#18 ■ Novembre 2014 CONNEXIENCE « La connaissance est la seule chose qui s’accroit lorsqu’on la partage. » Sacha Boudjema Une protéine bactérienne mime l’hormone de la satiété Tennoune et al., Translational Psychiatry (2014), 1–11 EN BREF objectif de cette étude Les mécanismes moléculaires à l’origine des troubles alimentaires tels que l’anorexie, la boulimie ou l’hyperphagie restent à ce jour non déterminés. Des données préliminaires indiquent que des auto-anticorps réagiraient de manière croisée avec l’hormone mélanotrope, l’α-MSH et réguleraient ainsi la prise alimentaire et les émotions. Quelle est l’origine de ces anticorps ? Les auteurs de cette étude ont mené des investigations à la fois chez l’animal et l’homme pour apporter des réponses. Ce qu’il faut retenir Les chercheurs ont identifié une protéine bactérienne qui s’avère être le sosie de l’hormone de la satiété, la mélanotropine (α-MSH). Cette protéine (ClpB) est fabriquée par certaines bactéries, telles qu’Escherichia coli, présentes naturellement dans la flore intestinale. En présence de cette protéine antigénique, des anticorps spécifiques (Ac) sont produits par l’organisme pour « neutraliser » ClpB. Ces anticorps présentent également la particularité de se lier à l’hormone de la satiété du fait de son homologie de structure avec ClpB. La liaison Ac-αMSH modifie alors l’effet satiétogène de l’hormone et induit des variations dans le comportement alimentaire. Chez les patientes anorexiques, les concentrations d’anticorps anti-ClpB sont corrélées à une mauvaise image de soi et à une course à la minceur. point de vue de l’expert Angèle Guilbot, Responsable scientifique, Groupe Larena-Santé Les résultats de cette étude indiquent qu’une protéine bactérienne produite par E. Coli serait, via une réaction immunitaire croisée, impliquée dans les Troubles du Comportement Alimentaire (TCA). Bien qu’il s’agisse d’une réelle avancée moléculaire ouvrant la voie à d’autres investigations, il est nécessaire de rappeler que les bactéries E. coli sont des bactéries commensales composant 80 % de la flore intestinale. La réponse immunitaire de l’organisme, initialement dirigée contre ClpB puis indirectement contre l’α-MSH, ne peut donc pas à elle seule expliquer l’origine des troubles alimentaires. Il est, de plus, important de garder à l’esprit que ces pathologies sont associées à des troubles psychologiques qui doivent être également considérés dans la recherche d’une meilleure compréhension des TCA. En savoir plus > EN SAVOIR PLUS Le contexte Les troubles du comportement alimentaire (TCA) tels que l’anorexie mentale, la boulimie, l’hyperphagie sont caractérisés par une dérégulation de la prise alimentaire, diminuée ou augmentée selon les cas. Toutes catégories confondues, la prévalence des TCA serait comprise entre 15% et 20% chez les jeunes adultes. Bien que différentes études psychiatriques, génétiques ou neurobiologiques aient été menées, les mécanismes moléculaires à l’origine de ces troubles restent non élucidés. Méthodologie de l’étude Protéomique - Des techniques d’électrophorèse, de spectroméClinique – Des prélèvements de plasma été réalisés chez: Cinquante patients répondant aux critères de Rome III et 33 témoins ont été inclus. Les 3 sous-groupes deont SII étaient présents trie de masse et d’alignements de séquences contre des bases des patientes souffrant de troubles alimentaires diagnostiqués 38% de patient de données ont été mises en œuvre pour identifier la protéine avec l’échelle standardisée «Eating disorders inventory-2». En issue de cultures bactériennes (E. Coli K12). moyenne, 25 personnes ont été prélevées dans chaque groupe : Pré-clinique – Des lots de 8 souris ont été gavés pendant 21 jours Ctr, contrôle (sujet sain) / A, anorexie / B, boulimie et H, hyperavec des bactéries E. Coli K12 (10 8) natives ou mutées pour ClpB. phagie. Les anticorps