analyse des représentations mentales des élèves de CM2 sur les

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PRENDRE EN COMPTE LES MECANISMES DE CONSTRUCTION
DES CONCEPTS PREALABLES PAR LES ELEVES :
analyse des représentations mentales des élèves de CM2
sur les tremblements de terre à partir des questionnaires
BURÇIN DAL1
Résumé :
Les connaissances sur les séismes constituent donc un savoir complexe, issu d’une longue histoire,
transformé en savoir à enseigner par les choix des programmes officiels, des manuels et par la prise
en compte des processus de construction des savoirs chez les enfants, et des processus d’élaboration
des concepts dans le domaine des sciences de l’espace terrestre, éclairés par J. Piaget et d’autres
chercheurs. La reconnaissance des représentations peut constituer une base d’organisation de
stratégies adaptées aux élèves. Le présent article décrit quelles conceptions personnelles particulières
se font donc les enfants turcs sur les séismes avant tout cours sur ces sujets? Nous avons mené une
série d’enquêtes sur ce thème et analysé les résultats.
Mots-clés : concept, conceptions, représentations, obstacle, tremblement de terre
Les questionnaires sur les conceptions initiales des élèves à propos des tremblements de terre
Dans les sciences sociales ou humaines, un élève aborde rarement un contenu d’enseignement sans une
conception ou représentation initiale. Rien n’est jamais totalement neuf. Les individus, et les élèves en
particulier, ont une opinion sur tout. Ils sont nantis d’un savoir parcellaire qui les dispense de se poser
des questions car ils ont ainsi l’impression de connaître le sujet. Rappelons que ces « idées
préalables », ce « déjà-là », ces « raisonnements spontanés » ont longtemps été, en didactique, appelés
indifféremment « représentations » ou « conceptions ».
Il est donc utile de s’intéresser aux représentations des élèves pour mettre en évidence les obstacles à
surmonter et éviter ainsi les problèmes que ces obstacles posent à l’apprentissage : « faire avec [les
représentations initiales des élèves] pour aller contre » (Giordan A, De Vecchi G, 1989), en profitant
de ce « savoir » et en essayant de l’intégrer ou de le rejeter pendant la procédure de l’apprentissage : en
sachant qu’elles (les représentations) existent, on peut donc choisir de s’en inspirer pour construire son
thème.
1
Université Technique d’Istambul, [email protected]
1
Dans le domaine des manifestations de l’activité interne du globe terrestre, nous allons voir que les
conceptions où l’irrationnel et l’émotivité nés du spectaculaire sont très fortes. Dans les conceptions
initiales des élèves, l’aspect de spectacle grandiose et catastrophique apparaît très souvent, mais il peut
aussi être mêlé de connaissances plus objectives, plus proches du savoir scientifique.
La méthodologie des recueils d’informations sur les conceptions initiales des élèves
Nous avons suivi 170 élèves en fin de cycle trois dans l’étude des tremblements de terre. Ces élèves
étaient répartis sur cinq classes, dans cinq écoles différentes, et ils ont répondu aux mêmes
questionnaires à des dates différentes. Le contexte pédagogique ne variait pas d’une classe à une autre.
Aucun élève questionné n’avait étudié auparavant les tremblements de terre en classe. La démarche
pédagogique, les objectifs notionnels retenus, la situation de départ étaient communs aux cinq classes.
Les élèves observés étaient pris à un seul niveau du cursus scolaire : à l’Ecole Primaire en classe de
CM2. Le choix de ce niveau se justifie par le contenu des programmes concernant l’enseignement des
tremblements de terre qui s’effectue en fin du cycle trois et par les étapes repérées dans la construction
des savoirs. De plus, ce niveau apporte des éléments sur le degré d’appropriation et de maîtrise des
notions fondamentales en géologie à l’issue des apprentissages scolaires et extra-scolaires de base.
Il paraît important de dire ici comment a été constitué l’échantillon. Pour réaliser cette enquête, il était
intéressant de se déplacer sur la faille Nord Anatolienne, une région très séismique. Les questionnaires
ont été proposés dans quatre secteurs situés sur cette faille, Bolu (100 000 habitants), Düzce (65 000
habitants), Istanbul (15 millions habitants) et Caycuma (30 000 habitants), qui sont tous sous la forte
menace de risques sismiques. Bolu, Düzce et la partie occidentale d’Istanbul sont classées parmi les
zones les plus sismiques de Turquie, alors que Caycuma est dans une zone présentant un peu moins de
risques sismiques que les autres. Il y a eu le 12 Novembre 1999 à Bolu et à Düzce des tremblements de
terre d’une magnitude de 7,2 sur l’échelle de Richter. Ces tremblements de terre ont provoqué des
secousses à Caycuma, sans qu’il y ait eu de catastrophes dans cette ville. La carte ci-dessous nous
montre la localisation des villes où nous avons réalisé nos enquêtes.
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Tableau 1 : Présentation des données de base de cette recherche.
Localisation
Classe de CM2
nom de
l’établissement
Nombre d’élèves
concernés
Méthodologie
d’observation
Bolu
Ecole Primaire
35
Questionnaire
Caycuma
Ecole Primaire
32
Questionnaire
Caycuma
Ecole Primaire
35
Questionnaire
Duzce
Ecole Primaire
33
Questionnaire
Istanbul
Ecole Primaire
35
Questionnaire
Cinq classes de CM2 ont participé à cette étude. Pour obtenir les cinq classes observées dans cette
recherche, il aura fallu contacter plus d’une quarantaine d’enseignants. Parmi les réponses négatives, la
moitié avait « peur » d’un observateur dans leur classe et du regard sur leur pratique pédagogique. Les
autres n’étudiaient pas le sujet en détail dans leur classes par « manque de temps », pour pouvoir faire
tout le programme de Sciences Sociales, et en conséquence, pour eux, il fallait faire des choix. Dans
les Instructions Officielles, le sujet n’est pas suffisamment détaillé et donc leur paraît peu facile
d’approche. Pourtant, les objectifs de son étude sont bien liés aux finalités déclarées de l’enseignement
des Sciences Sociales à l’Ecole Primaire.
