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L'Inde doit maintenir le cap
LE MONDE ECONOMIE | 13.02.12 | 15h37
uelle signification les crises économiques et financières des pays à haut revenu ont-elles pour les pays émergents et en
développement ? La crise est dangereuse, non pas tant par ses effets directs que par les leçons que l'on peut en tirer.
Depuis que la crise financière a éclaté dans les pays à haut revenu, la performance économique des pays émergents les
plus importants a été remarquable.
Même en tenant compte du ralentissement annoncé pour 2012 par les dernières "Perspectives de l'économie mondiale"
du Fonds monétaire international (FMI), le produit intérieur brut (PIB) indien devrait enregistrer une progression de 43 %
entre 2007 et 2012. C'est un peu moins que les 56 % enregistrés par la Chine. Mais c'est beaucoup plus que les 2 % des
pays à haut revenu.
RÉVOLUTION
C'est une véritable révolution et cela prouve l'existence d'un fort découplage. On nous annonçait à la fin de 2008 qu'une
crise grave dans les pays à haut revenu affecterait négativement les économies en développement. Or les géants
asiatiques furent relativement épargnés. Ils trouvèrent les moyens d'amortir le choc.
Cela pourrait-il être à nouveau le cas ? Le choc sans doute le pire que l'on puisse redouter résulterait de la combinaison
d'une envolée des prix du pétrole - à la suite, par exemple, d'un conflit dans le Golfe - avec l'effondrement de la zone euro.
Un tel effondrement paralyserait temporairement, s'il ne le détruisait pas, le système financier de la zone euro. Ce qui
entraînerait de graves chocs mondiaux au travers des échanges, des transferts de capitaux, des finances et d'une
incertitude généralisée.
On peut aussi identifier des risques au sein même des grandes économies émergentes. Confrontée à une nouvelle
récession grave dans les pays à haut revenu, la Chine pourrait se trouver incapable de la compenser par une énorme
hausse de l'investissement financé par le crédit, comme elle l'a fait il y a trois ans.
Selon l'économiste Andy Xie, l'investissement en capital fixe a atteint 65 % du PIB. Il est quasiment impossible d'imaginer
que ce taux puisse être encore augmenté sans risquer un énorme excédent de capitaux inutiles et une crise subséquente
de l'investissement.
Un nouveau choc mondial causerait aussi du tort à l'économie indienne. Dans ses Perspectives pour l'économie mondiale
parues en janvier, la Banque mondiale note que "les conditions actuelles sont moins favorables aux pays en
développement qu'elles ne l'étaient en 2008".
L'Inde présente des déficits budgétaires importants et doit s'acquitter d'intérêts élevés pour reconduire sa dette publique.
Avec un déficit des comptes courants de près de 4 % du PIB en 2010, le pays serait vulnérable à un nouveau choc
mondial de grande ampleur. Mais si de tels scénarios sont possibles, ils sont loin d'être probables.
CROISSANCE RAPIDE
La zone euro pourrait finir par adopter des mesures adéquates. De même, il est possible que le conflit avec l'Iran soit
évité. En second lieu, un vaste pays relativement pauvre comme l'Inde (avec un PIB par tête équivalent, à parité de
pouvoir d'achat, à seulement un douzième de celui des Etats-Unis) peut quand même générer une croissance rapide en
comblant son retard avec les pays les plus riches, quel que soit, quasiment, l'environnement mondial.
Les observateurs indiens les plus éclairés savent bien que les principaux obstacles à un développement économique
rapide sont d'ordre interne et non externe.
On peut relever, en premier lieu, les erreurs de gouvernance, parmi lesquelles le gaspillage que constituent les
subventions distribuées à tous les niveaux de gouvernement, un bilan catastrophique en matière de fourniture de services
d'éducation et de santé à la majorité de la population, la rigidité des lois sur le travail, des infrastructures inadéquates et
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de coûteuses restrictions sur une utilisation efficace des terres.
Le plus gros danger entraîné par un nouveau choc mondial proviendrait d'un gel des réformes. Je perçois ici deux
menaces.
La première, et la moins grave, découlerait des réactions mondiales face à une nouvelle crise éventuelle. Jusqu'à présent,
cependant, la réaction réglementaire, en tout cas dans le domaine de la finance, ne devrait pas causer de tort à l'Inde.
S'il adoptait les normes mondiales émergentes, par exemple, le système financier indien, loin d'en pâtir, s'en porterait
sans doute mieux. Adopter le protectionnisme "extérieur" représenterait une menace plus grande. Mais jusqu'à présent, et
même si les risques existent bel et bien, rien de trop grave ne s'est produit sur ce plan-là.
La seconde menace, beaucoup plus inquiétante, serait que les Indiens reprennent à leur compte, sans le moindre
discernement, l'antienne du "capitalisme en crise" : de la même façon, l'une des pires conséquences de la Grande
Dépression des années 1930 fut l'adoption de politiques anti-échanges et antimarché par une grande partie du monde en
développement au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Il serait catastrophique de voir émerger à nouveau une telle réponse, alors que "la réforme et l'ouverture", comme disent
les Chinois, ont commencé à donner de si bons résultats, même en Inde.
CRISE DES IDÉES ERRONÉES
Le point essentiel est que ce qui s'est passé n'est pas une crise de l'économie de marché, mais une crise des idées
erronées à son sujet.
Correctement soutenus et régulés, les marchés concurrentiels demeurent sans comparaison possible le meilleur moyen
de générer un accroissement durable de la richesse. Nous sommes, ici, aussi près d'un fait attesté qu'il est possible de
l'être dans les sciences sociales.
Cela devrait manifestement être le cas en Inde, où tant de marchés sont déformés de façon inutile et désastreuse par des
interventions gouvernementales contre-productives.
Quelle leçon un pays tel que l'Inde doit-il tirer de la crise pour définir sa propre politique ? Tout d'abord, parce qu'il est
capable de générer une énorme instabilité, le système financier doit être surveillé.
En second lieu, l'intégration de l'Inde dans le système financier mondial doit s'effectuer avec prudence. De très grosses
crises peuvent être financièrement et socialement gérables dans les pays à haut revenu, mais les laisser éclater dans un
pays comme l'Inde serait totalement irresponsable.
Que conclure ?
Tout d'abord, le destin de l'Inde repose essentiellement entre ses mains.
Deuxièmement, les réformes qui eussent été bienvenues avant la crise le seraient tout autant, sinon plus, aujourd'hui.
Ensuite, l'Inde doit se protéger contre les gros risques macroéconomiques, notamment ceux liés aux déficits budgétaires
excessifs, à une intégration mal négociée dans le système financier mondial et, à plus long terme, à un crédit intérieur
incontrôlé.
Enfin, les Indiens doivent rejeter l'idée selon laquelle la crise est la preuve que les économies de marché ne fonctionnent
pas, et garder à l'esprit que les économies touchées par la crise sont toujours, à l'heure actuelle, les pays à haut revenu,
et qu'il y a une bonne raison à cela (cette chronique est publiée en partenariat exclusif avec le "Financial Times". © FT.
Traduit de l'anglais par Gilles Berton).
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Martin Wolf, éditorialiste économique
Article paru dans l'édition du 14.02.12
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