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La «Loi 90 » confie
de nouvelles responsabilités
aux pharmaciens
1
Commentaire
Jean-Yves Julien 2
Consultant
a « Loi 90 » modifie radicalement l’article
17 de la Loi sur la pharmacie et reconnaît
l’évolution du rôle du pharmacien au cours
des dernières années, notamment sa compétence
en ce qui concerne le monitorage de la pharmacothérapie. De plus, en attribuant de nouvelles
activités au pharmacien, elle rejoint la réalité des
différents milieux de pratique, réalité qui avait
déjà amené notre Ordre à prendre position pour
encadrer ce qui semblait alors une évidence et
une nécessité.
L
Par cet article, le législateur accordait aux
pharmaciens l’exclusivité de la distribution des
médicaments, confirmant ainsi le besoin d’une
expertise particulière à cet égard. Il leur confiait
également le mandat, non seulement d’exécuter
correctement chaque ordonnance, mais également
de se pencher sur l’ensemble de la thérapie
de chaque patient. Il reconnaissait de plus l’importance de la transmission et de l’adaptation
d’informations de qualité, indispensables à
l’atteinte des objectifs pharmacothérapeutiques.
Ces modifications de la Loi sur la pharmacie
ne visent qu’un objectif, soit de favoriser l’utilisation optimale des médicaments. Mais voyons
le contexte qui a conduit le législateur à adopter
ces changements.3
Replacé dans son contexte, cet article
consacrait en particulier le besoin de renseignements de la part des patients sur l’usage des
médicaments, éliminant le secret qui caractérisait
jusqu’alors la prestation des services pharmaceutiques. Le développement de médicaments
plus puissants et potentiellement plus toxiques,
illustré par la triste histoire de la thalidomide,
justifiait amplement ce besoin d’informations.
Le contexte
La Loi sur la pharmacie promulguée en 1974
a permis de bien servir les citoyens du Québec.
L’article constituant se lit comme suit :
« Constitue l’exercice de la pharmacie tout acte
qui a pour objet de préparer ou de vendre, en
exécution ou non d’une ordonnance, un médicament. L’exercice de la pharmacie comprend
la communication de renseignements sur l’usage
prescrit ou, à défaut d’ordonnance, sur l’usage
reconnu des médicaments ou des poisons,
de même que la constitution d’un dossier pour
chaque personne à qui un pharmacien livre des
médicaments ou des poisons sur ordonnance
et l’étude pharmacologique de ce dossier.4»
S’adapter à l’évolution
Au cours des années qui ont suivi, les
pharmaciens ont appliqué cette loi avec conviction
en développant un dossier pharmacologique
complet, en émettant des conseils et des opinions
tant aux malades qu’aux professionnels de la santé
et en établissant diverses modalités d’étude
pharmacologique du dossier. Les modalités de
transmission de l’information ont progressé
au fil des années pour refléter l’évolution et
les changements qui ont aussi marqué les sciences
de la communication et de l’andragogie.
Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, vol. 10, n° 2, 2005, pp. 6-10.
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Les quinze dernières années ont aussi été
marquées par une explosion considérable d’actes
découlant de l’étude pharmacologique des
dossiers. L’étude pharmacologique permet
notamment de dépister les interactions médicamenteuses toujours plus nombreuses et plus
complexes, et aussi de détecter les ajustements
de dosage requis. Les pharmaciens ayant relevé
ce défi ont rapidement conclu qu’il devenait
pratiquement impossible d’effectuer l’étude
pharmacologique d’un dossier en vase clos,
c’est-à-dire indépendamment des réactions
et des besoins exprimés par le patient lui-même
et des opinions sollicitées par les prescripteurs.
Le dossier doit, entre autres, être combiné aux
stratégies d’entrevue pour obtenir de l’information
clinique complémentaire, répondre aux demandes
des patients ou des professionnels et analyser
de même que résoudre quotidiennement
de nombreux problèmes en toute connaissance
de cause.
contribuent à leur maintien dans la communauté
et à leur retour au travail.