Il est donc nécessaire de préciser a priori que les pratiques de classes observées ne sont certainement
pas représentatives de ce qui ce passe dans chacune des classes de l’Enseignement Primaire en Turquie
puisque les enseignants retenus sont tous des volontaires, et se sentent compétents dans les domaines
spécifiques aux programmes de CM2. Ils ont toujours élaboré et conduit les situations d’apprentissage
en totale autonomie, sans intervention de notre part dans les contenus ou les démarches mises en
œuvre. Aucune pression n’a faussé les relations enseignants-élèves, et l’observation a pu se réaliser en
toute transparence dans un climat de confiance. Les cinq enseignants des classes de CM2 ont le même
diplôme de professeur des Ecoles Primaires, obtenu dans différentes universités. Ce sont des
enseignants chevronnés, qui ont reçu une formation générale pour être maître à l’Ecole Primaire, mais
qui n’ont pas suivi de formation spéciale pour l’enseignement des tremblements de terre.
Le profil des élèves observés, en situation scolaire normale, issus de catégories socioprofessionnelles
variées, soit des zones urbaines, rurales ou semi-rurales, reflète assez bien la population en Turquie.
Le recueil des informations a été réalisé de diverses façons, car selon Pierre Clément (1992), le
chercheur en didactique doit être très prudent quand il travaille sur les conceptions d’une personne : il
est préférable qu’il utilise plusieurs méthodes plaçant la personne interrogée dans différentes
situations, de façon à comparer les diverses conceptions conjoncturelles qui émergent ainsi, pour avoir
une meilleure approximation de l’univers conceptuel de la personne interrogée.
Le questionnaire soumis à 170 élèves de CM2 demandait d’abord aux élèves de définir ce qu’est pour
eux un tremblement de terre, puis d’expliquer pourquoi la terre tremble ; on leur proposait de faire
ensuite un schéma expliquant pourquoi la terre tremble.
3
L’utilisation de dessins pour préciser une représentation mentale d’élèves jeunes est très intéressante,
mais elle pose pour le chercheur de redoutables problèmes : tout dessin représente une ou des idées,
mais ne se confond pas avec ce que pense l’élève. Comme toute représentation, elle doit être
interprétée par l’observateur, ce qui peut aboutir à des faux-sens et contresens. En outre, certains
dessins comportent de nombreux éléments. Lesquels sont pertinents et signifiants ? C’est le chercheur
qui va choisir, au risque de tordre la signification que leur accordait l’élève.
Les questionnaires ont été distribués aux élèves juste avant le début du cours intitulé « le séisme et les
moyens de prévention des séismes ». Aucune activité d’apprentissage en géologie n’était menée avec
ces élèves pendant qu’ils réalisaient leurs productions écrites ou dessinées évidemment. Les réponses
ont été analysées manuellement, et contrôlées minutieusement. Une brève analyse de ces résultats est
donnée dans chacun des tableaux suivants.
Avant de procéder à l’analyse de notre questionnaire, nous pensions qu’il pouvait y avoir des
difficultés de compréhension des séismes pour les enfants turcs, car le terme qui signifie tremblement
de terre (deprem) n’a pas la même racine que celui qui signifie trembler (titremek) (de même qu’en
France, le terme « tremblement de terre » n’est pas de la même étymologie que le terme « séisme »).
Cependant, nous avons constaté que pour les élèves turcs de CM2 que nous avons questionnés, les
deux termes ont le même sens, et ils utilisent l’un pour l’autre. Par exemple, à la question « qu’est-ce
qu’un tremblement de terre (yer titremesi nedir) ? », Arda répond par l’autre terme : « le séisme
(deprem), c’est la rencontre entre deux plaques tectoniques ».
Les réponses initiales des élèves à propos des tremblements de terre
Une difficulté à définir un tremblement de terre
A la première question « Qu’est ce qu’un tremblement de terre ? », on est très étonné de constater que
deux élèves sur 170 (soit 1,176 %) répondent par « je ne sais pas ». Nous ne pouvons, d’un point de
vue didactique, interpréter cette dernière observation que comme une absence du terme « tremblement
de terre » dans le vocabulaire de ces deux enfants de 10-11 ans, mais cela paraît peu probable : les
tremblements de terre sont des évènements récurrents et d’actualité en Turquie, de ce fait, toutes les
représentations sociales qui entourent l’enfant en parlent : la famille, les médias…Cette réponse : « je
ne sais pas » peut donc résulter du manque de motivation de ces enfants, ou bien d’une hésitation ou
d’une difficulté à donner une définition précise.
En effet, la majorité des enfants ont une idée plus ou moins précise de ce qu’est un tremblement de
terre. Plus d’un tiers des élèves tentent d’expliquer de façon spontanée l’existence du tremblement de
terre, leurs formulations sont à la fois descriptives et en même temps spontanément explicatives. Il n’y
a pas de différences significatives liées au sexe.
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Sur 168 élèves qui ont répondu à la première question, 26% seulement d’entre eux donnent une réelle
définition, 17% au sens strict, reprenant le terme même de tremblement de terre (« C’est le sol qui
tremble »). La plupart d’entre eux pense tout de suite plutôt à des explications du tremblement de terre,
ce qui n’était pas demandé par la question. Ils évoquent alors sept séries de causes : les manifestations
destructrices et catastrophiques, les causes tectoniques, les volcans, les causes internes au globe
terrestre, des causes atmosphériques, des causes extra-terrestres, et la formation des montagnes. Ces
sept catégories, qui regroupent chacune des réponses variées, fournissent un total de 146 citations.
En éliminant les 22 énoncés (sur 168) qui n’ont été cités qu’une fois, on peut lister les phrases-clés les
plus utilisées par les élèves, et calculer leur pourcentage d’utilisation (voire tableau 2).
Tableau 2 : Réponses des élèves à la question : Qu’est ce qu’un tremblement de terre ?
(avant tout cours sur ce sujet) [Les réponses sont classées selon un ordre décroissant d’utilisation des
citations par les élèves. Ces réponses seront, également, analysées selon les types d ‘explications dans
les paragraphes qui suivent.]
Un tremblement de terre
Nombre de citations
Pourcentage de
Citations
Les plaques tectoniques bougent, et au bout d’un moment elles
se cognent, ce qui provoque un tremblement de terre.
34
20,2 %
C’est le sol qui tremble et qui s’ouvre en dévastant des
immeubles, des maisons ; il peut même y a avoir des morts
28
16,6 %
Ce sont les plaques terrestres qui se rentrent dedans
22
13,0 %
C’est un volcan éteint sous la terre qui se réveille et qui
provoque un tremblement de terre.
