Journal Identification = IPE Article Identification = 1119 Date: December 5, 2013 Time: 5:51 pm
La psychothérapie psychanalytique corporelle : une alternative à la cure-type
L’intérêt du cadre de la psychothérapie
psychanalytique corporelle
Certes, la perception et la sensori-motricité ne sont pas
absentes dans le cadre de la cure-type, mais elles restent
des paramètres silencieux [10]. Pour les patients non-
névrosés de fac¸on prévalente, ces paramètres doivent sortir
du silence afin de constituer des appuis pour l’installation
et le déroulement du processus psychanalytique. C’est là
l’originalité et la fécondité du cadre de la PPC : l’utilisation
des paramètres perceptifs où l’analyste est vu en tant
qu’objet externe pour permettre ensuite son intériorisation
grâce à l’intériorisation de la relation. Le patient est ici
allongé sur le divan alors que l’analyste est assis dans le
champ de son regard. Le cadre de la PPC sollicite ainsi les
deux feuillets du système perceptif décrit par Freud [16] : le
feuillet externe orienté sur le cadre – dont fait bien sûr par-
tie la personne de l’analyste – et le feuillet interne sensible
aux éprouvés sensori-moteurs et aux processus intrapsy-
chiques. Ce dispositif en berceau sollicite une contenance
et un holding, délimité, à l’arrière plan, par le contact du
divan en délégation de l’analyste, et, devant, par le contact
à distance du regard et de l’audition. Il réalise un véritable
incubateur pour les transformations somato-psychiques [5]
qui permet l’interdit du toucher [2], il met en place les
meilleures conditions pour reprendre et corriger les dis-
torsions des relations primaires. En effet, nous dit Pasche
[22], « la psychanalyse ne se réduit pas à faire revivre par le
transfert les situations de l’enfance, mais elle est aussi une
“expérience correctrice” de ces situations » (p. 5). Toutefois,
précise-t-il, il ne s’agit pas de les corriger en construisant
des processus qui n’auraient pas existé dans l’inconscient
du patient et que le psychanalyste lui injecterait ; l’analyste
« doit se borner à découvrir, à percevoir, ce qui est en son
patient et à le lui montrer sans plus. » (p. 6). Nous y recon-
naissons la fonction de traduction de l’analyste que nous
distinguons de l’interprétation, au sens où celle-ci vise à
dégager le sens latent d’un désir refoulé. Le recours à la
médiation perceptivo-sensori-motrice dans la relation est
rendu nécessaire quand le langage verbal ne peut pas média-
tiser la relation du fait de l’existence d’un clivage entre
le somatique et le psychique. Il met en œuvre la fonction
subjectalisante de l’objet [7] comme préalable à la relation
d’objet, par laquelle le sujet perc¸oit l’attention et le tact
de l’analyste pour son fonctionnement somato-psychique :
« Un regard qui dit l’accueil sans condition, l’attente qui ne
demande rien, la sollicitude qui ne sollicite rien, en un mot,
la considération qui est aussi, et peut-être surtout, l’égard,
le crédit porté à l’autre. » [8]. Différemment du disposi-
tif fauteuil-fauteuil, le regard est un regard ascendant, un
regard couché, qui réactive le mode d’investissement par
le sujet de l’objet primaire dans le sens de « l’aspiration
à la croissance d’emblée articulée sur l’objet » et de « la
vocation ascendante du Moi » [20]. Anzieu [4] précise éga-
lement que « le sens de la psychanalyse n’est pas seulement
de rendre l’inconscient conscient, c’est d’établir ou de réta-
blir la dimension verticale de l’appareil psychique » (p. 3).
En appui sur l’attention de l’analyste, le patient peut tour-
ner sa propre attention sur l’auto-observation des éprouvés
corporels sur le divan et engager un travail de traduction
qui passe par la figuration dans le processus de symbo-
lisation primaire [24]. Cela nous introduit à la notion de
langage du corps et je rappelle que pour Freud [14] le
langage ne se réduit pas au langage verbal, il comprend
aussi « le langage des gestes et toute forme d’expression
de l’activité psychique » (p. 198). Le cadre de la PPC
facilite et contient l’expression du langage du corps sous
différentes formes sensori-motrices comme des tics ou des
clonies musculaires, des raideurs ou des affaissements du
tonus, des sensations de chute ou de vertige, des odeurs,
des douleurs etc. Ce dispositif accompagne les régressions
déjà installées ou qui interviennent au cours de la cure par
sa qualité d’étayage par l’attention portée au langage cor-
porel qui exprime les effets de la réactivation de traces
archaïques inconscientes. Ces traces correspondent à des
traces perceptives que nous appelons mnémoniques afin de
les distinguer des traces mnésiques ; car, contrairement à
ces dernières, elles n’ont jamais été traduites dans les rela-
tions primaires, comme les signifiants formels d’Anzieu [3]
en tant qu’avatars de la constitution des enveloppes psy-
chiques. Elles constituent une véritable mémoire du corps
non subjectivée pouvant infiltrer l’organisation et le fonc-
tionnement psychiques, et distordre le rapport à la réalité,
ou rester enkystées à la limite du somatique et du psychique
jusqu’à leur soudaine réactivation au décours de la vie. Leur
réactivation hallucinatoire tend vers la décharge anarchique
et répétitive, et génère une excitation qui déborde l’appareil
psychique dans ses fonctions de liaison et met en péril son
homéostasie. Le travail en PPC vise alors à pare-exciter et
à lier ces excitations en relanc¸ant la symbolisation par la
médiation perceptivo-sensori-motrice dans la relation.
Référencée au modèle de la cure-type, la pratique
de la PPC en conserve les invariants : la règle fonda-
mentale de la libre associativité et la stabilité du cadre.
Mais, l’introduction de la perception modifie la valeur
des concepts habituels. Par exemple, le transfert devient
une organisation transférentielle qui se déploie dans la
double direction du transfert sur le cadre et du transfert
sur l’analyste. L’intérêt de la perception est de permettre
d’intégrer d’emblée les expressions des traces mnémo-
niques dans le champ du transfert et du contre-transfert et
de commencer d’emblée un travail de traduction au niveau
du contre-transfert par l’attention au langage du corps. Le
contre-transfert devient ainsi le véritable levier du proces-
sus à travers une écoute plurimodale du matériel exprimé
en processus primaire où le langage verbal n’a pas encore
valeur de médiation. Le contre-transfert prend en compte
la tolérance primaire de l’analyste [10], ses dispositions
personnelles et sa résistance aux attaques. Le dispositif de
la PPC facilite le développement d’un transfert d’étayage
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦9 - NOVEMBRE 2013 745
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