Evoluer ? Une expérience de Science et de Fiction 12345678- Le contexte Qu'est ce que la théorie de l'évolution? Le dinosauroïde : une expérience de Science et de Fiction La table ronde La Fête de la Science Lutter contre les créationnistes : quelques arguments où en est la recherche sur l'évolution ? les pistes de travail Pour en savoir plus 1 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Le contexte Alors que l’on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance de Charles DARWIN et les 150 ans de la publication de son livre « De l’origine des espèces », les opposants à sa théorie se font de plus en plus offensifs pour imposer leur croyance. Dans ce contexte « Evoluer ? » est une expérience de Science et de Fiction originale et innovante, permettant de susciter le questionnement préalable, nécessaire et indispensable pour établir un dialogue entre des scientifiques et le grand public, et en particulier les jeunes autour de la thématique de l’évolution. « Evoluer ? » est une expérience inédite pour initier une rencontre entre le public et le monde scientifique, de promouvoir une nouvelle approche pour le partage des connaissances issues de la recherche et de renouveler les formes de dialogue entre la science et la société. 2 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Qu'est ce que la théorie de l'évolution ? Si l'idée d’évolution peut être trouvée en filigrane dans les travaux d'auteurs anciens, ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que de véritables théories scientifiques proposant une explication du phénomène de l'évolution des espèces ont été développées. Si la théorie du transformisme de Lamarck a ouvert la voie, la révolution évolutionniste est arrivée avec Charles Darwin et son ouvrage « De l'origine des espèces »(1859) dans lequel deux grandes idées, appuyées par des faits, émergent : l'unité et la diversité du vivant s'explique par l'évolution, et l’évolution adaptative résulte de l’action de la sélection naturelle sur les variations dues au hasard. En profonde contradiction avec les idées philosophiques et religieuses dominantes de l'époque, « De l'origine des espèces » obtient un important écho et convainc après de vigoureuses controverses la majorité des biologistes de la réalité de l'évolution. La théorie de l’évolution peut être résumée en quatre points principaux : 1. Il existe naturellement des variations individuelles au sein de chaque espèce. 2. Les êtres vivants produisent une descendance trop nombreuse par rapport aux ressources de l’environnement. 3. Les organismes sont en compétition les uns avec les autres, à la fois au sein de leur espèce mais aussi entre les espèces. 4. Les organismes les mieux adaptés à leur environnement sont ceux qui ont le plus de chance de survivre, de se reproduire et de transmettre leur patrimoine génétique à leur descendance. La notion scientifique d’évolution est l’une des notions les plus fondamentales de la science moderne. En effet, elle est si féconde qu’elle permet d’expliquer des aspects variés du monde vivant : elle rend intelligible l’histoire de la vie, que l’on peut décrypter notamment à travers les archives que constituent les fossiles ; elle explique pourquoi le vivant se caractérise à la fois par une profonde unité, notamment biochimique, génétique et physiologique, et par une extraordinaire diversité, puisque l’on a décrit près de 2 millions d’espèces actuelles différentes ; elle rend compte de la répartition géographique des organismes, tant à notre époque que dans le passé. La théorie de l’évolution constitue le fondement essentiel de la biologie moderne et de la paléontologie. Elle est accréditée par un ensemble de preuves scientifiques provenant de diverses disciplines. Cependant, l’évolution est aussi l’un des concepts scientifiques les plus mal compris du grand public et la théorie de l’évolution est combattue par des courants religieux variés qui tentent de promouvoir diverses croyances comme le créationnisme et le « dessein intelligent » de façon plus ou moins marquée selon les pays. Cet état de fait est d’autant plus dommageable qu’il résulte le plus souvent de l’ignorance de ce qu’est la science et de ce qui distingue la science de la religion, l’une et l’autre procédant de démarches totalement distinctes. En effet, les religions reposent sur la foi, la croyance en une Vérité révélée. Une théorie scientifique, par contre, est un modèle qui intègre des faits scientifiques, acquis par l'observation et/ou l'expérimentation, et qui peut être révisée ou adaptée en fonction de nouvelles données. Contrairement à la Foi, la science est réfutable. 3 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Le Dinosauroïde : une expérience de Science et de Fiction Qu’auraient pu devenir les dinosaures s’ils n’avaient pas disparu et si on leur appliquait la théorie de l’évolution ? C’est ce que nous avons demandé d’imaginer à des scientifiques et de réaliser à un artiste plasticien. Le résultat : un Dinosauroïde ! En quoi cette expérience est-elle scientifique ? Le Dinosauroïde part d'un vrai dinosaure : le Troodon, qui a été transformé en faisant appel aux sciences anatomique, fonctionnelle et à la biomécanique. La morphologie retenue (taille, forme du crâne, membres…) résulte d’hypothèses prenant en compte son milieu naturel, le hasard et la sélection naturelle. En quoi est-ce de la fiction ? Les dinosaures n'ont pas disparu, ils ont juste emprunté d'autres voies évolutives. On ne peut pas prévoir l’évolution, juste émettre des hypothèses qui reste toujours aléatoire car les facteurs à prendre en compte sont trop nombreux. L’idée originale de l’expérience a été trouvé par Francis DURANTHON, docteur en paléontologie des vertébrés, conservateur au Muséum d'histoire naturelle de Toulouse et bien connu des toulousain. Animateur de télévision reconnu, il a animé durant de nombreuses années l'émission « Bonjour l'ancêtre » ou « Les dessous de la Terre », qui alliait vulgarisation et rigueur scientifiques, sur France 3, France 5 et la chaîne câblée Régions après être intervenu comme chroniqueur dans l'émission « Vent Sud ». Il est actuellement chroniqueur scientifique pour France 3 sud, notamment dans l'émission « C'est mieux le matin ». Vulgarisateur né, il a publié de très nombreux ouvrages sur les dinosaures, les fossiles et les minéraux chez Milan, Nathan et Bréal. Il consacre une grande partie de son temps à la vulgarisation de la paléontologie, et a récemment fait paraître « Histoires de Mammifères » et « Histoires de Dinosaures », livres à l'approche scientifique simple mais rigoureuse. Contact mail: [email protected] 4 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction L’expérience « Evoluer ? » s’inspire au départ d’une idée de Dale Russell, un chercheur américain qui a, en 1982, émis l'hypothèse que la Terre serait actuellement habitée par des reptiles humanoïdes ou Dinosauroïdes, évolution des dinosaures, (et non les hommes, donc les mammifères) si ceux-ci n'avaient pas disparu. Russel imagine, l’évolution d’une espèce de Dinosaure particulière, le Troodon. Celui-ci a développé une bipédie et présentait une vision stéréoscopique grâce à ses yeux placés en avant de sa tête de prédateur. Ce dinosaure bipède à l'intelligence certaine ressemble au redoutable Vélociraptor de la trilogie Jurassic Park La comparaison s’arrête là avec l’expérience « Evoluer ? ». En effet la méthode adoptée pour imaginer son évolution et le résultat diverge complètement. Le Troodon 5 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Pour réaliser le Dinosauroïde, l’équipe a fait appel à un artiste de renommée mondiale, spécialiste en reconstitution paléontologique et moulages d’animaux : Emmanuel JANSSENS Passionné par les animaux, Emmanuel Janssens fréquente, dès sa plus tendre enfance, les musées. Très vite, il est sollicité en tant que conseiller par différentes associations de protection animalière, le Ministère de l'Agriculture, les musées… Parallèlement, Emmanuel Janssens se découvre un don caché pour la sculpture et le moulage cultivant son goût de l'art et son souci de la perfection. Naît alors l'idée d'associer cette dextérité et ce don pour les mettre au service de la science en relevant le défi d'un hyperréalisme incontournable dans le domaine scientifique. En 2001, Emmanuel Janssens crée la société OPHYS qui fournit, auprès des musées d'histoire naturelle et des parcs à thèmes, des reconstructions fidèles d'hommes préhistoriques et d'animaux actuels ou disparus. L'expérience acquise en sculpture et moulage l'amène à produire des pièces de prestigieuse, d'un réalisme saisissant. La parfaite maîtrise de techniques très élaborées et l'utilisation de matériaux composites les plus performants, sont à la base de la qualité exceptionnelle et du degré élevé de finition de ses réalisations, parfaitement adaptées à la muséologie ou comme support didactique. Emmanuel JANSSENS a collaboré avec de nombreux musées dans le monde entier (Belgique, Portugal…) et notamment le Muséum d'Histoire Naturelle de Toulouse pour lequel il a réalisé le fameux Calamar Géant. Le Dinosauroïde a été réalisé en deux mois et tout au long de sa fabrication, il a suscité un grand nombre de questions (taille, forme des membres, du crane, …) qui a chaque fois ont fait appel à différentes spécialités : sciences anatomique, fonctionnelle ou encore biomécanique. Différents spécialistes ont été consultés à chaque fois pour donner leur avis. Il est clair que c’est une expérience qui s’appuie sur des théories scientifiques bien réelles et non sorties de l’imaginaire d’un scénariste de Science Fiction. Nous tenons à remercier tout particulièrement Guillaume LECOINTRE du Muséum National d’Histoire Naturelle pour ses conseils précieux et sa participation à la rédaction de ce document. Cette aventure sera racontée au public lors de la table ronde du Jeudi 19 novembre à 20h30 , salle du Sénéchal - 7 rue de Rémusat- Toulouse 6 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Le résultat de l’expérience ! 7 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction 8 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Une table ronde pour débattre de l’expérience Jeudi 19 Novembre 20h30 Salle du Sénéchal, 17 rue de Rémusat- Toulouse Cette œuvre d’art est un moyen de créer le questionnement et d’amener le public à participer à une rencontre avec des chercheurs pour discuter, échanger et débattre autour de la théorie de l’évolution. Le jeudi 19 novembre à 20h30, une table ronde sera donc organisée avec plusieurs spécialistes de la théorie de l’évolution et l’artiste. Ils replaceront le Dinosauroïde dans le contexte des travaux de recherche sur l’origine de la vie sur Terre et son évolution. L’objectif étant de favoriser les « échanges entre les scientifiques et le public » et « le questionnement sur les enjeux sociétaux » liés à la théorie de l’évolution. Les intervenants Francis DURANTHON, Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse Pierre Olivier ANTOINE, Laboratoire des Mécanismes et Transferts en Géologie LMTGOMP - UPS/IRD/CNRS Patrick DUPOUEY, Agrégé de Philosophie François BON Université de Toulouse II - le Mirail, Unité Toulousaine d'Archéologie et d’Histoire (TRACES-UTAH) Jérôme CHAVE, Laboratoire Evolution et Diversité Biologique – UPS/CNRS/ENFA Et Emmanuel JANSSENS, l’artiste, spécialiste en reconstitution paléontologique et moulages d’animaux qui a réalisé le Dinosauroïde. Modérateur : André BOUDOU, Président de la Ligue de l’enseignement de la Haute-Garonne Jeudi 19 Novembre 20h30 Salle du Sénéchal, 17 rue de Rémusat- Toulouse Cette table ronde se placera bien dans la thématique de la Fête de la Science à savoir : « Aux origines de la vie et de l’univers : quelles évolutions, quelles révolutions ? » 9 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Une action pédagogique La présentation du Dinosauroïde Cour Henri IV constitue le lancement d’une opération régionale sur le thème de l’évolution auprès des élèves de collège et de lycée. En effet une tournée du Dinosauroïde est prévue à partir de janvier 2010 dans les établissements scolaires de la Région et notamment dans les collèges classés en Zone d’Education Prioritaire. A chaque présentation, le même « cérémonial » sera appliqué : - Mise en place du Dinosauroïde avec mise en scène. - Organisation d’une rencontre avec un chercheur ou un étudiant en science spécialiste de l’évolution. Dans un contexte où les opposants à la théorie de l’évolution se font de plus en plus offensifs pour imposer leur croyance. Les enseignants du secondaire et des universités sont de plus en plus confrontés à des propos niant la théorie de l’évolution et ont de plus en plus de difficultés à aborder le sujet. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le documentaire réalisé par Jean Baptiste de Panafieu et Nicola Jouvain dans un lycée de Montreuil (Seine Saint Denis) sur les résistances des élèves face à l’enseignement de la théorie de l’évolution. http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/sciences/20090122.OBS0939/levolution_cont estee_dans_les_ecoles.html L’expérience « Evoluer ? » permettra de créer la surprise pour faire réagir les jeunes et ensuite pouvoir discuter, échanger et débattre avec eux autour du thème de la théorie de l’évolution. Pour suivre le parcours du Dinosauroïde, connectez-vous sur sa fiche Face Book : Experience dinosauroïde 10 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Les partenaires de l’expérience. Les partenaires institutionnels L’Europe à travers les fonds FEDER, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Le Rectorat de l’Académie de Toulouse, la Région Midi-Pyrénées et la Mairie de Toulouse Les partenaires scientifiques Le CNRS, L’Université Toulouse III - Paul Sabatier, l’Université Toulouse le Mirail et le Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse. « Evoluer ? » est cofinancé par l’Union européenne. L’Europe s’engage en Midi-Pyrénées à travers les Fonds européen de développement régional. 