L`Adversaire - Théâtre des Quartiers d`Ivry

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29 mars > 8 AVRIL 2016
L’Adversaire
EMMANUEL CARRèRE - Frédéric CHERBœUF
COMPAGNIE LA PART DE L’OMBRE
Dossier pédagogique
10 > 20 mars
Berliner Mauer :
vestiges
29 mars > 8 AVRIL
JULIE BERTIN
JADE HERBULOT
L’Adversaire
Le Birgit ensemble
EMMANUEL CARRèRE
Frédéric CHERBœUF
COMPAGNIE LA PART DE L’OMBRE
itinéraire bis
12 > 17 AVRIL
DIPTYQUE
Louise, elle est folle
et
Déplace le ciel
leslie kaplan
Frédérique loliée - elise vigier
LE THéâTRE DES LUCIOLES
SERVICE DES RELATIONS AVEC LES PUBLICS
Chloé Gillet - Jean-Baptiste Moreno - Marie Picgirard
01 43 90 49 45 / [email protected]
www.theatre-quartiers-ivry.com
STUDIO CASANOVA
69 av Danielle Casanova
M° Mairie d’Ivry 01 43 90 11 11
L’Adversaire
d’après le roman d’Emmanuel Carrère
P.O.L Editeur, 2000
mise en scène
Frédéric Cherbœuf
adaptation
Vincent Berger et Frédéric Cherbœuf
scénographie et lumières
Jean-Claude Caillard
costumes
Nathalie Saulnier
administration de production
Ana Marillier
avec
Vincent Berger
Camille Blouet
Jean De Pange
Gretel Delattre
Alexandrine Serre
Maryse Ravera
et en alternance
Frédéric Cherbœuf / Volodia Serre
Coproduction Compagnie La Part de l’Ombre, Le Salmanazar –
Scène de Création et de Diffusion d’Epernay et le Théâtre des
Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne.
Avec le soutien du CENTQUATRE – Paris, de l’ADAMI et
de la SPEDIDAM. En coréalisation avec le Théâtre Paris-Villette
– Scène Contemporaine Jeunesse, établissement de la Ville
de Paris.
Quand il faisait son entrée sur la scène
domestique de sa vie, chacun pensait qu’il
venait d’une autre scène où il tenait un autre
rôle, celui de l’important qui court le monde…
et qu’il le reprendrait en sortant.
Mais il n’y avait pas d’autre scène, pas d’autre
public devant qui jouer l’autre rôle.
Dehors, il se retrouvait nu. Il retournait
à l’absence, au vide, au blanc, qui n’étaient
pas un accident de parcours mais l’unique
expérience de sa vie. Emmanuel Carrère - L’Adversaire
La Vérité existe-t-elle ?
Sujet du Bac de philo de 1971.
Jean-Claude Romand obtient 16/20.
Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand tue sa femme, ses enfants,
ses parents, puis tente, mais en vain, de se tuer lui-même.
L’enquête révèle très vite qu’il n’était pas médecin comme il le
prétendait et, chose plus difficile encore à croire, qu’il n’était
rien d’autre. Il mentait depuis dix-huit ans, et ce mensonge ne
recouvrait rien.
Près d’être découvert, il a préféré supprimer ceux dont il ne
pouvait supporter le regard.
Il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Fasciné par cette histoire, Emmanuel Carrère décide d’en faire le
sujet d’un récit qui mettra plus de cinq ans à aboutir : ce sera
L’Adversaire, une enquête dans laquelle la dérangeante fascination
de l’auteur pour son sujet se mêle à son dégoût d’écrire sur le
‘‘monstre’’. La compassion pour le bourreau devient une forme de
complicité et Carrère nous entraîne avec lui dans cette plongée
en Enfer.
Romand et Roman
Certains faits divers dépassent de loin ce que la fiction tente
d’inventer depuis que l’homme s’est mis en tête de raconter des
histoires.
Comment un homme a-t-il pu mentir à son entourage pendant tant
d’années sans que celui-ci ne soit jamais alerté par le moindre
faux pas de l’imposteur ?
Pourquoi n’a-t-il pas trouvé d’autre issue que la mort des siens ?
Aucun romancier n’aurait pu inventer une telle histoire sans être
taxé d’invraisemblance. Et pourtant cela a eu lieu. Cette histoire,
inédite et inouïe dans la grande Histoire de l’Humanité, a eu lieu.
Roman et théâtre
Pourquoi le théâtre, qui est le lieu de la fiction par excellence
(même s’il se revêt parfois de simulacres de réalité), peut-il
s’emparer d’une histoire si terrible, née non pas d’une imagination
débridée, mais bien de la violence d’un monde réel ?
Parce que L’Adversaire est un théâtre justement. Et Jean-Claude
Romand un acteur : un "héros" infiniment moderne, infiniment
coupable et pourtant "suspecté" d’innocence. Un Woyzeck
d’aujourd’hui.
Son costume ?
Le mensonge, ou le "mentir vrai", qui est l’outil de l’acteur.
Sa force ?
L’art de la mise en scène, le rythme, la distribution des rôles.
Son décor ?
La bourgeoisie de province, les aires d’autoroutes, les forêts du
Jura, la Cour d’Assises.
Son langage ?
L’improvisation permanente qui donne le vertige.
Sa faiblesse ?
La peur et sa manifestation physique : la sueur, qui colle, qui pue
et laisse sur chaque vêtement la trace du mensonge.
Explorer la frontière entre vérité et mensonge, entre document
et fiction : telle sera la ligne de force de notre projet. Le théâtre
peut-il se hisser à la hauteur du réel ? Doit-il s’en nourrir ? Ou au
contraire, doit-il s’en détacher et affirmer son autonomie ?
Vincent Berger dans L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherbœuf © DR
Un polar
Oui, un polar : haletant, étouffant, fascinant, rythmé, tendu.
Même si nous savons d’emblée qui est coupable et qui est victime.
Musique : cinématographique, hitchcockienne et religieuse à la
fois.
Espace : tour à tour domestique (l’appartement de Carrère),
mental ou réaliste (le procès). Tout doit concourir à cette plongée
au cœur du mystère de l’imposture, du mensonge, de l’irrationnel
et de l’"indécidable". Un espace léger et fluide, essentiellement
composé par la lumière et le paysage sonore, qui permettra de ne
jamais lâcher le spectateur. Pas de "quatrième mur" donc, car le
public est ici dans l’inconfortable position d’un jury populaire. A
lui de choisir, ou de ne pas choisir son camp. Car ce qui m’importe
avant tout, c‘est d’inclure le public dans l’élaboration du récit.
