Les endophénotypes : le point de vue de la biologie moléculaire

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L’Encéphale (2012) 38, S62-S66
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Les endophénotypes : le point de vue
de la biologie moléculaire
Endophenotypes: the molecular biology point of view
R. Belzeauxa, b, c, *, E C. Ibrahimb, c, M. Cermolaccea, E. Fakraa, JM. Azorina
Pôle de Psychiatrie Universitaire Solaris, Hôpital Sainte Marguerite, APHM, 13274 cedex 9, Marseille, France
CRN2M UMR 7286, CNRS, Aix Marseille Université, 13344 cedex 15, Marseille, France
c FondaMental, Fondation de Recherche et de Soins en Santé Mentale, Paris, France
a
b
MOTS CLÉS
Héritabilité ;
Phénocopie ;
Troubles
psychiatriques
KEYWORDS
Heritability;
Phenocopy;
Psychiatric disorders
Résumé Les endophénotypes ont été proposés pour permettre une meilleure compréhension
de la biologie moléculaire de la vulnérabilité aux troubles psychiatriques sévères. Cette
revue de la littérature propose d’analyser leur définition du point de vue de la biologie
moléculaire en s’arrêtant tout d’abord sur la nature de l’héritabilité des endophénotypes.
En effet, cette notion ne révèle pas directement la nature du substrat moléculaire sous
jacent au trait étudié. Le génome est complexe et son étude laisse encore aujourd’hui
des zones d’ombre comme par exemple les polymorphismes rares. De plus, la volonté
que les endophénotypes aient une cohérence clinique et biologique, rend nécessaire de
préciser la fonctionnalité des polymorphismes associés aux endophénotypes. La complexité
de la définition et de l’utilisation des endophénotypes est illustrée par la complexité de
l’organisation du génome et l’importance des réseaux de gènes, mais aussi par l’existence
d’interactions gène-environnement et de l’existence probable de phénocopie.
© L’Encéphale, Paris, 2012
Summary Endophenotypes are proposed for a better understanding of the molecular
substrate underlying psychiatric disorders vulnerability. In this review, we discuss key points
of the definition of endophenotypes from the molecular biology point of view. First, we
examine the concept of heritability of endophenotype, which does not directly explain the
molecular mechanisms responsible for the studied disorder Indeed, we discuss the necessity
to better decipher the functional role of polymorphisms associated to endophenotypes,
especially if those endophenotypes would be assigned a clinical and biological value. The
complexity of endophenotypes definition and use in psychiatric research is also illustrated
by the complexity of the human genome organization and gene networks as well as by the
gene x environment interactions and also the possible existence of phenocopies.
© L’Encéphale, Paris, 2012
Un nombre important de publications fait état de progrès
sensibles concernant la connaissance de la vulnérabilité
génétique des troubles psychiatriques les plus fréquents.
En 2003, à l’occasion du cinquantenaire de la découverte
de la double hélice de la molécule d’ADN, on pouvait lire
*Correspondance.
Adresse e-mail : [email protected] (R. Belzeaux)
© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
que la révolution post-génomique, donnant accès à des
outils technologiques permettant d’étudier l’ensemble du
génome, serait une révolution dans l’étude des troubles
psychiatriques [1]. Cependant, les résultats des études
génétiques restent hétérogènes et la révolution attendue
Les endophénotypes : le point de vue de la biologie moléculaire
pourrait s’avérer décevante. Au point qu’un auteur, sans
doute un peu mélancolique, postulait qu’après avoir été le
cimetière de l’anatomo-pathologie à la fin du XIXe siècle, la
recherche en psychiatrie pourrait être le cimetière de la
biologie moléculaire : le lieu où viendrait mourir l’espoir de
la toute puissance explicative des outils révolutionnaires de
la science contemporaine [2].
Plusieurs hypothèses explicatives sont régulièrement
discutées dans la littérature. La question de la pertinence
biologique du phénotype, la qualité de sa définition ou les
moyens d’améliorer l’approche phénotypique sont au cœur
des solutions proposées. C’est à partir de cette nécessité que
sont définis les endophénotypes ou phénotypes intermédiaires,
résultat théoriquement plus simple des variations génétiques
que l’expression phénotypique complexe de la maladie.
Il existe plusieurs définitions des endophénotypes qui
regroupent en général les traits suivants : ils doivent être
spécifiques d’un trouble, indépendants de l’état ou de la
symptomatologie, stables dans le temps, héritables, présents
chez les apparentés sains plus fréquemment que dans la
population générale mais ils doivent s’agréger plus fréquemment avec la maladie. Ils doivent être cohérents d’un point
de vue clinique et biologique, et, finalement, mesurables [3].
