M I S E A U P O I N T Myxome, fibroélastome, excroissance de Lambl et accidents ischémiques cérébraux Cardiac myxoma, papillary fibroelastoma, Lambl’s excrescence and ischemic stroke ● L. Derex*, N. Nighoghossian* P O I N T S P O I N T S F O R T S F O R T S ■ Les tumeurs intracardiaques primitives sont une source rare d’accident ischémique cérébral qui est facilement reconnu par l’échocardiographie. ■ Les complications neurologiques emboliques peuvent révéler l’existence d’un myxome de l’oreillette gauche ou d’un fibroélastome papillaire. ■ Les accidents ischémiques transitoires, récurrents et déclenchés par l’effort sont la manifestation neurologique la plus fréquente des myxomes. ■ Aucune distinction histologique n’est clairement établie entre fibroélastome papillaire et excroissance de Lambl. ■ Le traitement des tumeurs intracardiaques symptomatiques repose sur la chirurgie d’exérèse rapide. u moins 20 % des infarctus cérébraux ont une origine cardioembolique. Parmi ces sources d’embolie d’origine cardiaque, les tumeurs intracardiaques primitives sont une cause extrêmement rare d’accident ischémique cérébral (AIC) mais qui doit être reconnue sans délai car la prévention optimale repose alors habituellement sur la chirurgie d’exérèse tumorale. A MYXOMES Épidémiologie, anatomie pathologique et manifestations cliniques Les myxomes représentent les tumeurs intracardiaques bénignes les plus fréquentes (figure 1). L’incidence annuelle est de 0,5 par million d’habitants (1). Moins de 1 % des AIC du sujet jeune sont liés à cette pathologie. Ils siègent habituellement dans l’oreillette * Unité neurovasculaire, hôpital neurologique, Lyon. La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004 Figure 1. Aspect macroscopique d’un myxome. gauche (75 à 80 % des cas), plus rarement dans l’oreillette droite (15 à 20 %) ou dans les ventricules (< 5 %). Les myxomes cardiaques sont généralement sporadiques, mais des formes familiales existent et représentent 7 % des cas. Il existe une prépondérance féminine (2 femmes pour 1 homme). Ils sont habituellement découverts chez le jeune adulte, mais le diagnostic est parfois tardif en l’absence d’échocardiographie, certains cas étant diagnostiqués aux environs de la soixantaine. Les symptômes d’obstruction valvulaire mitrale représentent le premier élément de la classique triade syndromique des myxomes de l’oreillette gauche (symptômes cardiaques, généraux et emboliques). Ils sont présents dans 70 à 80 % des cas : défaillance cardiaque, malaises, syncope posturale ou d’effort (2). Environ 1 patient sur 3 présente une hypertrophie auriculaire gauche à l’électrocardiogramme. L’auscultation révèle des signes pseudomitraux chez 1 patient sur 2. Les signes généraux sont également fréquents en cas de myxome (50 à 90 % des cas) (tableau). Il a été montré que les cellules myxomateuses synthétisaient de l’interleukine 6. Les manifestations emboliques sont plus rares que les signes cardiaques et les signes généraux mais elles sont parfois révélatrices. Elles correspondent le plus souvent à la migration dans la circulation cérébrale, ophtalmique, coronaire ou systémique (30 à 40 % des cas) d’un fragment tumoral ou d’un thrombus formé à son contact. À 265 M I S E A Tableau. Signes généraux du myxome. Fièvre Perte de poids Asthénie Malaise Phénomène de Raynaud Céphalées d’allure migraineuse Éruptions cutanées Arthralgies et myalgies Anémie (hémolytique en général) Élévation de la vitesse de sédimentation Hypergamma-globulinémie, élévation des IgG dans le LCR Thrombopénie Hyperleucocytose Hypocomplémentémie Syndrome pseudolupique l’examen anatomopathologique, on observe une matrice myxoïde de mucopolysaccharides acides et des cellules polygonales isolées ou en filets, d’origine mésenchymateuse, qui peuvent former un chenal vasculaire (figure 2). Environ un tiers des myxomes ont une surface friable, ce qui favorise particulièrement les accidents emboliques. Accidents ischémiques transitoires (manifestation neurologique initiale la plus fréquente) et amauroses fugaces ont fréquemment été décrits, des infarctus médullaires exceptionnellement (3-5). La survenue de l’accident embolique lors d’un effort physique est souvent rapportée. La récidive embolique est fréquente avant résection