La population fait très souvent appel au
pharmacien et lui accorde sa confiance comme
ressource de première ligne lorsque des effets
indésirables ou d’autres problèmes surviennent,
lors de l’usage des médicaments ou pour les
conditions de santé, de plus en plus nombreuses,
pouvant être traitées par automédication. Ceci
permet de diminuer de façon significative
les recours non requis aux autres ressources
professionnelles, spécialement hospitalières,
par ailleurs surchargées.
Néanmoins, nous constatons que la pratique
de la pharmacie au Québec se distingue maintenant par les éléments suivants : l’ordonnance
est définie comme une autorisation de fournir
des médicaments et non une obligation, laissant
ainsi la prérogative au pharmacien d’exercer son
jugement professionnel ; l’obligation de tenir
un dossier patient ; la nécessité d’une aire de
confidentialité ; l’émission d’opinions pharmaceutiques et le refus d’exécuter une ordonnance;
et l’obligation légale d’intervenir de façon planifiée dans l’utilisation des médicaments en vente
libre.
En outre, les problèmes de santé mentale
au Québec prévalent et méritent une attention
particulière. Les patients affectés par ces problèmes
reçoivent maintenant une pharmacothérapie
de plus en plus complexe et spécialisée dont
les indications exigent compétence, connaissances
et doigté. Les médicaments utilisés comportent
plusieurs interactions médicamenteuses et les
patients présentent des réactions indésirables
fréquentes comme des problèmes complexes
d’observance à la thérapie. Dans ce contexte
changeant et dynamique, les pharmaciens
sont de plus en plus sollicités et impliqués
pour résoudre ces problèmes. Ainsi, les soins
pharmaceutiques constituent une contribution
significative à l’amélioration de l’état de santé
de ces personnes. Les retombées de la pharmacothérapie moderne sont importantes puisqu’elles
Un nouveau rôle
Cette progression logique du rôle et de
la contribution des pharmaciens s’est déroulée
à des vitesses variables et selon des échéanciers
distincts dans les deux principaux secteurs
de pratique que sont les pharmacies privées
et les établissements de santé. Par exemple, dès
1981, le législateur reconnaissait l’importance
de la relation pharmaciens-médecins et intégrait
les pharmaciens aux conseils des médecins,
dentistes et pharmaciens des établissements
de santé. Quel que soit le secteur, il est évident
que ces nouvelles tâches font désormais partie
intégrante de la pratique contemporaine de la
pharmacie au Québec.
Mentionnons aussi que les pharmaciens
sont maintenant impliqués activement comme
investigateurs principaux et associés dans les projets
de recherches cliniques sur les médicaments,
ce qui en fait des acteurs de plus en plus significatifs
comme agents de développement et de formation
dans le système de santé.
Ainsi, le législateur avait vu juste en 1974
et nous pouvons affirmer que les pharmaciens
ont accepté et relevé les défis que leurs concitoyens
et le législateur leur lançaient. Il faut bien reconnaître que ces défis imposaient des changements
considérables en très peu de temps, au niveau
des pratiques autant que des mentalités. Il nous
faut aussi constater que, pour diverses raisons,
8 Commentaire
les changements n’ont pas encore permis d’obtenir
des résultats potentiels.
Un nouveau modèle
Toute cette évolution a trouvé son sens
complet dans un modèle de pratique intégrée
promu depuis le début des années 1990 désigné
sous le nom de « soins pharmaceutiques ».
Compte tenu de l’importance de ce modèle et
du large appui dont il a bénéficié en Amérique
du Nord et au Québec, nous en décrirons plus
en détail les caractéristiques dans les prochaines
pages, puisqu’il constitue notre vision d’avenir.
Cependant, cette évolution fait en sorte
que la Loi sur la pharmacie n’était plus adaptée
aux besoins modernes de gestion de la pharmacothérapie. De même, certaines autres lois
professionnelles, en confiant l’exclusivité de
certains actes à d’autres professionnels,
empêchaient ces derniers justement de profiter
pleinement de l’expertise des pharmaciens.
De nombreux services se trouvaient limités par
la législation en place. Concrètement, elle n’était
pas suffisamment explicite. Le pharmacien ne disposait pas entièrement des moyens de procéder
à l’évaluation complète des problèmes reliés à la
pharmacothérapie qui lui étaient présentés ou
qu’il dépistait. Il pouvait aussi être restreint dans
les solutions qu’il pouvait proposer et appliquer.
