Triceratops - Le monde des dinosaures

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Maîtrise de Biologie des Populations et des Ecosystèmes
Option Systématique, Evolution et Biodiversité
Année universitaire 2003/2004
Description du spécimen de Triceratops de la galerie de
paléontologie du Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris.
La classification du genre Triceratops
Par Florent Goussard
Sous la direction de :
Mr Philippe Taquet, Professeur au MNHN, Directeur de stage
Mr Fabrizio Cecca, Professeur à Paris VI, Tuteur Paris VI
Le remarquable spécimen de Triceratops calicornis (constitué d’un crâne dépourvu de
mâchoire inférieure) de la galerie de paléontologie du Muséum National d’Histoire Naturelle de
Paris arrive en France en Octobre 1912 sous l’impulsion du Dr Boule, conservateur de l’époque.
Cette arrivée est ici officiellement enregistrée sous le numéro de spécimen MNHN 1912 20.
Depuis sa création par Marsh en 1889, jusqu’à seize espèces ont été proposées au sein du
genre Triceratops. Mais au cours des vingt dernières années, notre compréhension de la biologie
des grands animaux actuels a fortement remis en cause la validité de ces espèces, sans pour autant
aboutir à un consensus, deux modèles (à une ou deux espèces) étant encore proposés actuellement.
Ainsi, parallèlement à une description complète du spécimen MNHN 1912 20, le point est
fait sur les travaux récents concernant la classification du genre Triceratops, tandis que proposition
est également faite d’intégrer ce spécimen aux futurs développements sur ce groupe, ce crâne étant
jusqu’à présent inconnu au sein des études modernes.
2
INTRODUCTION………………………………………………………………………..4
I. Description du spécimen Triceratops calicornis MNHN 1912 20……………………..6
A. Origine de T. calicornis……………………………………………………......6
B. T. calicornis MNHN 1912 20………………….................................................7
1. Localité et données stratigraphiques…………………………………... 7
2. Description……………………………………………………………...8
a. Mesures………………………………………………………….8
b. Relevé des os……………………………………………………9
II. Systématique du genre Triceratops…………………………………………………....14
A. Position phylogénétique du genre Triceratops………………………………...14
B. Classification du genre Triceratops……………………………………………15
1. L’évolution des idées…………………………………………………...15
2. Validité des hypothèses actuelles………………………………………18
C. Place et apport du spécimen MNHN 1912 20…………………………………20
CONCLUSIONS………………………………………………………………………….23
Bibliographie……………………………………………………………………………...24
Annexes…………………………………………………………………………………...25
3
Le Triceratops constitue indéniablement l’un des taxons fossiles les plus appréciés du grand
public, au même titre que son non moins célèbre contemporain Tyrannosaurus rex. Les différentes
reconstitutions représentant les redoutables affrontements de ces deux adversaires potentiels ont
beaucoup apporté à cette fascination naturelle que le Triceratops, de par ses dimensions et sa
morphologie si caractéristique, ne manque pas de faire naître en chacun de ses « visiteurs ».
Mais le Triceratops, à côté de cet aspect purement « médiatique », constitue également l’un
des « dinosaures » les mieux représentés actuellement, tant d’un point de vue de l’abondance de ses
enregistrements fossiles que du niveau de préservation de ceux-ci. On en dénombre en effet à
l’heure actuelle pas moins de 50 crânes plus ou moins complets, ainsi qu’une importante quantité de
matériel postcrânien, et ce, même si à ce jour aucun squelette complet n’a encore été découvert.
Cependant, il est également intéressant de constater que ce taxon, malgré sa notoriété et le
fort intérêt scientifique qui en découle, pose encore de nombreux problèmes quant à sa
compréhension d’un point de vue classification. De sa création en 1889 par Marsh aux dernières
théories en cours à l’heure actuelle, la systématique du genre Triceratops a ainsi connu une
constante évolution, sans pour autant qu’une réelle compréhension du taxon ne s’en dégage. Au
centre de ce débat, la question très controversée du nombre d’espèces.
En effet, il est apparu au cours des nombreuses études précédentes que cette morphologie si
caractéristique, basée sur le schéma général d’une « tête à trois cornes », présentait toutefois une
importante variabilité de formes et de dimensions. Or, de par l’absence de matériel juvénile et donc
d’hypothèses sur l’évolution de ces formes, la compréhension de cette variabilité a été soumise à
tout type d’interprétations, allant du modèle à espèces multiples à celui d’une espèce unique à
variabilité intraspécifique forte et dimorphisme sexuel.
C’est dans ce contexte de controverses et d’hypothèses nouvelles que nous allons à présent
nous pencher sur le réexamen du spécimen de Triceratops calicornis du Muséum National
d’Histoire Naturelle de Paris, ce spécimen n’ayant jamais fait l’objet d’une réelle étude depuis son
arrivée au sein de la galerie de paléontologie en Octobre 1912, sous l’impulsion du Docteur Boule.
Celui-ci, désirant ardemment acquérir un tel spécimen, s’adressa alors à l’un des plus prolifiques
« chasseurs de dinosaures » de l’époque, à savoir Mr. Sternberg, avec qui il fit déjà « affaire » à de
nombreuses reprises par le passé. Pour l’histoire, la correspondance de l’époque entre les deux
hommes nous dévoile deux forts caractères se livrant à un commerce acharné, plusieurs spécimens
4
ayant été proposés au Docteur Boule avant que les deux hommes ne parviennent finalement à
s’entendre sur un prix raisonnable (en l’occurrence 1000$).
Ainsi donc, en prenant comme point de départ une description complète du spécimen de
Triceratops enregistré MNHN 1912 20, un des buts de cette étude sera d’en déterminer la place
exacte aux vues des dernières hypothèses actuellement discutées.
Institutions :

LACM : Natural History Museum of Los Angeles County (Etats-Unis, Los Angeles)

MNHN : Muséum National d’Histoire Naturelle (France, Paris)

SMM : Science Museum of Minnesota (Etats-Unis, St. Paul)

USNM : U.S. National Museum of Natural History (Etats-Unis, Washington D.C.)

