Troubles bipolaires et démence : association fortuite ou filiation ? À

Synthèse
Troubles bipolaires et démence :
association fortuite ou filiation ?
À propos d’un cas et revue de la littérature
Bipolar disorders and dementia:
fortuitous association or filiation?
A case-report and review of the literature
PASCAL MENECIER
1
OLIVIER ROUAUD
2
CÉLINE AREZES
1
DANY NASR
3
LAURE MENECIER-OSSIA
4
AMÉLIE CHARVET-BLANC
5
LOUIS PLOTON
6
1
Consultation mémoire
du mâconnais, RDAS, Mâcon
2
CMRR de Dijon,
Hôpital général de Dijon
3
Service de chirurgie,
Centre hospitalier de Mâcon
4
Service de gériatrie,
Hôpital Bouchacourt,
Saint Laurent-sur-Saône
5
Cabinet d’orthophonie,
Mâcon
6
Laboratoire
“Psychologie de la santé
et du développement”
(EA 3729),
Institut de psychologie,
Université Lyon-2
Tirésàpart:
P. Menecier
Résumé. La prévalence des troubles bipolaires est d’environ 4 %. Parmi les malades,
l’émergence de troubles cognitifs a été identifiée. Ces troubles peuvent parfois constituer
d’authentiques syndromes démentiels. Les caractéristiques neuropsychologiques de ces
atteintes comprennent des troubles de l’attention soutenue, des fonctions exécutives, de la
mémoire et du langage. Cet ensemble d’atteintes cognitives aboutit à un tableau de
démence sous-cortico-frontale. Divers liens neuroanatomiques ont été présupposés.
L’hypothèse étiopathogénique prépondérante retiendrait une toxicité neurologique cumu-
lative des épisodes thymiques (dépressifs ou maniaques). Le rôle des traitements
psychoactifs doit être pris en compte. Les effets cognitifs secondaires des traitements
psychotropes habituellement utilisés dans cette maladie (lithium, anticonvulsivants, anti-
dépresseurs, antipsychotiques ou tranquillisants) sont proches des atteintes observées
dans le cadre de troubles bipolaires eux-mêmes. La distinction entre troubles cognitifs liés à
la pathologie et atteintes secondaires aux thérapeutiques est difficile. L’utilisation optimale
de ces classes thérapeutiques, préférant les molécules de seconde génération et évitant les
produits à effet anticholinergique, constitue un mode d’intervention primordial. Il n’existe
pas d’offre thérapeutique pharmacologique précise pour ces syndromes démentiels spéci-
fiques. Cependant, la place d’approches psychologiques est une des offres de soin à
explorer et valider. La prévention des effets iatrogènes des médicaments constitue, à ce
jour, l’intervention essentielle.
Mots clés : troubles bipolaires, troubles cognitifs, démence, iatrogénie, apathie,
comorbidité
Abstract. The prevalence of bipolar disorders is about 4% of the population. Among the
patients the emergence of cognitive disorders has been identified. These disorders can
sometimes result in authentic dementia-like syndromes. The neuropsychological characte-
ristics of the cognitive impairment include disorders of the steady attention, executive
functions, memory and language. This group of cognitive disorders leads to a subcorti-
cofrontal syndrome. Different neuroanatomical bases have been suggested. The most
common etiopathogenic hypothesis retains a cumulative neurological toxicity of the thymic
episodes (depression or mania). The role of psychoactive treatments must be taken into
account. The secondary cognitive effects of psychoactive drugs usually used in bipolar
disorder (lithium, antiepileptics, antidepressants, antipsychotics or tranquillizers) are simi-
lar to the cognitive impairment associated with the disease. Differentiation between cogni-
tive disorders related to the pathology and those related to its treatment is difficult. The
optimal use of the therapeutic drug classes, preferring antipsychotics of second generation
and avoiding products with anticholinergic effect, is essential. There is no specific pharma-
cological treatment for this dementia syndrome. Psychological approaches offer an alterna-
tive way of care, which remains to be investigated and validated. Prevention of iatrogenic
effects of drugs constitutes, presently, the main therapeutic intervention.