De façon non limitative, nous illustrerons
ceci par deux exemples typiques de la situation
telle qu’elle se présentait avant l’entrée en vigueur
de la « Loi 90 » :
• Un pharmacien a reçu un patient sous
traitement pour de l’angine. L’ordonnance émise
par le médecin était échue et ni le patient, ni
le pharmacien n’avaient pu rejoindre le médecin.
Cesser le médicament n’était pas acceptable
cliniquement ni éthiquement, mais le pharmacien
ne pouvait légalement fournir à son patient ce
médicament nécessitant une ordonnance valide.
• Un pharmacien d’hôpital a reçu une
demande de consultation de la part du médecin
pour ajuster la dose d’un médicament à partir
de dosages plasmatiques de ce médicament.
Pour réaliser cette évaluation, le pharmacien
devait d’abord obtenir les dosages plasmatiques
du médicament, les analyser et émettre une
suggestion de dose. Dans le cadre légal qui
prévalait avant l’adoption de la «Loi 90», il n’était
pas mentionné explicitement que le pharmacien
pouvait requérir ou demander ces analyses de
laboratoire, ou entreprendre les modifications
de dosages pour lesquelles il avait été demandé
en consultation.
Ces deux exemples soulignent clairement
les limites contenues dans la Loi sur la pharmacie.
Ces limites imposaient des contraintes aux pratiques quotidiennes que devaient accomplir
les pharmaciens et pour lesquelles une demande
significative existait.
Les changements récents
Le nouveau champ d’exercice met l’accent
sur la détection et la prévention des problèmes
liés à l’utilisation des médicaments. On s’attend
maintenant à ce que le pharmacien « surveille
la thérapie» d’un patient qui le consulte. On doit
ainsi comprendre que non seulement le pharmacien
assure un suivi sur les médicaments qu’il distribue
mais aussi sur l’ensemble de la thérapie médicamenteuse de ses patients. En d’autre mots, en
mettant l’accent sur l’ensemble de la thérapie,
on s’occupe du patient dans son ensemble. On
veut s’assurer que le patient bénéficie des effets
escomptés de l’ensemble de sa thérapie.
Pour bien saisir la portée du changement,
il est utile de référer au texte de la Loi sur la pharmacie 5 dont des extraits sont présentés dans
les encadrés ci-dessous.
« L’exercice de la pharmacie consiste à
évaluer et à assurer l’usage approprié des
médicaments, afin notamment de détecter
et de prévenir les problèmes pharmacothérapeutiques, à préparer, à conserver
et à remettre des médicaments dans le but
de maintenir ou de rétablir la santé ».
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Le champ d’exercice de la pharmacie se
complète d’une disposition commune à toutes
les professions visées par la nouvelle législation,
à savoir :
« L’information, la promotion de la santé
et la prévention de la maladie, des accidents et des problèmes sociaux auprès des
individus, des familles et des collectivités
sont comprises dans le champ d’exercice
du membre d’un ordre dans la mesure
où elles sont reliées à ses activités professionnelles ».
La « Loi 90 » octroie au pharmacien six
activités réservées, intégrées à l’article 17
de la Loi sur la pharmacie ; ces activités sont
énumérées ci-après, avec quelques commentaires si nécessaire.
« Dans le cadre de l’exercice de la pharmacie, les activités réservées au pharmacien
sont les suivantes :
1- émettre une opinion pharmaceutique ;
2- préparer des médicaments ;
3- vendre des médicaments, conformément
au règlement pris en application de l’article
37.1 [de la Loi sur la pharmacie] ;
4- surveiller la thérapie médicamenteuse;
[Corollaire de la définition du champ
d’exercice, cette activité confie au pharmacien
le soin de s’assurer, en utilisant les moyens
appropriés, que le médicament est utilisé suivant
la posologie prescrite, a l’effet anticipé ou encore
qu’il n’entraînera pas de réactions indésirables
ou d’interactions avec d’autres médicaments.
Par cette activité, le pharmacien participe, avec
les autres professionnels concernés, à l’évaluation
de la réponse thérapeutique.]
