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Une figure tellement singulière qu’elle en devient plurielle
Antigone agit comme un détonateur. Une jeune femme s’est ainsi saisie de l’invitation lancée par Katy
Deville pour écrire un texte qu’elle a donné à entendre publiquement : «25 janvier, Antigone parle : La
lumière d’Antigone disait-elle. Mais qu’est ce que cela peut signifier au fond ? De quelle lumière s’agit-il
? Ma conviction profonde, oui, je la connais. Est-ce cela la lumière d’Antigone ? Ma lumière ? Depuis
tous ce temps, les chemins empruntés m’ont permis de m’en aiguiser une de conviction aiguë et tran-
chante. Comme une hache viendrait s’abattre sur un tronc dur et solide ma conviction s’abat d’un coup
sec sur le doute lorsqu’il se présente. Lui aussi solide qu’un intrus habille. J’avance avec cette fragilité,
force de l’innocence. Je sais qu’elle est mon arme. Pourtant le doute parfois à mon oreille :
de quelle arme parles-tu ? Une embûche placée sur ta route et tu t’effondres. J’admets alors. Je dis oui
peut être. Je dis et s’il n’y avait plus d’embûche, d’obstacle bien placé, serais-je pour autant Antigone ?
Non ! Ma force c’est ma lutte, ma quête ma faiblesse. Mon ennemi : plusieurs visages que je reconnais.
Ils ont tous le même regard. Il y a peur, angoisse, ego, souffrance, reconnaissance et bien d’autres aux
yeux louches et moqueurs. Chacun d’entre eux a son rôle à jouer et se prend très au sérieux comme
autant de mauvais acteur. Entre tous, je m’emploie à agir avec calme et bien sûr conviction. Je me rappelle
d’où je viens. Potager, mains calleuses, terre retournée. Puis bulding, semblant de parc, espace vert pour
des semblants de vie. Et je me rappelle enfin que je suis toute petite. Qu’il n’y a rien que je sache, que ma vie
aura passé à la vitesse d’une étoile filante à l’échelle de l’univers et que personne ne m’attend ailleurs
pour me récompenser. Non c’est ici et maintenant que je suis. Vivante et affamée». Comme une œuvre,
une vie ne se résume pas. Elle se ressent.
Un autre intervenant se souvient : «Je lisais très peu et j’ai lu l’Antigone d’Anouilh et ça m’a fait pleurer.
J’avais 17, 18 ans. Cette pièce m’a ouvert sur ce que j’avais en moi. Une révolte et cette possibilité
de clarté, de générosité, de sincérité».
Encore un autre témoignage qui tente de mettre des mots sur la multitude de sensations et de sentiments
qu’une telle œuvre suscite : «Quand j’ai lu ce livre j’étais dans un état second. Ça m’a touché énormément.
Ça m’a rappelé mon éducation : l’oubli de soi, le respect… Et ensuite ça nous renvoie à l’archaïque,
à ce qui est ancré en nous… Et en même temps c’est un appel à la révolte. On peut échapper à son
destin en le prenant en main. C’est le dépouillement total qui va à l’essentiel de ce que l’on est».
Ne rien réduire
Antigone est souvent associée à une époque de la vie, généralement l’adolescence et sa posture
de révolte. Mais, toute transposition trop directe rend le mythe inopérant. «Antigone n’est pas une
spécificité de l’adolescence, insiste le pédopsychiatre Patrick Bensoussan. Quelle est la part de nostalgie
pour l’adulte dans une telle construction ? Un vieillard peut être un Antigone et dire non. Ça n’a rien
à voir avec le tumulte adolescent». Une professeur de français refuse, elle aussi, une lecture réductrice
de cette œuvre : Je n’aime pas non plus voir Antigone comme l’éternelle adolescente. Je la vois plutôt
comme celle qui est chargée d’arrêter la spirale infernale. Et là c’est quelqu’un qui dit oui à la vie. Elle
vient d’une famille marquée par l’hérédité et seule elle décide d’arrêter ce mouvement et de réhabiliter
son père et ses frères. Ça n’a rien à voir avec des petits secrets d’adolescent comme une lecture superficielle
de la pièce d’Anouilh pourrait le laisser penser».
De même, aujourd’hui, Antigone raisonne fortement dans les souffrances sociales de masse, elle
ne se résout pourtant qu’à l’intérieur de chacun de nous. «J’ai relu le mois dernier l’Antigone
d’Anouilh. Quand j’étais adolescente, ce personnage me faisait rêver. Et aujourd’hui, je n’ai plus
d’admiration pour lui. Il représente tout un malaise profond d’une impossibilité de vivre de l’adolescence.
C’est une expérience très personnelle, car j’ai été très mal pendant cette période de ma vie et Antigone
traduisait mon inaptitude totale à vivre avec le monde des adultes. Je fais des ateliers théâtre avec
des gens en insertion. J’ai beaucoup rencontré dans mon métier cette espèce d’intégrité qui empêche
de vivre. Je suis régulièrement face à des espèces d’Antigone hommes ou femmes qui ont la volonté
de dire non à ce monde dans lequel ils ne peuvent pas vivre».