Les péripéties d'un chercheur en quête de traitement pour une maladie orpheline.
(le quotidien du médecin du 21 décembre 99)
Le laboratoire japonais Takeda vient d'annoncer, à travers sa filiale française, que l'idébé
molécule qui apporte certains espoirs dans le traitement de l'ataxie de Friedreich, sera fournie à
les patients en France et à l'étranger. La nouvelle satisfait Pierre Rustin (CNRS et unité
qui, depuis un an, a mené plusieurs combats pour obtenir la mise à disposition de ce mé
continue toutefois à regretter l'absence d'essais cliniques, notamment aux Etats-Unis.
Toutes les personnes atteintes par l'ataxie de Friedreich, qui nécessitent un traitement par l'idébé
pourront le recevoir partout dans le monde. C'est l'engagement que vient de prendre le laboratoire japonais
Takeda, à travers sa filiale française. Une nouvelle accueillie avec une satisfaction non dissimulé
Rustin, directeur de recherches au CNRS et membre de l'unité INSERM 393 (handicaps géné
l'enfant, Necker-Enfants-Malades). “ Franchement, ce que nous sommes arrivés à obtenir é
y a seulement une semaine ”, explique-t-
il, tout en avouant garder quelques craintes sur le sort des patients
américains ou australiens.
L'ataxie de Friedreich, la plus fréquente des ataxies héré
ditaires, touche entre 1 500 et 2 000 patients en
France. Comme toutes les maladies orphelines, cette pathologie n'a jamais vraiment intéressé
pharmaceutique. Et jusqu'à l'an dernier, les malades n'avaient aucun espoir thérapeutique à l'horizon. “
une situation terrible, vous savez, de voir de petits gamins cloué
s dans des chaises roulantes et qui se
détériorent sans qu'on ne puisse rien faire ”, confie Pierre Rustin.
Des résultats spectaculaires
En 1996, la porte de l'espoir commence toutefois à s'entrouvrir avec l'identification du gène responsable par
l'équipe de Jean-Louis Mandel (institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, Strasbourg). Un
an plus tard, l'équipe du Pr Arnold Munnich (INSERM U393) met en évidence le mécanisme de la maladie :
une accumulation de fer dans les mitochondries, responsable de l'apparition de radicaux libres toxiques pour
les cellules. En 1998, la même équipe décide de traiter trois jeunes malades qui souffrent d'une
cardiomyopathie hypertrophique compliquant l'ataxie de Friedreich.
Ils reçoivent de l'idébénone, une molécule qui a une activité antioxydante et peut traverser les membranes
plasmatiques et mitochondriales. Rapidement, les résultats sont spectaculaires. “ En trois mois, la
cardiomyopathie avait diminué d'environ 30% ”, explique Pierre Rustin.
Les résultats de ce travail ont été publiés en août 1999 dans le “ Lancet ” (“ le Quotidien ” du 6 septembre).
Mais sans attendre, deux équipes, l'une de Necker et l'autre de la Pitié-Salpêtrière, décident de monter un
protocole clinique avec 52 patients, dont 20 enfants. Le problème est alors de trouver le médicament, qui
n'est pas commercialisé en France. Vendue pendant près de dix ans au Japon pour des troubles cognitifs de
la sénescence, l'idébénone a été retirée du marché en 1998 en raison, selon Takeda, d'une “ efficacité
insuffisamment démontrée dans cette indication ”. A la suite de cette décision des autorités japonaises,
l'industriel a suspendu la synthèse du principe actif du médicament. L'idébénone a toutefois continué à être
commercialisée dans la même indication thérapeutique en Italie et dans certains pays d'Amérique latine.
Pierre Rustin contacte alors la filiale française de Takeda. “
Pendant trois mois, nous n'avons pas eu de
réponse, raconte-t-il. Alors, j'ai appelé un journaliste de France 2 et je lui ai demandé d'appeler lui-mê
labo ainsi que l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). Et, d'un seul coup, tout s'est débloqué
Quasiment en une demi-journée, on nous a dit que les produits allaient pouvoir ê
tre disponibles pour l'essai et
(autorisations temporaires d'utilisation). ”
Eviter toute rupture du traitement
Une version des faits contestée par Annie Salesse, pharmacienne responsable de Takeda France. “
certainement pas le coup de téléphone d'un journaliste qui a entraîné la mise à disposition de ce mé
Dès que nous avons été contactés par l'AP-HP, nous avons tout mis en œuvre pour que le produit soit
disponible dans les meilleurs délais ”, affirme-t-elle. “ Cette histoire de France 2 qui fait tout avancer, c'est
complètement faux ”, assure-t-on également à la pharmacie centrale de l'AP-HP, où l'on ajoute : “ Pour tout
essai loi Huriet, il y a un certain nombre d'étapes que l'on ne peut pas esquiver. Notre souci était également
de nous assurer que le médicament allait pouvoir être fourni dans des conditions fiables et pérennes, de
façon à éviter toute rupture de traitement. ”