Été 2012

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Histoire militaire & Stratégie
lettre d’information de l’
Institut de stratégie et
des conflits - Commission
française d’histoire militaire
Éditorial
ISC-CFHM
28
Été 2012 – n° En route pour Sofia
L
’année universitaire 2011-2012 se termine pour la CFHM dans un mélange de tristesse et de sentiment du
devoir accompli. Tristesse avec la disparition prématurée de notre président d’honneur, Hervé Coutau-Bégarie,
le 24 février dernier ; sentiment du devoir accompli car, en dépit de cette perte immense, la CFHM a continué et
développé ses activités. Nos réunions et nos conférences se sont déroulées avec régularité dans le cadre prestigieux
de l’École militaire. Deux de ces séances avaient un thème précis : l’armistice de 1940 et la guerre d’Indochine.
Elles ont toutes deux donné lieu à la projection d’un film. Une journée sur les blocus s’est déroulée à Paris en
avril. La parution régulière de la lettre d’information Histoire militaire et Stratégie a permis de maintenir le lien
indispensable entre les membres.
Sous la vigoureuse impulsion de notre trésorier, François Deleuze, le nombre de nos membres est en augmentation.
La sortie sur le porte-avions Charles-de-Gaulle à Toulon – qui a été un grand succès – montre la capacité de la CFHM
à organiser des visites sur des sites militaires majeurs.
Le processus de fusion de la CFHM au sein de la nouvelle structure, appelée ISC-CFHM, est entré dans sa phase
ultime. L’arrivée à sa tête du Pr. Georges Henri-Soutou, universitaire de renommée internationale, est une
garantie de rigueur scientifique et un gage de sauvegarde de l’autonomie de la CFHM au sein de cette structure.
L’organisation du congrès de Paris 2014, malgré les bouleversements politiques, s’est poursuivie. Le n°90 de la RIHM
est sous presse et sera distribué aux membres des délégations étrangères en Bulgarie.
Le congrès d’août 2012 à Sofia sera ainsi l’occasion pour la CFHM de prouver sa vitalité et son dynamisme.
À tous et à toutes, nous vous souhaitons un bon été.
Jean-Nicolas Corvisier,
Pierre-Emmanuel Barral,
président de la CFHM
secrétaire général de la CFHM
Vie de la Commission
• La CFHM organise une seconde visite du porte-­avions Charles-de-Gaulle le samedi 27 octobre 2012 à Toulon. Le nombre de
places est limité. Inscription (clôture : 1er juillet 2012) auprès du
secrétaire général : [email protected]
• Sandrine Monnerat, membre de la CFHM, a intégré le bureau
de l’Association suisse d’histoire militaire (ASHM). Elle est devenue également webmestre du site internet de l’ASHM. Une collaboration étroite et régulière entre la CFHM et l’ASHM va être mise en
place. Site de l’ASHM : www.militariahelvetica.ch
• La CFHM est partie prenante du colloque international
« Paix et Constitutions » organisé le 20 et le 21 septembre
2012 par l’Université de Bourgogne, la Faculté de droit et de
science politique de Dijon (CREDESPO), la Maison des sciences de
l’homme de Dijon (UMS CNRS 2739) et l’Association française des
communes, départements et régions pour la paix (AFCDRP).
• Le n° 90 de la Revue Internationale d’Histoire Militaire
(RIHM) est sous presse. Le thème de ce numéro porte sur « Les prises d’otages dans l’histoire ». Il contient les communications des
deux journées d’études organisées l’an dernier à Paris et à Boulognesur-Mer, avec une participation italienne, hongroise, suisse et belge.
Ce volume sera distribué aux participants du congrès de Sofia.
• Le n° 100/101 de la revue Stratégique, consacré au thème « Insurrection et contre-insurrection », sera disponible
à partir du mois de juin.
Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012
1
Les conférences de la CFHM
Dönitz, le dernier « Führer »
par François-Emmanuel Brézet*, le 21 janvier 2012
L
’accession, fin janvier 1943, au rang de commandant
en chef de la Kriegsmarine, en remplacement du grand
amiral Erich Raeder, n’allait pas permettre à Dönitz de
donner toute sa mesure. Dans l’Atlantique Nord, la situation s’était largement retournée en faveur des alliés : le
taux de pertes en U-Boote, devenu inacceptable, contraignait Dönitz à ordonner en mai 1943 le retrait des sousmarins de ce théâtre d’opérations ; ils ne pourront jamais
y retourner de façon durable, la bataille de l’Atlantique
était définitivement perdue. La guerre était parvenue à
un tournant : l’annonce par les alliés de l’exigence de la
capitulation sans conditions (janvier 1943, conférence de
Casablanca), la capitulation de l’armée Paulus à Stalingrad (fin janvier), l’échec de la bataille de Koursk (juillet),
aboutissaient du côté allemand à une radicalisation idéologique de la guerre, qui, dans la propagande nazie, devint
une guerre de défense de la civilisation européenne contre
le bolchevisme. Pour Hitler lui-même, il fallait continuer
le combat jusqu’à ce que la dureté de la guerre et la crainte
d’une victoire finale des forces soviétiques aient fait éclater le front adverse. Le peuple allemand était jugé particulièrement préparé à ce combat de survie par les vertus
du national-socialisme. Entré dans le premier cercle des
fidèles du Führer, Dönitz s’y manifestera par son adhésion
fanatique au principe de guerre à outrance, et soutiendra
de façon inconditionnelle le refus de Hitler de céder le
moindre pouce de terrain. Afin de convaincre Hitler de
sa capacité à maintenir l’esprit offensif dans la Kriegsmarine, il ordonnera la reprise de la guerre sous-marine,
acceptant, selon ses propres termes, « des pertes sans
rapport avec les succès obtenus » : de novembre 1943 à
mai 1945, 455 U-Boote et 15 000 marins disparurent, les
pertes infligées aux amarins de conception nouvelle, dont
il avait garanti au Führer qu’ils changeraient la face de la
guerre sous-­marine, ils ne purent être achevés à temps.
