MISE AU POINT
La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004 265
* Unité neurovasculaire, hôpital neurologique, Lyon.
A
u moins 20 % des infarctus cérébraux ont une ori-
gine cardioembolique. Parmi ces sources d’embo-
lie d’origine cardiaque, les tumeurs intracardiaques
primitives sont une cause extrêmement rare d’accident isché-
mique cérébral (AIC) mais qui doit être reconnue sans délai car
la prévention optimale repose alors habituellement sur la chirur-
gie d’exérèse tumorale.
MYXOMES
Épidémiologie, anatomie pathologique et manifestations
cliniques
Les myxomes représentent les tumeurs intracardiaques bénignes
les plus fréquentes (figure 1). L’incidence annuelle est de 0,5 par
million d’habitants (1). Moins de 1 % des AIC du sujet jeune sont
liés à cette pathologie. Ils siègent habituellement dans l’oreillette
gauche (75 à 80 % des cas), plus rarement dans l’oreillette droite
(15 à 20 %) ou dans les ventricules (< 5 %). Les myxomes car-
diaques sont généralement sporadiques, mais des formes familiales
existent et représentent 7 % des cas. Il existe une prépondérance
féminine (2 femmes pour 1 homme). Ils sont habituellement décou-
verts chez le jeune adulte, mais le diagnostic est parfois tardif en
l’absence d’échocardiographie, certains cas étant diagnostiqués
aux environs de la soixantaine.
Les symptômes d’obstruction valvulaire mitrale représentent le
premier élément de la classique triade syndromique des myxomes
de l’oreillette gauche (symptômes cardiaques, généraux et embo-
liques). Ils sont présents dans 70 à 80 % des cas : défaillance
cardiaque, malaises, syncope posturale ou d’effort (2). Environ
1 patient sur 3 présente une hypertrophie auriculaire gauche à
l’électrocardiogramme. L’auscultation révèle des signes pseudo-
mitraux chez 1 patient sur 2.
Les signes généraux sont également fréquents en cas de myxome
(50 à 90 % des cas) (tableau). Il a été montré que les cellules
myxomateuses synthétisaient de l’interleukine 6. Les manifesta-
tions emboliques sont plus rares que les signes cardiaques et les
signes généraux mais elles sont parfois révélatrices. Elles corres-
pondent le plus souvent à la migration dans la circulation céré-
brale, ophtalmique, coronaire ou systémique (30 à 40 % des cas)
d’un fragment tumoral ou d’un thrombus formé à son contact. À
Myxome, fibroélastome, excroissance de Lambl
et accidents ischémiques cérébraux
Cardiac myxoma, papillary fibroelastoma, Lambl’s excrescence and ischemic stroke
L. Derex*, N. Nighoghossian*
Les tumeurs intracardiaques primitives sont une source rare
d’accident ischémique cérébral qui est facilement reconnu
par l’échocardiographie.
Les complications neurologiques emboliques peuvent
révéler l’existence d’un myxome de l’oreillette gauche ou
d’un fibroélastome papillaire.
Les accidents ischémiques transitoires, récurrents et
déclenchés par l’effort sont la manifestation neurologique la
plus fréquente des myxomes.
Aucune distinction histologique n’est clairement établie
entre fibroélastome papillaire et excroissance de Lambl.
Le traitement des tumeurs intracardiaques symptoma-
tiques repose sur la chirurgie d’exérèse rapide.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
Figure 1. Aspect macroscopique d’un myxome.
MISE AU POINT
La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004
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l’examen anatomopathologique, on observe une matrice myxoïde
de mucopolysaccharides acides et des cellules polygonales isolées
ou en filets, d’origine mésenchymateuse, qui peuvent former un
chenal vasculaire (figure 2). Environ un tiers des myxomes ont
une surface friable, ce qui favorise particulièrement les accidents
emboliques. Accidents ischémiques transitoires (manifestation
neurologique initiale la plus fréquente) et amauroses fugaces ont
fréquemment été décrits, des infarctus médullaires exceptionnel-
lement (3-5). La survenue de l’accident embolique lors d’un
effort physique est souvent rapportée. La récidive embolique est
fréquente avant résection chirurgicale de la tumeur. Des cas
exceptionnels de démence vasculaire par infarctus cérébraux
multiples ont été rapportés.
