DOI : 10.1684/med.2012.0837
STRATÉGIES
Pierre Gallois
Jean-Pierre Vallée
Yves Le Noc
Société Française
de Documentation
et de Recherche
en Médecine Générale
Mots clés : maladie
d’Alzheimer, sujet
âgé, troubles
de la mémoire,
vieillissement
Des données pour décider en médecine générale
Nous avons vu dans un précédent dossier (décembre 2009) combien la médecine des
personnes âgées ne peut être qu’une médecine globale prenant en compte la plainte
qui motive la rencontre, mais aussi tout l’ensemble de la personne. Une médecine
réellement «préventive »peut améliorer tant l’espérance de vie que sa qualité, no-
tamment pour ce qui concerner le risque de chutes, de perte d’autonomie et de dé-
pendance [1]. Dans une société comme la nôtre, la signification même du «vieillir »est
en débat, avec au centre des préoccupations de tous, les questions que pose l’appa-
rition de troubles de la mémoire : ne seraient-ils pas les premiers signes d’une maladie
d’Alzheimer ? Nous verrons dans un troisième volet ce qu’il en est des petits troubles
cognitifs quotidiens, peut-être encore plus perturbants, en tout cas pour l’entourage.
Abstract: Memory and age: “But what did I come here for?”
The concept of “aging” does not include a definite reality and its representations can change according to the
context. The analysis can only be individual, centered on the life course in the elderly. One should know and
understand this context and its social and environmental determinants to use them in the best interest of the
person concerned.
Any memory complaint does not require a “memory clinic” that often does not reassure, whatever the precau-
tions taken. Demand for specialist consultation should be reserved for specific pathology suspected dementia.
In the absence of cognitive impairment, it is benign oblivion, more and more common with advancing age.
It is not possible today to conclude on later risk of dementia, since the studies are contradictory on this point.
In contrast, subjective complaints of memory are often associated with depression or increased by certain
medications they are primarily associated, in the representations of the patients or their surroundings, to the risk
of Alzheimer’s disease.
Current data on the “Mild Cognitive Impairment” do not present it as a precursor to Alzheimer’s disease.
The only clinic approach allows the generalist, with a detailed explanation, to tell the nature of “benign” memory
problems in older patients.
Key words: Aged; Aging; Alzheimer disease; Memory Disorders
Mémoire et âge :
«mais que suis-je donc
venu faire là ? »
Ces dossiers sont issus de textes publiés chaque semaine depuis quelques années
dans Bibliomed. Actualisés si nécessaire en fonction des données les plus récentes,
ils ne résultent pas d’une revue systématique de la littérature, mais d’une veille
documentaire en continu des principales revues médicales publiant des études fon-
dées sur les preuves, ou des recommandations en résultant. Ils ont pour ambition
de fournir au médecin généraliste une actualisation des données sur les questions
pertinentes pour leur pratique retenues par le comité de rédaction.
Les questions auxquelles répond ce dossier ont fait l’objet de 4 publications de Bibliomed : 447 du 20 décembre 2006, 633 du 30 juin 2011,
651 du 19 janvier 2012, 653 du 2 février 2012.
214 MÉDECINE mai 2012
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Les représentations de la vieillesse et du vieillissement – et les comportements qui en découlent – diffèrent profondément
selon l’âge, les conditions sociales et le parcours de vie. Comme nous le rappelions [1], la perte d’autonomie chez la personne
âgée dépend pour beaucoup de son activité physique et de son état nutritionnel. La qualité et la rapidité des processus
cognitifs contribuent aux activités de la vie quotidienne, aux possibilités de déplacement, à la conduite automobile et diverses
activités, sociales ou individuelles. Ils aident au maintien de l’autonomie, des capacités cognitives, à la prévention de la
démence, mais aussi réduisent (retardent ?) la mortalité. Quant aux plaintes nombreuses concernant les troubles de mémoire
assez habituels avec l’avancée en âge, il appartient au médecin traitant de donner une réponse adéquate aux inquiétudes
parfois inutiles de nombreux consultants.
Toute difficulté de mémoire n'annonce pas une maladie
d'Alzheimer
La plainte mnésique est banale chez le sujet âgé, mais elle est actuellement vécue par le patient avec la crainte d’une
maladie d’Alzheimer [2], ou pour le médecin (voir ci-dessous) d’un déficit cognitif léger (MCI). Pourtant trois situations
sont bien plus fréquentes : les troubles liés à l’âge [2], les effets secondaires des médicaments [3], les conséquences d’une
dépression [4]. Les connaître permet de rassurer, éviter le cycle des examens et l’anxiété qu’ils engendrent.
