désormais à ne pas se faire reconnaître du voisinage quand on
mendie ou pratique un métier public.
Alors que la discrétion absolue est de mise de nos jours,
que la parole est quasi interdite, celui qu’on nomme le SDF[8]
étale sa défaite sans pudeur, sa saleté, sa quotidienneté, son
humiliation. Il incarne en négatif ce qu’est devenue la rue comme
espace de circulation et de monstration silencieuse. Dans ce lieu
du regard latéral et furtif, le SDF est frontalement installé alors que
l’on passe; il tend la main d’en bas alors que l’on se tient debout.
En réinvestissant la rue dans son rôle d’échange, de sociabilité
même agressive, il nous interroge : sommes-nous encore des
êtres publics ? Que signifie cette parole qui ne peut plus
s’échanger, qui n’a plus de lieu sinon clos pour les associations ?
Les vendeurs de journaux : Macadam, Le Réverbère, La Rue[9]
sont nos mendiants-agresseurs et recréateurs du sens premier de
la rue. Ils s’adressent à chacun alors que nous sommes muets, ils
nous approchent alors que nous protégeons notre intimité. Les
films des années 30 nous montrent des vendeurs de journaux qui
hurlent les titres de la Une en passant tandis que les citadins
attendent, bavardent, s’arrêtent pour entendre et acheter. C’est
désormais l’inverse, nous sommes comme nos affiches, comme
nos bagnoles..... Nos Tee-shirts portent des slogans comme
faisaient les hommes sandwich.
- La rue comme lieu du spectacle et de la fête
Les artistes de rue, comme les vendeurs de journaux renouent
avec une conception dépassée de la vie civile.
Certains continuent une tradition : les géants du nord et
son avatar moderne , le gigantisme de Royal de Luxe, avec clins
d’œil au livre (le géant tombé du ciel), au cinéma (Peplum), les
clowns, les saltimbanques, les petits groupes à trois comme ceux
qui miment des animaux, chauve-souris des coins de porte[10] .
Ils ont transformé les manifestations politiques elles-mêmes qui
désormais déambulent comme s’il s’agissait d’un carnaval,
renouant ainsi avec la tradition du monde à l’envers, faisant de la
rue le théâtre du jeu dramatisé pouvoir/contre-pouvoir.
La biographie d’un des dirigeants de D.A.L.[11] est
particulièrement intéressante. Chanteur de rue avec un
compagnon et un limonaire, des années durant sur le pont qui relie
Notre Dame à l’Ile St Louis, tous les dimanches il a ameuté grâce
à sa fière allure et une belle voix toutes les vieilles dames de ce
quartier anciennement populaire. Devenu Président du D.A.L., il a
fait des manifestations de rue un déploiement de rhétorique