11 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction L’expérience « Evoluer ? » se déroule dans le cadre de la Fête de la Science 2009 Du 16 au 22 Novembre 2009, Midi-Pyrénées a rendez-vous avec les sciences autour de la thématique nationale « Aux origines de la vie et de l’univers : quelles évolutions, quelles révolutions ? » à l’occasion de « l’Année Mondiale de l’Astronomie » et du « Bicentenaire de la naissance de Darwin ». La 18ème édition de la Fête de la Science a pour objectif est de susciter partout la rencontre du public avec chercheurs, ingénieurs et techniciens de multiples manières : expositions, ateliers, visites de laboratoires, de sites naturels et industriels, débats, village des sciences…, et de développer, auprès des jeunes, dès le plus jeune âge, une véritable culture scientifique et l'intérêt pour les études et les métiers scientifiques. Comme chaque année, la Fête de la Science reste un rendez-vous de proximité. Plus de 150 opérations seront présentées dans 37 communes et 80 000 visiteurs dont 30 000 scolaires sont attendus. En région, 8 Villages des Sciences ouvrent leur porte aux scolaires et au grand public permettant de rassembler sur le thème national des organismes d'enseignement et de recherche, des entreprises, des associations, des acteurs de la culture scientifique et technique du département et des projets scientifiques départementaux présentés par des établissements scolaires dans le cadre de Scientijeunes ; à Tarascon sur Ariège (Ariège), au Monastère (Aveyron), à Toulouse (Haute-Garonne), à Fleurance et Auch (Gers), à Cahors (Lot), à Tarbes (Hautes-Pyrénées), à Albi (Tarn) et à Beaumont de Lomagne (Tarn et Garonne). La Fête de la Science c’est aussi les 50 ans de la « Boule » (Cemes), un village des entreprises scientifiques Novalia82 à Montauban, des rencontres avec des chercheurs et des visites de laboratoires sur des sites scientifiques, des animations sur de nombreux sites ouverts de toute la Région… A Toulouse, le Village des Sciences se déroulera à l’Université Paul Sabatier du 19 au 21 novembre. Deuxième ville universitaire de France, Toulouse s’appuie sur une longue tradition d’émulations scientifiques. A l’occasion des 40 ans de l’université Paul Sabatier, le campus de Rangueil accueille cette année la Fête de la science. 42 hectares dédiés à l’enseignement et à la recherche s’animent pendant trois jours autour de cinq parcours thématiques. Les acteurs de la science d’aujourd’hui ouvrent les portes des lieux où les innovations prennent vie, afin de faire découvrir les sciences autrement : ateliers, visites, expositions, débats, projections…Une manifestation pour voir les sciences en grand. Le Dinosauroïde sera présenté le vendredi 20 et le samedi 21 Novembre sur le Village des Science de l’UPS et une conférence sera organisée le vendredi à 15 h avec Francis DURANTHON (Bat U3 – Campus de Rangueil) La Fête de la Science est organisée et soutenue par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en partenariat avec la Région Midi-Pyrénées. L’organisation et la coordination est assurée, en Midi-Pyrénées, par Science Animation / CCSTI MidiPyrénées et par des coordinations départementales. Pour tout savoir sur les horaires et dates des manifestations : rendez-vous sur www.science-animation.org ou www.fetedelascience.fr 12 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Pour aller plus loin… Le Dinosauroïde selon Dale Russell Dale Russell, du Musée des sciences naturelles de l'État de Caroline du Nord, est l'un des grands spécialistes mondiaux de la paléontologie des vertébrés. Plus particulièrement intéressé par les dinosaures du Crétacé, il a entrepris, sur le terrain et en laboratoire, de minutieuses recherches qui l'ont conduit à réunir des collections provenant de plusieurs continents. Infatigablement, il s'est efforcé de comprendre l'écologie, les habitudes, la structure trophique et la taphonomie (l'étude des processus de fossilisation) des dinosaures et les résultats auxquels il est parvenu lui ont permis de présenter des interprétations constructives au sujet de leur extinction. Dale Russell est connu pour ses conférences publiques, ses interventions à la télévision et dans les autres médias ainsi que pour la qualité exceptionnelle de ses ouvrages de vulgarisation, notamment A vanished world: the dinosaurs of western Canada (1977) et An odyssey in time: the dinosaurs of North America (1989). Il a apporté une contribution hors du commun à la recherche scientifique tout en réussissant à expliquer à un public avide d'informations ses nouvelles idées sur la paléontologie des vertébrés, les phénomènes d'extinction et les théories sur l'influence d'événements extra-terrestres sur le biote planétaire. En 1982, il a émis l'hypothèse que la Terre serait actuellement habitée par des reptiles humanoïdes ou dinosauroïdes, évolution des dinosaures,(et non les hommes, donc les mammifères) si ceux-ci n'avaient pas disparu. Selon Dale Russell, ces dinosauroïdes, occuperaient, dans ce cas, la place de l'homme en tant qu'espèce dominante de la planète. En évoluant, ils auraient, selon la théorie, pris une apparence humanoïde, que certains scientifiques jugent comme étant l’apparence optimale pour tout être évolué et supérieurement intelligent. Il est intéressant de savoir que certains scientifiques ont émis l'hypothèse que des dinosaures de notre planète auraient pu atteindre un degré d'intelligence comparable à celle que présente l'être humain. En effet, il est considéré que l'apparition de l'intelligence humaine liée à l'encéphalisation est due essentiellement à la bipédie. L'Homme est en effet le seul être a avoir développé une telle faculté, lui libérant les deux membres supérieurs. Le couplage cerveau / main aurait ensuite développé le volume et la complexité du cerveau humain et donc développé l'intelligence et la Conscience (cette théorie est remise en question). De nombreuses espèces dinosaures ont développé une bipédie, tel le Troodon, le Deynonichus ou le Coelurus. De plus, ces espèces présentaient une vision stéréoscopique grâce à leurs yeux placés en avant de leur tête de prédateur. Ces dinosaures bipèdes à l'intelligence certaine ont été popularisés par les redoutables Vélociraptors de la trilogie Jurassic Park. De plus les dernières découvertes en paléontologie apporte des éléments à la théorie qui affirme que les dinosaures avaient le sang chaud. Dans ces conditions physiologiques, similaires à celle de l'Homme, il serait surprenant qu'en plusieurs dizaines de millions d'années, les dinosaures n'aient développé une intelligence comparable à celle que le genre humain a développé en seulement six ou sept millions d'années seulement. C’est à partir de ces hypothèses que Dale Russel a imaginé ce qu’aurait pu être ce Dinosauroïde. Publication: Russell, D. A. and Sequin, R. "Reconstruction of the small Cretaceous theropod Stenonychosaurus inequalis and a hypothetical dinosauroid," Syllogeous, 37, 1 (1982). 13 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction 14 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Deux livres à lire pour en savoir plus… Les Mondes Darwiniens paru le 22 octobre aux éditions BELIN. le Guide Critique de l’Evolution paru le 5 novembre aux édition Syllepse. 15 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Pour aller plus loin… Lutter contre les créationnistes : quelques arguments Créationnismes, théorie darwinienne de l’évolution et le contour des sciences Guillaume Lecointre, Chercheur systématicien, Professeur au Muséun National d’Histoire Naturelle, directeur du département « Systématique et Evolution » du MNHN, chef d’équipe dans l’UMR 7138 du CNRS. Mail : [email protected] RESUME En dehors des sciences, la théorie darwinienne de l’évolution dérange encore parce l’attitude générale consiste à vouloir faire dire aux sciences ce qu’elles n’ont pas à dire –en tant qu’activité collective d’un corps professionnel : nous rassurer sur notre avenir, légiférer dans le secteur métaphysique. Pour combattre les créationnismes qui se présentent comme scientifiques, il ne suffit pas d’affirmer la pertinence et l’actualité du propos darwinien ou de donner des exemples de faits d’évolution, ou encore de corriger leurs erreurs factuelles. Il faut aussi traiter l’imposture à sa source, et démasquer les fraudes épistémologiques commises. Pour cela, il faut tout d’abord identifier les différentes stratégies de négation, d’instrumentalisation ou de mimétique des sciences, ce qui sera fait dans cet article. Ensuite, il faut rappeler un périmètre minimal de science : scepticisme initial sur les faits et leurs interprétations, réalisme de principe, matérialisme méthodologique et rationalité. On peut aisément montrer que tous les créationnismes sont en conflit avec au moins un de ces quatre piliers. Enfin, il faut rappeler surtout le caractère tacitement et fondamentalement laïque du contexte de validation des savoirs scientifiques. En cette année de célébration de l’œuvre scientifique de Charles Darwin, l’ombre des créationnismes plane sur le décor des festivités… parce que cette œuvre dérange encore en dehors des sciences. L’enjeu de la bataille est avant tout éducatif. Pour combattre les créationnismes qui se présentent comme scientifiques, il ne suffit pas d’affirmer la pertinence et l’actualité du propos darwinien (Heams, Huneman, Lecointre & Silberstein, 2009), ou de donner des exemples de faits d’évolution (Fortin, Guillot, Le Louarn-Bonnet, Lecointre, 2009), ou encore de corriger leurs erreurs factuelles. En effet, quand bien même les créationnismes ne commettraient pas d’erreurs sur le plan factuel, leur démarche épistémologique ne serait pas valide pour autant. Il faut aussi traiter l’imposture à sa source, démasquer les fraudes épistémologiques commises par les versions les plus sophistiquées du créationnisme philosophique contemporain. 16 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Qu’y a-t-il de si terrible dans la théorie darwinienne de l’évolution ? L’évolution biologique telle qu’elle continue d’être validée par les scientifiques aujourd’hui repose sur un enchaînement extrêmement simple de constats et de déductions logiques qui furent déjà ceux de Charles Darwin (1809-1882), méticuleusement documentés par celui-ci dès 1859. Nous les exposerons brièvement ici en respectant le raisonnement de Darwin lui-même, en suivant la présentation qu’en fait Patrick Tort (2000, Darwin et la science de l’évolution, Gallimard) et tel qu’exposé dans le livre de Fortin et coll. (2009, Guide critique de l’évolution, Belin). Ces déductions ont été validées un nombre incalculable de fois par des chercheurs de terrain, mais aussi en laboratoire, puis dans des « expériences grandeur nature » en permanence réalisées par l’industrie agronomique lorsque celle-ci lutte contre les capacités évolutives de ravageurs, l’industrie biotechnologique lorsqu’on utilise les capacités évolutives d’êtres vivants pour leur faire fabriquer des molécules (bio-ingénierie), la recherche biomédicale lorsque celle-ci lutte contre les capacités évolutives des agents pathogènes pour l’Homme. Constat n°1 : Parmi les individus qui se reconnaissent comme partenaires sexuels potentiels, il existe des variations. Quelle que soit la source de cette variation, il existe donc au sein de ce que nous reconnaissons comme des espèces une capacité naturelle de varier, la variabilité. Constat n°2 : Dès les débuts de la domestication, les hommes ont toujours modelé les êtres vivants à leurs besoins par des croisements sélectifs : il existe, depuis plus de dix mille ans, une sélection artificielle en horticulture et en élevage au sein même de ce que nous appelons une espèce. Il existe donc chez celle-ci une capacité naturelle à être sélectionnée, la sélectionnabilité. La question qui se pose dès lors est de savoir si la variabilité naturelle est sujette à sélection dans la nature. Cette question revient à se demander quel pourrait être l’agent qui produirait cette sélection. Constat n°3 : Les espèces se reproduisent tant qu’elles trouvent des ressources (ressources alimentaires, conditions optimales d’habitat). Leur taux de reproduction est alors tel qu’elles parviennent toujours aux limites de ces ressources, ou trouvent d’autres limites telles que la prédation qu’elles subissent par d’autres espèces. Il existe donc une capacité naturelle de surpeuplement. Cette capacité est observable de manière manifeste lorsque les milieux sont perturbés, par exemple lorsque des espèces allogènes envahissent subitement un milieu relativement fermé, comme une île. L’histoire des hommes fournit de multiples exemples de transferts d’espèces suivis de pullulations, comme ce fut le cas de l’importation du lapin en Australie ou du rat en Nouvelle Zélande. Constat n°4 : Pourtant, il existe des équilibres naturels. En effet, le monde naturel tel que nous le voyons –non perturbé par l’homme- n’est pas constitué d’une seule espèce hégémonique, mais au contraire de multiples espèces en coexistence, et ceci malgré la capacité naturelle de surpeuplement de chacune. Inférence : chaque espèce constitue une limite pour les autres, quelle que soit la nature de cette limite : soit en occupant leur espace, soit en les exploitant (prédation, parasitisme), soit en exploitant les mêmes ressources... Les autres espèces constituent donc autant de contraintes qui jouent