sorte, ne pouvaient être considérées par personne comme un appoint sérieux et iraient en
s’amenuisant sans cesse à mesure que le temps passerait et que les chocs préliminaires
se multiplieraient dans l’Empire et aux approches de la métropole.
Le mérite de ceux qui décidèrent de faire de la collaboration plus ou moins ser-
rée avec l’Allemagne fut égal en cela contre Vichy à celui des autres collaborationnistes
qui avaient résolu de travailler avec l’Angleterre ou avec l’Amérique. Les uns et les
autres comprenaient qu’une intervention autonome de la France dans la suite du conflit
était impossible et qu’on ne pouvait chercher des garanties que morales dans une sou-
mission décidée et constante à l’un ou l’autre camp. Mais les collaborationnistes avec
l’Allemagne trouvaient dans leur politique un avantage pour la France que n’y trou-
vaient pas les autres, à savoir qu’étant en France, s’ils pouvaient mettre la main sur le
gouvernement de Vichy, ils disposeraient avec un peu d’habilité de l’armée, de la
marine, de la partie la plus importante de l’Empire et qu’ils pourraient mettre tout cela à
l’abri sous la sauvegarde d’une entente avec l’Allemagne.
Empire, armée, marine isolés par l’attentisme étaient voués à une lente ou rapide
consomption. Placés franchement dans l’un des camps, ils pouvaient être sauvés pour
des jours meilleurs : c’était la justification profonde d’une politique de collaboration qui
aurait été menée par une équipe homogène et dépouillée. On a essayé à la fin de 1940
et au commencement de 1941 de constituer cette équipe entre Vichy et Paris, en dehors
de l’attentisme et en dehors du collaborationnisme sportulaire et on y a échoué. Ce
qu’on a appelé « la bande Worms » (1) n’a pas eu de chefs et n’a pas su vraiment jeter
son va-tout. Elle n’a pu s’insérer que timidement et fragmentairement dans l’appareil
de Vichy et elle n’a pas su annuler ni les préventions des Allemands ni les préventions
de Vichy. Elle ne sut pas dominer les arrière-pensées de Vichy, bien au contraire. Son
échec décisif se produisit au printemps 1941 dans un conseil de cabinet où Pierre
Pucheu qui avait le plus de poids dans l’équipe décida le gouvernement de l’Amiral
Darlan à refuser aux Allemands l’accès du port de Bizerte. Ce jour-là, il fut avéré que
cette équipe ne se distinguait pas de Vichy et laissait passer sa chance.
Dès lors tout ce qui avait été pressenti par les ultras du gaullisme aussi bien que
du collaborationnisme se développa selon une progression terrible. D’abord l’Empire
se désagrégea. L’Indochine avait déjà été ramassée par les Japonais, les colonies du
Pacifique et de l’Atlantique par les Anglo-Saxons. Ce fut le tour ensuite de la Syrie,
puis de Madagascar. D’un autre côté, la révolution nationale échouait définitivement à
Vichy dans un attentisme social qui valait l’attentisme politique, sous le couvert d’une
multitude de lois et de règlements qu’aucun parti pris décisif n’animait. Nous allions à
pleines voiles vers les destructions finales, comme en 1939-1940 vers les premières des-
tructions.
Mais il y avait quelque chose de beaucoup plus grave au fond de la politique de
Vichy et qui impliquait non plus seulement la responsabilité de la France vis-à-vis
d’elle-même, mais de la France vis-à-vis de l’Europe. Les hommes de Vichy formés
par les vieux manuels d’histoire diplomatique et d’histoire militaire ne concevaient
notre politique qu’en fonction du seul conflit entre l’Allemagne et les Anglo-Saxons,
qui pourtant depuis le Congrès de Berlin de 1878 n’était qu’une partie du drame euro-
péen. Ils ne voyaient qu’une moitié de l’horizon. La véritable éventualité était encore