Nouveau concept Comment les hormones glycoprotéiques hypophysaires franchissent la barrière endothéliale pour atteindre leurs cellules cibles N. Ghinea* ✎ La famille des hormones glycoprotéiques hypophysaires regroupe l’hormone lutéinique (LH), l’hormone folliculostimulante (FSH) et la thyréostimuline (TSH). Avec la choriogonadotropine (CG), elles forment un ensemble de glycoprotéines homologues. Ces hormones agissent via des récepteurs membranaires spécifiques : LH-r (pour la LH et la CG), FSH-r (pour la FSH) et TSH-r (pour la TSH). ✎ Les récepteurs LH-r, FSH-r et TSH-r constituent un sous-groupe au sein de la grande famille des récepteurs liés aux protéines G. Couplés à la protéine G s α , les récepteurs des hormones glycoprotéiques hypophysaires stimulent l’adénylate-cyclase. Les mêmes récepteurs peuvent également stimuler la phospholipase C, mais à forte concentration d’hormone. ✎ La LH et la FSH ont un rôle majeur dans la production et sécrétion des hormones stéroïdes et dans la production des gamètes. Leurs organes cibles sont les gonades. La TSH, quant à elle, a comme cible la thyroïde. Elle contrôle la synthèse et la libération des hormones T3 et T4 et maintient le phénotype différencié du thyrocyte. ✎ Les hormones glycoprotéiques hypophysaires sont sécrétées, de manière pulsatile, à des concentrations relativement faibles dans le sang. De plus, un maximum d’activité hormonale nécessite la disparition rapide de ces hormones de la circulation. ✎ Pour atteindre leurs cellules cibles, les hormones glycoprotéiques hypophysaires doivent franchir rapidement et spécifiquement la barrière endothéliale située au niveau des microvaisseaux des organes cibles. ✎ L’endothélium microvasculaire des organes cibles exprime des récepteurs aux hormones glycoprotéiques hypophysaires. Ces récepteurs, identiques à ceux des cellules cibles, sont impliqués dans le passage transendothélial (transcytose) de l’hormone. ✎ La transcytose par l’intermédiaire de récepteurs aux hormones glycoprotéiques hypophysaires se fait par le biais des puits et des vésicules recouverts de clathrine, ce qui constitue un mécanisme de transport complètement différent de celui des protéines sériques, présentes, elles, en grande concentration dans le sang. Ce type de mécanisme de transport n’est pas observé dans des organes non cibles. ✎ Les cellules endothéliales expriment également des récepteurs spécifiques pour d’autres hormones peptidiques et protéiques. La transcytose d'hormone peut donc constituer un niveau de régulation hormonale. ✎ Les mécanismes moléculaires (motifs d'internalisation, signaux d'adressage vers les pôles de l’endothélium, les protéines associées) impliqués dans le transport transendothélial par l’intermédiaire de récepteurs aux hormones peptidiques/protéiques restent à définir. ’ hormone lutéinique (LH), l’hormone Lmuline folliculostimulante (FSH) et la thyréosti(TSH) sont des éléments clés du système endocrinien hypothalamo-hypophysaire. Avec la choriogonadotropine (CG) placentaire, elles forment la famille des hormones glycoprotéiques. Ces hormones sont des hétérodimères formés de sous-unités α et β, unies entre elles par des ponts disulfures. La sous-unité α est identique pour toutes ces hormones, porte la spécificité d’espèce et a un poids moléculaire de 22 kDa. La sousunité β est, quant à elle, responsable de la spécificité hormonale et a un poids moléculaire de 18-22 kDa. Les hormones glycoprotéiques hypophysaires agissent via des récepteurs membranaires. Les récepteurs de la LH et CG (LH-r), de la FSH (FSH-r) et de la TSH (TSH-r) sont tous trois des récepteurs couplés aux protéines G. Les fortes homologies de séquence entre ces récepteurs définissent la famille des récepteurs aux hormones glycoprotéiques (1-3). Ces récepteurs possèdent : – un domaine N-terminal volumineux qui constitue le domaine de liaison de l’hormone ; – un domaine transmembranaire qui traverse sept fois la membrane où l’homologie entre ces récepteurs est la plus grande (environ 70 %) ; – un domaine C-terminal intracellulaire riche en acides amines phosphorylables (tyrosine, sérine et thréonine). Les récepteurs aux hormones glycoprotéiques hypophysaires sont couplés à la protéine Gsα, donc ils stimulent l'adénylatecyclase. À forte concentration d’hormones, ils peuvent également lier la protéine Gq/11 et stimuler la phospholipase C. Les tissus cibles des gonadotrophines (LH, FSH) LH et FSH jouent en association un rôle majeur dans la sécrétion des hormones stéroïdes, d’une part, et dans la production des gamètes, d’autre part. Leurs cibles principales sont les gonades (1, 4, 5). *INSERM U135 “Hormones, gènes et reproduction”, hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre. 128 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 3, mai-juin 2002 Nouveau concept Chez la femme, classiquement, la LH se lie au LH-r localisé sur la membrane plasmique des cellules de la thèque. Elle contrôle la sécrétion d’estradiol dans la première partie du cycle. La FSH se lie au FSH-r localisé sur la membrane des cellules de la granulosa. Elle contrôle la folliculogenèse. En seconde partie du cycle, les cellules de la granulosa du follicule sélectionnées se lutéinisent, le récepteur de la LH y est exprimé et sa stimulation active la stéroïdogenèse et la production de progestérone. Chez l’homme, la LH agit sur son récepteur exprimé à la surface des cellules de Leydig. L’activation du récepteur LH-r aboutit à la production de testostérone. La FSH agit sur les cellules de Sertoli et joue un rôle majeur dans la régulation de la spermatogenèse. Les tissus cibles de la TSH La TSH est souvent définie comme le principal agent régulateur de la thyroïde. Elle contrôle la principale fonction thyroïdienne (synthèse et libération des hormones T3 et T4) et maintient le phénotype différencié du thyrocyte (synthèse de la thyroglobuline, de la thyréoperoxydase et de la pompe à iodure). La présence du TSH-r ou de son ARNm a également été mise en évidence dans des tissus non thyroïdiens très variés. Ainsi, on a pu détecter par PCR, l’ARNm du TSH-r dans le tissu rétro-orbital, des lymphocytes circulants, des cardiomyocytes, dans le rein, les glandes surrénales et le thymus (7). La présence de la protéine a été confirmée par immunocytochimie. Deux processus séparés sont impliqués dans le mécanisme d'action des hormones glycoprotéiques hypophysaires : ◗ ces hormones doivent impérativement émigrer de l'espace vasculaire vers le fluide interstitiel où résident leurs cellules cibles ; ◗ successivement, elles doivent se lier à leurs récepteurs spécifiques et initier une cascade d'événements intracellulaires. Si la synthèse, la sécrétion dans l’espace vasculaire et les interactions des hormones glycoprotéiques hypophysaires ont été amplement étudiées (1, 4-6), les étapes intermédiaires comme, par exemple, le passage à travers l’endothélium vasculaire, sont mal connues. Ce dernier constitue une barrière majeure pour les échanges des macromolécules entre le sang et les organes ou les tissus (8). Nécessité d’un transport transendothélial spécifique pour les hormones protéiques Les échanges des substances (métabolites, hormones, nutriments) entre le sang et les tissus ont lieu au niveau des capillaires et des veinules. La paroi de ces microvaisseaux est réduite à l’endothélium vasculaire. Situées entre deux fluides différents – le plasma et le fluide interstitiel –, les cellules endothéliales sont polarisées. Leur surface luminale est continuellement exposée aux cellules sanguines et au plasma. La surface opposée (surface tissulaire ou abluminale) est arrosée par le fluide interstitiel. L’endothélium vasculaire est séparé des tissus par une lame basale que les cellules endothéliales produisent elles-mêmes. Les cellules endothéliales sont unies les unes aux autres par des jonctions étanches bien développées, de façon à former la barrière sang/tissus. Cette barrière empêche le passage de macromolécules hydrosolubles du sang dans les tissus. Pour traverser cette barrière, les protéines sériques (présentes en grande concentration dans le plasma) utilisent un mécanisme de transport non spécifique (9) : la diffusion en phase fluide par l'intermédiaire des vésicules plasmalemmales (figure 1). Néanmoins, ce mécanisme est trop lent comparé à l’action rapide des hormones protéiques qui sont, de plus, présentes en très faible concentration dans le plasma. D’autres mécanismes doivent donc être impliqués dans le transport transendothélial (transcytose) des hormones protéiques. Figure 1. Transport transendothélial des protéines sériques : micrographie électronique illustrant le passage de l’immunoglobuline G couplée à l'or colloïdal de 5 nm. Pour traverser la barrière endothéliale, les protéines sériques, comme par exemple les immunoglobulines, présentes en grande concentration dans le plasma, utilisent un mécanisme de transport non spécifique, en phase fluide, par l’intermédiaire des vésicules lisses. bl : lame basale, cp : puit recouvert de clathrine, END : endothélium capillaire, is : espace interstitiel, L : lumière du capillaire, va : vésicule lisse abluminale, vl : vésicule lisse luminale. 