le film ne le prétend d’ailleurs pas. Mais ce que le documentaire suggère, en revanche, c’est qu’il existe
une sorte de corruption douce : vous pouvez gagner beaucoup d’argent grâce à l’industrie financière, vous
pouvez être coopté dans les conseils d’administration, mais à la condition que vous ne cassiez pas trop la
baraque (...) Et je pense que cela est très vrai. »
Suffit-il de rendre publiques ces relations tendancieuses pour éradiquer le mal ? C’est en tout cas le pari
que s’est lancée la prestigieuse Association américaine d’économie (American Economic Association, AEA)
– faisant suite à une lettre ouverte tirant la sonnette d’alarme lui étant adressée par pas moins de 300
économistes et non des moindres – qui exige depuis début 2012 que les articles publiés dans les revues
scientifiques de ses membres mettent à jour les éventuels conflits d’intérêts impliquant leurs auteurs. Les
économistes sont ainsi tenus de mentionner « les parties intéressées [1] leur ayant versé une
rémunération financière importante, c’est-à-dire d’un montant total supérieur ou égal à 10.000 dollars, au
cours des trois dernières années » [2] .
France : constat malheureusement identique
Mais revenons-en à la France et à ce que l’enquête menée par Laurent Mauduit nous révèle. Bien entendu,
l’ensemble des économistes et chercheurs que compte la France ne sont pas tous atteints du « syndrome »
qui sévit aux États-Unis. Pourtant, il existe bel et bien une petite caste d’économistes – parmi lesquels
citons Alain Minc (banquier d’affaire et conseiller de Nicolas Sarkozy), Jacques Attali ou Jean-Hervé
Lorenzi – qui détient le monopole d’expression dans les médias français. La preuve en chiffres. Entre le
1er septembre 2008 et le 31 décembre 2011, le journal Le Monde citait Patrick Artus (directeur des
études à la banque Nataxis) dans 147 articles, Jacques Attali dans 132 et Alain Minc dans 118. Dans le
même temps, les économistes hétérodoxes ou encore dits « attérés » que sont Jean Gadrey et Frédéric
Lordon ne se voyaient accéder aux tribunes du quotidien français qu’un nombre dérisoire de fois
(respectivement 4 et 5 fois). Ce constat prévaut malheureusement dans la plupart des magazines français,
à l’image de Libération ou Le Figaro. L’excellent documentaire Les Nouveaux chiens de garde de Gilles
Balabastre et Yannick Kergoat ne dit d’ailleurs pas autre chose, mettant notamment en exergue le nombre
impressionnant d’apparitions médiatiques de Jacques Attali pour l’année 2011 : pas moins de 572 !
Pourtant, cette poignée d’économistes surmédiatisés n’est pas aussi indépendante qu’elle n’y parait ou
que l’on veut nous le faire transparaître, la presse nous les présentant régulièrement sous leur seule
étiquette académique. Les conflits d’intérêts sont en effet légion parmi cette caste comptant nombre de
professeurs d’économie siégeant parallèlement dans des conseils d’administration d’entreprises privées
(banques, compagnies d’assurance...) alors que la loi française l’interdit formellement. Ce faisant, ceux-ci
ne peuvent s’empêcher d’assurer la promotion des mêmes idées économiques que sous-tendent les
entreprises privées qu’ils cautionnent par ailleurs. Nombre d’entre eux se sont d’ailleurs trompés dans
leurs pronostics face aux crises d’un système dont ils assurent la publicité. Comme l’indique Frédéric
Lordon dans Les Nouveaux chiens de garde, il y a « une constance dans l’erreur » et « une constance
similaire dans l’indulgence ». La preuve par A + B :
• Le 17 août 2007, alors que la crise des subprimes débutait aux États-Unis, Elie Cohen annonçait dans
Lemonde.fr que « dans quelques semaines, le marché se reformera et les affaires reprendront comme
auparavant ».
• Six mois plus tard, Alain Minc arguait : « On nous aurait dit qu’[il] serait régulé avec un doigté tel qu’on
éviterait une crise, qui aurait pu être quand même de l’ampleur de très grandes crises financières qu’on a
connues dans le passé ! C’est tout de même un univers au fond très résilient (...) L’économie mondiale
est plutôt bien gérée [3] ».
• Dans un numéro hors-série intitulé « Crise financière : analyses et propositions » de la Revue
d’économie financière publié en 2008, Jean-Hervé Lorenzi tenait les propos suivants : « Le diagnostic des
banques centrales a été rapide, juste et suivi d’effets. Dans une crise du marché interbancaire, elles ont su
avec talent esquiver la catastrophe ; en l’occurrence, elles ont évité aux États-Unis la faillite des banques
hypothécaires et permis à de grands établissements bancaires en véritable danger de réintégrer, sans
risque de liquidité, un partie de leurs produits titrisés ». Ironie du sort, à peine ces lignes rédigées, la
prestigieuse banque Lehman Brothers tombait, plongeant avec elle le système financier mondial dans la