Key words:bipolar disorders, cognitive disorders, dementia, iatrogenic effects, apathy,
comorbidity
Psychol NeuroPsychiatr Vieil 2007;5(1):23-34
doi: 10.1684/pnv.2007.0035
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 1, mars 2007 23
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L’ émergence de troubles cognitifs est fré-
quente dans l’évolution au long cours d’une
pathologie psychiatrique [1, 2]. Classique
dans les troubles schizophréniques, cette notion a été
plus récemment reconnue dans le cas précis de trou-
bles bipolaires [3]. La question de la nature du lien
entre trouble psychiatrique et apparition d’une atteinte
cognitive voire d’un tableau démentiel se pose. S’agit-il
d’une association fortuite ou d’une filiation ? Si cette
seconde hypothèse est retenue, le trouble cognitif est-il
consécutif à la pathologie elle-même ou à d’autres cau-
ses, parmi lesquelles la place des traitements psycho-
tropes employés est importante à considérer ? Enfin, si
certaines pathologies dysthymiques peuvent évoluer
vers d’authentiques tableaux démentiels, peut-on
ralentir ou éviter cette évolution, prévenir la démence ?
À moins que la constatation de ces deux tableaux asso-
ciés ne relève que de la coïncidence de deux affections
qui sont loin d’être rares ?
Historique
Le terme de démence vésanique a commencé à être
utilisé après les années 1840 pour se référer à des états
de désorganisation cognitive suivant la folie (démen-
ces causées par une psychose fonctionnelle). La
démence vésanique était un stade terminal de la manie
ou de la mélancolie [4]. Historiquement, de nombreux
glissements sémantiques rendent complexe la compré-
hension des termes. Le nom de manie signifiait agita-
tion sans fièvre pour Hippocrate, puis a recouvert une
large part de la nosographie psychiatrique actuelle
jusqu’au XIX
e
siècle (Pinel, Esquirol), avant de se recen-
trer sur la notion contemporaine de variation de
l’humeur vers le haut. De même, le terme de démence
précoce (Kraepelin) correspond à l’ancienne appella-
tion de la schizophrénie.
La dénomination de démence vésanique a été rem-
placée par le terme de pseudo-démence vers 1900
(démences qui tôt ou tard guérissaient [4]). La notion
de pseudo-démence a perduré [5], dont la pseudo-
démence dépressive, et doit être différenciée des
démences curables. Cette catégorisation est discutée.
La notion de démence vésanique demeure parfois pour
désigner une atteinte cognitive tardive survenant au
cours d’une pathologie psychiatrique chronicisée,
comme la schizophrénie ou d’autres troubles psychoti-
ques ou, plus rarement, un trouble de l’humeur. Initia-
lement, dans la description de la psychose maniaco-
dépressive par Kraepelin (1899), la possibilité d’une
évolution péjorative possible n’était pas reconnue en
dehors de la récidive des épisodes [6].
Épidémiologie
L’épidémiologie des troubles de l’humeur est diffi-
cile à préciser du fait de la variabilité de leur classifica-
tion. Cependant, la prévalence des troubles bipolaires
se situerait entre 1 % et 5 % tous âges confondus [7, 8],
et à 3,7 % pour les troubles bipolaires de type I et II
[8, 9]. Avec l’avancée en âge, leur incidence diminuerait
[10] ou n’apparaîtrait diminuer que par méconnais-
sance [11]. Après 65 ans, la prévalence varierait de 0,1
à 19 % [11]. De diagnostic parfois difficile, les troubles
bipolaires peuvent apparaître tardivement dans la vie
et débuter, deux fois sur trois, par un épisode dépressif.
Dans les cas restants, le début est marqué par un épi-
sode maniaque ou, plus rarement, un épisode mixte,
de diagnostic malaisé [11].
La possibilité d’une atteinte cognitive est
aujourd’hui reconnue au cours de l’évolution d’une
maladie bipolaire. Elle persisterait une fois sur trois
[12] en dehors des périodes dysthymiques [3, 9, 13-15],
de manière constante et significative [16], et même
après de longues périodes normothymiques [17].
L’atteinte cognitive, lorsqu’elle existe, serait moins fré-
quente [1], moins importante [9] et les rémissions
cognitives meilleures [16] dans les troubles bipolaires
que dans la schizophrénie. Concernant les seuls trou-
bles thymiques, une revue de la littérature des vingt
dernières années n’a pas montré de différence majeure
entre l’évolution cognitive des troubles bipolaires ou
unipolaires [18].