YPM : Peabody Museum of Natural History (Etats-Unis, New Haven)
Fig.1 : Spécimen de Triceratops calicornis du Muséum National d’Histoire naturelle, Paris.
5
A. Origine de T. calicornis (Marsh, 1898)
Cette espèce est construite sur la base de l’étude d’un crâne complet (avec mâchoire) et
d’une portion de squelette (USNM 4928) provenant de la formation Lance, dans le comté de
Niobrara, Wyoming. Marsh en donne la description suivante :
« Le crâne montre dans l’ensemble les caractéristiques bien marquées du genre Triceratops.
Un caractère spécifique est observable au niveau de la corne nasale, qui est en parfait état de
conservation. Celle-ci est dirigée vers l’avant et à la différence de ce qui a été décrit jusque-là est
concave sur le dessus, ce qui a suggéré le nom spécifique. La surface supérieure ou postérieure de
cette corne nasale ressemble légèrement au fond d’un sabot de cheval.
Les principales dimensions de ce crâne sont les suivantes : longueur de l’avant du bec à
l’arrière de la collerette pariétale, près de 196 cm ; de l’avant du bec à l’extrémité du condyle
occipital, 104 cm ; distance du condyle occipital à l’arrière de la collerette pariétale, 122 cm ; de
l’avant du bec à la pointe de la corne nasale, 58 cm ; taille des cornes frontales, 66 cm et diamètre
antéropostérieur de ces mêmes cornes à la base, 30 cm. » (Marsh, 1898, p.92).
Hatcher (1907) note cependant que la plupart des caractères observables chez le crâne du
type de T. calicornis, pouvant être considérés comme étant d’importance spécifique, sont également
présents chez le type de T. elatus, notamment pour ce qui est de la corne nasale qui amène Marsh à
donner son nom à l’espèce. Lull (1907), qui fournit également une comparaison de T. elatus avec T.
calicornis, note cependant des différences de proportions entre les deux crânes, avec des
prémaxillaires plus longs et un rostre plus large chez T. calicornis. Il note également une disposition
plus verticale du processus descendant du jugal chez T. calicornis, plus incliné vers l’arrière chez
T. elatus. Lull ajoute cependant aux explications d’Hatcher que ceci pourrait avoir été la
conséquence de différences de préservation entre les deux crânes, notamment de différences de
pression entraînant une compression plus ou moins importante des spécimens.
Par la suite Lull (1933) observe que ce spécimen type est l’un des plus grands crânes connus
de Triceratops (avec une longueur totale qu’il corrige à 210 cm, soit 14 cm de plus par rapport aux
données de Marsh), alors même qu’il ne le considérait pas comme ayant atteint complètement son
âge adulte. Son attention se porte également sur la longueur disproportionnée du museau.
6
Plus récemment Forster (1996) réinterprète la configuration particulière de la corne nasale
de ce spécimen (qui donne son nom à l’espèce) comme le résultat d’une fusion incomplète entre
l’ossification épinasale et le nasal lui-même. Il apparaît en effet que cette corne nasale est souvent
brisée, empêchant ainsi une bonne détermination de sa configuration originale.
B. T. calicornis MNHN 1912 20
1. Localité et données stratigraphiques
Les données apportées par la correspondance de l’époque entre le Dr. Boule et Sternberg ne
nous permettent malheureusement pas de localiser précisément le site d’où a été extrait le spécimen
de Paris. Nous pouvons simplement dire qu’il provient de la région de Lance Creek, Wyoming,
datée de 68 à 65 millions d’années (Crétacé Supérieur). Toutefois, l’enregistrement du spécimen
dans les archives du MNHN nous permet de localiser un peu plus précisément le site, en le situant
dans la région du Comté de Converse, soit le comté mitoyen à celui où fut découvert le type de T.
calicornis (Comté de Niobrara).
Il est important de noter qu’une part importante des spécimens connus de Triceratops
provient de cette seule région du Wyoming, pour une aire de distribution totale se limitant par
ailleurs à l’Amérique du Nord (Est et Ouest du Wyoming, Est du Montana, Sud-Ouest du Dakota
du Nord, Dakota du Sud, Centre du Colorado pour les Etats-Unis ; Alberta et Saskatchewan pour le
Canada ; Fig.2). Cette aire géographique très restreinte n’est pas sans conséquence quant à notre
compréhension du genre Triceratops, comme nous le verrons plus tard.
Site de découverte du
spécimen MNHN 1912 20
Lance Creek, Wyoming
Fig.2 : Aire de distribution des enregistrements fossiles se rapportant au genre Triceratops.
7
2. Description
Le spécimen MNHN 1912 20, uniquement constitué d’un crâne, est certainement l’un des
mieux préservés actuellement et, hormis la mandibule inférieure manquante, l’un des plus complets.
Paradoxalement, ce spécimen n’a jamais été étudié au sein des diverses études modernes et passées
sur le genre Triceratops.
Fait intéressant en ce qui concerne le niveau de préservation, la plupart des sutures ne sont
pas complètement fermées permettant d’une part un relevé des os crâniens relativement complet et
d’autre part une première conclusion quant à l’âge de l’individu considéré ici. Sur la base de
l’acceptation par Ostrom et Wellnhofer (1986) de l’idée selon laquelle la soudure des os constitue
vraisemblablement un signe d’âge avancé pour l’individu, la présence de ces seules sutures tendrait
à montrer que ce spécimen n’a pas encore atteint son âge adulte.
a. Mesures
77
126
115
78
106
40,5
124,5
24,5
18,5
28
86
12
14
11
12
59
203
85-90
Fig.3 : Mesures (en cm) du crâne du spécimen de Triceratops calicornis MNHN 1912 20.
(d’après Ostrom et Wellnhofer, 1986)
Avec une longueur totale de plus de deux mètres, ce spécimen représente l’un des plus
grands crânes de Triceratops connus actuellement, détail d’importance lorsque l’on admet
l’immaturité du spécimen. A noter également l’importante distorsion du crâne (due à une forte
pression latérale) introduisant un biais dans la mesure de la plus grande largeur, estimée à 85-90 cm.
8
Cependant, lorsque l’on compare cette estimation aux valeurs relevées chez d’autres
spécimens de Triceratops, on constate une importante différence très certainement due à cette
distorsion latérale du crâne plutôt qu’à une réelle caractéristique du spécimen, la seule valeur
équivalente de rapport Largeur/Longueur étant attribuée à un spécimen supposé plus jeune (Fig.4).
Espèce
MNHN 1912 20
T. flabellatus
T. serratus
T. prorsus
T. elatus
T. calicornis
T. brevicornus
T. hatcheri
T. eurycephalus
Age estimé
immature
Très jeune
immature
âgé
immature
immature
âgé
âgé
immature
Longueur L du crâne (cm)
203
187.9
171
152.3
193.4
210
165.2
185.4
138.6
Largeur l du crâne (cm)
85-90
86.4
115
94.4
?
155.2
112
132.8
129.7
Rapport l/L
0.44
0.46
0.67
0.62
?
0.74
0.68
0.72
0.93
Fig.4 : Mesures des spécimens types de différentes espèces de Triceratops
b. Relevé des os
Ce crâne présente toutes les caractéristiques propres au genre Triceratops comme citées
précédemment : trois cornes projetées en avant, une au-dessus de chaque orbite et une médiane plus
réduite située sur le nasal directement au-dessus de la limite antérieure des narines externes ; une
collerette crânienne allongée constituée du squamosal pair et du pariétal non fenestrés, projetée en
arrière et vers le haut au-dessus de la région cervicale ; ni cornes, ni pointes sur la marge ou la