Redoutant, devant le développement rapide de l’offensive alliée, une scission du territoire allemand, Hitler avait nommé Dönitz commandant de la zone nord le
15 avril 1945. Le 21, il prenait sur son ordre congé du
Führer à Berlin, l’assurant de sa détermination à mobiliser tous les moyens à sa disposition pour continuer
le combat : il rassemblera tous les marins disponibles
(3 000 hommes environ dont une promotion de cadets) et
les enverra, sommairement armés, à Berlin. Convaincu
– à la suite d’une visite au quartier général de la Wehrmacht à Rheinsberg – du caractère inéluc­table de l’effondrement final, il n’en refusait pas moins encore toute idée
de capitulation. Le 30 avril vers 19 h 30, Dönitz recevait
à son QG de Plön un message de Borman, resté à Berlin
auprès du Führer, lui annonçant que ce dernier faisait de
lui son successeur en lieu et place de l’ex-Reichsmarschall Göring. Le message passait assez étrangement sous
silence le fait que le Führer s’était déjà donné la mort à
15 h 30. Dönitz observera, dans ses nombreux écrits, la
plus entière discrétion sur le message qu’il enverra le
lendemain au Führer pour l’assurer de sa fidélité incon-
2
ditionnelle, des efforts
qu’il allait faire pour le
dégager de Berlin, et de
sa détermination « si le
destin [le] contraignait
à diriger le Reich allemand en tant que successeur désigné par lui,
à conduire cette guerre
à une fin qui soit digne
du combat héroïque du
peuple allemand ». Le
1er mai à 10 h 53, un
nouveau message de
Borman l’informait, sans autre précision, que le « testament entr[ait] en vigueur », et lui demandait de différer la publication de la nouvelle. Ce ne fut qu’à 15 h 18
qu’un troisième message, signé celui-là de Goebbels, lui
annonçait la mort du Führer, et le laissait libre du choix
de la forme et du moment de la notification à la troupe.
Le soir même, travestissant quelque peu la réalité, il
informait la population allemande par radio et la Wehrmacht par ordre du jour, de la mort au combat du Führer
« à la tête des défenseurs héroïques de la capitale », de
sa prise de fonction comme chef de l’État, et du transfert
sur sa personne du serment de fidélité.
Changeant totalement d’attitude à l’égard de la poursuite de la guerre, il décidera de mettre fin aux combats
dans les plus brefs délais, sous la seule réserve de créer
les conditions qui permettraient au maximum de soldats et de civils d’échapper, par une fuite vers l’ouest,
à la capture des « bolcheviks », et cela moins pour des
raisons humanitaires qu’afin de préserver pour l’avenir
l’« essentiel de la substance du peuple allemand ». Sa
tentative d’obtenir une capitulation séparée se solda par
un échec. Une ouverture du front à l’ouest et un repli à
l’est auraient sans doute eu davantage de succès. L’accent enfin mis sur l’évacuation des populations civiles, il
arrivait aussi, pour sa part, beaucoup trop tard.
Dönitz avait obtenu un premier résultat qui pouvait
être porté à son crédit : la capitulation signée s’était
effectuée rapidement et sans incident notable. S’agissant du nouveau gouvernement allemand qu’il avait
formé, il semble bien qu’il ait espéré pouvoir continuer
à le diriger et que – sauf à concéder, peut-être, quelque
limitation au pouvoir absolu du Führer – l’État national-socialiste pourrait être maintenu dans son essence ;
toute forme d’État républicain, de « gouvernement de
partis », synonyme pour lui de mutinerie, de révolution
et de chaos, étant exclue. Mais les Alliés, qui n’avaient
jamais attendu du « gouvernement Dönitz » autre chose
que la bonne exécution de la capitulation, mirent fin
de façon volontairement spectaculaire, le 23 mai, à
l’« expédient provisoire » en déclarant prisonnier de
guerre l’ensemble de ce gouvernement. Inculpé de
« préparation de guerre d’agression » et de « crime
Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012
Les conférences de la CFHM (suite)
de guerre », Dönitzfut condamné à dix ans de réclusion par le tribunal de Nuremberg, bien que celui-ci
l’ait lavé, dans ses attendus, du second motif d’inculpation. Cette condamnation contestable – dont on sait
maintenant qu’elle fut le résultat d’un accord âprement
négocié entre les juges occidentaux, partisans de l’acquittement, et les Soviétiques – lui donnera la palme
du martyre et coupera les ailes à toute procédure ultérieure de « dénazification » qui aurait pu être enclenchée contre lui. Dönitz sera crédité d’avoir assuré une
sortie de la guerre sans que se déclenche l’apocalypse,
qu’il avait lui-même prédite lorsqu’il préconisait la
résistance à outrance, et d’avoir joué un rôle déterminant dans le sauvetage par mer de millions de réfugiés,
alors qu’il accordera jusqu’au bout la priorité au soutien maritime des unités encerclées dans les poches de
résistance, dont il avait encouragé la constitution.
