnaître. De plus, ces phénomènes ne
connaissent pas une évolution linéaire. Un réseau dont le domaine d’influence s’est
contracté à un moment peut tout à fait connaître ensuite une phase de dilatation par
importation et développement de nouvelles formes à partir des éléments encore
présents et ayant conservé et entretenu la mémoire du réseau.
- Transformation du maillage
Cette transformation peut affecter ou bien l’aspect de la diffusion du maillage : diffus
sur l’ensemble du réseau ou par zones ponctuelles ; ou bien l’aspect du maillage
même : serré ou lâche. Là encore, l’appréciation d’une telle évolution est délicate.
Certains phénomènes ont sans doute un rôle important : ainsi les remembrements
qui, en diminuant le nombre de parcelles, contribuent à détendre le maillage. Le
développement du réseau viaire local a pu parfois entraîner une organisation
parcellaire différente à l’origine de « trous » dans la structure réticulaire. Mais d’une
part cela n’est pas systématiquement le cas : à La Genevraye ou à BourronMarlotte par exemple, le réseau radial de chemins issus de ces villages n’exerce
pas d’influence sur l’organisation parcellaire dont le maillage relève du réseau
rouge. D’autre part rien ne permet d’affirmer que le quadrillage a été comme effacé :
il se peut que son absence relative ait justement permis le développement d’autres
formes à certains endroits.
15
Ces traces avaient été interprétées comme ressortissant à une centuriation, dite de Sens C
(CHOUQUER et PATIN 1991 ; MARCHAND 1992)
291
L’évolution du maillage semble devoir être mis en relation avec la présence
d’éléments linéaires, trame et/ou chaîne susceptibles d’être générateurs. Ces
transformations là encore ne concernent pas généralement l’ensemble du réseau :
une évolution à un endroit à un moment pourra être différente à un autre endroit, et
deux secteurs à l’origine « identiques » pourront connaître certainement des
évolutions différentes.
- Transformation de l’orientation
On ne peut véritablement parler de changement, de transformation. La souplesse
d’orientation dont témoignent les réseaux, les diverses variations autour d’une
direction globale ressortissant aux variations des éléments parcellaires et viaires.
Les variations des grandes lignes, trames et chaînes, sont sans doute liées à
différents phénomènes : d’une part à la souplesse des tracés viaires eux-mêmes,
d’autre part à la souplesse des itinéraires dont on a pu montrer les déplacements, la
mobilité spatiale, et les dédoublements pas toujours exactement parallèles, et enfin
l’assimilation de nouvelles lignes, issues par exemple des réseaux locaux de
chemins, dont l’orientation globalement identique peut être toutefois légèrement
différente. Les formes parcellaires prenant appui sur ces chemins seront plus ou
moins subordonnées à ces fluctuations.
La polymorphie des réseaux est le témoin des schémas d’évolution différents qu’ils
ont pu avoir en fonction des interactions qui se sont produites ou non avec leur
environnement. La diversité des réseaux résulte de la diversité de leur histoire, du
jeu permanent entre une mémoire, qui conserve la trace des événements passés, et
des changements, qui vont nourrir cette mémoire et constituer le moteur de
l’évolution du réseau.
292
Mais on peut se demander si dans ce jeu de mémorisation, par lequel la durabilité
du réseau ne repose pas sur l’inertie mais sur la conservation et la transmission de
l’information, certains éléments ne sont pas plus efficients que d’autres. Il ne s’agit
pas ici d’essayer de trouver une cause unique mais d’essayer de déterminer si
certains constituants ne sont pas dotés de propriétés spécifiques susceptibles de
leur conférer un rôle majeur dans ce processus. Cela semble être le cas des
linéaments viaires dont l’importance est soulignée dans la plupart des études
concernant les réseaux. Mais si leur présence au sein de ces réseaux paraît
évidente, il semble nécessaire de s’interroger sur la spécificité de leur action et le
pourquoi
de
cette
apparente
importance
dans
le
processus
de
conservation/transmission.
3.2.3. Mémorisation et transmission. Le réseau viaire : un acteur
essentiel ?
La plupart des études menées sur les réseaux paraissent appuyer l’hypothèse que
les éléments viaires pourraient constituer un facteur déterminant de l’organisation
réticulaire et de sa pérennité. Ainsi à Sénart, par exemple, la disparition de la voie
qui servait de support à un réseau a semble-t-il entraîné la disparition de ce dernier
(ROBERT 1997, 88-89).
Au-delà du simple constat de l’influence des linéaments viaires, nous allons tenter
de mettre en évidence certaines propriétés spécifiques de ces linéaments qui
pourraient apporter quelques éléments de compréhension de la primauté de leur
rôle. Les propriétés des éléments viaires relèvent nous semble-t-il de niveaux
293
dynamiques différents : celui d’une part lié à la propre conservation de ces
éléments, et celui d’autre part lié à leur morphologie singulière à l’origine d’un mode
d’action particulier sur les autres éléments du réseau et sur les caractéristiques
même du réseau.
3.2.4. La conservation des éléments viaires
L’analyse des réseaux viaires fait apparaître une relative permanence des
itinéraires malgré l’aspect fluctuant des tracés eux-mêmes, avant qu’ils ne soient
définitivement fixés. Cette relative permanence peut être liée à leur situation dans
un couloir de circulation important qui ou bien a conservé ce statut dans le temps,
ou bien a été réinvesti par le réseau local ou régional. Ainsi l’axe Montereau–
Nemours, axe fort du réseau rouge, était sans doute inclus dans un itinéraire
commercial plus important, Reims–Provins–Orléans. Actuellement cet itinéraire,
constitué de tronçons de voies de statuts variés mais dont aucun ne dépasse la
simple route départementale, est désuet, et à moins de pratiquer le tourisme, on ne
passe plus par Nemours pour aller de Reims à Orléans. En revanche, cet axe a été
conservé et réinvesti à l’échelle régionale où il constitue un élément de liaison
important, d’autant plus que l’orientation de son tracé en sud-ouest–nord-est est
rare dans cette région où Paris constitue le pôle majeur et où les tracés sont donc
majoritairement orientés nord-ouest–sud est.
L’importance des itinéraires et leur conservation est sans doute en rapport étroit
avec le rôle et le poids économique des centres d’habitats mis en relation, mais un
rapport interactif, à double sens, où l’importance des pôles économiques va
294
renforcer les itinéraires les desservant qui eux-mêmes vont contribuer à renforcer
l’importance économique de ces pôles.
La situation de ces pôles et des couloirs de circulation est en relation étroite, sur
notre région, avec les éléments naturels hydrographiques notamment. MontereauFaut-Yonne est établi à la confluence de la Seine et de l'Yonne et constitue un point
de franchissement de la rivière. Cette situation a sans doute permis à cette
commune et aux itinéraires de s’inscrire durablement comme nœud routier.
La stabilité des habitats depuis le Moyen-Âge, à quelques exceptions près et quelle
que soit l’évolution qu’ils aient pu connaître, n’a pu que contribuer à fixer les
chemins qui les reliaient.
Si les linéaments viaires paraissent, pour beaucoup, montrer une conservation
remarquable dans le temps, cette conservation repose aussi sans doute sur les
possibilités de multiples réinvestissements qu’ils offrent et sur leur caractère
multifonctionnel. Ces réinvestissements peuvent, comme nous l’avons vu
précédemment, s’effectuer par la conservation dans le temps de la même fonction,
comme voie, tout en s’adaptant aux nécessités et aux situations nouvelles, mais
aussi s’effectuer dans le sens d’une modification de la fonction, la voie pouvant être
transformée en limite parcellaire ou chemin d’exploitation rurale, ou bien encore en
allée forestière, dont les alignements remarquables conservent la mémoire du tracé.
Ainsi l’axe viaire Moret–Nanteau du réseau jaune qui a disparu comme route a été
conservé en étant réinvesti de diverses façons sur son tracé.
L’inscription durable de ces linéaments routiers se fonde sur une mémoire réactivée
dans le temps et semble être un élément fondamental de la conservation du seuil
de redondance minimum permettant au réseau de se reproduire.