20
11,9 %
16
9,5 %
C’est un réchauffement à l’intérieur de la planète qui crée un
tremblement de terre
10
5,9 %
La chute d’une planète sur la terre
5
2,9 %
C’est une formation des montagnes
4
2,3 %
C’est le gaz qui n’a pas de place, donc il fait des fissures dans
la terre
4
2,3 %
C’est le soleil qui réchauffe la terre, après, cela fait des
fissures
3
1,7 %
C’est une tempête, une tornade
2
1,1 %
Ce sont les continents qui se déplacent dans la mer
2
1,1 %
Un tremblement de terre est une catastrophe naturelle qui
arrive surtout dans certains pays se trouvant entre deux plaques
tectoniques
Des explications imagées des séismes
Si la première question incitait les élèves à donner une définition du tremblement de terre, il était tout
aussi intéressant de les inviter dans une seconde question à en donner la ou les causes. Ainsi, nous
pourrions vérifier si cette conception est isolée dans leurs représentations, ou si les élèves parviennent
à établir quelques relations signifiantes pour eux entre différents éléments susceptibles d’expliquer ce
risque naturel.
5
A cette deuxième question : « Pouvez-vous expliquer par écrit pourquoi la terre tremble ? », le taux de
non-réponse est à peu près le même qu’à la question précédente, trois élèves ayant répondu par « je ne
sais pas », différents de ceux qui n’avaient pas répondu à la première question.
92 % des énoncés obtenus sont en réponse directe à la question posée, alors que les autres s’en
éloignent plus ou moins. Ces réponses font intervenir deux conceptions principales : des causes
terrestres, des causes extra-terrestres pour expliquer pourquoi la terre tremble. Sur 163 énoncés repris
par au moins deux élèves, on peut relever par ordre décroissant les idées suivantes (voire tableau 3).
Tableau 3 : Réponses des élèves (avant les cours) à la question : Pouvez-vous expliquer par écrit
pourquoi la terre tremble ? [Les réponses sont classées selon un ordre décroissant d’utilisation des
citations par les élèves. Ces réponses seront, également, analysées selon les types d ‘explications dans
les paragraphes qui suivent].
Nombre de
citations
Pourcentage
de citations
Ce sont les plaques constituant la terre qui bougent, se
heurtent, se chevauchent entre elles. Elles peuvent
également s’écarter, et créer des dégâts selon la magnitude.
34
20,3 %
Deux plaques qui s’écartent forment un grand trou et ça fait
que tout se détruit
29
17,3 %
Quant deux plaques se rencontrent ou dérivent, cela fait
trembler la terre
22
13,1 %
La terre tremble quand un volcan est en éruption
20
11,9 %
Deux plaques, quand elles se touchent font qu’elles
remontent à la surface
19
11,3 %
La terre tremble car elle s’ouvre pour faire sortir la chaleur
de sous la terre afin de ne pas exploser
9
5,3 %
La terre tremble à cause du magma qui est au centre de la
terre, et qui peu à peu la détruit avec la lave rouge.
8
4,7 %
A cause des météores qui heurtent la terre
5
2,9 %
Le noyau au centre de la terre bouge et c’est ça qui fait les
tremblements de terre
4
2,3 %
La terre tremble pour permettre de former les montagnes
4
2,3 %
Parce qu’il y a de l’eau et du gaz en dessous de la terre et ils
veulent sortir.
3
1,7 %
Parce qu’un pays voisin tremble, et c’est à cause de cette
vibration qu’on tremble
2
1,1 %
La terre tremble à cause des tempêtes violentes
2
1,1 %
Les continents se rapprochent et passent sous un autre, ça
fait des tremblements de terre
2
1,1 %
Pourquoi la Terre tremble ?
En premier lieu, on constate que les réponses des élèves avant les cours sur les séismes sont en général
très floues et peu scientifiques. Rares sont les enfants de cet âge qui ont une idée scientifique, même
vague, de ce qu’est un tremblement de terre : 34 élèves sur 170 (soit environ 20 %).
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Si l’on compare la totalité des énoncés de ces élèves de CM2, on peut les classer en trois séries : un
tiers des élèves explique les séismes en faisant intervenir des termes géologiques, un deuxième tiers
par des termes communs de la vie courante, et les autres les expliquent d’une façon imagée.
Au sein de chacun de ces trois groupes, on est frappé par la forte ressemblance dans les termes et
expressions utilisés. Voici des exemples considérés comme scientifiques, dans la mesure où ils
utilisent des termes précis du domaine scientifique correspondant, et même des éléments scientifiques
pertinents. Coskun dit : « Deux morceaux de la croûte terrestre se rencontrent et l’un passe au-dessus
de l’autre » ; Mehmet : « Pour moi, un tremblement de terre, ce sont deux plaques terrestres qui
s’entrechoquent, et la terre tremble. Cela crée des montagnes » ; Erhan : « Ce sont des mouvements
de plaques tectoniques qui se trouvent en dessous de la terre ».
Nous retrouvons bien sûr dans les réponses à la deuxième question la presque totalité des termes qu’ils
ont utilisés pour conceptualiser leurs réponses à la première question. Toutefois, de nouveaux termes
apparaissent, comme « noyau », « météore », « magma », même s’ils ne sont pas en lien direct avec les
tremblements de terre. Inversement, on a observé des termes plus vagues, qui ne désignent pas
d’éléments en particulier : « truc », « quelque chose ».
Bien que le questionnaire soit simple et sans exigence particulière dans sa formulation, un certain
nombre d’élèves ont répondu de façon imagée, en faisant référence à une forme (« boule de feu ») ou à
une couleur (« le ciel rose », « la lave rouge »). Par exemple, Didem : « Parce que le ciel est rose, la
terre tremble » ; Ferda : « Parce qu’une boule de feu tombe sur la terre » ; Umit : « Parce que le
magma, qui est au centre de la terre, peu à peu détruit la terre avec la lave rouge ».
