STRATÉGIES Mots clés : maladie d’Alzheimer, sujet âgé, troubles de la mémoire, vieillissement Nous avons vu dans un précédent dossier (décembre 2009) combien la médecine des personnes âgées ne peut être qu’une médecine globale prenant en compte la plainte qui motive la rencontre, mais aussi tout l’ensemble de la personne. Une médecine réellement « préventive » peut améliorer tant l’espérance de vie que sa qualité, notamment pour ce qui concerner le risque de chutes, de perte d’autonomie et de dépendance [1]. Dans une société comme la nôtre, la signification même du « vieillir » est en débat, avec au centre des préoccupations de tous, les questions que pose l’apparition de troubles de la mémoire : ne seraient-ils pas les premiers signes d’une maladie d’Alzheimer ? Nous verrons dans un troisième volet ce qu’il en est des petits troubles cognitifs quotidiens, peut-être encore plus perturbants, en tout cas pour l’entourage. Abstract: Memory and age: “But what did I come here for?” The concept of “aging” does not include a definite reality and its representations can change according to the context. The analysis can only be individual, centered on the life course in the elderly. One should know and understand this context and its social and environmental determinants to use them in the best interest of the person concerned. Any memory complaint does not require a “memory clinic” that often does not reassure, whatever the precautions taken. Demand for specialist consultation should be reserved for specific pathology suspected dementia. In the absence of cognitive impairment, it is benign oblivion, more and more common with advancing age. It is not possible today to conclude on later risk of dementia, since the studies are contradictory on this point. In contrast, subjective complaints of memory are often associated with depression or increased by certain medications they are primarily associated, in the representations of the patients or their surroundings, to the risk of Alzheimer’s disease. Current data on the “Mild Cognitive Impairment” do not present it as a precursor to Alzheimer’s disease. The only clinic approach allows the generalist, with a detailed explanation, to tell the nature of “benign” memory problems in older patients. Key words: Aged; Aging; Alzheimer disease; Memory Disorders Mémoire et âge : « mais que suis-je donc venu faire là ? » DOI : 10.1684/med.2012.0837 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Pierre Gallois Jean-Pierre Vallée Yves Le Noc Société Française de Documentation et de Recherche en Médecine Générale Des données pour décider en médecine générale Ces dossiers sont issus de textes publiés chaque semaine depuis quelques années dans Bibliomed. Actualisés si nécessaire en fonction des données les plus récentes, ils ne résultent pas d’une revue systématique de la littérature, mais d’une veille documentaire en continu des principales revues médicales publiant des études fondées sur les preuves, ou des recommandations en résultant. Ils ont pour ambition de fournir au médecin généraliste une actualisation des données sur les questions pertinentes pour leur pratique retenues par le comité de rédaction. Les questions auxquelles répond ce dossier ont fait l’objet de 4 publications de Bibliomed : 447 du 20 décembre 2006, 633 du 30 juin 2011, 651 du 19 janvier 2012, 653 du 2 février 2012. 214 MÉDECINE mai 2012 STRATÉGIES Des données pour décider en médecine générale Les représentations de la vieillesse et du vieillissement – et les comportements qui en découlent – diffèrent profondément selon l’âge, les conditions sociales et le parcours de vie. Comme nous le rappelions [1], la perte d’autonomie chez la personne âgée dépend pour beaucoup de son activité physique et de son état nutritionnel. La qualité et la rapidité des processus cognitifs contribuent aux activités de la vie quotidienne, aux possibilités de déplacement, à la conduite automobile et diverses activités, sociales ou individuelles. Ils aident au maintien de l’autonomie, des capacités cognitives, à la prévention de la démence, mais aussi