précisément ce rôle d’agent sélectif. Constat n°5 : il est facile de constater que les espèces dépendent également pour le succès de leur croissance et de leur reproduction d’optima physiques (température, humidité, rayonnement solaire, etc.) et chimiques (pH, molécules odorantes, toxines…). En fait, ces facteurs de l’environnement constituent eux aussi des facteurs contraignants. S’ils changent, les variants avantagés ne seront plus les mêmes. Conclusion : Variabilité, sélectionnabilité, capacité au surpeuplement sont des propriétés observables des espèces. L’environnement physique, chimique et biologique est constitué de multiples facteurs qui opèrent une sélection naturelle à chaque génération. Cela signifie qu’au sein d’une espèce, les individus porteurs d’une variation momentanément avantagée par les conditions du milieu laisseront davantage d’individus à la génération suivante que ceux porteurs d’un autre variant du même caractère. Si ces conditions se maintiennent assez longtemps, le variant avantagé finira par avoir une 17 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction fréquence de 100% dans la population. L’espèce aura donc quelque peu changé : elle n’est pas stable dans le temps. Si ces conditions changent, d’autres variants que le variant majoritaire du moment peuvent devenir à leur tour avantagés. C’est pourquoi on dit que la variabilité maintenue dans une espèce constitue en quelque sorte son assurance pour l’avenir, donnée bien connue des agronomes. La promesse d’avenir d’une espèce n’est pas dans l’hégémonie du « variant le plus adapté » (la fameuse « survie du plus apte ») mais dans le maintien dans les populations de variants alternatifs par une source continue de variations. Le monde vivant tel que nous le voyons est donc un équilibre de contraintes interagissant en permanence, et il est le fruit d’une sélection naturelle de variations qui se sont avérées, au cours du temps, avantageuses. L’optimalité de leur fonction fut une condition de leur survie. D’où cette impression que nous avons, parfois, que « la nature est bien faite », longtemps utilisée dans un autre contexte par les théologiens pour glorifier sagesse et puissance divines. En fait, les solutions trop désavantageuses ne sont pas parvenues jusqu’à nous. Le phénomène d’évolution biologique, même présenté ci-dessus comme Darwin lui-même a pu le concevoir et l’argumenter amplement, n’est ni une spéculation ni une conjecture : ce phénomène est observé, expérimenté en laboratoire sur des espèces à temps de génération courts, en agronomie, en médecine, en bio-ingénierie. La sélection naturelle n’est pas une vieille idée, elle n’est pas une affaire de fossiles, elle est la dynamique même du vivant. Elle s’applique à l’explication naturelle des origines de l’espèce humaine. Remarque n°1 : Il reste toujours des variants non optimaux. Par ailleurs des variants désavantagés continuent d’apparaître en permanence, mais selon la lourdeur du handicap héritable leur maintien dans les générations suivantes est plus ou moins compromis. D’autre part, certaines structures qui paraissent handicapantes sont en fait biologiquement liées à d’autres structures fournissant un avantage déterminant. D’où le maintien de structures qui peuvent nous sembler, en première approximation, fonctionnellement absurdes. Ces considérations nous forcent à relativiser cette impression que nous avons d’une « nature bien faite ». Bien des espèces paient de lourds fardeaux dans le maintien de dispositifs qui nous semblent absurdes. Remarque n°2 : Il existe des variants sélectivement neutres. Ce socle de base de la proposition darwinienne du mécanisme évolutif a été complété au vingtième siècle par le modèle dit « neutraliste ». Des variants sélectivement neutres à l’égard des facteurs de l’environnement peuvent avoir des fréquences qui varient aléatoirement dans les populations, au gré des croisements. Cette fréquence peut même atteindre 100% de manière tout à fait aléatoire dans une population, et ceci d’autant plus facilement que la population sera d’effectif réduit. Remarque n°3 : L’espèce n’est pas inscrite dans le marbre. Le vivant n’est pas stable. Il peut être conçu comme un fleuve de générations, lequel se divise en bras, affluents, rivières. Les individus d’une généalogie changent, et les formes d’une population à une génération t diffèrent des formes de la génération t+n. Des portions d’arbre généalogique peuvent diverger, séparées par des obstacles physiques, chimiques, biologiques, etc., et les individus qui les constituent de part et d’autre du point de divergence peuvent ne plus jamais se rencontrer, de même pour leurs descendances. Ou leurs descendances se rencontrer à nouveau mais ne plus se reconnaître comme partenaires sexuels. Ou encore se croiser à nouveau mais produire une descendance stérile. On dira alors qu’elles ne font plus désormais partie de la même espèce. L’espèce n’est pas écrite sur les être vivants, ni inscrite dans une essence dont ils seraient porteurs, ni dans le ciel ; elle n’est pas éternelle ; elle n’est pas stable. Elle est d’abord ce que nous voulons qu’elle soit ; c’est-à-dire qu’il existe une définition théorique. L’espèce n’est rigoureusement définie que dans la durée du temps : c’est l’ensemble des individus qui donnent ensemble de la descendance fertile, depuis le précédent point de rupture du flux généalogique théorique jusqu’au prochain point de rupture. Après ce point de rupture, les individus qui ne sont plus interféconds avec leurs formes parentales ou latérales constitueront, par convention, une nouvelle espèce. 18 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Un constat immédiat est à faire : l’espèce n’est pas stable, l’environnement non plus, à plus ou moins long terme. Si rien n’est stable, pourquoi ne voyons-nous pas une continuité de formes organiquement désordonnées ? Pourquoi, malgré la variation, les individus se ressemblent-ils ? En fait, le vivant est la résultante de forces de maintien organique et de forces de changement. Parmi les forces du maintien organique, la sélection naturelle par le moyen des facteurs d’un milieu stable élimine pour un temps de la postérité généalogique les individus peu optimaux. Elle participe donc au maintien des « discontinuités » que nous percevons. Ensuite, le croisement entre partenaires sexuels pour la reproduction limite les effets des mutations aléatoires subies par tout individu et participe donc aussi à la stabilité organique. D’autre part, les contraintes architecturales internes héritées des ancêtres constituent également des limites au changement. De même, des contraintes fonctionnelles interne évidentes limitent forcément le champ des changements possibles. Par exemple, bien des embryons « malformés » meurent avant même d’avoir été confrontés directement au milieu. Parmi les forces du changement, il y a les sources de la variation, par exemple les erreurs des polymérases qui, bien que très fidèles, laissent tout de même passer dans l’ADN des « coquilles » parmi les milliards de paires de bases recopiées. Lorsque le milieu change, les conditions sélectives changent aussi. La sélection naturelle devient aussi, dans ces conditions, la courroie de transmission du changement sur les êtres vivants, des changements qui ne traduisent aucun « but », mais seulement les aléas du milieu. Mais qu’est-ce qui dérange tant ? Quelle que soit l’ampleur des changements et quelle que soit l’intensité des contraintes architecturales et fonctionnelles internes, la multitude de facteurs intriqués en jeu est telle qu’il est impossible, sur le plan théorique, de donner une priorité absolue aux forces stabilisatrices. En d’autres termes, le milieu, lui-même imprévisible sur le long terme, rend, via la sélection naturelle, le devenir d’une espèce imprévisible et rend du même coup caduque toute notion de « destinée ». Rien n’est écrit dans le marbre et l’on a coutume de dire, après S.J. Gould (1941-2002), que si nous revenions à un point antérieur quelconque du film de la vie, la probabilité pour que la série d’événements se déroulant sous nos yeux à partir de ce point soit exactement la même est infiniment petite. La notion même de destinée est incompatible avec tout processus historique, processus évolutif compris. Dit autrement, le véritable scandale de Darwin, c’est d’avoir placidement accepté le hasard (celui des mutations, celui des aléas des milieux dans lesquels les espèces vivent) comme ayant un rôle à jouer dans l’explication du changement organique. C’est l’une des difficultés psychologiques les plus difficiles à surmonter lorsque l’on tente de faire comprendre le processus évolutif à un public qui confond encore le discours sur les faits naturels et le discours sur les valeurs. En effet, tandis que l’absence de « but » et de « destinée » dans l’explication scientifique d’un phénomène naturel ne relève que de l’amoralité de la démarche scientifique et de sa neutralité métaphysique, le discours scientifique injustement transposé comme discours moral et/ou métaphysique rend pour nos semblables ces absences de but et de destinée désespérantes, intolérables, immorales. Bien entendu, ce n’est pas la théorie de l’évolution qu’il faut récuser dans ce cas mais la confusion entre le discours scientifique sur les faits, méthodologiquement défini et limité, et le discours sur les valeurs qui relève de processus d’élaboration très différents. Il faut expliquer alors ce qu’est une démarche scientifique (ce que nous ferons ci-dessous), mais aussi qu’il ne faut pas projeter nos réflexes psychologiques (buts, actions intentionnées) et nos espoirs (destinée) dans une explication scientifique de l’origine des espèces. La théorie de l’évolution n’incorpore ni transcendance, ni but, ni destinée, n’a pas à donner de « sens » à notre vie, ni ne défend ni ne préconise aucune valeur, aucune morale : ce n’est simplement pas le rôle d’une théorie scientifique. Une bonne partie des négations de la théorie darwinienne de l’évolution viennent de là : des membres de l’UIP à ceux du mouvement de l’ « Intelligent Design » (voir cidessous), on veut faire dire à une théorie scientifique ce qu’elle n’a pas à dire. On lui reproche de ne pas donner du « sens ». On se désespère d’un devenir sans but ni 19 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction destinée. On juge la sélection naturelle immorale. Bref, pour le scientifique c’est comme si on jugeait l’attraction des corps célestes comme immorale et une réaction chimique in vitro comme désespérante parce que intrinsèquement non intentionnée. On peut mettre également sous ce chapitre ce que l’on a erronément appelé le « Darwinisme social », et qui n’est que l’évolutionnisme philosophique élaboré par Herbert Spencer, du vivant de Darwin. L’évolutionnisme philosophique de Spencer est effectivement récusable d’abord et entre autres motifs parce qu’il transpose directement un modèle explicatif du changement organique des espèces dans les champs moraux et politiques, transfert qui n’est ni requis ni opéré par la théorie de l’évolution de Darwin elle-même. L’évolutionnisme de Spencer fait dire à une démarche scientifique ce qu’elle n’a pas à dire. Ce n’est d’ailleurs pas une science mais un système philosophique. L’évolutionnisme, pris dans ce sens là, a contribué et contribue encore à éloigner les intellectuels d’une véritable lecture de Darwin, mais encore à susciter une méfiance aussi injustifiée que répandue à l’encontre d’une théorie scientifique. La théorie darwinienne ou néo-darwinienne de l’évolution ne véhicule, d’elle-même, pas plus de valeurs que la théorie de la gravité universelle ou que la théorie de la dérive des continents. En fait, les créationnismes, qu’ils soient seulement « philosophiques » ou qu’ils se parent de scientificité, tentent de prêter des valeurs à la théorie de l’évolution pour pouvoir ensuite plus facilement la nier à travers elles. Pour tuer votre chien, inoculez-lui la rage, puis accusez-le d’être enragé, enfin tuez-le. Car le besoin de la nier la théorie de l’évolution provient d’un autre champ. Celui-ci est politique : de tout temps il a fallu brider la science lorsque celle-ci élaborait des résultats non conformes au dogme. Caractérisation des créationnismes Commençons par distinguer le créationnisme « philosophique » du créationnisme « scientifique ». Le créationnisme philosophique stipule que la matière et/ou l’esprit ont été créés par une action qui leur est extérieure. L’affirmation opposée est celle d’un matérialisme immanentiste. Il s’agit d’affirmer que le monde réel est constitué de matière, y compris les manifestations très intégrées de celle-ci (« esprit », sociétés, etc.). Est matériel ce qui est changeant, et donc doté d’énergie (Bunge, 2008). Il s’agit d’affirmer que la matière, quelle que soit la description que l’on peut en faire, est incréée et porte en elle-même les ressources de son propre changement. Aucune de ces deux postures philosophiques n’est accessible empiriquement ; c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être testées scientifiquement. Il s’agit bien là du terrain de la philosophie. Examinons à présent les différentes versions du créationnisme philosophique. Les trois monothéismes ont adopté au cours de leur histoire diverses postures face à l’inadéquation logique entre le sens littéral des Ecritures et les résultats de la science. Déclinons ces postures dans un gradient de plus en plus néfaste à l’indépendance d’une démarche scientifique. Premièrement, on a adapté le sens des Ecritures aux résultats de la science. Cette attitude, généralement qualifiée de « concordiste », ne sera pas analysée ici. Deuxièmement, on a adapté le sens des