ment, il existe des difficultés de compréhension du
langage oral et le discours est non fluent, avec de
nombreux manques du mot, des paraphasies phoné-
miques, sémantiques et verbales. Le langage écrit est
aussi altéré par un agrammatisme et des erreurs pho-
nologiques. La mémoire est globalement atteinte au
niveau de l’encodage et de la récupération. L’attention
est très perturbée. Il existe une apraxie motrice et idéo-
motrice. Au niveau des fonctions exécutives, on
observe des difficultés d’abstraction, d’inhibition, de
programmation motrice et d’initiation. Tout cela s’ins-
crit dans un possible registre de syndrome frontal, avec
des troubles de la flexibilité mentale, de nombreuses
persévérations et une tendance au mimétisme.
Outre l’atteinte cognitive, la part comportementale
est également notable, avec repli sur soi, aboulie et
apathie. Peu exprimée par le patient, cette symptoma-
tologie est difficilement subie par l’entourage.
Un bilan orthophonique met en évidence de nom-
breux troubles du langage oral et écrit : l’expression
orale est peu fluente, le manque du mot massif, de
nombreuses paraphasies de toutes catégories sont
présentes et la compréhension est sévèrement atteinte.
À l’écrit, des difficultés de lecture, d’écriture, de calcul
et de compréhension sont observées. Quelques séan-
ces de rééducation ont été entreprises, puis rapide-
ment arrêtées devant l’importance des difficultés et le
caractère aspécifique de l’offre.
L’IRM encéphalique montrait une atrophie cortico-
sous-corticale modérée sans atteinte lobaire particu-
lière ni séquelles vasculaires notables.
Après six mois d’évolution, le score au MMSE était
de 15/30. On notait une progression de l’apathie, de
l’aboulie et du repli sur soi. L’humeur était considérée
comme stable, intermédiaire, et le restera sur toute la
suite de l’observation. Les caractéristiques de l’atteinte
cognitive n’ont pas changé, le trouble langagier
demeure au premier plan, l’apathie progresse et la
conduite automobile a été abandonnée. Le syndrome
frontal est globalement plus marqué avec des éléments
comportementaux : hyperphagie, persévérations enva-
hissantes, apathie marquée... et émergence d’épisodes
d’irritabilité et d’agressivité verbale.
L’évolution au bout d’un an a encore montré une
progression des troubles cognitifs (mémoire, lan-
gage...). Le MMSE était à 6/30, et le score à l’inventaire
d’apathie de 30/36, sans élément dépressif marqué. Le
patient a intégré temporairement un établissement
d’hébergement pour personnes âgées. Dans l’établis-
sement où il réside, le traitement a été majoré avec
introduction de Risperdal
®
2 mg/j. L’Anafranil
®
a été
remplacé par du Tofranil
®
. Le contact verbal demeure
possible, et le malade n’exprime ni plainte cognitive ni
thymique, mais une fatigue massive et le désir de vivre
chez lui, ce qui sera le seul sujet d’échange.
Ce tableau est donc celui d’une atteinte cognitive
globale, modérément évoluée au moment de la ren-
contre, avec une atteinte des fonctions instrumentales
(prédominant sur le langage et une atteinte mnésique
qui n’apparaît pas typiquement d’allure hippocampi-
que), une atteinte des fonctions exécutives et un syn-
drome frontal. Le diagnostic de syndrome démentiel
pose peu de questions, mais son origine est incertaine.
L’évolution apparaît rapide (perte de 4 points au MMSE
sur les 6 premiers mois et de 13 points en 18 mois),
même si la plainte est ancienne et l’évolution longue à
relativement bas bruit. Ce malade n’a été examiné qu’à
un stade évolué et les troubles dont il se plaignait n’ont
été reconnus que lorsqu’ils sont devenus massifs
(6 ans après la verbalisation des premières plaintes
cognitives). La rapidité de l’évolution peut être en par-
tie expliquée par l’adjonction d’effets indésirables
médicamenteux au trouble cognitif. Si le profil évolutif
de maladie démentielle est déjà peu simple à préciser
dans un cadre bien défini comme celui de la maladie
d’Alzheimer, rien n’est retrouvé dans la littérature
concernant les troubles cognitifs associés à une mala-
die bipolaire.
À côté de l’atteinte cognitive, la symptomatologie
comportementale était importante. L’émoussement
émotionnel, la perte d’initiative et la perte d’intérêt (les
3 axes de l’inventaire d’apathie [29]) étaient largement
présents. Il est important de ne pas confondre cette
symptomatologie avec des items dépressifs [29]. Il est
aussi utile de s’interroger sur le rôle des médicaments
employés (antipsychotiques, sédatifs...) dans la genèse
de l’apathie. Ce sont ces troubles qui ont progressé,
apparaissant comme les éléments critiques pour l’équi-
libre familial et conditionnant les limites du maintien à
domicile de ce patient.
Le tableau n’est pas celui d’une maladie d’Alzhei-
mer habituelle. L’âge, l’évolution, le contexte et l’IRM
semblent pouvoir écarter l’hypothèse d’une dégéné-
rescence lobaire fronto-temporale ou d’une dégénéres-
cence lobaire spécifique. La comorbidité psychiatrique
amène à s’interroger sur la filiation possible entre trou-
bles thymiques, traitements psychotropes au long
cours et le tableau démentiel secondaire. La rapidité
relative de l’évolution récente fait suspecter une part
iatrogène surajoutée, entre les neuroleptiques, les anti-
dépresseurs tricycliques (par leurs effets anticholiner-
giques) et les sédatifs multiples. Avec le recul et l’évo-
Troubles bipolaires et démence
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 1, mars 2007 27
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