La probabilité de développer une démence associée
à un trouble bipolaire est indépendante de l’usage ou
de l’abus d’alcool ou de drogues [19-21]. Cette préci-
sion est importante en regard du sur-risque de déve-
lopper des conduites addictives aux médicaments chez
ces patients et des atteintes cognitives possibles en
lien avec un alcoolisme [20]. De même, le risque
d’atteinte cognitive n’est pas lié au génotype de l’apoli-
poprotéine E [22].
Des troubles cognitifs persistants, évoluant comme
une démence, seraient plus fréquents chez des sujets
âgés [3, 9, 23, 24], bien que cette notion ait aussi été
controversée [25]. Ils seraient d’autant plus présents
que la maladie maniaco-dépressive a eu un début pré-
coce dans la vie du sujet et une évolution sévère [9].
Objectifs de notre travail
Définir une atteinte cognitive ou un syndrome
démentiel pose peu de problèmes. À l’inverse, délimi-
ter le champ psychiatrique de ce travail est plus com-
plexe. Nous avons écarté d’emblée les troubles psy-
P. Menecier, et al.
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 1, mars 200724
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chotiques, schizophréniques ou non (selon le DSM-IV),
dans lesquels l’atteinte cognitive fait partie des critères
diagnostiques. Notre propos ne concerne que l’ensem-
ble des troubles de l’humeur, au premier rang desquels
les troubles bipolaires et les troubles dysthymiques
(DSM-IV). Dans ce sous-groupe, nous n’avons pas
considéré les conséquences cognitives de la dépres-
sion [26] ou d’un épisode maniaque (sujet déjà large-
ment abordé dans la littérature) [27], mais l’existence
de troubles cognitifs qui persistent en dehors des épi-
sodes de troubles thymiques [12], indépendants de
l’humeur et pouvant amener à discuter d’une évolution
vers un syndrome démentiel. Par ailleurs, les référen-
tiels nosographiques sont variables selon les écoles et
les époques, allant de la notion de psychose maniaco-
dépressive (Kraeplin 1921, par opposition à la schi-
zophrénie « démence précoce ») puis de maladie
maniaco-dépressive, aux classifications des troubles
bipolaires en deux types principaux selon le DSM-IV ou
beaucoup plus [8] (tableau 1). La complexité et l’évolu-
tivité des classifications suggèrent l’absence de réfé-
rentiel reconnu et constituent un obstacle à une ana-
lyse de la littérature qui recouvre sous les mêmes
terminologies des tableaux parfois différents.
La difficulté à différencier une atteinte cognitive
autonome des effets pharmacologiques des divers trai-
tements psychotropes (antidépresseurs, stabilisateurs
de l’humeur ou neuroleptiques) est soulignée par diffé-
rents auteurs [14, 15, 25, 28], d’autant que les profils
cognitifs sont souvent proches. Les troubles cognitifs
décrits ne semblent cependant pas devoir être seule-
ment reliés aux traitements [15, 25].
Il importe de considérer les troubles cognitifs isolés
qui peuvent être recherchés, repérés ou décrits par les
malades, et de les différencier de syndromes démen-
tiels définis. La littérature est parfois peu claire sur
cette distinction et ne considère que la description
d’atteintes cognitives associées aux troubles bipolai-
res, sans les quantifier. Très rares sont les textes allant
jusqu’à les relier à d’authentiques syndromes démen-
tiels.
À partir d’une observation clinique, nous allons
envisager les données de la littérature qui se rappor-
tent aux atteintes cognitives et aux tableaux démen-
tiels associés à la maladie bipolaire.
L’observation
Un homme de 77 ans est examiné pour la première
fois en consultation mémoire en mars 2005. Il est
adressé par son psychiatre traitant pour « manque du
mot, usage fréquent de périphrases » qui font craindre
une maladie d’Alzheimer. Droitier, il a un niveau de
scolarité secondaire et, par formation professionnelle,
il a obtenu un poste directorial dans une entreprise de
moyenne importance (niveau socioculturel 5 selon
l’échelle de Barbizet). Retraité depuis 12 ans, il a peu
d’activités régulières : promenades, amis, parfois
Tableau 1.Classification des troubles bipolaires. D’après [8].
Table 1. Classification of bipolar disorders according to [8].
