Allessandro de Georg Friedrich HAENDEL

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Allessandro de Georg Friedrich HAENDEL
Théâtre Royal de Versailles le 2 Juin 2013
Le lieu : Le Théâtre Royal de Versailles, récemment restauré à l’identique, offre son écrin
précieux et terriblement impressionnant aux représentations de l’œuvre de G.F. Haendel,
Allessandro. S’il y a un peu d’émotion à pénétrer dans ce lieu où l’on s’attend naïvement à
voir entrer la Cour en costume d’apparat, on peut également, d’un seul coup d’œil,
comprendre la très subtile hiérarchie qui la réglementait par l’ordonnancement et la qualité
des sièges ! Certains, n’ayons pas peur de le dire, sont franchement inconfortables. Alors que
l’acoustique et la vision y sont en divers endroits remarquables. Rappelons, pour mémoire,
que ce théâtre a été construit assez tardivement par Louis XV, sur l’emplacement initialement
choisi par Louis XIV, et se trouve localisé à côté de la Chapelle Royale. Ce lieu aurait été
privilégié en raison de sa proximité avec d’importantes réserves d’eau, utiles pour combattre
les incendies toujours possibles dans ces structures construites majoritairement en bois. En
raison des guerres et des problèmes financiers qu’elles occasionnaient, le projet fut très
souvent mis en sommeil et, finalement, n’aboutit pas sous le règne du Roi-Soleil. Puis, en
prévision du mariage de ses petits-enfants, Louis XV décida d’engager les dépenses
nécessaires à la réalisation d’un théâtre qui remplacerait avantageusement les tréteaux, que
l’on montait et démontait selon les besoins des évènements -principalement pour les opéras-,
dans les Écuries du Roi.
Louis XV avait auparavant confié à son Premier architecte, Ange-Jacques Gabriel,
l’élaboration d’un projet mais la réalisation de ce grand dessein devant demander plus de
vingt ans, l'Opéra fut finalement achevé en vingt-trois mois et inauguré le 16 mai 1770, jour
du mariage du Dauphin avec l'archiduchesse Marie-Antoinette, avec une représentation de
Persée de Quinault et Lully.
Le compositeur : G.F. Haendel naquit le 23 février 1685, à Halle en Allemagne, mais décéda
à Londres , le 14 avril 1759. Compositeur allemand naturalisé britannique, il connut une
gloire internationale dans la première moitié du 18ème siècle et fut considéré comme le
« musicien anglais ». Il est enterré à Wetsminster où se trouve toujours sa statue. Il obtint ses
premiers succès à Hambourg (Almira, en 1705) mais partit aussitôt pour un périple de trois
années en Italie, pour y étudier l’opéra italien. Il connut son premier grand succès à Venise
avec Aggripina en 17091. Revenu en Allemagne, il partit rapidement en Angleterre où il
présenta Rinaldo, en 1711, dont le succès éblouissant lui donna la possibilité d’entamer une
carrière longue et fructueuse de créateur et producteur d’opéras italiens dans la capitale
britannique. Pour parer aux vicissitudes de la production opératique, il développa une forme
nouvelle, l’oratorio, dès 1736, en imposant un style opératique en langue anglaise faisant une
large part aux chœurs, sur des sujets religieux, sans mise en scène. Ce genre proprement
national lui valut un succès considérable pendant plus de trente ans qui assura sa postérité et
sa popularité dans les pays anglo-saxons puis en Europe. En fait, pour les spécialistes,
Haendel réalisa la synthèse entre les traditions musicales de l’Allemagne, de l’Italie, de
France et d’Angleterre. Le Messie, Water Music, Musique pour les feux d’artifices royaux
conservent une notoriété incontestable. Cependant, au cours de ces trente-cinq années, il
consacra l’essentiel de son activité à l’opéra italien, avec pas moins de quarante partitions
dont certaines sont redécouvertes depuis quelques années.
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Une présentation critique de cette œuvre se trouve actuellement en ligne sur le site du CLM.
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L’œuvre : Haendel compose Alessandro pour la Royal Academy of Music, en 1726. Il est
alors âgé de 59 ans et travaille sur un livret de Paolo Rolli qui s’inspire de La superbia
d’Alessandro d’Ortensio Mauro. L’intrigue tourne autour de la figure d’Alexandre le Grand et
de sa conscience dénaturée de lui-même qui le fait se prendre pour le fils de Jupiter et oblige
son entourage à le traiter comme un dieu. Ses capitaines, excédés par ce qu’il faut bien
appeler un délire, conspirent contre lui non pour l’éliminer mais pour lui faire reprendre
contact avec la réalité. Noble mais rude tâche ! Parallèlement, deux femmes -Rossane et
Lisaura-, se disputent l’amour du grand Alexandre. On aura compris que la particularité de cet
opéra ne résulte pas dans la subtilité de son intrigue, ou de la complexité de son déploiement
psychologique mais, comme le rappellent les historiens de la musique, des circonstances de sa
création.
