Le don d`embryon : que nous apprennent les

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mt médecine de la reproduction 2006 ; 8 (6) : 385-7
Le don d’embryon :
que nous apprennent
les entretiens avec
les couples donneurs ?
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017.
Isabelle Galland1, Marie-Thérèse Haeringer2, Christiane Wittemer1,
Karima Bettahar2, Romain Favre2, Stéphane Viville1
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Laboratoire de Biologie de la Reproduction, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg,
CMCO/SIHCUS, 19 rue Louis Pasteur, BP 120, 67303 Schiltigheim Cedex
<[email protected]>
2
Service de Gynécologie Obstétrique, CMCO/SIHCUS, 19 rue Louis Pasteur, BP 120, 67303
Schiltigheim Cedex
Pourquoi vouloir donner ses embryons surnuméraires, issus de l’aide médicale à la procréation
(AMP), à un autre couple infertile ? « C’est pour leur donner une chance de pouvoir devenir
parents comme eux le sont devenus. » Cette phrase est celle qui revient le plus souvent lors des
entretiens psychologiques avec les couples donneurs. La création, par la médecine, de ces
embryons, que plus aucun projet parental ne peut accueillir, suscite une perplexité quant à la
filiation et au temps de la congélation. Il a été mis en évidence, néanmoins, que la notion
d’embryon n’est pas la même pour tous les couples. Certains n’y voient que des cellules et s’en
séparent facilement, d’autres y projettent un frère ou une sœur de leurs enfants actuels et il leur
est plus difficile de s’en séparer. L’entretien peut être alors l’opportunité d’un travail de deuil.
Il est très souvent un moment important qui permet de revenir sur le vécu de l’AMP passée ou
sur l’infertilité, qui parfois n’a plus été abordée depuis la naissance des enfants, avec
quelquefois la notion de transgression ou de dette imaginaire. Pour de nombreux couples, cet
entretien psychologique s’avère essentiel dans la démarche du don d’embryon.
Mots clés : don d’embryon, psychologie, représentation inconsciente, filiation
U
doi: 10.1684/mte.2006.0020
n entretien obligatoire avec un
« psy » est demandé aux couples
qui souhaitent donner leurs embryons
surnuméraires après une aide médicale à la procréation (AMP).
Tirés à part : I. Galland
La loi est floue quant à ce que l’on
attend du psychologue :
– est-ce d’être le garant de la santé
mentale du couple qui donne ?
– est-ce de pouvoir certifier que le
couple donne en son âme et conscience, sans contrainte extérieure ?
– est-ce pour s’assurer que les 2
membres du couple sont d’accord entre eux ?
Les psychologues ont choisi de
présenter l’entretien comme un lieu
de paroles qui va permettre au couple
une élaboration et une réflexion sur
leur projet de don d’embryon. Les
couples se saisissent souvent de cette
possibilité.
Nous allons, en un premier temps,
relever ce que nous disent les couples
au cours de ces entretiens. Nous tenterons, en un deuxième temps, de
faire apparaître ce qu’il en est de l’enjeu, des représentations inconscientes
mobilisées par l’embryon ainsi que du
questionnement autour de la filiation.
mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 6, novembre-décembre 2006
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Quelles sont les questions
qui se posent à ces couples ?
Pourquoi veulent-ils donner ?
C’est très souvent pour donner une chance à un autre
couple confronté, comme eux l’ont été, aux difficultés
liées à l’infertilité. Ils expriment une grande reconnaissance à la médecine, de leur avoir permis d’être parents.
Ils ont reçu et, à leur tour, ils souhaitent donner, « faire
partie de la chaîne de la vie » selon les paroles d’un
couple.
C’est aussi parce qu’ils ont clos leur projet parental et
sont largement comblés par leurs enfants actuels.
Cela peut être, néanmoins, motivés par l’envie de se
débarrasser de quelque chose qui est perçu comme non
naturel, fabriqué par la médecine.
C’est aussi parce qu’il est impensable de détruire.
A qui veulent-ils donner ?
A des parents aimants auxquels ils s’identifient, ce dont
ils nous demandent d’être les garants ; une garantie quant
à l’affection, au confort matériel, à la qualité de l’éducation. Ils nous demandent que les enfants à naître soient
préservés, de toute maltraitance.