295
- Incidence morphologique
Les éléments viaires sont particulièrement marquants dans les réseaux dans la
mesure où c’est sur eux que se constituent généralement les grandes lignes trames
et/ou chaînes qui donnent au réseau son orientation et son extension.
De par leur forme, leur contenu informationnel est conservé sur une distance assez
grande et la zone de diffusion potentielle de cette information aux autres éléments
est donc également étendue spatialement, suivant l’extension de l’axe. De plus, la
continuité de ces axes paraît être un élément de fiabilité, évitant qu’une autre forme
concurrente ne s’implante, susceptible d’introduire des parasites et pouvant donc
nuire à plus ou moins long terme à la conservation et à la transmission de
l’information par une diminution trop importante de la redondance.
Cette incidence morphologique est renforcée par la façon dont se sont
apparemment constitués une grande partie des axes viaires. Les tracés multiples,
contemporains ou non, qui semblent avoir prévalu avant la fixation définitive de la
route, ainsi que les déplacements d’itinéraires dans le temps, ont généré une
multiplication d’éléments linéaires à peu près parallèles, établissant ainsi un
tramage de l’espace renforçant et élargissant la zone de diffusion potentielle.
On peut supposer que les réseaux linéaires se sont constitués sur ce processus de
diffusion à partir d’un ou de quelques axes parallèles assez proches, apportant une
information très prégnante le long de ces axes mais dont la diffusion est
nécessairement plus limitée en largeur.
Le réseau vert résulte sans doute d’un tel processus. Constitué principalement
d’axes nord-est–sud-ouest, correspondant aux tracés de l’itinéraire Montereau–
Paley par Dormelles, puis Montereau–Lorrez par Flagy (fig. 13), il s’étire le long de
ces axes mais ne se diffuse pas en largeur.
La souplesse de son orientation semble correspondre à ces modifications de tracés
et à l’évolution de l’itinéraire, le changement du « terme » de l’itinéraire au sud –
296
Lorrez et non plus Paley – entraînant une inclinaison légèrement plus marquée au
sud.
Pour que la diffusion surfacique soit assurée, la présence d’éléments viaires plus
nombreux paraît indispensable, que ces éléments s’orientent parallèlement ou
perpendiculairement. L’information a besoin, semble-t-il, d’être relayée dans
l’espace par des éléments linéaires suffisamment importants.
La résistance et la prégnance du réseau rouge paraissent ainsi avoir été favorisées
par la présence de nombreux chemins contemporains ou non. Si certains
correspondent à des itinéraires anciens comme l’axe Montereau–Nemours, d’autres
ont sans doute été intégrés plus tardivement. Ainsi la route de Bourgogne, au tracé
linéaire ouest – est à partir de Moret, probablement d’origine médiévale et actuelle
N6, a sans doute pris le relais de l’ancien chemin Moret–Nanteau, orienté nord –
sud, comme axe structurant du réseau jaune autour de Ville-Saint-Jacques.
Le grand axe perpendiculaire Épisy–Villemer–Villemaréchal semble ressortir
davantage des réseaux locaux issus des villages médiévaux, mais il peut avoir
existé auparavant. Paradoxalement, cet axe linéaire très fort dans le dessin du
réseau ne sert d’appui à pratiquement aucune forme parcellaire à l’exception de la
zone de Villemer - où son impact n’est pas nécessairement déterminant puisque
l’information est ici transmise également par les deux axes de l’itinéraire Nemours–
Montereau-Faut-Yonne - et de quelques traces ponctuelles à Épisy. L’interprétation
d’une telle « non-influence » particulièrement au sud de Villemer est délicate. Y a-til eu des effacements ? Mais aucune trace fossile n’en témoigne. La concurrence
des autres réseaux a-t-elle empêché le développement de formes qui auraient pu
s’appuyer sur cet axe viaire ? Si les réseaux jaune et vert sont effectivement
relativement présents au sud de Villemer, la densité de traits se rapportant à ces
deux réseaux n’est cependant pas très forte, et une cohabitation aurait très bien pu
se faire comme c’est le cas autour de Villemer. Tout se passe comme si on n’avait
297
pas tenu compte de la présence de cet axe lors de la mise en valeur du sol. Il se
peut qu’il ait eu un aspect déjà très dégradé lors du développement de Villemer. Le
réseau local de chemins issus du village aurait alors favorisé l’axe viaire situé à
proximité, au nord-est, qui permet de relier Villemer aux hameaux de Montmery et
Boisroux, et sur lequel s’appuie l’ensemble parcellaire situé entre ces deux
chemins. Il est difficile de pouvoir affirmer une interprétation véritablement
satisfaisante. Néanmoins, ce que montre avec force cet exemple, c’est que si l’on
peut dégager des tendances, comme celle de l’importance des axes viaires dans la
structuration des réseaux, il existe toujours une part d’aléatoire qui montre leur
relativité : ces tendances ne sont pas des lois, et les relations de cause à effet
peuvent être différentes selon les cas. Les voies sont des éléments sans doute
nécessaires, mais pas suffisants. Elles sont certainement, de par leur forme, des
éléments privilégiés de conservation et de transmission de l’information. Mais cette
dernière n’est pas systématique ou du moins pas nécessairement suivie d’un effet
immédiat. On peut ainsi très bien imaginer que l’axe viaire que nous venons
d’évoquer et qui n’exerce que peu d’influence sur les formes parcellaires, voit son
activité se modifier, par exemple à la faveur d’un remembrement qui utiliserait cet
axe comme point d’appui pour un nouveau découpage parcellaire.
L’importance des grands éléments linéaires repose sans doute également sur leur
rôle de liaison, de mise en relation des îlots de maillage, assurant ainsi la cohésion
du réseau. Dans le cas d’un maillage ponctuel par exemple, ces îlots ne prennent
une cohérence et un sens que parce qu’ils sont reliés entre eux par des axes qui
permettent de les intégrer, de transformer cette diversité séparée en une forme
reliée.
Le rôle majeur des axes viaires paraît donc être imputable à leur capacité
particulière de conservation et de transmission de l’information, et dans le temps et
298
dans l’espace. Mais cette « solidité »
des éléments viaires peut constituer
également un élément de fragilité du réseau. Dans la mesure où un axe viaire sert
de lien temporel et spatial et d’appui aux autres formes, sa disparition peut mettre
en péril l’existence du réseau. Cela paraît être principalement le cas lorsqu’il s’agit
d’un réseau linéaire où le maintien d’un taux minimum de redondance est
essentiellement assuré par un axe viaire unique. L’exemple de Sénart serait
significatif de ce cas de figure. En revanche, dans le cas de réseaux surfaciques,
l’information est susceptible d’être mémorisée et transmise par un plus grand
nombre de linéaments qui vont servir de relais, et qui compenseront la défaillance
éventuelle de l’un ou de l’autre.
4. Conclusion
La mise en réseau des formes et la pérennisation de ce processus dans le temps
résulte d’un jeu permanent entre variété et redondance qui permet l’évolution du
réseau, évolution qui est, comme le définit E. Morin « à la fois la rupture de la
répétition par surgissement du nouveau et reconstitution de la répétition par
intégration du nouveau » (MORIN 1980, 344).
Si l’origine de cette mise en réseau paraît pouvoir être rapportée à la Protohistoire,
cette structure ne nous est perceptible que parce qu’elle a évolué malgré et grâce
aux perturbations de son environnement, qui ont constitué le moteur de ces
désorganisations/réorganisations successives. La perduration d’un réseau repose
ainsi sur sa capacité non seulement de résister à ces perturbations - au « bruit »
(ATLAN 1979) - par des processus de morphostase, mais aussi de les intégrer,
voire même de les générer, pour augmenter sa complexité, par des processus de
299
morphogenèse. Plus le réseau est susceptible de se transformer et plus il est
susceptible de perdurer ; un réseau qui ne se transforme pas dans le temps devient
une forme non-active.