Trouble bipolaire
de type I Affection chronique de l’humeur
avec succession d’états thymiques
vers le pôle positif (manie) et
vers le pôle négatif (dépression).
Au moins un épisode maniaque
franc dans l’évolution
Trouble bipolaire
de type II Forme clinique essentiellement
constituée d’épisodes dépressifs et
d’épisodes hypomaniaques séparés
par un intervalle de temps libre
Trouble bipolaire
de type III Récurrence de dépressions majeures
(pseudo-unipolaires) et manies ou
hypomanies induites par
des traitements à visée
antidépressive
IIIa : dépression caractérisée
et antécédents familiaux
de troubles bipolaires
IIIb : dépression caractérisée
et accès maniaques ou
hypomaniaques induits
par un médicament
Trouble bipolaire
de type IV Personnalité cyclothymique,
jamais intense
Trouble bipolaire
de type V Histoire familiale sans symptômes
personnels significatifs
Trouble bipolaire
de type VI Manie unipolaire
Troubles dysthymiques
Troubles cyclothymiques Formes cliniques atténuées
d’un trouble dépressif pseudo-
unipolaire (dysthymie) ou trouble
bipolaire de type II (cyclothymie) :
(« personnalité cyclothymique »)
États mixtes Coexistence de critères d’épisode
maniaque et d’épisode dépressif
majeur (DSM-IV), tous les jours
pendant au moins une semaine
Cycles rapides Forme de trouble bipolaire I ou II
avec nombre d’accès annuels
supérieur ou égalà4(peutêtre
induit par les antidépresseurs
tricycliques)
Troubles de l’humeur
à caractère saisonnier Modalité évolutive des troubles
bipolaires I et II
Troubles thymiques
brefs récurrents Dépressions ou manies brèves
récurrentes : durée de quelques
heures à quelques jours, avec
conséquences comportementales
(dipsomanie alcoolique) ou
« suicidalité marquée »
Troubles bipolaires et démence
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 1, mars 2007 25
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chasse. Il vit à domicile et est autonome pour les actes
de la vie quotidienne (GIR 6 ou ADL 0).
Ses antécédents sont marqués par une maladie
dépressive récurrente dite « endogène » depuis plus de
30 ans. Les premières années auraient vu alterner des
épisodes dépressifs et des épisodes maniaques. La
notion de trouble bipolaire est retenue. Depuis au
moins 8 ans n’apparaît plus qu’une symptomatologie
dépressive. Actuellement euthymique, il semble
stabilisé depuis plusieurs mois ou années. Par ailleurs,
on note un diabète non insulino-dépendant, une mala-
die thromboembolique récidivante, un tabagisme à
80 paquets années arrêté depuis 4 ans et un usage
simple d’alcool. Le traitement qu’il reçoit associe
Anafranil
®
75 mg/j, Deroxat
®
2/j, Dépamide
®
2/jour,
Tercian
®
25 mg au coucher, associés à des médica-
ments à visée antidiabétique et anti-hypertensive.
Il a reçu par le passé des traitements variés dont
Téralithe
®
pendant plusieurs années qui a été arrêté au
moins 4 ans avant la première rencontre en consulta-
tion mémoire au profit de Dépamide
®
. Il semble avoir
toujours reçu des antidépresseurs tricycliques depuis
le début de sa maladie dépressive, ainsi que diverses
benzodiazépines, aujourd’hui arrêtées depuis au moins
3 ans.
Lors de la première rencontre, sa seule plainte est
de « perdre la parole » depuis six mois. Son épouse est
plus précise, tolérant mal ses difficultés et finissant
presque chacune de ses phrases. Elle rapporte des
troubles de mémoire, un manque du mot et des diffi-
cultés dans les actes de la vie courante, notamment la
conduite automobile, un manque d’intérêt et une apa-
thie marquée. En reprenant le dossier de suivi psychia-
trique des dix dernières années, les plaintes de
mémoire remontent à 6 ans, avec une intensification
depuis 4 ans (c’est alors qu’a émergé la verbalisation
de la crainte d’une maladie d’Alzheimer) et, depuis
18 mois, des troubles du langage. L’apathie, le repli sur
soi et les idées dépressives dominent dans le dossier.