Ils sont à différencier clairement du grand nombre de biomarqueurs ou des marqueurs somatiques décrits dans les
troubles psychiatriques [4,5] même si certains bio-marqueurs
peuvent parfois remplir une partie des critères définissant
les endophénotypes [6,7].
L’objet de cette revue de la littérature est d’analyser la
définition et l’utilisation des endophénotypes en psychiatrie
du point de vue de la biologie moléculaire, en s’attachant à
deux traits particulier qui sont l’héritabilité et la cohérence
clinique et biologique.
Le paradoxe de l’héritabilité
Il est en est des pathologies psychiatriques comme de
nombreux traits complexes, physiologiques ou non, et donc
aussi des endophénotypes que la psychiatrie se propose de
définir : de nombreux auteurs attribuent à certains traits
complexes une héritabilité significative ou importante mais
les résultats de la recherche des substrats moléculaires de
cette héritabilité ne démontrent l’existence de locus ou de
variants génétiques n’expliquant qu’une part très modeste
de cette héritabilité [8]. Un des exemples extrêmes de
ce problème concerne le Trouble Dépressif Majeur. Si son
héritabilité semble être établie entre 31 % et 42 % [9], la
recherche de polymorphisme génétique associé à la vulnérabilité à ce trouble reste à ce jour sans résultat probant,
malgré l’utilisation de techniques de méta-analyse incluant un
nombre considérable de sujets [10]. D’autres résultats, moins
décourageants, démontrent tout de même un écart entre
l’héritabilité, déterminée cliniquement, et la part de variance
du phénotype démontrée par les études moléculaires. Cet
écart est défini comme l’héritabilité manquante ou la part de
l’héritabilité non mise en évidence par l’approche moléculaire
utilisée [8]. Par exemple, l’héritabilité du neuroticisme est
évaluée entre 13 % et 58 % alors qu’une étude d’association
à l’échelle du génome démontre que les polymorphismes
peuvent expliquer 6 % de la variance du phénotype [11].
Plusieurs auteurs voient en fait dans le concept même
d’héritabilité une explication à ces déceptions.
Qu’est-ce que l’héritabilité : c’est la proportion de la
variance du phénotype attribuable à l’addition de facteurs
S63
génétiques dans une population donnée à un moment donné,
autrement dit dans un environnement donné. C’est une
caractéristique phénotypique, et non génotypique, d’une
population, qui ne donne pas d’indication causale a priori sur
l’origine génétique ou non de cette proportion de la variance
du phénotype. Son calcul repose en général sur une méthode
de régression entre la mesure d’un phénotype donné chez
les ascendants et les descendants. Ce calcul suppose le plus
souvent que les effets génétiques sont additifs et surtout que
les effets environnementaux et génétiques, qui expliquent
ensemble 100 % de la variance, sont indépendants. Elle
est donc souvent surévaluée à cause de l’environnement
partagé dans les familles, des effets génétiques non additifs
tels que les interactions épistatiques, et, enfin des interactions gène-environnement. Certains auteurs insistent sur
la confusion qui existe à propos de l’héritabilité entre les
notions de causes et de variations [12]. L’exposition aux
facteurs environnementaux peut varier considérablement
et, mathématiquement, plus l’environnement va être
homogène, plus l’héritabilité augmente. D’un autre côté,
plus la population est homogène génétiquement, moins
l’héritabilité sera forte [13]. Finalement, l’héritabilité est
moins une caractéristique du trait étudié que l’effet que la
diversité génétique de la population étudiée exerce sur la
diversité phénotypique observée [13].
Ces limites dans l’utilisation du concept d’héritabilité
amènent à discuter de la confusion entre héritabilité et
détermination génétique [12]. L’héritabilité ne pouvant pas
avoir de valeur causale, elle n’est pas un indice quantitatif
de la détermination génétique du trait auquel on s’intéresse [14]. Autrement dit, une héritabilité élevée n’implique
pas une détermination génétique plus simple du trait [7].
Par exemple, à héritabilité comparable, la part de variance
phénotypique d’origine génétique est à moitié expliquée par
5 loci pour la dégénérescence maculaire liée à l’âge alors
que dans la maladie de Crohn, la part de variance expliquée
par plus de 30 loci est évaluée à 20 % [8].