Mais l’environnement, source de régénération, peut aussi être destructeur. Au-delà
d’un certain seuil, les perturbations peuvent entraîner une diminution trop
importante de la redondance, de la quantité d’information mémorisée, ne permettant
plus alors au réseau d’assimiler ces perturbations, d’intégrer la diversité.
La forme du réseau est sans doute un élément important dans le processus de
reproduction. Acentrée, elle peut d’une part accepter plus facilement des
destructions
ponctuelles
au
niveau
microscopique
sans
que
le
niveau
macroscopique soit menacé. La perte de redondance est compensée par les autres
éléments. D’autre part, grâce à cette forme réticulaire, la transmission de
l’information peut s’effectuer à partir de chacun des éléments, chaque linéament
constituant un réservoir, un pôle de transmission potentiel, plus ou moins efficace
sans
doute mais
présent.
La
dynamique
de
reproduction
s’appuie
sur
l’hétérogénéité des éléments liée à leur asynchronie, couplant des éléments jeunes
avec des éléments plus anciens, et sur leurs vitesses différentes de changement.
Les formes parcellaires sont susceptibles de se modifier plus rapidement, au gré
des redécoupages, abandons, réoccupations ou remembrements. Ainsi à MelunSénart, S. Robert fait le constat d’une transformation plus importante et plus rapide
des formes parcellaires par rapport à celle des grandes lignes viaires (ROBERT
1996a, 14). Les changements qui affectent les formes viaires relèvent sans doute
d’une dynamique plus lente, et peuvent revêtir des formes diverses. On peut
supposer qu’à partir de la fixation de l’habitat au Moyen-Âge, les réseaux locaux
desservant ces habitats vont également se fixer et ne changeront plus beaucoup,
réutilisés régulièrement. En revanche, les itinéraires plus importants, réseaux
régionaux et supra-régionaux sont sans doute plus fluctuants, en fonction des
300
modifications des pôles économiques et/ou politiques. Mais lorsqu’ils disparaissent
en tant que voie de grand transit, ils sont apparemment fréquemment réinvestis
sous une forme différente. La stabilité des linéaments viaires, quel que soit leur
niveau, est, nous l’avons vu, relative. Les tracés ne se sont pas fixés tout de suite
sur une voie unique. Et ces petites variations, constituant des petites perturbations,
ont contribué à augmenter et la variété et la redondance du réseau. L’évaluation
des perturbations et de leurs conséquences éventuelles dépendent de l’échelle
d’observation. Une perturbation non assimilée au niveau microscopique pourra être
intégrée au niveau macroscopique.
La souplesse des réseaux enfin constitue un élément majeur de ce processus de
réorganisation. Comme pour toute organisation, une structure très rigide est
beaucoup plus fragile face aux perturbations, les conditions de leur assimilation
étant beaucoup plus faibles. Dans les réseaux, l’orientation, le maillage, l’extension
sont souples, peuvent se modifier, ce qui permet des possibilités de diversités plus
nombreuses, diversités qui vont constituer à leur tour de la redondance sur laquelle
d’autres possibles pourront apparaître.
Les réseaux se sont constitués et ont évolué à partir de formes anthropiques mais
selon un processus d’auto-organisation. La forme globale, résultant de ce
processus, n’a pas été pensée, décidée par les hommes qui ont occupé l’espace,
mais apparaît comme création autonome, capable de s’auto-reproduire dans le
temps, mais simultanément comme entièrement dépendante de son environnement
qui assure les conditions de son renouvellement.
Si l’on peut mettre en évidence certaines tendances, certains facteurs de leur
évolution, et donc des conditions de leur maintien, ces tendances doivent être
réellement considérées comme telles et non comme des lois déterminantes à partir
desquelles on pourrait prévoir à coup sûr l’évolution.
301
Si l’on est encore très loin d’une théorie de l’évolution morphologique d’un réseau,
on peut sans doute aller plus loin dans l’étude des conditions de cette évolution. Les
auteurs de « Des oppida aux métropoles » (DURAND-DASTÈS et al. 1998) ont
montré qu’il était possible de mettre en place des méthodes permettant de mieux
cerner les influences respectives des différents facteurs dans l’évolution d’un
système de peuplement. De même, l’étude des systèmes réticulaires a besoin
d’autres méthodes permettant d’aller plus loin dans la compréhension de leur
évolution créatrice qui conjugue le déterminisme du déjà-là et le hasard de la
création de cette forme là.
302
Chapitre IV
CONCLUSION
A l’image du phénomène étudié, la dynamique des formes du paysage, ce travail
s’inscrit comme un processus. Il ne constitue pas un terme, un achèvement, mais
plutôt un moment de la recherche. Il témoigne des événements, des perturbations
qui, chemin faisant, l’ont fait bifurquer, évoluer, d’une façon imprévisible. Les
questions, réflexions, insatisfactions rencontrées ont été « catastrophiques » dans
le sens où l’entend R. Thom, c’est-à-dire morphogénétiques.
Les transformations se sont appuyées sur « la régression de la certitude
trompeuse » (MORIN 1977, 65). Confrontée à l’insatisfaction que procurait le
discours morpho-historique fondé sur un raisonnement linéraire et déterministe –
une époque, un pouvoir, une forme – il m’a paru nécessaire de changer d’attitude,
de point de vue, par rapport à l’analyse des formes. Il m’a fallu pour cela
abandonner peu à peu, et non sans mal1, les modèles sécurisants qui permettaient
l’interprétation des formes à partir de leur décomposition, classification, isolement,
et dans le temps, et dans l’espace.
Partie à la recherche du territoire de Sens dans l’Antiquité, les questionnements et
réflexions apportés par d’autres chercheurs tels que G. Chouquer, P. Leveau, m’ont
entraînée vers d’autres interrogations, des angles de vue différents, et d’autres
lectures.
Le retour aux sources épistémologiques d’une part, et morphologiques d’autre part,
m’a permis d’envisager la question des formes du paysage à partir du concept de
1
et parfois sans bien y parvenir, retombant involontairement dans les schémas de pensée si familiers.
303
système, en essayant donc de partir des formes elles-mêmes pour tenter de
comprendre leur histoire et non pas de chercher à les interpréter à partir d’un cadre
historique chronologique pré-établi.
Dans un premier temps, nous avons isolé les formes viaires et parcellaires afin
d’étudier la dynamique particulière de chacun de ces sous-systèmes constitutifs.
L’étude des formes viaires, à partir de la méthodologie proposée par E. Vion
(VION , 1989) a permis de mettre en évidence les différents niveaux de structuration
du réseau viaire et leur dynamique. Cette étude a montré d’une part que de grands
axes de circulation, vraisemblablement très anciens, structuraient fortement
l’espace, et d’autre part une certaine durabilité des itinéraires mais qui repose sur
une mobilité des linéaments dont la fixation définitive est sans doute assez tardive.
L’étude des formes parcellaires, menée à deux niveaux différents de cohérence,
celui des grandes formes et celui des unités morphologiques, a permis de proposer
une vision de l’organisation des formes différente de celle fondée sur la recherche
de modèles pré-établis, censés témoigner de l’inscription des faits institutionnels
dans un paysage considéré comme un empilement de ces organisations
successives, et constituant comme un puzzle où chaque pièce avait une place et
une forme prédéfinie dans le temps et dans l’espace.
A l’encontre de cette conception stratifiée, sont apparues avec force des diversités
de formes, de situations, une durabilité des formes fondée sur des mobilités, des
réinvestissements, remodelages, rendant impossibles ou périlleuses les tentatives
de chronologies relatives ou de typo chronologies. Il s’est dégagé une certaine
imprévisibilité des comportements morphologiques, irréductibles à quelque modèle
unique, et donc l’impossibilité d’asseoir le raisonnement
causal, linéaire et déterministe.
sur un enchaînement
304
En essayant de recentrer l’angle de vue sur les formes elles-mêmes, j’ai pu
proposer des hypothèses morphologiques sur leur organisation, sur la complexité
dynamique de leurs changements, montrant qu’il n’y avait pas une histoire mais des
histoires possibles.
