29 mars > 8 AVRIL 2016 L’Adversaire EMMANUEL CARRèRE - Frédéric CHERBœUF COMPAGNIE LA PART DE L’OMBRE Dossier pédagogique 10 > 20 mars Berliner Mauer : vestiges 29 mars > 8 AVRIL JULIE BERTIN JADE HERBULOT L’Adversaire Le Birgit ensemble EMMANUEL CARRèRE Frédéric CHERBœUF COMPAGNIE LA PART DE L’OMBRE itinéraire bis 12 > 17 AVRIL DIPTYQUE Louise, elle est folle et Déplace le ciel leslie kaplan Frédérique loliée - elise vigier LE THéâTRE DES LUCIOLES SERVICE DES RELATIONS AVEC LES PUBLICS Chloé Gillet - Jean-Baptiste Moreno - Marie Picgirard 01 43 90 49 45 / [email protected] www.theatre-quartiers-ivry.com STUDIO CASANOVA 69 av Danielle Casanova M° Mairie d’Ivry 01 43 90 11 11 L’Adversaire d’après le roman d’Emmanuel Carrère P.O.L Editeur, 2000 mise en scène Frédéric Cherbœuf adaptation Vincent Berger et Frédéric Cherbœuf scénographie et lumières Jean-Claude Caillard costumes Nathalie Saulnier administration de production Ana Marillier avec Vincent Berger Camille Blouet Jean De Pange Gretel Delattre Alexandrine Serre Maryse Ravera et en alternance Frédéric Cherbœuf / Volodia Serre Coproduction Compagnie La Part de l’Ombre, Le Salmanazar – Scène de Création et de Diffusion d’Epernay et le Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne. Avec le soutien du CENTQUATRE – Paris, de l’ADAMI et de la SPEDIDAM. En coréalisation avec le Théâtre Paris-Villette – Scène Contemporaine Jeunesse, établissement de la Ville de Paris. Quand il faisait son entrée sur la scène domestique de sa vie, chacun pensait qu’il venait d’une autre scène où il tenait un autre rôle, celui de l’important qui court le monde… et qu’il le reprendrait en sortant. Mais il n’y avait pas d’autre scène, pas d’autre public devant qui jouer l’autre rôle. Dehors, il se retrouvait nu. Il retournait à l’absence, au vide, au blanc, qui n’étaient pas un accident de parcours mais l’unique expérience de sa vie. Emmanuel Carrère - L’Adversaire La Vérité existe-t-elle ? Sujet du Bac de philo de 1971. Jean-Claude Romand obtient 16/20. Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand tue sa femme, ses enfants, ses parents, puis tente, mais en vain, de se tuer lui-même. L’enquête révèle très vite qu’il n’était pas médecin comme il le prétendait et, chose plus difficile encore à croire, qu’il n’était rien d’autre. Il mentait depuis dix-huit ans, et ce mensonge ne recouvrait rien. Près d’être découvert, il a préféré supprimer ceux dont il ne pouvait supporter le regard. Il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Fasciné par cette histoire, Emmanuel Carrère décide d’en faire le sujet d’un récit qui mettra plus de cinq ans à aboutir : ce sera L’Adversaire, une enquête dans laquelle la dérangeante fascination de l’auteur pour son sujet se mêle à son dégoût d’écrire sur le ‘‘monstre’’. La compassion pour le bourreau devient une forme de complicité et Carrère nous entraîne avec lui dans cette plongée en Enfer. Romand et Roman Certains faits divers dépassent de loin ce que la fiction tente d’inventer depuis que l’homme s’est mis en tête de raconter des histoires. Comment un homme a-t-il pu mentir à son entourage pendant tant d’années sans que celui-ci ne soit jamais alerté par le moindre faux pas de l’imposteur ? Pourquoi n’a-t-il pas trouvé d’autre issue que la mort des siens ? Aucun romancier n’aurait pu inventer une telle histoire sans être taxé d’invraisemblance. Et pourtant cela a eu lieu. Cette histoire, inédite et inouïe dans la grande Histoire de l’Humanité, a eu lieu. Roman et théâtre Pourquoi le théâtre, qui est le lieu de la fiction par excellence (même s’il se revêt parfois de simulacres de réalité), peut-il s’emparer d’une histoire si terrible, née non pas d’une imagination débridée, mais bien de la violence d’un monde réel ? Parce que L’Adversaire est un théâtre justement. Et Jean-Claude Romand un acteur : un "héros" infiniment moderne, infiniment coupable et pourtant "suspecté" d’innocence. Un Woyzeck d’aujourd’hui. Son costume ? Le mensonge, ou le "mentir vrai", qui est l’outil de l’acteur. Sa force ? L’art de la mise en scène, le rythme, la distribution des rôles. Son décor ? La bourgeoisie de province, les aires d’autoroutes, les forêts du Jura, la Cour d’Assises. Son langage ? L’improvisation permanente qui donne le vertige. Sa faiblesse ? La peur et sa manifestation physique : la sueur, qui colle, qui pue et laisse sur chaque vêtement la trace du mensonge. Explorer la frontière entre vérité et mensonge, entre document et fiction : telle sera la ligne de force de notre projet. Le théâtre peut-il se hisser à la hauteur du réel ? Doit-il s’en nourrir ? Ou au contraire, doit-il s’en détacher et affirmer son autonomie ? Vincent Berger dans L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherbœuf © DR Un polar Oui, un polar : haletant, étouffant, fascinant, rythmé, tendu. Même si nous savons d’emblée qui est coupable et qui est victime. Musique : cinématographique, hitchcockienne et religieuse à la fois. Espace : tour à tour domestique (l’appartement de Carrère), mental ou réaliste (le procès). Tout doit concourir à cette plongée au cœur du mystère de l’imposture, du mensonge, de l’irrationnel et de l’"indécidable". Un espace léger et fluide, essentiellement composé par la lumière et le paysage sonore, qui permettra de ne jamais lâcher le spectateur. Pas de "quatrième mur" donc, car le public est ici dans l’inconfortable position d’un jury populaire. A lui de choisir, ou de ne pas choisir son camp. Car ce qui m’importe avant tout, c‘est d’inclure le public dans l’élaboration du récit. Une adaptation Dans la lignée de mes spectacles précédents (Les Amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable, d’après le texte d’Hervé Le Tellier et Marcel Duchamp), nous tentons de mettre en mouvement une matière qui n’est a priori pas faite pour le théâtre. Une adaptation du texte de Carrère a donc été nécessaire. Adaptation fidèle et libre à la