Quelles sont les questions
qui se posent à ces couples ?
Pourquoi veulent-ils donner ?
C’est très souvent pour donner une chance à un autre
couple confronté, comme eux l’ont été, aux difficultés
liées à l’infertilité. Ils expriment une grande reconnais-
sance à la médecine, de leur avoir permis d’être parents.
Ils ont reçu et, à leur tour, ils souhaitent donner, « faire
partie de la chaîne de la vie » selon les paroles d’un
couple.
C’est aussi parce qu’ils ont clos leur projet parental et
sont largement comblés par leurs enfants actuels.
Cela peut être, néanmoins, motivés par l’envie de se
débarrasser de quelque chose qui est perçu comme non
naturel, fabriqué par la médecine.
C’est aussi parce qu’il est impensable de détruire.
A qui veulent-ils donner ?
A des parents aimants auxquels ils s’identifient, ce dont
ils nous demandent d’être les garants ; une garantie quant
à l’affection, au confort matériel, à la qualité de l’éduca-
tion. Ils nous demandent que les enfants à naître soient
préservés, de toute maltraitance.
Parfois, c’est seulement pour donner une chance aux
embryons. Dans ces cas-là, ils n’évoquent même pas le
couple receveur, ils donnent, simplement pour faire vivre
les embryons.
Ont-ils le droit de donner ?
Pour ces embryons surnuméraires, la meilleure issue
serait de les faire vivre dans la famille. Mais le couple ne
peut plus accueillir un autre enfant, il est parfois déjà
débordé par ceux qui sont là (important pourcentage de
jumeaux). Il se retrouve face à une impasse. Projeter son
désir de parent sur ces couples imaginaires est une ma-
nière de poursuivre le projet parental et d’apaiser la cul-
pabilité de ce que le couple vit comme un abandon. Pour
illustrer ces sentiments, les couples donneurs disent qu’ils
seront toujours prêts à venir en aide aux enfants (accueil
en état de détresse, greffe d’organe, etc.).
Quelles sont les dimensions
inconscientes potentiellement
mobilisées par ces questions ?
La notion d’appartenance
Nous avons observé qu’un grand nombre de couples
ne donne pas suite au courrier leur demandant de décider
du devenir de leurs embryons. Certains couples ne signa-
lent même pas leur changement d’adresse, le courrier
nous est retourné, laissant les embryons sans projets. Y
aurait-il une absence de représentation signifiante de ces
embryons ? L’oubli, voire le déni, seraient-ils une réponse
possible alors, face à l’impensable ?
Une autre réponse peut être que ces embryons appar-
tiennent à la médecine puisque c’est elle qui les a fabri-
qués. C’est donc à la médecine de se charger de leur
devenir. Pour ces couples il est hors de question de se
déplacer pour un entretien psychologique.
Le contexte particulier d’embryons issus de don de
sperme réactive la question de leur appartenance. Les
hommes ont tendance à ne pas se sentir concernés par le
don puisque, dans ces embryons-là, « ils n’y sont pas ». La
médecine alors, vient leur rappeler que ces embryons
surnuméraires-là sont à eux et qu’on ne peut les donner
sans leur consentement écrit et que leur femme toute seule
ne peut rien envisager. Il nous a semblé que poser cet acte
les rendait, du même coup, pères des enfants déjà nés, ce
dont ils ne sont parfois pas tout à fait sûrs.
La question de l’infertilité masculine est parfois posée
pour la première fois depuis la FIV, et la question de dire
ou non aux enfants leur origine se pose alors.
Les autres couples, qui entrent dans la procédure du
don, ont une pleine conscience que ces embryons-là sont
les leurs, investis de leur désir passé et inscrits dans leur
histoire. Les entretiens sont alors très élaborés et s’accom-
pagnent d’une profonde réflexion qui ouvre au question-
nement suivant :
Comment peut-on se séparer de ses embryons ?
Est-ce qu’on s’en sépare pour payer
une dette ?
Une grande générosité accompagne la démarche du
don pour beaucoup de couples. Sans l’aide de la méde-
cine, ils n’auraient jamais été parents, ils se sentent rede-
vables. Donner leurs embryons est une manière de payer
leur dette. Ils nous disent que la boucle est bouclée.
Est-ce pour réparer quelque chose ?
Pour ces couples ayant obtenu leurs enfants par AMP,
les choses ne se sont pas passées selon les lois de la nature.
Être infertile a pu être interprété comme un interdit de
procréer et une impossibilité d’être de bons parents. Avoir
eu un enfant avec l’aide de la médecine peut être vécu
comme une transgression : « ils n’avaient pas le droit de
forcer la nature ! » D’être passé au-delà de cette « déci-
sion divine » génère la crainte de devoir le payer en retour
par la mort de leur enfant.
Donner ses embryons permettrait, en partie, d’apaiser
cette angoisse. Ilyalacroyance, fantasmatique, à un
marchandage apaisant : c’est donnant donnant, une vie
contre une autre vie.
Est-ce que donner permet de calmer
les angoisses soulevées par les questions
de filiation ?
La médecine, par ses techniques d’AMP, met à mal la
question de la filiation et les couples s’interrogent.
Revue
mt médecine de la reproduction, vol. 8, n° 6, novembre-décembre 2006
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