Il faut rappeler que le myxome de l’oreillette gauche est aussi une
cause très rare de formation d’anévrysme (6). La tumeur peut
envoyer une métastase dans une artère intracrânienne, qui va
infiltrer le mur artériel et donner lieu à un anévrysme fusiforme
et irrégulier. Cet anévrysme peut se rompre ultérieurement, même
après la résection chirurgicale du myxome, et entraîner une hémor-
ragie intracérébrale ou sous-arachnoïdienne. Les ruptures ané-
vrysmales seraient cependant assez rares si l’on en croit la revue
de la littérature de myxomes de l’oreillette gauche à manifestations
neurologiques.
Lorsque les myxomes sont localisés dans les cavités droites, ils
peuvent entraîner des embolies pulmonaires, une hémoptysie ou
une hypertension artérielle pulmonaire.
Diagnostic paraclinique
L’échocardiographie transthoracique permet le diagnostic rapide
et non invasif du myxome, avec une sensibilité d’environ 95 %
(figure 3). Deux types de myxomes existent : les myxomes arrondis,
de forme circulaire, bien délimitée, peu mobiles (52 % des cas) et
les myxomes polypoïdes, de forme irrégulière, mobiles (48 %).
Il a été montré que la nature polypoïde de la lésion représente un
facteur prédictif indépendant d’embolie systémique (7). L’écho-
cardiographie transœsophagienne est utile en cas de myxome de
petite taille (avec une sensibilité qui approche 100 %) ou pour
évaluer l’existence d’un thrombus au contact de la tumeur.
Traitement et pronostic
Un traitement chirurgical rapide doit être proposé pour prévenir
le risque élevé d’accident embolique, voire de mort subite. Un
traitement anticoagulant est souvent institué dans l’attente de la
chirurgie mais ne peut avoir d’impact que sur les migrations
thromboemboliques et ne prévient pas les embols tumoraux.
Après résection chirurgicale, le pronostic à long terme est excel-
lent. Le taux de récurrence est faible (< 5 %) mais justifie un suivi
clinique et échocardiographique à long terme, notamment chez
le sujet jeune, car des récidives de myxome ont été rapportées
plus de 15 ans après l’intervention chirurgicale.
Fièvre
Perte de poids
Asthénie
Malaise
Phénomène de Raynaud
Céphalées d’allure migraineuse
Éruptions cutanées
Arthralgies et myalgies
Anémie (hémolytique en général)
Élévation de la vitesse de sédimentation
Hypergamma-globulinémie, élévation des IgG dans le LCR
Thrombopénie
Hyperleucocytose
Hypocomplémentémie
Syndrome pseudolupique
Tableau. Signes généraux du myxome.
Figure 2. Aspect anatomopathologique d’un myxome.
Figure 3. Aspect échocardiographique d’un myxome de l’oreillette
gauche.
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FIBROÉLASTOMES PAPILLAIRES CARDIAQUES
ET EXCROISSANCES DE LAMBL
Les fibroélastomes papillaires cardiaques (FEP) représentent
environ 10 % des tumeurs cardiaques primitives. Ils constituent
la plus fréquente des formations intracardiaques “bénignes” après
les myxomes et les lipomes. Les FEP sont une source reconnue
d’accidents ischémiques cérébraux d’origine cardiaque, facilement
détectée par l’échocardiographie cardiaque avec un net avantage
pour la voie transœsophagienne.