Cette disjonction préliminaire a mis en évidence qu’on ne pouvait tenter de
comprendre les formes du paysage en considérant chaque niveau, chaque élément
de façon autarcique, mais que ces formes, leur organisation et leur évolution
reposaient sur l’articulation de ces niveaux différents, de ces éléments différents,
sur leurs interactions spatiales et temporelles, sur une dynamique complexe qui
n’est pas uniquement dépendante des interventions exogènes.
L’organisation des formes en réseau paraît constituer un des faits morphologiques
majeurs de cette dynamique. Si cette structuration réticulaire, que l’on commence à
distinguer dans un certain nombre de régions, paraît très ancienne, sa pérennité ne
repose cependant pas sur de l’immobilisme mais au contraire sur des mobilités.
Cette mise en réseau des formes constitue une émergence organisationnelle, qui
ne ressortit pas à une décision volontaire, planifiée, mais résulte d’un entrelacement
de temporalités et de niveaux différents, à la fois processus et résultat du processus
d’interactions entre les différents composants.
C’est à ce point de la recherche, à l’issue de cette analyse morphologique, que s’est
produite une seconde bifurcation, liée à un sentiment d’insatisfaction face aux
nouvelles interrogations apparues. Si la notion de système avait permis d’envisager
les formes comme des phénomènes dynamiques spécifiques, elle avait aussi fait
naître d’autres étonnements, d’autres questions quant à leur organisation et à leur
évolution. C’est donc sur ce processus de la mise en réseau des formes que
l’attention a été portée plus particulièrement, pour essayer de mieux comprendre
305
pourquoi cette forme là, pourquoi elle ne disparaissait pas, quel était le jeu qui
s’établissait entre mobilité et pérennité, entre hétérogénéité et homogénéité, par la
mise en œuvre d’une modélisation. Percevant ce phénomène comme complexe, j’ai
donc considéré que son autonomie était l’élément primordial : son comportement
n’était pas complètement dépendant d’interventions extérieures, mais était élaboré
par le réseau lui-même, comme s’il mettait en œuvre une stratégie de conservation
et de reproduction, fondée sur les interactions entre les éléments du système et
avec l’environnement, duquel il se différenciait, dans lequel il s’autonomisait et se
transformait, et sur lequel il agissait.
Ces réflexions m’ont amenée à concevoir le réseau comme un système de
traitement d’informations, capable de mémoriser et de diffuser des informations lui
permettant de s’autonomiser dans son environnement, de se produire et de se
reproduire.
Il fallait dès lors concevoir une modélisation permettant d’appréhender cette
« organisaction », selon le concept défini par E. Morin (MORIN, 1977), à la fois
auto-organisation,
s’autonomisant,
éco-organisation,
fonctionnant
dans
un
environnement, et ré-organisation, se transformant, et donc de représenter les
processus par lesquels le système assure à la fois sa stabilité et son évolution,
malgré et grâce aux perturbations de son environnement.
J’ai donc choisi d’orienter la réflexion, le questionnement à partir de deux entrées,
de deux angles de vue différents de ce phénomène : celui d’une part de la
conservation de la forme, par morphostases, et celui d’autre part de la
transformation, de l’évolution, par morphogenèses.
La capacité d’autonomie du système m’avait amenée à concevoir l’organisation
sous son aspect informationnel. J’ai donc envisagé les processus adaptatifs,
morphostatiques, comme des processus internes d’information et de mémorisation
permettant au réseau de maintenir son identité, sa forme, par des réactions
306
« défensives » face aux aléas, par lesquelles il est susceptible de compenser la
dégradation et la disparition de ses composants. Ces processus adaptatifs
témoignent de la capacité d’un réseau à exister dans des milieux différents, à
engendrer des variétés selon les différentes contraintes environnementales
rencontrées. Tout en maintenant son identité constante, et pour maintenir cette
identité, l’organisation réticulaire va s’adapter aux conditions changeantes de son
environnement. Ces adaptations peuvent correspondre à un type de réseau, mais
aussi à des variations locales d’un même réseau suivant les différentes
perturbations rencontrées dans son domaine d’extension. Elles correspondent à un
état particulier du réseau à un moment donné de son histoire.
La pérennité de ce système repose non seulement sur sa capacité d’adaptation par
morphostases face aux perturbations, mais aussi sur sa capacité d’utiliser ces
perturbations de l’environnement comme source de régénération et de reproduction,
par des désorganisations-réorganisations successives.
Le point de vue morphogénétique a permis de rendre compte de ces processus
d’évolution du réseau, de la dynamique de formation et de transformation, de
création et de reproduction.
L’évolution du réseau a été envisagée comme un processus informationnel, lui
permettant de générer des éléments nécessaires à sa régénération par
reproduction et du même – un phénomène de redondance – et du différent – un
phénomène de diversification. La démarche a permis de montrer les rapports entre
la mémoire, qui conserve la trace des événements passés, et les changements qui
vont nourrir cette mémoire et constituer le moteur de l’évolution par apport de
diversité.
On a pu mettre en évidence le rôle de l’environnement dont le système est à la fois
dépendant, puisqu’il se nourrit des perturbations et de la diversité qu’elles
307
apportent, et indépendant puisque création autonome, et ayant un comportement
autonome, capable de s’auto-maintenir et de s’auto-reproduire dans le temps.
Les éléments viaires paraissent jouer un rôle fondamental dans le processus de
mise en réseau des formes d’une part en raison de leur capacité à perdurer par de
multiples possibilités de réinvestissement, et d’autre part en raison de leur
morphologie spécifique qui semble en faire un facteur de transmission de
l’information privilégié.
Grâce à cette démarche, les mécanismes qui sous-tendent l’évolution des formes
en réseau ont été explicités selon un modèle non linéaire qui met en évidence des
dynamiques conjointes de morphostases et de morphogénèses, de différenciation
et de coordination, de mémorisation et de transmission, de reproduction du même
et du différent, d’autonomie et de dépendance, des dynamiques qui s’établissent
entre les différents niveaux, microscopique, local, et macroscopique, global, du
système, et entre des temporalités différentes. Mais le jeu de ces temporalités qui
sont à l’œuvre dans l’évolution des formes pose problème quant au rapport à
l’histoire, à son intégration et son appréciation dans ce processus d’évolution.
La forme en réseau, fondamentale, qui structure le paysage sur le long terme est
une forme auto-organisée agissant sur la longue durée et l’ensemble de l’espace.
De part son fonctionnement et son mode d’évolution, elle échappe à la datation,
puisque constituée d’une myriade d’événements de datations particulières et de
temporalités diverses, et dont l’établissement n’est pas possible et ne présenterait
que peu d’intérêt pour son intelligibilité.
Mais l’intervention « historique », ce sont ces événements qui vont agir, perturber
dans un sens ou dans un autre, l’organisation en réseau, comme par exemple
l’implantation d’une voie, d’un habitat, d’une planification. Ces faits ont une
308
historicité particulière. Or l’analyse de l’historien part précisément de ces
événements. La difficulté réside donc dans l’intégration de cette historicité dans le
processus d’auto-organisation, pour lequel l’évolution est entendue comme
« évolution créatrice » pour reprendre l’expression-titre bien connue d’H. Bergson
(BERGSON, 1941), et sous-entend un indéterminisme, une multiplicité de
possibilités d’évolution, une certaine imprévisibilité et une non linéarité de cette
évolution. La dynamique, l’histoire du réseau, ne peut être, et ne doit pas être,
ordonnée chronologiquement mais peut-être appréciée selon une modalité
systémique particulière qui permet de complexifier la dimension temporelle.
Comme le souligne R. Sue, « toute science construit nécessairement une
représentation de la temporalité propre à son sujet. […] En ce sens, l’étude du
temps produit par chaque science est un excellent « guide » épistémologique des
mutations scientifiques, c’est-à-dire une très bonne manière pour chaque science
de s’interroger sur elle-même. » (SUE 1994).