surface de la collerette. Les principales autres caractéristiques observables sont typiques des
cératopsiens en général et ne sont donc pas limitées au genre Triceratops : Un « bec » compressé
latéralement constitué d’un rostre supérieur et d’un prédentaire inférieur tous les deux édentés ; un
prémaxillaire édenté ; une très large fosse nasale ; des orbites dirigées latéralement à la base des
cornes frontales et circonscrites par de robustes marges ; une fenêtre antéorbitaire réduite
descendant vers l’avant en s’éloignant de l’orbite ; une projection robuste et ventrale du jugal
recouvrant latéralement le quadratojugal.
D’autres caractéristiques propres à ce crâne et non diagnostiques du genre seraient : des
cornes frontales relativement longues et particulièrement robustes à section ovale, avec une
courbure prononcée vers l’avant ; la présence en quelques endroits d’époccipitaux coossifiés en
marge de la collerette ; la présence d’importantes marques de vascularisation tant au niveau de la
crête que des cornes frontales ; un condyle occipital grand, sphérique et légèrement orienté vers le
bas.
9
Rostre (R): En vue latérale, cet os, qui constitue
l’apex du « bec », présente un profil très incurvé mais
non crochu plongeant juste en avant de la corne nasale.
Bien que profondément creusé ventralement, il ne
présente pas de marges inférieures tranchantes.
Compressé latéralement, cet os présente un aspect effilé
dorsalement, tandis que la partie ventrale reste plus
évasée. Il reste séparé du nasal et du maxillaire par le
prémaxillaire qui lui confère un profil de « S » renversé.
Prémaxillaires (Pmx): Fusionnés jusqu’au rostre, ils
forment à l’avant les marges antérieure et ventrale des
narines externes. Postérieurement, les prémaxillaires
s’étendent en deux étroits processus latéraux séparant
nasal et maxillaire.
Maxillaires (Mx): En vue latérale, les maxillaires
présentent un profil triangulaire, leur sommet s’étirant
dorsalement vers l’orbite. Ces éléments sont constitués
de deux parties, une supérieure proéminente et se
prolongeant postérieurement par le jugal, et une
inférieure plus interne au profil incurvé vers l’extérieur
et portant les dents.
Fenêtre antéorbitaire (Fa) : Visible uniquement sur
le côté gauche du crâne, la partie droite ayant étant
recouverte d’enduit lors de la restauration du spécimen.
Cette fenêtre, ovale et orientée selon un angle d’environ
45°, s’ouvre le long de la marge supérieure du
maxillaire.
Fig.5 : Région circumnariale, vue latérale droite
Nasal (N): Il forme les marges dorsale et postérieure des narines externes et supporte la
corne nasale (Nh) médiane dont l’origine, d’une simple excroissance du nasal à une véritable
ossification indépendante, a été discutée par de nombreux auteurs. Pour ce qui est du spécimen
MNHN 1912 20, la présence d’une suture transversale à la base de la corne nous conduit à favoriser
l’hypothèse d’une ossification épinasale indépendante, bien que l’on puisse également constater la
présence d’une sulcature latérale importante passant par le sommet de la corne mais pouvant être
interprétée comme une fracture post-mortem de la structure en raison d’une inégalité entre les côtés
droit et gauche (Ostrom et Wellnhofer, 1986). Cette corne, réduite, est projetée vers l’avant selon un
angle d’environ 60° par rapport à la verticale.
Complexe narial : Il est constitué des narines externes (Ne) postérieurement et des
structures formant la fosse nasale (Fn) antérieurement. La marge postérieure de la fosse nasale est
formée d’un « pilier nasal » qui court obliquement de la base de la corne nasale à la zone de contact
prémaxillaire/maxillaire. Une paire de mince processus de forme rectangulaire se projette
postérieurement de la base de ce pilier vers l’intérieur des narines externes. Ces processus
rectangulaires divergent légèrement et sont profondément creusés latéralement et à leur base par un
canal rejoignant la fosse nasale. Celle-ci, mince, est fenestrée par une large ouverture au niveau
antérieur du prémaxillaire.
10
Frontal(F)/Préfrontal(Prf): L’utilisation importante
d’enduit lors de la restauration, liée à la possible fermeture
des sutures de la partie dorsale du crâne ne permet pas de
distinguer véritablement les limites de ces os. Cependant,
en se basant sur les études antérieures, il apparaît que le
frontal constitue la partie médiane située juste entre les
deux cornes frontales, tandis que le préfrontal forme les
marges antérieures et dorsales des orbites, marges très
développées et robustes, à l’aspect rugueux, jouant très
certainement un rôle de protection des yeux. Cependant,
une caractéristique intéressante est tout de même
observable sur ce crâne à la limite postérieure du frontal, à
la base des deux cornes massives, où l’on note la présence
d’une fontanelle (f) ouverte et cylindrique, signe d’une
croissance incomplète.
Fig.6 : Fontanelle frontale, vue postéro-dorsale
Lacrymal (L): Délimité dorsalement par le
préfrontal, antérieurement par le nasal et ventralement
par l’ensemble prémaxillaire/maxillaire/jugal, cet
élément forme postérieurement la marge antérieure de
l’orbite. Cet os ne peut pas être observé sur le côté
droit du crâne.
Postorbital (Po): Cet élément est principalement
représenté par les cornes frontales (Bh), massives et
légèrement compressées latéralement, à courbure
prononcée, situées immédiatement à l’arrière des
orbites et se projetant vers l’avant selon un angle
d’environ 40° par rapport à la verticale. Il est bordé
postérieurement par le squamosal et ventralement par
le jugal, ces sutures n’étant par ailleurs observables
que sur le côté gauche du crâne. On observe la
présence d’importantes traces de vascularisation à la
surface des cornes frontales semblant indiquer la
présence d’une gaine cornée recouvrant entièrement
ces cornes du vivant de l’animal (Forster, 1996).
Jugal (J): Cet élément, de taille importante, forme
la marge ventrale de l’orbite. Ventralement il se
projette sous la forme d’une extension proéminente
surplombant le maxillaire plus interne, et donnant
l’impression d’un bouclier latéral protégeant le point
d’insertion de la mandibule inférieure en recouvrant
carré et quadratojugal. Postérieurement, il est bordé
par le postorbital et le squamosal, et délimite lui-même
le bord antérieur et dorsal de la fenêtre temporale
inférieure (Fti) complétée postérieurement par le
squamosal.
Fig.7 : région circumorbitale, vue antéro-latérale
11
Carrés (Q): Ces éléments distinctifs sont rejetés
en arrière du crâne sous la collerette postérieure. En vue
latérale, chaque carré est recouvert par le processus
descendant du jugal et séparé de celui-ci par un élément
de relativement faible épaisseur, le quadratojugal (Qj). En
vue arrière, les carrés apparaissent verticaux et
s’épaississent vers leur extrémité ventrale en deux
condyles robustes (visible uniquement sur le côté droit du
crâne) assurant l’articulation avec la mâchoire inférieure,
système commun chez tous les reptiles. Le condyle le
plus extérieur des deux représente d’ailleurs le seul
élément visible du carré en vue latérale.
Fig.8 : Carré, vue postérieure droite.
Collerette postérieure :