Les élèves qui ont répondu en utilisant des termes géologiques, et en utilisant un certain savoir
scientifique, avaient-ils eu davantage l’occasion de se familiariser avec ces termes dans leur passé ? Ou
bien, les ont-ils appris spécialement pour répondre à ce questionnaire, dont ils auraient entendu parler
avant la séance même ? L’analyse des questionnaires peut nous permettre de trouver des réponses à ces
interrogations, en constatant une éventuelle différence : les élèves qui seraient déjà familiarisés avec
ces termes les utiliseraient à bon escient, c’est à dire qu’ils ne se tromperaient pas dans ce qu’ils
signifient, tandis que les autres les citeraient de façon plus maladroite, c’est à dire qu’il n’y aurait pas
forcément de lien logique dans leur réponse globale. Voici quelques exemples de réponses des élèves :
Fulya définit d’abord le tremblement de terre en disant : « Ce sont les plaques terrestres qui se rentrent
dedans » puis répond à la seconde question par « Quand deux plaques se rencontrent ou dérivent, cela
fait trembler la terre ». (Il y a un lien logique entre ces deux réponses.) Quant à Aynur, le tremblement
de terre, « C’est une formation des montagnes » puis en réponse à la deuxième question « La terre
tremble à cause du magma qui est au centre de la terre, et qui peu à peu la détruit avec la lave
rouge ». (Il n’ y a pas de lien logique entre ces deux réponses.)
7
Plus étonnant, ces questionnaires qui ont été réalisés dans quatre régions différentes (bien que
voisines) de la Turquie ne donnent pas de différences significatives dans les réponses des élèves entre
ceux qui ont déjà vécu un tremblement de terre dans toute son ampleur, et ceux qui n’ont connu que
des secousses amorties, loin de l’épicentre. L’expérience vécue, toutes les images reçues à la télévision
et dans les journaux, tous les discours probables ne donneraient finalement pas une meilleure
connaissance des explications géologiques.
Revenons avec plus de précisions sur les types d’explications des tremblements de terre invoquées par
les élèves avant les leçons sur les séismes.
Des causes terrestres
Dans la catégorie des causes terrestres, de nombreuses variantes sont proposées par les élèves.
Des causes naturelles internes à la planète Terre
L’énergie interne (ou la chaleur interne) :
Dans cette catégorie, on rencontre d’abord la conception d’une énergie interne. Les élèves procèdent
souvent par raisonnement analogique avec des phénomènes connus : ils se représentent une source
d’énergie importante qui se trouve à l’intérieure de la terre, un volume qui en s’échauffant, se dilaterait
et monterait de plus en plus, finissant par craqueler la croûte terrestre. Par exemple, Deniz explique
que « c’est un réchauffement à l’intérieur de la planète qui crée un tremblement de terre » Merve
pense que « la terre, c’est beaucoup d’énergie. Quand l’énergie est trop puissante, elle fait exploser
toutes les choses ». D’après Gizem « la terre se met à chauffer très fort, donc à l’intérieur, ça se met à
bouillir et ça explose ».
Emre a réalisé un dessin remarquable (doc.1.1).
Doc. 1.1 – Emre
(Vous trouverez, sur les schémas, la traduction des mots turcs en français entre parenthèse.)
8
Un feu interne :
Proches de ces conceptions qui donnent le rôle premier à l’énergie sont celles qui utilisent la vieille
conception du feu interne. Par exemple, Mahmut pense « qu’il y a un feu en dessous de la terre qui
remonte et provoque un tremblement de terre ». Goksel a tracé un schéma reproduit dans le document
1.2.
Doc.1.2 – Goksel
Les effets du magma :
Plus « scientifiquement », quelques élèves imaginent des éruptions violentes d’un magma qui serait au
centre de la terre. Par exemple, Kenan dit que « La terre tremble à cause du magma. Il chauffe et veut
sortir ». D’après Baris, « Le magma qui est au centre de la terre détruit peu à peu la terre avec la
lave. La lave monte en faisant trembler la terre avec de la puissance sur les roches ».
Des conséquences de mouvements de gaz ou de liquides dans le globe terrestre :
Quelques élèves imaginent d’une manière plus concrète, sans doute analogique, une expansion ou des
mouvements de fluides, gaz ou liquides, à l’intérieur du globe terrestre. Sonay répond ainsi : « je ne
sais pas, mais peut-être qu’il y a trop d’air dans la terre et que cela la fait trembler ». Gökhan dit « qu’il
y a de l’eau en dessous de la terre et elle veut sortir ». Ugur a un point de vue retracé comme tel dans
le document 1.3.
Doc.1.3 – Ugur
9
Des vibrations profondes :
D’autres élèves mettent plutôt en avant des idées plus ou moins claires d’ondes sismiques (ou de
vibrations) profondes. Par exemple, Ceren pense que « le noyau au centre de la terre bouge et c’est ça
qui fait les tremblements de terre ». La conception d’Aynur est représentée dans le document 1.4.
Doc. 1.4 – Aynur
Des causes tectoniques superficielles :
Dans cette catégorie, les élèves utilisent soit des causes tectoniques locales, soit des causes tectoniques
à petite échelle. A l’échelle locale, Akin assure : « un tremblement de terre, c’est la terre qui bouge et
qui se fissure ». Necmi répond par un schéma reproduit dans le document 1.5
Doc.1.5 – Necmi
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Ayla : « la terre tremble car la terre se fracasse en deux ». Kerem : « il y a des failles plus ou moins
larges sous la terre, ça fait trembler la terre ». Quant aux causes tectoniques à petite échelle, les
élèves expliquent leurs idées avec des termes géologiques mais généralement, ils ne savent pas les
placer à un endroit précis ou pertinent sous la Terre. Le plus souvent, ils localisent les plaques juste audessus du noyau, comme on le voit pour Berk dans le document 1.6.
Doc.1.6 – Berk
La plupart évoquent alors les plaques en relation avec la notion de chaleur, sans doute parce qu’ils
établissent un lien entre la localisation du magma et celle des plaques. D’après Nilgun, « sous la terre
il y a des plaques chaudes et par moment elles se touchent. C’est comme ça qu’il y a des tremblements
de terre ». Les élèves confondent souvent les termes géologiques les uns avec les autres. Par exemple,
Niyazi dit que « la terre tremble à cause de deux roches qui se frottent l’une contre l’autre ». Il
confond le mot « plaque » avec celui de « roche ». Elvan explique que « les plaques s’entrechoquent
ou bien les continents se rapprochent et passent sous un autre continent, cela provoque aussi un
tremblement de terre », Sevgi : « les plaques tectoniques se rencontrent entre elles et c’est cela qui
provoque des tremblements de terre ». D’après Gulgun, « la terre bouge, et cela a permis de former
les continents, les îles. Sans les tremblements de terre, les continents seraient tous attachés ». Burcu a
un point de vue retracé comme tel dans le document 1.7.