fois, réalisée conjointement avec Vincent Berger (qui jouera le rôle d’Emmanuel Carrère). Cette double appropriation du texte est déjà de la mise en scène puisqu’elle impose des choix. Dont un principal : le spectacle n’est pas la reconstitution du fait divers mais bien celle de l’élaboration du livre et de cette recherche obstinée et douloureuse du "point de vue". Elle est par conséquent aussi l’histoire de la naissance de l’autofiction. Dans notre adaptation, Jean-Claude Romand disparaît pour laisser la place à l’auteur-narrateur qui est omniscient, "passe-murailles", tour à tour observateur et acteur de l’enquête. Notre adaptation s’appuie sur trois différentes formes d’écriture : ÉCRITURE DOCUMENTAIRE (témoignages, scènes d’interrogatoires, reconstitutions), RÉCIT (Emmanuel Carrère dans son rôle de maître de cérémonie et de fil conducteur) et SÉQUENCES DIALOGUÉES. Parce que Carrère est aussi un homme d’images, le texte s’écrit en chapitres et séquences. Montage, découpage. Le cinéma n’est jamais loin. Frédéric Cherbœuf Extrait du spectacle Première scène de l’adaptation de Vincent Berger et Frédéric Cherbœuf Prologue. 24 rue des petits hôtels. 28 mars 2014. FC entre chez EC. Un appartement bourgeois du 9ème arrondissement de Paris plein de cartons éparpillés. Il l’entraine vers la cuisine. L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherboeuf © DR Les personnages EC / Emmanuel Carrère. La quarantaine au moment du procès Romand. Narrateur, témoin, enquêteur : l’incarnation du doute. Personnage omniscient dans le ballet des ombres, il passe du statut d’observateur à celui d’acteur de sa propre enquête. FC. Le metteur en scène du spectacle. Son enthousiasme n’a d’égal que sa maladresse devant l’auteur à qui il vient soumettre son projet. Luc. Meilleur ami du meurtrier. Le confident à qui Romand n’a jamais rien confié. Cécile. La femme de Luc. Le Président de la Cour d’Assises de l’Ain. Une fonction bien sûr, mais qui ne l’empêche pas d’être traversé par le doute, l’émotion ou l’incompréhension. Jean-Claude Romand. Le meurtrier. L’imposteur. Diable ou damné selon les points de vue. Marie-France. Pieuse. Mère de famille. Visiteuse de prison. Romand est son "rayon de soleil". Bernard. Visiteur de prison. Il décrit Romand comme un véritable ami. Très croyant, il fait partie avec Marie-France d’un groupe de prière dont Romand est aussi devenu un membre actif. Corinne. La "rescapée". Ancienne maîtresse de Jean-Claude Romand. Séduite et escroquée. Victime d’une tentative d’assassinat par ce dernier. Mlle Milo. L’institutrice d’Antoine, le fils de Romand. Le procès révèlera une "liaison" avec le détenu. Martine Servandoni. Journaliste. Vive, elle accuse Carrère de compassion déplacée. Camille. Elle pourrait être la femme de l’auteur, elle est en tous cas celle qui l’accompagne. Un journaliste. FC : J’ai apporté des croissants. EC : C’est gentil. Je viens de faire un café, vous en voulez ? FC : Volontiers. EC : Excusez-moi c’est le bazar. Les déménageurs arrivent dans une heure. Je n’ai pas beaucoup de temps. FC : Oui vous m’aviez prévenu. Vous partez loin ? EC : Juste à côté. (un temps) Alors vous faites du théâtre ? FC : Oui. EC : Vous aussi vous vous intéressez à cette histoire ? FC : Oui. EC : Qu’est ce que vous attendez de moi ? FC : Euh… votre bénédiction peut-être. EC : Rien de plus ? FC : Rien de plus. EC : Vous l’avez. FC : Mais… vous ne voulez pas que je vous en dise un peu plus ? EC : Si bien sûr, allez-y. Je dois d’abord vous dire que je vais très peu au théâtre ; en fait je ne m’y intéresse pas vraiment. FC : Vous vous y ennuyez ? EC : On peut dire ça. FC : Je comprends, ça m’arrive aussi. Vous avez participé aux adaptations cinématographiques du livre ? EC : J’ai participé au scénario d’une des deux oui. Vous en pensez quoi ? FC : Je n’ai pas vu L’Emploi du Temps, mais le film de Garcia est bien. Même si Auteuil est un peu trop connu pour incarner la normalité de Romand qui est, à mon sens, essentielle. EC : Peut-être oui. Café, donc ? FC : Oui oui. FC : Et puis vous disparaissez totalement derrière le film… je veux dire, pour moi, ce ne sont pas des adaptations de votre "Adversaire" , mais des films sur le fait divers. Votre récit vaut autant pour son enquête sur le drame de Prévessin que pour la quête du "point de vue juste", dans laquelle je vois une sorte de… recherche subjective de l’objectivité… et c’est ce qui m’intéresse au fond, plus que le drame en lui-même, c’est la façon dont vous plongez, vous, et comment vous vous retrouvez sur le banc des accusés… et par voie de conséquence nous aussi… avec vous… enfin je vous ai écrit tout ça déjà… EC : Ils sont très bons. FC : Je les ai achetés juste en bas. (Silence un peu gêné) FC : Je vous demandais dans ma lettre si vous ne trouviez pas indécent ou déplacé de monter ce texte en 2015, année probable de sa libération. EC : Non, je ne crois pas que ce soit indécent. Je ne sais pas. FC : Vous êtes toujours en contact avec lui ? EC : Non. Pas depuis quelques années. FC : On raconte qu’il ne veut pas sortir. On dit aussi qu’il se fait appeler "docteur" en prison… c’est troublant non ? Vous pensez qu’il cherchera à vous joindre une fois sorti ? EC : Je ne sais pas. Mais s‘il le fait, et qu’il a besoin de quelque chose, je ne me défilerai pas. FC : Vous croyez à sa conversion ? EC : Ah… ?! FC : Oui, pardon. C’est de l’histoire ancienne pour vous… EC : Non, ça fait partie de ma vie. Mais je viens de finir un livre qui m’a occupé pas mal de temps. C’est vrai que je suis un peu ailleurs. FC : Je comprends. En tout cas, votre texte est gravé dans mon petit panthéon personnel depuis que je l’ai lu. Il met pour moi une chose en évidence, c’est que Jean-Claude Romand est un acteur. C’est une formulation un peu rapide, peut-être, mais je veux dire par là que votre texte est un théâtre, il a tous les ingrédients du théâtre : il y a un le "héros", infiniment coupable, et pourtant