Ses Mémoires de guerre contribueront longtemps à
l’entretien du mythe de la guerre sous-marine, créé par
la propagande de guerre nazie. Il consacrera le quart de
siècle qu’il lui restera à vivre après sa sortie de prison à
la défense de sa propre légende, sans jamais exprimer
le moindre regret sur son allégeance fanatique à l’idéologie nazie, ni la moindre réserve sur celui dont il avait
en­couragé et suivi le jusqu’au-boutisme suicidaire :
Adolf ­Hitler.
*François-Emmanuel Brézet est le spécialiste français
de l’histoire de la marine allemande et a écrit plusieurs ouvrages
sur le sujet. Il est membre de la CFHM.
Corée : histoire, mémoire, actualité, par le colonel Alain Nass* le 4 février 2012
Corées, zone démilitarisée et frontières, poids
de l’histoire et espoirs de réunification
La zone démilitarisée intercoréenne (DMZ) sépare depuis
1953 les deux Corées, dans le cadre d’un accord « temporaire » de cessation des hostilités signé le 27 juillet 1953
entre les commandants militaires des pays belligérants,
un armistice toujours en vigueur qui n’a jamais pu être
remplacé par un traité de paix.
Cette zone, de fait fortement militarisée, est l’héritage
de la partition de la péninsule coréenne au 38e parallèle
en 1945, une division qui portait en germe les causes
du conflit de 1950 et les séquelles qui perdurent jusqu’à
aujourd’hui. Sa partie sud est placée depuis ses origines
sous la responsabilité du commandement des Nationsunies (UNC), instauré en juin 1950 par la Résolution 84
du Conseil de sécurité, toujours en vigueur. L’UNC agit
sous le drapeau des Nations-unies et opère un état-major
qui gère l’armistice et des mécanismes qu’il a créés.
Dispositif terrestre de séparation physique des belligérants, la DMZ est complétée en mer, à l’est comme
à l’ouest, d’une ligne de démarcation maritime (NLL)
établie unilatéralement par l’UNC en 1953, hors cadre
de l’armistice. La Corée du Nord ne reconnaît pas cette
ligne, qui est, depuis les années 1990, le théâtre d’incidents intercoréens graves.
La DMZ, symbole de guerre et de division
sous influence étrangère
En 1945, la division de la péninsule au 38e parallèle n’est
au départ qu’une partition tactique temporaire, proposée
aux Soviétiques par l’état-major de Mac Arthur dans le
cadre de la guerre contre le Japon. Pour gérer la reddition des troupes japonaises en Corée, déployées jusqu’en
Mand­chourie, les États-Unis devaient s’assurer que les
Forces soviétiques, seules présentes dans la région et
entrées en guerre sur le tard contre le Japon, cesseraient
leur avance vers le sud sans occuper totalement la péninsule, une action qui les auraient mises aux portes du Japon
sans que les Américains puissent s’y opposer.
Les Soviétiques acceptèrent d’arrêter leurs Forces au
38e parallèle et de gérer cet espace géographique coréen
jusqu’à la frontière chinoise. Ils y installèrent Kim Il
Sung et ses cadres, vétérans des guérillas anti-japonaises
opérant en Mandchourie.
Le 38e parallèle devient ainsi de fait, dès 1945 lors de
la « libération » contre l’occupant japonais, la première
frontière séparant les deux régimes coréens, idéologiquement antagonistes, qui se créent en 1948-1949 de part et
d’autre, les Américains soutenant le Sud. Ligne de division artificielle, difficile à tenir, qui sépare des milieux
géographiques et humains homogènes, la situation y est
d’emblée conflictuelle, chaque camp coréen s’évertuant
à gagner du terrain sur l’autre par les armes. À partir de
1948, avec le départ des Forces d’occupation soviétiques
et américaines, les accrochages intercoréens deviennent
quotidiens, et leur ampleur croît avec la détermination
des deux régimes à se lancer dans l’aventure de la réunification à son profit. Jusqu’à ce que le Nord envahisse le
Sud le 25 juin 1950, début de la guerre de Corée.
Tout au long du conflit, le 38e parallèle reste un enjeu
capital pour les belligérants. Après les échecs respectifs
de réunification par les armes en 1950-1951, qui verront le 38e être franchi plusieurs fois dans les deux sens,
la ligne devient, dès mi-1951, l’enjeu des négociations
de cessation des combats, avec l’idée de création d’une
zone tampon dont la vocation première serait la séparation physique des adversaires, pour atténuer le risque de
reprise des hostilités.
Constitution des frontières intercoréennes actuelles
Lorsque les négociations d’armistice débutent en 1951,
à Kaesong puis à Panmunjeom, points situés sur la ligne
de front et le 38e parallèle, il s’agit d’en revenir au statu
quo ante, donc à la division au 38e parallèle, et d’établir ensuite les conditions d’un règlement politique du
conflit. Plusieurs fois interrompues, entrecoupées de
périodes de combats intenses qui déplacent la ligne de
front vers le Nord, les négociations se concluent par
Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012
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Les conférences de la CFHM (suite)
un armistice, le 27 juillet 1953, qui fige la ligne de
contact des Forces belligérantes.
Créée par l’armistice, la DMZ partage la péninsule
et en matérialise les conditions, toujours en vigueur.
Sa fonction principale est de séparer physiquement les
Forces des deux camps. À cet effet, la ligne de contact
devint la ligne de démarcation militaire (MDL), les Forces au contact reculant de 2 km par rapport à cette MDL.
Les installations militaires furent démontées et détruites
dans le no man’s land ainsi créé. L’ensemble constitue un
espace particulier de 4 km de large, divisant la péninsule
de la mer de l’est jusqu’à la mer de l’ouest sur 250 km.
