20121017 CR maladies émergentes

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« Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes »
COMPTE RENDU
DE LA TABLE RONDE DU 17 OCTOBRE 2012
Fabienne Keller est une femme politique française, elle a été maire de Strasbourg de 2001 à
2008 et siège au Sénat depuis 2004. Elle a été en charge du rapport, fait au nom de la
Délégation sénatoriale à la prospective, sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses
émergentes, paru le 5 juillet 2012.
Les maladies infectieuses ont toujours
existé mais c’est au XIXe siècle que les
pouvoirs publics se saisissent du problème.
Le discours se rationalise et les sociétés
s’organisent : quarantaines, bureau de
vaccination, etc. Le domaine des croyances
et des convictions est un élément très
important à prendre en compte dans la
manière de conduire les politiques de santé
publique. Dans la seconde moitié du XXe
siècle, on a connu une remise en cause de
la toute puissance de la médecine moderne,
notamment avec le choc du SIDA
(Syndrome
de
l’immunodéficience
acquise).
Une maladie émergente correspond à un
syndrome encore non observé, à une
affection encore jamais identifiée dans une
zone géographique ou à une affection
disparue qui réapparaît (comme la
tuberculose à Paris, par exemple). Il faut
savoir que la place des maladies
infectieuses dans la hiérarchie de la
mortalité est assez importante : depuis 50
ans, le nombre de maladies émergentes a
été multiplié par quatre. Dans les pays
pauvres, ces maladies seraient responsables
d’environ 43 % des décès.
Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012
Ces
maladies
apparaissent
tout
particulièrement en Afrique et dans les
zones de conflit. Les causes du
développement de ces maladies sont
multiples : en Inde, par exemple, l’accès
libre aux antibiotiques a contribué a créé
une forme de tuberculose multirésistante
dans les années 1990 et une forme
extrêmement multirésistante dans la
deuxième moitié des années 2000.
Les maladies émergentes n’existent pas
que dans les pays du Sud : la maladie de
Lyme (maladie bactérienne transmise par
les tiques), par exemple, touche un nombre
non négligeable de personnes en Alsace.
Les maladies émergentes ne sont pas
forcément bien connues du corps médical :
certains médecins, par exemple, ne
connaissent pas ou très peu la maladie de
Lyme, ce qui la rend plus difficile à
diagnostiquer.
La plupart des maladies infectieuses
émergentes (MIE) proviennent du monde
animal. Plus de 300 nouvelles maladies
infectieuses ont été découvertes depuis
1940 : 60 % proviennent des zoonoses
(animaux), dont 72 % de la faune sauvage.
La domestication de certains animaux
comme les rats ou les serpents pourrait
avoir accentué la propagation de ces
maladies.
Les virus sont la principale cause des MIE.
Le nombre de virus a explosé ces
cinquante dernières années mais la
connaissance de ces virus se développe
fortement grâce aux progrès de la
génétique. Aujourd’hui, il existe des bases
de données particulièrement abouties sur
les virus existants. Parmi les virus apparus
ou réapparus récemment, on peut citer : le
virus Ebola, le virus Marburg, le virus de
Lassa. Ces trois virus ont largement touché
l’Afrique dans les années 2000, ils
provoquent des fièvres hémorragiques
foudroyantes.
Les MIE ont un coût très importants d’où
l’importance de la prévention : le coût total
du paludisme en Afrique est estimé à
10 milliards d’euros par an. Les MIE
désorganisent totalement la société
(entreprises, services publics, écoles…).
Selon l’OMS (Organisation mondiale de la
santé) le SRAS (Syndrome respiratoire
aigu sévère) a tué plus de 800 000
personnes dans le monde, et aurait coûté
plus de 60 milliards d’euros.
Dans notre rapport 1, nous nous sommes
intéressés aux facteurs qui pourraient
influencer la transmission et la virulence
des pathogènes dans un avenir plus ou
moins lointain. Voici quelques exemples
de facteurs:
-
l’organisation de la population en
grands
centres
urbains :
la
concentration
des
populations
multiplie
les
possibilités
de
recombinaison et de réassortiments
génétiques. En 2020, 15 % de la
population mondiale pourrait vivre
dans des bidonvilles. Or les
conditions de vie insalubres sont
propices au développement des
MIE.
-
Les pratiques agricoles modernes
(déforestation, élevage intensif,
déplacement
d’hommes
et
d’animaux entre les espaces urbains
et les espaces naturels) pourraient
favoriser le transport et la mutation
des pathogènes.