 Le pariétal (P), qui latéralement présente un profil convexe, constitue le tiers central
de la collerette postérieure tandis les deux tiers restants sont représentés de part et d’autre par les
squamosaux. Au niveau de la fontanelle, à la limite antérieure du pariétal, on note la présence de
deux dépressions légèrement en retrait par rapport à la base des cornes frontales, et indiquant
vraisemblablement la position des fenêtres temporales supérieures secondairement comblées par
l’utilisation d’enduit. On notera d’ailleurs que le pariétal a visiblement été particulièrement
retouché lors de la restauration : toute la partie postérieure bordant le squamosal gauche semble
avoir été reconstituée.
 Le squamosal (Sq) présente une marge dorsale largement arrondie se prolongeant en
arrière quasiment jusqu’à la limite postérieure du pariétal, tandis qu’antérieurement il se resserre
jusqu’à passer au-dessus du quadratojugal et fermer la fenêtre temporale inférieure, dont il
constitue les marges ventrale (avec le quadratojugal) et postérieure.
 Abondamment et finement vascularisée, cette collerette devait vraisemblablement
être recouverte de peau du vivant de l’animal.
 En marge du squamosal, on note la présence d’époccipitaux (E) courts et obtus
partiellement fusionnés, et dont la longueur semble s’allonger à mesure que l’on se rapproche de
la partie supérieure de la collerette. Ces éléments, caractéristiques des cératopsiens, constituent
la seule ornementation de la collerette chez Triceratops.
Fig.9 : Collerette postérieure, vue latérale
12
Boîte crânienne : Visible en vue arrière, elle est située en
position centrale sous la collerette postérieure, soit directement sous le
pariétal. On y distingue différents éléments :
1) Le condyle occipital central (co), dont la structure particulière
parfaitement sphérique et largement proéminente, est caractéristique
des cératopsidés. Il s’agit du point d’articulation avec la colonne
vertébrale, sa structure conférant au crâne un fort degré de mobilité.
Projeté vers le bas, son orientation semble indiquer une position
inclinée de la tête (Ostrom et Wellnhofer, 1986).
2) Le foramen magnum (fm) : Situé juste au-dessus du condyle,
cette large ouverture circulaire permet à la moelle épinière de quitter le
cerveau pour rejoindre le corps au travers du canal médullaire des
vertèbres.
3) L’exoccipital (eo), pair, représente les deux tiers
latéraux de la boite crânienne sous la forme de deux
grandes expansions latérales de part et d’autre du
condyle, et soutient le squamosal à l’extrémité
supérieure des carrés.
4) Le basioccipital (bo), impair, représente le
dernier tiers de la boîte crânienne et est situé
directement sous le condyle. De chaque côté du
condyle on note la présence de deux paires de petites
ouvertures permettant la sortie des nerfs crâniens IX à
XII (glosso-pharyngien/vague/accessoire/hypoglosse).
Fig.10 : Boîte crânienne
A) Vue postéro-latérale droite, B) Vue postérieure
Prédentaire : Seul élément conservé de la mâchoire inférieure il constitue, avec le rostre
supérieur, le « bec » distinctif des cératopsiens. Edenté, il présente des marges supérieures creusées
par une longue cannelure dont la présence, associée aux traces de vascularisation présentes sur la
surface externe de l’élément, semblerait indiquer l’existence d’un bec corné beaucoup plus pointu
qui aurait recouvert le prédentaire dans son ensemble (Ostrom et Wellnhofer, 1986).
Fig.11 : Prédentaire, A) Vue dorsale, B) Vue ventrale, C) Vue latérale droite
Nous allons à présent nous pencher sur la systématique du genre Triceratops, tout d’abord
en le repositionnant d’un point de vue phylogénétique au sein des dinosaures, pour ensuite faire le
point sur les hypothèses actuelles et passées de la classification controversée de ce taxon et tenter
d’en tirer des conclusions quant à notre spécimen MNHN 1912 20
13
A. Position phylogénétique du genre Triceratops
Fig.12 : Position phylogénétique du genre Triceratops
A) D’après Pisani, D., Yates, A.M., Langer, M.C. et al., 2002.
B) D’après Dodson, P., 1996.
Le genre Triceratops appartient à l’ordre des Ornitischia, dont la conformation des os du
bassin est tout à fait semblable à celle rencontrée chez les oiseaux actuels, avec le pubis orienté
postérieurement, bien que cette similitude ne constitue qu’une convergence.
Le sous-ordre des cératopsiens représente l’ensemble des dinosaures à cornes et collerette,
que l’on ne retrouve qu’en Asie et Amérique du Nord. Leur position, longtemps discutée, est à
présent admise au sein des marginocéphales où ils se placent en groupe frère des
pachycéphalosauriens, sur la base de caractères tels que la position du pariétal associée au
squamosal dans l’élaboration d’un processus surplombant l’arrière du crâne. Des travaux récents
placent Liaoceratops yanzigouensis, découvert dans la province de Liaoning en Chine dans des
dépôts datés du Crétacé Inférieur (128-139 Ma, étage Berriasien) voir du Jurassique Supérieur
(145 Ma, étage Oxfordien-Kimmeridgien), comme le représentant le plus ancien de ce groupe (Xu,
Makovicky, Wang et al., 2002).
14
Le groupe des néocératopsiens, proposé par Sereno (1986), rassemble protocératopsidés et
cératopsidés, sur la base de caractères tels que la présence d’une collerette pariétale proéminente ou
encore une largeur importante de la tête par rapport au reste du corps.
La famille des cératopsidés représente quant à elle le groupe des dinosaures à cornes tels que
nous le connaissons, avec des cornes nasale et frontales à développement variable, une collerette
postérieure plus ou moins ornementée, des membres antérieurs plus courts que les membres
postérieurs (reflétant la bipédie ancestrale de Psittacosaurus, cératopsien du Crétacé Inférieur) et de
larges narines externes pour ne citer que quelques caractères dérivés classiques.
Enfin, la sous-famille des chasmosaurinés à collerette longue et cornes frontales
développées, à l’intérieur de laquelle se place le genre Triceratops, s’oppose aux centrosaurinés à
collerette courte et corne nasale plus développée que les cornes frontales (Fig.12).
B. La classification du genre Triceratops
1. L’évolution des idées
Depuis sa création en 1889 par Marsh (1831-1899), jusqu’à 16 espèces furent assignées au
genre Triceratops par divers auteurs, sur la base d’un matériel plus ou moins complet selon les cas.
Ainsi, l’auteur le plus prolifique fut sans nul doute Marsh lui-même, avec pas moins de 9 espèces
répertoriées : T. horridus (1889), T. flabellatus (1889), T. galeus (1889), T. serratus (1890),
T. prorsus (1890), T. sulcatus (1890), T. elatus (1891), T. calicornis (1898), et T. obtusus (1898).
En plus de ces 9 espèces, Marsh répertorie dès 1887 un spécimen qu’il nomme d’abord Bison
alticornus, aucun matériel semblable n’ayant été découvert jusque-là. Ce n’est qu’en 1889 qu’il le
transfère dans le genre Ceratops (qu’il crée en 1888), mais son affinité avec le genre Triceratops,
groupe qui nous intéresse ici, n’a jamais été réellement démontrée en raison d’un matériel
inadéquat. De même, T. horridus fut d’abord assigné au genre Ceratops, peu de temps avant que
Marsh ne se serve de ce spécimen comme type pour son nouveau genre, Triceratops.