La DMZ et la France
Pour la France, la DMZ est devenue un lieu privilégié de
mémoire : 269 de nos compatriotes y sont morts lors des
combats meurtriers de la guerre de Corée. Depuis 2007,
deux sites commémoratifs français y ont été créés, sur
les lieux mêmes des combats du Bataillon français de
l’ONU.
Le site d’Arrow Head (DMZ centre) comporte trois
monuments. À l’Est, le site des combats de Crèvecoeur
(1 000 m d’altitude) en comprend deux et un musée. La
France est ainsi, à ce jour, le seul pays à disposer de
monuments dans la DMZ, et à y organiser des activités
mémorielles.
(1) Il y avait eu, auparavant, la tentation de confier aux Forces
soviétiques, à partir de la péninsule coréenne, une action militaire
de revers contre le Japon, dans le but de soulager l’effort a­ méricain
de conquête île par île vers Tokyo. La capitulation rapide du Japon
après Hiroshima et Nagasaki ont rendu cette action caduque,
laissant en Corée des milliers de soldats japonais à démobiliser.
* Le colonel Alain Nass est ancien attaché de Défense en Corée
du Sud. Il est membre de la CFHM.
Publication
L’École de la guerre, Sedan 1940, ou la faillite du système
de commandement français, Vincent Arbarétier
A
u printemps 1940, les armées hitlériennes infligèrent une défaite décisive en moins d’une semaine à
une armée française qui passait alors pour la première du
monde. Le généralissime Maurice Gamelin et son état­major ne réussirent nullement à reprendre l’initiative,
une fois le front percé à Sedan, le 14 mai. Le système de
commandement français montra alors au reste du monde
sa carence à réagir à temps aux initiatives allemandes
qui se manifestèrent sur l’ensemble du théâtre des opérations. Les comptes rendus arrivaient trop tard et les
ordres, insuffisamment coordonnés, ne réussissaient pas
à atteindre les unités en heure et en temps voulus. Le
système de commandement français semblait paralysé…
Si les principes de commandement enseignés par les
doctrinaires français de l’entre-deux-guerres semblaient
encore infaillibles en ce début mai 1940, ils n’allaient
pas tarder à révéler leurs limites face aux réalités de la
guerre nazie, marquée par la vitesse, la violence et l’innovation technologique, notamment en matière de systèmes d’information et de communication. Aux principes
de l’École de guerre étaient opposés ceux de l’école de
la guerre – plus durs, plus réalistes et aux termes desquels notre pays subit l’une des défaites les plus lourdes
de son histoire.
Au-delà des principes, on constate ainsi qu’à la guerre
comme dans d’autres activités humaines les réalités priment sur la théorie. Dans ce cas, l’utilisation astucieuse
par l’armée allemande de la technologie (en l’occurrence,
les ondes radioélectriques) permet à son commandement
de surpasser en réactivité l’armée française, qui ne comptait comme premier moyen de communication que sur la
téléphonie. Alliant les ondes radioélectriques au moteur,
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les Allemands mirent
en pratique les principes tactiques hérités
de la guerre précédente, mais avec plus
d’efficacité. L’artillerie était avantageusement remplacée par
les chars mais aussi
par l’aviation d’assaut, guidée par des
opérateurs radio au
sol. Les trois jours de
la bataille de Sedan
servent de révélateur à ce principe. Les chefs français sont aveugles et
sourds dans leurs bureaux ; et lorsqu’ils se déplacent sur
le champ de bataille, ce n’est que pour y constater la
gravité de la situation sans pouvoir y remédier. Ils dépêchent des estafettes qui se perdent, sont tuées ou arrivent
trop tard au contact de l’unité qu’elles doivent réorienter.
Aucune initiative n’est réellement prise, les décideurs ne
connaissant que très imparfaitement la situation qui les
environne.
Ce livre montre que le commandement et le contrôle
d’une armée sont non seulement basés sur ses chefs mais
également sur les moyens techniques qui en façonnent le
contour par leurs caractéristiques et l’effet qu’ils ont sur
l’exécutant. Les combattants français firent des efforts
désespérés, car isolés et non coordonnés, pour résister à
des Allemands mobiles, ayant confiance dans leurs chefs
et frappant sur le point faible de l’adversaire.
Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012
Colloques
• Sur le thème « Le soldat et le marin français dans
la guerre d’indépendance américaine » un colloque s’est
déroulé (à l’initiative de la branche française des Fils de la
Révolution américaine) le 9 juin 2012 à l’École militaire,
avec des interventions du général Michel Hanotaux, du
lieutenant-colonel Gilbert Bodinier (CFHM), du professeur
Patrick Villiers, de Naoko Seriu et de Thierry Bouzard.
• Le Service historique de la Défense organise, en partenariat avec l’IEP de Grenoble et la 27e brigade d’infanterie
de montagne, un colloque intitulé « Cent ans d’opérations
en montagne. Permanences, adaptations et ruptures »,
qui se tiendra à Grenoble les 5 et 6 décembre 2012. Il portera sur la question de la guerre en montagne, en favorisant
une approche novatrice, interdisciplinaire et internationale.
Le regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années pour de
tels engagements permet en effet d’étudier les opérations
militaires en montagne sous un angle neuf, et de s’interroger sur les facteurs de permanence comme sur les évolutions rencontrées par les armées dans l’exercice de leur
mission.
4 demi-journées sont prévues : définition de la montagne militaire et acceptation de cet espace comme lieu de
combats ; planification et opérations en montagne au regard
des évolutions technologiques ; étude du combattant ; représentation de la montagne par l’homme en guerre.