chirurgicale de la tumeur. Des cas exceptionnels de démence vasculaire par infarctus cérébraux multiples ont été rapportés. U P O I N T infiltrer le mur artériel et donner lieu à un anévrysme fusiforme et irrégulier. Cet anévrysme peut se rompre ultérieurement, même après la résection chirurgicale du myxome, et entraîner une hémorragie intracérébrale ou sous-arachnoïdienne. Les ruptures anévrysmales seraient cependant assez rares si l’on en croit la revue de la littérature de myxomes de l’oreillette gauche à manifestations neurologiques. Lorsque les myxomes sont localisés dans les cavités droites, ils peuvent entraîner des embolies pulmonaires, une hémoptysie ou une hypertension artérielle pulmonaire. Diagnostic paraclinique L’échocardiographie transthoracique permet le diagnostic rapide et non invasif du myxome, avec une sensibilité d’environ 95 % (figure 3). Deux types de myxomes existent : les myxomes arrondis, de forme circulaire, bien délimitée, peu mobiles (52 % des cas) et les myxomes polypoïdes, de forme irrégulière, mobiles (48 %). Il a été montré que la nature polypoïde de la lésion représente un facteur prédictif indépendant d’embolie systémique (7). L’échocardiographie transœsophagienne est utile en cas de myxome de petite taille (avec une sensibilité qui approche 100 %) ou pour évaluer l’existence d’un thrombus au contact de la tumeur. Figure 3. Aspect échocardiographique d’un myxome de l’oreillette gauche. Traitement et pronostic Figure 2. Aspect anatomopathologique d’un myxome. Il faut rappeler que le myxome de l’oreillette gauche est aussi une cause très rare de formation d’anévrysme (6). La tumeur peut envoyer une métastase dans une artère intracrânienne, qui va 266 Un traitement chirurgical rapide doit être proposé pour prévenir le risque élevé d’accident embolique, voire de mort subite. Un traitement anticoagulant est souvent institué dans l’attente de la chirurgie mais ne peut avoir d’impact que sur les migrations thromboemboliques et ne prévient pas les embols tumoraux. Après résection chirurgicale, le pronostic à long terme est excellent. Le taux de récurrence est faible (< 5 %) mais justifie un suivi clinique et échocardiographique à long terme, notamment chez le sujet jeune, car des récidives de myxome ont été rapportées plus de 15 ans après l’intervention chirurgicale. La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004 FIBROÉLASTOMES PAPILLAIRES CARDIAQUES ET EXCROISSANCES DE LAMBL Les fibroélastomes papillaires cardiaques (FEP) représentent environ 10 % des tumeurs cardiaques primitives. Ils constituent la plus fréquente des formations intracardiaques “bénignes” après les myxomes et les lipomes. Les FEP sont une source reconnue d’accidents ischémiques cérébraux d’origine cardiaque, facilement détectée par l’échocardiographie cardiaque avec un net avantage pour la voie transœsophagienne. Anatomie pathologique et mécanismes des complications L’aspect anatomique du FEP est connu depuis la description de Lambl en 1856 (8), mais l’histogenèse reste discutée. Sur le plan anatomique, les localisations des FEP sont ubiquitaires, sur l’endocarde valvulaire à distance du bord libre et sur l’endocarde pariétal de toutes les cavités cardiaques. Les FEP sont de siège valvulaire dans 80 % des cas, principalement localisés sur la valve aortique et plus rarement sur la valve mitrale (9). Ils intéressent moins souvent les cavités atriales ou les veines pulmonaires. Ils peuvent s’étendre à l’ostium coronaire lorsqu’ils sont situés sur les sigmoïdes aortiques. Les FEP sont portés par un pédicule, parfois court, ou sont sessiles. La mobilité du FEP dépend de la taille du pédicule d’insertion et conditionne son potentiel emboligène. Leur taille varie de 0,1 à 4 cm, mais le plus souvent elle n’excède pas 1 cm. Les FEP sont rarement multiples, ils simulent alors les végétations de l’endocardite infectieuse. L’aspect des FEP est très caractéristique (figure 4). Il s’agit d’une formation composée d’éléments filiformes blanchâtres déployés en franges au sommet d’un pédicule bien individualisé, dont l’aspect est souvent comparé à une anémone de mer. L’examen microscopique permet de décrire une lésion élémentaire, d’aspect variable selon son ancienneté, avec des modes de groupement divers. Les franges