Les troubles de mémoire liés à l'âge
La plainte mnésique, fréquente dès 50 ans, augmente
avec l’âge. Elle n’est pas corrélée aux performances aux
tests de mémoire, d’intelligence ou d’attention, mais plutôt
à des facteurs psychoaffectifs, le stress chez le jeune, le
sentiment d’âge chez le sujet âgé. La grande majorité des
sujets se plaignant de leur mémoire n’ont pas d’affection
organique cérébrale [2].
La plainte isolée est bénigne : purement subjective, sans
diminution des performances, ni retentissement sur l’activité
quotidienne une plainte ne présente pas un risque plus élevé
de MA de ce seul fait. À l’inverse un déficit mnésique non
ressenti est suspect [2].
La sémiologie de la plainte est la base du diagnostic. La
mémorisation comprend 3 processus : encodage, stockage,
rappel. La plainte de la MA,trouble de la mémorisation, porte
sur les deux premières étapes et donc uniquement sur le
passé récent : le patient ne retrouve pas ses affaires, répète
ses questions, mais ne ressent pas son déficit ; l’entourage,
qui s’en aperçoit, est le plus souvent à l’origine de la consul-
tation. À l’inverse, la plainte liée à l’âge est un trouble du
rappel, qui porte aussi bien sur le passé ancien que récent.
La mémoire des noms propres utilise particulièrement ce
mécanisme de rappel. Le mot recherché survient spontané-
ment quelques instants plus tard. Il s’y associe des troubles
de l’attention (« je ne sais plus ce que je suis venu faire dans
cette pièce ») [2]. La gêne est subjective, le patient consulte
seul, l’entourage ne s’en aperçoit que si la personne se plaint.
Il n’y a pas d’autre trouble cognitif, de perturbations de la
réalisation des activités de la vie quotidienne, comme dans
les MCI [2, 4]. Il peut y avoir des manifestations psychoaf-
fectives, mais n’affectant pas le comportement, alors que la
MA débutante s’accompagne d’une baisse de motivation.
Les troubles de mémoire liés aux médicaments
Il faut savoir les évoquer devant une altération mnésique ré-
cente ou brutale, surtout chez les sujets âgés [3].
Tous les médicaments à effet anticholinergique peuvent
entraîner des troubles mnésiques. Ceci concerne 14 des
25 médicaments les plus prescrits chez les gens âgés : tri-
cycliques, phénotiazines, antiparkinsoniens, antispasmodi-
ques (tiémonium), antiarythmiques (disopyramide), antiulcé-
reux (cimétidine, ranitidine), antispasmodique urinaire
(oxybutynine), antihistaminiques (prométhazine, aliméma-
zine, dexchlorphéniramine). Une étude française [5] a relevé
chez 372 patients non déments de plus de 60 ans, 51 utilisa-
teurs réguliers de ces médicaments. L’évaluation cognitive
a étiqueté MCI 35 % des non-utilisateurs et 80 % des utili-
sateurs. À 8 ans le taux de démence était identique dans les
2 groupes (16 et 14 %).
Les psychotropes sont souvent en cause. Ce peut être par
le biais de leurs effets anticholinergique (tricycliques, antipsy-
chotiques), ou par leur nature même. Les benzodiazépines (et
les barbituriques) affectent la mémoire des faits récents sur-
tout chez les sujets âgés, même après une dose unique. L’ef-
fet disparaît à l’arrêt du médicament. Ce qui justifie les recom-
mandations d’usage de produits à demi-vie courte, pour une
période limitée. Les nouveaux antidépresseurs (ISRS) ne
semblent pas avoir d’effet mnésique, mais les données sont
peu nombreuses. Les antipsychotiques classiques peuvent
entraîner des troubles mnésiques chez le sujet âgé, moins
certainement avec les atypiques, Le lithium entraîner chez le
sujet âgé une baisse des performances mnésiques.
Parmi les antalgiques du palier 2 (codéine, tramadol, dex-
tropropoxyphène), seul le dernier peut entraîner une atteinte
mnésique isolée.
Et l'association trouble mnésique
et dépression ?
