Jean-Marie Villeer
Cambreling, feuilletant à la manière d'un institu-
teur ma partition de « Cenerentola » (que je
montais à la Monnaie de Bruxelles, et dont il
assurait la direction musicale) avait constaté avec
horreur que je n'avais rien écrit dessus ! C'était
pour lui
la preuve de l'imposture.
N.O. —
Avec les comédiens, vous réajustez le tir
constamment.
J.
-
M. Villégier.
Oui. Je crois, si la préparation
est suffisante, à une logique qui prend corps au
cours des répétitions, et qui devient de plus en
plus implacable à mesure que l'on avance. Il faut
le lui permettre. C'est ce qui s'est passé dans
« Atys ». Dans ces moments-là, la préparation se
fait le matin pour l'après-midi et le soir.
N.O.
Vous tournez en rond dans votre bureau ?
J.
-
M. Villégier.
Oui, je tourne en rorid, je
discute avec mon assistant, je chante ou je
déclame, je me serine le texte ou la musique,
j'essaie d'être de plain-pied avec les questions que
se posent comédiens ou chanteurs lorsqu'ils sont
sur le plateau. Car je suis un montreur : je
m'identifie. Je ne sais pas faire autrement ; ce doit
être une partie du métier que j'ignore: Part de
rester à sa place, de diriger derrière la table. Je suis
un mauvais accoucheur, puisque je me mets à la
place de l'accouché : il m'est très difficile de
trouver sans
faire.
Je ne montre pas du premier
coup un résultat, mais une recherche. Voilà
pourquoi les choses ne pessent d'évoluer, jus-
qu'au spectacle lui-même, qui connaît plusieurs
états.
N.O. — Existe-t-il, en théâtre, une technologie
nouvelle, ou bien s'est-on borné à remplacer
l'huile de coude par le treuil électrique ?
J.
-
M. Villégier.
Elle n'est pas vraiment
nouvelle, non. Mais les savoir-faire se sont
déplacés : lorsque j'ai monté cette « Ceneren-
tola » à Bruxelles, je travaillais dans un théâtre à
la technique très moderne, mais où j'ai eu du mal•
à employer les toiles peintes. En revanche, on sait
faire de nouvelles choses... Ceci entraîne cela.
C'est plus une dérive qu'une mutation, et qui ne
se passe pas de la même manière en Italie ou en
Allemagne. Il existe encore en Italie des équipes
volantes de techniciens du plateau qui sont de
véritables funambules, et sont encore capables de
très grandes choses dans l'ordre de « la machine-
rie à l'ancienne
».Je
doute qu'on trouve encore en
Allemagne ce genre de «
bricolage »,
au bon sens
du terme, au sens où le prenait Jouvet : «
Ce qu'il
y a de bien dans le théâtre, c'est qu'il y une marge
pour bricoler. »
Cette marge tend à se réduire. Il
est d'ailleurs vain de vouloir lutter contre cette
dérive. Un costumier, jour après jour, constate la
disparition de tissus « à l'ancienne »,' qu'on
croyait éternels et qui disparaissent; le décora-
teur se heurte à la difficulté de trouver un peintre
de toiles ; un éclairagiste constate journellement
dans les règlements des sapeurs-pompiers qu'il
est strictement impossible de refaire une scène
italienne à l'identique de ce qu'elle était au xvlir
siècle. C'est dans le détail concret que ces choses
ne peuvent plus être qu'évoquées, non refaites. Il
me semble plus intéressant de se poser la
question de savoir ce qu'avec ces moyens actuels
on peut faire, et qui ait trait à une sorte de
fantasme de cet ancien théâtre sur lequel je
travaille, plutôt que, à toute force, reconstituer
les conditions
instrumentales
qu'on ne retrou-
vera plus. Je croirais plus à une reconstitution
complète ! Mais alors, nous nous trouverions
face à des budgets inimaginables.
N.O.
Et dans le jeu de l'acteur ?
Villégier.
Il
en va de même. Des corps
formés aux disciplines auxquelles on les exerçait
à l'âge classique ne sont pas ceux d'aujourd'hui.
Ce qui était transgressif est devenu banal. Mais le
principal est dans la transgression, non dans la
transgression d'époque. Ce qui doit être retrouvé,
avec nos moyens actuels, c'est une liberté compa-
rable à celle des acteurs des temps anciens, une
vraie familiarité avec le vers : il faut être si
familier
avec le vers que
les contraintes de la
forme versifiée en deviennent sources de jeu.
N.O. —
Mais reste-t-il quelque chose d'invariant,
dans une pièce de Mairet ou de Larivey ?
Villégier. —Je ne le crois pas : muta bougé.
Mais il me semble que le théâtre moderne est né
il y a fort longtemps, comme est née l'astronomie
5-11 OCTOBRE 1989/173
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