Une adaptation
Dans la lignée de mes spectacles précédents (Les Amnésiques
n’ont rien vécu d’inoubliable, d’après le texte d’Hervé Le Tellier
et Marcel Duchamp), nous tentons de mettre en mouvement une
matière qui n’est a priori pas faite pour le théâtre. Une adaptation
du texte de Carrère a donc été nécessaire. Adaptation fidèle et
libre à la fois, réalisée conjointement avec Vincent Berger (qui
jouera le rôle d’Emmanuel Carrère). Cette double appropriation du
texte est déjà de la mise en scène puisqu’elle impose des choix.
Dont un principal : le spectacle n’est pas la reconstitution du
fait divers mais bien celle de l’élaboration du livre et de cette
recherche obstinée et douloureuse du "point de vue". Elle est par
conséquent aussi l’histoire de la naissance de l’autofiction. Dans
notre adaptation, Jean-Claude Romand disparaît pour laisser la
place à l’auteur-narrateur qui est omniscient, "passe-murailles",
tour à tour observateur et acteur de l’enquête.
Notre adaptation s’appuie sur trois différentes formes d’écriture :
ÉCRITURE DOCUMENTAIRE (témoignages, scènes d’interrogatoires,
reconstitutions), RÉCIT (Emmanuel Carrère dans son rôle de maître
de cérémonie et de fil conducteur) et SÉQUENCES DIALOGUÉES.
Parce que Carrère est aussi un homme d’images, le texte s’écrit en
chapitres et séquences. Montage, découpage.
Le cinéma n’est jamais loin.
Frédéric Cherbœuf
Extrait du spectacle
Première scène de l’adaptation de Vincent Berger et
Frédéric Cherbœuf
Prologue. 24 rue des petits hôtels. 28 mars 2014.
FC entre chez EC. Un appartement bourgeois du 9ème
arrondissement de Paris plein de cartons éparpillés. Il l’entraine
vers la cuisine.
L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherboeuf © DR
Les personnages
EC / Emmanuel Carrère. La quarantaine au moment du procès
Romand. Narrateur, témoin, enquêteur : l’incarnation du doute.
Personnage omniscient dans le ballet des ombres, il passe du
statut d’observateur à celui d’acteur de sa propre enquête.
FC. Le metteur en scène du spectacle. Son enthousiasme n’a d’égal
que sa maladresse devant l’auteur à qui il vient soumettre son
projet.
Luc. Meilleur ami du meurtrier.
Le confident à qui Romand n’a jamais rien confié.
Cécile. La femme de Luc.
Le Président de la Cour d’Assises de l’Ain. Une fonction bien sûr,
mais qui ne l’empêche pas d’être traversé par le doute, l’émotion
ou l’incompréhension.
Jean-Claude Romand. Le meurtrier. L’imposteur.
Diable ou damné selon les points de vue.
Marie-France. Pieuse. Mère de famille. Visiteuse de prison.
Romand est son "rayon de soleil".
Bernard. Visiteur de prison. Il décrit Romand comme un véritable
ami. Très croyant, il fait partie avec Marie-France d’un groupe de
prière dont Romand est aussi devenu un membre actif.
Corinne. La "rescapée". Ancienne maîtresse de Jean-Claude
Romand. Séduite et escroquée. Victime d’une tentative d’assassinat
par ce dernier.
Mlle Milo. L’institutrice d’Antoine, le fils de Romand.
Le procès révèlera une "liaison" avec le détenu.
Martine Servandoni. Journaliste.
Vive, elle accuse Carrère de compassion déplacée.
Camille. Elle pourrait être la femme de l’auteur, elle est en tous
cas celle qui l’accompagne.
Un journaliste.
FC : J’ai apporté des croissants.
EC : C’est gentil. Je viens de faire un café, vous en voulez ?
FC : Volontiers.
EC : Excusez-moi c’est le bazar. Les déménageurs arrivent dans
une heure. Je n’ai pas beaucoup de temps.
FC : Oui vous m’aviez prévenu. Vous partez loin ?
EC : Juste à côté. (un temps) Alors vous faites du théâtre ?
FC : Oui.
EC : Vous aussi vous vous intéressez à cette histoire ?
FC : Oui.
EC : Qu’est ce que vous attendez de moi ?
FC : Euh… votre bénédiction peut-être.
EC : Rien de plus ?
FC : Rien de plus.
EC : Vous l’avez.
FC : Mais… vous ne voulez pas que je vous en dise un peu plus ?
EC : Si bien sûr, allez-y. Je dois d’abord vous dire que je vais très
peu au théâtre ; en fait je ne m’y intéresse pas vraiment.
FC : Vous vous y ennuyez ?
EC : On peut dire ça.
FC : Je comprends, ça m’arrive aussi. Vous avez participé aux
adaptations cinématographiques du livre ?
EC : J’ai participé au scénario d’une des deux oui. Vous en pensez
quoi ?
FC : Je n’ai pas vu L’Emploi du Temps, mais le film de Garcia est
bien. Même si Auteuil est un peu trop connu pour incarner la
normalité de Romand qui est, à mon sens, essentielle.
EC : Peut-être oui. Café, donc ?
FC : Oui oui.
FC : Et puis vous disparaissez totalement derrière le film… je
veux dire, pour moi, ce ne sont pas des adaptations de votre
"Adversaire" , mais des films sur le fait divers. Votre récit vaut
autant pour son enquête sur le drame de Prévessin que pour la
quête du "point de vue juste", dans laquelle je vois une sorte de…
recherche subjective de l’objectivité… et c’est ce qui m’intéresse
au fond, plus que le drame en lui-même, c’est la façon dont vous
plongez, vous, et comment vous vous retrouvez sur le banc des
accusés… et par voie de conséquence nous aussi… avec vous…
enfin je vous ai écrit tout ça déjà…
EC : Ils sont très bons.
FC : Je les ai achetés juste en bas.
(Silence un peu gêné)
FC : Je vous demandais dans ma lettre si vous ne trouviez pas
indécent ou déplacé de monter ce texte en 2015, année probable
de sa libération.
EC : Non, je ne crois pas que ce soit indécent. Je ne sais pas.
FC : Vous êtes toujours en contact avec lui ?
EC : Non. Pas depuis quelques années.
FC : On raconte qu’il ne veut pas sortir. On dit aussi qu’il se fait
appeler "docteur" en prison… c’est troublant non ? Vous pensez
qu’il cherchera à vous joindre une fois sorti ?
EC : Je ne sais pas. Mais s‘il le fait, et qu’il a besoin de quelque
chose, je ne me défilerai pas.
FC : Vous croyez à sa conversion ?
EC : Ah… ?!
FC : Oui, pardon. C’est de l’histoire ancienne pour vous…
EC : Non, ça fait partie de ma vie. Mais je viens de finir un livre
qui m’a occupé pas mal de temps. C’est vrai que je suis un peu
ailleurs.
