47 rue de Babylone • 75007 Paris • France Tél. : 33 (0)1 53 63 37 70 • Fax : 33 (0)1 42 22 65 54 [email protected] • www.futuribles.com « Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes » COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 17 OCTOBRE 2012 Fabienne Keller est une femme politique française, elle a été maire de Strasbourg de 2001 à 2008 et siège au Sénat depuis 2004. Elle a été en charge du rapport, fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective, sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, paru le 5 juillet 2012. Les maladies infectieuses ont toujours existé mais c’est au XIXe siècle que les pouvoirs publics se saisissent du problème. Le discours se rationalise et les sociétés s’organisent : quarantaines, bureau de vaccination, etc. Le domaine des croyances et des convictions est un élément très important à prendre en compte dans la manière de conduire les politiques de santé publique. Dans la seconde moitié du XXe siècle, on a connu une remise en cause de la toute puissance de la médecine moderne, notamment avec le choc du SIDA (Syndrome de l’immunodéficience acquise). Une maladie émergente correspond à un syndrome encore non observé, à une affection encore jamais identifiée dans une zone géographique ou à une affection disparue qui réapparaît (comme la tuberculose à Paris, par exemple). Il faut savoir que la place des maladies infectieuses dans la hiérarchie de la mortalité est assez importante : depuis 50 ans, le nombre de maladies émergentes a été multiplié par quatre. Dans les pays pauvres, ces maladies seraient responsables d’environ 43 % des décès. Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012 Ces maladies apparaissent tout particulièrement en Afrique et dans les zones de conflit. Les causes du développement de ces maladies sont multiples : en Inde, par exemple, l’accès libre aux antibiotiques a contribué a créé une forme de tuberculose multirésistante dans les années 1990 et une forme extrêmement multirésistante dans la deuxième moitié des années 2000. Les maladies émergentes n’existent pas que dans les pays du Sud : la maladie de Lyme (maladie bactérienne transmise par les tiques), par exemple, touche un nombre non négligeable de personnes en Alsace. Les maladies émergentes ne sont pas forcément bien connues du corps médical : certains médecins, par exemple, ne connaissent pas ou très peu la maladie de Lyme, ce qui la rend plus difficile à diagnostiquer. La plupart des maladies infectieuses émergentes (MIE) proviennent du monde animal. Plus de 300 nouvelles maladies infectieuses ont été découvertes depuis 1940 : 60 % proviennent des zoonoses (animaux), dont 72 % de la faune sauvage. La domestication de certains animaux comme les rats ou les serpents pourrait avoir accentué la propagation de ces maladies. Les virus sont la principale cause des MIE. Le nombre de virus a explosé ces cinquante dernières années mais la connaissance de ces virus se développe fortement grâce aux progrès de la génétique. Aujourd’hui, il existe des bases de données particulièrement abouties sur les virus existants. Parmi les virus apparus ou réapparus récemment, on peut citer : le virus Ebola, le virus Marburg, le virus de Lassa. Ces trois virus ont largement touché l’Afrique dans les années 2000, ils provoquent des fièvres hémorragiques foudroyantes. Les MIE ont un coût très importants d’où l’importance de la prévention : le coût total du paludisme en Afrique est estimé à 10 milliards d’euros par an. Les MIE désorganisent totalement la société (entreprises, services publics, écoles…). Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé) le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) a tué plus de 800 000 personnes dans le monde, et aurait coûté plus de 60 milliards d’euros. Dans notre rapport 1, nous nous sommes intéressés aux facteurs qui pourraient influencer la transmission et la virulence des pathogènes dans un avenir plus ou moins lointain. Voici quelques exemples de facteurs: - l’organisation de la population en grands centres urbains : la concentration des populations multiplie les possibilités de recombinaison et de réassortiments génétiques. En 2020, 15 % de la population mondiale pourrait vivre dans des bidonvilles. Or les conditions de vie insalubres sont propices au développement des MIE. - Les pratiques agricoles modernes (déforestation, élevage intensif, déplacement d’hommes et d’animaux entre les espaces urbains et les espaces naturels) pourraient favoriser le transport et la mutation des pathogènes. - La multiplication des échanges de marchandises pourrait faciliter l’expansion des MIE (cf. Chikungunya dans le Sud de la France). - La progression du transport aérien : les deux points les plus éloignés de la Terre (Lagos et Sydney) peuvent être reliés en 26 heures. - Les déplacements de populations : dans les camps de réfugiés au Rwanda, 300 000 personnes sont mortes du choléra. Quatre hypothèses ont alors été émises sur l’évolution de ces facteurs 2 : une évolution volontariste, une évolution satisfaisante, une évolution tendancielle, une évolution négative. Nous avons envisagé le « scénario catastrophe » dans lequel un virus serait hautement contagieux, avec une période d’incubation courte, un traitement limité et une forte létalité. Les exemples récents ne cumulent pas tous inconvénients : le SRAS, par exemple, a été moins contagieux que prévu (un million de personnes touchées), la grippe aviaire a été cantonnée à un petit territoire et aux animaux, la grippe H1N1 a été moins létale que prévu… 2 1 Voir KELLER Fabienne, Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, (Paris : Délégation à la prospective du Sénat, 2012, 233 p.), Bibliographie prospective n° 107, septembre 2012. Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012 Liste des facteurs : démographie et urbanisation, précarité des conditions sanitaires, évolution des agents pathogènes, voyages et échanges intercontinentaux, interactions santé animale santé humaine, organisation du système sanitaire, recherche, usage des sols, changement climatique. 2 Il est ressorti de ce travail que la préparation de la France à ce type de catastrophe était relativement faible : les besoins sociaux répondent en réalité à des peurs spontanées. Nous nous sommes posé différentes questions : quelles décisions stratégiques faut-il prendre ? Comment appliquer les mesures traditionnelles de santé publique (quarantaine) ? Comment communiquer sur le risque et l’incertitude compte tenu des comportements des médias ? Comment garantir un accès équitable aux ressources en cas de crise ? Nous avons défini dix leviers d’action : 1) faire prendre conscience aux opinions publiques de la globalisation du phénomène et de l’importance des rapports Nord-Sud ; 2) agir sur les facteurs d’émergence et de propagation des MIE pour les ralentir ; des médecins dans les pays du Sud, faciliter l’accès aux vaccins dans ces pays ; 9) soutenir et orienter la recherche sur les vaccins ; 10) faire des efforts d’organisation logistique de terrain : encourager la coopération décentralisée entre collectivités locales du Nord et du Sud, transferts des médicaments, des vaccins, des souches… Afin de faciliter les échanges sur notre travail, nous avons créé un blog 3. Néanmoins, nous avons manqué de sociologues qui pourraient nous aider à comprendre les comportements des populations. Ce travail n’a pas non plus su mobiliser le ministère de la Santé, qui manquait de temps et était occupé par une succession de problèmes au moment des travaux (canicule, H1N1). 3) considérer la prévention des maladies infectieuses comme une grande cause collective de l’humanité ; 4) faire progresser l’information des populations du Nord comme du Sud sur les pathologies, les vecteurs, etc. ; 5) développer des méthodes de concertation pluridisciplinaire plus larges : professionnels de la santé, mais aussi géographes, spécialistes des transports, historiens, sociologues, etc. pour construire des liens de confiance, créer des méthodes de travail en cas de crise ; 6) réintroduire des procédures classiques : isolement, quarantaine, hygiène publique ; 7) promouvoir de nouveaux outils d’intervention : analyses géographiques, constitution de bases de données épidémiologiques, modélisation des phases de diffusion ; 8) réguler les mouvements de praticiens des pays du Sud vers les pays du Nord : sanctuariser la prise en charge financière 3 Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012 http://blogs.senat.fr/maladies-emergentes/) 3 Extraits des débats Y a-t-il de plus en plus d’agents pathogènes où les détecte-t-on de mieux en mieux ? minimum de savoirs en biologie pour que les enjeux puissent être compris et débattus dans la société. Les deux à la fois. La question de la diffusion de l’information semble revêtir une grande importance… En effet, c’est un vrai enjeu : peu de chercheurs en science de la communication se penchent sur ce sujet en France. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’une partie des conséquences économiques des maladies est en réalité due à la peur de la maladie. Par exemple, pour le virus de la grippe aviaire, il y a eu une chute de 15 % de la consommation de volaille en France avant même que le virus ne soit sur le territoire. Il y a eu une polémique sur la manipulation des virus (H1N1), des chercheurs japonais et hollandais ont introduit séparément un gène H5 dans H1N1. Les deux publications ont été mises sous embargo (par crainte du bioterrorisme) puis ont finalement été publiées dans leur intégralité. On manipule les virus pour voir si on peut modifier leur virulence et étudier les mutations : pensez-vous qu’il faille continuer dans ce sens ? Si oui, quelle coopération peut-on espérer ? Quid du bioterrorisme ? La polémique est sur le site Internet. Je n’ai pas vraiment d’avis sur ce sujet mais il est intéressant d’observer les différentes réactions des acteurs à ce type de situation. Thierry Pineau (chef du département santé animale à l’INRA) se propose de répondre en trois temps à la question de la recherche universelle et du bioterrorisme : 1) Les activités des chercheurs dans le domaine de la génétique inversée (création de nouveautés génétiques virales à partir de l’existant par recombinaison maîtrisée), sont pratiquées depuis des décennies. Elles doivent être réalisées en milieu confiné avec une garantie de la qualité du confinement. Interrompre ces recherches sous la pression citoyenne serait se mettre la tête dans le sable. 2) Il y a un écart entre la connaissance par la société des pratiques de la recherche et la recherche elle-même, et cet écart est anxiogène. 3) En France, il manque un niveau minimum de compréhension des enjeux sociétaux via l’enseignement d’un Table ronde Futuribles du 17 octobre 2012 J’ai été interpellé par des chiffres sur le SRAS, qui aurait coûté 60 milliards d’euros et entraîné la mort de 800 000 personnes. Où en est-on concernant ce fléau ? Le SRAS s’est éteint sans qu’on ne comprenne pourquoi il est arrivé ni comment il a disparu. Il existe un programme d’alerte à l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) en cas de réactivation de la maladie (plan publié en 2004). Que feriez-vous si vous deveniez ministre de la santé dès demain ? En France, il y a beaucoup de compétences sur chaque sujet mais un fractionnement excessif des compétences et pas d’interaction : c’est un enjeu majeur. Pour bien gérer le risque, il faut croiser les analyses et avoir un suivi dans le temps. Il ne faut pas être trop pessimiste car il est toujours difficile de savoir à quelle épidémie on a échappé grâce au travail des experts. La maladie de la vache folle aurait pu avoir des conséquences bien pires. 4 En effet, pour les grippes H5N1 puis H1N1, c’est la première fois que l’homme se prépare à une épidémie : jusqu’alors, les épidémies survenaient comme des catastrophes naturelles. Le CAS (Centre d’analyses stratégiques) va publier une note sur la résistance des bactéries aux antibiotiques 4. Le mauvais usage et la consommation abusive d’antibiotiques sont des facteurs très importants de la résistance des bactéries. Par exemple, des formes plus résistantes de la tuberculose se sont développées à cause de personnes malades qui n’ont pas pris leur traitement jusqu’au bout. Ces personnes ont arrêté leur traitement lorsqu’ils ont commencé à sentir une amélioration de leur état (et non à la fin du traitement) et ils ont développé des formes résistantes aux antibiotiques. On a vu une réapparition de la tuberculose en Europe. La réapparition de certaines maladies n’est-elle pas liée à l’accroissement des foyers de pauvreté ? Il existe un lien évident : lorsque la tuberculose est réapparue en Île-de-France, elle s’est développée en Seine-Saint-Denis, département plus pauvre que d’autres. Propos recueillis par Laurie Grzesiak. 4 CAS (Centre d’analyses stratégiques), « Les bactéries résistantes aux antibiotiques », note d’analyse n° 299, novembre 2012, 12 p. URL : http://www.strategie.gouv.fr/content/bacteriesresistantes-antibiotiques-na299 5