Doc.1.7 – Burcu
D’autre part, nous avons observé que certains élèves établissent spontanément une relation entre le
tremblement de terre et la formation des montagnes et des collines. Par exemple, Aysegul dit que « les
11
tremblements de terre permettent l’apparition des collines et des montagnes ». Quant à Levent, il
pense que « la terre tremble car les plaques qui bougent forment les montagnes, les rivières et des
terres inconnues ». Selin prend le phénomène à l’envers, en affirmant que, « quand deux montagnes se
cognent il y a un très gros choc, c’est un tremblement de terre », confondant les notions de cause et de
conséquence.
Des explications par le volcanisme :
Nous sommes un peu étonnés que certains élèves turcs aient expliqué le tremblement de terre en
faisant appel aux activités volcaniques. Ils considèrent que les deux phénomènes sont liés et résultent
de l’activité interne de la terre. On peut citer ci-dessous les réponses des élèves qui ont expliqué le
tremblement de terre à l’aide des activités des volcans. Selon Caner, par exemple : « la terre tremble
parce qu’il y a des volcans à proximité ». D’après Sezgin, « la terre tremble quand un volcan est en
éruption ». Selon Zeray, « un tremblement de terre, pour moi, est un volcan éteint sous la terre qui se
réveille, et cela fait trembler les villes ou les pays ». Mujde a dessiné le schéma reproduit dans le
document 1.8.
Doc. 1.8 –Mujde
Des causes anthropico - écologiques
Dans cette catégorie, on rencontre chez deux élèves une réponse presque identique. Il s’agit d’une
accusation de la destruction de la nature, et d’en expliquer les conséquences. Pour eux, le tremblement
de terre est comme une punition par la nature. D’après Rasim, « la terre tremble parce qu’il y a des
gens mauvais qui font de mauvaises choses et qui détruisent les forêts ». Selon Nihat, « parce que
l’équilibre du monde se dérègle ». Nous pouvons constater ici que ces enfants sont influencés par des
idées écologiques (destruction des forêts, équilibre du monde) et peut-être par un vieux fond religieux
(des gens mauvais, qui attentent à l’équilibre naturel voulu par Dieu).
Des causes extra-terrestres
On a constaté aussi que cinq élèves sur 163 ont donné des réponses ayant une cause extra-terrestre,
sans doute sous l’influence des films et des livres de science fiction. Jale explique que « la terre
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tremble parce qu’il y a des météorites sur la terre qui la touchent, et c’est cela qui fait bouger ». Ulas
dit que « la terre tremble parce qu’une autre planète nous heurte ». La réponse de Davut, elle, est
complètement incompréhensible : « il y a des satellites qui envoient la terre et après la touche la
couche d’ozone ». Voici comment Sinan représente l’origine d’un tremblement de terre (voir document
1.9).
Doc. 1.9 – Sinan
Des causes atmosphériques
Quelques élèves font aussi appel à des causes atmosphériques. Ils considèrent par exemple le soleil
comme cause des tremblements de terre dans la mesure où il réchauffe la croûte terrestre, ce qui
provoque la dilatation et la fissuration de cette dernière. Par exemple, Nurettin explique que « quand il
y a du soleil, la terre se réchauffe puis cela produit un tremblement de terre ». Selon Ahmet, « quand
la terre est chaude, il y a des tremblements de terre ». La conception d’Ilknur est représentée dans le
document 1.10.
Doc. 1.10 – Ilknur
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Remarques de synthèse
Comme on a pu le voir dans le tableau 3 ci-dessus, les conceptions initiales des élèves à propos du
tremblement de terre sont multiples et variées. Certaines sont sérieuses et d’autres plus inspirées par
l’imagination des élèves, ou sont des confusions. On constate que si les élèves ont fait appel à des
causes naturelles internes au globe terrestre pour expliquer ce type de catastrophe naturelle, ils ont eu
aussi recours à d’autres actions humaines ou extraterrestres. Dans toutes les réponses, on observe
l’idée de destruction. Mais ce n’est pas très surprenant, car ce motif fait partie du langage familier des
enfants, de l’actualité, des films ou même des livres ou des bandes dessinées. Cette prégnance du
négatif (phénomènes destructeurs) pose d’ailleurs un problème d’obstacle cognitif dans
l’apprentissage, car les enfants dévalorisent habituellement tout ce qui peut constituer une destruction,
une dégradation, une disparition. Selon Rumelhard (1995), la conceptualisation du négatif implique de
disposer d’un modèle ou d’une théorie pour observer les indices d’une disparition pour comprendre,
derrière une simple absence, la présence d’un blocage actif (Rumelhard, 199.Voici des exemples
mettant en évidence la notion de destruction : Guliz : « Deux plaques qui s’écartent causent un trou et
tout se détruit ». Nergis : « Un tremblement de terre pour moi, c’est la terre qui tremble et cela cause
des problèmes à tous les habitants car on peut aller à l’hôpital, rester dans le coma ou mourir ».
Il est surprenant de constater certaines conceptions qui sont avancées par les enfants comme le lien
établi entre les tremblements de terre et les volcans, deux manifestations différentes de la dynamique
interne du globe. Si ce questionnaire avait été proposé après les cours sur les risques naturels (où les
élèves étudient les tremblements de terre), nous aurions pu penser que c’était une conséquence de
l’enseignement réalisé, puisque le sujet « volcan » est enseigné juste après le sujet « tremblement de
terre ». Mais ce ne peut pas être la raison, puisque ce questionnaire leur a été soumis avant tout
enseignement sur le sujet ; et d’ailleurs on n’accorde guère d’importance aux rapports entre les volcans
et les tremblements de terre dans le programme en Turquie, ce qui a une certaine logique puisqu’il n’y
a pas de volcan en activité dans notre pays, les quatre volcans existants (Agri [Ararat], Erciyes,
Suphan, Nemrut) étant éteints. Le volcan n’est pas un sujet récurrent dans les représentations sociales
des enfants, ni dans celles de la population turque d’ailleurs. Y a-t-il donc une intuition simple dans
leur esprit d’un lien entre ces deux manifestations de la dynamique interne de l’écorce terrestre : sous
la Terre, quelque chose fait jaillir les laves et fait bouger et trembler le sol. Est-ce le magma dont ils
ont une idée confuse ? Ces conceptions sur les tremblements de terre, même si elles sont inexactes
pour beaucoup d’entre elles, ne représentent peut-être pas des obstacles majeurs à la construction du
savoir chez l’élève, ce sont en tout cas des passages obligatoires dans l’évolution de leur connaissance.