Ainsi, la notion d’héritabilité d’un endophénotype doit
être utilisée avec précaution. Si de nombreuses études font
état d’une héritabilité significative de nombreux phénotypes
intermédiaires, comme par exemple plusieurs fonctions
cognitives dans la schizophrénie [15], cette héritabilité ne
garantit en rien la pertinence génétique du trait étudié, et
donc finalement l’utilité de ce trait comme endophénotype.
La question de la cohérence clinique et biologique est à ce
moment là en question.
Cohérence et complexité
Problème de fréquence
et de nature des polymorphismes
Au delà des critiques parfois radicales que l’on trouve dans
la littérature à propos du concept d’héritabilité, on peut
affirmer qu’il ne peut y avoir de recherche d’endophénotype
qu’adossée à une recherche en biologie moléculaire [16],
ce qui renvoie à la nécessité d’une cohérence biologique et
clinique de l’endophénotype. L’héritabilité ne garantissant
pas la valeur génétique de l’endophénotype, ni sa cohérence
clinique et biologique, c’est la démonstration de l’association
entre un endophénotype et au moins un variant génétique
qui définira un endophénotype utile.
La démonstration d’une telle association n’est pas simple
et plusieurs facteurs, liés à la structure même du génome
S64
humain et de ses variations, vont rendre cette stratégie
difficile. En effet, une des premières explications données
quand à la disjonction entre héritabilité et variation du génotype est d’abord celle d’un artéfact technique : les études
d’association actuelles, même si elles ont la volonté de
couvrir les polymorphismes ponctuels (ou SNP) sur l’ensemble
du génome (études GWAS), ne peuvent mettre en évidence
que des SNP suffisamment fréquents dans la population
générale. Si la variance du trait ou de l’endophénotype est
liée à des variants génétiques rares, c’est à dire existant
chez moins de 5 % de la population générale, ils ne seront
pas mis en évidence par les techniques actuelles car elles ne
permettent pas d’étudier ces variants [10]. Par ailleurs, ces
variants rares sont difficiles à découvrir « au hasard » car leur
effet prédit est sans doute très modeste sur le phénotype,
contrairement au variant rare des maladies mendeliennes [8].
Une conséquence de l’implication des variants rares est la
détermination de la taille des populations étudiées. Si l’hypothèse testée est la recherche d’un variant rare ayant par
ailleurs un effet faible, quantifié par un rapport des risques
(odds ratio), la population d’étude devra être considérable
pour obtenir une puissance suffisante. Une étude récente
propose ainsi un calcul du nombre de sujets approchant les
100 000 patients pour les prochaines études sur le Trouble
Dépressif Majeur [10].
De même, des travaux laissent penser que d’autres types
de variant génétique, appelé des « Copy Number Variant »
ou CNV, qui correspondent à des réarrangements de l’ADN
chromosomique (délétions, duplications, inversion, translocations) sur des segments de tailles très variables entre le
millier et les millions de bases nucléotidiques, pourraient
participer au substrat moléculaire de la vulnérabilité aux
troubles [17,18]. Jusqu’à récemment, l’étude des CNV
utilisait des techniques essentiellement cytogénétiques
moins démocratisées que les puces à ADN permettant de
détecter les SNP, ce qui a contribué à laisser dans l’ombre les
CNV. Néanmoins, les nouvelles avancées technologiques en
matière de séquençage à haut débit permettent maintenant
d’obtenir une véritable couverture exhaustive d’un génome
autant pour les SNP que les CNV [19].