Parfois, c’est seulement pour donner une chance aux
embryons. Dans ces cas-là, ils n’évoquent même pas le
couple receveur, ils donnent, simplement pour faire vivre
les embryons.
Ont-ils le droit de donner ?
Pour ces embryons surnuméraires, la meilleure issue
serait de les faire vivre dans la famille. Mais le couple ne
peut plus accueillir un autre enfant, il est parfois déjà
débordé par ceux qui sont là (important pourcentage de
jumeaux). Il se retrouve face à une impasse. Projeter son
désir de parent sur ces couples imaginaires est une manière de poursuivre le projet parental et d’apaiser la culpabilité de ce que le couple vit comme un abandon. Pour
illustrer ces sentiments, les couples donneurs disent qu’ils
seront toujours prêts à venir en aide aux enfants (accueil
en état de détresse, greffe d’organe, etc.).
Quelles sont les dimensions
inconscientes potentiellement
mobilisées par ces questions ?
La notion d’appartenance
Nous avons observé qu’un grand nombre de couples
ne donne pas suite au courrier leur demandant de décider
du devenir de leurs embryons. Certains couples ne signalent même pas leur changement d’adresse, le courrier
nous est retourné, laissant les embryons sans projets. Y
aurait-il une absence de représentation signifiante de ces
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embryons ? L’oubli, voire le déni, seraient-ils une réponse
possible alors, face à l’impensable ?
Une autre réponse peut être que ces embryons appartiennent à la médecine puisque c’est elle qui les a fabriqués. C’est donc à la médecine de se charger de leur
devenir. Pour ces couples il est hors de question de se
déplacer pour un entretien psychologique.
Le contexte particulier d’embryons issus de don de
sperme réactive la question de leur appartenance. Les
hommes ont tendance à ne pas se sentir concernés par le
don puisque, dans ces embryons-là, « ils n’y sont pas ». La
médecine alors, vient leur rappeler que ces embryons
surnuméraires-là sont à eux et qu’on ne peut les donner
sans leur consentement écrit et que leur femme toute seule
ne peut rien envisager. Il nous a semblé que poser cet acte
les rendait, du même coup, pères des enfants déjà nés, ce
dont ils ne sont parfois pas tout à fait sûrs.
La question de l’infertilité masculine est parfois posée
pour la première fois depuis la FIV, et la question de dire
ou non aux enfants leur origine se pose alors.
Les autres couples, qui entrent dans la procédure du
don, ont une pleine conscience que ces embryons-là sont
les leurs, investis de leur désir passé et inscrits dans leur
histoire. Les entretiens sont alors très élaborés et s’accompagnent d’une profonde réflexion qui ouvre au questionnement suivant :
Comment peut-on se séparer de ses embryons ?
Est-ce qu’on s’en sépare pour payer
une dette ?
Une grande générosité accompagne la démarche du
don pour beaucoup de couples. Sans l’aide de la médecine, ils n’auraient jamais été parents, ils se sentent redevables. Donner leurs embryons est une manière de payer
leur dette. Ils nous disent que la boucle est bouclée.
Est-ce pour réparer quelque chose ?
Pour ces couples ayant obtenu leurs enfants par AMP,
les choses ne se sont pas passées selon les lois de la nature.
Être infertile a pu être interprété comme un interdit de
procréer et une impossibilité d’être de bons parents. Avoir
eu un enfant avec l’aide de la médecine peut être vécu
comme une transgression : « ils n’avaient pas le droit de
forcer la nature ! » D’être passé au-delà de cette « décision divine » génère la crainte de devoir le payer en retour
par la mort de leur enfant.
Donner ses embryons permettrait, en partie, d’apaiser
cette angoisse. Il y a la croyance, fantasmatique, à un
marchandage apaisant : c’est donnant donnant, une vie
contre une autre vie.
Est-ce que donner permet de calmer
les angoisses soulevées par les questions
de filiation ?
La médecine, par ses techniques d’AMP, met à mal la
question de la filiation et les couples s’interrogent.
mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 6, novembre-décembre 2006
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Tout d’abord la congélation perturbe l’inscription dans
le temps. Pour certains couples, le temps de la conception
étant le même pour l’embryon congelé que pour celui de
l’enfant né, la question de l’âge de l’enfant issu de cet
embryon, réimplanté dans l’utérus plusieurs années après
la conception se pose et ne trouve pas de réponse rationnelle.