En effet, si le rôle principal était chanté par Francesco Bernardi, connu sous le nom de
Senesino -il s’agit donc d’un castrat-, sa renommée fut un peu éclipsée par les deux rôles
féminins qui étaient tenus par Francesca Cuzzoni (Lisaura) et Faustina Bordoni (Rossana). La
première était la star londonienne incontestée -une diva-, pour laquelle Haendel créa
Cléopâtre dans Giulio Cesare, et le rôle-titre de Rodelinda. Faustina Bordoni, la seconde
chanteuse moins connue, captiva le public par la qualité exceptionnelle de son chant lors de
son apparition et la presse -déjà !-, s’enflamma et la proclama diva, ce qui déclencha une
guerre sans merci entre les deux chanteuses. Haendel fut contraint de distribuer un nombre
strictement équivalent d’airs à chacune des deux prime donne, ainsi qu’à équilibrer leurs rôles
respectifs jusqu’à les unir symboliquement dans le duo Placa l’alma.
Entraîné dans cette guerre en dentelle, le public sifflait ou encourageait sa diva préférée,
provoquant un succès considérable qui obligea le théâtre à augmenter le nombre des
représentations qui n’en comptèrent finalement que onze, puisque le castrat Senesino finit par
faire annuler toute la production pour indisposition ! Il n’est pas nécessaire d’épiloguer plus
longuement pour comprendre que, comme Alexandre, Senesino avait une haute conception de
lui-même et ne supportait pas d’être éclipsé par deux rôles « secondaires » !
L’intrigue : L’intrigue est longue et complexe. Elle se situe sur les rives du Gange près de la
ville d’Oxydraque qu’Alexandre vient de conquérir en s’exposant au danger de façon
téméraire. Elle réunit deux groupes de personnages. D’un côté Taxile, Clitus, Léonato et
Cléon, militaires sous les ordres d’Alexandre, oscillent entre la vénération de leur chef et
d’inévitables rivalités, notamment amoureuses ; de l’autre, Rossana et Lisaura, toutes deux
amoureuses d’Alexandre, vont se livrer, pour le conquérir, une guerre sans merci. Alexandre
joue en effet de façon assez machiavélique sur les rivalités, tant masculines (quels sont ceux
qui vont reconnaître sa naissance divine?) que féminines (laquelle des deux aime-t-il
vraiment ?), en jouant avec une férocité consommée, et une ambiguïté quelque peu
démoniaque, sur leurs sentiments et leurs attentes. À vrai dire, il y a, avant la lettre, un peu du
Dom Giovanni dans l’attitude d’Alexandre.
Le second acte commence sur les jeux de l’amour où les deux femmes se disputent Alexandre
et supputent leur chance de voir se réaliser leur projet. Ce dernier les laisse à leurs
interrogations et leur déclare qu’il va finalement repartir vers de nouvelles conquêtes
guerrières, comble de la séduction mortifère. Dans la salle du trône, Alexandre a réuni ses
généraux pour partager les terres qu’il a conquises mais Clitus refuse ce don et Alexandre
tente de le tuer à l’aide d’une lance que Taxile, en s’interposant, empêche d’arriver à son but.
Soudain le baldaquin du trône s’effondre et, croyant que c’est l’œuvre de conspirateurs
inconnus, Alexandre fait arrêter Clitus qui vient de lui résister. Rossana entre en pleurant,
croyant Alexandre mort dans l’attentat. Ce dernier lui déclare sa flamme mais des émeutes se
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sont déclarées et Alexandre repart les réprimer. L’amour attendra !
Le troisième acte voit Clitus emprisonné alors que Cléon l’enjoint d’aller se prosterner devant
leur commandant pour retrouver ses faveurs. Leonato arrive pour délivrer Clitus en enfermant
Cléon tandis que les deux hommes partent pour défier Alexandre. Des partisans de Cléon
viennent le délivrer pour rejoindre Alexandre qui pourra ainsi se venger de Clitus et Leonato
qui, de leur côté, rassemblent des partisans et fomentent un soulèvement. Les deux princesses
décident de mettre fin à leur rivalité et de laisser agir le destin ou le hasard. Les chefs félons,
Clitus et Léonato, entrent. Alexandre les défie. Taxile, resté fidèle à Alexandre, annonce qu’il
a capturé les rebelles. Alexandre à la surprise générale mais pour montrer la noblesse de ses
sentiments leur accorde la grâce. Dans le temple de Jupiter, tous -c’est le seul chœur de
l’opéra- louent le dieu et prient pour la paix. Alexandre demande son amitié à Lisaura, que
Taxile aime en secret, et demande sa main à Roxane.