Cependant, ce type de réponse nous oriente vers le besoin d’analyser les conceptions initiales des
élèves au sujet des volcans. Il serait donc utile de faire un questionnaire afin d’étudier les conceptions
initiales des élèves au sujet des volcans.
Sur un autre plan, si l’on précise l’analyse de ces réponses en comparant la logique qu’utilisent les
enfants, pour répondre à chacune des questions et en se demandant s’ils font preuve des mêmes
démarches et enchaînements causaux pour définir les séismes et pour les expliquer, on aboutit à
14
diverses observations. Il faut distinguer entre les élèves qui ont apporté une réponse précise et
adéquate, identique dans le fond aux deux questions, et ceux qui, ayant eu des informations préalables
d’une manière ou d’une autre, ont donné des réponses partiellement scientifiques, quelquefois sans lien
direct avec la question, qu’ils n’ont probablement pas comprise. Dans la première catégorie, Irem
définit le tremblement de terre par « une catastrophe naturelle qui arrive surtout dans certains pays se
trouvant entre deux plaques tectoniques », et explique ensuite que la terre tremble par le fait que « les
plaques tectoniques bougent et au bout d’un moment se cognent et provoquent un tremblement à
l’endroit où elles se sont cognées ». Irem a donc une approche scientifique, logique, et liée pour les
deux questions. A l’inverse, Kenan commence par définir le tremblement de terre par « les failles qui
se font dans le sol », et répond à la deuxième question par le fait que « le magma, qui est au centre de
la terre peu à peu détruit la terre avec la lave ». Ceci est une réponse utilisant, certes, des termes
scientifiques mais sans lien direct avec la question posée ni avec la définition donnée d’abord en
réponse à la première question.
Certains élèves ayant usé de leur imagination pour répondre à la première question, c’est à dire sans
aucune base de savoir scolaire, ont également fait de même pour la suivante. Encore faut-il distinguer
entre ceux qui font preuve d’une certaine logique dans leur imagination et ceux dont les deux réponses
sont décousues. Dans le premier cas, Busra explique d’abord le tremblement de terre par « la chute
d’une planète sur la terre », puis répond à la seconde question par « la terre tremble parce qu’une
autre planète nous heurte », il existe bien un rapport logique entre ses deux réponses, même si
manifestement l’élève ne voit pas la différence entre une définition et une explication. Bülent, lui,
pense dans un premier temps que le tremblement de terre est dû au fait que « les animaux aboient »,
puis se range pour la deuxième question derrière une toute autre explication : « s’il y a des accidents
de grands trains, alors la terre tremble ». Il n’y a vraiment pas de logique entre ces deux réponses.
Nous pouvons supposer que les enfants ont justifié leurs explications par des phénomènes à l’échelle
du « vécu ».
Des schémas plus descriptifs qu’explicatifs
Pour obtenir un complément d’information, et aussi parce que certains élèves de CM2 répugnent à
formuler des phrases et préfèrent s’exprimer en dessinant, il a été demandé aux enfants, dans un
troisième temps, de schématiser un tremblement de terre d’après la définition qu’ils en avaient faite,
avec le risque de privilégier ainsi certaines représentations car la contrainte de faire un schéma, quand
elle est acceptée, induit des types précis de représentations, ceux qui sont le plus facilement
schématisables (Clément, 1992).
Cette troisième question « faites un schéma qui explique pourquoi la terre tremble » a peut-être un peu
gêné certains élèves de CM2, qui peuvent ne pas se sentir doués en matière de dessin. En outre, faire
un schéma requiert davantage de précision que l’écriture. Cela explique que des enfants, ayant une
idée un peu vague d’un phénomène – ici les séismes - renoncent lorsqu’ils se trouvent dans
l’obligation de préciser leur pensée, ce qui a été le cas de 25 d’entre eux sur 170. La nature plus
15
descriptive qu’explicative des productions des élèves est aussi à mettre en relation avec l’aptitude
moyenne des enfants de cet âge.
On remarque en premier lieu que presque la moitié des schémas réalisés (46,5%) comporte des
représentations utilisant l’image d’un globe terrestre, sur lequel les enfants ajoutent des éléments
relatifs à l’énergie du centre de la terre, aux continents qui se séparent, aux comètes qui se heurtent à la
Terre. Cela peut être étonnant quand on réalise qu’il s’agit d’enfants n’ayant eu aucun enseignement
relatif à ce sujet ou utilisant le globe terrestre. La représentation d’un globe terrestre serait-elle
intuitive ? A moins que les médias n’aient eu une certaine influence… ? Ou la facilité de cette
représentation sphérique en est-elle tout simplement la cause, dans la mesure où il est plus facile, à
main levée, de faire un « cercle » plutôt que de dessiner un phénomène catastrophique plus réduit ? En
fait, dans la majorité des cas, ces schémas se ressemblent, et ils utilisent les traits caractéristiques du
globe terrestre qui se trouve généralement dans toutes les écoles ou que l’on retrouve aussi dans les
émissions télévisées en particulier les actualités.
Un gros quart des schémas (27,9 %) est au contraire à grande échelle et nettement inspiré par
l’actualité et la vie quotidienne, puisqu’ils représentent des édifices détruits ou des visions dramatiques
des conséquences des séismes.
On trouve quelques rares schémas (3,25 %) qui imaginent de l’air à l’intérieur de la terre dont
l’expansion pousserait les plaques et les obligerait à bouger (voir document 1.3). Nous ne pouvons
que penser aux célèbres « vents souterrains » d’Aristote, comme le mentionne Gabriel Gohau dans son
ouvrage intitulé Histoire de la géologie.
Quelques enfants (24,2 %) représentent des phénomènes tectoniques à l’échelle du globe pour
expliquer un séisme : ils assimilent le tremblement de terre à des déplacements des continents, voire
des plaques, donc à des mouvements au sens propre du terme (voir document 1.7). Néanmoins, les
plaques semblent correspondre déjà pour eux à des entités mobiles, à des morceaux de l’écorce
terrestre. Certains hésitent à placer ces plaques à la surface du globe terrestre et les localisent plutôt en
profondeur ; d’autres dessinent des fissures partant de la surface du globe terrestre et allant jusqu’au
noyau de la terre (voir document 1.5).