suspecté d’innocence, une sorte de Woyzeck d’aujourd’hui ; il y a l’art de mentir ; il y a l’art de la mise en scène (le rythme, la distribution des rôles) ; il y a le décor, cette bourgeoisie de province, les aires d’autoroutes, la cour d’assises ; il y a l’improvisation permanente de ce type, et donc sa peur et sa sueur surtout… Enfin je vous raconte tout ça parce que votre opinion au delà de votre accord est pour moi primordiale. L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherboeuf ©DR Dire qu’il aura fallu tous ces mensonges, ces hasards et ce terrible drame pour qu’il puisse aujourd’hui faire tout le bien qu’il fait autour de lui... C’est une chose que j’ai toujours crue, et que je vois à l’œuvre dans la vie de Jean-Claude : tout tourne bien et finit par trouver son sens pour celui qui aime Dieu. Bernard D’un côté s’ouvrait le chemin normal, que suivaient ses amis et pour lequel il avait, tout le monde le confirme, des aptitudes légèrement supérieures à la moyenne. Sur ce chemin il vient de trébucher mais il est encore temps de se rattraper, de rattraper les autres : personne ne l’a vu. De l’autre, ce chemin tortueux du mensonge dont on ne peut même pas dire qu’il semble à son début semé de roses tandis que l’autre serait encombré de ronces et rocailleux comme le veulent les allégories. Il n’y a pas besoin d’y engager le pied, d’aller jusqu’à un tournant pour voir que c’est un cul-de-sac. Emmanuel Carrère - L’Adversaire EC : Vous avez des enfants ? FC : Oui, j’ai une fille de 8 ans…Vous avez conservé les éléments du dossier ? EC : Ils sont là oui. Des cartons dans un placard. Un placard que ma femme appelle d’ailleurs la "chambre de Jean-Claude Romand ". S’il veut les récupérer, ils sont à sa disposition. Mais je ne crois pas qu’il le fera. FC : Vous pensez qu’il pourra vivre une vie normale, après ? EC : Je ne sais pas. FC : Bien. Vous ne voyez donc rien qui puisse s’opposer à mon projet ? EC : Rien non. Je ne sais pas quoi vous dire de plus. FC : Je ne veux rien de plus. Votre indifférence même me suffit. EC : Vous l’avez. (EC se lève) FC : Bon. Et bien bon déménagement alors. EC : Vous partez déjà ? FC : Oui… EC : Ah, bon. (EC lui tend un livre.) C’est un exemplaire de mon prochain livre. FC : Le Royaume… Merci. EC : Tenez moi au courant quand même. Et merci pour les croissants. (FC sort) FEMME D’EC : Raconte EC : Le matin du samedi 9 janvier 1993, pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants, j’assistais avec les miens à une réunion pédagogique à l’école de Gabriel, notre fils aîné. Il avait cinq ans, l’âge d’Antoine Romand. Nous sommes allés ensuite déjeuner chez mes parents et Romand chez les siens, qu’il a tués après le repas. L’affaire Jean-Claude Romand Chronologie succincte > 11 février 1954 Naissance de Jean-Claude Romand à Lons-le-Saunier. > Juin 1971 Avec un an d’avance. Il obtient la note de 16/20 à l’épreuve de philosophie dont le sujet, pour le moins ironique au regard de son histoire, était " La Vérité existe-t-elle ? " > 1972 Il entame des études de médecine. > Septembre 1975 Jean-Claude Romand ne se présente pas à l’examen de rattrapage de deuxième année et se réinscrit huit ans de suite en deuxième année dans son école, avant d’affirmer qu’il a obtenu l’internat de Paris. > 1980 Il épouse Florence Crolet. > 1985 Naissance de sa fille Caroline. > 1987 Naissance de son fils Antoine. > 9 janvier 1993 Jean-Claude Romand tue sa femme Florence à l’aide d’un rouleau à pâtisserie, sa fille Caroline, 7 ans, et son fils Antoine, 5 ans, à l’aide d’une carabine. Le lendemain, il assassine ses parents et leur chien à leur domicile de Clairvaux-les-Lacs, et tente d’assassiner sa maîtresse, Chantal Delalande. De retour chez lui, où gisent les cadavres de sa famille, il asperge d’essence la maison, avale des barbituriques et déclenche un incendie. Mais le feu, qui éclate vers 4 heures du matin, alerte les éboueurs, ce qui permettra à Jean-Claude Romand d’être sauvé à temps par les pompiers. > 24 juin 1996 Ouverture du procès de Jean-Claude Romand à Bourg-en-Bresse. > 2 juillet 1996 Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. > 31 janvier 2000 Parution de l’Adversaire, roman d’Emmanuel Carrère chez P.O.L. Editeur Quand on vient vous dire que votre meilleur ami, l’homme le plus droit que vous connaissez a tué sa femme, ses enfants, ses parents et qu’en plus il vous mentait sur tout depuis des années, estce qu’il n’est pas normal de continuer à lui faire confiance, même contre des preuves accablantes ? Luc Vincent Berger dans L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherbœuf © DR Vous savez il est certainement facile de considérer Romand comme un monstre et ses amis comme une bande de bourgeois de province ridiculement naïfs quand on connaît la fin de l’histoire, mais avant, c’était différent. Ça a l’air idiot de dire ça, mais vous savez, c’était un type profondément gentil. Ça ne change rien à ce qu’il a fait, ça le rend encore plus terrible, mais il était gentil. Luc Ressources diverses Dossier Weblettres Dossier L’Adversaire avec des séquences à travailler en classe http://www.weblettres.net/ar/articles/15_143_381_denizotmercier.pdf Site Site documenté sur l’affaire http://jc.romand.free.fr/ Vidéos Emission "Faites entrer l’accusé" https://www.youtube.com/watch?v=DN7IGyNmp4I Documentaire "Le Roman d’un menteur" https://www.youtube.com/watch?v=flKjEPTJ7t0#t=16 Emission France Inter "Affaire Sensible - Six jours avec JeanClaude Romand" http://www.franceinter.fr/emission-affaires-sensibles-six-joursavec-jean-claude-romand Article d’Emmanuel Carrère dans Le Nouvel Observateur daté du 20 juin 1996 avant le début du procès le 24 juin 1996. écrire L’Adversaire Interview d’Emmanuel Carrère par Jean-Pierre Tison dans le Magazine LIRE publiée en Février 2000 à l’occasion de la sortie du roman. Dans quelles circonstances avez-vous décidé de consacrer un livre à cette affaire ? Emmanuel Carrère. J’avais lu cette histoire avec une espèce de sidération. J’ai su tout de suite que j’avais envie d’écrire quelque chose là-dessus. J’ai été tellement sidéré que j’ai même eu la tentation de me transformer en journaliste de fait divers, c’est-àdire de foncer sur place. A ce moment-là, il y avait pour moi un modèle. De sang-froid de Truman Capote ? E.C. Un livre que j’admire énormément. Quand il est tombé sur un fait divers analogue, Capote a quitté New York, a rejoint le lieu des crimes, le Kansas, deux jours après les faits et y est resté pendant plusieurs années. Moi, je n’ai pas bougé. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas l’information extérieure que je pouvais pêcher en faisant l’enquêteur. Cette affaire me travaillait à cause de la part d’imposture qui existe en nous et qui ne prend que très rarement des proportions aussi démesurées, tragiques, monstrueuses. Il y a, en chacun de nous, un décalage entre l’image qu’il donne, qu’il souhaite donner aux autres, et ce qu’il sait qu’il est lui-même, quand il se retourne dans son lit sans arriver à s’endormir. Le rapport entre ces deux hommes-là, c’était ce qui m’attirait. J’y voyais l’occasion d’en parler sous la forme de la tragédie, pas de la chronique intimiste. Sur le moment, je ne me disais pas cela de façon aussi précise et articulée. Je ne savais pas ce que je voulais faire. Mais ça me trottait dans la tête. Alors, j’ai fait un pas dont les conséquences ont été énormes pour la suite de ce livre. Un pas, c’est-à-dire ? E.C. Si je voulais m’attaquer à cette histoire, j’étais obligé de prendre contact avec Jean-Claude Romand. Je lui ai écrit une lettre qui m’a vraiment coûté beaucoup d’effort, de brouillons, et à laquelle il n’a pas répondu. Je m’étais dit que s’il ne me répondait pas, j’étais libre, je faisais ce que je voulais de cette histoire. Le temps passant, j’ai constaté que je ne recevais toujours rien. J’ai relancé son avocat par l’entremise de qui j’avais écrit. Il m’a envoyé paître tout bonnement. J’ai considéré que c’était une fin de non-recevoir. Je me suis orienté vers une forme très romanesque et librement inspirée. Je tournais autour d’une image qui était celle d’un homme qui marchait dans la neige. Une phrase m’avait aimanté dans l’un des articles de Libération, qui se terminait par : "Et il allait marcher seul dans les forêts du Jura." Pour moi, l’image centrale c’était ce type qui passait ses journées, années après années, à marcher dans les forêts. En fait, je crois qu’il passait beaucoup plus de temps à traîner dans les librairies, sur les autoroutes ou dans les cafétérias. A partir de cette image de l’homme qui marchait dans la forêt s’est construit quelque chose qui, tout à coup, est sorti un an après et qui devint un roman, La classe de neige. Vincent Berger ©DR " La classe de neige " n’est née d’aucun fait divers précis ? E.C. Aucun. Hélas, les histoires de crimes sur des enfants existent. C’était une espèce de brouet qui s’est fait tout seul. J’ai écrit ce livre très vite sans très bien savoir ce que je faisais, avec une part d’inconscient sans doute. Quand il a paru, je ne pensais plus du tout à l’affaire Romand. Et j’avais l’impression que ce qui m’avait intéressé dans ces crimes s’y trouvait. Donc c’était fini. Le livre a eu du succès. Et un jour j’ai reçu une lettre de Romand. Il avait lu le livre et, deux ans après ma propre lettre, il me répondait pour me dire que si j’étais toujours intéressé pour écrire sur son histoire, il était partant. Cela a été très perturbant, parce que je m’étais éloigné de cette histoire. J’ai répondu à Romand sans m’engager. Peu à peu, on a entretenu une correspondance. Je n’osais pas aborder l’affaire, j’avais l’impression que lui non plus. Il racontait sa vie en prison. Et puis il est venu à parler de sa foi. C’est clairement ce qui le soutient et qui donne sens - je ne sais pas lequel - à la seconde partie de sa vie. C’est aussi pour moi une des énigmes de ce livre. Il s’est mis à m’en parler assez librement. Petit à petit, l’envie d’écrire sur ce sujet m’est revenue. Il vous a demandé si vous étiez croyant vous-même ? E.C. Oui. Je lui ai répondu par l’affirmative, pas du tout hypocritement, mais dans une sorte d’incertitude totale. Je me sens agnostique, au sens le plus littéral du terme. Ce principe d’incertitude est pour moi une sorte de moteur dans la vie et même dans mes livres. On ne peut savoir quelle est la vérité. Kafka avait cette phrase magnifique: "Je suis très ignorant, la vérité n’en existe pas moins." Me rapprochant de lui et de son histoire, j’ai éprouvé un désir d’être un peu croyant. L’aviez-vous jamais été ? E.C. Disons que je m’étais beaucoup posé la question. J’ai lu beaucoup d’auteurs mystiques. Mais, à ce moment, j’ai eu une volonté d’être croyant, voire même chrétien, comme si c’était la seule façon d’approcher d’une telle monstruosité. Comme si vous étiez dans un tunnel, et que vous ne puissiez imaginer qu’il y ait au bout une petite lumière qui indiquerait une sortie. Il y a eu pour moi un minipari pascalien et une sorte de viatique pour approcher de ce drame. Vous n’avez jamais abordé l’affaire ? E.C. Je n’ai jamais pensé une seconde que Romand me dirait à moi, entre quatre yeux, ou m’écrirait des choses qui ne figureraient pas dans le dossier d’instruction. Il a été interrogé pendant deux cent cinquante heures. Son procès a duré une dizaine de jours d’une intensité sidérante. Toute l’information nécessaire s’y trouvait, il ne pouvait rien ajouter. J’ai toujours pensé que Romand essayait de dire la vérité sans dissimulation au juge d’instruction comme à la présidente du tribunal. Son problème était de se la dire à luimême. L’accès à sa propre vérité lui était impossible. Je n’avais pas l’impression qu’il pouvait exister une sorte de double fond que j’aurais fouillé en ayant sa confiance. Cela m’a été confirmé quand j’ai assisté au procès qui a été d’une