129 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 3, mai-juin 2002 Nouveau concept L’endothélium vasculaire exprime des récepteurs spécifiques aux hormones protéiques incluant les hormones glycoprotéiques hypophysaires Les résultats des expériences, effectuées dans différents laboratoires (dont le nôtre) au cours des 20 dernières années, ont montré que l’endothélium vasculaire exprime des récepteurs pour plusieurs hormones protéiques telles que : l’insuline, le glucagon, la vasopressine, l’ocytocine, l’angiotensine II, la leptine, la prolactine, la calcitonine et les gonadotrophines (10, 11). Parmi ces hormones, certaines sont à la fois endocytosées et transcytosées. C’est le cas de l’insuline (12). D’autres hormones comme, par exemple, la leptine (13) et l’hCG (14), traversent la barrière endothéliale sans dégradation apparente. Un transport unidirectionnel de la lumière des vaisseaux vers le pôle tissulaire a été rapporté pour la grande majorité des hormones protéiques. Un transport du pôle tissulaire vers la lumière des vaisseaux a été décrit pour l'interleukine-8 (15). À l’exception des gonadotrophines, dont nous reparlerons, les organites impliqués dans la transcytose par l’intermédiaire de récepteurs aux hormones protéiques sont inconnus. Les mécanismes moléculaires impliqués dans ce transport transendothélial (motifs d’internalisation, signaux d’adressage vers les deux pôles de l’endothélium et les protéines associées aux récepteurs) restent, eux aussi, inconnus. Transcytose des gonadotrophines : organites et mécanismes impliqués Pour atteindre leurs cellules cibles, les gonadotrophines doivent traverser la barrière vasculaire des gonades (figure 2). Leur concentration dans le sérum est faible et Figure 2. Micrographie électronique illustrant la barrière sang-testicule et les cellules cibles des gonadotrophines. ei : espace interstitiel end : endothélium capillaire L : lumière du capillaire LC : cellules de Leydig (cibles de la LH) SC : cellules de Sertoli (cibles de la FSH) varie de manière pulsatile (11). De plus, les gonadotrophines contenant de la N-acétylgalactosamine-sulfatée seraient rapidement captées par les cellules non parenchymateuses du foie (le récepteur impliqué étant distinct des systèmes classiques) (16). Par ailleurs, un maximum d'activité hormonale nécessite la disparition rapide des gonadotrophines de la circulation. Donc, pour ces hormones, un transport transendothélial rapide et spécifique est indispensable. Nous avons étudié par microscopie électronique ce mécanisme (14). Le transfert de l’hormone radioactive a également été analysé. Des expériences in situ, en perfusant des testicules de rat avec de l’or colloïdal (visible en microscopie électronique) couplé a l’hCG, nous ont permis de démontrer l’interaction de l’hormone avec un composant de la surface endothéliale. Nous avons identifié ce composant par immunocytochimie ultrastructurale et par immunochimie comme étant le récepteur de la LH. La transcytose de l'hCG a lieu en plusieurs étapes : 1. liaison de l’hormone aux récepteurs spécifiques localisés sur la surface luminale des cellules endothéliales (artérioles, capillaires, veinules) ; 2. concentration des complexes hormonerécepteur (H-r) dans les puits recouverts de clathrine ; 3. l’internalisation et le transfert du complexe H-r par le biais des vésicules recouvertes de clathrine au niveau des endosomes ; 4. transport du complexe H-r vers le pôle tissulaire via les vésicules lisses bourgeonnant à partir des endosomes ; fusion de ces vésicules avec la membrane plasmique abluminale ; 5. dissociation du complexe H-r et relargage de l’hormone dans l’espace interstitiel. Nous avons récemment mis en évidence une voie similaire de transcytose pour la FSH (N. Ghinea, manuscrit soumis pour publication). L’hormone et son récepteur suivent le même trafic transendothélial Pour suivre sur les mêmes coupes les voies de transcytose de l'hormone et de son récepteur, nous avons effectué des expériences de double marquage. Des anticorps monoclonaux