14 % des élèves produisent des schémas très divers montrant que les tremblements de terre sont
provoqués par une éruption volcanique. Peut-être avec l’idée que l’éruption, violente, fait
nécessairement trembler la terre autour du cratère ? (voir document 1.8).
La proportion des élèves qui ont utilisé dans leurs schémas des causes extra-terrestres est faible (2,9
%). Peut-être s’agit-il d’une confusion due aux mass média : en effet, depuis plusieurs années,
l’hypothèse catastrophique météoritique de la disparition des Dinosaures à la fin de l’ère Secondaire
est souvent reprise par les journaux et la télévision. Ces dessins ne sont pas classables dans les
précédentes catégories citées avant et présentent entre eux la même analogie et des points communs.
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Ces ne sont pas pour autant des dessins farfelus, ils représentent une conception déjà ancrée dans la
tête de l’élève, puisque l’un d’entre eux qui a dessiné un météore frappant la terre donne la même
explication dans ses réponses écrites (voir document 1.9).
On peut s’étonner de trouver 29 schémas (soit 6%) que l’on attendrait plutôt chez des élèves ayant
suivi auparavant un enseignement adéquat sur les séismes. Ces schémas montrent des connaissances
certaines relatives au sens des mouvements des plaques, et à leurs conséquences sur le sol (voir
document 1.11). On peut y distinguer les ondes sismiques, l’épicentre, et la structure de l’intérieur de
la terre. Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces 29 représentations sont le fait d’élèves qui ont
bénéficié d’un environnement extrascolaire favorisé ou qui sont dotés d’une grande curiosité
individuelle les ayant amenés à se documenter par eux-mêmes, en utilisant les journaux de jeunes, les
bibliothèques, les encyclopédies familiales, les émissions de télévision, l’internet.
Doc. 1.11 – Ilkay
On remarque aussi une représentation qui sort du lot : elle semble prendre sa racine dans le vécu d’un
enfant. En témoignent les quelques tentes dessinées entre des bâtiments détruits, édifiées lors des
précédents tremblements de terre pour abriter les sinistrés (voir document 1.12). Ce cas étant unique,
il ne modifie pas l’interprétation générale des dessins réalisés par les élèves.
Doc. 1.12 – Anil
Dans tous ces dessins, les élèves manifestent leurs connaissances et leurs représentations mentales de
façon essentiellement descriptive, ils n’entrent que très rarement dans l’explicatif. L’origine du
tremblement de terre n’est que très peu abordée de façon spontanée. Il est vrai que les consignes
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n’invitaient pas de façon explicite les élèves à proposer des éléments d’explication dans leurs dessins.
Une autre formulation comme « expliquez à l’aide d’un dessin pourquoi la terre tremble », aurait peutêtre orienté plus facilement les élèves vers une production plus explicative que descriptive.
Il va sans dire que nous avons rencontré des difficultés à l’interpréter certains schémas réalisés par les
élèves, tant est vaste la capacité d’imagination des enfants.
Conclusion
L’analyse des conceptions initiales des élèves sur les séismes a permis de déceler quelques obstacles
potentiels de nature épistémologique et de nature didactique pour la construction d’un savoir pertinent
sur ce thème.
1. Un petit nombre d’élèves a une vision statique de la surface de la terre. Bachelard (1938) appelle ce
genre d’obstacle épistémologique « le fixisme ». Par exemple, Jale explique que « la terre tremble
parce qu’il y a des météorites qui touchent la terre, et c’est cela qui la fait bouger ». On peut
d’ailleurs donner d’autres exemples de réponses faisant intervenir des causes extra-terrestres, à l’instar
de celui de Jale, qui se réfèrent au fixisme. Au contraire, la majorité des enfants évoquent des
mouvements de continents à la surface de la terre. Par exemple, « quand les continents se déplacent, ils
provoquent des problèmes à la surface de la terre », ou « la terre tremble car lorsque les continents
bougent, ils font trembler la terre », et un autre exemple : « sans les tremblements de terre les
continents seraient tous attachés ».
2. Lorsqu’elle est exprimée, l’explication la plus commune est la suivante : l’origine du tremblement
de terre se trouve au fond du noyau de la terre, comme le formule Ahmet. Il poursuit « la lave qui se
trouve au fond du noyau monte en faisant trembler la terre avec de la puissance sur les
roches». Rusen, quant à lui, dessine le schéma du document 1.13. Cette conception de l’origine
centrale du tremblement de terre peut paraître de prime abord comme un obstacle très fort à
l’apprentissage, qui en outre reste persistant (toutefois, nous développerons cet aspect en nous référant
aux idées de Gohau). Il pourrait être mis en parallèle avec l’idée du feu central inventée par Platon et
reprise par Descartes dans son Essai sur la structure de la terre (Gohau G, 1987).
Doc. 1.13 – Rusen
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3. Un autre obstacle est l’anthropomorphisme, visible chez les élèves qui expliquent leurs idées en
utilisant des expressions traduisant des sentiments, et des comportements humains, comme Nuri qui
pense que « la terre tremble parce qu’il y a des gens mauvais qui font des mauvaises choses et qui
détruisent les forêts ». Ezgi explique que « la terre tremble à cause des grandes montagnes qui sont
construites par l’homme et qui se frottent l’une à l’autre ».
4. Le raisonnement analogique est aussi un obstacle pour construire un savoir scientifique pertinent.
C’est le cas des élèves qui font appel à l’énergie présente au centre de la terre qui, s’échauffant,
monterait de plus en plus et finirait par dilater et fissurer la terre, un processus inspiré parce que l’on
constate pour l’eau et le gaz. A titre d’exemple, Pelin explique la chose suivante : « il y a du gaz qui
remonte du cœur de la terre ». Ferit dit que « quand la terre est chaude, il y a des tremblements de
terre », tandis qu’Ece pense le contraire : « quand la terre est froide, il y a des tremblements de terre ».
Il peut y avoir ici une confusion entre la température moyenne de la surface de la Terre et celle de la
lave que les élèves savent « chaude » ; ou avec l’idée de chaleur qui fait dilater les corps, qui fissure
une viande rôtie. De même, le froid riderait ou casserait la terre comme le gel casse les pierres.