Les sujets dépressifs peuvent avoir des déficits cognitifs liés à
leur maladie psychiatrique, concernant la mémoire de travail,
la mémoire épisodique et l’attention. Les antidépresseurs
peuvent les améliorer, mais il faut éviter les tricycliques.
Que conclure pour notre pratique ?
Toute plainte mnésique ne nécessite pas une « consultation
mémoire » qui souvent ne rassurera pas, quelles que soient
les précautions prises.
L’oubli bénin, simple trouble du rappel, courant après un cer-
tain âge, peut être reconnu par ses caractères, sa perception
avant tout par la personne âgée elle-même, et l’absence d’au-
tre trouble cognitif.
Le trouble mnésique d’origine médicamenteuse doit tou-
jours être évoqué chez la personne âgée, justifiant l’adapta-
tion des prescriptions.
L’association trouble mnésique et dépression justifie une
prise en charge de la dépression. Si un médicament s’avère
nécessaire, mieux vaut éviter les tricycliques.
215mai 2012MÉDECINE
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
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Troubles «subjectifs »de mémoire ?
Avec l’augmentation d’incidence et surtout le tapage médiatique fait autour de la MA, le moindre trouble de mémoire
fait rapidement évoquer ou craindre une MA débutante. C’est un motif de consultation courant, voire de recours à un
« centre mémoire ». Pourtant, ces troubles de mémoire sont fréquents et banals dès l’âge de 50 ans. Une synthèse récente
sur les troubles subjectifs de mémoire (TSM) [6] en développe les divers aspects, ce qui peut faciliter la réponse aux
nombreux consultants de ce domaine et leur éviter des inquiétudes inutiles.
Qu'est-ce qu'un trouble subjectif de mémoire ?
Le TSM est ressenti par la personne (pas toujours par son
entourage) qui, en général, demande la consultation et vient
seule, contrairement à ce qui se passe en cas de troubles
mnésiques organiques des troubles cognitifs légers (MCI) ou
de la MA. Même questionnés directement, 60 % des pa-
tients atteints de démence et 62 % de ceux atteints de MCI
ne rapportent pas de TSM.
Le TSM est un trouble du rappel, portant aussi bien sur le
passé récent qu’ancien, concernant beaucoup les noms pro-
pres pour lesquels la mémoire utilise particulièrement ce mé-
canisme de rappel.
Le TSM a une sémiologie caractéristique : les informa-
tions recherchées reviennent en mémoire quelques instants
plus tard, spontanément ou après une procédure de recher-
che. Il s’y associe des troubles de l’attention (« qu’est-ce que
je suis venu faire dans cette pièce »). La gêne est subjective,
l’entourage ne s’en aperçoit que si la personne s’en plaint ;
il n’y a pas de perturbations des activités de la vie quoti-
dienne, sauf parfois chez les personnes très âgées [2, 7].
Le TSM n’est pas associé à des troubles cognitifs carac-
térisés mais parfois à un déclin cognitif lié à l’âge, concernant
la rapidité des processus et l’attention [2].
Les TSM ont une prévalence importante. La plainte mné-
sique est fréquente à tout âge : ainsi sur 260 sujets se pré-
sentant à une consultation mémoire, 30 % avaient moins de
50 ans [7]. Mais sa prévalence varie selon les méthodes de
mesure et les populations : de 25 à 50 % chez les plus de
65 ans, elle passe à 43 % entre 65 et 74 ans et 88 % après
85 ans, alors que des revues systématiques récentes obser-
vent une prévalence de 8 % de démences et 16,8 % de MCI
après 50 ans [2].
Les TSM sont-ils facteurs de risque
de démence ?
Les études sont contradictoires. En 2000, dans une grande
majorité des études, les TSM apparaissaient bénins, les per-
sonnes s’en plaignant n’ayant pas un risque d’évolution vers
la démence plus élevé si ces TSM ne s’accompagnaient pas
d’une diminution de performance aux tests cognitifs [7]. En
2011, une nouvelle synthèse soulignait pourtant que la plu-
part des études longitudinales montrent une augmentation
du risque de déclin cognitif ou de démence (3 fois plus dans
une étude) [6], bien que l’une de ces études (Maastricht,
cohorte de 557 participants de 55 à 85 ans suivis 6 ans) ne
confirme pas ce constat [6].
Les TSM sont-ils associés à d'autres
troubles ?