FC : Je comprends. En tout cas, votre texte est gravé dans mon
petit panthéon personnel depuis que je l’ai lu. Il met pour moi une
chose en évidence, c’est que Jean-Claude Romand est un acteur.
C’est une formulation un peu rapide, peut-être, mais je veux dire
par là que votre texte est un théâtre, il a tous les ingrédients du
théâtre : il y a un le "héros", infiniment coupable, et pourtant
suspecté d’innocence, une sorte de Woyzeck d’aujourd’hui ; il y
a l’art de mentir ; il y a l’art de la mise en scène (le rythme,
la distribution des rôles) ; il y a le décor, cette bourgeoisie
de province, les aires d’autoroutes, la cour d’assises ; il y a
l’improvisation permanente de ce type, et donc sa peur et sa sueur
surtout… Enfin je vous raconte tout ça parce que votre opinion
au delà de votre accord est pour moi primordiale.
L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherboeuf ©DR
Dire qu’il aura fallu tous ces mensonges, ces hasards et ce terrible drame pour qu’il puisse aujourd’hui faire tout le bien qu’il fait autour de lui...
C’est une chose que j’ai toujours crue, et que je vois
à l’œuvre dans la vie de Jean-Claude : tout tourne
bien et finit par trouver son sens pour celui qui
aime Dieu.
Bernard
D’un côté s’ouvrait le chemin normal, que suivaient
ses amis et pour lequel il avait, tout le monde le
confirme, des aptitudes légèrement supérieures à la
moyenne. Sur ce chemin il vient de trébucher mais
il est encore temps de se rattraper, de rattraper les
autres : personne ne l’a vu. De l’autre, ce chemin
tortueux du mensonge dont on ne peut même pas
dire qu’il semble à son début semé de roses tandis
que l’autre serait encombré de ronces et rocailleux
comme le veulent les allégories. Il n’y a pas besoin
d’y engager le pied, d’aller jusqu’à un tournant
pour voir que c’est un cul-de-sac.
Emmanuel Carrère - L’Adversaire
EC : Vous avez des enfants ?
FC : Oui, j’ai une fille de 8 ans…Vous avez conservé les éléments
du dossier ?
EC : Ils sont là oui. Des cartons dans un placard. Un placard
que ma femme appelle d’ailleurs la "chambre de Jean-Claude
Romand ". S’il veut les récupérer, ils sont à sa disposition. Mais je
ne crois pas qu’il le fera.
FC : Vous pensez qu’il pourra vivre une vie normale, après ?
EC : Je ne sais pas.
FC : Bien. Vous ne voyez donc rien qui puisse s’opposer à mon
projet ?
EC : Rien non. Je ne sais pas quoi vous dire de plus.
FC : Je ne veux rien de plus. Votre indifférence même me suffit.
EC : Vous l’avez.
(EC se lève)
FC : Bon. Et bien bon déménagement alors.
EC : Vous partez déjà ?
FC : Oui…
EC : Ah, bon. (EC lui tend un livre.) C’est un exemplaire de mon
prochain livre.
FC : Le Royaume… Merci.
EC : Tenez moi au courant quand même. Et merci pour les
croissants. (FC sort)
FEMME D’EC : Raconte
EC : Le matin du samedi 9 janvier 1993, pendant que Jean-Claude
Romand tuait sa femme et ses enfants, j’assistais avec les miens
à une réunion pédagogique à l’école de Gabriel, notre fils aîné.
Il avait cinq ans, l’âge d’Antoine Romand. Nous sommes allés
ensuite déjeuner chez mes parents et Romand chez les siens, qu’il
a tués après le repas.
L’affaire Jean-Claude Romand
Chronologie succincte
> 11 février 1954
Naissance de Jean-Claude Romand à Lons-le-Saunier.
> Juin 1971
Avec un an d’avance. Il obtient la note de 16/20 à l’épreuve de
philosophie dont le sujet, pour le moins ironique au regard de son
histoire, était " La Vérité existe-t-elle ? "
> 1972
Il entame des études de médecine.
> Septembre 1975
Jean-Claude Romand ne se présente pas à l’examen de rattrapage
de deuxième année et se réinscrit huit ans de suite en deuxième
année dans son école, avant d’affirmer qu’il a obtenu l’internat
de Paris.
> 1980
Il épouse Florence Crolet.
> 1985
Naissance de sa fille Caroline.
> 1987
Naissance de son fils Antoine.
> 9 janvier 1993
Jean-Claude Romand tue sa femme Florence à l’aide d’un rouleau
à pâtisserie, sa fille Caroline, 7 ans, et son fils Antoine, 5 ans, à
l’aide d’une carabine. Le lendemain, il assassine ses parents et leur
chien à leur domicile de Clairvaux-les-Lacs, et tente d’assassiner
sa maîtresse, Chantal Delalande.
De retour chez lui, où gisent les cadavres de sa famille, il asperge
d’essence la maison, avale des barbituriques et déclenche un
incendie. Mais le feu, qui éclate vers 4 heures du matin, alerte les
éboueurs, ce qui permettra à Jean-Claude Romand d’être sauvé à
temps par les pompiers.
> 24 juin 1996
Ouverture du procès de Jean-Claude Romand à Bourg-en-Bresse.
> 2 juillet 1996
Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie
d’une peine de sûreté de 22 ans.
> 31 janvier 2000
Parution de l’Adversaire, roman d’Emmanuel Carrère chez P.O.L.
Editeur
Quand on vient vous dire que votre meilleur ami,
l’homme le plus droit que vous connaissez a tué
sa femme, ses enfants, ses parents et qu’en plus
il vous mentait sur tout depuis des années, estce qu’il n’est pas normal de continuer à lui faire
confiance, même contre des preuves accablantes ?
Luc
Vincent Berger dans L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherbœuf © DR
Vous savez il est certainement facile de considérer
Romand comme un monstre et ses amis comme une
bande de bourgeois de province ridiculement naïfs
quand on connaît la fin de l’histoire, mais avant,
c’était différent. Ça a l’air idiot de dire ça, mais
vous savez, c’était un type profondément gentil. Ça
ne change rien à ce qu’il a fait, ça le rend encore
plus terrible, mais il était gentil.
