AUBRY-LE-PANTHOU Pendant l`occupation allemande

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AUBRY-LE-PANTHOU
Pendant l’occupation allemande
GUERRE 1939-1945
Le Traité qui suivit la guerre de 1914-18 n’apporta pas dans les esprits la confiance en une paix
durable que l’on en attendait : chacun avait le pressentiment que, tôt ou tard, il faudrait subir un
nouveau conflit dû à l’imperfection de cet acte diplomatique. Aussi, ceux qui avaient été les héros
de cette guerre, ne voyaient-ils pas sans crainte l’avenir de leurs enfants !
Lorsque le tocsin sonna le 2 septembre 1939 et que les affiches apposées en hâte annoncèrent la
mobilisation suivant les déclarations de guerre faites à l’Allemagne par l’Angleterre et la France, il
fallut bien se rendre à l’évidence et se préparer à partir. Le départ des hommes ne manqua pas
d’élan, chacun voulant faire son devoir et en finir une bonne fois avec ce belliqueux voisin d’OutreRhin !
Les armées ennemies ayant pris place en face l’une de l’autre sur la frontière, l’on crut à une
nouvelle guerre de position. Il n’en était rien, ce ne fut que la préparation à une guerre de
mouvement. Au printemps de 1940, les Allemands entrèrent en Belgique où ils rencontrèrent les
armées belges et françaises, trop faibles pour arrêter leur poussée. Après de rudes combats,
rapidement dans le Sud de la France après avoir laisser prisonnière une partie de son objectif.
L’armistice signée le 22 juin arrêta cette retraite. Ceci exposé en quelques mots, nous passerons
en revue maintenant la situation de notre commune pendant presque six années de guerre.
Dans les débuts de juin 1940, plusieurs, batteries française d’artillerie à cheval, sans canons,
bivouaquèrent dans la Sapaie d’Osmond. Ils la quittèrent peu avant l’arrivée des Allemands et se
dirigèrent vers Sées. C’est tout ce que notre commune vit de l’armée française.
Le vendredi 14 juin 1940, les troupes allemandes avaient franchi la Seine en plusieurs endroits
entre Rouen et Paris, et s’avançaient vers notre région. A 16 heures et quart, un avion allemand
lança deux bombes sur le carrefour de la Fauvetière à Vimoutiers, sans l’atteindre. Ce fut le signal
de départ en exode pour beaucoup de familles.
Le dimanche 16 juin, le Conseil municipal d’Aubry-Le-Panthou s’était réuni à la Mairie dans la
matinée, mais le bruit de la canonnade du combat de Gacé troublant sa réunion et l’artillerie
allemande prenant position aux Burets, la séance fut levée sans hésitation. Gacé, prise entre les
troupes allemandes et françaises, fut sérieusement endommagée par les combats d’artillerie.
Le mardi 18 juin 1940, à 8 heures du matin, seize officiers et cent cinquante soldats environ, avec
motocyclettes et voitures, occupèrent le château d’Osmond et partirent le lendemain, à 10 heures
du matin.
Pendant la journée du 19 juin, de nombreuse motocyclettes et voiture allemandes sillonnèrent
nos routes sans arrêt, marquant ainsi l’emprise totale de notre région. Le jeudi 20 juin, à midi, un
général, trente-deux officiers et trois cents soldats occupèrent de nouveau le château d’Osmond
et partirent le lendemain, seul, le général resta jusqu’au 2 juillet.
Beaucoup de personnes épouvantées par le combat de Gacé et craignant que les mouvements de
troupes ne provoquassent de nouveaux combats, partirent en hâte vers le sud abandonnant
maison, emportant seulement avec elles leurs objets les plus précieux. Il importait d’arrêter cet
exode qui aurait pu être désastreux pour notre commune s’il s’était généralisé. A cet effet, dans
l’après-midi du 19 juin, le Maire accompagné de M. Bruneaux, conseiller municipal, fit une
tournée dans toute la commune, encourageant ceux qui étaient restés chez eux et envisageant
aussi les mesures à prendre pour la sauvegarde des biens de ceux qui étaient partis. Cette panique
ne dura pas très longtemps et voyant que les Allemands ne faisaient de mal à personne, quelquesuns ne tardèrent pas à rentrer ; les autres les suivront de semaine en semaine.
Le 22 juin 1940, dans la matinée, un fort détachement motorisé, accompagné d’officiers en
voiture, monta la route de Saint-Denis ; dans l’après-midi huit avions allemands protégeant les
troupes se déplaçant vers le Sud-ouest, survolèrent notre commune. Ce furent les premiers avions
qui apparurent dans notre ciel et malheureusement pas les derniers, car pendant cinq ans des
milliers d’autres de tous genres, suivront leur sillage.
C’est le 24 juin 1940, que fut signé l’armistice avec l’Italie, mettant fin aux derniers combats. Des
réfugiées, mis en confiance, reprirent les routes du Nord, rentrant à pied chez eux. Et l’on vit de
nouveau de pauvres gens voyageant, à pied, portant de lourdes valises ou poussant des véhicules
à bras de tous genres, chargés de bagages de toutes sortes, quelquefois même, de jeunes enfants
ou de vieillards extenués ! Ces convois inspiraient la compassion et trouvaient assez facilement sur
leur route le ravitaillement qui leur était nécessaire.
Les journées de 24, 25 et 26 juin 1940 furent calmes. Le passage des troupes se ralentit beaucoup
en même temps qu’augmentait celui des réfugiés.
Le 27 juin, une grande canonnade se fit entendre dans la direction du Nord-Ouest ; de nombreux
avions allemands prirent cette direction.