R. Belzeaux et al.
un effet phénotypique fort, comme par exemple pour les
dyslipidémies familiales. Ce phénomène met en évidence
une continuité entre les formes graves d’origine génétique
et les variations physiologiques dans la population générale [21]. Cette éventualité reste malgré tout hypothétique
dans le champ de la psychiatrie, puisqu’il n’existe pas de
forme génétique biologiquement simple connue partageant
le phénotype des troubles psychiatriques fréquents. Une
exception cependant peut être discutée avec le syndrome de
Rett, dont l’expression phénotypique est parfois très proche
des troubles du spectre autistique mais dont l’étiologie est
très majoritairement liée à des mutations dans un seul gène
du chromosome X, MeCP2 [22]. Comme dans le cas de la
paralysie générale et de la découverte de la syphilis, le
psychiatre sent alors s’évanouir la pathologie vers d’autres
spécialités. Alors qu’il pourrait être exemplaire pour la
démarche dans la recherche des causes en psychiatrie, il crée
une entité sortant du champ de la spécialité, cas unique sans
doute en médecine où la démonstration d’une cause exclut
le diagnostic du champ nosographique. Dans ce cas, comme
dans celui des dyslipidémies familiales, les connaissances
des formes graves fortement génétiquement déterminées
peuvent éclairer la recherche étiopathogénique des formes
moins sévères ou des variations physiologiques d’un trait lié
à cette pathologie. Cette observation permet d’introduire la
notion de phénocopie qui définit des phénotypes comparables
dont l’étiologie peut être très hétérogène, en particulier
purement génétique dans un cas et environnementale dans
l’autre. Ce concept paraît très opérant dans la réflexion sur
les échecs dans la démonstration des substrats moléculaires
des troubles psychiatriques ou des endophénotypes. Par
exemple, l’hypothèse selon laquelle le trouble dépressif
majeur recouvre en fait plusieurs troubles étiologiquement
distincts mais phénocopies l’un de l’autre est tout à fait
plausible. Il ne s’agit pas alors d’un problème d’homogénéité
du phénotype mais d’une hétérogénéité étiologique. Alors
que certains patients vont souffrir d’une maladie fortement
génétiquement déterminée, d’autres vont subir le résultat
d’interactions gènes-environnement alors qu’enfin, d’autres
vont souffrir d’un trouble qui s’inscrit pleinement dans leur
histoire de vie [10,23].
Problème du sens biologique
des différences génétiques observées
Problèmes des réseaux de gènes
L’identification de polymorphisme associé à un endophénotype n’est qu’une étape, initiale, dans la description
de l’effet physiologique de ce polymorphisme et de ses
conséquences biologiques.
Une analyse de l’ensemble des résultats des études GWAS
publiées met en évidence que les SNP associés aux traits ou
aux pathologies complexes sont plus fréquemment situés
dans les régions promotrices des gènes mais aussi que 43 %
sont intergéniques et 45 % sont situés dans des introns [20],
laissant souvent inconnue la fonctionnalité des polymorphismes mis en évidence dans les études d’association. On
peut ajouter à cette difficulté que si les SNP mis en évidence
sont dans un gène connu, il est fréquent que la fonction
de ce gène ne permette pas d’en déduire simplement son
lien biologique avec le trait étudié, rendant la cohérence
biologique souvent difficile à évaluer.
Cependant, on retrouve parfois des variants communs
à faible effet sur la variance phénotypique dans les mêmes
gènes qui sont impliqués dans des formes cliniques rares et
d’origine génétique, dont les variants rares ont par contre
La complexité peut encore augmenter d’un niveau si l’on
considère le système biologique à l’échelle globale ce que
permettent théoriquement les études de l’ensemble du
génome. On peut déterminer dans ce cas des réseaux de
gènes, dans lesquels de nombreuses interactions biologiques
sont possibles, l’ensemble étant responsable de la variance
déterminée génétiquement du phénotype observé. On peut
aisément imaginer qu’une variation phénotypique soit le
résultat de la variation de la fonctionnalité d’une cascade
ou d’un réseau moléculaire, ce réseau pouvant être affecté
à des niveaux très différents selon les sujets. Les nœuds
ou hubs de ces réseaux sont des points clés responsables
des conséquences probablement les plus visibles alors que
les gènes à la périphérie de ces réseaux vont avoir un effet
beaucoup moins franc et d’autant plus difficile à mettre
en évidence. Cette approche pose cependant un problème
méthodologique : elle ne peut se baser sur la recherche des
SNP les plus significativement associés à la variation d’un
trait ou d’un endophénotype. Elle doit bénéficier soit d’une
approche prenant en compte des gènes connus et des réseaux
Les endophénotypes : le point de vue de la biologie moléculaire
préalablement définis [24], mais qui peuvent laisser dans
l’ombre les réseaux les plus décisifs s’ils sont inconnus, soit
d’une approche qui se décale du génome au transcriptome,
qui, en rendant compte à un moment donné de l’expression
du génome, est plus en phase avec la fonctionnalité des
réseaux moléculaires. On n’est pas étonné de constater,
en miroir de la difficulté de mettre en évidence des gènes
ayant un effet majeur dans la vulnérabilité à la dépression,
que les recherches de ce type aient permis de mettre en
évidence que les gènes les plus significativement dérégulés
chez les patients déprimés soient à la périphérie des réseaux
moléculaires, loin des hubs des fonctions biologiques fondamentales du cerveau [25].
