Contexte sociohistorique Les Sudistes ou la primauté du Droit de

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Esclaves dans une plantation de Virginie. Illustration tirée de the Old Plantation, vers 1790). (Tirée de Wikipédia)
Rédigée par le jeune avocat Thomas Jefferson, la Déclaration d?indépendance américaine de 1776 ainsi que la
Constitution américaine constituent ce que l?on qualifie aujourd?hui de documents « fondateurs » des États-Unis
d?Amérique. Malgré le caractère profondément révolutionnaire de ces deux textes, il est intéressant, comme le
souligne l?historien Howard Zinn, de « tenter de comprendre comment cette Déclaration a pu permettre de
mobiliser certaines communautés d?Américains tout en en ignorant d?autres.[1] » En effet, comme nous avons pu le
constater précédemment, ces deux textes furent vraisemblablement inspirés par les idéaux des Lumières et plus
précisément de ceux de John Locke. Sachant cela, il semble pertinent de comprendre comment il est possible
qu?un pays bâti sur l?idée des Droits naturels de l?Homme ait pu omettre d?accorder ces mêmes droits aux
esclaves. Nous tenterons d?offrir une piste de réflexion à cette question en expliquant l?interprétation que pouvait
être faite du concept de Droits naturels par le camp des Sudistes puis des Nordistes. Mais d'abord, il apparaît
important de remettre la question dans son contexte.
Contexte sociohistorique
La signature du Traité de Paris de 1783 scelle l'issue de la Guerre d'indépendance américaine. À la suite de leur
victoire historique face à l'Empire Britannique, les Treize Colonies forment désormais un nouveau pays
indépendant : les États-Unis d'Amérique. Il ne faudrait néanmoins pas croire naïvement que cette victoire régla les
conflits internes qui tiraillaient les anciennes colonies du Nord, du Centre et du Sud. L'une des questions qui
tendaient à polariser les discussions entre le Nord et le Sud était celle de l'esclavage. À ce propos, l'historien
américain Howard Zinn affirme qu'un paragraphe avait été rédigé par Thomas Jefferson dans la première version
de la Déclaration d'indépendance qui fût soumise au Congrès continental. Dans ce paragraphe, Jefferson accusait le
Roi, entres autres, « de faire transporter des esclaves vers les colonies et d'empêcher toute tentative de faire cesser
ou tout au moins de limiter ce commerce exécrable [2] ». Zinn nous apprend que ce passage fût finalement rejeté
par le Congrès, soulignant un désaccord entre les propriétaires d'esclaves sur « le caractère souhaitable ou non de
la fin de la traite [3] »
Cet épisode historique démontre un certain tabou entourant la question de l'esclavage, et ce, au sein même de la
communauté des propriétaires: mais comment un pays bâti à partir du concept de Droit naturel pouvait-il
reconnaître comme juste une telle pratique ? Les camps Sudistes et Nordistes assoiront, de part et d'autre, leurs
argumentaires sur la Constitution américaine, plus précisément sur le quatrième amendement. C'est en étudiant
l'interprétation de cet amendement (et des concepts lockéen qui y sont rattachés) par les deux camps, le tout selon
leur contexte socio-économique particulier, que nous tenterons d'offrir un début de réponse à cette question.
Les Sudistes ou la primauté du Droit de propriété
Pour bien comprendre la position plus conservatrice des sudistes esclavagistes, il est primordial de connaître le
contexte économique de l'époque dans cette partie de l'Amérique du Nord. D'abord, il est important de savoir que
la culture agricole y dominait outrageusement. La production de coton, par exemple, passa de 40 millions de livres
en 1801 à 80 millions en 1811 puis à 177 millions en 1821 [4]. Cette production était plus fortement concentrée
dans les États du Sud comme en témoigne le tableau ci-contre:
ÉTATS
Caroline du Sud
NOMBRE DE LIVRES DE COTON PRODUITS (en 1821[5])
50 millions
Contexte sociohistorique
1
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Géorgie
45 millions
Alabama
20 millions
Tennessee
20 millions
Caroline du Nord 10 millions
Louisiane
10 millions
On explique une telle augmentation, entres autres, par l'invention d'une machine séparant la graine du coton de la
fibre. Cette avancée permettait d?accélérer la tâche et ainsi d'augmenter la production. L'économie dite de
plantation des Sudistes nécessitait, malgré ce gain de productivité, une importante quantité de main-d'?uvre, et
donc un nombre toujours croissant d'esclaves. Les Sudistes espéraient ainsi arriver à répondre à la demande
toujours croissante en provenance, notamment, de Grande-Bretagne. Pour donner un exemple, entre 1790 et 1860,
le nombre d'esclaves dans les États du Sud passa de près de 500 000 à un peu plus 4 000 000[6]. La culture du coton
occupait une telle place dans l'économie américaine (dans les États du Sud, principalement) qu'elle constituait plus
de 40% des exportations totales du pays en 1836. Ces exportations se faisaient, d'ailleurs, généralement en
direction de l'ancienne Métropole.
