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a) La première, celle des Lumières, avait scindé la conscience de l’Europe en deux
camps antagoniques, celui de la fois et celui de l’intellection, de l’humanisme et de la
théologie, enfin respectivement d’Athènes et de Jérusalem. C’est une rupture intérieure à
l’Europe, typique et singulière, entre prémodernité et modernité. Hegel a accusé cette
scission entre Substance et sujet, homme et divinité, et tout son effort est subordonné à
cette réconciliation universelle, dont l’archétype est justement la réconciliation christique
des natures divine et humaine.
b) La deuxième fracture résulte, dans cette époque des grandes rencontres, de la
confrontation de la conscience européenne avec une grande altérité, l’Asie spirituelle, qui
n’était plus perçue comme la créatrice de simples polythéismes infantiles, mais comme
créatrice d’une vision théologique et spéculative d’une envergure impressionnante.
L’effort spéculatif est constamment engagé à une double charge la : l’intégration de cette
grande sagesse et en même temps une délimitation polémique par rapport à elle.
Le seul précurseur dans cette direction avait été Nicolas de Cues (1401-64),
l’auteur des premiers textes « œcuméniques » qui posaient l’idée d’une fraternisation des
contraires dont l’opposition ne manifeste pas autre chose que la Vérité du tout. Mais ce
qui distingue radicalement Hegel de tous ces antécesseurs est le fait de penser l’histoire
comme le parcours successif d’une Vérité qui, dans sa simultanéité éternelle se parcourt en
réalité Soi-même, en s’actualisant elle seulement, jusqu’à l’auto-contemplation définitive
de Soi, par la médiation de toutes ses « définitions » historiques. Et de manière encore
plus décisive, la Vérité s’est déjà auto-parcouru, et la Fin était déjà présente : ce ne sont
que les humains qui sont « sur la route de la pensée », entre Alpha et Oméga. Oméga, lui-
même, a déjà parcouru le chemin, en portant en Soi-même Alpha depuis l’éternité.
§ 8. Hegel n’est pas un philosophe de l’histoire, mais de l’Eschatologie
L’histoire n’est pour Hegel que l’auto-rotation interne de l’Eternité, sa vie qui
conteste l’inertie d’une immobilité spinozienne de la Substance. L’histoire est le livre
divin de la biographie de l’Absolu, depuis son Soi vide plongé dans la nuit de l’ignorance
abstraite de Soi-même jusqu’au triomphe de sa luminosité « pléromatique », Esprit
Absolu ; depuis l’Absolu immédiat et non-déterminé jusqu’à l’Absolu complet auto-
médié, avec sa propre explicitation et complètement déterminé, depuis les déterminations-
zéro de l’Etre coïncidant avec le Néant pur, jusqu’à l’infinité des déterminations
alluvionnées sur le parcours de l’auto-devenir de l’Idée Absolue. Ce n’est pas pour
« nous » seulement que l’Absolu a un « visage originaire » nocturne, qu’il est négativité
pure, néant vide et abysse infini. « Il » est ainsi pour lui-même, étant donné que « nous »,
l’humanité, l’histoire vivante donc, nous sommes l’infinité de ses yeux auto-contemplatifs.
Et cela, non pas dans le sens qu’il y a deux moments, un Soi vide et un Esprit absolument
plénier ; en réalité, il s’agit de l’Esprit absolu qui contient in eternitas aussi le vide de sa
propre ombre.
La fin de l’histoire coïncide donc avec la finalisation de l’auto-devenir de la
substance infinie de l’Absolu. Le résultat de l’achèvement de l’auto-parcours du Soi de
l’Absolu reçoit le nom d’Esprit Absolu, l’ « universel concret » qui totalise actuellement et
simultanément les oppositions infinies des déterminations infinies, grâce auxquelles il est
donc conciliation (Versöhnung) complète de l’Absolu non-devenu, innocent abstrait et
vide, avec la totalité des déterminations posées/développées de son propre mouvement
d’auto-différenciation, de manière simultanée avec un processus inverse d’auto-
identification. A travers le premier, l’Absolu gagne multiplicité, substance, contenu,
effectivité, tandis que par le second il regagne le prix et le sacrifice payé pour celles-ci :