dirigés contre le récepteur de la LH et couplés à l’or colloïdal de 5 nm ont été utilisés comme marqueurs directs du récepteur LH-r. Ils se fixent sur le domaine extracellulaire du récepteur et n’interfèrent pas avec la liaison de l’hormone et l’activation de l’adénylate-cyclase. Par contre, le devenir de l’hormone a été suivi en couplant l’hCG à l’or colloïdal de 15 nm. En perfusant un mélange de hCG-Au15 nm et LH-r729-Au 5 nm nous avons observé une colocalisation des deux traceurs dans les puits recouverts de 130 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 3, mai-juin 2002 Nouveau concept clathrine (figure 3A), les vésicules recouvertes de clathrine (figure 3B), les endosomes (figure 3C) et les vésicules lisses voisines du pôle tissulaire (figure 3D). Les deux marqueurs ont été libérés dans l’espace interstitiel (figure 3E). La spécificité de la transcytose de l’hCG par l’intermédiaire de récepteurs de la LH Ce mécanisme de transcytose est spécifique : le transport transendothélial des traceurs (hCG-or colloïdal, 125I-hCG) est saturable car il est inhibé par des concentrations croissantes d'hormones non marquées. Il est également dépendant d’énergie. Ce type de transport est tissu-spécifique : il n’a pas été observé dans des organes non cibles (graisse épididymaire, cœur, poumon, diaphragme). Conclusion Les hormones glycoprotéiques hypophysaires sont sécrétées de manière pulsée en faibles concentrations dans le sang. Leur disparition rapide de la circulation sanguine est nécessaire pour atteindre un maximum d’activité hormonale. En conséquence, un transport transendothélial rapide et spécifique est indispensable. Les études immunocytochimiques et immunochimiques montrent qu’au niveau des organes cibles (et pas dans les organes non cibles), les cellules endothéliales des microvaisseaux expriment des récepteurs aux hormones glycoprotéiques hypophysaires. Ces récepteurs, identiques à ceux des cellules cibles, lient, concentrent et aident les hormones à traverser rapidement la barrière endothéliale. La littérature suggère que ce type de transport transendothélial (transcytose), par l’intermédiaire de récepteurs, pourrait avoir une portée relativement générale pour les hormones peptidiques et protéiques. La trans- Figure 3 (A, B, C, D et E). Comparaison des voies de transcytose de l’hCG et du récepteur de la LH dans l’endothélium capillaire de testicule du rat. Expérience de double marquage avec hCG-Au15 nm et LHR729-Au5 nm. Les deux traceurs marquent les mêmes organites cellulaires suggérant des voies communes de transcytose pour l'hormone et le récepteur (flèches). Cp : puit recouvert de clathrine, cv : vésicule recouverte de clathrine, ei : espace interstitiel, etv : endosomes tubulo-vésiculaires, L : lumière du capillaire, mp : membrane plasmique, V : vésicule lisse. cytose d’hormone peut donc constituer un niveau de régulation hormonale. L’analyse de ce mécanisme de transcytose au niveau moléculaire (motifs d’internalisation, signaux d’adressage vers le front tissulaire, protéines associées) est une priorité. 131 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 3, mai-juin 2002 Nouveau concept Les mécanismes du trafic cellulaire des hormones protéiques, une fois établis, devraient nous permettre d’envisager des applications dans les domaines du ciblage des médicaments et de la thérapie génique. En effet, ce type d’expériences nécessite l’utilisation de vecteurs capables de délivrer l’agent thérapeutique d’une manière efficace et sélective au niveau des organes malades. Ce pourrait être le cas avec les hormones peptidiques et les anticorps monoclonaux dirigés contre leurs récepteurs. Références 1. Simoni M, Gromoll J, Nieschlag E. The follicle-stimulating hormone receptor : biochemistry, molecular biology, physiology, and pathophysiology. Endocrine Rev 1997 ; 18 : 739-73. 2. Dufau ML. The luteinizing hormone receptor. Annu Rev Physiol 1998 ; 60 : 461-96. 3. Rapoport B, Chazenbalk GD, Jaume JC, McLachlan SM. The thyrotropin hormone receptor : interaction with TSH and autoantibodies. Endocrine Rev 1998 ; 19 : 673-716. 4. Themmen APN, Huhtaniemi IT. Mutations of gonadotropins and gonadotropin receptors : elucidating the physiology and pathophysiology of pituitary-gonadal function. Endocrine Rev 2000 ; 21 : 551-83. 5. Howles CM. Role of LH and FSH in ovarian function. 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