La première espèce à ne pas avoir été nommée par Marsh, T. brevicornus (1905), est issue
des travaux d’Hatcher, qu’Ostrom et Wellnhofer (1986) présentent comme le véritable inventeur
des dinosaures à cornes, étant à l’origine de la découverte de la plupart des spécimens types des
différentes espèces, notamment de celles avancées par Marsh qui fut son principal employeur.
Enfin, le dernier acteur principal de « l’apogée » du genre Triceratops fut Lull, qui, s’il ne
proposa que deux nouvelles espèces, T. hatcheri (1907) et T. ingens (1915), n’en fut pas moins le
premier à proposer une réelle tentative de systématique du genre Triceratops, dans une
monographie de 1907 issue des travaux de Marsh et Hatcher mais que ceux-ci ne purent mener à
terme. Pour l’histoire, cette monographie est encore à l’heure actuelle considérée par beaucoup
15
d’auteurs comme le travail le plus remarquable ayant été réalisée sur les cératopsiens. Puis Lull
(1933) publie une seconde monographie, « A Revision of the Ceratopsia », dans laquelle il tente
d’affiner sa phylogénie, notamment en éliminant quatre espèces qu’il considère comme étant basées
sur du matériel inadéquat (trop fragmentaire) : T. alticornis, T. galeus, T. sulcatus et T. maximus.
C’est ainsi qu’il propose de rassembler les espèces restantes suivant 3 lignées :
1er Groupe
T. prorsus
T. brevicornus
T. horridus
2ème Groupe
T. elatus
T. calicornis
3ème Groupe
T. obtusus
T. hatcheri
Dans cette optique, Lull considérait le premier groupe comme le plus conservateur et
montrant une séquence d’augmentation de la taille du crâne parallèlement à une réduction de la
corne nasale. Le second groupe, quant à lui, était caractérisé par de grandes cornes frontales
associée à une corne nasale réduite. Enfin, le dernier groupe était caractérisé par une corne nasale
quasiment vestigiale. Et même si Lull note que cette « classification » qu’il présente ne tient
absolument pas compte de l’ordre dans lequel les différentes espèces proposées apparaissent dans la
colonne stratigraphique, cela n’en reste pas moins une tentative intéressante.
A la suite de Lull, trois autres espèces furent proposées, à savoir : T. maximus (Brown,
1933), T. eurycephalus (Schlaikjer, 1935) et T. albertensis (Sternberg, 1949). En 1949, Sternberg
ajoute l’espèce T. eurycephalus au diagramme de Lull et suggère que celle-ci soit commune aux
deuxième et troisième groupes, considérant ainsi que ces 2 groupes étaient plus étroitement liés
entre eux que chacun par rapport à la lignée aboutissant à T. horridus. Par la suite, les principales
publications concernant le genre Triceratops abordèrent d’autres sujets pour la simple raison qu’à
cette époque les questions de relations de parenté au niveau spécifique ne constituaient pas un
domaine fondamental.
Mais plus récemment, un nouveau concept d’espèce soulignant l’importance de la variabilité
morphologique dans la nature a été mis en avant par de nombreux exemples tirés du monde vivant
et appliqués aux enregistrements fossiles. C’est sur ce postulat de base qu’Ostrom et Wellnhofer
publièrent en 1986 la plus importante étude taxonomique sur le Triceratops depuis la monographie
de Lull (1907). Dans cette nouvelle monographie, en plus de l’étude du type et unique spécimen
connu de T. brevicornus (cédé en 1964 au Bavarian Museum par le Yale Peabody Museum),
Ostrom et Wellnhofer prennent le parti de réinterpréter l’ensemble des espèces de Triceratops
proposées jusque-là et avancent une conclusion nouvelle et très importante : d’après ces auteurs, il
n’existerait en réalité qu’une seule espèce valide, Triceratops horridus, cette profusion d’espèces ne
reflétant en réalité qu’une importante variabilité intraspécifique (Fig.13). Ils illustrent ainsi leur
propos par l’étude de la variabilité morphologique au sein de deux espèces actuelles de mammifères
16
d’Afrique à cornes, (l’Hartebeest Alcelaphus buselaphus et le buffle Sincerus cafer), présentées
comme des modèles convaincants de variation de taille et de forme des cornes.
Bien qu’éludé volontairement par Ostrom et Wellnhofer pour expliquer cette variabilité
intraspécifique, la notion classique de dimorphisme sexuel au sein du genre Triceratops intervient
avec les travaux de Lehman (1990). Partant ainsi de l’idée d’une seule espèce valide, T. horridus,
Lehman avance une réinterprétation des lignées proposées par Lull (1933), sur la base de
l’hypothèse suivante : la lignée T. brevicornus – T. prorsus – T. horridus représenterait les femelles,
tandis que la lignée T. calicornis - T. elatus correspondrait aux mâles. Enfin, la lignée T. obtusus –
T. hatcheri serait en réalité constituée de mâles âgés et pathologiques. Dans cette optique, les mâles
auraient donc des cornes plus longues et érigées, tandis que les femelles auraient des cornes plus
courtes et plus orientées vers l’avant.
Fig.13 : Profil des crânes de spécimens types révisés par Ostrom et Wellnhofer
(d’après Ostrom et Wellnhofer, 1986)
Ce schéma montre bien l’importance de la variabilité de forme au sein du genre Triceratops.
Puis dans les années 90, en s’appuyant sur une approche plus « méthodique » d’analyses
cladistiques et morphométriques, Forster (1996) propose une nouvelle hypothèse sur le problème
des relations spécifiques au sein du genre Triceratops. Ainsi, en se basant sur l’étude détaillée de
nombreux crânes (dont certains ne furent pas utilisés par Ostrom et Wellnhofer dans leur analyse)
17
combinée à l’utilisation de différentes techniques d’analyses multivariées, Forster cherche à mettre
en évidence des regroupements, indépendamment de l’histoire taxonomique du genre. Dans un
premier temps, il ressort de l’analyse de la distribution des caractères que T. brevicornus et
T. prorsus semblent séparés des autres spécimens. Cette séparation est finalement encouragée par
les analyses multivariées qui donnent pour leur part deux groupes : T. brevicornus – T. prorsus d’un
côté et T. horridus – T. flabellatus – T. serratus – T. elatus – T. calicornis – T. obtusus de l’autre.
L’interprétation de Forster est la suivante : puisque le groupe comprenant T. horridus se révèle être
le plus important en terme d’effectif, il ne peut s’agir d’un artefact de dimorphisme sexuel. Pour
Forster, nous sommes donc ici en présence de deux espèces distinctes, à savoir T. horridus et
T. prorsus. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette solution va même jusqu’à scinder en deux
la lignée des mâles proposée par Lehman, qui regroupe ces deux espèces.
2. Validité des hypothèses actuelles
Intuitivement parlant, l’hypothèse d’Ostrom et Wellnhofer (1986) est certainement celle qui
paraît la plus « naturelle », cette idée d’espèce unique étant en parfait accord avec notre
compréhension de la biologie des grands animaux actuels. En effet, considérer jusqu’à 16 espèces
de Triceratops sur une aire de distribution aussi restreinte (Fig.2) équivaudrait par exemple à en
dénombrer tout autant de nos jours pour des animaux tels que l’éléphant et le rhinocéros, qui ne sont
en réalité représentés respectivement que par une et deux espèces dans l’Afrique actuelle. Il existe
en effet de nombreuses raisons d’ordre écologique ne permettant pas d’observer une telle