grande tenue. J’ai été très frappé par la qualité humaine des chroniqueurs judiciaires. Dans ce procès, les faits étaient établis et avoués. Vu leur gravité, il était clair que la peine serait très lourde. L’enjeu était uniquement humain. On essayait de comprendre ce qui pouvait être compris. Presque tous les acteurs du procès - de l’accusé au juge en passant par les avocats, l’avocat général - s’y sont essayés. Avez-vous pris des notes pendant le procès ? E.C. J’ai rempli des carnets complets. Puis j’ai entamé un récit objectif. Mais j’avais des problèmes de points de vue. Je suis donc retourné sur les lieux. Je ne me suis pas livré à un énorme travail d’enquête comme l’avait fait Capote. J’ai rencontré un ami proche de Romand, que j’appelle Luc dans le livre, et j’ai essayé d’écrire de son point de vue. Il me paraissait presque obscène d’entrer dans le personnage de Romand. J’ai abordé le drame de biais en me posant la question: "Et si, un jour, mon meilleur ami apprenait que j’ai tué toute ma famille et que je lui ai menti, depuis toujours, que se passerait-il ?" Je tenais une voie. Finalement, ce qui occupe maintenant une quinzaine de pages au début du livre en faisait alors une cinquantaine. Coincé à nouveau, j’ai fait une pause. Travailler sur une telle histoire est éprouvant. Je me demandais ce qu’il y avait de tordu dans ma tête pour que je m’y intéresse tellement. Sur ce point, les réactions des lecteurs me rassurent en me prouvant que cela touche quelque chose d’universel et ne vient pas d’une fascination morbide personnelle. Vous aviez donc renoncé... E.C. Il s’est passé encore deux années pendant lesquelles j’ai continué à correspondre avec Romand, de façon plus sporadique. J’ai vraiment freiné des quatre fers pour ne pas écrire ce livre. Mais j’ai ressenti que si je ne l’écrivais pas, je n’écrirais plus rien d’autre. J’ai choisi alors une méthode plus minimaliste. Profil bas, n’essayons pas de faire un bel objet littéraire. Oublions Truman Capote et son roman symphonique de l’Amérique moderne. Faisons court avec le sérieux du journaliste de la façon la plus neutre possible. Mais cela coinçait encore. A l’automne 1998, j’ai enfin compris une chose d’une simplicité totale : je devais écrire à la première personne. Or, je n’ai jamais écrit à la première personne. "Je" m’est assez difficile. A partir du moment où le "je" est venu, dès la première phrase, le reste a suivi. Il y avait le travail antérieur - ces centaines de pages écrites. L’histoire, je l’avais prise par tous les bouts. J’ai reconstitué chronologiquement mon rapport avec cette histoire et j’ai écrit ce que je ressentais. Mais, pour moi, ce n’était pas un roman. Plutôt un récit ? E.C. Un rapport. Philip K. Dick disait - lui qui écrivait la sciencefiction la plus échevelée - que ses livres n’étaient pas vraiment des romans, mais des rapports. J’avais la même impression. En deux mois, je suis arrivé au bout de mon livre. Je l’ai apporté à mon éditeur qui en a programmé la publication pour le printemps dernier. Au début de l’année, j’ai paniqué, j’ai eu l’impression qu’il y avait en lui quelque chose de radioactif. J’ai retiré le livre à l’éditeur. A commencé une période de dépression. J’avais l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Il me semblait que j’avouais une fascination et une affinité absolument monstrueuses. Durant l’année, un travail intérieur s’est fait. J’ai compris que cette fascination, tout le monde l’éprouvait. Peu à peu, le sentiment de malaise et de culpabilité s’est dissipé. De la honte je suis passé à la fierté. Comme une victoire. Sept ans à ramer, pour arriver enfin à quelque chose qui a une valeur pour autrui. Comment est venu le choix du titre, L’Adversaire ? E.C. D’une lecture de la Bible qui était liée à mon interrogation religieuse. Dans la Bible, il y a ce qu’on appelle le satan, en hébreu. Ce n’est pas, comme Belzébuth ou Lucifer, un nom propre, mais un nom commun. La définition terminale du diable, c’est le menteur. Il va de soi que l’"adversaire" n’est pas Jean-Claude Romand. Mais j’ai l’impression que c’est à cet adversaire que lui, sous une forme paroxystique et atroce, a été confronté toute sa vie. Et c’est à lui que je me suis senti confronté pendant tout ce travail. Et que le lecteur, à son tour, est confronté. On peut aussi le considérer comme une instance psychique et non religieuse. C’est ce qui, en nous, ment. Pendant le procès, des journalistes présentaient Romand comme le "démon". Vous, vous voyez en lui un "damné" ? E.C. Oui, j’avais l’impression que l’adversaire, c’était ce qui était en lui et qui, à un moment, a bouffé et remplacé cet homme. J’ai l’impression que, dans cette arène psychique qui existe en lui, se déroule un combat perpétuel. Pour le pauvre bonhomme qu’est Jean-Claude Romand, toute la vie a été une défaite dans ce combat. A-t-il lu le livre ? E.C. Quand finalement j’ai pris la décision de le publier, je lui ai donné à lire les épreuves. Je lui avais expliqué que je ne lui accordais aucun droit de regard. Je les lui donnais par scrupule, mais c’était assez cruel parce qu’il ne pouvait rien changer. J’ai eu des échos de sa lecture par cette visiteuse de prison dont il est question dans le livre. Elle m’a dit qu’il était bouleversé. Mais ce qui le faisait souffrir, ce n’est pas tant de voir sa vie étalée - elle l’a été au procès - que ma position agnostique. Cette foi dont j’ai tâché de m’approcher au maximum, que j’ai essayé, presque, de partager. Contrairement à son attente, le livre n’explique pas "Voilà, Jean-Claude Romand a commis des crimes épouvantables et maintenant il est sur la voie de la Rédemption". Simplement, il donne voix aux deux points de vue. Celui de ses amis visiteurs de prison qui le voient comme quelqu’un qui vit une expérience spirituelle intense, et celui de la journaliste de Libération qui parle de la "dernière des saloperies" à propos de la faculté qu’a Romand de