résultats de la science à la lumière du dogme. Troisièmement, on a sollicité la société des scientifiques de l’intérieur afin qu’elle réponde à des préoccupations théologiques (fondation John Templeton, Université Interdisciplinaire de Paris notamment dans leur appel du 22 février 2006 dans le journal Le Monde). Quatrièmement, on a prétendu prouver scientifiquement la validité littérale des Ecritures par ce qui a été présenté comme de véritables démarches et expériences scientifiques (Créationnisme « scientifique » de H. Morris et D. Guish). Cinquièmement, on a nié purement et simplement les résultats de la science, soit en cherchant à démontrer leur fausseté au moyen de discours ré-interprétatifs mais sans expériences scientifiques (Harun Yahya, témoins de Jéhovah), soit au moyen de réinterprétations et de contre expériences qui se voulaient scientifiques (sédimentologie de Guy Berthault, mouvement du « dessein intelligent »). Enfin, on a intimidé les scientifiques en les sommant de récuser les résultats de leur travail (Galilée en astronomie, Buffon concernant l’âge de la terre, même Darwin dut faire des concessions entre la première et la seconde édition de l’ « Origine des Espèces »…) ou en les pourchassant. Voici donc une 20 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction typologie résumée de tous les créationnismes philosophiques, avec des exemples non pas de personnes, mais se manifestant sous forme d’organisations : A. Les créationnismes intrusifs : A.a. Nier la science : le créationnisme négateur d’Harun Yahya. A.b. Mimer la science : le créationnisme mimétique de H. Morris et D. Guish. A.c. Plier-dénaturer la science : le « Dessein Intelligent » ou la théologie de William Paley présentée comme théorie scientifique. B. Le spiritualisme englobant : B.a. Science et théologie vues comme les pièces d’un même puzzle : l’Université Interdisciplinaire de Paris. B.b. La fondation John Templeton : lorsque la théologie finance la science Tous ces créationnismes philosophiques ne sont pas des créationnismes « scientifiques ». Lesquels d’entre eux méritent l’appellation de « créationnisme scientifique », c’est-à-dire mettent la science au service d’une preuve de la création ? Il s’agit assurément des catégories A.b. et A.c. puisque dans la première la « science » prouve la Vérité des Ecritures et dans la seconde le créateur est incorporé comme explication « scientifique ». Pour ce qui concerne les catégories B.a. et B.b., il ne s’agit pas d’un créationnisme scientifique au sens précédent ; cependant la science est mobilisée par ces spiritualistes afin de servir d’autres desseins que l’élaboration de connaissances objectives, y compris d’accréditer une idée de création beaucoup plus sophistiquée. Ainsi, contrairement à une idée reçue, le créationnisme philosophique ne s’oppose pas nécessairement à d’idée d’évolution biologique. L’évolutionnisme théiste de Teilhard de Chardin en est un exemple dont on trouve des descendants au sein des providentialismes modernes (catégorie B). La catégorie A est anti-évolutionniste, sauf peut-être pour certains adeptes du « Dessein Intelligent » pour qui les moyens par lesquels le Grand Concepteur réalise ses desseins pourraient incorporer la transformation (non darwinienne) des espèces. La catégorie B est évolutionniste. Mais tous sont antidarwiniens, les premiers parce qu’ils refusent le fait de l’évolution biologique, les seconds parce que le modèle darwinien faisant intervenir hasard, variation, contingence, sélection naturelle ne les satisfait pas pour des raisons morales et idéologiques. Mention spéciale concernant l’ Intelligent Design La volonté politique la plus manifeste est réalisée par le mouvement américain de l’Intelligent Design. Suite aux revers juridiques des créationnistes « scientifiques » de la seconde moitié des années 1980, ceux-ci doivent à nouveau changer de stratégie. Dès le début des années 1990, P. Johnson, juriste, élabore la notion d’ « Intelligent Design » (ID) à partir de la vieille analogie du théologien anglican William Paley et la présente comme théorie scientifique. La stratégie consiste à utiliser l’étiquette « science » pour atteindre des objectifs politiques et spirituels, objectifs clairement énoncés dans leur « Wedge Document » (voir le Nouvel Observateur Hors Série n°61 « La bible contre Darwin » dirigé par Laurent Mayet, décembre 2005). L’un de ces objectifs principaux est de faire passer une conception théologique pour de la science afin que celle-ci soit enseignée dans les écoles. Selon le « Discovery Institute » qui structure le mouvement, « la théorie du dessein intelligent affirme que certaines caractéristiques de l’univers et des êtres vivants sont expliquées au mieux par une cause intelligente, et non par un processus non dirigé telle la sélection naturelle ». Le mouvement du « dessein intelligent » s’emploie donc à critiquer tout ce qui peut l’être dans la théorie darwinienne de l’évolution, et surtout ses ennemis de toujours : le matérialisme méthodologique inhérent à une approche seulement scientifique des origines du monde naturel, et le rôle de la contingence des facteurs de transformation des espèces au cours du temps. Pour tout schéma argumentatif, il ne s’agit que de la répétition (Tort, 1997) , sous une forme retravaillée, de l’analogie finaliste du théologien anglican William Paley (1743-1805). Arguant que tout objet/artefact est intentionnellement façonné pour remplir une fonction, Paley et ses imitateurs d’aujourd’hui transposent ce principe dans la Nature pour faire intervenir une intelligence conceptrice à l’origine de l’adéquation entre formes et fonctions naturelles et donc une intelligence à l’origine des êtres vivants. C’est la vieille 21 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction analogie de la montre. Dans une montre, l’adéquation « parfaite » de la forme de chacune des pièces à la fonction qu’elle remplit et son agencement harmonieux avec les autres pièces remportent l’admiration et laisseraient présumer l’existence d’un horloger dont la volonté est exprimée dans l’harmonie présente. Dans la nature, le rayon de courbure du cristallin est telle que les rayons lumineux se focalisent précisément en un point de la rétine ; et la merveilleuse adéquation entre forme et fonction ne peut être, dans ce raisonnement analogique, plus efficacement expliquée que par l’hypothèse d’une intelligence conceptrice dès son origine. Les promoteurs modernes du dessein intelligent pensent que la science rénovée, incorporant les causes surnaturelles, doit chercher et dicter ce qui constituera une « éthique naturelle », une « morale naturelle », et que cette science-là sera en mesure de découvrir quels comportements transgressent les buts sous-jacents au dessein intelligent à l’origine de l’espèce humaine. Ce serait donc à cette science de découvrir lesquels de nos comportements, nos mœurs, notre morale sont voulus par Dieu. La fonction de Think Tank conservateur prend alors toute sa signification : l’avortement et l’homosexualité transgressent le dessein intelligent de Dieu, notamment par dévoiement des fonctions pour lesquelles nos formes avaient été initialement créées. En donnant une assise prétendument scientifique au « Bien » et au « Mal », le courant du « dessein intelligent » débouche donc sur une sorte de scientisme religieux et théocratique incompatible avec la laïcité. En décembre 2005 l’ID est clairement identifié au «procès de Dover » comme religion déguisée et non comme science et son enseignement aux Etats-Unis d’Amérique est déclaré anti-constitutionnel. S’il arrive à des scientifiques d’écrire contre les créationnismes, c’est que ces créationnismes tentent de s’introduire dans la démarche scientifique, miment les sciences, ou encore font dire aux sciences ce qu’elles n’ont pas à dire. Ces scientifiques ne font alors que leur devoir de citoyens, lequel doit passer par une explicitation de ce qu’est la science. Curieusement, ce sujet semble tabou, comme si les critères de scientificité méritaient de rester dans le flou, comme si celui qui brise le tabou commettait un « hold up ». Une certaine sociologie est même hostile à une description de « la science », qualifiant celle-ci de « mythe ». Nous préférons parler de « contrat tacite » que le scientifique passe avec ses collègues, avec le réel et avec ses concitoyens. Certes, il y a des règles du jeu que nous apprenons à nos doctorants, la recherche scientifique est un métier qui s’apprend. Cela n’empêchera pas certains de commettre plus tard des entorses. Mais celles-ci ne remettent aucunement en cause les règles suivies par une majorité silencieuse. Pour un scientifique professionnel, l’éthique et la caractérisation de la démarche scientifique ne peuvent rester dans le silence, n’en déplaise aux sociologues des sciences spécialisés dans la fouille des poubelles des laboratoires. Les enjeux éducatifs qu’a montré le procès de Dover sont trop importants. Caractérisation de la démarche scientifique Les hommes sont capables de produire toute une gamme d’assertions sur le monde : philosophiques, religieuses, théologiques, mythologiques, poétiques, oniriques, artistiques, politiques, scientifiques, narratives, idéologiques, morales, ludiques, etc. Nous serions enclins à penser que tout ces modes reposent sur des croyances et produisent des croyances : tout serait croyance, autant pour les scientifiques qui « croient » aux assertions rationnelles, que les religieux qui « croient » à une transcendance à l’origine du monde, voire à la version littérale d’un texte sacré, ou encore d’un homme politique qui « croit » en un idéal de société. Si tout est croyance, nous serions alors autorisés à franchir le pas vers un relativisme où tout se vaut. Les assertions scientifiques (ou autres) auraient le même statut que les assertions religieuses ou artistiques. Ce serait oublier deux questions fondamentales : 1. Il y a différents sens au mot « croyance » et 2. Les modalités de production des affirmations sur le monde sont extrêmement diverses : elles n’ont pas les mêmes objectifs ; elles ne reposent pas sur les mêmes codes, les mêmes ressorts de l’assentiment, ni les mêmes méthodes. Tout d’abord, il ne faut pas confondre le mot croyance au sens de « rational belief » et le mot croyance au sens de « faith » (foi). Si un scientifique croit à un résultat et son interprétation issus de ses expériences, cette croyance est à prendre au sens du 22 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction degré de confiance (très élevé) qu’il est permis d’accorder au résultat en question, audelà de tout doute raisonnable. Une propriété essentielle de cette « croyance » est qu’elle reste questionnable, que sa remise en cause est toujours possible et même souhaitable. C’est le propre des assertions scientifiques. La croyance au sens de « foi », elle, ne peut être remise en cause, de par la définition même du mot. La foi n’éprouve pas le besoin de se justifier. Elle tire sa légitimité par l’affirmation de la vérité non négociable de ce qui est objet de foi. La « croyance » scientifique, elle, tire sa légitimité de l’ouverture laissée à sa propre déstabilisation. Les assertions scientifiques sortiront renforcées d’une résistance à de multiples mises à l’épreuve. On comprend dès lors pourquoi la possibilité d’une telle mise à l’épreuve reste souhaitable. En raison de ces différences fondamentales, il n’est pas souhaitable de parler de « croyance » lorsque l’on fait allusion au degré de confiance que les scientifiques accordent à leurs résultats, ni même à la confiance qu’ils accordent à leur bagage méthodologique (voir plus loin). Enfin, ces différents modes de production d’assertions sur le monde sont méthodologiquement variés. Ils ont tous besoin de communiquer et donc de transmettre quelque chose à autrui, voire de remporter son assentiment, mais n’utilisent pas les mêmes codes et techniques pour cela. Ce que chacun va tenter de mobiliser chez autrui afin de se faire comprendre est même différent. La nécessité de bien faire identifier ces modes ne résulte pas d’une volonté d’enfermer les assertions sur le monde dans des boîtes catégorielles étanches. Bien au contraire, c’est créer la condition même de leur dialogue : on ne dialogue jamais aussi bien, l’échange n’est jamais aussi fructueux que lorsque les partenaires identifient bien leurs objectifs et leurs modes de fonctionnement respectifs. Les problèmes que suscitent les créationnismes dans les sciences viennent précisément du fait que ceux-ci assignent aux sciences des objectifs qui ne sont normalement pas les leurs ; et tentent de modifier les méthodes scientifiques afin de les instrumentaliser. A la charnière du XVIIIème et du XIXème siècle, le projet scientifique devient un universalisme non dogmatique : le but de la science est de construire des connaissances universellement partageables et partagées, des connaissances objectives. Une connaissance n’acquiert cette qualité d’objectivité que lorsqu’elle a été corroborée par plusieurs observateurs indépendants, par reproduction des expériences. La reproductibilité des expériences scientifiques devient donc centrale pour cet objectif. Elle est fondée sur quatre piliers. Premier pilier. La démarche scientifique ne peut s’initier que sur un Scepticisme initial concernant les faits. Nous n’expérimentons sur le monde réel que parce que nous nous posons des questions. Si ce qui est à découvrir est déjà écrit, nous n’avons d’emblée qu’une parodie de science. Ceci se produit chaque fois qu’une force extérieure à la science lui dicte ce qu’elle doit trouver. Il y a trois forces fondamentalement antagoniques au travail du scientifique. Les forces