Les participants volontaires des études ou ceux qui viennent
d’eux-mêmes à une consultation-mémoire sont relativement
jeunes et leurs symptômes corrélés avec des troubles de
l’humeur plus qu’avec des troubles objectifs de mémoire aux
tests cognitifs. Dans une revue de 26 études, les TSM
étaient fortement associés à la dépression et/ou une person-
nalité névrotique. La conscience du trouble de mémoire est
augmentée en cas de dysthymie et d’anxiété mais pas en
cas de dépression majeure. Une autre revue de 5 études
montre une association entre TSM et moindre qualité de vie,
association qui persiste sur 9 ans dans l’étude de Maastricht.
Ces données suggèrent que si les TSM ne sont pas un fac-
teur de risque direct de démence, ils doivent être pris au
sérieux [2]. Par ailleurs, beaucoup de médicaments peuvent
entraîner des troubles mnésiques, qu’il s’agisse de médica-
ments à effet anticholinergique ou de psychotropes avec ou
sans cet effet (cf paragraphe précédent).
Que conclure pour notre pratique ?
Les TSM sont fréquents chez les personnes âgées. Leur
perception par les patients eux-mêmes, les caractères clini-
ques qu’ils décrivent, l’absence de trouble cognitif associé,
les définissent bien comme tels.
Il n’est pas possible aujourd’hui de conclure sur le risque
de démence ultérieure, les études étant contradictoires sur
ce point. En revanche, ils sont souvent associés à des dé-
pressions ou favorisés par certains médicaments ; ils sont
surtout associés dans les représentations des patients ou de
leur entourage au risque de maladie d’Alzheimer. La plainte
de TSM est donc à prendre au sérieux, comme nous allons
le voir.
216 MÉDECINE mai 2012
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
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Déficit cognitif léger : entité clinique réelle ou simple concept
pour la recherche ?
La hantise d’aujourd’hui, devant un trouble de mémoire, est celle de la maladie d’Alzheimer. L’apparition lentement
progressive de cette maladie, les études épidémiologiques ont conduit à identifier, entre normalité et démence, une
nouvelle entité, le déficit cognitif léger, mild cognitive impairment (MCI) selon la dénomination internationale. Le MCI sem-
blerait à haut risque d’évolution vers une maladie d’Alzheimer, contrairement aux banals troubles de mémoire liés à l’âge,
à « l’oubli bénin ». Si ce concept est largement diffusé, il faut en retenir l’imprécision et l’insertion dans le débat sur la
possibilité (l’intérêt ?) du diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. Un groupe de neurogériatres internationaux a proposé
en 2006 une synthèse des données qui est toujours d’actualité en 2012 [8].
Concept hétérogène, données divergentes
Le concept, identifié en 1997 par Petersen, est resté long-
temps très hétérogène. Il incluait des troubles mnésiques soit
isolés, soit associés à des troubles cognitifs affectant les capa-
cités fonctionnelles. La prévalence chez les personnes âgées
de la population générale variait selon les études épidémiologi-
ques de 3 à 19 %, avec un risque d’évoluer vers une maladie
d’Alzheimer de 11 à 33 % sur 2 ans ; surtout 44 % des patients
étiquetés MCI avaient un examen normal un an plus tard. La
progression vers une maladie d’Alzheimer était de 16 % par an
dans un essai contrôlé, de 41 % après un an et de 64 % après
2 ans dans l’autre. Ces différences de prévalence et de devenir
s’expliquent par les populations étudiées : population générale
d’une part, consultations spécialises de l’autre [8].
Des critères diagnostiques qui ont évolué
Pour proposer une définition plus opérationnelle, permettant
avant tout de repérer les patients à haut risque d’évolution
démentielle, une modification des critères initiaux de Peter-
sen a été proposée pour le MCI [9] :
le déficit correspond à une plainte cognitive émanant du
patient et/ou de l’entourage ;
le sujet et/ou l’entourage signalent un déclin des perfor-
mances cognitives et/ou fonctionnelles ;
un trouble de la mémoire et/ou d’une autre sphère cogni-
tive sont objectivés par l’évaluation clinique ;
cette altération cognitive n’a pas de retentissement sur la
vie quotidienne ; mais le sujet peut signaler des difficultés
pour des activités complexes.