se réfugier dans la foi. Romand aurait aimé que je me rallie au premier jugement... Donc, vous ne tranchez pas... E.C. Dans les rapports sur Romand, un psychiatre disait, à propos de sa foi, qu’on ne pouvait être qu’agnostique. C’est mon point de vue. Il y a deux questions emboîtées. La première est celle de l’existence de Dieu. La seconde, si Dieu existe, est de savoir si c’est à Lui que Romand a affaire ou si c’est toujours à l’ "adversaire" qui prend le masque de Dieu ? C’est la question que je pose à la dernière page, et c’est le cœur du livre. A propos de cet adversaire, le lecteur pourrait vous prendre pour un héritier de Bernanos, de Julien Green, de tous ceux qui croient à la présence réelle du diable. E.C. A ça je ne crois pas. Mais tout de même, que quelque chose en nous soit ce qu’on appelait le diable, une telle histoire me paraît le prouver. Mais, la différence entre croire au diable comme incarnation réelle et y croire comme instance psychique existant en chacun ne me paraît pas si énorme. Sans doute parce que mon point de vue n’est pas religieux. Vous rappelez que, dans la famille de Romand, le mensonge était banni et qu’en même temps on lui apprenait à mentir pour ne pas faire de peine à sa maman. E.C. C’est une chose qui est apparue clairement pendant le procès. Ces pratiques de pieux mensonges étaient très troublantes. Il ne fallait pas faire de peine, pas se vanter. Il ne fallait jamais mentir et à chaque moment on vous enseignait à mentir. Cela paraît exagéré, la façon dont un petit mensonge de base produit cet engrenage qui dure dix-huit ans et aboutit au drame. Autre chose m’hypnotisait dans cette histoire. Quand on s’est aperçu qu’il menait une double vie, que l’autre "vie" était vide. C’est sur ce vide-là que j’avais envie d’écrire, sur ce qui pouvait tourner dans sa tête pendant les journées passées sur des parkings d’autoroute. J’ai essayé d’encadrer ce vide pour que le lecteur perçoive intimement ce que c’était que de vivre dans ce monde vide et blanc. Dans la littérature française, beaucoup de grands écrivains ont rapporté des faits divers, relaté des procès. Pour ce siècle, je pense à Gide, à Mauriac, à Jouhandeau. Mais votre livre n’est-il pas un "objet littéraire" d’un genre nouveau en France ? E.C. Je ne sais pas. Tous les romans s’inspirent de quelque chose. Le Rouge et le Noir ou Madame Bovary ont été inspirés par des faits divers. J’ai lu les livres de Gide dans la collection "Ne jugez pas" comme La séquestrée de Poitiers, que je trouve remarquables. Mais pour Gide, Mauriac et les autres, ces œuvres n’étaient pas centrales dans leur travail. Alors que, pour moi, c’est un investissement littéraire total. On comprend les difficultés morales, psychologiques que vous avez surmontées... Mais du point de vue littéraire ? E.C. J’ai veillé à ce que cela soit écrit le plus simplement possible. Il y a eu un travail constant de resserrement. Je crois que c’est le livre pour lequel j’ai eu le plus de jeux d’épreuves : quatre au lieu des deux habituels. Mon écriture tend au dépouillement. Les phrases doivent être conductrices d’électricité. Plus elles sont simples, plus le courant passe. Ce n’est pas une règle générale. Juste ma pratique personnelle. Les derniers mots du livre sont "crime" et "prière". "Prière" est aussi à prendre au sens non religieux ? E.C. La possibilité d’échapper à la culpabilité d’écrire cette histoire était d’imaginer une porte de sortie. Une rédemption. On n’est pas forcé de voir cela de façon religieuse, dogmatique, mais malgré tout, dès qu’il est question de rédemption et de prière, c’est religieux. Le récit raconte quelque chose qui est arrivé à un être humain et parle à d’autres êtres humains. Ce qui est frappant aussi, c’est l’incroyable légèreté de vivre qu’il semble avoir en prison, son idylle avec l’ancienne directrice d’école. La vie recommence fraîche et joyeuse. Les poèmes qu’il envoie à cette femme sont extraordinaires... E.C. C’est très troublant. Ce sont des choses à mettre à son crédit. Cela a été dit au procès, et fait partie de l’histoire. Pour sa défense, on peut dire qu’il a voulu tuer les siens pour leur épargner le malheur d’être pauvres, à la rue... E.C. Non, pas le malheur d’être pauvres. Il se figurait que savoir la vérité sur lui leur serait intolérable. Il préférait les savoir morts que de les savoir détruits par cette vérité. Et tout de même pauvres ! Tout l’argent des beaux-parents, des parents, avait été dépensé. A la rue, sans logis, sans rien. E.C. C’est tout ce qu’on appelle, en termes de taxinomie psychiatrique, les crimes altruistes. Il a tué les personnes qu’il aimait le plus au monde. Pour les protéger du malheur... E.C. Et de la vérité sur lui. Pour se protéger de leurs regards sur lui. Autre chose inouïe : il n’a pas eu à se cacher. Il n’a pas eu à monter des plans. Personne ne s’intéressait à lui au point de vérifier ses dires. E.C. Il n’y a effectivement pas eu de plan machiavélique. Tout s’est passé au jour le jour. Il était à la merci du premier coup de fil. Et, en dix-huit ans, ce coup de fil n’a jamais eu lieu. C’est sidérant. Dès sa jeunesse, il n’était vraiment nécessaire à personne. Il était là, on était heureux de le voir ; il n’était pas là, on se passait de lui. E.C. En même temps, il était très aimé de ses parents. C’est quand même une histoire de grande solitude, avant et après le drame. Jeune homme, il avait fait semblant d’être agressé, avec sa voiture, et il était rentré blessé pour avoir des choses à dire à sa bande de copains. E.C. Oui. Pour se rendre intéressant, comme on dit des enfants. Il avait des comportements très enfantins. Dans votre vie d’écrivain, quelle place maintenant tient ce livre à vos propres yeux ? E.C. J’ai la conviction que ce livre met fin à un cycle. Ma fascination pour la folie, la perte de l’identité, le mensonge, c’est fini. L’Adversaire est à la fois une espèce de pré- et de post-scriptum à La