Anatomie pathologique et mécanismes des complications
L’aspect anatomique du FEP est connu depuis la description de
Lambl en 1856 (8), mais l’histogenèse reste discutée. Sur le plan
anatomique, les localisations des FEP sont ubiquitaires, sur l’endo-
carde valvulaire à distance du bord libre et sur l’endocarde pariétal
de toutes les cavités cardiaques. Les FEP sont de siège valvulaire
dans 80 % des cas, principalement localisés sur la valve aortique
et plus rarement sur la valve mitrale (9). Ils intéressent moins
souvent les cavités atriales ou les veines pulmonaires. Ils peuvent
s’étendre à l’ostium coronaire lorsqu’ils sont situés sur les sig-
moïdes aortiques. Les FEP sont portés par un pédicule, parfois
court, ou sont sessiles. La mobilité du FEP dépend de la taille du
pédicule d’insertion et conditionne son potentiel emboligène.
Leur taille varie de 0,1 à 4 cm, mais le plus souvent elle n’excède
pas 1 cm. Les FEP sont rarement multiples, ils simulent alors les
végétations de l’endocardite infectieuse.
L’aspect des FEP est très caractéristique (figure 4). Il s’agit d’une
formation composée d’éléments filiformes blanchâtres déployés
en franges au sommet d’un pédicule bien individualisé, dont l’as-
pect est souvent comparé à une anémone de mer. L’examen
microscopique permet de décrire une lésion élémentaire, d’aspect
variable selon son ancienneté, avec des modes de groupement
divers. Les franges filiformes sont composées de trois couches
concentriques : un axe central acellulaire hyalin, puis un manchon
œdémateux, enfin un revêtement unicellulaire de cellules endo-
théliales (figure 5). Les FEP n’ont aucune similitude avec les
myxomes intracardiaques et ne contiennent pas de structure vas-
culaire (10).
L’origine tumorale du FEP semble admise et l’analyse cytogéné-
tique conforte cette hypothèse en révélant des anomalies chromo-
somiques complexes. Toutefois, des mécanismes dégénératif,
inflammatoire, malformatif et iatrogénique (FEP observés après
chirurgie cardiaque ou irradiation thoracique) sont également
évoqués. En fait, plusieurs théories ont successivement été pro-
posées. L’histogenèse des FEP reste controversée mais elle fait
le plus souvent appel, soit à des mécanismes d’usure et de répa-
ration de la surface valvulaire, sous l’influence du flux sanguin
au niveau du bord libre, soit à des frottements le long de la ligne
d’affrontement et d’occlusion des valves. Cette hypothèse implique
des modifications de la pression artérielle qui favorisent une pli-
cature des valves et une rupture des fibres collagènes et élastiques
superficielles. En 1961, Magarey ajoute une composante thrombo-
tique, conséquence d’une altération chronique de l’endothélium
valvulaire favorisant des dépôts de fibrine et la formation d’agré-
gats plaquettaires (11).
Le rôle actif de la prolifération des cellules endothéliales déclen-
chée par les turbulences des flux sanguins et l’usure valvulaire
est admis. La prééminence du rôle des cellules endothéliales est
retenue par plusieurs auteurs et cela permet de distinguer les FEP
vrais, ubiquitaires sur l’endocarde cardiaque, des excroissances
de Lambl, limitées aux lignes d’occlusion et au bord libre des
valves. Cependant, aucune distinction histologique n’est établie
entre excroissance de Lambl et FEP (10). La sécrétion en grande
quantité d’un matériel de type membrane basale par les cellules
superficielles des FEP a été démontrée grâce à l’anticorps anti-
collagène de type IV. Les cellules endothéliales des FEP n’expri-
ment pas de réactivité antigénique contre le facteur de Wille-
brand, accroissant ainsi le risque thrombotique. Toutefois, les
études immunohistochimiques ne permettent pas de retenir des
caractéristiques spécifiques. Ces études sont cependant utiles
pour éliminer les sarcomes (rhabdomyosarcomes) en montrant
l’absence de protéine S100 et/ou de marqueur des fibres muscu-
laires, comme la desmine ou l’actine. En outre, une hypothèse
virale a été évoquée en raison de la présence de cytomégalovirus
en analyse immunohistochimique (12).