Contact : Lieutenant-colonel Max Schiavon
Chef de la Division études et enseignement (DEE)
Tél. : 01 41 93 22 09 – Courriel : [email protected]
Les classiques de l’art de la guerre
Général Ély
Les Enseignements de la guerre d’Indochine (1945-1954)
Tome 1. SHD, 2011, 404 pages, ill., 26 €
H
aut-commissaire et commandant en chef en Extrême-Orient de juin 1954 à décembre
1955, le général Paul Ély a jugé nécessaire de faire une critique de nos échecs et de
nos réussites dans ce conflit. Le général Robert, chef du Service historique, présente
ce rapport qui montre « comment une armée moderne s’est adaptée à une guerre révolutionnaire ». La réédition a été confiée au capitaine Cadeau, qui, dans l’introduction, rappelle ce que
fut cette guerre et quelle a été la genèse du rapport. Le manque de moyens, l’indifférence des
Français et le financement américain caractérisent ce conflit mené par des soldats de métier,
dans un milieu physique difficile, contre une guérilla généralisée qui s’est transformée en corps
de bataille de 125 000 hommes. Les épisodes principaux en sont le désastre de la RC4 en octobre 1950 (7 bataillons anéantis
par 30 bataillons viets), les victoires sans lendemain du général de Lattre en 1951-1952, et la défaite de Diên Biên Phu, où
60 000 soldats vietminhs ont submergé 15 000 combattants du camp français. Quelques succès locaux ont ensuite permis au
général Ély d’établir un réseau de manœuvre au Sud-Vietnam, en dépit de l’opposition à la France du président Diem.
Le rapport a fait la synthèse de 1 400 rapports d’officiers, de 60 rapports demandés aux généraux, des comptes rendus
du 3e Bureau et des synthèses du 2e Bureau. Le fascicule 1, critiquant la politique des gouvernements, n’a pas été diffusé.
Est donc publié ici le fascicule 2, consacré aux « aspects opérationnels et tactiques ». Le fascicule 3, qui porte sur les leçons
à tirer des formes du combat sino-soviétique, sera diffusé courant 2012.
La préface du général Ély est suivie d’un tableau des pertes de la guerre d’Indochine : une centaine d’officiers supérieurs, 341 capitaines, 1 140 lieutenants, 2 683 sous-officiers et 6 000 soldats français, sans compter 12 000 légionnaires et
Africains, et 14 000 autochtones MPF. Au total, plus de 100 000 morts, 20 000 disparus. La première partie aborde la « guerre
des idées », qui montre l’absence d’une idéologie positive à opposer au vietminh, malgré des opérations de déception
réussies. La deuxième partie définit ce que fut cette « guerre sans front », marquée par la qualité du renseignement opératif comparé au renseignement tactique, par l’efficacité des regroupements de population et des bases de manœuvre,
par la priorité du contrôle des axes routiers et fluviaux, par le rôle des fortifications combinant tours et points d’appui.
Le « contrôle en surface » est assuré par les forces vietnamiennes, et les opérations de destruction par les groupements
mobiles. Des actions humanitaires et civilo-militaires contribuent à la pacification. La troisième partie passe en revue
toutes les « formes non orthodoxes » du combat mené par les différentes armes et subdivisions d’armes. L’infanterie mène
un combat fluide avec le concours des supplétifs, des maquis montagnards, qui inquiètent les Viets ; elle lance des contreattaques à partir de môles aéro-terrestres. La formation des Dinassauts, des groupements mobiles (18 GM constitués), des
commandos de choc, des groupements amphibies de l’arme blindée et des bataillons légers vietnamiens sont des réussites.
Lors de 150 opérations aéroportées, 14 bataillons, motivés par l’esprit para, mettent au point une doctrine d’emploi. Le
maintien en condition est assuré par les centres d’instruction créés en 1952 et par la récupération de deux tiers des blessés
(9 640 évacuations en hélicoptère). 690 pièces d’artillerie (contre 135 côté vietminh) réalisent des appuis permanents, instantanés et précis. Le Génie, le Train et les Transmissions, malgré des moyens limités, s’efforcent de soutenir le combat ;
la logistique repose sur le système D (60 000 véhicules à soutenir) jusqu’à ce qu’arrive le soutien américain.
Les raisons de l’échec sont attribuées au manque de moyens : une infanterie en sous-effectif, incapable de contrôler un
territoire qui comprend deux tiers de forêts, de brousse dense et de marécages ; des appuis aériens insuffisants, appliqués en
priorité à l’appui direct et manquant d’autonomie pour soutenir Diên Biên Phu. Dans son journal de marche, le général Ély
« attribue la perte de l’Indochine à la politique des petits paquets ». Il ne dit pas (mais c’est peut-être le sujet du fascicule 1,
resté inédit) l’orientation initiale utopiste, la dualité du commandement entre d’Argenlieu et Leclerc, la division des gouvernements absorbés par la reconstruction et par la défense contre les menaces soviétiques sur l’Europe. Maurice Faivre
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Exposition
La Berline de Napoléon au soir de Waterloo
L
e 18 juin 1815, l’Empereur, sous
la pression de ses généraux,
quitte le champ de bataille à cheval,
laissant aux Prussiens comme butin
deux voitures de campagne aussitôt
pillées par l’adversaire. Celle qui
est présentée au Musée de la Légion
d’honneur fut construite en janvier
1812 pour la campagne de ­Russie.