La recherche sur les formes du paysage témoigne de cette réflexion engagée, par
certains de ses acteurs, qui tente de substituer au temps simple, linéaire, de la
morpho-histoire, un temps complexe de la dynamique des formes.
Les recherches épistémologiques et méthodologiques menées sur la question de
l’évolution des formes du paysage expriment particulièrement ce problème de
l’articulation et de la représentation, de la modélisation donc , de ce temps pluriel. A
l’image de la modélisation proposée ici pour tenter de rendre plus intelligible le
processus de mise en réseau des formes, le passage d’un discours encore très
théorique à une mise en pratique effective est encore bien incertain. Les essais de
H. Galinié (GALINIE 2000) ou encore de G. Chouquer (CHOUQUER 2000) dont je
prends connaissance à la fin de ce travail expriment fortement ce malaise. Le travail
de déconstruction, d’analyse des procédures de recherche habituelles parvient à un
bilan critique d’une morpho-histoire qui n’est plus satisfaisante. Mais les
309
propositions de changements qui émanent de ces discours théoriques n’aboutissent
pas véritablement à la mise en place d’une application pratique d’un modèle de
recherche.
Mais si l’enjeu est bien de réinventer une histoire non linéaire, il faut sans doute
prendre garde à ne pas retomber dans le piège des certitudes en produisant des
modèles explicatifs rigides qui ne constitueraient que d’autres « recettes »
techniques d’interprétation schématiques comme ont pu l’être ceux de la morphohistoire. Et la question posée par certains, archéologues ou historiens, face à ce
type de démarche : « à quoi cela sert-il ? » n’exprime-t-elle pas le désir sous-jacent
de disposer de quelques modèles pratiques, pré-dessinés et prêts à l’emploi, pour
étudier les formes du paysage sans avoir l’impression de s’aventurer sur un terrain
rendu flottant par la remise en question des modèles morpho-historiques. La
modélisation que j’ai proposée est certes encore théorique, mais comme le souligne
E. Morin, la réflexion systémique est une invitation à penser par soi-même, à
construire sa propre connaissance, à essayer de poser d’autres questions.
Un des apports de ce travail est sans doute d’avoir essayé de montrer que les
formes ont leur propre dynamique d’évolutions qui, si elle est dépendante des
perturbations exogènes qui vont la nourrir, repose sur des processus endogènes.
Il peut être considéré comme un « garde-fou », une barrière protectrice évitant de
se précipiter dans une interprétation causaliste simple des formes. Mais il peut
aussi, et c’est son ambition, être une porte ouverte sur un champ de possibles.
L’exploitation de ce modèle peut être envisagée à partir des nouvelles interrogations
qu’il a fait naître quant au mode d’évolution des formes.
Il serait intéressant de réfléchir plus particulièrement aux interactions qui se
produisent entre le réseau et son environnement, entre les éléments du réseau, et
entre les différents niveaux. L’étude de ces interactions pourrait être menée en
essayant de s’interroger sur l’impact des perturbations et leur mode d’action, la
310
façon dont se diffusent les changements, le mode de transmission entre niveaux et
entre éléments.
Si sur notre région la trame réticulaire ne semble pas avoir connu de
transformations majeures, certaines régions comme la Bretagne par exemple
montrent une modification assez radicale de l’organisation entre le XIXe s. et
l’époque actuelle. Il serait intéressant d’essayer de comprendre comment et
pourquoi cette rupture, cette bifurcation majeure s’est produite, pourquoi, à partir
d’un moment, le seuil de redondance par exemple n’a plus été suffisant pour
permettre à la forme en réseau d’intégrer la diversité lui permettant de s’autoreproduire.
Cette recherche n’est donc pas comme nous l’avions déjà souligné un point final, un
système fermé sur lui-même. Il est la base de départ d’un nouveau questionnement
dont
les
tentatives
de
réponses
seront
elles-mêmes
sources
d’autres
questionnements.
Cette recherche en spirale m’a entraînée sur des chemins dont j’ignorais
l’existence, mais autrement plus exaltants que la simple capitalisation du savoir.
« Le retour du commencement n’est pas un cercle vicieux si le voyage, comme le
dit aujourd’hui le mot trip, signifie expérience d’où l’on revient changé. Alors peutêtre aurons nous pu apprendre à apprendre, à apprendre en apprenant. Alors le
cercle aura pu se transformer en une spirale où le retour au commencement est
précisément ce qui s’éloigne du commencement. » (MORIN, 1977, 22).
311
ANNEXES
312
1. Annexe 1
Inscriptions du musée Gallo-romain de Sens.
Ces inscriptions se trouvaient sur des stèles, ou des fragments, qui ont été utilisées en
remploi lors de la construction du mur d’enceinte de la ville.
Elles ont été répertoriées, transcrites, et traduites par G. Julliot dans un catalogue (JULLIOT
1861).
- Inscription n°46 (JULLIOT 1891, 17)
ITVSSIVS . SABI
NVS VETERANV
S.LXXII.TEPONIA
VIOLOITA.
CONIVGI.CARISSIM
Transcription : (Dis) Manibus. Itussius Sabinus veteranus legionis XXII Teponia…….. conjugi
carissimo.
Traduction : Aux Dieux Mânes. Itussius Sabinus, vétéran de la vingt-deuxième légion.
Teponia………. A son très cher époux.
- Inscription n°47 (id., 17-18)
COSSIAE.VRSV
LAE. AGRIPINE
NSI . ANDAN
GIANIVS. TER
TINVS V. . TE
Transcription : Cossiae Ursulae Agripinensi Andangianius Tertinus v(e)te-(ranus).
Traduction : A Cossia Ursula de Cologne, Andangianius Tertinus, vétéran.
313
- Inscription n°48 (id., 18-19)
D
m
AESTIVIVs . CREscens
VETERANVS.LEG ;viii et
CALDINIA.IVSTINiana
CONIVNX SIBI.VIVi et
MEMORIAE AESTIViae
CRESCENTINAE FILiae
p. c.
Transcription : Dis Manibus, Aestivius Crescens, veteranus legionis octavae et Caldinia
Justiniana conjunx sibi et memoriae Aestiviae Crescentinae, filiae, ponendum curaverunt.
Traduction : Aux Dieux Mânes. Aestivius Crescens, vétéran de la huitième légion, et
Caldinia Justiniana, son épouse, ont de leur vivant élevé ce monument pour eux et à la
mémoire d’Aestivia Crescentina, leur fille.
- Inscription n°49 ( id., 19)
d
m
memoriae
secconi se
CVNDINI.Ve
TER.LEG.VIII.SE
VERVS.FIL.PAR.
Transcription : Dis Manibus. Memoriae Secconi Secundini, veterani legionis octavae,
Severus, filius, parenti.
Traduction : Aux Dieux Mânes. A la mémoire de Secconius Secundunius, vétéran de la
huitième légion, Severus, son fils, à son père.
314
2. Annexe 2
Texte concernant le paréage conclu entre Louis VII d’une part et Hugues de Marolles et la
Dame de Bichereau d’autre part.
Ce texte est repris de l’ouvrage de M. Prou Les Coutumes de Lorris et leur propagation du
XIIe et XIIIe s., 1884, qui renvoie au texte publié par A. Luchaire dans Institutions des
premiers Capétiens, t.2, p.327, appendice n°25.