mercantiles ont besoin d’utiliser le vernis de la science pour vanter la supériorité d’un produit à vendre. Ce qui est à prouver est commandé d’avance. Les forces idéologiques ont également besoin de plier la science aux nécessités de leurs justifications. La génétique de Lyssenko et l’anthropologie nazie fournissent les exemples les plus classiques. Les forces religieuses procèdent de même lorsqu’elles convoquent la science pour venir justifier un texte sacré, une intuition mystique ou un dogme, qu’il s’agisse de la théologie de Pierre Teilhard de Chardin ou du créationnisme dit « scientifique » issu du protestantisme anglo-saxon, ou qu’elles se servent d’un texte sacré pour valider la science comme le font les musulmans. Prenons par exemple le scientifique qui construit des phylogénies. A partir d’un échantillon d’espèces prélevées dans le monde vivant, la question est « qui est plus proche de qui que d’un troisième ? Comment s’organisent leurs relations d’apparentement ? ». Même si nous commençons les investigations avec une palette de possibilités de réponses en tête, cette palette reste absolument modifiable et laisse largement place aux surprises. Une bonne partie de notre activité consiste à vérifier si ce que l’on trouve finalement ne serait pas un artéfact, une méprise (en multipliant les sources de données, par exemple). Cela est aisément compréhensible : il ne s’agit pas de publier des erreurs qui seront réfutées demain. Si la surprise résiste, si rien n’indique qu’elle résulte d’une erreur, alors elle est publiée. Certains sont convaincus que le scientifique passe son temps à vouloir 23 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction démontrer des propositions, pour ne pas dire des préconceptions ; il faut plutôt dire qu’il passe son temps à mettre à l’épreuve ce qu’il a trouvé sans le vouloir. Deuxième pilier. Les méthodes de la science sont réalistes. Le monde là dehors existe indépendamment et antérieurement à la perception que j’en ai et aux descriptions que l’on en fait (voir Boghossian, 2008). En d’autres termes, le monde des idées n’a pas la priorité sur le monde physique. Si je fais des expériences et que je les publie, c’est dans l’espoir qu’un collègue inconnu me donnera raison en ayant trouvé le même résultat que moi. Je parie donc que le monde physique se manifestera à lui comme il s’est manifesté à moi. Je ne vois aucun sens à l’activité scientifique, en tant que poursuite d’un projet de connaissance universelle, si ce réalisme n’est pas de mise. Troisième pilier. Les méthodes de la science mettent en œuvre la rationalité de l’observateur. La rationalité scientifique (voir Gauvrit, 2009) consiste simplement à respecter les lois de la logique et le principe de parcimonie. Ce sont des propriétés de l’observateur, pas celles des objets observés. Examinons tout d’abord la logique. Aucune démonstration scientifique ne souffre de fautes de logique ; la sanction immédiate étant sa réfutation. L’universalité des lois de la logique, soutenue par le fait que les mêmes découvertes mathématiques ont pu être faites de manière convergente par différentes civilisations, devrait recevoir une explication naturaliste : elle proviendrait de la sélection naturelle. Examinons ensuite la parcimonie. Les théories que nous acceptons sur le monde sont les plus économiques en hypothèses. Plus les faits sont cohérents entre eux et moins la théorie qu’ils soutiennent a besoin d’hypothèses surnuméraires non documentées. Les théories les plus parcimonieuses sont donc les plus cohérentes. La parcimonie est une propriété d’une théorie ; elle n’est pas la propriété d’un objet réel. Ce n’est pas parce que nous utilisons la parcimonie dans la construction de nos arbres phylogénétiques que nous supposons que l’évolution biologique a été parcimonieuse, comme le croient erronément certains. Le principe de parcimonie est utilisé partout en sciences, mais il peut être aussi utilisé hors des sciences, chaque fois que nous avons besoin de nous comporter en êtres rationnels. Le commissaire de police est, sur les écrans de télévision, le plus médiatisé des utilisateurs du principe de parcimonie. Il reconstitue le meurtre avec économie d’hypothèses, ce n’est pas pour autant que le meurtrier a ouvert le moins de portes possibles, tiré le moins de balles possible et économisé son essence pour se rendre sur les lieux du crime. Quatrième pilier : La science observe un matérialisme méthodologique (Lecointre, 2007) : tout ce qui est expérimentalement accessible dans le monde réel est matériel ou d’origine matérielle. Est matériel ce qui est changeant (Bunge, 2008), c’est-à-dire ce qui est doté d’énergie. En d’autres termes, la science ne travaille pas avec des catégories par définition immatérielles (esprits, élans vitaux, etc.) ; cela participe de sa définition. Ces propriétés conditionnent la reproductibilité des expériences, caractérisent les sciences expérimentales, et du même coup, définissent la science par ses méthodes. On remarquera que cette définition est la plus large qui soit ; beaucoup plus large que les critères de scientificité retenus par les poppériens, et au-delà de l’imprécise et regrettable division entre « sciences dures » et « sciences molles ». Mais si la science a pris son essor grâce à la philosophie matérialiste, elle n’est pas pour autant cette philosophie. Comme le rappelle Charbonnat (2007), « Le matérialisme ne subsiste dans les sciences qu’à l’état de méthode, et non pas comme conception de l’origine, démarche non empirique par définition. ». C’est en ce sens qu’on parle de « matérialisme méthodologique ». Tous les créationnismes contre la théorie darwinienne de l’évolution Les créationnismes qui se préoccupent de science commettent tous au moins une entorse à l’un des quatre piliers cités plus haut. Les spiritualistes englobants dénigrent et déforment le matérialisme méthodologique (quatrième pilier) pour pouvoir introduire en sciences un spiritualisme sans limites. Les créationnismes qui se qualifient eux-mêmes de « scientifiques » sont pris en défaut de manquement au scepticisme initial sur les faits (premier pilier) : ce qui est à démontrer scientifiquement est déjà écrit dans un texte sacré. On peut même dire que le créationniste qui se qualifie de scientifique est le 24 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction contraire d’un scientifique dans le sens où le premier cultive un scepticisme manipulateur sur les méthodes tout en étant convaincu des faits « à démontrer », tandis que le second fait confiance en ses méthodes pour questionner les faits au sujet desquels il est sceptique. Les créationnismes « scientifiques » sont incompatibles avec la science, et c’est pour cela qu’ils tentent de la redéfinir à l’usage de leurs besoins politiques. Car en effet, à y regarder de près, les créationnismes sous toutes leurs formes prennent naissance en dehors des sciences et du milieu des scientifiques, mus par de puissants mouvements et motifs politiques (Intelligent Design), idéologiques (Harun Yahya) ou religieux (tous, voir Brosseau & Baudoin, 2008). Une entorse courante commise par eux est de déformer les objectifs des sciences. Au lieu de cantonner les sciences à l’élucidation de questions de faits et à l’élaboration de connaissances objectives telles que définies plus haut, ce qui devrait être, ils attendent des sciences qu’elles répondent ou prescrivent dans des secteurs qui ne relèvent normalement pas d’elles, afin de les instrumentaliser : attendre des sciences qu’elles répondent à des questions métaphysiques de sens, de valeurs, qu’elles nous rassurent, ou faire d’elles des prescriptrices de postures morales, politiques, législatives ou religieuses. Dévoyer ainsi une profession permet de l’infiltrer et d’utiliser son dynamisme pour légitimer des combats politiques ou métaphysiques que ces mouvements ne seraient pas capables de gagner par ailleurs. Il appartient aux scientifiques professionnels de déjouer ces manipulations : qui d’autre pourrait le faire mieux qu’eux ? Enfin attirons l’attention du citoyen sur les méfaits d’une confusion accrue entre les domaines du public et du privé. Les scientifiques professionnels payés par l’Etat ont signé un contrat de construction collective de connaissances objectives. Une connaissance devient objective lorsqu’elle a été vérifiée et validée par des observateurs indépendants, ce qui implique la dimension collective du contexte de validation des découvertes scientifiques. Leur profession n’a pas à prendre position activement sur le plan métaphysique, ceci relevant du métier de philosophe (ou de théologien). Autrement dit, un scientifique du secteur public invité à titre professionnel devant un public doit s’abstenir de faire passer ses options métaphysiques personnelles pour validées scientifiquement –on ne le tolèrerait pas d’un enseignant de sciences naturelles. La raison en est évidente : la validation des savoirs scientifiques possède une dimension laïque intrinsèque, rarement revendiquée mais profondément ancrée dans l’ethos de la science. Pourtant, la principale activité des plus sophistiquées des formes du spiritualisme moderne telle la fondation John Templeton ou de l’Université Interdisciplinaire de Paris est précisément de brouiller complètement ces limites de légitimité. Le citoyen doit être armé d’une conscience laïque très marquée pour déjouer les confusions qui sont à l’œuvre. Rien de tout cela ne remet en cause la liberté individuelle d'opter pour une métaphysique de son choix. Mais ce choix ne saurait constituer une connaissance objective. Les connaissances empiriques, universellement testables, constituent la partie de nos savoirs qui unissent les hommes, et c’est pour cela qu’elles sont politiquement publiques. Les options métaphysiques restent personnelles et politiquement privées. Les organisations telles que le Discovery Institute (promotrice de l’idée d’Intelligent Design), la John Templeton Foundation ou l’Université Interdisciplinaire de Paris en France ont bien compris que pour faire gagner du terrain à la théologie il faut brouiller les limites épistémologiques de légitimité entre religion et science, et les limites politiques entre l’individuel et le collectif, entre le privé et le public. Ils ont bien compris qu'en finançant des scientifiques, des laboratoires, des colloques, elles peuvent coopter des scientifiques individuellement afin de créer la confusion sur le projet collectif d'une profession ; et faire passer une posture métaphysique pour scientifiquement validée –et donc collectivement validée. Il est donc de leur plus haut intérêt de se faire les amis de la science et des scientifiques. La fondation Templeton soutient l’American Association for the Advancement of Science qui publie le journal Science, et soutient surtout de nombreuses recherches. Sur le long terme, l’« ouverture » au dialogue entre science et religion sur laquelle la fondation Templeton ou l’UIP fondent leur communication risque de s’avérer désastreuse pour l’autonomie de la science dans un contexte où le financement public des recherches ne cesse de diminuer au profit des financements privés de ce type. 25 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Boghossian, Paul. 2009. La peur du savoir. Agone. Brosseau Olivier & Baudoin Cyrille (2008). Le créationnisme. Une menace pour la France ? Paris, Syllepse. Bunge Mario (2008), Le matérialisme scientifique, Paris, Syllepse. Charbonnat Pascal (2007), Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Syllepse Fortin, Corinne, Guillot, Gérard, Le Louarn-Bonnet, Marie-Laure & Lecointre, Guillaume. 2009. Guide critique de l’évolution. Belin, Paris, 600 pp. Gauvrit, Nicolas. 2009. Autour du rasoir d’Occam. Science et pseudo-sciences n° 286, 59-63. Heams, Thomas, Huneman, Philippe, Lecointre, guillaume & Silberstein, Marc. 2009. Les Mondes darwiniens. L’évolution de l’évolution. Syllepse. Paris. 1100 pp. http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/decouv/articles/chap1/lecointre1.html Lecointre, Guillaume. 2007. In Charbonnat, 2007. Tort, Patrick. 1997. Pour Darwin. Presses Universitaires de France. 26 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Où en est la recherche sur l'évolution ? Des années 1970 aux années reformulations enrichissantes 2000 : débats, nouvelles découvertes et Durant les quarante dernières années, de vifs débats ont enrichi la théorie générale de l’évolution. Les critiques qui ont été adressées à la théorie synthétique de l’évolution s’articulent autour de cinq axes principaux dont nous allons ici donner un aperçu. Elles ont permis de dessiner les contours de la théorie contemporaine de l’évolution via une conception plus subtile des modalités d’action de la sélection naturelle et une refonte totale des méthodes permettant d’établir les liens d’apparentement entre organismes. Pour autant, on peut dire de cette théorie qu’elle reste darwinienne dans le sens où l’hypothèse centrale de sélection naturelle n’a jamais été démentie ni réfutée. 