
Les endophénotypes : le point de vue de la biologie moléculaire S63
pourrait s’avérer décevante. Au point qu’un auteur, sans
doute un peu mélancolique, postulait qu’après avoir été le
cimetière de l’anatomo-pathologie à la fi n du XIXe siècle, la
recherche en psychiatrie pourrait être le cimetière de la
biologie moléculaire : le lieu où viendrait mourir l’espoir de
la toute puissance explicative des outils révolutionnaires de
la science contemporaine [2].
Plusieurs hypothèses explicatives sont régulièrement
discutées dans la littérature. La question de la pertinence
biologique du phénotype, la qualité de sa défi nition ou les
moyens d’améliorer l’approche phénotypique sont au cœur
des solutions proposées. C’est à partir de cette nécessité que
sont défi nis les endophénotypes ou phénotypes intermédiaires,
résultat théoriquement plus simple des variations génétiques
que l’expression phénotypique complexe de la maladie.
Il existe plusieurs défi nitions des endophénotypes qui
regroupent en général les traits suivants : ils doivent être
spécifi ques d’un trouble, indépendants de l’état ou de la
symptomatologie, stables dans le temps, héritables, présents
chez les apparentés sains plus fréquemment que dans la
population générale mais ils doivent s’agréger plus fréquem-
ment avec la maladie. Ils doivent être cohérents d’un point
de vue clinique et biologique, et, fi nalement, mesurables [3].
Ils sont à différencier clairement du grand nombre de bio-
marqueurs ou des marqueurs somatiques décrits dans les
troubles psychiatriques [4,5] même si certains bio-marqueurs
peuvent parfois remplir une partie des critères défi nissant
les endophénotypes [6,7].
L’objet de cette revue de la littérature est d’analyser la
défi nition et l’utilisation des endophénotypes en psychiatrie
du point de vue de la biologie moléculaire, en s’attachant à
deux traits particulier qui sont l’héritabilité et la cohérence
clinique et biologique.
Le paradoxe de l’héritabilité
Il est en est des pathologies psychiatriques comme de
nombreux traits complexes, physiologiques ou non, et donc
aussi des endophénotypes que la psychiatrie se propose de
défi nir : de nombreux auteurs attribuent à certains traits
complexes une héritabilité signifi cative ou importante mais
les résultats de la recherche des substrats moléculaires de
cette héritabilité ne démontrent l’existence de locus ou de
variants génétiques n’expliquant qu’une part très modeste
de cette héritabilité [8]. Un des exemples extrêmes de
ce problème concerne le Trouble Dépressif Majeur. Si son
héritabilité semble être établie entre 31 % et 42 % [9], la
recherche de polymorphisme génétique associé à la vulné-
rabilité à ce trouble reste à ce jour sans résultat probant,
malgré l’utilisation de techniques de méta-analyse incluant un
nombre considérable de sujets [10]. D’autres résultats, moins
décourageants, démontrent tout de même un écart entre
l’héritabilité, déterminée cliniquement, et la part de variance
du phénotype démontrée par les études moléculaires. Cet
écart est défi ni comme l’héritabilité manquante ou la part de
l’héritabilité non mise en évidence par l’approche moléculaire
utilisée [8]. Par exemple, l’héritabilité du neuroticisme est
évaluée entre 13 % et 58 % alors qu’une étude d’association
à l’échelle du génome démontre que les polymorphismes
peuvent expliquer 6 % de la variance du phénotype [11].
Plusieurs auteurs voient en fait dans le concept même
d’héritabilité une explication à ces déceptions.
Qu’est-ce que l’héritabilité : c’est la proportion de la
variance du phénotype attribuable à l’addition de facteurs
génétiques dans une population donnée à un moment donné,
autrement dit dans un environnement donné. C’est une
caractéristique phénotypique, et non génotypique, d’une
population, qui ne donne pas d’indication causale a priori sur
l’origine génétique ou non de cette proportion de la variance
du phénotype. Son calcul repose en général sur une méthode
de régression entre la mesure d’un phénotype donné chez
les ascendants et les descendants. Ce calcul suppose le plus
souvent que les effets génétiques sont additifs et surtout que
les effets environnementaux et génétiques, qui expliquent
ensemble 100 % de la variance, sont indépendants. Elle
est donc souvent surévaluée à cause de l’environnement
partagé dans les familles, des effets génétiques non additifs
tels que les interactions épistatiques, et, enfi n des interac-
tions gène-environnement. Certains auteurs insistent sur
la confusion qui existe à propos de l’héritabilité entre les
notions de causes et de variations [12]. L’exposition aux
facteurs environnementaux peut varier considérablement
et, mathématiquement, plus l’environnement va être
homogène, plus l’héritabilité augmente. D’un autre côté,
plus la population est homogène génétiquement, moins
l’héritabilité sera forte [13]. Finalement, l’héritabilité est
moins une caractéristique du trait étudié que l’effet que la
diversité génétique de la population étudiée exerce sur la
diversité phénotypique observée [13].
Ces limites dans l’utilisation du concept d’héritabilité
amènent à discuter de la confusion entre héritabilité et
détermination génétique [12]. L’héritabilité ne pouvant pas
avoir de valeur causale, elle n’est pas un indice quantitatif
de la détermination génétique du trait auquel on s’inté-
resse [14]. Autrement dit, une héritabilité élevée n’implique
pas une détermination génétique plus simple du trait [7].
Par exemple, à héritabilité comparable, la part de variance
phénotypique d’origine génétique est à moitié expliquée par
5 loci pour la dégénérescence maculaire liée à l’âge alors
que dans la maladie de Crohn, la part de variance expliquée
par plus de 30 loci est évaluée à 20 % [8].
Ainsi, la notion d’héritabilité d’un endophénotype doit
être utilisée avec précaution. Si de nombreuses études font
état d’une héritabilité signifi cative de nombreux phénotypes
intermédiaires, comme par exemple plusieurs fonctions
cognitives dans la schizophrénie [15], cette héritabilité ne
garantit en rien la pertinence génétique du trait étudié, et
donc fi nalement l’utilité de ce trait comme endophénotype.
La question de la cohérence clinique et biologique est à ce
moment là en question.
Cohérence et complexité
Problème de fréquence
et de nature des polymorphismes
Au delà des critiques parfois radicales que l’on trouve dans
la littérature à propos du concept d’héritabilité, on peut
affi rmer qu’il ne peut y avoir de recherche d’endophénotype
qu’adossée à une recherche en biologie moléculaire [16],
ce qui renvoie à la nécessité d’une cohérence biologique et
clinique de l’endophénotype. L’héritabilité ne garantissant
pas la valeur génétique de l’endophénotype, ni sa cohérence
clinique et biologique, c’est la démonstration de l’association
entre un endophénotype et au moins un variant génétique
qui défi nira un endophénotype utile.
La démonstration d’une telle association n’est pas simple
et plusieurs facteurs, liés à la structure même du génome