In nomine sancte et individue Trinitatis, Amen. Ego Ludovicus, Dei gracia Francorum
rex. Notum facimus universis presentibus et futuris quod Hugo Niger de Merreolis non
collegit et recepit in territorium de Flagiaco, quod est de feodo Gilonis de Moreto, ad
hospitandum ad consuetudines Lorriaci, et ipse et domina Favia nos ad eundem modum
receperunt in terram de Becherello, quae est de feodo Guiberti de Cannis ; eo quidem pacto
quod nos et Hugo cum heredibus nostris et suis dimidiabimus per omnia redditus et omnes
exitus et justicias de Flagiaco ; et similiter nos et Hugo et Favia et heredes nostri et eorum
dimidiabimus per omnia redditus et exitus omnes et justicias de Becherello ; et neutram
terram licebit nobis aut heredibus nostris a manu nostra aliquo modo alienare, aut cuiquam
in elemosinam aut in feodum dare. Homines Gilonis aut Guiberti nullo tempore contra
voluntatem eorum in villa remanebunt. Mercatum ville singulis diebus lune erit. Nos autem et
ipsi communiter constituemus prepositum ibidem et servientes, qui nobis et ipsis facient
fidelitatem, et nunquam, nisi per nos et ipsos communiter, removebuntur. Quod ut firmum,
etc. Anno Domini M0 C0 LXX0 VII0 . Astantibus in palacio nostro quorum nomina subscripta
sunt et signa. Signum comitis Theobaldi, dapiferi nostri. S. Guidonis, buticularii. S. Reginaldi,
camerarii. S. Radulphi, constabularii. Vacante cancellaria.
1
TRADUCTION :
Au nom de la sainte et indivisible trinité. Moi, Louis, roi des Francs par la grâce de
Dieu. Nous faisons savoir à tous, présents et à venir, ce que Hugues le Noir de Merreolis n’a
pas réuni et reçu pour le territoire de Flagy qui est du fief de Gilon de Moret, pour s’établir
selon les coutumes de Lorris, et lui-même et la dame Favie nous ont reçus de la même
façon sur la terre de Bichereau qui est du fief de Guibert de Lannis ; et par ce traité nous et
1
Traduction d’Hélène Marchand
315
Hugues, et nos héritiers et les siens, nous partagerons en tout les redevances, revenus et
amendes de Flagy ; et, de la même façon, nous, Hugues et Favie, et leurs héritiers et les
nôtres, nous partagerons en tout les redevances, revenus et amendes de Bichereau ; et il ne
sera pas permis à nous ou à nos héritiers de livrer à un autre aucune des deux terres, en
quelque façon que ce soit, ou de la donner en donation ou fief à quiconque. Les hommes
Gilon et Guibert ne resteront à aucun moment en ville contre la volonté de ceux-ci. Le
marché de la ville aura lieu tous les lundis. Nous et eux nous établirons en commun comme
prévôt et sergents ici même ceux qui nous jureront allégeance et jamais nous ne les
renverrons sauf décision prise par nous et eux en commun.(…)
316
3. Annexe 3
Texte repris de l’ouvrage de H.F. Delaborde , Recueil des actes de Philippe-Auguste, I,
Paris, 1916.
Ce texte est référencé sous le n° 183, p. 218-220.
Il concerne la confirmation par Philippe Auguste des coutumes accordées par Louis VI et par
Louis VII aux habitants de La Chapelle-La-Reine et des villages appartenant au même
bailliage.
In nomine sancte et individue Trinitatis. Amen. Philippus, Dei gratia Francorum rex.
Noverint universi presentes pariter et futuri quoniam genitor noster venerande memorie rex
Ludovicus hominibus de Capella et de villis ad bailliviam illam pertinentibus concessit
easdem consuetudines quas pater suus, avus noster, pie recordationis rex Ludovicus, eis
2
concesserat quando fecit herbergiari Capellam et villas ad bailliviam illam appendetes . –
Concessit itaque et constituit ut omnes apud Capellam et in villis ad Capellam pertinentibus
manentes liberi sint et quieti ab omni consuetudine in Gastineto et ab omni ablatione et tallia et
axactione et questa.
– Quicumque in villam venerint, nisi aut murtrum aut furtrum aut homicidium aut
proditionem aut raptum fecerint, res eorum et corpora tuta et salva erunt quamdiu per regem vel
prepositum justicie stare voluerint ; et, si recedere voluerint, per conductum regium et in guerra et in pace,
cum rebus suis, securi ibunt quo eis placuerit. – Quisquis in villa forefecerit, secudum consuetudinem ville, forifacta
sexaginta solidorum ad quinque solidos, et forifacta quinque solidorum ad duodecim
quatuor denarios
denarios et districta ad
reducuntur. – Si prepositus forifacta regis requisierit ab aliquo habitatore, nisi disracionatum
fuerit, per solam manum suam
se purgabit et quittus erit. – Universi qui in villa habitant has semper habebunt
consuetudines, excepto preposito quamdiu preposituram administrabit ; qua exutus in eisdem consuetudinibus erit.
– In exercitum vel expeditionem nunquam ibunt quin eadem nocte revertantur ad domos suas. – Et cum aliquis de
eadem villa vineam, domum seu terram vendiderit, rectas venditiones solummodo reddet ;
sed de vendita
domo servientes sex denarios habebunt pro vino ad Natale Domini. – De consuetudinibus
suis panem, vinum seu denarium unum dabunt et avenam reddent sine concessura recte
mensuratam. – Quicumque in villam venientes per annum et diem ibi in pace manserint, si nec per regem nec
per prepositum justitiam vetuerint, ab omni jugo servitutis deinceps liberi erunt. – Pro submonitione extra villam,
nullus inhabitantium ibit ad placitandum et, quamdiu tenuerit justiciam, corpus ejus non capietur.
– Habebit
autem prepositus potestatem ponendi messores ex arbitrio habitantium et voluntate
2
H.F. Delaborde indique en note : « Nous n’avons ni la charte de Louis VI ni celle de Louis VII, mais
les passages de la présente confirmation imprimés en petits caractères, étant conformes à la
charte concédée par ce dernier roi aux habitants de Sceaux-en-Gâtinais en 1153 (n° 308 du
catalogue de M. Luchaire, Livre noir de Saint-Maur, Archives nationales, LL 46, fol. 152),
proviennent à n’en pas douter de celle qu’il donna à la Chapelle-La-Reine ».
317
solummodo a quibus gagium capietur. Semper portabitur ad domum illius cui factum est
dampnum ut quod justum est ei pro dampno restituatur, et, si, inciderit justitia nostra, nobis
quoque conservetur. – De rebus venalibus in eadem villa nullum bannum habet regia munificentia. – Majora
maleficia ut murtrum, furtrum, prodicio et raptus mulierum, si quando emerserint, ex
consuetudine Gastinet tractabuntur. – Quociens mutabitur prepositus, has consuetudines tenendas jurabit,
nec antea ad ejus submonitionem necese erit homines venire.
– Cum itaque predictas consuetudines a
predecessoribus nostris, videlicet ab avo et patre nostro, constet nobis concessas fuisse
memoratis hominibus, nos quoque, patrum nostrorum vestigiis inherentes, eas benigne
concessimus, et, ut perpetuam, sortiantur stabilitatem, presentem paginam sigilli nostri
auctoritate ac regii nominis caractere inferius annotato precepimus confirmari. Actum Vitriaci
in Legio, anno incarnati Verbi millesimo C° LXXX° s exto, regni vero nostri anno septimo,
astantibus in palatio nostro quorum nomina supposita sunt et signa. Signum comitis
Theobaldi, dapiferi nostri. Signum Guidonis busticularii. Signum Mathei Camerarii. Signum
Radulphi [constabularii]. Data vacante cancellaria.
3
Traduction :
Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Amen. Philippe, roi des Francs par la grâce
de Dieu. Tous les hommes présents et à venir sauront que, puisque notre père, de révérée
mémoire, le roi Louis, a accordé aux hommes de La Chapelle et des villages composant ce
baillage les mêmes coutumes que son père, notre grand-père, le roi Louis, de pieuse
mémoire, leur avait accordées quand il fit peupler La Chapelle et les villages dépendant de
son baillage. C’est pourquoi il accorda et décida que tous ceux qui demeuraient à La
Chapelle et dans les villages environnants seraient libres et quittes de toute coutume en
Gâtine et de toute taille, taxe et aumône (impôt religieux ?). Quiconque viendra en ville, s’il
n’accomplit ni meurtre, ni vol, ni homicide, ni attentat, ni enlèvement, ses biens et son corps
seront saufs et en sécurité tant qu’il voudra se tenir dans la justice du roi ou du prévôt ; et s’il
veut s’en aller, il ira en sécurité par l’escorte royale, avec ses biens, où il lui plaira, en paix
comme en guerre.
