Leçon d’hypocrisie
Michael Lesher « Ils ne comprennent pas, » dit un jeune homme à l’extérieur d’une synagogue
orthodoxe du New Jersey où je vais souvent prier, en écartant les bras dans un geste d’impuissance
pour souligner le gouffre existant entre la conscience des juifs religieux et celle des non religieux.
« Nous plaçons Dieu d’abord. »
Il expliquait pourquoi les juifs haredim en Israël ont réussi, en protestant avec virulence et en
menaçant de renverser le gouvernement, à forcer ce dernier d’annuler 17 « projets de construction
d’infrastructures » sur 20 dont les Chemins de Fer israéliens avaient programmé la réalisation
pendant le sabbat juif.
Et il avait raison, bien sûr : les juifs orthodoxes placent la loi de Dieu avant toute autre considération.
Enfin, c’est ce que nous faisons, quelque fois.http://chroniquepalestine.com/lecon-dhypocrisie/
Occasionner une gène au reste du pays pour respecter les interdictions du sabbat orthodoxe était à
l’évidence l’une de ces fois.
En fait, malgré le tollé occasionné par sa victoire partielle sur le gouvernement, l’autorité orthodoxe
d’Israël n’est pas satisfaite : elle exige toujours l’annulation des trois autres projets de travaux prévus
le samedi, même si la police affirme que leur annulation pourrait mettre des vies en danger. Les
rabbins réclament également l’allègement du service ferroviaire le vendredi après-midi et le samedi
soir, ce qui sera cause de grandes difficultés pour de nombreux Israéliens, dont des milliers de
soldats.
Mais que peut-on y faire comme le demande ce jeune juif orthodoxe devant la synagogue, lorsque la
loi juive est en jeu ?
J’aimerais que ce soit aussi simple.
Qu’en est-il de la loi qui interdit le vol ?
Et oui, les dirigeants haredim, ne manquent pas de protester vigoureusement contre un service
ferroviaire ou de bus, ou un cinéma qui fonctionnent le samedi. Mais quand avons nous entendu pour
la dernière fois les principaux rabbins orthodoxes d’Israël – ou d’ailleurs en l’occurrence – protester
contre le vol systématique des biens d’autres personnes ? C’est à dire, contre l’occupation de la
Cisjordanie ?
Ce n‘est pas une question anodine. Tolérer l’expropriation de terres palestiniennes est en
contravention directe avec ce qui constitue le cœur même de la doctrine traditionnelle juive.
Halakhah, ou loi juive, comprend des impératifs d’ordre éthique de même que des décrets rituels :
l’effusion de sang, la violence, le vol et la duplicité sont tous expressément interdits par la même
Torah qui prohibe certains travaux le jour du sabbat.
La tradition juive fait même de telles normes éthiques des considérations que nous qualifierions
aujourd’hui de questions de « sécurité nationale. »
Commentant le Deutéronome 25 :17, Rashi, le grand exégète médiéval (citant un texte rabbinique),
prévient qu’une communauté tout entière peut courir le risque d’une attaque ennemie si ses
habitants gardent des poids et mesures malhonnêtes – c’est à dire s’ils se permettent de dérober
même des quantités infimes. Pour ceux qui prennent ces textes très au sérieux, combien plus
dangereux doit être pour les Israéliens qui y participent le vol par la force des terres et des ressources
de tout un peuple !
C’est, bien sûr, exactement ce qui se passe dans la région, et que tous les 15 juges de la Cour
Internationale de Justice ont d’un commun accord désigné sous le nom « Territoires Palestiniens
Occupés. »
« Les objectifs idéologiques et politiques d’Israël se sont avérés avoir un caractère plus exploiteur que
ceux d’autres régimes de colonisation, » écrit Sara Roy, maître de recherche au Centre pour les
Études sur le Moyen-Orient à l’université Harvard, dans une étude magistrale de 1995, citée dans
Beyond Chutzpah de Norman Finkelstein et reproduite ici, « parce qu’ils dépossèdent la population
autochtone de ses ressources économiques les plus importantes – la terre, l’eau et la main d’œuvre –
ainsi que du potentiel et des moyens internes de développer ces ressources. »
L’intellectuel israélien Neve Gordon a montré comment, en plus de la saisie pure et simple de la terre
et de l’eau, l’occupation israélienne a coûté aux Palestiniens des milliards de dollars par le biais de
réglementations et d’impôts oppressifs. C’est du vol caractérisé.