prolifération d’espèce pour de tels animaux, ne serait-ce que la compétition pour les ressources
alimentaires.
De même il paraît raisonnable de penser, comme Lehman, que des organismes si imposants
puissent également présenter un dimorphisme sexuel, leurs cornes et collerette pouvant en effet
représenter des caractères sexuels secondaires non négligeables. Cependant, il est intéressant de
constater que les avis divergent également sur ce point. En effet, Forster oppose à cette hypothèse le
fait qu’elle impliquerait que les femelles soient plus courantes dans les archives fossiles selon un
ratio de 2 pour 1 par rapport aux mâles. Mais pour Dodson (1996) cette conséquence paraît
raisonnable d’un point de vue biologique, se basant toujours sur des exemples actuels : chez les
éléphants et les zèbres, par exemple, les femelles au mode de vie grégaire s’opposent aux mâles
plus dispersés et solitaires. Ainsi donc, l’hypothèse du dimorphisme sexuel, si elle ne semble pas
évidente sur le plan des enregistrements fossiles, n’en est pas moins défendable et constitue même
pour Dodson un domaine d’étude non négligeable et même nécessaire.
En ce qui concerne les travaux de Forster (1996), il est intéressant de noter qu’un spécimen
bien particulier, T. hatcheri, lui pose problème. Ce spécimen, d’abord considéré par Lull comme
18
appartenant au taxon Diceratops (Lull, 1907), fut par la suite replacé par synonymie au sein du
genre Triceratops (Lull, 1933). Or dans son étude Forster considère à nouveau Diceratops comme
un taxon valide en y replaçant T. hatcheri, sur la base des caractères suivants :
1) Absence de corne nasale : Forster reconnaît cependant que cette corne peut
également manquer chez certains spécimens de Triceratops, en raison d’une absence de
soudure entre l’ossification épinasale et le nasal lui-même.
2) Squamosal fenestré : La présence d’une large ouverture au niveau du
squamosal est un caractère que l’on retrouve au sein de l’ensemble des chasmosaurinés,
excepté chez Triceratops, ce qui tendrait à valider l’hypothèse de Forster. Cependant,
certains auteurs interprètent cette ouverture du squamosal chez Diceratops comme étant le
résultat d’une attaque ayant entraîné une blessure profonde. Forster oppose à cette
conception le fait que ces ouvertures ne présentent en aucun cas les caractéristiques d’une
fenestration par fracture (notamment au niveau des marges) et représenteraient donc un
caractère morphologique véritable malgré l’inégalité de taille entre les côtés droit et
gauche.
3) Pariétal fenestré : Malgré l’état de conservation peu important du spécimen allié
à un important travail de restauration par utilisation d’enduit, Forster note la présence de
marges suffisantes pour discerner la présence d’une ouverture sur le côté droit du pariétal,
le côté gauche n’étant pas suffisamment bien conservé pour permettre une telle
observation. Or ce caractère, à l’instar du squamosal fenestré, se retrouve chez l’ensemble
des chasmosaurinés excepté chez Triceratops.
4) Configuration particulière de la fontanelle frontale : Partagée uniquement avec
Torosaurus au sein de l’ensemble des cératopsidés, cette configuration consiste en deux
canaux s’étendant postérieurement et latéralement de la fontanelle (paire chez Torosaurus
et simple chez Diceratops) vers la marge antérieure de chaque fenêtre temporale
supérieure, chacun de ces canaux se terminant en un « foramen temporal antérieur »
(Marsh, 1892) au niveau du pariétal.
Ainsi pour Forster, l’ensemble de ces caractères tend à prouver la validité du taxon
Diceratops, ce qui est appuyé par une récente analyse cladistique des chasmosaurines (Forster,
1996). A cela Dodson (1996), sans pour autant rejeter l’hypothèse de Forster, oppose le fait que ce
spécimen (à l’état de conservation très faible et aux fenestrations potentiellement pathologiques)
apparaîtrait comme seul représentant du taxon, aucun autre n’ayant été découvert jusqu’à présent.
Cependant ce type d’argument n’apparaît pas comme une raison suffisante pour aller à l’encontre de
la validité de Diceratops car de nombreux taxons fossiles (à tous les niveaux hiérarchiques que ce
soit) ne reposent que sur un seul spécimen.
En conclusion, si actuellement aucune des deux hypothèses ne semble prendre
définitivement le pas sur l’autre, il est tout de même admis que celles-ci sont vraisemblablement
plus proches de la réalité que ne peut l’être le modèle à 16 espèces.
19
C. Place et apport du spécimen MNHN 1912 20
Selon le modèle à une seule espèce d’Ostrom et Wellnhofer (1986), le spécimen qui nous
intéresse dans cette étude serait donc assimilable à un T. horridus mâle, sur la base des groupes
sexuels définis par Lehman (1990). Mais qu’en est-il du point de vue du modèle à deux espèces
proposé par Forster (1996) ? Dans son étude, Forster construit ses analyses sur la base de 5
caractères principaux supposés variables et présentant des états potentiels bien distincts au sein des
spécimens étudiés :
1) Contact Squamosal/Jugal/Postorbital : On distingue deux situations
 Chez la majorité des spécimens étudiés, la marge dorsale de la fenêtre
temporale inférieure est constituée du jugal repoussant le squamosal à la seule marge
postérieure. Au niveau du contact avec le postorbital, on note toutefois la situation
inverse avec le squamosal s’étendant légèrement au-dessus du jugal et réalisant la
majeure partie de la suture avec le postorbital.
 Chez deux spécimens (YPM 1822 et SMM P62/1/1) cependant , on observe
la situation inverse : le squamosal constitue la marge dorsale de la fenêtre temporale
inférieure tandis que le jugal, repoussé au niveau de la seule marge antérieure, réalise les
deux tiers de la suture avec le postorbital en s’étendant largement au-dessus du
squamosal.
 Chez le spécimen MNHN 1912 20, on observe la première situation avec une
fenêtre temporale inférieure constituée dorsalement du jugal et postérieurement du
squamosal avec toutefois une légère variation, la suture avec le postorbital étant
représentée à part égale par le jugal et le squamosal, celui-ci ne s’étendant pas
antérieurement comme observé chez les autres spécimens (Fig. 14 A., schéma de
gauche). Cependant il est important de noter que seul le côté gauche du crâne permet ici
l’observation de ce système complexe de sutures.
Fig.14 : Différentes configuration du contact Squamosal/Jugal/Postorbital
A) D’après Forster, 1996 ; spécimens YPM 1821 (gauche) et YPM 1822 (droite)
B) Spécimen MNHN 1912 20 (image miroir de la vue latérale gauche)
20
2) Taille des cornes frontales : Ce caractère, très variable au sein des spécimens,
représente toutefois une des données les plus citées en tant que caractère spécifique aux
différentes espèces proposées jusque-là. Sur ce postulat de base, Forster propose une
mesure relative (rapport taille des cornes/taille du crâne à la base) pour contourner ce
problème de variabilité. Il en ressort ainsi deux groupes, à cornes courtes (rapport = 0,42
à 0,61) ou longues (0,69 à 0,71) auquel appartiendrait notre spécimen avec un rapport
supérieur à 0,71.
3) Fontanelle frontale : Lorsqu’elle est présente, cette fontanelle apparaît comme simple
(par opposition à la fontanelle paire de Torosaurus) et à ouverture circulaire, comme