réduisent (retardent ?) la mortalité. Quant aux plaintes nombreuses concernant les troubles de mémoire assez habituels avec l’avancée en âge, il appartient au médecin traitant de donner une réponse adéquate aux inquiétudes parfois inutiles de nombreux consultants. Toute difficulté de mémoire n'annonce pas une maladie d'Alzheimer a plainte mnésique est banale chez le sujet âgé, mais elle est actuellement vécue par le patient avec la crainte d’une maladie d’Alzheimer [2], ou pour le médecin (voir ci-dessous) d’un déficit cognitif léger (MCI). Pourtant trois situations sont bien plus fréquentes : les troubles liés à l’âge [2], les effets secondaires des médicaments [3], les conséquences d’une dépression [4]. Les connaître permet de rassurer, éviter le cycle des examens et l’anxiété qu’ils engendrent. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. L Les troubles de mémoire liés à l'âge La plainte mnésique, fréquente dès 50 ans, augmente avec l’âge. Elle n’est pas corrélée aux performances aux tests de mémoire, d’intelligence ou d’attention, mais plutôt à des facteurs psychoaffectifs, le stress chez le jeune, le sentiment d’âge chez le sujet âgé. La grande majorité des sujets se plaignant de leur mémoire n’ont pas d’affection organique cérébrale [2]. La plainte isolée est bénigne : purement subjective, sans diminution des performances, ni retentissement sur l’activité quotidienne une plainte ne présente pas un risque plus élevé de MA de ce seul fait. À l’inverse un déficit mnésique non ressenti est suspect [2]. La sémiologie de la plainte est la base du diagnostic. La mémorisation comprend 3 processus : encodage, stockage, rappel. La plainte de la MA, trouble de la mémorisation, porte sur les deux premières étapes et donc uniquement sur le passé récent : le patient ne retrouve pas ses affaires, répète ses questions, mais ne ressent pas son déficit ; l’entourage, qui s’en aperçoit, est le plus souvent à l’origine de la consultation. À l’inverse, la plainte liée à l’âge est un trouble du rappel, qui porte aussi bien sur le passé ancien que récent. La mémoire des noms propres utilise particulièrement ce mécanisme de rappel. Le mot recherché survient spontanément quelques instants plus tard. Il s’y associe des troubles de l’attention (« je ne sais plus ce que je suis venu faire dans cette pièce ») [2]. La gêne est subjective, le patient consulte seul, l’entourage ne s’en aperçoit que si la personne se plaint. Il n’y a pas d’autre trouble cognitif, de perturbations de la réalisation des activités de la vie quotidienne, comme dans les MCI [2, 4]. Il peut y avoir des manifestations psychoaffectives, mais n’affectant pas le comportement, alors que la MA débutante s’accompagne d’une baisse de motivation. Les troubles de mémoire liés aux médicaments Il faut savoir les évoquer devant une altération mnésique récente ou brutale, surtout chez les sujets âgés [3]. Tous les médicaments à effet anticholinergique peuvent entraîner des troubles mnésiques. Ceci concerne 14 des 25 médicaments les plus prescrits chez les gens âgés : tricycliques, phénotiazines, antiparkinsoniens, antispasmodiques (tiémonium), antiarythmiques (disopyramide), antiulcéreux (cimétidine, ranitidine), antispasmodique urinaire (oxybutynine), antihistaminiques (prométhazine, alimémazine, dexchlorphéniramine). Une étude française [5] a relevé chez 372 patients non déments de plus de 60 ans, 51 utilisateurs réguliers de ces médicaments. L’évaluation cognitive a étiqueté MCI 35 % des non-utilisateurs et 80 % des utilisateurs. À 8 ans le taux de démence était identique dans les 2 groupes (16 et 14 %). Les psychotropes sont souvent en cause. Ce peut être par le biais de leurs effets anticholinergique (tricycliques, antipsychotiques), ou par leur nature même. Les benzodiazépines (et les barbituriques) affectent la mémoire des faits récents surtout chez les sujets âgés, même après une dose unique. L’effet disparaît à l’arrêt du médicament. Ce qui justifie les recommandations d’usage de produits à demi-vie courte, pour une période limitée. Les nouveaux antidépresseurs (ISRS) ne semblent