Ces faits historiques tendent à démontrer que la traite d'esclaves constituait davantage une «nécessité» économique
qu'un choix moral pour les propriétaires sudistes. Contrairement à l'économie du Nord, fortement influencée par
l'idée d'industrialisation et plus largement de Progrès amenée par la philosophie des Lumières, le Sud était
considéré comme «économiquement handicapé» en raison de son retard industriel. Pour arriver à maintenir la
croissance imposée par le Nord, les propriétaires sudistes décidèrent de faire appel à davantage d'esclaves pour
combler leur important besoin de main-d'?uvre. Les esclaves n'exigeant, cela va de soi, aucun salaire, une telle
main-d'?uvre leur permettait d'engranger une plus importante marge de profit.
Reconnaissant donc que les esclaves constituaient la base de leur société et de leur économie, les propriétaires du
Sud revendiquèrent fortement le droit d'en posséder, soulignant qu'ils constituaient d'abord et avant tout une
propriété, un bien privé. L'historien français André Kaspi souligne à cet effet qu'une des « causes immédiates » de
la sécession des États esclavagistes, à commencer par la Caroline du Sud en 1861, fût leur crainte de perdre leur «
liberté de maintenir l'esclavage [7] » L'État se devait, selon eux, de garantir leur droit naturel d'en posséder comme
le stipule, disaient-ils, le quatrième amendement de la Constitution américaine qui se lit comme suit :
« Quatrième amendement : Le droit qu'ont les citoyens de jouir de la sûreté de leurs personnes, de leur domicile,
de leurs papiers et effets, à l'abri des recherches et saisies déraisonnables, ne pourra être violé; aucun mandat ne
sera émis, si ce n'est d'après des présomptions sérieuses, corroborées par le serment ou l'affirmation; et ces
mandats devront contenir la désignation spéciale du lieu où les perquisitions devront être faites et des personnes
ou objets à saisir. [8] »
Les propriétaires sudistes mirent l'accent sur le passage qui stipule que leur droit « de jouir de la sûreté de leurs [...]
effets, à l'abri des recherches et saisies déraisonnables, ne pourra être violé » C'est donc en axant leur discours sur
cette interprétation du quatrième amendement que les Sudistes justifiaient le recours aux esclaves qui constituaient
bel et bien, selon eux, un Droit naturel. Kaspi synthétise finement l'idée en ces quelques mots :
« La Constitution, disent-ils, reconnaît l'esclavage et elle est sur le point d'être violée par les Yankees. En
conséquence, le contrat qui lie les États entre eux a été rompu. Résister à l'oppression est un droit sacré.[9] »
Cependant, l'interprétation de ce même quatrième amendement qui sera faite par leurs compatriotes du Nord sera
bien différente...
Les Sudistes ou la primauté du Droit de propriété
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Les Nordistes ou la primauté du Droit à la liberté
Du côté des États du Nord, notons d'abord que l'esclavage fût progressivement aboli entre 1777 (au Vermont) et
1804 (au New Jersey) selon les États. Plusieurs raisons peuvent expliquer une telle prise de position qui, pour nous,
contemporains, peut sembler aller de soi.
Nous nous bornerons principalement à étudier les éléments du contexte socio-économique ayant pu influencer
l'émergence d'une telle décision. D'abord, les États du Nord, plus fortement influencés par la vague industrialiste
entraînée par la Révolution industrielle, sont sur la voie de la machinisation et de l'industrialisation. On peut donc
qualifier leur économie comme étant industrialiste (par opposition à l'économie de plantation du Sud), c'est-à-dire
que la production artisanale se voyait de plus en plus délaissée au profit de la production industrielle de masse dans
ces territoires. Conséquemment, qui dit production de masse dit aussi recours aux inventions, aux machines et plus
largement au progrès technique dans le but d'améliorer la productivité dans les différents secteurs d'activités
économiques. Cette idée d'appliquer systématiquement à la production les avancées techniques fût en quelque sorte
héritée des idéaux des Lumières et permit, notamment, de dynamiser et de diversifier l'économie des différents
États industrialisés.
On pourrait, grossièrement peut-être, établir une comparaison entre la dualité économique au sein des États-Unis à
l'époque entre le Nord et le Sud et le dualisme entre les pays industrialisés et les pays du Tiers-Monde de nos jours.