Les FEP s’associent le plus souvent à d’autres anomalies car-
Figure 4. Aspect macroscopique d’un FEP.
Figure 5. Aspect anatomopathologique d’un FEP.
MISE AU POINT
La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004
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diaques principalement valvulaires (atteinte rhumatismale, fibrose
ou calcifications). Les autres anomalies telles que cardiomyopa-
thie hypertrophique, anévrysme aortique ou affections cardiaques
congénitales sont plus rares.
Manifestations cliniques et diagnostic
Les manifestations neurologiques sont l’expression la plus fré-
quente des FEP localisés aux cavités gauches : accidents isché-
miques cérébraux transitoires ou constitués, occlusion de l’artère
centrale de la rétine (13). Les autres complications telles que la
mort subite, l’angor ou l’infarctus du myocarde, le bloc auriculo-
ventriculaire ou les embolies systémiques sont plus rares. Dans
les localisations droites, dyspnée et embolie pulmonaire ont été
rapportées.
Le mécanisme des complications cliniques est d’origine throm-
botique. Les FEP apparaissent comme un réseau formant un point
d’appel thrombotique, avec migration de thromboses récentes de
petite taille rendant compte des tableaux neurologiques répétés, le
plus souvent régressifs. Il est exceptionnel que le FEP se détache
en bloc et soit retrouvé au cours d’une désobstruction, comme
cela a été rapporté au niveau de l’artère poplitée.
L’échocardiographie réalisée par voie transœsophagienne assure
le diagnostic et permet d’éliminer d’autres lésions morphologique-
ment voisines : végétations d’endocardite infectieuse, fibrome ou
thrombus pédiculé, myxome de petite taille, fenestrations com-
missurales des sigmoïdes aortiques. La lésion échocardiographique
apparaît ronde ou ovalaire d’apparence irrégulière, aux limites bien
identifiées, et le plus souvent mobile (figure 6).
Traitement
Nous ne disposons pas de données significatives évaluant le rôle
préventif des traitements antithrombotiques dans le cadre des
FEP symptomatiques. Il semble cependant que ces traitements
soient impuissants dans la prévention des récidives.
Les FEP des cavités gauches symptomatiques relèvent d’un trai-
tement chirurgical. Dans les formes asymptomatiques, la taille de
la tumeur et sa mobilité sont des facteurs à prendre en compte
dans la décision chirurgicale éventuelle. Pour certains auteurs, la
chirurgie est conseillée en présence d’un FEP de découverte fortuite
si sa taille est 1 cm, en particulier chez un sujet jeune à faible
risque de complications chirurgicales et particulièrement s’il existe
d’autres anomalies cardiaques.
L’exérèse chirurgicale est le traitement de référence, le plus sou-
vent en conservant la valve native. La vidéochirurgie, d’intro-
duction récente, peut parfois être proposée selon la morphologie
de la lésion. Elle procède d’un abord limité et respecte le plus
souvent l’appareil valvulaire. L’évolution après exérèse chirurgi-
cale est le plus souvent favorable et sans risque de récidive, tant
clinique qu’échocardiographique.
L’indication chirurgicale pour les FEP localisés aux cavités droites
est plus discutée. Elle semble justifiée pour les FEP volumineux
à haut risque hémodynamique et/ou embolique, en particulier en
présence d’un foramen ovale perméable favorisant l’embolie
paradoxale d’un fragment tumoral.
Remerciements
Nous remercions les docteurs Martine Barthelet (laboratoire
d’échocardiographie), Françoise Thivolet (service d’anatomie
pathologique), Robert Loire (service d’anatomie pathologique)
et Olivier Jegaden (service de chirurgie cardiaque) de l’hôpital
cardiologique de Lyon pour leur aide iconographique.
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Figure 6. Aspect échocardiographique d’un FEP.
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