cela a été remarqué sur notre spécimen (Fig.6). A l’opposé, cette fontanelle s’avère être
absente chez quelques spécimens de par la soudure du frontal et pariétal, fait unique au
sein des cératopsidés.
Fig.15 : Configuration de la fontanelle frontale (d’après Forster, 1996)
A) Fontanelle ouverte, USNM 2100
B) Fontanelle absente, YPM 1822
4) Forme du rostre : Deux morphologies semblent ici se dessiner. Classiquement au sein
des chasmosaurines, cet élément apparaît relativement allongé, la partie antérieure du
prémaxillaire conférant à la marge du rostre une forme de « S » renversé, comme
observable sur notre spécimen (Fig.5). Cependant, certains spécimens de Triceratops
peuvent présenter un profil de rostre beaucoup plus court et incurvé.
Fig.16 : Forme du rostre, vue latérale (d’après Forster, 1996)
A) Rostre allongé, en forme de « S » renversé, USNM 4928
B) Rostre court, plongeant, LACM 7207
21
5) Taille de la corne nasale : Cet élément présente une grande variété de forme et de taille
et, à l’instar des cornes frontales, fut souvent cité comme caractère spécifique. Sur la
base du même rapport de taille relative (taille corne frontale/taille du crâne à la base),
Forster définit deux états : corne courte et érigée (0,10 à 0,13) ou corne longue, incurvée
et dirigée vers l’avant (0,23 à 0,30). On note cependant pour le spécimen du MNHN la
combinaison d’une taille réduite (rapport 0,11) et d’une inclinaison très prononcée.
6) D’autres caractères fréquemment utilisés sont également discutés par Forster mais non
pris en compte car considérés comme caractéristiques du genre (caractères de la
collerette comme l’absence de fenestration) ou non utilisables car présentant une
variabilité trop importante (orientation des cornes frontales).
Soit d’après la classification proposée par Forster (1996) :
Ordre ORNITHISCHIA Seeley, 1888
« Bassin d’oiseau » : Pubis orienté postérieurement
Sous-ordre CERATOPSIA Marsh, 1890
Crâne pourvu de cornes et d’une collerette postérieure
NEOCERATOPSIA Sereno, 1986
Collerette postérieure proéminente, taille importante de la tête par rapport au corps
Famille CERATOPSIDAE Marsh, 1888
Cornes nasales et frontales à développement variable, collerette plus ou moins ornementée
Sous-Famille CHASMOSAURINAE Lambe, 1915
Cératopsidés à collerette longue et cornes frontales développées
Genre TRICERATOPS Marsh, 1889
Diagnose : Corne nasale situé sur le dessus des narines externes, variable d’une simple bosse
à une corne modérément longue ; fontanelle frontale petite et circulaire ou absente par
soudure du frontal et pariétal ; pariétal non fenestré, épais, et fortement vascularisé sur sa
face supérieure ; squamosal large et court relativement aux autres chasmosaurines, aux
marges latérales convexes et arrondies ; époccipitaux en marge de la crête.
TRICERATOPS HORRIDUS Marsh, 1889
Holotype : YPM 1820
Diagnose : Fontanelle frontale présente et circulaire ; pas d’autre autapomorphie spécifique.
Synonymes : T. flabellatus, T. serratus, T. elatus, T calicornis, et T. obtusus.
TRICERATOPS PRORSUS Marsh, 1890
Holotype : YPM 1822
Diagnose : Fontanelle frontale absente ; cornes frontales courtes relativement à la taille du
crâne ; rostre relativement court et plongeant, au bord arrondi.
Synonyme : T. brevicornis
Il apparaît donc ici que selon la terminologie de Forster le spécimen du MNHN serait donc
bien assimilable à T. horridus, sur la base des caractères suivants : fontanelle frontale ouverte et
circulaire, cornes frontales longues relativement à la taille du crâne, rostre allongé et en forme de
« S » renversé, corne nasale réduite.
22
En tant qu’un des crânes de Triceratops les mieux préservés à l’heure actuelle, le spécimen
de la galerie de paléontologie du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris mérite une
attention toute particulière. L’un des buts de cette description est ainsi de proposer l’intégration de
ce spécimen, jusqu’à présent inconnu des études modernes, au sein des futurs développements
relatifs au genre Triceratops.
Egalement présenté dans cette étude, il apparaît en effet que le problème de la classification
du genre Triceratops est encore loin d’être résolu, malgré l’apport indéniable de notre
compréhension de la biologie actuelle des grands animaux terrestres au cours des vingt dernières
années.
Ainsi, si le spécimen MNHN 1912 20 n’apporte pas en lui-même d’éclairage nouveau sur ce
problème de classification du genre Triceratops, son remarquable niveau de conservation en fait
indéniablement un candidat idéal pour tous les futurs travaux relatifs à ce groupe.
Enfin, et en accord avec les deux modèles admis actuellement (à une et deux espèces), le
spécimen T. calicornis MNHN 1912 20 est ici réassigné à l’espèce Triceratops horridus.
Remerciements
Je tiens à remercier Monsieur Philippe Taquet, professeur au MNHN, pour m’avoir donner
l’occasion d’une première expérience concrète de la paléontologie, qui plus est sur l’un des
spécimens les plus spectaculaires à mes yeux.
Je tiens également à remercier tout particulièrement Mlles Emilie Lang, Maeva Orliac, et Mr
Ronan Allain qui n’ont pas hésité à m’accorder de leur temps (précieux !!!) pour m’apporter
soutien, corrections et suggestions tout au long de la rédaction de ce mémoire.
23
Currie, P.J., Padian, K. 1997. Encyclopedia of Dinosaurs. Academic Press. 869 p. ISBN 0122268-10-5.
 Dodson, P. 1996. The Horned Dinosaurs : A Natural History. Princeton University Press.
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 Farlow, J.O., Brett-Surman, M.K., Walters, R.F. 1999. The Complete Dinosaur. Indiana
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 Forster, C.A. Juin 1996. Species resolution in Triceratops : Cladistic and morphometric
approaches. Journal of Vertebrate Paleontology 16(2): 259-270.
 Gee, H., Rey, L.V. 2003. A Field Guide To Dinosaurs : The essential handbook for
travellers in the Mesozoic. Barron’s Educational Series. 144 p. ISBN 0-764155-11-3.
 Hatcher, J.B., Marsh, O.C., Lull, R.S. 1907. The Ceratopsia. United States Geological
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Perspectives. New York : Cambridge University Press. p.211-229.
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Natural History Memoirs 3(3): 1-175.
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Mesozoic Vertebrate life : New research inspired by the paleontology of Philip J. Currie.
Indiana University Press. p.263-276.
 Spalding, D.A.E. 2001. Bones of Contention : Charles H. Sternberg’s Lost Dinosaurs. In
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inspired by the paleontology of Philip J. Currie. Indiana University Press. p.481-503.
 Sternberg, C.H. 1985. Hunting Dinosaurs : In the Badlands of the Red Deer river, Alberta,
Canada. Newest Press. 235 p. ASIN 0-920316-96-4.
 Sternberg, C.H. 1990. The Life of a Fossil Hunter. Indiana University Press. 286 p. ASIN 0253205-71-9.
 Weishampel, D.B., Dodson, P., Osmlska, H. (éds.) 1993. The Dinosauria. University of
California Press. 733 p. ISBN 0-520067-27-4.
 Xu, X., Makovicky, P.J., Wang, X.-L. et al. Mars 2002. Ceratopsian Dinosaur from China
and the early evolution of Ceratopsia. Nature, Vol. 416, 21 Mars 2002