C’est un véhicule décapotable conçu
à la fois comme dormeuse et landau
de commandement. Au lendemain
de Waterloo, la berline et une partie
du butin sont remis au maréchal Blücher, dont l’épée, le chapeau ainsi
que la redingote grise de l’Empereur.
L’exposition présente le contenu
de la berline, à savoir : les effets personnels de Napoléon, la timbale en
argent du service de campagne, le nécessaire dentaire, la
serrure à combinaison du fourgon du Trésor. Et le coffret
de décorations personnelles prêté par le Musée histori-
que d’État de Moscou présenté au
public à l’occasion du bicentenaire
de la campagne de Russie. C’est la
première fois que ces pièces sont
exposées en France. Ainsi, on y
trouve le grand aigle de la Légion
d’honneur, les ordres danois de
l’Éléphant, de la Toison d’or d’Espagne et de chevalier de l’Ordre russe
de Saint-André. Ces trésors sont les
symboles de la puissance de Napoléon. Dès 1816, les décorations sont
exposées à Berlin. Cachées en 1919,
elles réapparaissent en 1933 et lors
de la Seconde Guerre mondiale. En
1946, elles arrivent à Moscou où
elles demeurent dans le secret des
réserves. Quant à la berline, elle est
confiée en 1973 au musée de la Malmaison par un des descendants du
roi Frédéric-Guillaume III de Prusse. L’épopée napoléonienne renaît au travers de cette exposition.
Marie-France Sardain
« La Berline de Napoléon. Le mystère du butin de Waterloo »
du 7 mars au 8 juillet 2012 (du mercredi au dimanche, de 13 à 18 heures)
Musée de la Légion d’honneur – Parvis du Musée d’Orsay – 75007 Paris
Musique militaire
« Bons Baisers de Russie »
L
a musique de la Légion
Étrangère a pour habitude
d’enrichir son répertoire musical lors de ses voyages à travers
le monde. Cette année, elle a
choisi pour idée maîtresse son
dernier voyage en Russie.
Dotée d’une forte population
de légionnaires d’origine slave,
la Légion Étrangère s’est en effet
déplacée à Moscou pour participer au « Spasskaya Tower »,
festival de musique militaire
où, en décembre dernier, elle a
donné un air russe au concert de
gala qui est à l’origine du titre
du dernier-né de ses enregistrements : Bons Baisers de Russie.
Parsemé de marches « Lé­gion » – parmi lesquelles
une création du chef de musique, le lieutenant-colonel
Émile Lardeux – ainsi que de chants et de pièces aussi
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bien classiques que modernes,
ce CD reste un live, mais on y
retrouve bien l’atmosphère des
concerts de la musique de la
Légion Étrangère.
Ce CD est disponible auprès
de la Musique de la Légion
Étrangère, 1er Régiment étranger, Quartier Viénot route départementale 2, BP 11354, 13784
Aubagne Cedex, au prix de
18 € (frais de port inclus-lettre
max), chèque à établir à l’ordre
de l’« Amicale de la musique de
la Légion ». Il existe également
un DVD (18,50 €, frais de port
inclus-lettre max), chèque à établir à l’ordre de l’« Amicale de
la musique de la Légion ». Adjudant-chef Dantin,
chef adjoint de la musique de la Légion étrangère
Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012
Notes de lecture
C’est enfin un ouvrage à lire, et dont on ne peut que saluer et
X. R.
vanter les mérites.
Maurice CREN, Louis-Jacques Bégin, carabin
de l’Empire, Glyphe (éd), coll. « Société, histoire
et médecine », Paris, 2009, 404 p., 25 €.
Primé par l’Association des amis du musée du Val-de-Grâce
en 2009, cet opus retrace la vie et l’œuvre de Louis-Jacques
Bégin (1793-1859), chirurgien des armées napoléoniennes
en 1812 dans les neiges de Russie, qui termine sa carrière
après avoir connu tous les honneurs comme chirurgien-consultant de Napoléon III.
Commandeur de la Légion d’honneur, il a acquis une
dimension internationale par ses travaux, traduits dans de
nombreuses langues. Cet ouvrage présente une biographie
riche et dense, agrémentée d’une iconographie exceptionnelle, qui n’omet aucun aspect de la vie du célèbre médecin
et rappelle les qualités d’homme et de scientifique qui l’ont
animé sa vie durant. Président de l’Académie de médecine,
Bégin a connu tous les plus grands conflits du XIXe siècle et a
contribué par son savoir à l’amélioration du Service de santé
des armées, dont il a occupé le plus haut poste de direction.
D’écriture agréable, l’hommage de Maurice Cren à Bégin est
Xavier Riaud
remarquable.
Henri LAMENDIN, Maréchal Ney…?, et plusieurs
auteurs, Souvenirs (éd), Guillestre, 2010, 189 p., 23 €.
Le maréchal Ney… « le brave des braves », comme se plaisait
à l’appeler Napoléon, « l’infatigable » pour ses hommes.
Connu pour ses charges de cavalerie épiques, vainqueur
héroïque de nombreuses batailles – parfois en infériorité
numérique, comme à la bataille d’Eylau (1807), de la Moskowa (1812) ou lors de sa défense au passage de la Bérézina
(1812) –, il s’illustre au cours de quasiment toutes les campagnes napoléoniennes par son charisme et sa fougue, son
impétuosité, ainsi que par son talent de diplomate puisqu’il
parvient à conquérir des villes sans combattre. Élevé au maréchalat en 1804 pour ses faits d’armes, il est indispensable à
la Grande Armée et à son meneur. Pourtant, victime d’une
épuration extrêmement violente, il est injustement condamné
à mort et exécuté. Mais comme souvent en France, c’est une
fois que la « faucheuse » a frappé que les hommes comprennent la grandeur d’âme de celui qu’ils ont abominé. Légitimement réhabilité sous Louis-Philippe en 1831, il retrouve
la place qu’il n’aurait jamais dû quitter au firmament de
l’Empire, au firmament de l’histoire française en définitive.