Mais ne nous y trompons pas : cette intrigue fertile en rebondissement ne doit pas donner
l’illusion que nous assistons à une sorte de « western » antique. Au contraire, les différents
rebondissements du drame permettent de multiples effets psychologiques où les personnages,
tant masculins que féminins, utilisent les innombrables arias pour traduire leurs
interrogations, leurs inquiétudes et la palette fort étendue de leurs sentiments. Ainsi, par
exemple, Lisaura chante à l’acte 1 : « Que l’amour serait doux/si la jalousie/ne distillait pas
son poison glacé !/Ce qu’espère la constance/Et promet l’espérance/N’est qu’amertume pour
mon cœur affligé. »
La réalisation : Lucinda Childs, chorégraphe américaine célèbre qui règle maintenant de
nombreuses mises en scène à travers le monde, transpose l’action sur un plateau de cinéma où
l’on est censé tourner un péplum sur la vie d’Alexandre. Le « théâtre dans le théâtre » est
décidément fort à la mode sur de nombreuses scènes opératiques. Les scènes alternent donc
des lieux différents, des décors antiques, et les coulisses d’un plateau de tournage tels qu’on a
pu les voir dans de nombreuses productions filmiques américaines. Les personnages de
l’opéra deviennent alors les protagonistes qui réalisent un film puis se retrouvent, entre les
scènes filmées, autour d’un bar ou dans des loges pour poursuivre le déroulé de l’action,
comme s’il y avait une continuité entre ce qui se passait entre les acteurs jouant leurs rôles et
les relations humaines et amoureuses qu’ils entretiennent entre les prises de vue. Ce parti pris
respectable, mais à vrai dire pas très original tant il a été exploité dans de nombreuses
productions, introduit malgré tout des ruptures dans le déroulement de l’œuvre puisque, çà et
là, apparaissent des techniciens, un clapman… Les décors minimalistes et les costumes
somptueux de Paris Mexis mélangent les années 30 -Alexandre apparaît en costume à veston
croisé-, et la référence à l’Antiquité puisque le même personnage séduit dans la tenue
d’apparat de général romain, même s’il conserve une chemise sous son armure !
Heureusement, Lucinda Childs n’a pas oublié la grande chorégraphe qu’elle a été et nous
gratifie, grâce à la complicité de Bruno Benne, chorégraphe baroque, de nombreux intermèdes
de danse fort bienvenus, illustrant les intermèdes musicaux qui émaillent la partition.
La distribution est emmenée dans le rôle-titre par le célébrissime contre-ténor Max Emmanuel
Cencic. On ne compte plus les scènes nationales et internationales où il est apprécié,
ovationné. Même si sa virtuosité est incontestable dans les innombrables fioritures et
vocalises qui émaillent la partition, il m’a semblé que, ce jour-là, il manquait de la puissance
qui peut sembler aller de pair avec le rôle d’un conquérant. Vivica Genaux, qui devait assurer
le rôle de Rossana, indisposée fut remplacée par Blandine Staskiewicz qui fût révélée par le
premier « Jardin des Voix » que dirige W.Christie. Outre ses qualités vocales, cette mezzosoprano possède un sens théâtral, comme sa rivale, Lisaura, interprétée par Adriana Kucerova,
originaire de Slovaquie. Les deux interprètes, à l’unisson de l’histoire de cette partition,
rivalisent d’adresse et de virtuosité dans leurs arias comme leurs vénérables ancêtres dans ces
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rôles :Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni pour traduire les affres de l’amour et de la
rivalité. Les rôles masculins se répartissent entre deux contre-ténors : Cléon, interprété par
Vasily Khoroshev, et Taxile joué par Xavier Sabata. Si le premier apparaît comme un des
contre-ténors les plus prometteurs, l’interprétation du second avait, selon moi, une puissance,
une subtilité et, surtout, alliait une virtuosité qui semblait au service de l’aspect dramatique de
son personnage et rendait parfaitement le conflit dans lequel il se trouvait puisqu’il aime la
même femme que son mentor. La basse de Pavel Kudinovic, Clito, est impressionnante et
dégage une force qui sied magnifiquement au soldat un peu bourru et dévoué qu’il est, sans
empêcher des nuances plus subtiles qui traduisent également l’ambiguïté de ses sentiments.
Le ténor Juan Sancho est un Léonato de qualité dont les airs de bravoure ne manquent pas,
laissant entrevoir le champ étendu de ses possibilités vocales.
Au pupitre, le chef grec George Petrou, dirige l’Armonia Atenea, nouveau nom international
de la Camerata d’Athènes, fondée en 1991, lors de l’inauguration du Megaron, palais de la
musique d’Athènes. L’enregistrement d’Alessandro2 avec une distribution du plus haut niveau
-dont M.E. Cencic et X. Sabata présents dans cette production-, a été salué par diverses
récompenses prestigieuses de la presse lyrique. Il est intéressant de voir que G. Petrou, semble
diriger l’orchestre d’une main tandis que de l’autre il semble, vu de la salle, chanter avec les
chanteurs. Le spectacle a été enregistré pendant cette représentation par la chaîne Mezzo et
devrait donc, sous peu, faire l’objet d’une diffusion. Nous ne saurions que recommander son
visionnage qui ravira les amateurs d’opéras baroques par la qualité de son plateau de
chanteurs. Même si de façon un peu tatillonne, et certainement passéiste, on se prend à rêver
d’une mise en scène « vraiment » baroque !
Jean-Pierre VIDIT
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DECCA – “Diapason d’Or novembre 2012”
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