Luc
Ressources diverses
Dossier
Weblettres Dossier L’Adversaire avec des séquences à travailler
en classe
http://www.weblettres.net/ar/articles/15_143_381_denizotmercier.pdf
Site
Site documenté sur l’affaire
http://jc.romand.free.fr/
Vidéos
Emission "Faites entrer l’accusé"
https://www.youtube.com/watch?v=DN7IGyNmp4I
Documentaire "Le Roman d’un menteur"
https://www.youtube.com/watch?v=flKjEPTJ7t0#t=16
Emission France Inter "Affaire Sensible - Six jours avec JeanClaude Romand"
http://www.franceinter.fr/emission-affaires-sensibles-six-joursavec-jean-claude-romand
Article d’Emmanuel Carrère
dans Le Nouvel Observateur daté du 20 juin 1996 avant le début du procès le 24 juin 1996.
écrire L’Adversaire
Interview d’Emmanuel Carrère par Jean-Pierre Tison
dans le Magazine LIRE publiée en Février 2000 à
l’occasion de la sortie du roman.
Dans quelles circonstances avez-vous décidé de consacrer un
livre à cette affaire ?
Emmanuel Carrère. J’avais lu cette histoire avec une espèce de
sidération. J’ai su tout de suite que j’avais envie d’écrire quelque
chose là-dessus. J’ai été tellement sidéré que j’ai même eu la
tentation de me transformer en journaliste de fait divers, c’est-àdire de foncer sur place. A ce moment-là, il y avait pour moi un
modèle.
De sang-froid de Truman Capote ?
E.C. Un livre que j’admire énormément. Quand il est tombé sur un
fait divers analogue, Capote a quitté New York, a rejoint le lieu des
crimes, le Kansas, deux jours après les faits et y est resté pendant
plusieurs années. Moi, je n’ai pas bougé. Ce qui m’intéressait,
ce n’était pas l’information extérieure que je pouvais pêcher en
faisant l’enquêteur. Cette affaire me travaillait à cause de la part
d’imposture qui existe en nous et qui ne prend que très rarement
des proportions aussi démesurées, tragiques, monstrueuses. Il y
a, en chacun de nous, un décalage entre l’image qu’il donne, qu’il
souhaite donner aux autres, et ce qu’il sait qu’il est lui-même,
quand il se retourne dans son lit sans arriver à s’endormir. Le
rapport entre ces deux hommes-là, c’était ce qui m’attirait. J’y
voyais l’occasion d’en parler sous la forme de la tragédie, pas de
la chronique intimiste. Sur le moment, je ne me disais pas cela de
façon aussi précise et articulée. Je ne savais pas ce que je voulais
faire. Mais ça me trottait dans la tête. Alors, j’ai fait un pas dont
les conséquences ont été énormes pour la suite de ce livre.
Un pas, c’est-à-dire ?
E.C. Si je voulais m’attaquer à cette histoire, j’étais obligé de
prendre contact avec Jean-Claude Romand. Je lui ai écrit une
lettre qui m’a vraiment coûté beaucoup d’effort, de brouillons,
et à laquelle il n’a pas répondu. Je m’étais dit que s’il ne me
répondait pas, j’étais libre, je faisais ce que je voulais de cette
histoire. Le temps passant, j’ai constaté que je ne recevais
toujours rien. J’ai relancé son avocat par l’entremise de qui j’avais
écrit. Il m’a envoyé paître tout bonnement. J’ai considéré que
c’était une fin de non-recevoir. Je me suis orienté vers une forme
très romanesque et librement inspirée. Je tournais autour d’une
image qui était celle d’un homme qui marchait dans la neige.
Une phrase m’avait aimanté dans l’un des articles de Libération,
qui se terminait par : "Et il allait marcher seul dans les forêts du
Jura." Pour moi, l’image centrale c’était ce type qui passait ses
journées, années après années, à marcher dans les forêts. En fait,
je crois qu’il passait beaucoup plus de temps à traîner dans les
librairies, sur les autoroutes ou dans les cafétérias. A partir de
cette image de l’homme qui marchait dans la forêt s’est construit
quelque chose qui, tout à coup, est sorti un an après et qui devint
un roman, La classe de neige.
Vincent Berger ©DR
" La classe de neige " n’est née d’aucun fait divers précis ?
E.C. Aucun. Hélas, les histoires de crimes sur des enfants existent.
C’était une espèce de brouet qui s’est fait tout seul. J’ai écrit ce
livre très vite sans très bien savoir ce que je faisais, avec une part
d’inconscient sans doute. Quand il a paru, je ne pensais plus du
tout à l’affaire Romand. Et j’avais l’impression que ce qui m’avait
intéressé dans ces crimes s’y trouvait. Donc c’était fini. Le livre a
eu du succès. Et un jour j’ai reçu une lettre de Romand. Il avait
lu le livre et, deux ans après ma propre lettre, il me répondait
pour me dire que si j’étais toujours intéressé pour écrire sur son
histoire, il était partant. Cela a été très perturbant, parce que
je m’étais éloigné de cette histoire. J’ai répondu à Romand sans
m’engager. Peu à peu, on a entretenu une correspondance. Je
n’osais pas aborder l’affaire, j’avais l’impression que lui non plus.
Il racontait sa vie en prison. Et puis il est venu à parler de sa foi.
C’est clairement ce qui le soutient et qui donne sens - je ne sais
pas lequel - à la seconde partie de sa vie. C’est aussi pour moi une
des énigmes de ce livre. Il s’est mis à m’en parler assez librement.
Petit à petit, l’envie d’écrire sur ce sujet m’est revenue.
Il vous a demandé si vous étiez croyant vous-même ?
E.C. Oui. Je lui ai répondu par l’affirmative, pas du tout
hypocritement, mais dans une sorte d’incertitude totale. Je me
sens agnostique, au sens le plus littéral du terme. Ce principe
d’incertitude est pour moi une sorte de moteur dans la vie et
même dans mes livres. On ne peut savoir quelle est la vérité.
Kafka avait cette phrase magnifique: "Je suis très ignorant, la
vérité n’en existe pas moins." Me rapprochant de lui et de son
histoire, j’ai éprouvé un désir d’être un peu croyant.
L’aviez-vous jamais été ?
E.C. Disons que je m’étais beaucoup posé la question. J’ai lu
beaucoup d’auteurs mystiques. Mais, à ce moment, j’ai eu une
volonté d’être croyant, voire même chrétien, comme si c’était la
seule façon d’approcher d’une telle monstruosité. Comme si vous
étiez dans un tunnel, et que vous ne puissiez imaginer qu’il y
ait au bout une petite lumière qui indiquerait une sortie. Il y a
eu pour moi un minipari pascalien et une sorte de viatique pour
approcher de ce drame.
Vous n’avez jamais abordé l’affaire ?