En pratique médicale courante, le diagnostic de MCI est
avant tout basé sur une évaluation clinique globale, et non
sur la seule sphère mnésique. Il repose sur l’analyse de la
cognition, du comportement, du fonctionnement général. Il
associe l’entretien avec le patient et l’entourage et l’évalua-
tion neuropsychologique [9].
Les frontières entre vieillissement normal et MCI, entre MCI
et démence débutante, sont imprécises. Il semble surtout
nécessaire de rechercher des déficits minimes dans les d’ac-
tivités de la vie quotidienne (hobbies, téléphone, usage des
moyens de transport, des moyens financiers, des médica-
ments). Le manque de conscience de telles difficultés sem-
ble être prédictif d’une évolution vers la démence [8].
Que proposer à un patient atteint de MCI ?
Le contrôle des facteurs de risque vasculaire est une me-
sure logique de prévention de la maladie d’Alzheimer. Le
traitement de la dépression associée (en évitant les tricycli-
ques) et des autres comorbidités sont à envisager. Si des
médicaments à action anticholinergique sont utilisés, leur ar-
rêt progressif est souhaitable.
Aucun des médicaments indiqués en traitement symp-
tomatique de la maladie d’Alzheimer n’est utile. Un essai
contrôlé avec vitamine E et donépézil n’a montré aucun bé-
néfice sur une durée de 3 ans ; le bénéfice modéré constaté
la 1re année avec le donépézil avait disparu dès la 2eannée.
Les méthodes d’entraînement cognitif ont obtenu des ré-
sultats encourageants dans des essais non contrôlés chez
les personnes âgées normales plus que chez les patients
atteints de maladie d’Alzheimer. Elles devraient faire l’objet
d’essais contrôlés pour les patients avec MCI.
Doit-on utiliser le terme de MCI en pratique
clinique ?
La plus grande prudence s’impose. Les auteurs écartent
l’idée d’un dépistage chez des personnes asymptomatiques
Si au terme d’un examen consécutif à une plainte, le choix est
fait d’informer les patients ou l’entourage, cela doit s’accom-
pagner de conseils pour l’avenir, tout en précisant l’incerti-
tude de l’évolution. Ainsi, en 2008, une revue de la littérature
canadienne concluait que, si les patients atteints de troubles
cognitifs légers doivent être surveillés étroitement et encou-
ragés à s’adonner à des activités de loisirs, à des activités qui
stimulent la cognition et à des activités physiques et traités le
cas échéant pour des facteurs de risque vasculaires existant,
aucun autre traitement spécifique ne peut être recommandé
[10]. Plus récemment, une étude indienne en population gé-
nérale concluait sans surprise, à partir d’une analyse systéma-
tique des tests MMSE chez des personnes âgées de plus de
60 ans, que l’avancée en âge est associée « normalement » à
des troubles cognitifs dans les 3 domaines de l’orientation, de
la concentration, et du soin de soi-même... [11].
Que conclure pour notre pratique ?
La prudence des experts pour l’utilisation du concept. Si
le concept de MCI est un outil pour la recherche clinique, les
incertitudes persistantes doivent rendre très prudent le clini-
cien avant de le présenter comme précurseur de la maladie
d’Alzheimer [8-12].
Les repères pour différencier trouble de mémoire lié à
l’âge et MCI :l’existence de troubles cognitifs autres que les
troubles de mémoire, la perception de l’entourage plus im-
portante que celle du patient, semblent être des guides pour
demander un avis spécialisé.
MCI : entité utile au clinicien ou concept pour chercheur ?
Les anticholinestérases sont inefficaces, le rapport bénéfice/
risque de l’annonce de ce « diagnostic » au patient n’est pas
évalué. Cela rejoint, mais très en amont et donc avec encore
plus de responsabilité, la discussion sur le diagnostic précoce
et l’annonce de la maladie d’Alzheimer.
217mai 2012MÉDECINE
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
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Le généraliste face à un trouble de mémoire chez la personne âgée
Le bruit médiatique autour de la maladie d’Alzheimer, la crainte générée chez les personnes âgées, la fréquence croissante
des troubles de mémoire avec l’âge, conduisent à une multiplication des demandes de consultations à ce sujet. Peut-on
rassurer ces patients en se fondant seulement sur les caractères cliniques du trouble ressenti ou faut-il des tests, voire des
examens complémentaires ? Quand faut-il envoyer le patient vers un spécialiste ou un centre mémoire [2, 6, 10] ?