Cette problématique empêche-t-elle la réimplantation
de ces embryons-là ? Le don semble alors permettre de se
débarrasser de cette question impossible.
Ils ont l’impression, aussi, que l’empreinte génétique
leur fera toujours reconnaître leur enfant dans la rue et
qu’il y aura irrémédiablement une attirance entre les frères
et sœurs biologiques et qu’ils ne pourront pas s’empêcher
de s’aimer. Comment assumer cet inceste-là ?
Certains se rassurent en s’appuyant sur l’existence de
sosie sans lien génétique, d’autres par l’absence de ressemblance flagrante entre certains frères et sœurs. Pour
d’autres, cette question reste sans réponse et ils ne se
débarrassent jamais complètement de cette idée-là.
A l’opposé, certains pères ont pu exprimer leur jubilation d’imaginer une progéniture prospère, comme l’illustrent les paroles de cet homme devenu père après une
ICSI : « Il y aura plein de petits « x » partout... ».
N’exprimerait-il pas ici le bonheur d’une virilité retrouvée ? Virilité perdue fantasmatiquement lors de l’annonce
de l’infertilité masculine ?
Est-ce simplement parce qu’ils n’arrivent pas
à les détruire ?
Les couples qui donnent leurs embryons sont unanimes. Ils ne peuvent envisager de les détruire. Ce ne sont
pas des cellules mais bien déjà des enfants potentiels.
Mais en donnant, ils savent aussi que tous les embryons ne
résisteront pas à la décongélation et qu’un transfert d’embryons n’est pas équivalent à chaque fois à une grossesse.
Ils donnent en espérant, en secret que la grossesse n’ait pas
lieu et en même temps s’en veulent de ressentir pareille
ambivalence.
Comment vivent-ils l’anonymat ?
La loi française oblige à l’anonymat et au secret. Les
couples savent, en donnant leurs embryons, qu’ils ne
sauront jamais l’issue de leur don. Pourtant ils nous sollicitent, ils voudraient savoir :
– juste s’il y a eu naissance ou non ;
– puis le nombre d’enfants ;
– puis le sexe...
Au cours de l’entretien, ils se rendent bien compte que
si quelque chose de ce secret venait à leur être révélé, ils
ne pourraient s’empêcher de retrouver l’enfant pour voir
s’il ne manque de rien. Ils nous signifient aussi qu’ils
seront toujours là si cet enfant avait besoin d’eux, en cas
de maladie grave ou de besoin de greffe par exemple,
voire même si les parents « adoptifs » venaient à mourir
comme le suggère un père lors de l’entretien.
Comment peuvent-ils vivre la démarche
de deuil ?
Le don d’embryon confronte les parents à une démarche de deuil. C’est la poursuite du projet parental qui
permet de vivre cette étape. La souffrance est adoucie par
la surdimensionnalité du don généreux qui procure un
sentiment de réparation narcissique. La promesse de vie
de l’embryon donne la possibilité d’offrir le bonheur à un
couple stérile – offrir un tel bonheur donne sens à leur don.
C’est rassurant d’évoquer cet enfant fantasmatique idéalisé que d’autres parents en manque cruel d’enfant –
avides de pouvoir dispenser leur amour - vont mieux
réaliser qu’eux. Leurs enfants à eux, réels, sont là, imparfaits. Il est bon d’imaginer que leur enfant idéal est encore
à venir, qu’ils en sont les concepteurs, ce qui comble sans
fin leur désir de parentalité.
Conclusion
Le don d’embryon n’est pas une démarche anodine
mais les couples n’en sont pas toujours conscients. Il est
essentiel de leur proposer un lieu pour permettre d’aborder leur vécu singulier face à leurs embryons surnuméraires congelés. Ces entretiens permettent souvent un retour
sur l’expérience de l’AMP passée et un apaisement face
aux questions qu’ils se posent.
Néanmoins, ces questions ont besoin de temps et
d’élaboration et nous proposons souvent plusieurs entretiens aux couples qui le souhaitent. Il nous arrive aussi de
leur proposer un an de réflexion lorsque nous sentons que
ces questions sont trop chargées d’émotion. Nous sommes
conscients, néanmoins, qu’il restera toujours des questions sans réponse concernant les origines, et le devenir
père ou mère.
mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 6, novembre-décembre 2006
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