Du 29 juin au 2 juillet 1940, l’on entendit de fréquent bombardement vers le Nord. Le Havre,
paraît-il, en était l’enjeu. Un matériel de guerre imposant, passant par Vimoutiers, allait dans cette
direction. Le mois de juillet resta assez calme, mais une grande activité d’avions se fit remarquer
journellement dans toutes les directions.
Le mois d’août débuta par la même activité et le 5 août deux cents avions protégèrent des troupes
passant à La Bruyère-Fresnay et se dirigeant vers le Nord. Le 6 août, une école de Cadets s’installa
au château d’Osmond et n’y resta que peu de temps. Un phare tournant, installé dans la direction
de Gacé, fonctionna chaque nuit jusqu’au 15 août, balayant le ciel de ses grands rayons lumineux.
Le 17 août, un avion en difficultés mécaniques, se délesta de deux bombes dans une cour du
Bocage, à Roiville, sans causer de grands dégâts.
Du 28 août au 5 septembre 1940, le château d’Osmond fut occupé par un poste de quatre soldats
allemands, radio-télégraphistes de l’aviation, chargés d’opérations de repérage d’avions. Le 6
septembre, une avant-garde de soixante-cinq soldats arriva au château. Leur nombre augmenta
rapidement ; le 10 octobre, ils étaient deux cent dix, toujours employés à la radio. (Ils quittèrent
Osmond, le 27 octobre, à neuf heures du matin.) L’activité de l’aviation, qui s’était ralentie les
jours précédents, reprit de nouveau, surtout pendant la nuit.
Le lendemain, 28 octobre 1940, le château reçut, à 10 heures du matin, une dizaine d’hommes et
cinq camions de la Formation L 22606. Le 16 août, un nouveau contingent de cent dix hommes vint
renforcer le premier. Pendant ce temps, l’arrivée à Osmond de soldats allemands augmentait
graduellement, si bien qu’à leur départ, les 5 et 11 mars 1941, ils étaient trois cents. Le château,
devenu vacant, fut mis sous la surveillance des Allemands de Gacé qui venaient le visiter
journellement. Il restera réquisitionné, à cause du mobilier allemand qu’il renfermait, jusqu’au 1er
novembre 1943, jour de son enlèvement par une Formation cantonnée à Argentan. Les Allemands
ne reparaîtront pas dans notre commune pendant plus d’un an.
Entre temps, les Allemands, cantonnés au château d’Osmond, avaient fait construire dix-neuf
garages, destinés à remiser leurs voitures et deux ateliers de réparations dans l’herbage situé en
face l’entrée de la Sapaie du château. Leur construction, commencée en septembre 1940, se
poursuivait rapidement quand cinq d’entre eux furent culbutés par une tempête. Ces
constructions, avaient coûté plus de 500.000 francs, furent démolies par les soldats allemands ; le
23 mai 1944, il n’en restait plus, alors que quelques charpentes qu’une nouvelle tempête abattit
fin novembre 1944. Une ligne électrique, prenant son courant à Survie, fut construite le 15
décembre 1940 et mise en service le 22 décembre suivant, uniquement pour les besoins de
l’armée allemande. Cette ligne, admirablement bien placée au centre de la commune, servira
ultérieurement à son électrification.
Le 15 janvier 1941, vers 8 heures du soir, des bombardements intenses, comme l’on n’en avait pas
entendu depuis plusieurs mois, se firent entendre dans direction du Nord-Ouest, suivis d’une
nouvelle activité d’avions.
Le 6 août 1942, le Conseil municipal se réunit à la Mairie, sur l’ordre du Préfet, à l’effet
d’organiser, dans notre commune, un poste de guet contre les parachutistes anglais dont
quelques-uns avaient était signalé dans la région. Un endroit ayant été choisi par le Maire, au haut
de la côte du Colombier, au tournant de la crête de vallon du Val-Fortin, sous un bosquet d’arbres
et de pins, le Conseil municipal dressa la liste des hommes valides de dix-huit à soixante ans qui
devaient assurer individuellement ce service de 23 heures à 5 heures du matin, à partir du
vendredi 14 août 1942. La Gendarmerie trouva cet emplacement inaccessible et éloigné d’une
route. Elle demanda que le poste fût ramené au château. Le 13 août 1942, un avis fut publié pour
annoncer que le nouveau poste de garde serait établi dans le vestibule de l’ancien château jusqu’à
nouvel ordre. Il n’y resta pas longtemps non plus et fut transféré dans une petite maison isolée,
située entre l’ancien château et son jardin. Enfin, ce poste fut installé dans une chambre à feu, au
second étage de l’ancien château, jusqu’au 23 mars 1944, date de l’arrivée d’une compagnie de
soldats allemands SS qui le supprimèrent définitivement.
Le 14 juin 1943 (lundi de Pentecôte), à 11 heures du soir, un camion plein de soldats allemands et
une voiture d’officiers et de sous-officiers s’arrêtèrent à Aubry-Le-Panthou, chez le Maire. Ils
entourèrent sa maison et frappèrent rudement à sa porte, demandant le Maire qui leur ouvrit
aussitôt. Entrés dans sa maison, entourée de sentinelles, un lieutenant déclara que deux
parachutistes descendus de l’avion anglais tombé en flammes à l’Egreffin (Coudehard), étaient
réfugiés dans les alentours ; que des postes de garde étaient de ce fait établis chez tous les Maires
des communes environnantes ; que deux sentinelles, qu’il devait nourrir et coucher, lui seraient
laissées pour faire une tournée dans toutes les maisons de la commune et prévenir les habitants,
afin de signaler immédiatement au Maire la sous peine de mort. A minuit, l’officier se retira après
avoir donné ses consignes aux deux sentinelles qui partirent aussitôt dans la commune pour faire
la tournée prescrite, accompagnées de M. Bruneaux. Elles entrèrent à 6 heures du matin,
harassées de fatigue. Après avoir absorbé un peu de lait, elles se couchèrent dehors jusqu’à midi.