anti-ClpB (IgG et IgM) ont été dosés dans La réponse immunologique (dosage des anticorps) et comporte- ces échantillons. mentale des souris a été étudiée. Résultats > Données pré-cliniques cliniques (équilibré) n’a pas d’effet sur le microbiote : La modification du r ythme circadien chez les souris nourries avec>unDonnées régime standard la répartition des phyla présents dans l’intestin n’est pas modifiée. En revanche, lorsque le régime alimentaire est hyperlipidique et Par comparaison avec des souris contrôles, la prise alimentaire et Globalement, les taux d’Ac anti-ClpB (réagissant de manière croihyperglucidique, communautés microbiote fortement impactées : augmentation moyenne des Firmicutes, le taux d’anticorpslesdirigés contre la bactériennes mélanotropinedun’ont pas variésontsée avec la MSH) mesurés chez les patientes souffrant d’un TCA Protéobactéries et Verrucomicrobia et réduction des Bacteroidetes (Figure 1, D et D+SG). Lorsque le rythme circadien n’est pas chez les souris gavées avec une souche bactérienne E. Coli mutée étaient similaires à ceux obtenus chez des sujets sains contrôles. modifié, ratio Firmicutes/Bacteroidetes soit augmenté les souris richement » les nourries (ND+SG), la répartition des Cependant, en« considérant anticorps par sous-populations pour ClpBbien (pasque deleproduction de protéine). A l’inverse, lorsque chez populations bactériennes chez ces animaux n’est pas statistiquement différente de celle obser vée chez les souris ayant reçutaux le régime d’IgG les souris ont reçu les bactéries E.Coli productrices de ClpB, une (IgG et IgM), des différences apparaissent. Ainsi, les alimentaire « standard » (ND) dans anti-MSH les conditions de cette expérimentation. augmentation du taux d’anticorps a été constatée après anti-ClpB sont significativement plus élevés chez les sujets souf3 semaines de gavage. Au niveau comportement alimentaire, une frant de boulimie et d’hyperphagie (Figure 1 A). Une concentration perte de poids consécutive à une diminution de consommation a significativement plus élevée d’IgM anti-ClpB a été obser vée chez été obser vée après 1 semaine de gavage. La prise alimentaire est les sujets souffrant d’anorexie mentale comparés aux patientes restée réduite au cours des 2 semaines suivantes mais le poids souffrant de boulimie (Figure 1 B). a augmenté en raison d’un nombre accru de « repas ». Ainsi, la Des corrélations entre taux d’Ac et comportement ont été idenprotéine ClpB a conduit à la production d’anticorps « croisés » tifiées chez les patientes anorexiques ; les concentrations d’IgG capables de neutraliser l’hormone de la satiété. De façon conco- étaient par exemple positivement corrélées à l’insatisfaction de sa mitante, le comportement alimentaire des souris a été modifié. propre image corporelle et à l’obsession de la minceur. Figure 1 : Pourcentage d’anticorps anti-ClpB (IgG à gauche, IgM à droite), se fixant également sur la MSH, caractérisés chez des sujets contrôles (Ctr), anorexiques (A), boulimiques (B) ou hyperphagiques (H). #p <0.01, *p <0.05 Conclusion La bactérie intestinale la plus commune de notre intestin, E. Coli, produit une protéine, la ClpB, dont le profil moléculaire s’avère extrêmement semblable à celui de l’α-MSH. Des anticorps dirigés contre la ClpB sont produits par l’organisme et ces mêmes anticorps présentent la particularité de se lier à l’α-MSH. L’hormone de satiété est donc neutralisée et, selon les concentrations d’anticorps, la sensation de faim est stoppée précocement ou perdure plus longtemps. Ces données ouvrent de nouvelles perspectives de diagnostic et de traitement spécifique des troubles du comportement alimentaire. Un test sanguin basé sur la détection de la protéine bactérienne ClpB est d’ailleurs actuellement en développement pour, selon les auteurs, orienter la mise en place de thérapies spécifiques et individualisées des TCA