1. La critique des classifications Pendant les cent années qui suivirent la publication de L’origine des espèces, la science des classifications – la systématique – a produit des groupes fondés tout autant sur des critères écologiques ou adaptatifs (ce que font les organismes, le milieu où ils vivent) que sur des critères phylogénétiques (leur degrés relatifs d’apparentement). Elle a maintenu des groupes privatifs (invertébrés, agnathes, etc.), véritables atavismes historiques jouant un rôle de « marche-pieds » dans une classification dont le schéma conceptuel tenait autant d’une échelle des êtres devenue évolutionniste (avec la prise en compte de soi-disant « sauts adaptatifs) que d’un arbre de parenté. Dans un livre publié en 1950, l’entomologiste allemand Willi Hennig (1913-1976) refond totalement les méthodes de recherche des degrés relatifs d’apparentement et pose les bases d’une véritable systématique phylogénétique, avec trois conséquences majeures : – Premièrement, Hennig trouve le moyen de réaliser un souhait de Darwin : que les classifications suivent d’aussi près que possible ce que ce dernier appelait les « relations généalogiques ». Hennig ne considère comme valides que les groupes monophylétiques, c’est-à-dire regroupant tous les descendants d’un même ancêtre exclusif, descendants identifiables sur la base du partage de caractères spécifiques que cet ancêtre leur a légués. La systématique phylogénétique renonce donc aux groupes paraphylétiques, qui comprennent seulement une partie des descendants d’un ancêtre donné (les groupes privatifs sont des exemples typiques de groupes paraphyétiques). Ce faisant, elle inverse l’ordre des procédures jusqu’alors en vigueur : tandis que les systématiciens de la théorie synthétique faisaient d’abord des classifications sur la base de critères très variés (d’où le nom donné à leur systématique : la systématique « éclectique ») puis envisageaient les relations d’apparentement entre les groupes qu’ils avaient déjà construits, la systématique phylogénétique se préoccupera d’abord de trouver les relations d’apparentement entre les espèces qu’il s’agit de classer et en déduit ensuite la classification. En ce sens, on peut dire que la systématique phylogénétique ne retient que l’arbre. – Deuxièmement, les méthodes de Hennig bénéficient très vite d’une formalisation de la comparaison de l’état des caractères chez les différents organismes à classer puis de la construction de l’arbre phylogénétique lui-même. Voilà qui change complètement la façon de travailler des systématiciens car il devient possible de tester précisément les hypothèses d’autrui… et donc d’infirmer ou de confirmer une phylogénie indépendamment de la personne du biologiste qui en est l’auteur. – Troisièmement, la systématique phylogénétique détruit implicitement l’essentialisme des vieux « plans d’organisation » idéaux, car remettant sur le devant de la scène l’idée d’une évolution organique en mosaïque : un organisme n’est pas le reflet d’un plan idéel (sorte de résurgence de l’Idée de la pensée essentialiste), mais une mosaïque unique de caractères qui est le fruit de la contingence de son histoire évolutive. 27 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Le livre de W. Hennig, initialement publié en allemand, reste méconnu jusqu’à sa traduction en anglais en 1966. Les systématiciens commencent alors progressivement à changer leurs méthodes de travail : d’abord les entomologistes, ensuite les ichtyologistes, etc. La mutation est facilitée par la formalisation des principes dès 1969 par James Farris et par l’arrivée des premiers outils informatiques dans les laboratoires quelques années plus tard. On comprend donc que les années 1970 sont pour la systématique une décennie d’intenses débats méthodologiques et conceptuels, à une époque où, paradoxalement, cette science qui ne parvient pas à se débarrasser de son image poussiéreuse est sur le déclin. Cet état de fait n’est alors pas surprenant : le XXe avait abandonné jusque-là l’anatomie, la morphologie, l’embryologie descriptive ainsi que toutes les disciplines biologiques qui traitaient de l’intégration des structures (zoologie, botanique, histologie, etc.) pour ne plus s’occuper que de l’intégration des fonctions (physiologie, écologie, éthologie). Par ailleurs, la découverte de la structure de l’ADN, en 1953, inaugura un demi-siècle de biologie très centrée sur le gène, au cours duquel les universités fermèrent ou transformèrent de nombreux laboratoires de zoologie et de botanique au profit de sciences des processus, lesquels devaient être étudiés au niveau moléculaire. C’est ainsi que, indépendamment du renouvellement des méthodes impulsé par W. Hennig, une systématique en décroissance démographique bénéficie à partir de cette époque de la disponibilité accrue de nouveaux types de caractères : les caractères « moléculaires » fournis par les données de séquences d’ADN ou de protéines. Cette approche est marginalement appliquée à des questions de systématique dans les années 1960, d’ailleurs par des non systématiciens. Elle est à l’origine d’avancées scientifiques significatives à partir du milieu des années 1970, notamment en 1977 puis en 1986 avec les travaux de Carl Woese, George E. Fox et Gary J. Olsen, qui, grâce à la comparaison de séquences d’ADN ribosomaux, montrent que le monde procaryote comprend deux groupes phylogénétiquement bien distincts : celui des eubactéries et celui des archées. La démocratisation d’une méthode d’amplification cyclique de l’ADN in vitro (Polymerase Chain Reaction ou PCR) à la charnière des années 1980 et 1990 va infiniment faciliter le séquençage des acides nucléiques. La PCR sera à l’origine d’une véritable explosion de la « systématique moléculaire ». Le bilan de tout cela est que les classifications ont davantage changé en trente ans que durant tout le siècle précédent ! Il s’ajoute aujourd’hui des découvertes intéressantes dans cette discipline qui complexifient la forme de l’arbre du vivant. Les gènes, pris pour les marqueurs des degrés d’apparentement entre les espèces, ne s’héritent pas toujours « verticalement » mais peuvent être transférés « horizontalement » d’une branche de l’arbre du vivant à une autre : l’histoire des gènes n’est pas toujours l’histoire des espèces qui les portent. Ainsi l’arbre de la vie ne serait pas un arbre mais un réseau complexe. Cela ouvre aujourd’hui un gigantesque champ de réflexion sur ce que nous construisons vraiment comme histoire en systématique moléculaire, particulièrement chez les bactéries ou chez certaines plantes. 2. L’essor de l’« évo-dévo » Dès les années 1840, l’embryologie descriptive est nettement « comparatiste » (on compare le développement embryonnaire des organismes, par exemple chez Johann Friedrich Meckel (1781-1833), Etienne Serres (1786-1868), Karl Ernst von Baer (17921876), Carl Bogislaus Reichert (1811-1883)), puis elle devient comparatiste et évolutionniste (par exemple assez précocément chez Christian Heinrich Pander (17941865), chez Ernst Heinrich Haeckel (1834-1919), qui interprètent les comparaisons embryologiques à la lumière de l’évolution). Cependant, à la fin du siècle (vers 1895), l’embryologie expérimentale émerge dans la foulée des travaux de Laurent Chabry 28 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction (1855-1893), de Wilhelm Roux (1850-1924) et de Hans Spemann (1869-1941). Elle consiste à expliquer, en perturbant expérimentalement le développement embryonnaire, les causes immédiates de celui-ci en termes de facteurs physiques, chimiques et mécaniques. Le succès est spectaculaire et cette approche avance dès lors beaucoup plus vite que l’embryologie comparative et évolutive, au point de l’occulter ensuite presque complètement. Les sciences morphologiques, qu’il s’agisse de l’embryologie comparative ou de l’anatomie comparée, subissent d’ailleurs un déclin général à la charnière du XXème siècle (Schmitt, 2006). Ce contexte a pour conséquence que, jusque dans les années 1960, l’embryologie comparative sur le déclin vit sur les acquis du siècle précédent, tandis que le développement de l’embryologie expérimentale n’intègre pas d’approche génétique (laquelle est en plein essor). Au milieu des années 1970, la situation est qualifiée de « frustrante » par S. J. Gould (2002), car on est dans l’impossibilité de faire la jonction entre, d’une part, des modifications du déroulement de l’ontogénèse bien documentés menant à des changements « macroévolutifs » (comme par exemple la migration des os de l’arrière de la mandibule vers la capsule auditive, passage inaugurant les mammifères, ou les mutants homéotiques chez les mouches drosophiles) et, d’autre part, les mécanismes génétiques du développement embryonnaire que l’on commence à décrypter. Ontogeny and Phylogeny, le livre de Gould paru en 1977, traduit bien cet état de fait. C’est dans ce contexte qu’émerge une nouvelle discipline baptisée évo-dévo. Son objectif : combler une lacune importante de la théorie synthétique en articulant le contrôle génétique du développement et les données de l’embryologie expérimentale avec celles de l’embryologie comparative évolutive. Non seulement les gènes impliqués dans le contrôle du développement vont être comparés entre groupes d’organismes très différents, révélant des sous-bassements communs inattendus à des développements corporels conçus jusque là comme quasi-incomparables, mais leurs modes d’action vont pouvoir être interprétés à la lumière de phylogénies à large échelle des organismes. Ainsi vat-on même pouvoir inférer, grâce à l’incorporation de la logique phylogénétique, la batterie de gènes du développement dont devait disposer tel ou tel ancêtre hypothétique d’un groupe zoologique donné. C’est William Bateson (1861-1926) qui découvrit en 1894 chez les insectes une classe particulière de mutations qu’il qualifia d’« homéotiques » : une partie du corps était remplacée par une autre. Leur effet était spectaculaire, puisqu’il se traduisait chez l’adulte par le remplacement d’une paire d’appendices par une autre paire normalement située ailleurs. De même il observa chez l’homme des individus dont l’une des vertèbres cervicales était transformée en une vertèbre thoracique. Edward B. Lewis (1918-2004) se sert de ces mutations homéotiques pour mettre au point et publier, en 1978, un modèle de fonctionnement et d’évolution d’un complexe de gènes « maîtres » du développement embryonnaire de la drosophile : le complexe Bithorax. Cela constitue le point de départ de l’évo-dévo. Le programme de cette discipline correspond à plusieurs axes de recherche : comprendre les modalités, les principes du contrôle génétique du développement embryonnaire ; identifier les gènes impliqués (plus particulièrement ceux qui agissent en amont dans le processus) ; étudier la répartition de ces gènes au sein du monde animal et comparer chez eux leur séquence (on constatera ainsi que leur organisation physique sur le chromosome est relativement conservée) et leurs modalités d’expression. Parmi les nombreuses retombées (y compris d’ordre médical) de l’évo-dévo, citons le renouvellement de l’interprétation des homologies d’organes entre grands groupes d’animaux, mais aussi des homoplasies, c’est-à-dire des ressemblances ne s’expliquant pas par une ascendance commune (parallélismes, convergences et réversions). 29 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction Ces nouveaux fondements permirent de comprendre comment, par des modification affectant soit la nature de ces gènes, soit leur patron d’expression dans le temps et dans l’espace au sein de l’organisme en construction, on pouvait passer conceptuellement de la forme d’un grand groupe zoologique à celle d’un autre Par exemple, la structure et les modalités d’expression des gènes responsables de la dorsalisation d’un embryon de protostomien sont en tous points comparables aux gènes de la ventralisation d’un deutérostomien et vice-versa ; si bien que l’on peut inférer qu’au cours de l’évolution animale il y a eu une inversion de l’axe dorso-ventral : tout se passe comme si, sur le plan évolutif, un deutérostomien était un protostomien retourné, retour à l’intuition d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (Le Guyader, 1998). Le livre de Gould cité plus haut et Embryos, Genes and Evolution, de Rudolf Raff et Tom Kaufman (1983) sont les deux ouvrages qui vont en quelque sorte poser les paradigmes fondateurs de la nouvelle discipline. Le chantier fut si productif qu’en 2000 deux revues spécialisées en évo-dévo ont été créées. 3. Le modèle des équilibres ponctués et le retour d’une forme de saltationisme Le darwinisme standard prévoyait une transformation progressive des espèces prenant la forme d’une anagénèse, à l’image de ce que l’on observe dans certaines séries fossiles : une même population se modifie progressivement au cours du temps. Pour le paléontologue G. G. Simpson, dans les années 1950, 90% du changement évolutif était ainsi anagénétique. Les 10% restants correspondaient à une évolution qualifiée de « quantique », c’est-à-dire à un saut évolutif le long d’ne même lignée manifestant des innovations structurales majeures. En 1972, les paléontologues Niles Eldredge et S. J. Gould contestent cette vision et opèrent un certain retour au saltationnisme. À partir de matériel fossile, ils établissent le modèle des équilibres ponctués. Dans des séries sédimentaires continues, les paléontologues peuvent observer des morphologies très stables sur des millions d’années, par exemple chez les brachiopodes jurassiques du genre Zeilleria ou chez certains trilobites du Dévonien. Ces périodes qualifiées de « stases » avaient jusque-là été plutôt occultées par les paléontologues de la théorie synthétique de l’évolution. Le nouveau modèle d’Eldredge et Gould va, lui, les prendre en compte. Ces stases sont interprétées comme la marque de périodes où une espèce en équilibre avec son environnement. Cet équilibre ne signifie toutefois pas l’absence d’évolution : le paléontologue ne voit que l’anatomie et la morphologie, qui ne sont contrôlées que par moins de 5% du génome) ; les 95 % restants peuvent donc continuer à évoluer sans que le paléontologue puisse le détecter. Ces stases sont entrecoupées – ponctuées – de brefs épisodes de spéciation, laquelle s’accomplit à partir d’une petite population marginale (spéciation péripatrique) qui, se détachant de sa population souche, va occuper un temps un nouvel environnement. La nouvelle espèce ayant prospéré dans son nouvel environnement, elle étend son territoire et remplace – éventuellement – la population souche de départ par compétition interspécifique. Ainsi explique-t-on pourquoi, dans une série sédimentaire continue, une espèce A, stable durant plusieurs millions d’années, se trouve brusquement supplantée par une espèce B qui lui est très apparentée. Attention, il convient d’être bien conscient que, la discontinuité n’apparaît qu’à l’échelle des temps géologiques : la spéciation n’est discontinue qu’en apparence, il ne s’agit pas d’une spéciation saltatoire du type de celle défendue par le mutationnisme de Hugo de Vries mais d’une spéciation tout à fait conforme aux modèles discutés au sein même de la théorie synthétique de l’évolution. Le modèle des équilibres ponctués suscite au départ de vives résistances de la part des paléontologistes conformistes, mais il finit par s’intégrer au sein de la théorie de l’évolution moderne. 