-
La multiplication des échanges de
marchandises
pourrait
faciliter
l’expansion
des
MIE
(cf.
Chikungunya dans le Sud de la
France).
-
La progression du transport aérien :
les deux points les plus éloignés de
la Terre (Lagos et Sydney) peuvent
être reliés en 26 heures.
-
Les déplacements de populations :
dans les camps de réfugiés au
Rwanda, 300 000 personnes sont
mortes du choléra.
Quatre hypothèses ont alors été émises sur
l’évolution de ces facteurs 2 : une évolution
volontariste, une évolution satisfaisante,
une évolution tendancielle, une évolution
négative.
Nous avons envisagé le « scénario
catastrophe » dans lequel un virus serait
hautement contagieux, avec une période
d’incubation courte, un traitement limité et
une forte létalité. Les exemples récents ne
cumulent pas tous inconvénients : le
SRAS, par exemple, a été moins
contagieux que prévu (un million de
personnes touchées), la grippe aviaire a été
cantonnée à un petit territoire et aux
animaux, la grippe H1N1 a été moins létale
que prévu…
2
1
Voir KELLER Fabienne, Les nouvelles menaces
des maladies infectieuses émergentes, (Paris :
Délégation à la prospective du Sénat, 2012, 233 p.),
Bibliographie prospective n° 107, septembre 2012.
Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012
Liste des facteurs : démographie et urbanisation,
précarité des conditions sanitaires, évolution des
agents pathogènes, voyages et échanges
intercontinentaux, interactions santé animale santé
humaine, organisation du système sanitaire,
recherche, usage des sols, changement climatique.
2
Il est ressorti de ce travail que la
préparation de la France à ce type de
catastrophe était relativement faible : les
besoins sociaux répondent en réalité à des
peurs spontanées.
Nous nous sommes posé différentes
questions : quelles décisions stratégiques
faut-il prendre ? Comment appliquer les
mesures traditionnelles de santé publique
(quarantaine) ? Comment communiquer
sur le risque et l’incertitude compte tenu
des comportements des médias ? Comment
garantir un accès équitable aux ressources
en cas de crise ?
Nous avons défini dix leviers d’action :
1) faire prendre conscience aux opinions
publiques de la globalisation du
phénomène et de l’importance des rapports
Nord-Sud ;
2) agir sur les facteurs d’émergence et de
propagation des MIE pour les ralentir ;
des médecins dans les pays du Sud,
faciliter l’accès aux vaccins dans ces pays ;
9) soutenir et orienter la recherche sur les
vaccins ;
10) faire des efforts d’organisation
logistique de terrain : encourager la
coopération
décentralisée
entre
collectivités locales du Nord et du Sud,
transferts des médicaments, des vaccins,
des souches…
Afin de faciliter les échanges sur notre
travail, nous avons créé un blog 3.
Néanmoins, nous avons manqué de
sociologues qui pourraient nous aider à
comprendre les comportements des
populations. Ce travail n’a pas non plus su
mobiliser le ministère de la Santé, qui
manquait de temps et était occupé par une
succession de problèmes au moment des
travaux (canicule, H1N1).
3) considérer la prévention des maladies
infectieuses comme une grande cause
collective de l’humanité ;
4) faire progresser l’information des
populations du Nord comme du Sud sur les
pathologies, les vecteurs, etc. ;
5)
développer
des
méthodes
de
concertation pluridisciplinaire plus larges :
professionnels de la santé, mais aussi
géographes, spécialistes des transports,
historiens, sociologues, etc. pour construire
des liens de confiance, créer des méthodes
de travail en cas de crise ;
6) réintroduire des procédures classiques :
isolement, quarantaine, hygiène publique ;
7) promouvoir de nouveaux outils
d’intervention : analyses géographiques,
constitution de bases de données
épidémiologiques, modélisation des phases
de diffusion ;
8) réguler les mouvements de praticiens
des pays du Sud vers les pays du Nord :
sanctuariser la prise en charge financière
3
Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012
http://blogs.senat.fr/maladies-emergentes/)
3
Extraits des débats
Y a-t-il de plus en plus d’agents
pathogènes où les détecte-t-on de mieux en
mieux ?
minimum de savoirs en biologie pour que
les enjeux puissent être compris et débattus
dans la société.
Les deux à la fois.
La question de la diffusion de
l’information semble revêtir une grande
importance…
En effet, c’est un vrai enjeu : peu de
chercheurs en science de la communication
se penchent sur ce sujet en France.