Au déjeuner, elles mangèrent peu et firent une nouvelle sieste. A 4 heures, le convoi de veille vint
reprendre ces sentinelles, la consigne ayant été levée après l’arrestation d’un parachutiste à SaintPierre-la-Rivière.
Le 1er octobre 1943, l’officier chargée des services agricoles à la Feldkommandantur d’Alençon,
réunit la Mairie de Roiville, les Maire et Syndics des communes voisines pour étudier, avec eux, les
statistiques agricoles communales et examiner ensuite les possibilités de production. Il prit note
des observations qui lui furent présentées au sujet des difficultés rencontrées dans la production
agricole, en raison de la déclivité du terrain. Il termina la réunion par une conférence agricole
comparative entre la Russie et l’Allemagne, à l’avantage des méthodes de cette dernière, bien
entendu ! Le 23 mai 1944, semblable conférence sera faite à la Mairie d’Aubry-Le-Panthou par le
capitaine Knupe, de la Feldkommandantur, suivit d’une visite des bovins dans la commune. Cet
officier, cultivateur des bords de la Baltique, avait des connaissances très étendues en zoologie
et agriculture en général. Sa conférence fut intéressante.
L’hiver qui suivit se passa sans incident important à signaler ; la guerre s’étant transportée en
Russie, notre pays se trouva dans le calme relatif, précurseur des grands événements qui suivront.
Le 15 mars 1944, à 11 heures du soir (heure solaire), un avion allemand isolé, suivant un groupe
d’avions, se dirigeant vers le Sud-est, laissa tomber deux bombes de fort calibre sur notre commune :
l’une, dans l’herbage de la Bruyère, à 80 mètres environ de la route de l’église aux Burets, sur le haut
d’un talus, en un point située dans l’axe du bâtiment d’exploitation de la cour « Moutier ». Cette
bombe creusa un cratère de 10 mètres de diamètre sur 2 mètres de profondeur et projeta plusieurs
mètre cubes de terre et de pierres aux alentours ; la deuxième bombe tomba dans le couchis «
Chaustier », à 15 mètres du bâtiment d’exploitation qui s’y trouve, creusant un cratère de 8 mètres
de diamètre sur 2 mètres de profondeur, projetant du sables et des pierres en abondance sur un
rayon de 100 mètres. Les toitures des maisons Mousse et Le May furent endommagées ; cette
dernière notamment fur percée de cinq trou énormes. Heureusement, il n’y eut accident de
personne !
Le lendemain, quarante SS, tous de la Landsturm, s’installèrent au château d’Osmond, commandés
par un lieutenant et un adjudant, également réservistes (tous deux étaient ingénieurs dans une
usine métallurgique de la frontière de Tchécoslovaquie). Leur séjour à Aubry fut très paisible. Ils
espéraient bien y rester jusqu’à la fin des hostilités. A leur départ le 3 avril, l’officier et son
adjudant vinrent trouver le Maire pour le remercier de la correction des habitants de la commune
et lui exprimer leur regret de partir.
Le 6 avril, dix soldats allemands arrivèrent au château, suivis de cent soixante autres soldats
allemands avec officiers, tous SS de la Waldmuller 2-58068. A 9 heures du soir, l’officiercommandant envoya une sentinelle chercher le Maire qui se présenta au château. L’accueil fut
correct, mais un peu froid. Après leur présentation, l’officier-commandant contesta l’authencité de
ses papiers d’identité. Craignant une mystification, il envoya cherché les autres officiers et adjudants
de la formation. Ensemble, ils discutèrent longuement, trouvant que les photographies de ces pièces
d’identité ne correspondaient pas avec l’âge du Maire présent devant eux, etc. Ils finirent par
abandonner cette question et l’officier donna lecture des règlements de police de sa Division
cantonnée en Normandie. Un règlement draconien fut aussitôt préparé, son exécution aurait mis
notre commune en véritable état de siège. Le Maire en discuta l’âpreté et obtint quelques
adoucissements. Entre autres ce règlement comportait en résumé les points suivant :
1°) La circulation était interdite après 9 heures et demie du soir, malgré que ce ne fût qu’à
11 heures dans les autres communes ;
2°) Ordre de s’arrêter à l’injonction de « halte » prononcée par les sentinelles allemandes ;
3°) Défense de traverser la « Sapaie » la nuit ;
4°) Interdiction faite aux médecins de pénétrer la nuit sur le territoire de la commune
d’Aubry-Le-Panthou, sans un laissez-passer délivré par les Autorités allemandes.
5°) Fournir quatre bicyclettes, d’hommes ou de femmes, choisies chez les jeunes gens
6°) Dix ouvriers, munis de pelles et pioches, devaient se tenir à la disposition du château
pendant trois jours, à partir du 11 avril.
7°) Tenir à disposition tous les deux jours, une voiture avec conducteur, pour le transport
des provisions.
Les possesseurs d’attelages devaient être prévenus la veille par les soins des autorités allemandes.
En outre, l’officier allemand promit la plus grande correction des ses hommes envers les habitants
et déclara qu’il réprimait impitoyablement les actes de sabotages possibles exercés contre sa
Formation. Cet entretien fait par le truchement d’un interprète, avait duré plusieurs heures. Le
Maire fut à son domicile avec la garde du corps qu’à l’arrivée. Heureusement, car les nombreuses
sentinelles postées sur son chemin n’auraient pas manqué de l’arrêter.