L’entretien note d’emblée des difficultés de concen-
tration, une grande distractibilité et des persévérations
entre deux tâches successives. L’apathie est cotée
28/36 dans l’inventaire d’apathie [1].
La première évaluation cognitive globale montre un
score de 19/30 au MMSE, le test de l’horloge n’est pas
réalisable, le score à l’épreuve des 5 mots de Dubois
est de 8/10 (1/5 mot en rappel libre, les autres mots
fournis en rappel indicé, sans intrusion, aussi bien en
rappel immédiat que différé). Les fluences verbales
catégorielles ou lexicales sont effondrées. Le bilan neu-
ropsychologique fait mention d’un ralentissement
idéomoteur et de persévérations idéiques autour de la
période de la seconde guerre mondiale (tableau 2).
Rapidement, la mise en échec limite les investigations.
La BEC96 est à 51 (norme 80), la Bref à 2/18, avec
présence de comportements d’imitation. Plus précisé-
Tableau 2.Bilan neuropsychologique. Résultats des princi-
paux tests cognitifs.
Table 2. Personal case: results from the neuropsychological
evaluation.
Note Remarques
MMSE 19/30 - 1 point rappel immédiat,
- 3 rappel différé,
- 3 calcul...
BEC 96 51/96
Rappels 7/12 Rappel libre : 2/6,
Reconnaissance : 5/6
(1 erreur)
Encodage non parfait
Apprentissage 3/12 Rappel libre (RL)1:1/8,
RL2:1/8,RL3:2/8
Persévération sur une
interférence rétro-active.
Orientation 8/12 -2:datedujour,-2:nom
du président de la république,
même avec amorçage
phonologique
Manipulation 1/12 Difficultés d’inhibition :
donne les items à l’endroit et
commente ses activités de
chaque jour de la semaine
Problèmes 7/12 Difficultés d’abstraction
Fluence 5/12 5 mots en 1 minute, puis
parle de parties de chasse
Dénomination 8/12 Manque du mot
avec paraphasies,
la reconnaissance et
la signification sont correctes
Visuo-construction 12/12
Bref
Séquences motrices 1/3 Échoue seul
Consignes
conflictuelles 0/3 Imite l’examinateur :
difficulté de flexibilité mentale
Go no-go 0/3 Imite l’examinateur :
difficulté d’inhibition
Le bilan cognitif n’a pas été poursuivi, au vu des scores bas
aux premières évaluations, de l’anxiété croissante
pour ne pas aboutir à une mise en échec
Bilan orthophonique
Montréal Toulouse 86 53 manques du mot (N = 80)
Fluences de Cardebat 8/27
4/14 Catégoriel
Lexical
Batterie de Ducarne Abrégée, non réalisable
Exadé de Bachy 38/90 (N < 10 erreurs)
Token Test Non réalisable : le patient ne
comprend pas les consignes
Batterie BDAE Non réalisable : le patient ne
comprend pas les consignes
P. Menecier, et al.
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 5, n° 1, mars 200726
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ment, il existe des difficultés de compréhension du
langage oral et le discours est non fluent, avec de
nombreux manques du mot, des paraphasies phoné-
miques, sémantiques et verbales. Le langage écrit est
aussi altéré par un agrammatisme et des erreurs pho-
nologiques. La mémoire est globalement atteinte au
niveau de l’encodage et de la récupération. L’attention
est très perturbée. Il existe une apraxie motrice et idéo-
motrice. Au niveau des fonctions exécutives, on
observe des difficultés d’abstraction, d’inhibition, de
programmation motrice et d’initiation. Tout cela s’ins-
crit dans un possible registre de syndrome frontal, avec
des troubles de la flexibilité mentale, de nombreuses
persévérations et une tendance au mimétisme.
Outre l’atteinte cognitive, la part comportementale
est également notable, avec repli sur soi, aboulie et
apathie. Peu exprimée par le patient, cette symptoma-
tologie est difficilement subie par l’entourage.
Un bilan orthophonique met en évidence de nom-
breux troubles du langage oral et écrit : l’expression
orale est peu fluente, le manque du mot massif, de
nombreuses paraphasies de toutes catégories sont
présentes et la compréhension est sévèrement atteinte.
À l’écrit, des difficultés de lecture, d’écriture, de calcul
et de compréhension sont observées. Quelques séan-
ces de rééducation ont été entreprises, puis rapide-
ment arrêtées devant l’importance des difficultés et le
caractère aspécifique de l’offre.