Il est par ailleurs intéressant de noter
qu’une
partie
des
conséquences
économiques des maladies est en réalité
due à la peur de la maladie. Par exemple,
pour le virus de la grippe aviaire, il y a eu
une chute de 15 % de la consommation de
volaille en France avant même que le virus
ne soit sur le territoire.
Il y a eu une polémique sur la
manipulation des virus (H1N1), des
chercheurs japonais et hollandais ont
introduit séparément un gène H5 dans
H1N1. Les deux publications ont été mises
sous
embargo
(par
crainte
du
bioterrorisme) puis ont finalement été
publiées dans leur intégralité.
On manipule les virus pour voir si on peut
modifier leur virulence et étudier les
mutations : pensez-vous qu’il faille
continuer dans ce sens ? Si oui, quelle
coopération peut-on espérer ? Quid du
bioterrorisme ?
La polémique est sur le site Internet. Je
n’ai pas vraiment d’avis sur ce sujet mais il
est intéressant d’observer les différentes
réactions des acteurs à ce type de situation.
Thierry Pineau (chef du département santé
animale à l’INRA) se propose de répondre
en trois temps à la question de la
recherche universelle et du bioterrorisme :
1) Les activités des chercheurs dans le
domaine de la génétique inversée (création
de nouveautés génétiques virales à partir
de l’existant par recombinaison maîtrisée),
sont pratiquées depuis des décennies. Elles
doivent être réalisées en milieu confiné
avec une garantie de la qualité du
confinement. Interrompre ces recherches
sous la pression citoyenne serait se mettre
la tête dans le sable.
2) Il y a un écart entre la connaissance par
la société des pratiques de la recherche et
la recherche elle-même, et cet écart est
anxiogène.
3) En France, il manque un niveau
minimum de compréhension des enjeux
sociétaux
via
l’enseignement
d’un
Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012
J’ai été interpellé par des chiffres sur le
SRAS, qui aurait coûté 60 milliards
d’euros et entraîné la mort de 800 000
personnes. Où en est-on concernant ce
fléau ?
Le SRAS s’est éteint sans qu’on ne
comprenne pourquoi il est arrivé ni
comment il a disparu. Il existe un
programme d’alerte à l’OMS (Organisation
mondiale de la Santé) en cas de
réactivation de la maladie (plan publié en
2004).
Que feriez-vous si vous deveniez ministre
de la santé dès demain ?
En France, il y a beaucoup de compétences
sur chaque sujet mais un fractionnement
excessif des compétences et pas
d’interaction : c’est un enjeu majeur. Pour
bien gérer le risque, il faut croiser les
analyses et avoir un suivi dans le temps.
Il ne faut pas être trop pessimiste car il est
toujours difficile de savoir à quelle
épidémie on a échappé grâce au travail
des experts. La maladie de la vache folle
aurait pu avoir des conséquences bien
pires.
4
En effet, pour les grippes H5N1 puis
H1N1, c’est la première fois que l’homme
se prépare à une épidémie : jusqu’alors, les
épidémies survenaient comme des
catastrophes naturelles.
Le CAS (Centre d’analyses stratégiques)
va publier une note sur la résistance des
bactéries aux antibiotiques 4. Le mauvais
usage et la consommation abusive
d’antibiotiques sont des facteurs très
importants de la résistance des bactéries.
Par exemple, des formes plus résistantes
de la tuberculose se sont développées à
cause de personnes malades qui n’ont pas
pris leur traitement jusqu’au bout. Ces
personnes ont arrêté leur traitement
lorsqu’ils ont commencé à sentir une
amélioration de leur état (et non à la fin du
traitement) et ils ont développé des formes
résistantes aux antibiotiques.
On a vu une réapparition de la tuberculose
en Europe. La réapparition de certaines
maladies
n’est-elle
pas
liée
à
l’accroissement des foyers de pauvreté ?
Il existe un lien évident : lorsque la
tuberculose est réapparue en Île-de-France,
elle s’est développée en Seine-Saint-Denis,
département plus pauvre que d’autres.
Propos recueillis par Laurie Grzesiak.
4
CAS (Centre d’analyses stratégiques), « Les
bactéries résistantes aux antibiotiques », note
d’analyse n° 299, novembre 2012, 12 p. URL :
http://www.strategie.gouv.fr/content/bacteriesresistantes-antibiotiques-na299
5
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