filiformes sont composées de trois couches concentriques : un axe central acellulaire hyalin, puis un manchon œdémateux, enfin un revêtement unicellulaire de cellules endo- Figure 4. Aspect macroscopique d’un FEP. La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004 Figure 5. Aspect anatomopathologique d’un FEP. théliales (figure 5). Les FEP n’ont aucune similitude avec les myxomes intracardiaques et ne contiennent pas de structure vasculaire (10). L’origine tumorale du FEP semble admise et l’analyse cytogénétique conforte cette hypothèse en révélant des anomalies chromosomiques complexes. Toutefois, des mécanismes dégénératif, inflammatoire, malformatif et iatrogénique (FEP observés après chirurgie cardiaque ou irradiation thoracique) sont également évoqués. En fait, plusieurs théories ont successivement été proposées. L’histogenèse des FEP reste controversée mais elle fait le plus souvent appel, soit à des mécanismes d’usure et de réparation de la surface valvulaire, sous l’influence du flux sanguin au niveau du bord libre, soit à des frottements le long de la ligne d’affrontement et d’occlusion des valves. Cette hypothèse implique des modifications de la pression artérielle qui favorisent une plicature des valves et une rupture des fibres collagènes et élastiques superficielles. En 1961, Magarey ajoute une composante thrombotique, conséquence d’une altération chronique de l’endothélium valvulaire favorisant des dépôts de fibrine et la formation d’agrégats plaquettaires (11). Le rôle actif de la prolifération des cellules endothéliales déclenchée par les turbulences des flux sanguins et l’usure valvulaire est admis. La prééminence du rôle des cellules endothéliales est retenue par plusieurs auteurs et cela permet de distinguer les FEP vrais, ubiquitaires sur l’endocarde cardiaque, des excroissances de Lambl, limitées aux lignes d’occlusion et au bord libre des valves. Cependant, aucune distinction histologique n’est établie entre excroissance de Lambl et FEP (10). La sécrétion en grande quantité d’un matériel de type membrane basale par les cellules superficielles des FEP a été démontrée grâce à l’anticorps anticollagène de type IV. Les cellules endothéliales des FEP n’expriment pas de réactivité antigénique contre le facteur de Willebrand, accroissant ainsi le risque thrombotique. Toutefois, les études immunohistochimiques ne permettent pas de retenir des caractéristiques spécifiques. Ces études sont cependant utiles pour éliminer les sarcomes (rhabdomyosarcomes) en montrant l’absence de protéine S100 et/ou de marqueur des fibres musculaires, comme la desmine ou l’actine. En outre, une hypothèse virale a été évoquée en raison de la présence de cytomégalovirus en analyse immunohistochimique (12). Les FEP s’associent le plus souvent à d’autres anomalies car267 M I S E A diaques principalement valvulaires (atteinte rhumatismale, fibrose ou calcifications). Les autres anomalies telles que cardiomyopathie hypertrophique, anévrysme aortique ou affections cardiaques congénitales sont plus rares. Manifestations cliniques et diagnostic Les manifestations neurologiques sont l’expression la plus fréquente des FEP localisés aux cavités gauches : accidents ischémiques cérébraux transitoires ou constitués, occlusion de l’artère centrale de la rétine (13). Les autres complications telles que la mort subite, l’angor ou l’infarctus du myocarde, le bloc auriculoventriculaire ou les embolies systémiques sont plus rares. Dans les localisations droites, dyspnée et embolie pulmonaire ont été rapportées. Le mécanisme des complications cliniques est d’origine thrombotique. Les FEP apparaissent comme un réseau formant un point d’appel thrombotique, avec migration de thromboses récentes de petite taille rendant compte des tableaux neurologiques répétés, le plus souvent régressifs. Il est exceptionnel que le FEP se détache en bloc et soit retrouvé au cours d’une désobstruction, comme cela a été rapporté au niveau de l’artère poplitée. L’échocardiographie réalisée par voie transœsophagienne assure le diagnostic et permet d’éliminer d’autres lésions morphologiquement voisines : végétations d’endocardite infectieuse, fibrome ou thrombus pédiculé, myxome de petite taille, fenestrations commissurales des sigmoïdes aortiques. La