Silence assourdissant
Cependant l’autorité juive orthodoxe d’Israël reste silencieuse sur les fléaux de l’occupation
israélienne, alors même que des dizaines de milliers d’haredim vont s’installer dans des colonies
illégales de Cisjordanie.
On ne peut justifier ce silence en invoquant l’ignorance ; c’est un exemple de priorités partisanes. Pas
plus tard que le mois dernier, des publications orthodoxes étaient en émoi à cause de la « marche de
la liberté » programmée par des militants des droits de l’homme pour le 2 septembre, un vendredi
après-midi, près d’un poste de contrôle du bloc de colonies Gush Etzion, « pour protester contre la
détention administrative sans procès pratiquée par Israël, et en solidarité avec les grévistes de la
faim [palestiniens] » qui languissent dans les geôles israéliennes bien qu’ils n’aient jamais été
accusés d’aucun crime.
Était-ce l‘incarcération arbitraire de Palestiniens qui chagrinait les rédacteurs de la presse juive
orthodoxe, qui « a dévoilé » l’histoire ? Ou bien le fait que la manifestation ait lieu sur une grande
route construite sur des terres palestiniennes pour l’usage exclusif des juifs ? Non. Ce qui les
contrariait, c’était que la manifestation risquait d’empêcher les colons juifs orthodoxes de rentrer à
temps chez eux pour le sabbat.
Qu’importe que les postes de contrôle israéliens imposent un véritable enfer aux Palestiniens dans
toute la Cisjordanie, Jérusalem-Est y compris, chaque jour de la semaine.
Qu’importe que la bonne volonté tant vantée du rabbinat prêt à faire des entorses aux lois du sabbat
quand des vies sont en danger – mais pas dans le cas des travaux de construction supplémentaires
que les rabbins veulent faire annuler, prétendant que « d’autres solutions » sont disponibles – ne
s’appliquent de toute évidence qu’aux vies juives.
Le nombre sans fin de morts palestiniens, la plus sombre des caractéristiques régulières de
l’occupation ne semble même pas figurer dans leurs calculs. Pour les rédacteurs orthodoxes, comme
pour le rabbinat, le respect pratique du sabbat (volontaire ou non) importe ; pas les droits de l’homme
des Palestiniens.
Il y a heureusement une autre façon d’envisager le sabbat, dont nous juifs devons nous ressaisir de
toute urgence. Elle considère le sabbat comme une célébration de la liberté humaine et de sa dignité,
par opposition au spectre de l’esclavage égyptien duquel a émergé la nation juive dans la bible
hébreu. Elle envisage la paix du sabbat comme l’antidote précieux à la violence à peine voilée qui
sous-tend la concurrence et le stress de la semaine de travail.
Vu sous cet angle le sabbat ne pourrait jamais servir de couverture à l’occupation par Israël de terres
palestiniennes. Bien au contraire, les juifs orthodoxes attachés à son strict respect, insisteraient
parallèlement, sur le fait que des juifs ne devraient jamais être la cause de l’oppression d’un autre
peuple.
Si nous dans la communauté orthodoxe adoptons cette vision du sabbat, nous pouvons orienter les
énergies religieuses vers une plus grande compassion pour les victimes de l’occupation et une plus
grande détermination à la combattre ainsi que d’autres fléaux humains.
Dans le cas inverse il ne nous restera que la caricature monstrueuse que dessinent les priorités
faussées du rabbinat orthodoxe telle qu’elle s’est manifestée dans l’opération d’Israël dénommée
Plomb durci en 2008-09. Cet assaut militaire contre Gaza débuta un jour de sabbat par une offensive
aérienne à l’aide d’avions de combat, d’hélicoptères d’attaque et de drones qui tuèrent plus de 200
Palestiniens rien que le premier jour. Pourtant, tout au long du carnage sanglant de 22 jours qui suivit,
et pour célébrer le jour sacré, l’armée israélienne refusa de laisser entrer à Gaza les jours de sabbat
toute cargaison d’aide dont le besoin se faisait cruellement sentir.
Au cours de ces semaines sombres, l’autorité orthodoxe n’a pas protesté contre les entorses au
sabbat du gouvernement israélien. Il n’est guère étonnant que d’autres personnes ne nous
« comprennent pas » maintenant.
* Michael Lesher, écrivain et avocat, est l’auteur de Sexual Abuse, Shonda and Concealment in
Orthodox Jewish Communities (McFarland). Il est membre de Jewish Voice for Peace. Website:
www.michaellesher.com
22 septembre 2016 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine – MJB
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