30 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction 4. La critique de l’adaptationisme En 1979, dans un article qui est resté fameux, S. J. Gould et Richard Lewontin se livrent à une saine critique du programme adaptationniste de la théorie synthétique de l’évolution. De quoi s’agit-il ? Le XXe siècle fut relativement oublieux de la morphologie et de l’anatomie, et la théorie synthétique de l’évolution se préoccupa peu d’intégrer le savoir capital accumulé en la matière durant le siècle précédent. Celui-ci trouve son expression la plus aboutie dans des ouvrages comme Growth and Form (1917) de D’Arcy Wentworth Thompson (18601948) ou bien Form and Function (1916) de Edward Stuart Russell. La théorie synthétique finira ainsi par donner une toute puissance au gène et à sa sélection, les contraintes internes à l’organisme étant oubliées au profit d’une vision purement externaliste du changement organique où domine un déterminisme sélectif absolu. En d’autres termes, on passait directement du gène à l’écologie évolutive dans l’étude des populations naturelles, en oubliant de collecter des données sur la structure interne de l’organisme et son développement embryonnaire. Le déclin de la morphologie et de l’anatomie (Schmitt, 2006), disciplines essentielles pour comprendre l’organisme comme un tout intégré, conduisirent à une conception des adaptations dans laquelle l’organisme était atomisé et chaque « trait », interprété séparément des autres, recevait une explication adaptative spécifique ad hoc et souvent non testable. Autrement dit, en simplifiant quelque peu, chaque caractéristique morpho-anatomique d’un organisme était interprétée comme la conséquence d’une « adaptation à quelque chose » à un moment donné de l’histoire de la vie. Pour frapper les esprits sur ce dernier point, Gould et Lewontin font référence au Candide de Voltaire et qualifient de « panglossien » le programme adaptationniste. Il se trouve que S. J. Gould avait fait ses premières armes de jeune paléontologiste en travaillant avec les méthodes de la morphologie quantitative. Cette culture lui permet de mettre l’accent sur les « contraintes de construction » et l’héritage phylogénétique qui s’expriment lors du développement, lesquels produisent une canalisation de la variation effectivement réalisée chez les adultes. Cela ne s’oppose pas au principe de sélection naturelle, mais implique une vision plus subtile de celle-ci. L’interprétation d’un trait ne doit pas être nécessairement adaptative. Elle doit être effectuée en tenant compte de l’organisme dans sa globalité, tout en intégrant, en plus des aspects écologico-adaptatifs liés à la sélection naturelle, deux autres types de facteurs : la contrainte architecturale (aspects structuraux) et l’inertie phylogénétique (aspects historico-phylogénétiques) qui restreignent le champ des possibles. Gould et Lewontin préconisent ainsi la méthodologie du « triangle » que le paléontologiste allemand Adolf Seilacher avait publié avant eux en 1970 : structure, histoire et adaptation. Il s’agit d’un triangle causal stipulant que toute entité biologique est la résultante d’une causalité complexe intégrant les facteurs sélectifs (« adaptation »), architecturaux (« structure ») et phylogénétiques (« histoire »). Les facteurs architecturaux sont inhérents aux matériaux de construction des organismes et aux règles topologiques de leur croissance. L’accent est mis sur les propriétés biophysiques spontanées d’auto-organisation des matériaux biologiques sous faible contrôle génétique (de Ricqlès & Padian, 2009). Les facteurs phylogénétiques, quant à eux, relèvent davantage du principe selon lequel les organismes, lorsqu’ils s’adaptent, ne passent pas par une « remise à plat », mais gardent une certaine mémoire de leur trajet historique. Les exemples les plus parlants sont des structures héritées dont l’agencement ne nous apparaît parfois pas « optimal ». Par exemple, les nerfs phréniques contrôlant les mouvements de la respiration ne partent pas des vertèbres à la hauteur du diaphragme, mais partent de la base du crâne et traversent la cage thoracique pour rejoindre le diaphragme, trajet complexe causant parfois des irritations de ce nerf, ce qui donne notamment le hoquet. Ce trajet est un héritage qui remonte à l’origine des ostéichthyens, chez des ancêtres qui avaient les branchies situées non loin de la base du 31 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction crâne. Le hoquet, lui, est une inspiration brusque d’air tandis que se ferme l’épiglotte, languette cartilagineuse située à l’arrière de la gorge. Ce réflexe involontaire qui survient lorsque les nerfs phréniques sont froissés n’a aucune signification fonctionnelle pour un mammifère mais il est compris comme un héritage des ancêtres de tous les rhipidistiens : un têtard de grenouille qui utilise sa respiration branchiale aspire de l’eau dans sa bouche tandis que la glotte se ferme, ce qui évite à l’eau d’entrer dans ses poumons. A l’encontre du tout-adaptatif, chaque structure biologique devrait être étudiée à la lumière des trois facteurs et des méthodes statistiques de partition de la variance sont mobilisées pour faire la part de chacun dans l’explication de l’existence d’une structure. Les débats vont donc pousser les évolutionnistes à modifier leur façon de tester les adaptations organiques. 5. Le neutralisme Dans les années 1950 et 1960, la mise au point des techniques de séparation des protéines par électrophorèse a permis de mettre en évidence un formidable polymorphisme enzymatique au sein de l’espèce (également qualifié de polygénotypisme) : chaque enzyme peut se présenter sous de très nombreuses isoformes. En 1967, le généticien japonais Motoo Kimura (1924-1994) constate que ces isoformes ne sont ni plus ni moins avantageuses que celles qu’elles remplacent. Il propose alors que les modifications qui touchent les macromolécules au cours de l’évolution sont en majorité le résultat d’une dérive aléatoire de gènes mutants sélectivement neutres. « Sélectivement neutre » signifie que la fonction de la protéine codée n’est pas altérée. Il montre que ces gènes se fixent dans les populations (c’est-à-dire atteignent une fréquence de 100 %) de manière régulière : le temps entre deux fixations d’allèles au même locus ne dépend que du taux de mutation affectant le gène, lui-même reflet de ce qui est tolérable pour la fonction de la protéine codée (par ailleurs le temps pour qu’un allèle donné se fixe ne dépend que de l’effectif efficace de la population). Cela signifie que la vitesse d’évolution d’un gène ne dépend que des contraintes structurales et fonctionnelles de la protéine qu’il code (et non de l’effectif efficace de la population ou du temps de génération de l’organisme). Il en découle que la vitesse de changement mutationnel d’un gène est constante tant que la fonction de la protéine codée ne change pas significativement. C’est le modèle de l’horloge moléculaire. Corollaire de cette hypothèse : si une protéine (par exemple une hémoglobine) a globalement la même structure et la même fonction d’une lignée à l’autre (par exemple l’hémoglobine d’une carpe, d’un coq ou d’une souris), alors sa vitesse d’évolution est la même dans toute ces lignées. Cela peut sembler surprenant pour des biologistes accoutumés à une extrême irrégularité du changement morphologique, mais il faut garder en tête que la morphologie n’est contrôlée que par une fraction infime du génome et résulte de plus pour une part importante de phénomènes épigénétiques. Ce travail, fondé à la fois mathématiquement et empiriquement, a réduit – affiné, devrait-on dire – la portée d’action de la sélection naturelle au niveau des séquences génétiques : l’évolution de ces séquences est, pour une grande part, neutre d’un point de vue sélectif c’est-à-dire échappe à la sélection naturelle. Pour autant, ce neutralisme n’a en aucun cas invalidé le principe même de la sélection naturelle. Sur des portions clés pour la fonction des protéines (site actif, zones déterminantes pour la conformation tridimensionnelle, etc.), cette dernière reste déterminante. Simplement, plus on s’éloigne de ces portions, plus il reste de possibilités de fixer des mutations aléatoirement. Les travaux et le raisonnement de M. Kimura trouvent leur source dans une vision fondamentalement darwinienne de l’évolution. Aussi, contrairement à ce qu’écrivent certains, le « neutralisme », pas plus que le modèle des équilibres ponctués d’ailleurs, n’ont constitué des « théories de l’évolution » de remplacement. Ils ont en revanche 32 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction contribué à affiner la théorie synthétique de l’évolution. Citons Jean Gayon (1992) : « La leçon darwinienne de Kimura […] est qu’il n’y a aucune nécessité à ce que la sélection naturelle contrôle les gènes jusque dans le détail de tous leurs éléments […]. Les gènes changent beaucoup dans leur séquence élémentaire et la sélection n’en voit pas grandchose. Ce que voit la sélection, c’est la forme et la fonction, c’est l’interaction du gène et de la protéine avec d’autres gènes et protéines. Ceci nous ramène à une philosophie biologique très proche de celle de Darwin, à l’échelle d’observation près. » 6. Débats sur le niveau de sélection Durant la période 1970-2000, les débats concernant les niveaux de sélection amorcés au début des années 1960 se sont poursuivis. La théorie classique voyait en l’organisme ou l’individu l’unité sélective. Ce « monopole » de l’individu fut déjà ébranlé avec la sélection de groupe et la sélection de parentèle (voir plus haut). L’idée de « gène égoïste », émise par Richard Dawkins en 1976, part de cette idée centrale que seule l’information génétique est la cible de la sélection naturelle, le reste n’étant que véhicule, et donc que les individus ne sont que des artifices en quelque sorte inventés par les gènes pour les reproduire. En 1980, Leslie Orgel (19272007) et Francis Crick (1916-2004) vont plus loin et parlent d’« ADN égoïste » pour qualifier les séquences d’ADN répétées non codantes qui envahissent le génome « pour leur compte propre », c’est-à-dire en diminuant théoriquement l’adaptabilité du porteur. Si l’individu n’était « plus maître chez lui », c’est toute la biologie qui fut alors revisitée, des gènes jusqu’aux comportements des populations en passant par les processus de reproduction, de vieillissement, de mort, et même certaines pathologies. Mais le débat s’envenima avec la sociobiologie d’Edward O. Wilson. Parti des travaux de Hamilton et de Wynne-Edwards, Wilson interprète les comportements sociaux des insectes via une sélection naturelle centrée sur le gène, en termes de bénéfices et de coût en valeur adaptative (c’est-à-dire le nombre de copies du gène léguées à la génération suivante). Il étend ses modèles d’interprétation sélective des comportements sociaux (altruisme, parasitisme, investissement parental, agression, rivalité entre les sexes, infanticides, etc.) à d’autres sociétés animales et aux sociétés humaines. Dans ce dernier cas, un déterminisme génétique est pensé comme théoriquement nécessaire –voire suffisant- à l’explication de comportements humains comme la guerre, l’adultère, la protection des enfants par les femmes, etc. Un mélange de déterminisme génétique trop strict, de simplifications abusives du côté de Wilson et sans doute de considérations morales (voire idéologiques et politiques) déplacées autant chez les promoteurs que chez les détracteurs de la sociobiologie de la première période ont transformé la réception de la sociobiologie en polémique. Mais il est évident aujourd’hui que les simplifications extrêmes d’un réductionnisme génétique abusif et d’un déterminisme génétique trop strict ayant été depuis identifiées et critiquées, une sociobiologie telle qu’elle était formulée en 1975 n’est plus recevable trente ans après. Le « génocentrisme » des années 1970 et 1980 a laissé place à une vision plus intégrée prenant davantage en compte les facteurs environnementaux et épigénétiques (Lewontin, 2003). Concernant les applications de la « sociobiologie » aux société humaines, il n’est pas utile d’avoir à détailler la part respective de ces trois classes de facteurs (génétiques, épigénétiques et environnementaux) pour rendre compte globalement du fait que l’entraide, la compassion et les soins apportés aux plus faibles puissent avoir été sélectionnés parce qu’ils permettaient aux populations qui les pratiquaient de mieux faire face collectivement aux aléas de l’environnement, tout en s’opposant aux comportements attendus d’une compétition inter-individuelle et donc d’une sélection à cette échelle. Ainsi, comme l’a souligné Patrick Tort dès 1983, la sélection naturelle peut engendrer à l’échelle sociale des comportements contraires à une compétition et à une sélection interindividuelles, fournissant ainsi par un retour à Darwin lui-même (« la filiation de l’Homme », 1871), une origine naturelle de la morale. 