5. Le tremblement de terre est considéré par certains élèves comme un fait accidentel résultant des
roches en mouvement qui propulsent l’énergie de dessous la terre. D’après Destan, « un tremblement
de terre se produit à cause des grandes roches qui se trouvent dans les volcans et qui se frottent l’une
à l’autre ». Ce sont ces évènements qui sont responsables à leurs yeux des séismes.
Il ne s’agit pas, par ces analogies, de prétendre qu’il existe un parallèle entre l’évolution des idées dans
l’histoire des sciences et celle des conceptions des élèves de CM2, mais simplement de constater que
les élèves interprètent des faits, avancent des arguments, inventent des hypothèses comme ont pu aussi
le faire en leur temps certains scientifiques ou philosophes.
Ce premier bilan révèle donc des conceptions le plus souvent ponctuelles et qui s’appuient sur des
aspects concrets pour expliquer les phénomènes sismiques.
Les éléments des conceptions sur les séismes sont rarement mis en relation, les explications restent
vagues, imprécises, il n’y a pas de savoir réellement construit.
Les obstacles à l’apprentissage sont différents, il en existe d’ordre spatial et temporel ; d’autres
sont liés à une attitude animiste : selon 70 % des élèves, le tremblement de terre est lié au fond de
la terre, les roches et les failles sont animées d’intention et de force volontaire.
On peut se demander comment les élèves ont pu construire ces conceptions initiales ? Etant donné que
notre ère est celle de la technologie et de l’information, les enfants de notre époque ont beaucoup
d’occasions d’être en contact avec les produits qu’elle propose. C’est-à-dire qu’ils peuvent facilement
se familiariser avec ces thèmes scientifiques grâce à la télévision, à l’ordinateur, à la radio, aux
journaux, et aux livres documentaires. Il s’agit effectivement là d’un monde attirant, où se côtoient la
beauté et la destruction, l’impuissance et la recherche d’explications scientifiques.
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En ce qui concerne les pensées initiales des enfants et l’origine des représentations constatées nous
pouvons émettre quelques hypothèses. Cette origine est indéniablement multiple et sans doute
complexe. En plus de l’influence habituelle de l’environnement affectif et social de l’enfant, nous
pouvons identifier trois sources :
1. La première, qui a joué un rôle très important pour les élèves de la classe de CM2, est constituée par
les savoirs scolaires. Le vocabulaire scientifique spécialisé, tel que « faille », « croûte terrestre »,
« tectonique », « plaque », « noyau », « séisme », a pu être apporté par des apprentissages antérieurs
dans des cours parallèles de sciences naturelles. Nous n’avons pu obtenir d’indications pertinentes et
fiables sur ce point.
2. Les livres que les élèves peuvent avoir consultés comme les « dunyamiz serisi »1
3. Les supports audiovisuels que pratiquement tous les élèves reconnaissent avoir vus en grande
majorité à la télévision. Cet impact des médias audiovisuels et notamment télévisuels concourt de
façon importante à la construction des savoirs initiaux des élèves dans le domaine du tremblement de
terre.
Cependant, ces apports extérieurs peuvent proposer des savoirs scientifiques de valeur, mais ils
peuvent aussi provoquer des erreurs et faire naître parfois une conception incorrecte, partielle ou
confuse dans l’esprit des élèves.
La comparaison des réponses aux deux questions écrites montre que les conceptions initiales des
élèves ont été en fait remises en cause par la première question, et ils tentent de préciser leurs
conceptions pour répondre à la deuxième question ; mais la construction de leur savoir scientifique
n’est évidemment pas encore achevée, puisque seulement 34 élèves sur 170 (soit quand même 20 %)
semblent avoir une idée précise et concrète de la constitution et de l’origine des tremblements de terre.
Il peut également y avoir de nombreuses situations de compromis entre le fruit de leur imagination et
l’influence des réponses de certains de leurs camarades qui leur paraissent plus correctes.
Après ce questionnaire, nous avons demandé au hasard à quelques élèves, sans que cela rentre dans le
domaine de notre sujet, leurs réactions à propos de cet exercice. Certains élèves nous ont dit n’avoir
pas été enthousiasmés à l’idée de faire une description schématique, mais ont aussi éprouvé le besoin
d’expliquer par des légendes la question « pourquoi la terre tremble ?». Ils auraient voulu identifier
non seulement les objets et les phénomènes géologiques, mais aussi les liens explicatifs qui peuvent
les unir.
Il semble donc bien difficile pour un enfant de cerner l’ampleur d’un phénomène à travers un
événement catastrophique relaté par les médias dans ce qu’il a surtout de sensationnel. Cette vision, la
plupart du temps, mythique, des tremblements de terre peut se révéler être un obstacle à l’acquisition
de connaissances, même si elle crée une forte motivation. Cette curiosité naturelle peut aider à
1
Ce sont des séries de livres pour des enfants.
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l’émergence d’un questionnement construit et faciliter ainsi le passage d’une vision irrationnelle à une
approche plus rationnelle fondée sur la construction d’un savoir scientifique.
En conclusion, nous pensons que chacune des trois techniques utilisées, demande de définition,
d’explication, et schéma, apporte des informations complémentaires, nécessaires, car le chercheur ne
doit jamais réduire l’univers conceptuel d’un individu à un seul type d’informations recueillies par lui ;
il doit se rappeler que les informations recueillies dépendent de la situation d’interrogation, et ne le
renseignent sur les conceptions initiales conjoncturelles de la personne interrogée qu’à un moment
donné et dans une situation précise, n’ont pas de valeur plus générale et plus permanente.
Ce travail nous a permis d’identifier certaines représentations d’élèves, certains obstacles à la
construction de concepts géologiques. Mais l’étude est loin d’être exhaustive dans ce domaine et de
nombreux aspects restent à approfondir. Il s’agit donc d’un travail de recherche exploratoire qui
pourrait donner lieu à d’autres études plus circoncises dans leurs champs d’investigations et plus
abouties dans leur analyse.
On pourrait réaliser un travail d’observation pour savoir si après les cours les enfants ont vraiment
changé de point de vue, c’est-à-dire de représentation mentale, s’ils peuvent reconnaître un risque
naturel majeur et l’expliquer sur la base de l’enseignement reçu, s’ils peuvent dès lors analyser
rapidement des documents, réunir des données, les organiser, évaluer leurs relations, établir un schéma
reliant des données épaisses pour expliquer ce phénomène. Cela suppose d’abord d’observer ce que les
professeurs enseignent, avec quelles méthodes, comment les élèves apprennent concrètement dans les
classes.
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