Quiconque se rendra coupable en ville d’un délit, sera contraint, selon la coutume de la ville,
à des amendes de soixante sous à cinq sous, des amendes de cinq sous à douze deniers et
la prison à quatre deniers.
3
Traduction Hélène Marchand.
318
Si le prévôt royal a réclamé une amende à un habitant et s’il n’a pas prouvé sa culpabilité, il
s’acquittera par sa seule main et sera quitte. Tous ceux qui habitent en ville auront toujours
les mêmes coutumes, excepté le prévôt aussi longtemps qu’il administrera la prévôté ; à sa
sortie de charge, il sera dans les mêmes coutumes. A l’armée ou en expédition, ils n’iront
jamais sans être de retour la même nuit dans leurs maisons. Et quand quelqu’un de cette
même ville vendra une vigne, une maison ou une terre, il donnera en retour seulement les
justes droits de vente ; mais les serviteurs de la maison vendue auront six deniers pour le
vin à Noël. Au sujet de leurs coutumes, ils donneront du pain, du vin ou un denier, et
donneront en retour de l’avoine mesurée juste sans concession. Tous ceux qui viendront en
ville pour un an et un jour demeureront ici en paix s’ils n’attentent pas à la justice du roi ou
du prévôt, ils seront libres à leur tour de tout joug de servitude. Pour une citation à
comparaître en dehors de la ville, aucun des habitants n’ira pour plaider et, aussi longtemps
que se tiendra la justice, son corps ne sera pas pris. Mais le prévôt aura le pouvoir de payer
des redevances de blé selon l’avis et la volonté des habitants à ceux à qui un gage sera
pris. Il sera toujours porté à la maison de celui à qui le tort a été causé afin que lui soit
restitué en échange du tort ce qui est juste, et si cela relève de notre justice cela sera
observé par nous aussi. Au sujet des choses vendues dans la même ville, la propriété royale
n’a aucune redevance. Les grands méfaits comme le meurtre, le vol, l’attaque et
l’enlèvement des femmes, s’ils se produisent parfois, ils seront traités selon la coutume du
Gâtinais. Chaque fois que le prévôt sera changé, il jurera de maintenir ces coutumes, et il ne
sera pas nécessaire auparavant que des hommes viennent à sa citation à comparaître.
C’est pourquoi ces coutumes, édictées auparavant par nos prédécesseurs, notre père et
notre grand-père bien-sûr, comme il est un fait établi qu’elles furent accordées par les
hommes susdits, nous aussi, nous attachant à suivre les traces de nos pères, nous les leur
accordons avec bienveillance et pour qu’elles soient fixées en une perpétuelle stabilité, nous
recommandons que la présente page soit confirmée par le sceau de notre autorité et le nom
du roi noté en lettres en dessous, (etc…)
319
4. Annexe 4
Liste des abréviations
A.D.S.M. = Archives Départementales de Seine-et-Marne.
B.G.A.S.M. = Bulletin du Groupe Archéologique de Seine-et-Marne.
P.I. = Plan d’Intendance.
R.A.S.M. = Revue Archéologique de Seine-et-Marne.
320
SOURCES
Documentation photographique
Neuville-aux-Bois – Sens 1948
Mission réalisée le 08/09/1948
Clichés n° 237 à 244, 381 à 388, 438 à 444
Mission la plus ancienne mais inutilisable : clichés très gris, nombreuses rayures, et
format trop petit.
Fontainebleau – Sergines 1949
Mission réalisée le 16/06/1949, échelle 1/25000ème
Clichés n° 118 à 124, 150 à 164, 236 à 240
Château-Landon – Sens 1953
Mission réalisée le 24/04/1953
Clichés n° 103 à 113, 143 à 148.
France 1961 Pithiviers – Chéroy
Mission réalisée le 24/05/1961
Clichés n° 90 à 112, 192 à 201, 286 à 297.
France 1967 Chéroy
Mission réalisée le 30/04/1967, échelle 1/26000ème
Clichés n° 1, 3, 18, 20.
France 1968 Chéroy
Mission réalisée le 20/04/1968, échelle 1/25000ème
Clichés n° 17 à 23, 35 à 42, 45 à 51, 63 à 70.
321
France 1972 Château-Landon – Chéroy
/300
Mission réalisée le 26/04/1972, échelle 1/30000ème
Clichés n° 17 à 30, 63 à 77.
FR 1972
2262 /150 P+IR
Mission réalisée été 1972
Clichés n° 2591 à 2592, 2636 à 2645, 2658 à 2667, 3 423 à 3462, 3794 à 3805.
1978 Chéroy – Bouilly
/300
Mission réalisée le 08/04/1978, échelle 1/30000ème
Clichés n° 73 à 81, 89 à 96, 156 à 165.
1978 FR
3022 /200
Mission réalisée le 21/08/1978
Clichés n° 26 à 30, 82 à 91.
89 IFN 83
07 / 170 P+IR
mission réalisée le 15/07/1983
clichés n° 190 à 199, 211 à 221, 268 à 279, 289 à 3 00, 944 à 956, 1014 à 1025.
1985 Chéroy F85
/300 2518
Mission réalisée le 28/12/1985, échelle 1/30000ème
Clichés n° 1 à 94.
F85 -300 -2217 / 2717 - Malesherbes Estissac
Mission réalisée le 28/08/1985, échelle 1/30000ème
Clichés n° 30 à 50, 156 à 174, 234 à 250.
1987 Fontainebleau F 87 200 / 4053 P.C
mission réalisée le 20/05/1987
clichés n° 1680 à 1690, 1750 à 1800, 2000 à 2320.
1990 Chéroy IFN 45 / 200
Mission réalisée en septembre 1990
322
Clichés n° 601 à 605, 703 à 707, 801 à 808, 903 à 9 10.
1991 Fontainebleau FP 2417 - 2517 / 300
Mission réalisée le 02/06/1991, échelle 1/30000ème
Clichés n° 1 à 44.
1993 Chéroy FD 89 / 300 P.C
Mission réalisée le
Clichés n° 558 à 652, 914 à 932.
1993 Fontainebleau FD 77 / 300
Mission réalisée le
Clichés n° 850 à 1000.
1994 Fontainebleau 1994 FR 5042 / 145 C
Mission réalisée le 06/10/1994, échelle 1/14500ème
Clichés n° 1 à 12.
1994 Fontainebleau 1994 F 2417 / 300
Mission réalisée le 30/03/1994, échelle 1/30000ème
Clichés n° 11 à 90.
Documentation cartographique
cartes au 1/25000ème de l’Institut Géographique National
n° 2417 ouest 1991, 2417 est 1988, 2517 ouest 1989, édition de 1941
et pour l’étude des réseaux :
2417 est, 2517 Ouest, 2517 est, 2418 Est, 2518 ouest, 2518 est, 2618 ouest.
Plans d’Intendance :
323
Montcourt Fromonville de 17861, Episy2, Dormelles3, Grez de 17434, Flagy 17782,
La Genevraye 17821, Montigny sur Loing 17783, Villemer 17823, Villecerf 17823, ,
Darvault 17891, Bourron Marlotte 17781, Nonville 17781, Villemaréchal 17802, VilleSaint-Jacques 17833, Thoury Ferottes 17822, Nemours 17791, Écuelles 17833,
Treuzy.
Cartes géologiques édition du B.R.G.M., échelle 1/50000ème
Fontainebleau, Montereau Faut Yonne
Cadastre napoléonien
Grez, Fromonville 1825, Nonville 1825, La Genevraye 1825, Voulx 1832, Flagy
1832
Carte de Cassini
Carte au 1/80000ème type1880 révisée en 1902 : Fontainebleau.
1
ADSM C40.
ADSM C39.
3
ADSM C37.
4
ADSM C53.
2
324
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344
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ..................................................................................................................... 4
Chapitre I
METHODOLOGIE ET EPISTEMOLOGIE.......................................................... 8
1.