E.C. Je n’ai jamais pensé une seconde que Romand me dirait à moi,
entre quatre yeux, ou m’écrirait des choses qui ne figureraient pas
dans le dossier d’instruction. Il a été interrogé pendant deux cent
cinquante heures. Son procès a duré une dizaine de jours d’une
intensité sidérante. Toute l’information nécessaire s’y trouvait, il
ne pouvait rien ajouter. J’ai toujours pensé que Romand essayait
de dire la vérité sans dissimulation au juge d’instruction comme à
la présidente du tribunal. Son problème était de se la dire à luimême. L’accès à sa propre vérité lui était impossible. Je n’avais
pas l’impression qu’il pouvait exister une sorte de double fond que
j’aurais fouillé en ayant sa confiance. Cela m’a été confirmé quand
j’ai assisté au procès qui a été d’une grande tenue. J’ai été très
frappé par la qualité humaine des chroniqueurs judiciaires. Dans
ce procès, les faits étaient établis et avoués. Vu leur gravité, il
était clair que la peine serait très lourde. L’enjeu était uniquement
humain. On essayait de comprendre ce qui pouvait être compris.
Presque tous les acteurs du procès - de l’accusé au juge en passant
par les avocats, l’avocat général - s’y sont essayés.
Avez-vous pris des notes pendant le procès ?
E.C. J’ai rempli des carnets complets. Puis j’ai entamé un récit
objectif. Mais j’avais des problèmes de points de vue. Je suis donc
retourné sur les lieux. Je ne me suis pas livré à un énorme travail
d’enquête comme l’avait fait Capote. J’ai rencontré un ami proche
de Romand, que j’appelle Luc dans le livre, et j’ai essayé d’écrire
de son point de vue. Il me paraissait presque obscène d’entrer
dans le personnage de Romand. J’ai abordé le drame de biais en
me posant la question: "Et si, un jour, mon meilleur ami apprenait
que j’ai tué toute ma famille et que je lui ai menti, depuis
toujours, que se passerait-il ?" Je tenais une voie. Finalement,
ce qui occupe maintenant une quinzaine de pages au début du
livre en faisait alors une cinquantaine. Coincé à nouveau, j’ai fait
une pause. Travailler sur une telle histoire est éprouvant. Je me
demandais ce qu’il y avait de tordu dans ma tête pour que je
m’y intéresse tellement. Sur ce point, les réactions des lecteurs
me rassurent en me prouvant que cela touche quelque chose
d’universel et ne vient pas d’une fascination morbide personnelle.
Vous aviez donc renoncé...
E.C. Il s’est passé encore deux années pendant lesquelles j’ai
continué à correspondre avec Romand, de façon plus sporadique.
J’ai vraiment freiné des quatre fers pour ne pas écrire ce livre.
Mais j’ai ressenti que si je ne l’écrivais pas, je n’écrirais plus rien
d’autre. J’ai choisi alors une méthode plus minimaliste. Profil bas,
n’essayons pas de faire un bel objet littéraire. Oublions Truman
Capote et son roman symphonique de l’Amérique moderne. Faisons
court avec le sérieux du journaliste de la façon la plus neutre
possible. Mais cela coinçait encore. A l’automne 1998, j’ai enfin
compris une chose d’une simplicité totale : je devais écrire à la
première personne. Or, je n’ai jamais écrit à la première personne.
"Je" m’est assez difficile. A partir du moment où le "je" est
venu, dès la première phrase, le reste a suivi. Il y avait le travail
antérieur - ces centaines de pages écrites. L’histoire, je l’avais
prise par tous les bouts. J’ai reconstitué chronologiquement mon
rapport avec cette histoire et j’ai écrit ce que je ressentais. Mais,
pour moi, ce n’était pas un roman.
Plutôt un récit ?
E.C. Un rapport. Philip K. Dick disait - lui qui écrivait la sciencefiction la plus échevelée - que ses livres n’étaient pas vraiment
des romans, mais des rapports. J’avais la même impression. En
deux mois, je suis arrivé au bout de mon livre. Je l’ai apporté à
mon éditeur qui en a programmé la publication pour le printemps
dernier. Au début de l’année, j’ai paniqué, j’ai eu l’impression
qu’il y avait en lui quelque chose de radioactif. J’ai retiré le
livre à l’éditeur. A commencé une période de dépression. J’avais
l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Il me semblait que
j’avouais une fascination et une affinité absolument monstrueuses.
Durant l’année, un travail intérieur s’est fait. J’ai compris que cette
fascination, tout le monde l’éprouvait. Peu à peu, le sentiment de
malaise et de culpabilité s’est dissipé. De la honte je suis passé à
la fierté. Comme une victoire. Sept ans à ramer, pour arriver enfin
à quelque chose qui a une valeur pour autrui.
Comment est venu le choix du titre, L’Adversaire ?
E.C. D’une lecture de la Bible qui était liée à mon interrogation
religieuse. Dans la Bible, il y a ce qu’on appelle le satan, en
hébreu. Ce n’est pas, comme Belzébuth ou Lucifer, un nom propre,
mais un nom commun. La définition terminale du diable, c’est
le menteur. Il va de soi que l’"adversaire" n’est pas Jean-Claude
Romand. Mais j’ai l’impression que c’est à cet adversaire que lui,
sous une forme paroxystique et atroce, a été confronté toute sa
vie. Et c’est à lui que je me suis senti confronté pendant tout ce
travail. Et que le lecteur, à son tour, est confronté. On peut aussi
le considérer comme une instance psychique et non religieuse.
C’est ce qui, en nous, ment.
Pendant le procès, des journalistes présentaient Romand comme
le "démon". Vous, vous voyez en lui un "damné" ?
E.C. Oui, j’avais l’impression que l’adversaire, c’était ce qui était
en lui et qui, à un moment, a bouffé et remplacé cet homme.
J’ai l’impression que, dans cette arène psychique qui existe en
lui, se déroule un combat perpétuel. Pour le pauvre bonhomme
qu’est Jean-Claude Romand, toute la vie a été une défaite dans
ce combat.
A-t-il lu le livre ?
E.C. Quand finalement j’ai pris la décision de le publier, je lui
ai donné à lire les épreuves. Je lui avais expliqué que je ne lui
accordais aucun droit de regard. Je les lui donnais par scrupule,
mais c’était assez cruel parce qu’il ne pouvait rien changer. J’ai eu
des échos de sa lecture par cette visiteuse de prison dont il est
question dans le livre. Elle m’a dit qu’il était bouleversé. Mais ce
qui le faisait souffrir, ce n’est pas tant de voir sa vie étalée - elle
l’a été au procès - que ma position agnostique. Cette foi dont
j’ai tâché de m’approcher au maximum, que j’ai essayé, presque,
de partager. Contrairement à son attente, le livre n’explique pas
"Voilà, Jean-Claude Romand a commis des crimes épouvantables
et maintenant il est sur la voie de la Rédemption". Simplement,
il donne voix aux deux points de vue. Celui de ses amis visiteurs
de prison qui le voient comme quelqu’un qui vit une expérience
spirituelle intense, et celui de la journaliste de Libération qui
parle de la "dernière des saloperies" à propos de la faculté qu’a
Romand de se réfugier dans la foi. Romand aurait aimé que je me
rallie au premier jugement...