Pourtant, s’il a été illustre en son temps, il n’en demeure pas
moins réellement méconnu aujourd’hui. Que d’ingratitude
envers cet homme, jusqu’à l’ignorance dans laquelle il est
encore tenu de nos jours !
Henri Lamendin nous retrace toute l’épopée napoléonienne à travers l’histoire du maréchal Ney. S’il a été abandonné par ses contemporains, il est d’autant plus louable et
méritant qu’il soit ressuscité par un auteur dont les travaux
n’ont plus rien à prouver sur le plan de la valeur et de la
richesse, et qui nous livre un portrait original, complet et
dense, avec une iconographie méticuleusement choisie,
n’occultant aucun des aspects de la vie de Ney, y compris
l’hypothèse d’une survie éventuelle après son exécution.
Jean-David AVENEL, Interventions alliées pendant
la guerre civile russe, 1918-1920, Economica (éd), coll.
« Campagnes et stratégies », 2e édition, 2010, 234 p. dont 8
de photos, 30 €.
Les deux années de guerre civile sont replacées dans le cadre
historique de l’empire russe du début du XXe siècle, des deux
révolutions de 1917 et de la paix de Brest-Litovsk, refusée
par Troski avant d’être ratifiée, en mars 1918, grâce à l’habileté du ministre russe Tchitcherine confronté à la désunion
des alliés. Poursuivant des objectifs ambigus, Clemenceau,
Llyod George et Wilson étaient également en désaccord avec
les Japonais débarqués à Vladivostok.
L’auteur décrit ensuite les forces armées antagonistes :
les 16 armées soviétiques organisées par Trotski ; les armées
blanches désunies : volontaires de Kornilov-­Denikine ; l’armée sibérienne de l’amiral Koltchak ; le corps d’armée tchèque transféré d’Ukraine sur le transsibérien.
Ces forces disparates interviennent dans un empire
démembré et livré à l’anarchie : la présence des Allemands
en Ukraine, en Pologne, en Finlande et dans les États baltes, la naissance des États de Biélorussie, de Crimée et de
Bessarabie, l’institution du communisme de guerre, la crise
alimentaire à l’intérieur des villes, la terreur blanche face à la
terreur rouge de la Tcheka.
C’est dans cette anarchie que se déroulent les interventions française en Crimée, britannique en Transcaucasie et
à Arkhangelsk, l’offensive Denikine en Russie du Sud, l’offensive Koltchak en Sibérie, la guerre d’Arkhangelsk du
général Maynard, l’offensive de Youdenitch vers Pétrograd,
du baron Wrangel sur le Don, la révolte des Basmatchis en
Ouzbékistan, le retrait des Tchèques par Vladivostok. Le rôle
des généraux français (Foch, Franchet d’Espèrey, Berthelot,
Janin, d’Anselme) est particulièrement mis en valeur.
Implacable, l’organisation bolchevique vient à bout de
ces révoltes désunies, exploitant la passivité d’une population avide de paix qui déteste les alliés occidentaux et se rallie à la remarquable politique des nationalités de Lénine. La
victoire est totale en 1922, bien que le parti demeure déchiré
par la lutte interne entre Staline et Trotski.
Fondé sur de riches archives militaires et politiques, et
sur une abondante littérature anglo-saxonne et soviétique, cet
ouvrage fait toute la lumière sur une histoire extrêmement
Maurice Faivre
complexe et méconnue.
Rémy PORTE, François COCHET, Ferdinand Foch
(1851-1929). Apprenez à penser, Sodica (éd.), 2010, 450 p.,
25 €.
Les actes de ce colloque, tenu à l’École militaire fin 2008,
renouvellent l’intérêt d’une écoute des 26 interventions.
Le maréchal Foch est pour beaucoup une icône plus qu’un
homme aux multiples actions. Les responsables du colloque
ont voulu éclairer les zones d’ombre : ils y ont en grande
partie réussi, et le simple lecteur découvrira la complexité du
premier tiers du XXe siècle.
Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012
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Notes de lecture
L’avant-guerre fait connaître le professeur, inaudible pour
certains, génial pour d’autres. On peut estimer que c’est son
rôle ultérieur qui mettra en valeur ses écrits ; victime comme
bien d’autres du sectarisme anticlérical, il a la chance de
bénéficier du soutien de Clemenceau. La Grande Guerre le
transforme en héros national, les exposés sur sa nomination
de commandant des armées alliées sont passionnants, mais
l’affaire de Morhange n’est pas élucidée.
La partie la plus intéressante retrace le retournement de
Foch de novembre 1918 à 1919 : d’abord hostile aux demandes du général Pétain, il va défendre ses thèses lors des discussions pour la paix qui seront rejetées par nos alliés de la
guerre. La dernière partie est consacrée à l’image du maréchal vu à l’étranger et à ses tentatives d’intervention diplomatique. Finalement, ce colloque fait le tour d’une époque,
mal connue dans les détails, de la conduite des opérations et
des négociations. Il complète et enrichit les dernières biographies du maréchal, qui mourra en sachant que l’avenir est
aussi sombre qu’il l’a prévu.