Rappels historiographiques........................................................................................... 8
2.
Méthodologie............................................................................................................... 13
2.1.
La recherche des cadastres antiques.................................................................. 13
2.1.1.
Les années 1980-1990. ................................................................................ 13
2.1.2.
Les critiques.................................................................................................. 15
2.1.3.
Les données nouvelles ................................................................................. 17
2.2.
3.
L’élargissement des recherches .......................................................................... 20
Questions épistémologiques ....................................................................................... 29
3.1.
Du paradigme de simplicité au paradigme de complexité ................................... 30
3.2.
La notion de système........................................................................................... 35
3.3.
La notion de modèle ............................................................................................ 39
4.
Le paysage comme système ...................................................................................... 47
5.
Étude du paysage par une démarche systémique...................................................... 55
5.1.
Postulats .............................................................................................................. 55
5.2.
Les différentes étapes de la démarche................................................................ 57
5.2.1.
Première étape : déterminer le but ............................................................... 57
5.2.2.
Deuxième étape : établir un modèle............................................................. 58
5.2.3.
Les éléments du système............................................................................. 62
5.2.3.1. Les formes ................................................................................................ 62
5.2.3.2. Les formes viaires ..................................................................................... 67
5.2.3.3. Les systèmes parcellaires......................................................................... 75
5.2.3.4. L’habitat..................................................................................................... 84
5.2.4.
Chapitre II
1.
Les formes en interaction ............................................................................. 85
LES FORMES DU PAYSAGE......................................................................... 94
Présentation de la région ............................................................................................ 96
1.1.
Présentation géographique.................................................................................. 96
1.2.
Cadre historique général...................................................................................... 99
2.
Constitution du document de travail.......................................................................... 105
3.
Le réseau viaire......................................................................................................... 107
3.1.
Les réseaux locaux ............................................................................................ 107
3.2.
Le réseau régional ............................................................................................. 109
3.2.1.
La liaison Nemours – Montereau-Faut-Yonne (fig. 5, n°1,2,3)................... 110
3.2.2.
La liaison Nemours  Moret-sur-Loing (fig. 5, n°4, 5). ................. ............. 113
3.2.3.
La liaison Grez-sur-Loing  Le Bois de Darvault (fig. 5, n°6) ................. .. 114
345
3.2.4.
La liaison La Genevraye  Nanteau-sur-Lunain (fig. 5, n°7) .................. .. 114
3.2.5.
La liaison Moret-sur-Loing  Lorrez-Le-Bocage (fig. 5, n°8,9)................. 115
3.2.6.
La liaison Moret-sur-Loing  Chéroy (fig. 5, n°10) ............................. ....... 116
3.2.7.
La liaison Moret-sur-Loing  Nanteau-sur-Lunain (fig.5, n°12)................. 1 18
3.2.8.
La liaison Moret-sur-Loing  Grez-sur-Loing (fig. 5, n°13)..................... ... 119
3.2.9.
La liaison Grez — Samois (fig. 5, n°14). ............................ ........................ 120
3.2.10. La liaison Montereau-Faut-Yonne  Lorrez-Le-Bocage (fig.5, n°15)....... 121
3.2.11. La liaison Ferottes  Nemours (fig. 5, n°16) ............................ ................. 122
3.2.12. La liaison Nemours  Voulx (fig. 5, n°17) .............................. ................... 123
3.2.13. La liaison Montereau-Faut-Yonne  Pont-Thierry (fig.5, n°18) ................. 123
3.2.14. La liaison Montereau-Faut-Yonne  Nanteau-sur-Lunain......................... 124
3.2.15. La liaison Voulx  Lorrez-Le-Bocage (fig. 5, n°19) ................... ................ 124
3.2.16. La liaison Paley ― Dormelles (fig. 5, n°20) .......................... ..................... 125
3.2.17. La liaison de Bichereau à Paley (fig. 5, n°2 1 et 22) ................................... 125
3.2.18. La liaison Épisy  Lorrez-Le-Bocage (fig. 5, n°23) ................... ................ 126
3.2.19. La liaison Moret-sur-Loing  Montereau-Faut-Yonne (fig.5, n°24) ........... 127
3.3.
3.3.1.
Les réseaux locaux (fig. 9) ......................................................................... 130
3.3.2.
Les réseaux régionaux (fig. 10) .................................................................. 130
3.3.3.
Les réseaux supra-régionaux (fig. 11)........................................................ 132
3.4.
Lecture dynamique ............................................................................................ 136
3.4.1.
L’itinéraire Montereau-Faut-Yonne  Nemours (fig. 12) ........................... 136
3.4.2.
Le faisceau Moret-sur-Loing – Sens (fig. 13) ............................................. 143
3.4.3.
Les faisceaux Montereau-Paley et Montereau - Lorrez (fig.14) ................. 145
3.5.
4.
Le tri numérique ................................................................................................. 128
Conclusion ......................................................................................................... 147
Les formes parcellaires et d’habitat .......................................................................... 150
4.1.
Les grandes formes ........................................................................................... 150
4.1.1.
Le réseau rouge (fig. 46) ........................................................................... 150
4.1.1.1. Morphologie générale ............................................................................. 150
4.1.1.2. Interprétation ........................................................................................... 151
4.1.2.
Le réseau vert (fig. 51)................................................................................ 161
4.1.3.
Le réseau jaune (fig. 52)............................................................................. 163
4.1.3.1. La centuriation dite de Sens A (fig.53).................................................... 165
4.2.
Les unités morphologiques ................................................................................ 179
4.2.1.
Les formes quadrillées................................................................................ 182
4.2.1.1. Flagy ....................................................................................................... 182
4.2.1.1.1. La villeneuve..................................................................................... 184
4.2.1.1.2. Le territoire........................................................................................ 190
346
4.2.1.2. Grez-sur-Loing ........................................................................................ 198
4.2.1.2.1. Le village........................................................................................... 199
4.2.1.2.2. L’organisation du territoire rural........................................................ 207
4.2.2.
Les formes circulaires................................................................................. 218
4.2.2.1. Villemer ................................................................................................... 218
4.2.2.1.1. Le village........................................................................................... 219
4.2.2.1.2. L’organisation rurale ......................................................................... 220
4.2.2.2. Episy ....................................................................................................... 233
4.2.2.1.1. Le village........................................................................................... 234
4.2.2.1.2. L’organisation rurale ......................................................................... 236
5.
Conclusion................................................................................................................. 245
Chapitre III
LE RÉSEAU COMME SYSTÈME AUTO-ORGANISÉ................................... 252
1.
Les fondements......................................................................................................... 252
2.
Morphostases............................................................................................................ 258
3.
2.1.
La régulation ...................................................................................................... 259
2.2.
L’adaptation ....................................................................................................... 262
Morphogenèse .......................................................................................................... 265
3.1.
Modèle hypothétique d’une genèse................................................................... 270
3.2.
Réorganisation permanente............................................................................... 277
3.2.1.
Redondance ............................................................................................... 280
3.2.2.
Variété......................................................................................................... 282
3.2.2.1. Niveau microscopique............................................................................. 283
3.2.2.2. Niveau macroscopique ........................................................................... 288
4.
3.2.3.
Mémorisation et transmission. Le réseau viaire : un acteur essentiel ?... 292
3.2.4.
La conservation des éléments viaires ........................................................ 293
Conclusion................................................................................................................. 298
Chapitre IV
CONCLUSION ............................................................................................... 302
ANNEXES ............................................................................................................................ 311
1.
Annexe 1 ................................................................................................................... 312
2.
Annexe 2 ................................................................................................................... 314
3.
Annexe 3 ................................................................................................................... 316
4.
Annexe 4 ................................................................................................................... 319
SOURCES ........................................................................................................................... 320
Documentation photographique ....................................................................................... 320
Documentation cartographique ........................................................................................ 322
BIBLIOGRAPHIE. ................................................................................................................ 324
TABLE DES MATIERES...................................................................................................... 344
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