24
Liste des figures :

Fig.1, p.4 : Spécimen de Triceratops calicornis du Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris.

Fig.2, p.6 : Aire de distribution des enregistrements fossiles se rapportant au genre Triceratops

Fig.3, p.7 : Mesures (en cm) du crâne de Triceratops calicornis MNHN 1912 20
(d’après Ostrom et Wellnhofer, 1986)

Fig.4, p.8 : Mesures des spécimens types de différentes espèces de Triceratops

Fig.5, p.9 : Région circumnariale, vue latérale droite

Fig.6, p.10 : Fontanelle frontale, vue postéro-dorsale

Fig.7, p.10 : Région circumorbitale, vue antéro-latérale

Fig.8, p.11 : Carré, vue postérieure droite

Fig.9, p.11 : Collerette postérieure, vue latérale

Fig.10, p.12 : Boîte crânienne, A) vue postéro-latérale droite, B) vue postérieure

Fig.11, p.12 : Prédentaire, A) Vue dorsale, B) Vue ventrale, C) Vue latérale droite

Fig.12, p.13 : Position phylogénétique du genre Triceratops
A) D’après Pisani, D., Yates, A.M., Langer, M.C. et al., 2002.
B) D’après Dodson, P., 1996.

Fig.13, p.16 : Profil des crânes de spécimens types révisés par Ostrom et Wellnhofer
(d’après Ostrom et Wellnhofer, 1986)

Fig.14, p.19 : Différentes configuration du contact Squamosal/Jugal/Postorbital
A) D’après Forster, 1996 ; spécimens YPM 1821 (gauche) et YPM 1822 (droite)
B) Spécimen MNHN 1912 20

Fig.15, p.20 : Configuration de la fontanelle frontale (d’après Forster, 1996)
A) Fontanelle ouverte, USNM 2100
B) Fontanelle absente, YPM 1822

Fig.16, p.20 : Forme du rostre, vue latérale (d’après Forster, 1996)
A) Rostre allongé, en forme de « S » renversé, USNM 4928
B) Rostre court, plongeant, LACM 7207
25
Liste des abréviations utilisées :
Description
Région circumnariale : R, Rostre ; Pmx, Prémaxillaires ; Mx, Maxillaires ; N, Nasal ; Fa, Fosse
antéorbitaire ; Ne, Narines externes ; Fn, Fosse nasale ; Nh, Corne nasale.

Région circumorbitale : Po, Postfrontal ; Bh, Cornes frontales ; J, Jugal ; L, Lacrymal ; Prf,
Préfrontal ; F, Frontal ; Fti, Fosse temporale inférieure.

Collerette postérieure : P, Pariétal ; Sq, Squamosal ; Q, Carré ; Qj, Quadratojugal ; E,
Epoccipitaux.

Boîte crânienne : co, Condyle occipital : fm, Foramen magnum ; eo, Exoccipitaux ; bo,
Basioccipital ; ls, Latérosphénoïdes ; nc, Sortie des nerfs crâniens.


Mandibule inférieure : P, Prédentaire.
Institutions

LACM : Natural History Museum of Los Angeles County (Etats-Unis, Los Angeles)

MNHN : Muséum National d’Histoire Naturelle (France, Paris)

SMM : Science Museum of Minnesota (Etats-Unis, St. Paul)

USNM : U.S. National Museum of Natural History (Etats-Unis, Washington D.C.)

YPM : Peabody Museum of Natural History (Etats-Unis, New Haven)
26
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