En ce sens, les Nordistes se présentaient comme l'incarnation même du dynamisme économique et de la liberté par
rapport au Sud et à leur mode de production, qu'ils qualifiaient d'archaïque. Calquant leur modèle économique sur
la Grande-Bretagne, berceau de l'industrialisation, les Nordistes se tournèrent vers une main-d'oeuvre immigrante
pour opérer la production industrielle. Ces immigrants provenaient d'ailleurs en forte proportion de l'ancienne
Métropole[10].
L'image que se faisait le Nord de ses compatriotes du Sud en était une de paysans freinant le développement
économique et industriel du pays. Les Sudistes dénonçaient, quant à eux, le fait que leurs compatriotes du Nord
s'industrialisaient grâce aux profits engrangés par l'économie agraire esclavagistes qu'ils dénonçaient pourtant
vivement et publiquement. Ils y voyaient là une certaine forme d'hypocrisie. On peut donc dire que plutôt que
d'être le résultat d'un quelconque élan vertueux, c'est la structure économique particulière des États du Nord qui les
amena à reconsidérer le caractère légitime de la traite négrière.
Et donc, pour réfuter la position esclavagiste et ainsi faire valoir leur point de vue, les Nordistes s'appuyèrent, eux
aussi, sur le quatrième amendement de la Constitution américaine. Ils mirent, quant à eux, l'accent sur le droit
naturel à la liberté politique et plus largement à la vie. Pour le dire explicitement, ceux-ci basèrent leur discours
politique sur « le droit qu'ont les citoyens de jouir de la sûreté de leurs personnes[11] » qui doit tout autant être
garanti par le document constitutionnel américain.
On assistait là à un conflit entre deux Droits naturels. D'un côté, le droit à la propriété privée d'esclaves défendu
vivement par le Sud pour des motifs principalement économiques comme nous avons tenté de le démontrer plus
haut. De l'autre, le Nord séduit par l'idée de Progrès, et donc d'industrialisation, mettant plutôt de l'avant le droit à
une vie digne pour tous.
En conclusion, il y a fort à parier que le principal théoricien des Droits naturels, John Locke, aurait embrassé l'élan
du Nord vers le Progrès et appuyé l'abolition de l'esclavage. Cependant, il serait intéressant de connaître le point de
vue du penseur anglais sur la question du Progrès à une époque où les avancées technologiques nous offrent
désormais la possibilité d'orchestrer notre propre destruction de manière quasi-instantanée (par l'existence de l'arme
atomique ou encore de l'arme nucléaire, notamment).
Les Nordistes ou la primauté du Droit à la liberté
3
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Notes et références
1. ? Zinn. H (2002). Une histoire populaire des États-Unis : De 1492 à nos jours. Montréal, Québec : Édition
Lux, p.90
2. ? Ibid., p.89
3. ? Ibid., p.89
4. ? Strauss. L (1867). Les Etats-Unis : renseignements historiques, renseignements géographiques, industrie
agricole. (Édition éléctronique). [Format PDF] Repéré à
https://books.google.ca/books?id=dXMPAAAAQAAJ&lpg=PA1&ots=W-gIBwXnHD&dq=louis%20strauss%2
p.344
5. ? Ibid., p.344
6. ? Zinn. H (2002). op. cit., p.199
7. ? Kaspi. A (2002). Les Américains : Naissance et essor des États-Unis 1607-1945. Paris, France : Édition
Seuil, p. 176
8. ? http://www.cosmovisions.com/ChronoEtatsUnis0203.htm
9. ? Kaspi. A (2002). op. cit., p.177
10. ? http://bv.alloprof.qc.ca/h1081.aspx#révolutionagricoleindustrialisation
11. ? http://www.cosmovisions.com/ChronoEtatsUnis0203.htm
Médiagraphie
ALLO Prof.Bibliothèque virtuelle - L'industrialisation aux États-Unis, (page consultée le 12 avril 2015), [En
ligne], adresse URL : http://bv.alloprof.qc.ca/h1081.aspx#révolutionagricoleindustrialisation
Constitution américaine
Strauss. L (1867). Les Etats-Unis : renseignements historiques, renseignements géographiques, industrie agricole.
(Édition éléctronique). Repéré à
https://books.google.ca/books?id=dXMPAAAAQAAJ&lpg=PA1&ots=W-gIBwXnHD&dq=louis%20strauss%20rensei
436 p.
Bibliographie
Kaspi. A (2002). Les Américains : Naissance et essor des États-Unis 1607-1945. Paris, France : Édition Seuil, 339
p.
Zinn. H (2002). Une histoire populaire des États-Unis : De 1492 à nos jours. Montréal, Québec : Édition Lux, 812
p.
Notes et références
4
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