l’art symbolique et avant l’art romantique - pour utiliser sa terminologie -). Ce
critère, nous y tenons car il renvoie à une expérience d’un genre particulier que
nous aimons faire en art ; l’art de chaque époque peut du coup proposer une telle
expérience (qui reste encore à déterminer), quand bien même, aujourd’hui, le
critère du beau n’est pas le plus déterminant (« Merde à la beauté ! » Dada). De
toute façon, la nature nous donnera toujours l’occasion de vivre cette expérience
que nous désignons par le beau.
Lorsque nous disons d’une chose, d’un visage… qu’ils sont beaux, nous sous-
entendons que le beau est quelque chose de la chose, du visage… ou dans la
chose, dans le visage... Le beau serait ainsi objectif, au même titre que la vérité
de 2+2 = 4 ou de n’importe quelle autre vérité scientifique. Pourtant, nous ne
pouvons pas nier que, bien souvent, ce que nous trouvons beau quant à nous ne
paraît pas tel à d’autres. Alors ? Objectif ou subjectif ? Que nous balancions
d’un côté ou de l’autre, nous ne sommes pas satisfaits : pas objectif puisqu’on ne
peut pas justifier (par démonstration ou preuve) qu’un objet est beau, mais pas
davantage subjectif car si tel était le cas, le mot n’aurait pas été inventé et l’on
ne s’exprimerait jamais, en matière de goût, qu’en termes de « ça me plaît ».
L’expérience du « ça me plaît », nous la connaissons. Et nous l’assumons
parfaitement comme une expérience strictement subjective : je dis « ça me
plaît » quand je sais très bien que ce que je ressens (un plaisir ou un déplaisir),
nul ne peut le ressentir exactement comme moi car il n’est pas moi (il n’a pas
ma sensibilité, mon histoire, etc.). Des goûts et des couleurs ? On ne discute
pas ! Car il n’y a sur le fond rien de plus à faire qu’à prendre acte des
différences : moi je préfère le salé et la couleur orange, toi tu préfères le sucré et
la couleur verte. Point.
A l’opposé, nous connaissons l’expérience de l’accord universel : chaque fois
que nous résolvons un problème mathématique, que nous accédons au savoir
d’une loi expérimentale, etc., nos raisons respectives se retrouvent effectivement
dans l’unité de l’accord.
L’expérience du beau est quant à elle d’un genre particulier car nous savons
bien qu’elle sollicite notre sensibilité (portée vers le « ça me plaît ») mais, aussi,
notre pensée (portée vers l’universel). Mais pour autant, notre sensibilité n’est
pas, là, dans son élan habituel qui est d’aller vers ce qui lui est agréable et de
fuir ce qui lui est désagréable : je ne salive pas devant la peinture d’une assiette
de pommes, pas plus que je ne souffre de frustration sexuelle devant celle d’un
nu ; je fuirais les violences de la guerre mais je peux rester devant le tableau
d’un combat, etc. Il en est de même pour ma pensée : elle est bien là, à se
déployer librement devant l’œuvre, mais elle n’a aucune opération à faire,
aucune dissertation à produire. Qu’est-ce que cela indique, si ce n’est que devant
un objet que j’ai plaisir à regarder ou écouter sans le besoin d‘aller jusqu’à la
consommation, je fais l’expérience d’un sentiment, sentiment qui est
l’expérience d’une réconciliation intérieure entre deux facultés qui,