L’IRM encéphalique montrait une atrophie cortico-
sous-corticale modérée sans atteinte lobaire particu-
lière ni séquelles vasculaires notables.
Après six mois d’évolution, le score au MMSE était
de 15/30. On notait une progression de l’apathie, de
l’aboulie et du repli sur soi. L’humeur était considérée
comme stable, intermédiaire, et le restera sur toute la
suite de l’observation. Les caractéristiques de l’atteinte
cognitive n’ont pas changé, le trouble langagier
demeure au premier plan, l’apathie progresse et la
conduite automobile a été abandonnée. Le syndrome
frontal est globalement plus marqué avec des éléments
comportementaux : hyperphagie, persévérations enva-
hissantes, apathie marquée... et émergence d’épisodes
d’irritabilité et d’agressivité verbale.
L’évolution au bout d’un an a encore montré une
progression des troubles cognitifs (mémoire, lan-
gage...). Le MMSE était à 6/30, et le score à l’inventaire
d’apathie de 30/36, sans élément dépressif marqué. Le
patient a intégré temporairement un établissement
d’hébergement pour personnes âgées. Dans l’établis-
sement où il réside, le traitement a été majoré avec
introduction de Risperdal
®
2 mg/j. L’Anafranil
®
a été
remplacé par du Tofranil
®
. Le contact verbal demeure
possible, et le malade n’exprime ni plainte cognitive ni
thymique, mais une fatigue massive et le désir de vivre
chez lui, ce qui sera le seul sujet d’échange.
Ce tableau est donc celui d’une atteinte cognitive
globale, modérément évoluée au moment de la ren-
contre, avec une atteinte des fonctions instrumentales
(prédominant sur le langage et une atteinte mnésique
qui n’apparaît pas typiquement d’allure hippocampi-
que), une atteinte des fonctions exécutives et un syn-
drome frontal. Le diagnostic de syndrome démentiel
pose peu de questions, mais son origine est incertaine.
L’évolution apparaît rapide (perte de 4 points au MMSE
sur les 6 premiers mois et de 13 points en 18 mois),
même si la plainte est ancienne et l’évolution longue à
relativement bas bruit. Ce malade n’a été examiné qu’à
un stade évolué et les troubles dont il se plaignait n’ont
été reconnus que lorsqu’ils sont devenus massifs
(6 ans après la verbalisation des premières plaintes
cognitives). La rapidité de l’évolution peut être en par-
tie expliquée par l’adjonction d’effets indésirables
médicamenteux au trouble cognitif. Si le profil évolutif
de maladie démentielle est déjà peu simple à préciser
dans un cadre bien défini comme celui de la maladie
d’Alzheimer, rien n’est retrouvé dans la littérature
concernant les troubles cognitifs associés à une mala-
die bipolaire.
À côté de l’atteinte cognitive, la symptomatologie
comportementale était importante. L’émoussement
émotionnel, la perte d’initiative et la perte d’intérêt (les
3 axes de l’inventaire d’apathie [29]) étaient largement
présents. Il est important de ne pas confondre cette
symptomatologie avec des items dépressifs [29]. Il est
aussi utile de s’interroger sur le rôle des médicaments
employés (antipsychotiques, sédatifs...) dans la genèse
de l’apathie. Ce sont ces troubles qui ont progressé,
apparaissant comme les éléments critiques pour l’équi-
libre familial et conditionnant les limites du maintien à
domicile de ce patient.
Le tableau n’est pas celui d’une maladie d’Alzhei-
mer habituelle. L’âge, l’évolution, le contexte et l’IRM
semblent pouvoir écarter l’hypothèse d’une dégéné-
rescence lobaire fronto-temporale ou d’une dégénéres-
cence lobaire spécifique. La comorbidité psychiatrique
amène à s’interroger sur la filiation possible entre trou-
bles thymiques, traitements psychotropes au long
cours et le tableau démentiel secondaire. La rapidité
relative de l’évolution récente fait suspecter une part
iatrogène surajoutée, entre les neuroleptiques, les anti-
dépresseurs tricycliques (par leurs effets anticholiner-
giques) et les sédatifs multiples. Avec le recul et l’évo-
Troubles bipolaires et démence
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