L’ouvrage apporte davantage encore sur les événements
que Foch a vécus ou a subis que sur la biographie proprement dite de cet artilleur aux vues synthétiques. Sa lecture en
Alain J. Roux
vaut la peine.
Xavier RIAUD, Première Guerre mondiale et stomatologie : des praticiens d’exception, L’Harmattan (éd), coll.
« Médecine à travers les siècles », Paris, 2008, 220 p., 21 €.
C’est l’histoire d’hommes qui, au milieu des bombes, des
mourants et des blessés, dans les tranchées, dans des hôpitaux de fortune ou de grands centres de soins, se sont dévoués
corps et âme pour aider les soldats français ravagés par cette
guerre, « la der des der ».
À travers une iconographie très fournie et des témoignages poignants, l’auteur retrace l’altruisme et l’abnégation
d’êtres exceptionnels. Simplement, il décrit le parcours au
sein d’infrastructures bien organisées d’hommes tout entiers
concentrés sur les soins et l’attention permanente à apporter à
leurs camarades abîmés par de si violents combats. Certains
de ces praticiens y ont perdu la vie. D’autres en sont revenus
à jamais meurtris, mais tous ont donné le meilleur d’eux-mêmes afin d’aider leurs compagnons d’armes et de servir la
France, qui peut être fière de ses enfants, et de tant d’autres,
Georges Villain
morts au champ d’honneur.
Paroles de bô dôi, Diên Biên Phu vu d’en face, équipe de
journalistes vietnamiens, Nouveau Monde (éd.),
coll. « Histoire », Paris, 2010, 271 p., 23 €.
La connaissance de l’ennemi est indispensable. Le siège
de Diên Biên Phu a été relaté en France dans de nombreux
ouvrages, mémoires et études, mais les connaisseurs de la
guerre d’Indochine n’ont guère lu que les mémoires du général Giap.
Ce livre est la traduction d’une enquête récente de journa-
listes vietnamiens qui ont interrogé un nombre important de
survivants viets de la bataille. L’introduction d’un des auteurs
est extrêmement intéressante, et il est nécessaire de la lire.
Elle donne la clé de l’ouvrage. Le lecteur français, s’il prend
séparément chacun des 88 témoignages traduits, ne sera
pas enthousiasmé par les découvertes faites, mais s’il prend
l’ensemble et le compare à ses connaissances directes ou de
lecture, il va avoir quelques surprises, qui ne changeront pas
d’ailleurs son opinion sur les communistes viets. D’abord, ce
livre est bien fait : excellents schémas que l’on ne trouve pas
ailleurs, calendrier des opérations jour par jour, indications
sur les témoins interrogés, sans oublier une bibliographie
vietnamienne développée, la bibliographie française présentant des lacunes significatives, mais Le Monde et L’Express y
figurent en bonne place. Évidemment, la première remarque
provient des tableaux numériques : dans ceux des pertes de
l’armée française, l’hécatombe des prisonniers ne figure pas.
La deuxième provient des effectifs consacrés à la logistique :
gigantesques ! Beaucoup plus importants que ceux donnés
par les ouvrages français. Autre remarque, un certain nombre de témoins viets insistent sur les effets de l’artillerie française : où les artilleurs français prenaient-ils toutes ces munitions ? La description, courte, des alvéoles pour les canons,
est instructive. Et la jeunesse des cadres interrogés ?
Bref, malgré une méfiance initiale, la lecture, facile, de
cet ouvrage est fort intéressante, à condition d’avoir l’esprit
critique. Le livre est conseillé aux spécialistes, professionnels
A. J. R.
ou non, de la guerre d’Indochine. Daniel BORDIER, Henry Bordier (1863-1942),
pionnier de l’électricité médicale, Glyphe (éd), Paris,
2008, 178 p., 19 €.
Par cet hommage intimiste rendu à l’inventeur de l’électricité médicale, pionnier de la radiothérapie – qui lui
conférera ses lettres de noblesse, lui verra attribuer tous les
honneurs militaires et civils, mais déclenchera aussi un cancer des mains qui le tuera –, Daniel Bordier nous raconte
avec une infinie précision l’histoire de son grand-oncle et
son action médicale prolifique avant, pendant et après la
Grande Guerre.
Très bien illustré, ce récit relate le rôle prépondérant du
professeur Henry Bordier, chef du service de radiothérapie de la XIVe région militaire à Lyon en 1916. Ces faits
médicaux civils et militaires seront récompensés à de nombreuses reprises, notamment par l’Académie de médecine
dont notre protagoniste sera fait correspondant national en
1930, par l’Académie des sciences et par l’État puisqu’il
sera fait Commandeur de la Légion d’honneur en 1942.
Labor omnia vincit improbus (« Le travail opiniâtre a raison
de tout ») était sa devise, et il l’a mise en application jusqu’à
son dernier souffle. Comment honorer la mémoire d’un tel
homme qui a fait don de sa vie à sa science, qu’il chérissait
tant, et aux patients qu’il a essayé de guérir « du crabe » ? En
X. R.
lisant ce livre remarquable, tout simplement.
Histoire militaire & Stratégie, lettre d’information de l’Institut de stratégie et des conflits (ISC) et de la Commission française d’histoire militaire
(CFHM) • Château de Vincennes, Tour des Salves, Avenue de Paris, 94306 VINCENNES CEDEX • Courriel [email protected] •
Directeur de la publication Jean-Nicolas Corvisier • Rédacteur en chef Pierre-Emmanuel Barral • Rédacteur en chef adjoint François Soffer • Secrétaire de rédaction Françoise Bouquerel
le numéro : 4 euros
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