33 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction La sélection naturelle s’applique aux individus, tandis que ses résultats se mesurent à l’échelle populationnelle. Une structure donnée conférant à son porteur un avantage reproductif peut être partagée par un grand nombre d’organismes et conférer un avantage sur de très longues périodes de temps. Ainsi, des clades entiers qui ont été définis par nous par la possession d’une telle structure semblent faire l’objet d’une sélection. Par exemple, l’apparition de la mâchoire chez les vertébrés durant le Silurien est considérée comme une « innovation clé » par beaucoup d’anatomistes. On interprète comme étant l’une de ses conséquences la radiation évolutive des gnathostomes : à la limite siluro-dévonienne se développent brusquement dans le registre fossile les acanthodiens, les chondrichthyens, les placodermes, les actinoptérygiens et les sarcoptérygiens, radiation confirmée par les horloges moléculaires concernant les groupes encore actuels. On parlera de sélection de clade (ici les gnathostomes) mais ce n’est pas le groupe monophylétique qui est sélectionné (les groupes, c’est nous qui les créons), c’est la structure portée par les espèces constituant le groupe, structure conférant l’avantage en même temps qu’elle définit le clade en tant que synapomorphie. 7. Le XXIème siècle : vers un darwinisme intégral en biologie ? Le XXIe siècle débute avec une théorie de l’évolution qui est toujours darwinienne et plus sereine qu’elle le l’a été dans les années 1970 et 1980. Cependant, toute la biologie n’est pas encore darwinienne et de ce point de vue, le XXIe siècle pourrait voir des remaniements théoriques profonds, notamment dans le champ de la génétique moléculaire, de la biologie cellulaire et de la biochimie. 1. L’essentialisme larvé de la génétique moléculaire, de la biologie cellulaire et de la biochimie Depuis la découverte de la structure biochimique de l’ADN en 1953, ces disciplines se sont développées sur des schémas de pensée non darwiniens, et ce pour deux raisons : leurs progrès ont été stimulés par une puissante recherche biomédicale où l’on étudie les processus du vivant dans le temps présent ; leurs objets d’étude sont si petits que les variations qui les affectent sont restées longtemps indétectables, et lorsque l’on pouvait les détecter, le résultat souvent considéré d’emblée comme non signifiant, en raison d’un essentialisme larvé qui s’appliquait aux gènes, aux protéines, aux cellules. Cette variation là fut donc occultée. Mais le vivant est altéré en permanence à tous ses niveaux d’intégration : comment peut-on fonder une biologie si, dans ses fondements moléculaires on ne laisse pas de place à la variation ? Un naturaliste contemporain ne peut s’empêcher de penser au chassé-croisé qu’ont fait les sciences naturelles et la génétique moléculaire au XXe siècle. Pendant que la seconde prospérait sur un plateau technologique productif qu’animait une philosophie essentialiste, la première survivait avec peu de moyens mais achevait en même temps sa maturité philosophique et méthodologique. Malgré des succès technologiques spectaculaires, la génétique moléculaire est restée, nous allons le voir, figée dans la préhistoire des idées, à Platon et à Aristote. Avec Darwin, les sciences naturelles ont quitté l’idéalisme de Platon, l’essentialisme de Linné et la téléologie cosmique de Kant. Comment est-il possible que la biologie soit à ce point méthodologiquement hétérogène, à notre époque où les sciences naturelles évolutionnistes vivent émancipées de l’idéalisme platonicien ? En fait, la génétique, la biologie moléculaire et cellulaire, et dans une certaine mesure la biochimie, bien qu’étant nées après Darwin, ne s’en sont toujours pas inspirées. Pour expliquer cela, on peut faire un parallèle entre la génétique d’aujourd’hui et les sciences naturelles d’avant Darwin, entre l’essentialisme de l’ancienne conception linnéenne de l’espèce et celui qui émane de la façon dont nous nommons et appréhendons aujourd’hui expérimentalement les gènes, les protéines, les types cellulaires. Avant Darwin, la Nature est œuvre d’un créateur dont les créatures se manifestent invariablement devant nous. L’idée de chat préexiste aux chats réels, elle est 34 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction l’intention du créateur. Un chat ne peut être que chat, c’est tout ou rien. Toute variation autour du thème chat est tenue pour négligeable, « un caprice divin ». Le chat est défini a priori : les individus réunis sous ce nom ne sont pas considérés pour eux-mêmes, mais comme porteurs d’un absolu, de quelque chose d’universel qui tient du chat : son essence. Le génie de Darwin est d’avoir rejeté l’absolu, l’universel dans les êtres, tout en gardant cette universalité dans les lois de la Nature, comme il est nécessaire en toute science. Son génie est d’avoir d’abord porté son attention sur la variation des individus. Le chat n’est pas fixe, il y a des chats divers. Allons plus loin : dans la nature il n’y a que des individus dont la moyenne nous donne une certaine idée du chat. Mais cette idée est extérieure au chat et n’influe ni sur son histoire, ni sur son devenir. Elle ne sert qu’à créer un mot utile pour désigner cette moyenne. C’est le nominalisme. Dans la définition des êtres vivants, point d’absolu. Cependant, si la génétique des populations est née au sein du darwinisme, la génétique moléculaire y est restée étrangère et continue de croire aux essences. Lorsque la génétique moléculaire parle d’une enzyme comme la pyruvate-déshydrogénase, il s’agit d’une entité idéale qui occulte les variations protéiques individuelles. L’entité idéale « pyruvate-déshydrogénase » transcende la réalité protéique. L’opéron lactose des années 1960, avec son fonctionnement déterministe et mécaniste, ne s’occupe absolument pas de la variation qui pourrait affecter chacun de ses composants. Enfin, jusqu’à la fin des années 1970, on a cru que si le chat était chat, c’est parce qu’un « programme » génétique le contrôlait et fixait une fois pour toutes le trajet des événements qui vont du génome à sa manifestation physique en trois dimensions, le chat La génétique ne pense pas les interactions des entités qu’elle étudie (gènes, protéines enzymatiques ou régulatrices, types de cellules) en termes de variation de celles-ci et de sélection : les objets sont définis a priori et les variations individuelles des entités matérielles désignées sont négligées, tout comme avant Darwin concernant l’espèce. Les cellules d’un même type cellulaire ou les enzymes ayant même spécificité pour un substrat sont présumées identiques. Tous les hépatocytes au fond d’une boîte de Petri sont pensées comme agissant selon un standard unique « hépatocyte ». Toute pyruvatedéshydrogénase dans un tube à essais est une pyruvate déshydrogénase. Aucune variation des propriétés d’une protéine à l’autre n’est envisagée. Et pourtant, si on l’étudiait ? 2. Prendre en compte la variabilité individuelle des gènes, des protéines, des cellules Intégrer le darwinisme aux échelles cellulaires, moléculaires et génétiques est le véritable défi de la biologie de ce XXIe siècle naissant. En pensant les cellules, les gènes, les enzymes, en termes populationnels, on se donne les moyens de s’apercevoir que des cellules présumées identiques ne font pas toutes exactement la même chose. Il existe encore une variation somatique cachée, inexplorée qui promet de belles découvertes pour demain. Déjà les modèles et les expériences d’une génétique réellement darwinienne fleurissent : populations de gènes jadis présumés identiques, populations d’enzymes jadis présumées identiques, populations de cellules, toutes ces populations ont un comportement stochastique, c’est-à-dire que leur action n’est plus en « tout ou rien »… pour peu qu’on se donne la peine d’aller y voir, plutôt que de rejeter les extrémités des courbes de Gauss. La variation contenue dans ces populations fait l’objet d’une sélection naturelle via les conditions locales et les messages chimiques du moment. Si le chat fait des chats, ce n’est pas tant que le chat est programmé, mais surtout qu’un phénomène stochastique impliquant des myriades d’acteurs individuels, chacun avec sa petite liberté d’action, manifeste une moyenne et une variance reproductibles. Permettons-nous ici une analogie, celle d’une expérience de chimie : en mélangeant tant de grammes du produit X et tant de grammes du produit Y, dans certaines conditions, on obtient une réaction chimique qui conduit à tant de grammes de produit final. Pour 35 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction expliquer pourquoi on obtient cette quantité de produit final, on n’a pas besoin de décrire la trajectoire de chaque molécule dans le mouvement brownien et, surtout, on n’a pas besoin de penser que celles-ci sont « programmées ». Pourtant, l’expérience est reproductible : on obtiendra toujours la même masse de produit final à Amsterdam ou à Quimper. La génétique du XXIe siècle pourrait bien avoir à renoncer à la notion de « programme », soupçonné de s’enraciner dans un préformationnisme du début du XVIIIe siècle. C’est cette toute cette variation cachée qui fait l’objet d’une sélection naturelle simultanément à tous les niveaux d’intégration – à l’échelle des interactions génétiques, cellulaires, en fonction des conditions locales de la cellule et au delà – et qui donne l’illusion d’un programme par la seule reproductibilité d’un phénomène complexe où les individus qui s’éloignent trop de la moyenne ne peuvent survivre. C’est le darwinisme à toutes les échelles, cellulaire et moléculaire. Des alternatives à cette notion de programme sont déjà disponibles, notamment des modèles stochastiques d’expression génétique, de nouveaux modèles darwiniens d’interactions entre cellules, entre génotype et phénotype, qui redonnent toute son importance au phénotype et à sa liberté d’action, dégagée du diktat préformationniste du « programme ». En incorporant les fondements du darwinisme – la sélection naturelle – dans les raisonnements de la génétique moléculaire, à l’échelle des interactions cellulaires, génétiques, et enzymatiques, notre compréhension des mécanismes du cancer, du contrôle du développement embryonnaire peut encore faire des bonds spectaculaires (voir Kupiec, 2009). 8. Anthropologie darwinienne Quoi qu’il en soit, Darwin, ce n’est pas seulement L’origine des espèces. Dans le domaine de la biologie évolutive, il publie en 1871 The descent of Man, and Selection in relation to Sex, un ouvrage dont la portée sera au moins aussi importante que L’origine des espèces, où il étend de façon explicite le transformisme à l’espèce humaine (Darwin, 1999). Il y affirme d’une part que l’espèce humaine s’enracine généalogiquement parmi les singes catarhiniens et, d’autre part, que la sélection naturelle ne sélectionne pas seulement les variations organiques avantageuses, mais aussi les instincts. Cela explique l’émergence d’instincts sociaux, de comportements d’entre-aide et de sentiments de compassion. L’avantage sélectif n’est plus biologique, mais social, et cette anthropologie darwinienne permet alors de repenser le rapport entre nature et civilisation. On voit donc bien que Darwin est aux antipodes du « darwinisme social », l’un des détournements les plus connus de son concept de sélection naturelle. Darwin est également un naturaliste qui laisse derrière lui une vaste œuvre comprenant notamment six grands ouvrages monographiques de botanique, des écrits sur les vers de terre, une monographie remarquée sur les crustacés cirripèdes, un ouvrage sur les expressions animales et humaines, etc. 9. Que reste-t-il de Darwin ? Que reste-t-il de la formulation initiale de la théorie de l’évolution, celle que Darwin a sans cesse peaufiné entre 1859 et sa mort en 1882 ? Prenons deux avis quelque peu contrastés. Le biologiste E. Mayr (2004) conclut à la pérennité des idées fondamentales de Darwin : « Si l’on examine toutes les modifications effectuées dans les théories darwiniennes entre 1859 et 2004, on s’aperçoit qu’aucun de ces changements n’affecte la structure de base du paradigme darwinien. ». S. J. Gould (2002) offre, lui, un avis convergent mais moins tranché sur la question… qui n’est peut-être pas sans rapport avec une magnification du rôle qu’il a lui-même joué 36 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction dans le champ de la biologie évolutive durant les trente dernières années du XXe siècle : « Je suis réellement persuadé que la charpente darwinienne fondamentale, et pas seulement les fondations, persiste dans la structure de la théorie de l’évolution plus adéquate qui est en train d’apparaître aujourd’hui. Mais je soutiens aussi […] que des changements importants, introduits durant la seconde moitié du XXe siècle, ont donné une structure tellement développée par rapport au noyau darwinien originel, et tellement élargie par la prise en compte de nouveaux principes explicatifs macroévolutionnistes, que la théorie actuelle dans sa totalité, tout en restant dans le domaine de la logique darwinienne, doit être considérée comme fondamentalement différente de la théorie darwinienne classique, et non simplement comme un agrandissement homothétique de cette dernière. » 37 Science Animation - dossier de presse - « Evoluer ? » une expérience de Science et de Fiction