Déception des approches globales
et place des modèles animaux
Finalement, certains auteurs ont proposé que l’étude des
endophénotypes n’était pas, très paradoxalement, une
méthode de choix pour découvrir de nouveaux variants
génétiques [6]. Sans doute les raisons évoquées plus haut
justifient cette proposition. Les endophénotypes pourraient
servir plutôt à mieux explorer et comprendre les mécanismes
moléculaires qui sous-tendent les processus impliqués dans
les troubles psychiatriques, à partir d’hypothèses clairement
formulées. C’est d’ailleurs dans ce sens que la proposition
récente d’intégrer les modèles animaux dans la recherche
d’endophénotype est capitale. Une étude sur le syndrome de
Rett et les troubles du spectre autistique souligne l’intérêt
de cette approche heuristique. Le raisonnement associe
un gène candidat bien connu (MeCP2), un endophénotype
électrophysiologique partagé dans le syndrome de Rett et
les troubles du spectre autistique et explore les liens entre
cet endophénotype et la biologie moléculaire des mutations
de MeCP2 dans un modèle animal [22].
Conclusion
Les endophénotypes ont été proposés au départ pour simplifier la découverte des variations génétiques associées à
des traits complexes comme les maladies psychiatriques,
en particulier à l’aide d’études portant sur l’ensemble du
génome. Le développement technologique des dernières
années a permis l’accumulation de données considérables
qui n’ont répondu que partiellement aux objectifs initiaux,
au point que certains auteurs appellent à une utilisation
différente de la stratégie des endophénotypes.
Le travail de réduction du trait complexe en un trait théoriquement plus simple ne garantit pas pour autant une plus
grande simplicité génétique. C’est le concept d’invariance
d’échelle, issu de l’étude des fractales, qui peut s’appliquer
ici aux données du vivant [6,26] : la réduction, qui porte
du coup mal son nom, ne garantie pas une simplification,
le changement d’échelle pose les mêmes problèmes de
corrélation biologique entre un phénotype et le génotype
d’un individu. La complexité existe à chacune des échelles.
Dans un retour dépassionné à la clinique, on peut donc
penser que la validité et la stabilité de nos diagnostics et des
entités cliniques de la psychiatrie sont sans doute tout aussi
fiables que celles des endophénotypes, en tous cas dans une
approche inférentielle et non purement catégorielle et trop
fragmentée en de multiples co-morbidités. Les endophénotypes sont construits comme des traits susceptibles de mesurer
S65
un concept avec l’objectif de découvrir le substrat moléculaire
de la vulnérabilité aux principaux troubles psychiatriques.
C’est d’ailleurs ce que souligne une revue de Kendler qui
insiste sur la fiabilité ou l’erreur de la mesure, qui peut être
très différente pour chacun des endophénotypes comme pour
les diagnostics psychiatriques [27]. On sait que la validité et
la fiabilité des diagnostics peut être très bonne en particulier
lorsqu’ils se basent sur des suivis de plusieurs années. Par
contre, l’auteur souligne combien ces données manquent
souvent quand on décrit la validité d’un endophénotype. Bien
entendu, la variance imputable à l’erreur de la mesure, si elle
est plus importante que celle du diagnostic en particulier,
peut dramatiquement biaiser ou rendre incompréhensible les
résultats d’une recherche d’endophénotype.
Enfin, une autre question se pose à propos des endophénotypes et de leur cohérence clinique et biologique :
l’existence d’anomalies mesurables chez les apparentés
sains. Celles-ci sont peut-être moins importantes quantitativement ou moins fréquentes que chez les patients, laissant
ouverte la question de ce qui fait la différence entre un
sujet qui souffre d’un trouble et celui qui en est indemne.
Finalement, on peut discuter de l’existence d’un lien de
cause à effet entre gène, endophénotype et maladie et de
la nature de ce lien [27].
Le substrat moléculaire de la vulnérabilité aux troubles
psychiatriques est sans doute saisissable mais ne peut être
une fin en soi. Pour reprendre une proposition de Lopez Ibor
et d’Hubertus Tellenbach, les gènes sont des possibilités qui
ne doivent pas nécessairement se transformer en réalité phénotypique [28], et bien au delà de tout culte téléonomique,
l’inné n’est pas l’inéluctable. Sans doute l’étude raisonnée
des endophénotypes, chez les patients mais surtout chez
les apparentés sains, peut aider à mieux comprendre ce
phénomène.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien
avec cet article.
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