pas avoir d’effet mnésique, mais les données sont peu nombreuses. Les antipsychotiques classiques peuvent entraîner des troubles mnésiques chez le sujet âgé, moins certainement avec les atypiques, Le lithium entraîner chez le sujet âgé une baisse des performances mnésiques. Parmi les antalgiques du palier 2 (codéine, tramadol, dextropropoxyphène), seul le dernier peut entraîner une atteinte mnésique isolée. Et l'association trouble mnésique et dépression ? Les sujets dépressifs peuvent avoir des déficits cognitifs liés à leur maladie psychiatrique, concernant la mémoire de travail, la mémoire épisodique et l’attention. Les antidépresseurs peuvent les améliorer, mais il faut éviter les tricycliques. Que conclure pour notre pratique ? Toute plainte mnésique ne nécessite pas une « consultation mémoire » qui souvent ne rassurera pas, quelles que soient les précautions prises. L’oubli bénin, simple trouble du rappel, courant après un certain âge, peut être reconnu par ses caractères, sa perception avant tout par la personne âgée elle-même, et l’absence d’autre trouble cognitif. Le trouble mnésique d’origine médicamenteuse doit toujours être évoqué chez la personne âgée, justifiant l’adaptation des prescriptions. L’association trouble mnésique et dépression justifie une prise en charge de la dépression. Si un médicament s’avère nécessaire, mieux vaut éviter les tricycliques. MÉDECINE mai 2012 215 STRATÉGIES Des données pour décider en médecine générale Troubles « subjectifs » de mémoire ? vec l’augmentation d’incidence et surtout le tapage médiatique fait autour de la MA, le moindre trouble de mémoire fait rapidement évoquer ou craindre une MA débutante. C’est un motif de consultation courant, voire de recours à un « centre mémoire ». Pourtant, ces troubles de mémoire sont fréquents et banals dès l’âge de 50 ans. Une synthèse récente sur les troubles subjectifs de mémoire (TSM) [6] en développe les divers aspects, ce qui peut faciliter la réponse aux nombreux consultants de ce domaine et leur éviter des inquiétudes inutiles. A Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Qu'est-ce qu'un trouble subjectif de mémoire ? Le TSM est ressenti par la personne (pas toujours par son entourage) qui, en général, demande la consultation et vient seule, contrairement à ce qui se passe en cas de troubles mnésiques organiques des troubles cognitifs légers (MCI) ou de la MA. Même questionnés directement, 60 % des patients atteints de démence et 62 % de ceux atteints de MCI ne rapportent pas de TSM. Le TSM est un trouble du rappel, portant aussi bien sur le passé récent qu’ancien, concernant beaucoup les noms propres pour lesquels la mémoire utilise particulièrement ce mécanisme de rappel. Le TSM a une sémiologie caractéristique : les informations recherchées reviennent en mémoire quelques instants plus tard, spontanément ou après une procédure de recherche. Il s’y associe des troubles de l’attention (« qu’est-ce que je suis venu faire dans cette pièce »). La gêne est subjective, l’entourage ne s’en aperçoit que si la personne s’en plaint ; il n’y a pas de perturbations des activités de la vie quotidienne, sauf parfois chez les personnes très âgées [2, 7]. Le TSM n’est pas associé à des troubles cognitifs caractérisés mais parfois à un déclin cognitif lié à l’âge, concernant la rapidité des processus et l’attention [2]. Les TSM ont une prévalence importante. La plainte mnésique est fréquente à tout âge : ainsi sur 260 sujets se présentant à une consultation mémoire, 30 % avaient moins de 50 ans [7]. Mais sa prévalence varie selon les méthodes de mesure et les populations : de 25 à 50 % chez les plus de 65 ans, elle passe à 43 % entre 65 et 74 ans et 88 % après 85 ans, alors que des revues systématiques récentes observent une prévalence de 8 % de démences et 16,8 % de MCI après 50 ans [2]. Les TSM sont-ils facteurs de risque de démence ? Les études sont contradictoires. En 2000, dans une grande majorité des études, les TSM apparaissaient bénins, les personnes s’en plaignant n’ayant pas un risque d’évolution vers la démence plus élevé si ces TSM ne s’accompagnaient pas d’une diminution de performance aux tests cognitifs [7]. En 2011, une nouvelle synthèse soulignait pourtant que la plupart des études longitudinales montrent une augmentation du risque de déclin cognitif ou de démence (3 fois plus dans une étude) [6], bien que l’une de ces études (Maastricht, cohorte de 557 participants de 55 à 85 ans suivis 6 ans) ne confirme pas ce constat [6]. 