Donc, vous ne tranchez pas...
E.C. Dans les rapports sur Romand, un psychiatre disait, à propos
de sa foi, qu’on ne pouvait être qu’agnostique. C’est mon point
de vue. Il y a deux questions emboîtées. La première est celle de
l’existence de Dieu. La seconde, si Dieu existe, est de savoir si c’est
à Lui que Romand a affaire ou si c’est toujours à l’ "adversaire"
qui prend le masque de Dieu ? C’est la question que je pose à la
dernière page, et c’est le cœur du livre.
A propos de cet adversaire, le lecteur pourrait vous prendre
pour un héritier de Bernanos, de Julien Green, de tous ceux qui
croient à la présence réelle du diable.
E.C. A ça je ne crois pas. Mais tout de même, que quelque chose
en nous soit ce qu’on appelait le diable, une telle histoire me
paraît le prouver. Mais, la différence entre croire au diable comme
incarnation réelle et y croire comme instance psychique existant
en chacun ne me paraît pas si énorme. Sans doute parce que mon
point de vue n’est pas religieux.
Vous rappelez que, dans la famille de Romand, le mensonge
était banni et qu’en même temps on lui apprenait à mentir
pour ne pas faire de peine à sa maman.
E.C. C’est une chose qui est apparue clairement pendant le procès.
Ces pratiques de pieux mensonges étaient très troublantes. Il
ne fallait pas faire de peine, pas se vanter. Il ne fallait jamais
mentir et à chaque moment on vous enseignait à mentir. Cela
paraît exagéré, la façon dont un petit mensonge de base produit
cet engrenage qui dure dix-huit ans et aboutit au drame. Autre
chose m’hypnotisait dans cette histoire. Quand on s’est aperçu
qu’il menait une double vie, que l’autre "vie" était vide. C’est sur
ce vide-là que j’avais envie d’écrire, sur ce qui pouvait tourner
dans sa tête pendant les journées passées sur des parkings
d’autoroute. J’ai essayé d’encadrer ce vide pour que le lecteur
perçoive intimement ce que c’était que de vivre dans ce monde
vide et blanc.
Dans la littérature française, beaucoup de grands écrivains ont
rapporté des faits divers, relaté des procès. Pour ce siècle, je
pense à Gide, à Mauriac, à Jouhandeau. Mais votre livre n’est-il
pas un "objet littéraire" d’un genre nouveau en France ?
E.C. Je ne sais pas. Tous les romans s’inspirent de quelque
chose. Le Rouge et le Noir ou Madame Bovary ont été inspirés
par des faits divers. J’ai lu les livres de Gide dans la collection
"Ne jugez pas" comme La séquestrée de Poitiers, que je trouve
remarquables. Mais pour Gide, Mauriac et les autres, ces œuvres
n’étaient pas centrales dans leur travail. Alors que, pour moi, c’est
un investissement littéraire total.
On comprend les difficultés morales, psychologiques que vous
avez surmontées... Mais du point de vue littéraire ?
E.C. J’ai veillé à ce que cela soit écrit le plus simplement possible.
Il y a eu un travail constant de resserrement. Je crois que c’est
le livre pour lequel j’ai eu le plus de jeux d’épreuves : quatre
au lieu des deux habituels. Mon écriture tend au dépouillement.
Les phrases doivent être conductrices d’électricité. Plus elles sont
simples, plus le courant passe. Ce n’est pas une règle générale.
Juste ma pratique personnelle.
Les derniers mots du livre sont "crime" et "prière". "Prière" est
aussi à prendre au sens non religieux ?
E.C. La possibilité d’échapper à la culpabilité d’écrire cette
histoire était d’imaginer une porte de sortie. Une rédemption. On
n’est pas forcé de voir cela de façon religieuse, dogmatique, mais
malgré tout, dès qu’il est question de rédemption et de prière,
c’est religieux. Le récit raconte quelque chose qui est arrivé à un
être humain et parle à d’autres êtres humains.
Ce qui est frappant aussi, c’est l’incroyable légèreté de vivre
qu’il semble avoir en prison, son idylle avec l’ancienne directrice
d’école. La vie recommence fraîche et joyeuse. Les poèmes qu’il
envoie à cette femme sont extraordinaires...
E.C. C’est très troublant. Ce sont des choses à mettre à son crédit.
Cela a été dit au procès, et fait partie de l’histoire.
Pour sa défense, on peut dire qu’il a voulu tuer les siens pour
leur épargner le malheur d’être pauvres, à la rue...
E.C. Non, pas le malheur d’être pauvres. Il se figurait que savoir
la vérité sur lui leur serait intolérable. Il préférait les savoir morts
que de les savoir détruits par cette vérité.
Et tout de même pauvres ! Tout l’argent des beaux-parents, des
parents, avait été dépensé. A la rue, sans logis, sans rien.
E.C. C’est tout ce qu’on appelle, en termes de taxinomie
psychiatrique, les crimes altruistes. Il a tué les personnes qu’il
aimait le plus au monde.
Pour les protéger du malheur...
E.C. Et de la vérité sur lui. Pour se protéger de leurs regards sur
lui.
Autre chose inouïe : il n’a pas eu à se cacher. Il n’a pas eu à
monter des plans. Personne ne s’intéressait à lui au point de
vérifier ses dires.
E.C. Il n’y a effectivement pas eu de plan machiavélique. Tout
s’est passé au jour le jour. Il était à la merci du premier coup
de fil. Et, en dix-huit ans, ce coup de fil n’a jamais eu lieu. C’est
sidérant.
Dès sa jeunesse, il n’était vraiment nécessaire à personne. Il
était là, on était heureux de le voir ; il n’était pas là, on se
passait de lui.
E.C. En même temps, il était très aimé de ses parents. C’est quand
même une histoire de grande solitude, avant et après le drame.
Jeune homme, il avait fait semblant d’être agressé, avec sa
voiture, et il était rentré blessé pour avoir des choses à dire à
sa bande de copains.
E.C. Oui. Pour se rendre intéressant, comme on dit des enfants. Il
avait des comportements très enfantins.
Dans votre vie d’écrivain, quelle place maintenant tient ce livre
à vos propres yeux ?
E.C. J’ai la conviction que ce livre met fin à un cycle. Ma fascination
pour la folie, la perte de l’identité, le mensonge, c’est fini.