L’avenir ne tarda pas à montrer la mauvaise foi des Allemands et l’incorrection de leur conduite.
Plusieurs fois par semaine, plus qu’il n’avait été convenu, il leur fallait des hommes pour leurs
travaux de terrassements d’abris dans la Sapaie et des voitures pour aller chercher leurs provisions à
Vimoutiers ou ailleurs et … promener ces indésirables.
Pendant ce temps, des soldats libres allaient dans les maisons se faire servir à boire et à manger et
coupaient sur leur passage les ronces artificielles des haies, si bien que les cultivateurs de notre
commune étaient occupés à chercher leurs animaux et à réparer leurs clôtures. Le Maire s’en plaignit
amèrement à l’officier-commandant qui lui promit de punir sévèrement les coupables. Il tint parole
et les punissait souvent, mais deux jours après, ils recommençaient les mêmes larcins,
méconnaissant les lois de la guerre et se croyant tout permis.
Ce désordre s’aggravant de jour en jour, le Maire eut recours à la Feldkommandantur qui lui
répondit que les SS étaient des « Voyous » et qu’elle n’avait aucune autorité sur les troupes de
cette formation. A la suite de cette réponse peu rassurante, le Maire et informa le Préfet et lui
demanda de faire participer les communes voisines à ces prestations de toutes sortes, de façon à
alléger le sort des ses administrés. Le préfet admit cette réclamation et promit de s’en occuper, mais
la lenteur des décisions administratives ne permit pas à cette nouvelle organisation de fonctionner
avant le débarquement anglais. L’ensemble, de ces prestations, s’élevant à 44.00 francs, ne fut pas
réglé par les troupes occupantes, comme elles l’avaient promis, à cause, sans doute, de leur départ
précipité. Le Maire se rendit aussitôt à la Feldkommandantur qui lui promit ce règlement sous peu,
mais deux jours après, elle s’éloignait à son tour. Depuis, ces dépenses ont été comprises parmi
celles qui sont à la charge de l’Etat et qui seront réglées avec d’autres de même genre.
L’instruction militaire des SS était poussée de façon intensive, sans doute en prévision du
débarquement anglais sur nos côtes, annoncé et … attendu depuis longtemps. Un semblant de
fortin avec fossés, caponnières et redans fut creusé dans le versant de la colline entre la Côte d’Or et
celui du Val-Fortin. Les Allemands y firent mêmes du tir au canon : une pièce d’artillerie, mise en
batterie près le bois des Minières, tirait sur cette butte des obus d’instruction qui n’éclataient pas.
Pendant ce temps, ordre était donné aux habitants se trouvant dans la ligne de tir, de ne pas sortir de
leurs maisons. Passant un jour le long du pré de la Halière, nous aperçûmes non loin du chemin, une
plate-forme sablée et pierrée, marquée de grands carrés de couleurs différentes. Intrigué par cette
découverte, craignant quelques produits nocifs pour les animaux aux pacage, nous en référâmes à un
officier qui nous accompagna sur les lieux et expliqua que les damiers de couleur différentes
n’avaient pour but que de montrer aux soldats les teintes que prenaient les pierres sous l’action des
différents gaz toxiques employés en temps de guerre. L’Allemagne se tenait donc prête à s’en servir
si le besoin l’eût exigé. Cet officier donna l’assurance que ces couleurs n’étaient pas nocives aux
animaux.
Le 5 juin 1944, vers 6 heures (solaire), un soldat allemand, du nom de Laberenz, déserteur en
Belgique et à Osmond, condamné à mort, fut fusillé dans le pré de « La Halière », en présence de
deux milles soldats venus de tous les cantonnements environnants. Cette troupe forma le carré
dans la prairie et le condamné, attaché à un poteau planté la veille, fut fusillé par un peloton de vingt
hommes après une harangue faite aux soldats par un officier. Aussitôt après, les troupes défilèrent
devant le cadavre et rentrèrent au plus vite dans leur cantonnements. L’endroit exact de l’exécution
se trouve à 25 mètres du chemin du Val-Fortin et à 100 mètres du chemin allant du jardin du château
au chemin des Burets. Ce soldat avait été enterré superficiellement à 1 m. 50 vers sa gauche. Dans la
soirée, son corps fut mis dans un cercueil et inhumé dans le cimetière du château, dans l’angle SudOuest, côté de la route. Une croix en bois, faite d’un piquet et d’une planchette, marque cet endroit
et porte l’inscription suivante :
HEINZ LABERENZ
25-03-1926 / 5-06-1944
Le débarquement anglais, attendu depuis si longtemps, eut lieu le lendemain sur la côte normande,
dans la région d’Ouistreham. Ce mouvement ne tarda pas à s’étendre vers Caen, Trouville et Bayeux.
Les soldats allemands d’Osmond alertés depuis la prise d’armes de la veille, quittèrent le château
dans la matinée pour aller prendre position dans la région de Caen. Un bombardement intense, par
aviation, se fit entendre de tous côtés, depuis le matin, semant la mort et la déroute dans les convois
allemands… et aussi, l’épouvante parmi les populations. Pendant huit jours, ce bombardement n’eut
presque pas l’arrêt, marquant son sinistre passage dans nos cités : Argentan, gare de Vimoutiers, etc.
; sans compter les bombes tombée à travers la campagne, loin des routes suivies par les troupes, tel
que Neauphe-sur-Dives où quatre vingt treize bombes tombèrent au même instant dans des prairies
rapprochées, tuant d’inoffensifs animaux au pâturage.