216 MÉDECINE mai 2012 Les TSM sont-ils associés à d'autres troubles ? Les participants volontaires des études ou ceux qui viennent d’eux-mêmes à une consultation-mémoire sont relativement jeunes et leurs symptômes corrélés avec des troubles de l’humeur plus qu’avec des troubles objectifs de mémoire aux tests cognitifs. Dans une revue de 26 études, les TSM étaient fortement associés à la dépression et/ou une personnalité névrotique. La conscience du trouble de mémoire est augmentée en cas de dysthymie et d’anxiété mais pas en cas de dépression majeure. Une autre revue de 5 études montre une association entre TSM et moindre qualité de vie, association qui persiste sur 9 ans dans l’étude de Maastricht. Ces données suggèrent que si les TSM ne sont pas un facteur de risque direct de démence, ils doivent être pris au sérieux [2]. Par ailleurs, beaucoup de médicaments peuvent entraîner des troubles mnésiques, qu’il s’agisse de médicaments à effet anticholinergique ou de psychotropes avec ou sans cet effet (cf paragraphe précédent). Que conclure pour notre pratique ? Les TSM sont fréquents chez les personnes âgées. Leur perception par les patients eux-mêmes, les caractères cliniques qu’ils décrivent, l’absence de trouble cognitif associé, les définissent bien comme tels. Il n’est pas possible aujourd’hui de conclure sur le risque de démence ultérieure, les études étant contradictoires sur ce point. En revanche, ils sont souvent associés à des dépressions ou favorisés par certains médicaments ; ils sont surtout associés dans les représentations des patients ou de leur entourage au risque de maladie d’Alzheimer. La plainte de TSM est donc à prendre au sérieux, comme nous allons le voir. STRATÉGIES Des données pour décider en médecine générale Déficit cognitif léger : entité clinique réelle ou simple concept pour la recherche ? a hantise d’aujourd’hui, devant un trouble de mémoire, est celle de la maladie d’Alzheimer. L’apparition lentement progressive de cette maladie, les études épidémiologiques ont conduit à identifier, entre normalité et démence, une nouvelle entité, le déficit cognitif léger, mild cognitive impairment (MCI) selon la dénomination internationale. Le MCI semblerait à haut risque d’évolution vers une maladie d’Alzheimer, contrairement aux banals troubles de mémoire liés à l’âge, à « l’oubli bénin ». Si ce concept est largement diffusé, il faut en retenir l’imprécision et l’insertion dans le débat sur la possibilité (l’intérêt ?) du diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. Un groupe de neurogériatres internationaux a proposé en 2006 une synthèse des données qui est toujours d’actualité en 2012 [8]. L Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Concept hétérogène, données divergentes Le concept, identifié en 1997 par Petersen, est resté longtemps très hétérogène. Il incluait des troubles mnésiques soit isolés, soit associés à des troubles cognitifs affectant les capacités fonctionnelles. La prévalence chez les personnes âgées de la population générale variait selon les études épidémiologiques de 3 à 19 %, avec un risque d’évoluer vers une maladie d’Alzheimer de 11 à 33 % sur 2 ans ; surtout 44 % des patients étiquetés MCI avaient un examen normal un an plus tard. La progression vers une maladie d’Alzheimer était de 16 % par an dans un essai contrôlé, de 41 % après un an et de 64 % après 2 ans dans l’autre. Ces différences de prévalence et de devenir s’expliquent par les populations étudiées : population générale d’une part, consultations spécialises de l’autre [8]. Des critères diagnostiques qui ont évolué Pour proposer une définition plus opérationnelle, permettant avant tout de repérer les patients