lésion échocardiographique apparaît ronde ou ovalaire d’apparence irrégulière, aux limites bien Figure 6. Aspect échocardiographique d’un FEP. identifiées, et le plus souvent mobile (figure 6). Traitement Nous ne disposons pas de données significatives évaluant le rôle préventif des traitements antithrombotiques dans le cadre des FEP symptomatiques. Il semble cependant que ces traitements soient impuissants dans la prévention des récidives. Les FEP des cavités gauches symptomatiques relèvent d’un traitement chirurgical. Dans les formes asymptomatiques, la taille de la tumeur et sa mobilité sont des facteurs à prendre en compte 268 U P O I N T dans la décision chirurgicale éventuelle. Pour certains auteurs, la chirurgie est conseillée en présence d’un FEP de découverte fortuite si sa taille est ≥ 1 cm, en particulier chez un sujet jeune à faible risque de complications chirurgicales et particulièrement s’il existe d’autres anomalies cardiaques. L’exérèse chirurgicale est le traitement de référence, le plus souvent en conservant la valve native. La vidéochirurgie, d’introduction récente, peut parfois être proposée selon la morphologie de la lésion. Elle procède d’un abord limité et respecte le plus souvent l’appareil valvulaire. L’évolution après exérèse chirurgicale est le plus souvent favorable et sans risque de récidive, tant clinique qu’échocardiographique. L’indication chirurgicale pour les FEP localisés aux cavités droites est plus discutée. Elle semble justifiée pour les FEP volumineux à haut risque hémodynamique et/ou embolique, en particulier en présence d’un foramen ovale perméable favorisant l’embolie paradoxale d’un fragment tumoral. ■ Remerciements Nous remercions les docteurs Martine Barthelet (laboratoire d’échocardiographie), Françoise Thivolet (service d’anatomie pathologique), Robert Loire (service d’anatomie pathologique) et Olivier Jegaden (service de chirurgie cardiaque) de l’hôpital cardiologique de Lyon pour leur aide iconographique. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Hart RG, Albers GW, Koudstaal PJ. Cardioembolic stroke. In: Ginsberg MD, Bogousslavsky J, editors. Cerebrovascular Disease: pathophysiology, diagnosis and management. London:Blackwell Science 1998:1392-429. 2. Pinède L, Duhaut P, Loire R. Clinical presentation of left atrial cardiac myxoma. A serie of 112 consecutives cases. Medicine (Baltimore) 2001;80:159-72. 3. Labauge P, Messner-Pellenc P, Blard JM, Labauge R. Complications neurologiques des myxomes cardiaques. Presse Méd 1993;22:1317-21. 4. Garnier P, Michel D, Antoine JC et al. Myxome de l’oreillette gauche à manifestations neurologiques : 8 cas. Rev Neurol (Paris) 1994;150:776-84. 5. Alvarez-Sabin J, Lozano M, Sastre-Garriga J et al. Transient ischaemic attack: a common manifestation of cardiac myxomas. Eur Neurol 2001;45:165-70. 6. Castaigne P, Laplane D, Ricou P, Mallecourt J. Anévrysmes artériels multiples intracrâniens d’aspect mycotique. Accidents vasculaires répétitifs d’allure embolique. Myxome de l’oreillette gauche. Rev Neurol (Paris) 1975;131:339-46. 7. Ha JW, Kang WC, Chung N, Chang BC et al. Echocardiographic and morphologic characteristics of left atrial myxoma and their relation to systemic embolism. Am J Cardiol 1999;83:1579-82. 8. Lambl VA. Papillare exkrescenzen an der Semilunar-Klappe der Aorta. Wien Med Worchenschr 1856;6:244-7. 9. Sun JP, Asher CR, Yang XS et al. Clinical and echocardiographic characteristics of papillary fibroelastomas. A retrospective and prospective study in 162 patients. Circulation 2001;103:2687-93. 10. Loire R, Donsbeck AV, Nighoghossian N, Perinetti M, le Gall F. Les fibroélastomes papillaires cardiaques. Mise au point à propos de 20 cas. Clin Exp Path 1999;47:19-25. 11. Magarey FR. On the mode of formation of Lambl’s excressences and their relation to chronic thickening of the mitral valve. J Pathol Bacteriol 1961;61: 203-8. 12. Grandmougin D, Fayad G, Moukassa D et al. Cardiac valve papillary fibroelastomas: clinical, histological and immunohistochemical studies and a physiopathogenic hypothesis. J Heart Valve Dis 2000;9:832-41. 13. Nighoghossian N, Derex L, Loire R et al. Giant Lambl’s excrescences. Arch Neurol 1997;54:41-4. La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 8 - octobre 2004