Depuis le débarquement anglais, l’aviation prit une extension extraordinaire : des centaines
d’avions de bombardement survolaient presque journellement notre commune, se dirigeant vers
le sud ; de nombreux avions de chasse circulaient jour et nuit dans tous les sens, cherchant les
convois et les mouvements de troupes ; beaucoup de camions furent ainsi détruits. Des combats
fréquents entre avions en firent tomber un peu partout, à Survie, Coudehard et plusieurs dans les
environs de Chambois.
L’arrivée des Anglais en Normandie fit sortir de leurs cachettes les jeunes gens de la résistance,
réfractaires aux réquisitions de main-d’œuvre pour l’Allemagne, et qui, depuis un an, avaient pris
le maquis, se tenant cachés à la Police. Ces jeunes gens parcoururent les campagnes pour gêner ou
détruire les communications allemandes. Une partie de ces maquisards vint se réfugier dans les
bois des « Minières ». Ces dissidents cambriolèrent la Mairie d’Aubry-le-Panthou, le 10 juin, et
emportèrent deux drapeaux. Ensuite, ils se rendirent chez un nommé J.Neuville, aux Burets, le
tuèrent ainsi que sa servante qui avait été au service des Allemands, au château d’Osmond.
Continuant leurs exploits, ils tuèrent un officier allemand dans les hauts de la côte du MesnilGatey, devant l’entrée d’un petit chemin rural. Comme ils avaient enlevé le revolver de cet officier,
les Allemands alertés firent perquisitions dans les maisons environnantes, sans y trouver l’arme
qui aurait décelé les coupables. Les Allemands, n’ayant rien trouvé, installèrent près le carrefour
des Burets, une voiture qui tira sur les passants à sa portée ; ceux-ci se firent rares, heureusement,
sauf un nommé Colombier qui reçut, en séton et sans gravité, une balle dans le dos ; d’autres
personnes ne durent leur salut qu’en se jetant précipitamment dans les fossés.
Le lendemain, dimanche 12 juin, dans l’après-midi, un engagement eut lieu entre les Allemands et
des maquisards cachés dans les bois Minières. L’avantage resta aux Allemands, armée de carabines,
alors que les maquisards n’avaient que des mitraillettes et des revolvers. Ceux-ci se retirèrent. En ce
moment-là, trois paisibles ouvriers de la ferme du château d’Osmond passaient sur la route, allant
chercher du pain aux Burets. Ils furent arrêtés par les Allemands qui les prirent pour des maquisards
et les emmenèrent à Gacé. Là, ils furent interrogés par un officier, et malgré que rien de grave n’eût
été relevé contre eux, ils ne furent mis en liberté que le lendemain après avoir supporté quelques
brimades des soldats. A leur départ, l’officier leur fit remettre un gros morceau de pain. Ces
aventures pittoresques rappellent les luttes ente Bleus et Chouans sous le Révolution.
Le 14 juin 1944, à 6 heures du matin (heures solaire), eut lieu le bombardement de Vimoutiers par
des avions présumés anglais ou américains. En un quart d’heures et à trois reprises, la ville fut
anéantie par les bombes. Un incendie, qui dura quatre jours malgré les efforts des pompiers de
Livarot, Orbec, etc., consuma ce que les bombes n’avaient pu détruirent. On estime à quatre cent
vingt le nombre des victimes tuées dans la rue ou restées sous les décombres et à deux cent
cinquante, celui des blessés. C’était touchant de voir ce spectacle et beaucoup de personnes
avaient les larmes aux yeux en contemplant ce qui restait de cette petite ville, si riche en
souvenirs, si coquettes et si accueillante.
Le 18 juin, les Anglais s’approchaient de Caen. Les Allemands firent évacuer par Falaise et Trun la
population de cette ville ; une partie des évacués prit la direction de Coudehard, Survie, Aubry-lePanthou, Roiville, Le Sap et La Ferté-Fresnel. Chaque commune traversée devait, à l’aide de
voitures réquisitionnées, assurer à ces gens le passage de son territoire. Afin de simplifier le service
et de gagner du temps, les voitures d’Aubry-le-Panthou prenaient au carrefour de la route de Belhôtel les personnes que les voitures Survie étaient allées chercher au carrefour de Montormel. Les
Maires des communes intéressés se tenaient à l’arrivée des voitures et assuraient l’évacuation
rapide de tous ces infortunés. Beaucoup de gens, appartenant à toutes classes de la société, y
défilèrent, emportaient dans des véhicules et d’ustensiles qu’ils avaient pu sauver ; leur
conversation était navrante lorsqu’ils parlaient du sort réservé à leur ville ! Du lait, du cidre et des
œufs durs leur était offerts pendant le transbordement ; la plupart d’entre eux nous remerciait
cordialement de l’accueil compatissant qui leur était fait. Ce service prit fin le 23 juin, dans l’aprèsmidi. Une méprise regrettable faillit ensanglanter ce carrefour si accueillant : la veille, vers 4 heures
du soir (heure solaire), trois avions de chasse inconnus survolèrent et mitraillèrent sans raison le
carrefour de Bel-hôtel. Les sept à huit personnes qui attendaient avec les Maires, le prochain convoi
pour aider à son transbordement, entendirent soudain le bruit de mitraillettes et de balles
tombèrent autour d’elles. Tous se précipitèrent vivement dans les fossés à leurs portées et évitèrent
ainsi grands malheurs possibles. Personne ne fut blessé et les avions disparurent dans la direction du
Sud-est. Il eût été profondément regrettable que ce carrefour, qui restera devant les générations
futures celui de la charité, fût devenu la cible d’aviateurs ivres ou inconscients.
