Qu’est-ce qui, alors, explique cette avalanche de diagnostics ? D’accord, on dépiste mieux les malades qu’avant.
Les autistes, par exemple, étaient autrefois confondus avec les déficients intellectuels. De meilleurs diagnostics
en santé mentale permettent aux enfants de bénéficier d’éducation spécialisée, de réadaptation et de
traitements, sans lesquels ils mèneraient une vie plus ardue. Mais il y a plus. Notre société serait devenue
intolérante à la différence et à la turbulence, avancent certains psychiatres.
Au fil des versions du DSM — de la première, parue en 1952, à la cinquième, en 2013 —, l’AAP a
progressivement inclus de nouveaux troubles mentaux dans son ouvrage ou élargi les critères diagnostiques de
certaines maladies. Elle voulait sans doute bien faire et s’assurer qu’aucun enfant ou adulte ne serait oublié par
le système de santé, se retrouvant sans diagnostic et sans traitement. Sauf que les psychiatres, comme le
Dr Mottron, doivent maintenant lutter contre les effets pervers de cette inflation diagnostique.
À l’hôpital Rivière-des-Prairies, il dit passer autant de temps à diagnostiquer de nouveaux cas d’autisme qu’à
rejeter des diagnostics suggérés par le système scolaire ou d’autres médecins. Et cela dépendrait en partie du
DSM.
Car en 1994, l’AAP a ajouté quelques pages à sa bible des troubles mentaux pour y inclure une nouvelle
pathologie appartenant au spectre de l’autisme : le syndrome d’Asperger. Typiquement, les personnes atteintes
manifestent des intérêts qui dépassent toute commune mesure, par exemple pour les dinosaures, la musique,
l’astronomie ou l’informatique. Elles arrivent difficilement à interagir avec leurs pairs et beaucoup s’astreignent
à une routine stricte.
« Ce sont des gens qui ne sont pas tout à fait comme les autres », résume le Dr Mottron. Mais à quel point faut-il
être différent pour être Asperger ? Apparemment, selon certains médecins, pas beaucoup ! « Je suis toujours
étonné de voir à quel point la moindre originalité sociale est considérée comme une maladie », explique-t-il. Le
psychiatre estime avoir vu 2 000 enfants autistes au cours de sa carrière.
Plus il en voit, plus il devient prudent.
« Prenez un garçon avec un quotient intellectuel exceptionnel, disons de
135, illustre-t-il. Placez-le dans une classe d’enfants médiocres. Vous allez
peut-être constater qu’il regarde ses camarades sans attendrissement et
qu’il ne s’intéresse qu’à l’astrophysique. Ou peut-être qu’il est captivé par la
beauté des équations mathématiques et ne se soucie pas de séduire les
filles, comme ses compagnons de classe. Son enseignant risque de le trouver
étrange. Ses parents aussi, peut-être. Mais changez-le d’école et mettez-le
dans une classe de surdoués. C’est possible qu’il se remette rapidement à
socialiser. »
De l’avis du Dr Mottron, les critères diagnostiques trop flous du DSM ont permis à l’autisme de prendre des
proportions inquiétantes. Selon des études menées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il suffit de modifier
légèrement la formulation des symptômes énumérés dans le manuel pour que les cas soient réduits de près de
moitié.
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