L’Adversaire est à la fois une espèce de pré- et de post-scriptum
à La classe de neige. Pour moi, ce sont des livres jumeaux. L’un
exploite l’imagination littéraire, l’autre l’exactitude du document.
Je sais qu’autre chose va venir, je ne sais pas quand, je ne sais pas
quoi. Je ne peux pas aller plus loin. Cela ne veut pas dire que je
me mette à la comédie légère, mais je crois que je peux faire des
livres plus ouverts, qui ne soient plus des livres d’enfermement.
Mais je ne suis pas pressé.
Emmanuel Carrère ©DR
Bibliographie
Werner Herzog, Edilig, 1982
L’Amie du jaguar, Flammarion, 1983
Bravoure, P.O.L., 1984 (Prix Passion, Prix littéraire de la Vocation)
La Moustache, P.O.L., 1986
Le Détroit de Behring, P.O.L., 1986 (Grand prix de l’imaginaire)
Hors d’atteinte, P.O.L., 1988 (Prix Kléber Haedens)
Je suis vivant et vous êtes morts, P.O.L., 1993
La Classe de neige, P.O.L., 1995 (Prix Femina)
L’Adversaire, P.O.L., 2000
Un roman russe, P.O.L., 2007
D’autres vies que la mienne, P.O.L., 2009 (Prix Marie-Claire du
roman d’émotion, Prix des lecteurs de L’Express, Prix Crésus,
Globe de Cristal)
Limonov, P.O.L., 2011 (Prix Renaudot)
Il est dangereux d’avoir où aller, P.O.L., 2016
Filmographie
Emmanuel Carrère
Né le 9 décembre 1957 à Paris, Emmanuel Carrère est le fils de
Louis Édouard Carrère et de la soviétologue et académicienne
Hélène Carrère d’Encausse.
Petit-fils d’immigrés russes, ancien étudiant à Sciences-po,
Emmanuel Carrère est d’abord critique de cinéma pour Positif
et Télérama. Son premier livre Werner Herzog paraît en 1982. Il
publie son premier roman L’Amie du jaguar en 1983. Le suivant,
Bravoure, sort un an après chez P.O.L. éditeur à qui il confiera
tous ses autres ouvrages par la suite.
Il écrit les scénarios de Léon Morin, prêtre, Monsieur Ripois et
Denis dans les années 1990.
En 1998, il signe le scénario de La Classe de neige (adaptation
de son roman éponyme d’ailleurs récompensé du prix Fémina
en 1995) dont Claude Miller assure la réalisation. Fasciné par
l’irruption du fantastique dans la réalité, il fait de l’affaire JeanClaude Romand l’un de ses plus célèbres ouvrages, L’Adversaire :
il sera ensuite adapté au cinéma par Nicole Garcia en 2002. En
2003, il passe tout naturellement derrière la caméra et réalise
Retour à Kotelnitch, ville russe qui est à la fois le lieu d’une
enquête policière et d’une réflexion sur l’identité.
Emmanuel Carrère se lance dans la fiction deux ans plus tard avec
La Moustache, en tant qu’auteur, scénariste et réalisateur. 2007
et Un roman russe marquent le retour attendu à la littérature d’un
auteur atypique.
D’autres vies que la mienne, paru en 2009, souligne encore le
succès de l’auteur, qui se voit décerner le prix Marie Claire du
roman d’émotion, ainsi que le prix des Lecteurs de L’Express et le
prix Crésus. Limonov sort en août 2011.
Le 10 septembre 2014 Emmanuel Carrère reçoit pour son roman Le
Royaume, le prix littéraire du Monde, crée en juin 2013 lors des
Assises internationales du roman. Le romancier, qui a souvent été
adapté au cinéma, fait parti du jury du 72ème festival de Venise.
Son dernier livre Il est dangereux d’avoir où aller paraît en ce
début d’année.
Retour à Kotelnitch d’Emmanuel Carrère, 2003
La Moustache d’Emmanuel Carrère, 2005
Pour étudier le roman L’Adversaire, nous vous
conseillons les éditions suivantes
Edition Folio
Edition Classico Lycée, édition augmentée
Edition Scéren – Collection romans d’aujourd’hui lycée, édition
plus approfondie
Deux films ont été inspirés par L’Adversaire
L’Emploi du temps de Laurent Cantet, 2001
L’Adversaire de Nicole Garcia, 2002
Frédéric Cherbœeuf ©DR
Frédéric Cherbœuf
Metteur en scène, coadaptateur, comédien
Comédien, titulaire d’une maîtrise de Droit, formé à l’école du
Théâtre National de Strasbourg. Après des études menées simultanément en théâtre au Conservatoire de Rouen et en Lettres à
l’université, Frédéric Cherbœuf intègre l’école du Théâtre National
de Strasbourg où il rencontre Jean-Marie Villégier qui lui offre ses
premiers rôles.
Il collabore régulièrement avec Catherine Delattres, Adel Hakim, Elisabeth Chailloux, Jacques Osinski, Gilles Bouillon, Daniel
Mesguich, Stuart Seide, Alain Bézu, Olivier Werner, Guy-Pierre
Couleau, Serge Tranvouez, Volodia Serre et récemment, Bertrand
Bossard.
Une collaboration fidèle avec la Compagnie Eulalie et Sophie Lecarpentier le conduit à créer à ses côtés de nombreux spectacles.
En 2008, il écrit avec elle Too Much Fight, qu’elle mettra en scène
la même année. En janvier 2011, il adapte avec elle et joue sous
sa direction Les 3 folles journées ou la Trilogie, d’après Beaumarchais, au TOP de Boulogne. C’est également la Compagnie Eulalie
qui produira sa première mise en scène : Les Amnésiques n’ont
rien vécu d’inoubliable de Hervé Le Tellier en 2011, au Lucernaire
puis à Avignon.
Il reçoit en 2012 le Prix d’Ecriture dramatique de la ville de Guérande pour On ne me pissera pas éternellement sur la gueule, coécrit avec Julie-Anne Roth. Ce texte recevra également les Encouragements du CNT en 2013.
En 2013, il signe avec Guillaume Désanges le texte et la mise
en scène de Marcel Duchamp, spectacle crée au Phénix de Valenciennes et repris au Centre Pompidou de Paris dans le cadre
du Nouveau Festival. Ce spectacle est depuis joué à l’étranger :
Vancouver, Miami, Prague.
L’Adversaire sera sa troisième mise en scène et prolongera sa volonté de faire du jeu, de l’écriture et de la mise en scène un
unique et même geste.
Compagnie
La Part de l’Ombre
La Part de l’Ombre voit le jour en avril 2014. Sa création vient
sceller une amitié et un compagnonnage artistique de presque
vingt ans.