Le 24 juin suivant, vers 11 heures du soir, un avion lança une bombe de petit calibre non loin de ce
carrefour, sans l’atteindre. Cette bombe tomba près de la petite maison située à côté du ruisseau de
Bel-hôtel et n’occasionna d’accident de personne ; seules les maisons des environs eurent quelques
vitres cassées, mais le service des réfugiés était terminé depuis vingt-quatre heures.
Le 25 juin 1944, une nouvelle compagnie de soldats de la Wehrmacht, accompagnés d’un Etat-major,
arriva à Osmond. L’officier commandant ayant sans doute appris les méfaits des SS, fit appeler le
Maire et lui assura qu’il n’aurait nullement à se plaindre de ses hommes et qu’il tenait à laisser, à son
départ, le meilleur souvenir dans la commune. Il tint parole. Malheureusement, contre ses
prévisions, il n’y resta pas longtemps et dut, le 25 juillet, céder sa place à un premier hôpital ou
Lazareth. De la croix rouge allemande L. 33192, qui arriva à 7 heures du soir.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet 1944, un accident comique vint égayer un peu la tristesse des
jours sombres du moment : un secrétaire d’Etat-major, l’inspecteur Bauer, après de nombreuses
libations, avait quitté le château tard dans la nuit pour rentrer au presbytère, son cantonnement.
En traversant la Sapaie, il eut la malencontreuse idée de tirer sans raison des coups de pistolet de
tous côtés. Les sentinelles surprises par cette fusillade, en firent autant, donnant ainsi l’alarme à
tous les soldats de la Formation, qui crurent à une attaque des Tommies et se précipitèrent sur les
lieux. Ils ne trouvèrent qu’un ilote cherchant son chemin dans la nuit, surpris de tout ce branlebas
qu’il avait déclanché inconsciemment. Les soldats rassurés regagnèrent leurs lits, confus de cette
aventure.
Les Maires des communes voisines furent convoqués au château par l’officier gestionnaire, à
l’effet d’organiser un service intercommunal pour aider le personnel de l’hôpital dans tous les
services. Chaque jour, les femmes d’Aubry-le-Panthou et des communes voisines furent
requises, par équipes de dix environ, de se mettre à la disposition du Service intérieur de cet
Hôpital. Elles s’y rendirent d’assez bonne grâce et furent employés, qui à la cuisine, qui au service
des salles d’opérations. Ce personnel recevait un déjeuner, une collation et un salaire de 72 francs
par jour. Le personnel médical les traita avec beaucoup d’égards. Les hôpitaux qui suivront ne les
employèrent plus.
Le Lazereth chirurgical L. 33192 arrivé le 25 juillet, partir vers Evreux le 11 août 1944, laissant dixneuf tombes dans le cimetière communal, provenant de blessés évacués d’Aubry-En-Exmes et
Tournai ; parmi les cinq soldats allemands, enterrés sur la pelouse du château, deux avaient été
tués dans la Sapaie par les bombardements du 20 août. Le jour de son départ, un second Lazareth
arriva Osmond, mais n’y resta que vingt-quatre heures, faisant place à un troisièmes Lazareth N°
58606 qui partit à son tour le 14 août, emmenant avec lui vache à lait et chevaux qu’il avait
amenés. Une ambulance chirurgicale fonctionna au manoir du « Lombos » pendant les trois
derniers jours de la retraite emportant un mort et un camion entier de blessés qu’elle n’avait pu
évacuer.
Nous arrivons maintenant au point crucial de la bataille Trun-Tournai. Les événements se
précipiteront rapidement d’heure en heure. L’armée allemande, refoulée de la Manche,
cherchait à se frayer un passage vers la Seine pour se retrancher derrière son cours ou entrer en
Allemagne. Mais encerclée pas les Canadiens, elle fut obligée de livrer dans la plaine de Tournai
un combat qui acheva sa déroute. Il ne lui restait plus, pour sortir de son encerclement, qu’un
couloir vers Coudehard, que les bombardements de plusieurs centaines de pièces d’artillerie
canadienne refermaient sans espoir. La bataille faisait rage dès le 12 août. Le canon nous
l’indiquait bruyamment. L’armée anglaise avançait sur Argentan, barrant toute issue ver le Sud. Le
14 août l’activité des avions anglais augmentait des tous les côtés, mitraillant, nuit et jour, les
camions qui circulaient sur nos routes, à raison d’un par minute. L’on voyait des avions allemands
fuyant à tire-d’aile en rasant les arbres et les maisons, quelquefois poursuivis par des avions alliés.
Le 15 août, le canon gronda aux explosions des bombes et aux crépitements de la mitraille
aérienne. Les nombreux camions arrêtés sur le chemin vicinal d’Aubry ou cachés dans les avenues
de la Sapaie, voyant dans la direction des « Burets ». Chacun de nous sentait approcher le danger
et se demandait ce que nous réservaient les jours suivants ?
Les 16, 17 et 18 août, la plaine de Trun-Tournai fut littéralement hachée par l’artillerie
canadienne et l’aviation. Des longs convois, partis en avant, profitèrent de la nuit pour chercher à
fuir ver l’Est par toutes les routes allant dans cette direction.