classe de neige. Pour moi, ce sont des livres jumeaux. L’un exploite l’imagination littéraire, l’autre l’exactitude du document. Je sais qu’autre chose va venir, je ne sais pas quand, je ne sais pas quoi. Je ne peux pas aller plus loin. Cela ne veut pas dire que je me mette à la comédie légère, mais je crois que je peux faire des livres plus ouverts, qui ne soient plus des livres d’enfermement. Mais je ne suis pas pressé. Emmanuel Carrère ©DR Bibliographie Werner Herzog, Edilig, 1982 L’Amie du jaguar, Flammarion, 1983 Bravoure, P.O.L., 1984 (Prix Passion, Prix littéraire de la Vocation) La Moustache, P.O.L., 1986 Le Détroit de Behring, P.O.L., 1986 (Grand prix de l’imaginaire) Hors d’atteinte, P.O.L., 1988 (Prix Kléber Haedens) Je suis vivant et vous êtes morts, P.O.L., 1993 La Classe de neige, P.O.L., 1995 (Prix Femina) L’Adversaire, P.O.L., 2000 Un roman russe, P.O.L., 2007 D’autres vies que la mienne, P.O.L., 2009 (Prix Marie-Claire du roman d’émotion, Prix des lecteurs de L’Express, Prix Crésus, Globe de Cristal) Limonov, P.O.L., 2011 (Prix Renaudot) Il est dangereux d’avoir où aller, P.O.L., 2016 Filmographie Emmanuel Carrère Né le 9 décembre 1957 à Paris, Emmanuel Carrère est le fils de Louis Édouard Carrère et de la soviétologue et académicienne Hélène Carrère d’Encausse. Petit-fils d’immigrés russes, ancien étudiant à Sciences-po, Emmanuel Carrère est d’abord critique de cinéma pour Positif et Télérama. Son premier livre Werner Herzog paraît en 1982. Il publie son premier roman L’Amie du jaguar en 1983. Le suivant, Bravoure, sort un an après chez P.O.L. éditeur à qui il confiera tous ses autres ouvrages par la suite. Il écrit les scénarios de Léon Morin, prêtre, Monsieur Ripois et Denis dans les années 1990. En 1998, il signe le scénario de La Classe de neige (adaptation de son roman éponyme d’ailleurs récompensé du prix Fémina en 1995) dont Claude Miller assure la réalisation. Fasciné par l’irruption du fantastique dans la réalité, il fait de l’affaire JeanClaude Romand l’un de ses plus célèbres ouvrages, L’Adversaire : il sera ensuite adapté au cinéma par Nicole Garcia en 2002. En 2003, il passe tout naturellement derrière la caméra et réalise Retour à Kotelnitch, ville russe qui est à la fois le lieu d’une enquête policière et d’une réflexion sur l’identité. Emmanuel Carrère se lance dans la fiction deux ans plus tard avec La Moustache, en tant qu’auteur, scénariste et réalisateur. 2007 et Un roman russe marquent le retour attendu à la littérature d’un auteur atypique. D’autres vies que la mienne, paru en 2009, souligne encore le succès de l’auteur, qui se voit décerner le prix Marie Claire du roman d’émotion, ainsi que le prix des Lecteurs de L’Express et le prix Crésus. Limonov sort en août 2011. Le 10 septembre 2014 Emmanuel Carrère reçoit pour son roman Le Royaume, le prix littéraire du Monde, crée en juin 2013 lors des Assises internationales du roman. Le romancier, qui a souvent été adapté au cinéma, fait parti du jury du 72ème festival de Venise. Son dernier livre Il est dangereux d’avoir où aller paraît en ce début d’année. Retour à Kotelnitch d’Emmanuel Carrère, 2003 La Moustache d’Emmanuel Carrère, 2005 Pour étudier le roman L’Adversaire, nous vous conseillons les éditions suivantes Edition Folio Edition Classico Lycée, édition augmentée Edition Scéren – Collection romans d’aujourd’hui lycée, édition plus approfondie Deux films ont été inspirés par L’Adversaire L’Emploi du temps de Laurent Cantet, 2001 L’Adversaire de Nicole Garcia, 2002 Frédéric Cherbœeuf ©DR Frédéric Cherbœuf Metteur en scène, coadaptateur, comédien Comédien, titulaire d’une maîtrise de Droit, formé à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Après des études menées simultanément en théâtre au Conservatoire de Rouen et en Lettres à l’université, Frédéric Cherbœuf intègre l’école du Théâtre National de Strasbourg où il rencontre Jean-Marie Villégier qui lui offre ses premiers rôles. Il collabore régulièrement avec Catherine Delattres, Adel Hakim, Elisabeth Chailloux, Jacques Osinski, Gilles Bouillon, Daniel Mesguich, Stuart Seide, Alain Bézu, Olivier Werner, Guy-Pierre Couleau, Serge Tranvouez, Volodia Serre et récemment, Bertrand Bossard. Une collaboration fidèle avec la Compagnie Eulalie et Sophie Lecarpentier le conduit à créer à ses côtés de nombreux spectacles. En 2008, il écrit avec elle Too Much Fight, qu’elle mettra en scène la même année. En janvier 2011, il adapte avec elle et joue sous sa direction Les 3 folles journées ou la Trilogie, d’après Beaumarchais, au TOP de Boulogne. C’est également la Compagnie Eulalie qui produira sa première mise en scène : Les Amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable de Hervé Le Tellier en 2011, au Lucernaire puis à Avignon. Il reçoit en 2012 le Prix d’Ecriture dramatique de la ville de Guérande pour On ne me pissera pas éternellement sur la gueule, coécrit avec Julie-Anne Roth. Ce texte recevra également les Encouragements du CNT en 2013. En 2013, il signe avec Guillaume Désanges le texte et la mise en scène de Marcel Duchamp, spectacle crée au Phénix de Valenciennes et repris au Centre Pompidou de Paris dans le cadre du Nouveau Festival. Ce spectacle est depuis joué à l’étranger : Vancouver, Miami, Prague. L’Adversaire sera sa troisième mise en scène et prolongera sa volonté de faire du jeu, de l’écriture et de la mise en scène un unique et même geste. Compagnie La Part de l’Ombre La Part de l’Ombre voit le jour en avril 2014. Sa création vient sceller une amitié et un compagnonnage artistique de presque vingt ans. Frédéric Cherbœuf et Vincent Berger se rencontrent au lycée de Rouen où ils fondent avec frère et amis une troupe de théâtre amateur. Ils partagent pendant ces années rouennaises la formation du Conservatoire régional et intègrent dans la même promotion l’école du Théâtre National de Strasbourg (groupe 29). Cet exil épanouissant scelle définitivement leur goût