5- initier ou ajuster, selon une ordonnance,
la thérapie médicamenteuse en recourant, le cas
échéant, aux analyses de laboratoires appropriées ;
[Ce paragraphe introduit le changement
le plus significatif apporté par la « Loi 90 » à
l’exercice de la pharmacie.]
6- prescrire un médicament requis à des fins
de contraception orale d’urgence et exécuter
lui-même l’ordonnance, lorsqu’une attestation
de formation lui est délivrée par l’Ordre dans
le cadre d’un règlement pris en application
du paragraphe o de l’article 94 du Code des
professions ».
Conclusion
Avant l’adoption de la «Loi 90», les derniers
changements importants à la Loi sur la pharmacie
dataient de 1974. Ceux qui ont vécu cette période
savent que la mise en application des nouvelles
mesures imposées par cette loi ne s’est pas effectuée
instantanément. Pour ne citer qu’un exemple,
plusieurs mois et parfois même des années ont
été nécessaires avant que le dossier patient ne
devienne une réalité dans toutes les pharmacies
du Québec. Aujourd’hui, aucun pharmacien
n’imaginerait même exercer notre profession
sans un tel dossier.
Il n’en sera pas autrement avec les dispositions de la « Loi 90 ». Bien sûr, tout n’est pas dit
et beaucoup reste à faire pour appliquer ces
dispositions. L’Ordre fera tout ce qui est en son
pouvoir pour faciliter cette mise en application,
en collaboration avec les autres corporations
professionnelles et les pharmaciens eux-mêmes.
Depuis l’adoption de la « Loi 90 » et son entrée
en vigueur en janvier 2003, l’exercice de la pharmacie, au Québec, n’est plus et ne sera jamais
plus le même.
Dès maintenant, les pharmaciens peuvent
effectuer les nouvelles activités qui leur sont
réservées. Un guide sera bientôt publié afin
de les aider dans l’exercice de leurs activités.
L’élaboration de ce guide sera aussi l’occasion
pour l’Ordre de préciser l’étendue de l’application
des nouvelles dispositions de la « Loi 90 ». ❏
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Notes
1–Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé, (projet
de loi no 90), Éditeur officiel du Québec, juin 2002.
2–L'auteur était président de l'Ordre des pharmaciens
du Québec au moment de la soumission de ce commentaire à la revue Ruptures, en 2003.
3–L’exercice de la pharmacie au Québec, mémoire de l’Ordre
des pharmaciens du Québec présenté au Groupe
de travail ministériel sur les professions de la santé
(Groupe Bernier), juin 2001.
4–Loi sur la pharmacie, L.R.Q., c. P-10.
5–Idem.
Biographie
Jean-Yves Julien a été président de l'Ordre des pharmaciens du Québec de 2003 à 2005. Gradué de l’Université Laval :
bachelier en pharmacie (1966), certificat en pharmacie d’hôpital (1968), maîtrise en pharmacie (1983), et fellow
de la Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux (1993).
Expertise variée dans le domaine professionnel en ayant occupé diverses fonctions dans le réseau de la santé et
des services sociaux. Successivement chef de département de pharmacie, adjoint au directeur des services professionnels au centre hospitalier Sanatorium Bégin, directeur des approvisionnements en commun chez Partagec,
groupe d’achat pour les établissements de Québec et de Chaudière-Appalaches, et directeur général du centre hospitalier Sanatorium Bégin de 1990 à 1996. Pendant la même période, consultant occasionnel auprès de l’Association
des centres d’accueil du Québec, du ministère québécois de la Justice, du groupe d’achat Partagec et du ministère de la
Santé et des Services sociaux du Québec. En 1996-1997, conseiller cadre à la Régie régionale Chaudière-Appalaches, à ce
titre, responsable des sessions de formation pour les membres des conseils d’administration des établissements et
du dossier de pharmacie. Du mois d’avril 1997 à juin 1998, responsable de l’unité de coordination de la politique
du médicament au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux. Actuellement, conseiller en gestion pharmaceutique et de soins de santé.
Actif en pharmacie communautaire et engagé dans les associations professionnelles, il a représenté les pharmaciens à titre de membre du Conseil de l’Association des pharmaciens du Canada (CPhA) et de président du Conseil
des fellows de la Société Canadienne des Pharmaciens d’Hôpitaux (FCSHP).
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