Pendant cette situation critique, un drame sanglant mit notre commune dans la consternation. Le
16 août, vers la fin du jour une patrouille allemande se présenta au château, réclamant un
nommé Le Saint Hervé, qu’une femme avait signalé au poste allemand voisin, comme étant
résistant, un terroriste ! Pendant que le chef de la patrouille discutait avec M. Amouroux,
contremaître des bûcherons, l’inexactitude de l’accusation portée contre Le Saint, celui-ci, qui
était présent à l’entretien, fut pris de peur et s’échappa en courrant. Ce geste fut fatal, car les
Allemands se précipitèrent à sa poursuite et le tuèrent de plusieurs balles de carabine sur la
grande pelouse du château. Le Saint, frappé a mort, s’affaisa ; les soldats allemands se retirèrent
satisfaits de leur exploit ! Une nombreuse assistance accompagna le corps de Le Saint le jour de
ces obsèques, marquant ainsi, en présence des allemands, son estime à la famille et la
compassion que lui inspirait celle malheureuse victime de la délation digne d’un meilleur sort !
Le 19 août, dans la soirée, dix sept tanks allemands, paraissant venir du Mesnil-Hubert, arrivèrent
à Osmond pour y passer la nuit. Recherchés sans doute par l’aviation alliée, ils valurent à notre
commune un sérieux bombardement d’artillerie pendant la nuit suivante : deux obus tombèrent à
Saint-Denis, au Val-Fortin, au Burets et un peu partout dans les environs les batteries allemandes
qui étaient déjà installées aux Burets, près du presbytère et sur les hauteurs de Sainte-Croix,
eurent la prudence de ne pas répondre : leur position, vite repérée, n’aurait pas manqué d’attirer
sur notre commune une verte riposte de l’artillerie canadienne ; la batterie installées près du
presbytère ne tira seulement que quelques obus dans l’après-midi du 20 août : la bataille était
perdu, il fallait s’éloigner au plus vite !… Le tir de cette batterie était réglé par un adjudant
observateur caché dans les bois de Montormel ! D’après ce sous-officier, ce furent les tanks,
cités plus haut, qui ouvrirent la poche allemande, vers Saint-Lambert, permettant ainsi aux
soldats de s’enfuir rapidement, cherchant leur salut en gravissant les côtes de Bois-Jo et de
Montormel. Trois fois arrêtés par l’artillerie canadienne et l’aviation, les Allemands furent
obligés de redescendre ces rudes montées. Trois fois ils remontèrent à l’assaut de cette colline
et parvinrent à y prendre pied. Là, ils rencontrèrent sur le sommet, vers le bois de Montormel,
un régiment de Polonais qui les attaqua bravement et les arrêta de nouveau au prix de lourds
sacrifices !… les nombreuses croix blanches, dressées par groupes en cet endroits, en sont les
témoignages probants. Ce sont ces braves, qui, en empêchant les Allemands de se regrouper,
préservèrent notre commune de l’horreur du champ de bataille et de la dévastation ! Les pièces
d’artillerie allemandes qui étaient installées dans notre commune, s’apprêtaient à soutenir la
retraite de leurs troupes, ce qui eût valu à nos concitoyens le spectacle d’un duel d’artillerie
semant partout la mort et la ruine. Mais les Canadiens-Anglais, accourus du Bourg Saint-Léonard
au secours des Polonais, ne donnèrent pas aux Allemands le temps d’organiser la résistance
qu’ils préparaient et ce fut une débandade complète : les voitures, canons, chars fuyaient au plus
vite par nos routes. Ils empruntaient aussi les petits chemins où ils s’enlisaient fréquemment,
pendant que, de leur côté, les soldats, souvent sans chefs s’en allaient en déroute, vers l’Est,
suivant les chemins et sentiers, s’arrêtant dans les fermes pour demander un peu à boire et à
manger, n’ayant rien pris depuis plusieurs jours. Ils repartaient aussitôt, abandonnant leurs armes
et chargements pour aller plus vite. Les officiers n’étaient pas mieux placés et perdaient, auprès de
leurs hommes exténués le prestige de leur autorité. Pendant ce temps, surtout la nuit, les
habitants de notre commune, particulièrement ceux de Saint-Denis, durent passer dans leurs
tranchées la presque totalité des jours et des nuits, afin de soustraire à la pluie de projectiles
que l’artillerie canadienne déversait de tous côtés, surtout sur les carrefours et tournants des
routes, ce qui valut un voisinage de la maison du Maire, un arrosage copieux d’obus qui finiront
par atteindre cette habitation dans la nuit du 19 au 20 août, vers 2 heures du matin, causant des
dégâts matériels à cette maison et aux toitures des bâtiments au voisinage.
Le dimanche 20 août, l’aviation bombarda surtout les routes. Celle de Fresnay à Roiville et celle
de Bel-hôtel ne furent pas épargnées. Pendant ce temps, les soldats allemands, devenus
inconscients par la fatigue et les privations, passaient toujours nombreux, demandant la route de
Roiville et du Sap, leur point de direction. La matinée du lundi fut calme et l’armée allemande en
déroute passait sans arrêt ; les derniers traînards n’eurent que juste le temps de disparaître avant
l’arrivée des Canadiens-Anglais à la Bruyère-Fresnay. Le soir de ce jour mémorable un colonel
d’Etat-major, attardé, faillit être fait prisonnier chez le Maire. Il s’échappa grâce à la prévoyance
d’une estafette allemande qui fit partir sur un tank.
Les Canadiens arrivèrent à la Bruyère-Fresnay dans la soirée et ne poussèrent pas plus loin leur
poursuite. Le lendemain, 22 août, un combat d’avant-garde eut lieu entre Allemands et
Canadiens-Anglais sur la route de la Bruyère-Fresnay à Vimoutiers. Pendant ce temps, trois tanks
et trente hommes descendaient la route de Saint-Denis et fouillaient toutes les maisons sans
trouver d’ennemis attardés. Ils remontèrent vers La Bruyère-Fresnay pour s’arrêter pendant deux
jours dans un camp installé dans l’herbage des « Pucets », au haut de la route Saint-Denis.