Frédéric Cherbœuf et Vincent Berger se rencontrent au lycée de
Rouen où ils fondent avec frère et amis une troupe de théâtre
amateur. Ils partagent pendant ces années rouennaises la formation du Conservatoire régional et intègrent dans la même promotion l’école du Théâtre National de Strasbourg (groupe 29).
Cet exil épanouissant scelle définitivement leur goût commun du
travail et de l’exigence, mais également leur complicité ludique
sur scène. En effet outre les longues soirées de discussions fondatrices, Strasbourg leur fournit un laboratoire du désir : le théâtre
ce sera "ensemble".
Depuis, ils mettent en pratique ce crédo avec la complicité de
metteurs en scène qui s’inspirent de leur relation particulière.
Pour ne citer qu’eux : Adel Hakim, Catherine Delattres, Jacques
Osinski ou encore Bertrand Bossard.
La création de L’Adversaire leur permet de mettre en place un outil
de création, d’imaginer un foyer commun et de réaliser un rêve
partagé ; ce sera La Part de l’Ombre.
Cette nouvelle Compagnie est aussi l’occasion pour Frédéric Cherbœuf de diffuser deux spectacles déjà axés sur l’écriture contemporaine : Les Amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable, d’après le
texte d’Hervé Le Tellier et Marcel Duchamp.
Vincent Berger dans L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherboeuf ©DR
Itinéraire : Chemin à suivre
Itinéraire bis : Itinéraire de délestage qui double l’itinéraire principal
Une ville coupée en deux, un homme aux deux visages,
l’échappée belle de deux filles...
Un, deux, trois itinéraire bis à emprunter pour le spectateur.
Berliner Mauer :
vestiges
Que se passe-t-il de l’autre
côté ?
Que vivent ceux dont on a été
séparés ?
Ils sont quinze comédiens
qui se sont rencontrés au
Conservatoire National Supérieur
d’Art Dramatique de Paris. Ils
ont choisi d’interroger l’un des
événements les plus marquants
de la seconde moitié du XXe siècle
occidental : la chute du mur de
Berlin. Réunissant documents
d’archives, discours, extraits de
films, chansons, improvisations,
ils racontent une histoire en
trois temps - union, désunion
et réunion - selon un procédé
scénique original : l’espace est
bi-frontal, les spectateurs se
trouvent séparés, le spectacle
continue,
différent
mais
simultané, de chaque côté du
mur qui vient d’être érigé sur le
plateau.
L’Adversaire
" Quand il faisait son entrée sur
la scène domestique de sa vie,
chacun pensait qu’il venait d’une
autre scène où il tenait un autre
rôle, celui de l’important qui court
le monde… et qu’il le reprendrait
en sortant.
Mais il n’y avait pas d’autre
scène, pas d’autre public devant
qui jouer l’autre rôle.
Dehors, il se retrouvait nu. Il
retournait à l’absence, au vide,
au blanc, qui n’étaient pas un
accident de parcours mais l’unique
expérience de sa vie. "
Emmanuel Carrère
Comment un homme a-t-il pu
mentir à son entourage pendant
tant d’années sans que celui-ci ne
soit jamais alerté par le moindre
faux pas de l’imposteur ? Pourquoi
n’a-t-il pas trouvé d’autre issue
que la mort des siens ?
Aucun romancier n’aurait pu
inventer une telle histoire sans
être taxé d’invraisemblance. Et
pourtant cela a eu lieu. Cette
histoire, inédite et inouïe dans
la grande Histoire de l’Humanité,
a eu lieu.
Diptyque
Louise, elle est folle
et Déplace le ciel
Louise, elle est folle, c’est
l’histoire de deux filles qui
traversent la ville en se parlant
de tout ce qui leur arrive.
Déplace le ciel, c’est l’histoire
de ces deux filles qui ont
beaucoup bougé, qui aujourd’hui
se demandent à quoi ça sert de
bouger, de rêver, d’aimer... et
pourtant le désir de découverte,
de changement, de nouveau, est
là.
" L’interrogation sur les mots,
sur le langage fait partie de la vie
en démocratie. Le langage est le
premier bien commun. La pratique
du langage est une pratique du
commun, de la vie en commun,
et, ainsi, le langage est le premier
menacé. Menacé sans arrêt, par
toute remise en cause du commun,
de la vie partagée, par tout ce
qui vise à le figer, le rigidifier,
l’appauvrir, le vider, par tout ce qui
vise à en faire un pur instrument
de communication, plat, uniforme,
unilatéral, consensuel, à lui ôter
sa dimension polysémique, et sa
dimension d’adresse."
Leslie Kaplan Réservations
> 01 43 90 11 11
11h > 13h - 14h > 18h
et les samedis en période de spectacle
15h > 18h
> [email protected]
> sur le site www.theatre-quartiers-ivry.com
> par correspondance
> auprès de nos billetteries partenaires
Tarifs
22 g tarif plein
15 g retraités, personnes à mobilité réduite,
abonnés des théâtres partenaires
(hors Val-de-Marne)
13 g Ivryens, Val-de-Marnais, professionnels
de la culture et de l’enseignement, abonnés
des théâtres partenaires (Val-de-Marne)
10 g étudiants, moins de 30 ans, élèves
des écoles de théâtre (hors Val-de-Marne),
intermittents du spectacle,
demandeurs d’emploi, abonnés du CREDAC
5 g scolaires ivryens, bénéficiaires du RSA,
élèves de l’Atelier théâtral et des écoles de
théâtre (Val-de-Marne)
MARS - AVRIL
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18h.............. Berliner Mauer
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16h.............. Berliner Mauer
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2 sa
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20h............. L’Adversaire
19h.............. L’Adversaire
20h............. L’Adversaire
18h.............. L’Adversaire
16h.............. L’Adversaire
ma 20h............. L’Adversaire
me 20h............. L’Adversaire
je
19h.............. L’Adversaire
ve
20h............. L’Adversaire
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13 me
14 je
15 ve
16 sa
17 di
20h............. Louise et Déplace
20h............. Louise et Déplace
19h.............. Louise et Déplace
20h............. Louise et Déplace
18h.............. Louise et Déplace
16h.............. Louise et Déplace
Comment venir ?
Sortie place
de la République
Sortie rue
Robespierre
Studio Casanova
69 av Danielle Casanova
à Ivry-sur-Seine
Métro ligne 7 Mairie d’Ivry
RER ligne C Ivry-sur-Seine
à 10 minutes à pied.
Bus lignes 125, 132, 182 et 323
Voiture Périphérique Porte d’Ivry
direction Ivry centre ville,
parking gratuit derrière la Mairie.
5 minutes de marche
jusqu’au Studio Casanova.
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