à haut risque d’évolution démentielle, une modification des critères initiaux de Petersen a été proposée pour le MCI [9] : – le déficit correspond à une plainte cognitive émanant du patient et/ou de l’entourage ; – le sujet et/ou l’entourage signalent un déclin des performances cognitives et/ou fonctionnelles ; – un trouble de la mémoire et/ou d’une autre sphère cognitive sont objectivés par l’évaluation clinique ; – cette altération cognitive n’a pas de retentissement sur la vie quotidienne ; mais le sujet peut signaler des difficultés pour des activités complexes. En pratique médicale courante, le diagnostic de MCI est avant tout basé sur une évaluation clinique globale, et non sur la seule sphère mnésique. Il repose sur l’analyse de la cognition, du comportement, du fonctionnement général. Il associe l’entretien avec le patient et l’entourage et l’évaluation neuropsychologique [9]. Les frontières entre vieillissement normal et MCI, entre MCI et démence débutante, sont imprécises. Il semble surtout nécessaire de rechercher des déficits minimes dans les d’activités de la vie quotidienne (hobbies, téléphone, usage des moyens de transport, des moyens financiers, des médicaments). Le manque de conscience de telles difficultés semble être prédictif d’une évolution vers la démence [8]. Que proposer à un patient atteint de MCI ? Le contrôle des facteurs de risque vasculaire est une mesure logique de prévention de la maladie d’Alzheimer. Le traitement de la dépression associée (en évitant les tricycliques) et des autres comorbidités sont à envisager. Si des médicaments à action anticholinergique sont utilisés, leur arrêt progressif est souhaitable. Aucun des médicaments indiqués en traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer n’est utile. Un essai contrôlé avec vitamine E et donépézil n’a montré aucun bénéfice sur une durée de 3 ans ; le bénéfice modéré constaté la 1re année avec le donépézil avait disparu dès la 2e année. Les méthodes d’entraînement cognitif ont obtenu des résultats encourageants dans des essais non contrôlés chez les personnes âgées normales plus que chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer. Elles devraient faire l’objet d’essais contrôlés pour les patients avec MCI. Doit-on utiliser le terme de MCI en pratique clinique ? La plus grande prudence s’impose. Les auteurs écartent l’idée d’un dépistage chez des personnes asymptomatiques Si au terme d’un examen consécutif à une plainte, le choix est fait d’informer les patients ou l’entourage, cela doit s’accompagner de conseils pour l’avenir, tout en précisant l’incertitude de l’évolution. Ainsi, en 2008, une revue de la littérature canadienne concluait que, si les patients atteints de troubles cognitifs légers doivent être surveillés étroitement et encouragés à s’adonner à des activités de loisirs, à des activités qui stimulent la cognition et à des activités physiques et traités le cas échéant pour des facteurs de risque vasculaires existant, aucun autre traitement spécifique ne peut être recommandé [10]. Plus récemment, une étude indienne en population générale concluait sans surprise, à partir d’une analyse systématique des tests MMSE chez des personnes âgées de plus de 60 ans, que l’avancée en âge est associée « normalement » à des troubles cognitifs dans les 3 domaines de l’orientation, de la concentration, et du soin de soi-même... [11]. Que conclure pour notre pratique ? La prudence des experts pour l’utilisation du concept. Si le concept de MCI est un outil pour la recherche clinique, les incertitudes persistantes doivent rendre très prudent le clinicien avant de le présenter comme précurseur de la maladie d’Alzheimer [8-12]. Les repères pour différencier trouble de mémoire lié à l’âge et MCI : l’existence de troubles cognitifs autres que les troubles de mémoire, la perception de l’entourage plus importante que celle du patient, semblent être des guides pour demander un avis spécialisé. MCI : entité utile au clinicien ou concept pour chercheur ? Les anticholinestérases sont inefficaces, le rapport bénéfice/ risque de l’annonce de ce « diagnostic » au patient n’est pas évalué. Cela rejoint, mais très en amont et donc avec encore plus de responsabilité, la discussion sur le diagnostic précoce et l’annonce de la maladie d’Alzheimer. MÉDECINE mai 2012 217 STRATÉGIES Des données pour décider en médecine générale Le généraliste face à un trouble de mémoire chez la personne âgée e bruit médiatique autour de la maladie d’Alzheimer, la crainte générée chez les personnes âgées, la fréquence croissante des troubles de mémoire avec l’âge, conduisent à une multiplication des demandes de consultations à ce sujet. Peut-on rassurer ces patients en se fondant seulement sur les caractères cliniques du trouble ressenti ou faut-il des tests, voire des examens complémentaires ? Quand faut-il envoyer le patient vers un spécialiste ou un centre mémoire [2, 6, 10] ? L Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Les éléments cliniques sont la base de la décision Le trouble ressenti peut-il être décrit ? Une plainte émanant d’un patient qui vient seul, décrit facilement et de façon précise le trouble présenté, est en faveur du caractère bénin (notamment les troubles du rappel qui cèdent le plus souvent quelques instants plus tard) [6]. Les activités de la vie quotidienne sont-elles perturbées ? Les premières déficiences évoquant une démence concernent l’usage des moyens de transport, la gestion de l’argent, l’usage du chéquier, la cuisine, les achats, la tenue de la maison, le téléphone, la gestion des médicaments... Elles passent souvent inaperçues ou sous-estimées. Il faut en parler avec les personnes de l’entourage, mais leur vision et celle du médecin peuvent être différentes, les membres de la famille surestimant parfois les troubles présentés [13]. Des médicaments sont-ils utilisés ? Tous les médicaments à effet anticholinergique peuvent entraîner des troubles mnésiques, soit 14 des 25 médicaments les plus prescrits chez les personnes âgées. Des troubles de l’humeur sont-ils associés ? Les états dépressifs peuvent s’accompagner de troubles mnésiques. Le patient les perçoit sauf en cas de dépression majeure ou d’apathie d’une démence débutante avec baisse de motivation. Il faut donc chercher les signes d’anxiété et d’humeur dépressive qui peuvent expliquer les troubles mnésiques. La décision thérapeutique est difficile : les benzodiazépines peuvent entraîner des troubles de mémoire ; les tricycliques sont anticholinergiques ; les ISRS ne sont efficaces qu’en cas de dépression sévère [13], au prix de possibles effets adverses... Une approche non pharmacologique est préférable. Tests cognitifs, scanner et IRM sont-ils utiles ? Identifier un trouble du rappel peut être fait par exemple avec un simple test des mots : après énoncé de 3 à 5 mots, demander au patient de les restituer, spontanément, puis si besoin avec des éléments de reconnaissance (indiçage). Retrouver le mot, même s’il faut un indiçage, signe le simple trouble du rappel, en faveur d’un trouble bénin. Le MMSE ne permet pas vraiment de faire cette distinction [4]. 218 MÉDECINE mai 2012 La neuro-imagerie (scanner ou IRM) n’apporte aucun élément probant : des anomalies liées au vieillissement pouvant être présentes très précocement, en dehors de tout processus démentiel [7]. La place des examens biologiques de base ne se discute qu’en fonction du contexte. Quand demander une consultation spécialisée ? Une plainte est suspecte si elle est présentée par l’entourage, plus importante pour l’entourage que pour le sujet, si elle s’accompagne de modifications du comportement à type d’apathie et d’une absence de facilitation de l’indiçage à l’examen. Un avis spécialisé, notamment neuropsychologique, est nécessaire pour confirmer la nature du déficit mnésique et préciser les déficits cognitifs associés. Le diagnostic de démence nécessite l’association au déficit mnésique du déficit d’au moins une autre fonction supérieure et d’un retentissement sur les activités régulières de la vie quotidienne. Le diagnostic peut maintenant être fait à un stade précoce, lorsque le retentissement n’affecte que les activités complexes [4]. Encore faut-il qu’il soit alors utile pour le patient... La question est complexe. Que conclure pour notre pratique ? La seule clinique permet au généraliste, avec une certaine sécurité, d’affirmer la nature « bénigne » de troubles de mémoire chez une personne âgée. Mais cela demande une approche clinique et une explication précises, fondées sur la nature du trouble et l’absence de trouble cognitif. Toute plainte mnésique, même bénigne, traduit une souffrance. Au-delà de la crainte d’une maladie d’Alzheimer débutante, toujours présente, la plainte mnésique s’accompagne souvent d’une diminution des performances, d’une baisse de l’estime de soi, d’un mal-être qu’il faut chercher à comprendre [2]. La demande de consultation spécialisée doit être réservée aux suspicions précises de pathologie démentielle. Une consultation « pour rassurer » risque au contraire d’inquiéter en elle-même ou si les tests utilisés sont limites, voire faussement positifs comme cela est toujours possible. STRATÉGIES Des données pour décider en médecine générale Références : 1. Gallois P, Vallée JP, Le Noc Y. Les règles d’or du « bien vieillir ». Prévenir, manger, bouger. Médecine. 2009;5(10):456-62. 2. Derouesné C, Lacomblez L. La plainte bénigne : épidémiologie et démarche diagnostique. Presse Med. 2000;29:858-62. 3. Caer-Frouard M, Weill-Engeret, Piette F. Médicaments et mémoire : des interactions à connaître chez le sujet âgé. Presse Med. 2006;35:91-6. 4. Karlawish JHT, Clark CM. Diagnostic evaluation of elderly patients with memory problems. Ann Int Med. 2003;138:411-9. 5. Ancelin ML, Artero S, Portet F, Dupuy AM, Touchon J, Ritchie K. Non degenerative mild cognitive impairment in elderly people and use anticholinergic drugs : longitudinal cohort study. BMJ. 2006;332:455-8. 6. Iliffe S, Pealing L. Subjective memory problems. BMJ. 2010;340:703-6. 7. Ellison JL. A 60-year-old woman with mild memory impairment. Review of mild cognitive impairment. JAMA. 2008;300(13):1566-74. 8. Gauthier S, Reisberg B, Zaudig M, et al. International Psychogeriatric Association Expert Conference on mild cognitive impairment. Lancet. 2006;367:1262-70. 9. Portet F, Ousset PJ, Touchon J. Qu’est-ce que le déficit cognitif léger ? Rev Prat. 2005;55:1891-4. 10. Chertkow H, Massoud F, Nasreddine Z, et al. Diagnosis and treatment of dementia: 3. Mild cognitive impairment and cognitive impairment without dementia. CMAJ. 2008;178:1273-85. 11. Tripathi RK, Tiwari SC. Cognitive Dysfunction in Normally Aging Urban Older Adults : A Community-based Study. Indian J Psychol Med. 2011;33:177-81. 12. Petersen RC, O’Brien J. Mild Cognitive Impairment should be considered for DSM-V. J Geriatr Psychiatry Neurol. 2006;19:147-54. 13. Banerjee S, Hellier J, Dewey M, et al. Sertraline or mirtazapine for depression in dementia (HTA-SADD): a randomised, multicentre, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet. 2011;378:403-11. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Mémoire et âge : « mais que suis-je donc venu faire là ? » h Toute plainte mnésique ne nécessite pas une « consultation mémoire » qui souvent ne rassurera pas, quelles que soient les précautions prises. La demande de consultation spécialisée doit être réservée aux suspicions précises de pathologie démentielle. En l’absence de troubles cognitifs, il s’agit de l’oubli bénin, de plus en plus courant avec l’avancée en âge. h Il n’est pas possible aujourd’hui de conclure sur le risque de démence ultérieure, les études étant contradictoires sur ce point. En revanche, les troubles subjectifs de la mémoire sont souvent associés à des dépressions ou favorisés par certains médicaments ; ils sont surtout associés dans les représentations des patients ou de leur entourage au risque de maladie d’Alzheimer. h Les données actuelles sur le « Mild Cognitive Impairment » ne permettent pas de le présenter comme précurseur de la maladie d’Alzheimer. h La seule clinique permet au généraliste, avec une approche et une explication précises, d’affirmer la nature « bénigne » de troubles de mémoire chez une personne âgée. MÉDECINE mai 2012 219