Les éléments cliniques sont la base
de la décision
Le trouble ressenti peut-il être décrit ? Une plainte éma-
nant d’un patient qui vient seul, décrit facilement et de façon
précise le trouble présenté, est en faveur du caractère bénin
(notamment les troubles du rappel qui cèdent le plus souvent
quelques instants plus tard) [6].
Les activités de la vie quotidienne sont-elles perturbées ?
Les premières déficiences évoquant une démence concer-
nent l’usage des moyens de transport, la gestion de l’argent,
l’usage du chéquier, la cuisine, les achats, la tenue de la mai-
son, le téléphone, la gestion des médicaments... Elles pas-
sent souvent inaperçues ou sous-estimées. Il faut en parler
avec les personnes de l’entourage, mais leur vision et celle
du médecin peuvent être différentes, les membres de la fa-
mille surestimant parfois les troubles présentés [13].
Des médicaments sont-ils utilisés ? Tous les médicaments
à effet anticholinergique peuvent entraîner des troubles mné-
siques, soit 14 des 25 médicaments les plus prescrits chez
les personnes âgées.
Des troubles de l’humeur sont-ils associés ? Les états dé-
pressifs peuvent s’accompagner de troubles mnésiques. Le
patient les perçoit sauf en cas de dépression majeure ou
d’apathie d’une démence débutante avec baisse de motiva-
tion. Il faut donc chercher les signes d’anxiété et d’humeur
dépressive qui peuvent expliquer les troubles mnésiques. La
décision thérapeutique est difficile : les benzodiazépines peu-
vent entraîner des troubles de mémoire ; les tricycliques sont
anticholinergiques ; les ISRS ne sont efficaces qu’en cas de
dépression sévère [13], au prix de possibles effets adver-
ses... Une approche non pharmacologique est préférable.
Tests cognitifs, scanner et IRM
sont-ils utiles ?
Identifier un trouble du rappel peut être fait par exemple avec
un simple test des mots : après énoncé de 3 à 5 mots, de-
mander au patient de les restituer, spontanément, puis si
besoin avec des éléments de reconnaissance (indiçage). Re-
trouver le mot, même s’il faut un indiçage, signe le simple
trouble du rappel, en faveur d’un trouble bénin. Le MMSE ne
permet pas vraiment de faire cette distinction [4].
La neuro-imagerie (scanner ou IRM) n’apporte aucun élé-
ment probant : des anomalies liées au vieillissement pouvant
être présentes très précocement, en dehors de tout proces-
sus démentiel [7].
La place des examens biologiques de base ne se discute
qu’en fonction du contexte.
Quand demander une consultation
spécialisée ?
Une plainte est suspecte si elle est présentée par l’entou-
rage, plus importante pour l’entourage que pour le sujet, si
elle s’accompagne de modifications du comportement à type
d’apathie et d’une absence de facilitation de l’indiçage à l’exa-
men. Un avis spécialisé, notamment neuropsychologique,
est nécessaire pour confirmer la nature du déficit mnésique
et préciser les déficits cognitifs associés. Le diagnostic de
démence nécessite l’association au déficit mnésique du dé-
ficit d’au moins une autre fonction supérieure et d’un reten-
tissement sur les activités régulières de la vie quotidienne.
Le diagnostic peut maintenant être fait à un stade précoce,
lorsque le retentissement n’affecte que les activités
complexes [4]. Encore faut-il qu’il soit alors utile pour le pa-
tient... La question est complexe.
Que conclure pour notre pratique ?
La seule clinique permet au généraliste, avec une certaine
sécurité, d’affirmer la nature « bénigne » de troubles de
mémoire chez une personne âgée. Mais cela demande une
approche clinique et une explication précises, fondées sur la
nature du trouble et l’absence de trouble cognitif.
Toute plainte mnésique, même bénigne, traduit une souf-
france. Au-delà de la crainte d’une maladie d’Alzheimer dé-
butante, toujours présente, la plainte mnésique s’accompa-
gne souvent d’une diminution des performances, d’une
baisse de l’estime de soi, d’un mal-être qu’il faut chercher à
comprendre [2]. La demande de consultation spécialisée doit
être réservée aux suspicions précises de pathologie démen-
tielle. Une consultation « pour rassurer » risque au contraire
d’inquiéter en elle-même ou si les tests utilisés sont limites,
voire faussement positifs comme cela est toujours possible.
218 MÉDECINE mai 2012
STRATÉGIES
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