Le lendemain, 23 août, le Maire fit, à travers la commune, une inspection qui lui renouvela la
vision des horreurs de la guerre : routes défoncées et jalonnées d’épaves de camions brûlés,
chemins obstrués par des véhicules des toutes sortes, matériels de guerre et munitions
abandonnées ; la route de la côte d’Osmond était obstrués par un tank et un amoncellement de
sept à huit camions, culbutés les uns par-dessus les autres, le tout présentant un spectacle
lamentable. Tel était l’aspect particulier de notre commune le lendemain de sa libération !
Ce fut un bienfait pour tous de ne plus entendre, nuit et jour, le bourdonnement intense de
l’aviation qui ne permettait plus de repos. La guerre n’était pas terminée mais la paix était en
marche !
Dans les convois allemands, il y avait beaucoup de voitures légères, attelés de chevaux, dites «
voitures russes ». Celles-ci, moins rapides que les camions devenaient les points de mire de
l’aviation alliée qui les mitraillait sans cesse. Les cadavres de chevaux encombraient et infectaient
les routes sous l’action de la chaleur. On en comptait une vingtaine dans notre commune, presque
tous dans le bas de Saint-Denis ou dans la vallée.
Le 24 août 1944, il fut procédé à l’incinération de ces chevaux. Ce fut un travail répugnant qui
resta incomplet. Il fallut le terminer par des enfouissements le 31 août suivant.
Dans l’après-midi, un convoi d’environ cinq cents camions, tanks et camions canadiens, campèrent
dans la cour « Cour à Dion », les « Prés Zérets » et le « Champ du Poirier » pour repartir le
lendemain matin vers Lisieux, où parti allemand faisait résistance et donner aide à d’autre troupes
alliées se dirigeant vers cette ville.
Le dernier coup de canon Allemands en retraite aurait été tiré dans la matinée du 24 août, son
obus serait tombé à La Fresnay-Fayel, dans le « Glorieu », près de la route, en face de la maison
Leprince.
Au lendemain de la retraite allemande, on put compter trente-neuf véhicules, échoués de la
barrière Mercier (Roiville) au Fort Fresnay ; en tout, cinq cent et une épaves d’Aubry à Vimoutiers ;
de cette dernière ville à Tournai, mille vingt-quatre véhicules divers encombraient les routes,
tandis que d’Orbec à Vimoutiers, il n’y en avait plus que dix-neuf. Sur le territoire d’Aubry-lePanthou, on en comptait vingt-sept.
Pendant la déroute allemande, les soldats, talonnés par la faim, entraient parfois dans les maisons
pour demander à manger. Ils se montraient souvent exigeants contre raison. Mais, malheur aux
maisons dont les occupants étaient absents, car alors, c’était un pillage complet, tout leur était
propre ; souvent, ils jetaient sur le chemin où abandonnaient dans une autre maison les objets qui
les encombraient ou ne leur plaisaient plus. Leurs voitures s’emplissaient d’objets de toutes sortes
: habits, linge, ustensiles de ménage, outils, etc., qu’ils espéraient pouvoir emporter en Allemagne
et que la mitraille ne tardait pas à les obliger d’abandonner.
Le château d’Osmond, qui fut occupé maintes fois par des Formations allemandes différentes,
n’échappa pas au pillage. Les SS qui l’occupèrent le plus souvent, enlevèrent beaucoup de mobilier
de valeur. Tous ce qui paraissaient les gêner, fut d’abord entassé dans les greniers du château ;
leur contenu fut ensuite jeté dehors, brûlé, débruit systématiquement par les SS qui l’occupèrent
avant le débarquement anglais, ne laissant dans cette belle demeure que ce qu’ils n’avaient pu
enlever ou ne les intéressait pas. Leurs dignes ancêtres avaient fait de même à leur passage eux
Bruets en 1815 et 1871, montrant ainsi une mentalité d’origine raciale germanique que les
générations n’ont pas changée.
Notre commune reprit vite son calme habituel après le départ des allemands, souhaitant au plus
vite la fin des hostilités et vivre comme autrefois dans le quiétude du présent et l’espérance de
l’avenir, qui, seules, permettent au paysan de vivre et de prospérer dans la plénitudes de sa liberté
!
Les mois qui suivront jusqu’à la fin des hostilités resteront paisibles et employés à réparer les
dégâts de toutes sortes que valurent à notre commune l’occupation allemande et le passage de
son armée en déroute. Ces dégâts s’élèvent à 900.000 francs pour la commune d’Aubry-lePanthou.
Enfin, le 7 mai 1945, à minuit quarante et une minute (heure solaire), l’Allemagne bombardés et
encerclée de toutes parts, capitula. Cette nouvelle fut accueillie avec enthousiasme : les cloches
sonnèrent longuement, les drapeaux sortis de leurs cachettes pavoisèrent les maisons, le travail
cessa en beaucoup d’endroits et des fêtes champêtres s’organisèrent rapidement. Les munitions
allemandes, traînant partout, furent mises à contribution pour fabriquer, au mépris du danger, des
explosifs sonores, des bals s’organisèrent dans les centres, entraînant dans leurs tourbillons jeunes
et vieux, manifestant leur joie !
Espérons que la guerre de 1939-1945 sera la dernière et que, devant ses horreurs, les peuples plus
sages et plus compréhensifs de leur destinée, prendront toute mesure pour éviter un semblable
cataclysme.
J. B.
Chroniques publiées en 1945
tenues pendant l’occupation par Joseph . BOISSON
Chevalier de la Légion d’Honneur
Maire d’Aubry-le-Panthou de 1899 à 1960
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