commun du travail et de l’exigence, mais également leur complicité ludique sur scène. En effet outre les longues soirées de discussions fondatrices, Strasbourg leur fournit un laboratoire du désir : le théâtre ce sera "ensemble". Depuis, ils mettent en pratique ce crédo avec la complicité de metteurs en scène qui s’inspirent de leur relation particulière. Pour ne citer qu’eux : Adel Hakim, Catherine Delattres, Jacques Osinski ou encore Bertrand Bossard. La création de L’Adversaire leur permet de mettre en place un outil de création, d’imaginer un foyer commun et de réaliser un rêve partagé ; ce sera La Part de l’Ombre. Cette nouvelle Compagnie est aussi l’occasion pour Frédéric Cherbœuf de diffuser deux spectacles déjà axés sur l’écriture contemporaine : Les Amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable, d’après le texte d’Hervé Le Tellier et Marcel Duchamp. Vincent Berger dans L’Adversaire - mise en scène Frédéric Cherboeuf ©DR Itinéraire : Chemin à suivre Itinéraire bis : Itinéraire de délestage qui double l’itinéraire principal Une ville coupée en deux, un homme aux deux visages, l’échappée belle de deux filles... Un, deux, trois itinéraire bis à emprunter pour le spectateur. Berliner Mauer : vestiges Que se passe-t-il de l’autre côté ? Que vivent ceux dont on a été séparés ? Ils sont quinze comédiens qui se sont rencontrés au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Ils ont choisi d’interroger l’un des événements les plus marquants de la seconde moitié du XXe siècle occidental : la chute du mur de Berlin. Réunissant documents d’archives, discours, extraits de films, chansons, improvisations, ils racontent une histoire en trois temps - union, désunion et réunion - selon un procédé scénique original : l’espace est bi-frontal, les spectateurs se trouvent séparés, le spectacle continue, différent mais simultané, de chaque côté du mur qui vient d’être érigé sur le plateau. L’Adversaire " Quand il faisait son entrée sur la scène domestique de sa vie, chacun pensait qu’il venait d’une autre scène où il tenait un autre rôle, celui de l’important qui court le monde… et qu’il le reprendrait en sortant. Mais il n’y avait pas d’autre scène, pas d’autre public devant qui jouer l’autre rôle. Dehors, il se retrouvait nu. Il retournait à l’absence, au vide, au blanc, qui n’étaient pas un accident de parcours mais l’unique expérience de sa vie. " Emmanuel Carrère Comment un homme a-t-il pu mentir à son entourage pendant tant d’années sans que celui-ci ne soit jamais alerté par le moindre faux pas de l’imposteur ? Pourquoi n’a-t-il pas trouvé d’autre issue que la mort des siens ? Aucun romancier n’aurait pu inventer une telle histoire sans être taxé d’invraisemblance. Et pourtant cela a eu lieu. Cette histoire, inédite et inouïe dans la grande Histoire de l’Humanité, a eu lieu. Diptyque Louise, elle est folle et Déplace le ciel Louise, elle est folle, c’est l’histoire de deux filles qui traversent la ville en se parlant de tout ce qui leur arrive. Déplace le ciel, c’est l’histoire de ces deux filles qui ont beaucoup bougé, qui aujourd’hui se demandent à quoi ça sert de bouger, de rêver, d’aimer... et pourtant le désir de découverte, de changement, de nouveau, est là. " L’interrogation sur les mots, sur le langage fait partie de la vie en démocratie. Le langage est le premier bien commun. La pratique du langage est une pratique du commun, de la vie en commun, et, ainsi, le langage est le premier menacé. Menacé sans arrêt, par toute remise en cause du commun, de la vie partagée, par tout ce qui vise à le figer, le rigidifier, l’appauvrir, le vider, par tout ce qui vise à en faire un pur instrument de communication, plat, uniforme, unilatéral, consensuel, à lui ôter sa dimension polysémique, et sa dimension d’adresse." Leslie Kaplan Réservations > 01 43 90 11 11 11h > 13h - 14h > 18h et les samedis en période de spectacle 15h > 18h > [email protected] > sur le site www.theatre-quartiers-ivry.com > par correspondance > auprès de nos billetteries partenaires Tarifs 22 g tarif plein 15 g retraités, personnes à mobilité réduite, abonnés des théâtres partenaires (hors Val-de-Marne) 13 g Ivryens, Val-de-Marnais, professionnels de la culture et de l’enseignement, abonnés des théâtres partenaires (Val-de-Marne) 10 g étudiants, moins de 30 ans, élèves des écoles de théâtre (hors Val-de-Marne), intermittents du spectacle, demandeurs d’emploi, abonnés du CREDAC 5 g scolaires ivryens, bénéficiaires du RSA, élèves de l’Atelier théâtral et des écoles de théâtre (Val-de-Marne) MARS - AVRIL 10 11 12 13 je 20h............. Berliner Mauer ve 20h............. Berliner Mauer sa 18h.............. Berliner Mauer di 16h.............. Berliner Mauer 15 16 17 18 19 20 ma 20h............. Berliner Mauer me 20h............. Berliner Mauer je 19h.............. Berliner Mauer ve 20h............. Berliner Mauer sa 18h.............. Berliner Mauer di 16h.............. Berliner Mauer 29 ma 30 me 31 je 1 ve 2 sa 3 di 5 6 7 8 20h............. L’Adversaire 20h............. L’Adversaire 19h.............. L’Adversaire 20h............. L’Adversaire 18h.............. L’Adversaire 16h.............. L’Adversaire ma 20h............. L’Adversaire me 20h............. L’Adversaire je 19h.............. L’Adversaire ve 20h............. L’Adversaire 12 ma 13 me 14 je 15 ve 16 sa 17 di 20h............. Louise et Déplace 20h............. Louise et Déplace 19h.............. Louise et Déplace 20h............. Louise et Déplace 18h.............. Louise et Déplace 16h.............. Louise et Déplace Comment venir ? Sortie place de la République Sortie rue Robespierre Studio Casanova 69 av Danielle Casanova à Ivry-sur-Seine Métro ligne 7 Mairie d’Ivry RER ligne C Ivry-sur-Seine à 10 minutes à pied. Bus lignes 125, 132, 182 et 323 Voiture Périphérique Porte d’Ivry direction Ivry centre ville, parking gratuit derrière la Mairie. 5 minutes de marche jusqu’au Studio Casanova.