Histoire militaire & Stratégie lettre d’information de l’ Institut de stratégie et des conflits - Commission française d’histoire militaire Éditorial ISC-CFHM 28 Été 2012 – n° En route pour Sofia L ’année universitaire 2011-2012 se termine pour la CFHM dans un mélange de tristesse et de sentiment du devoir accompli. Tristesse avec la disparition prématurée de notre président d’honneur, Hervé Coutau-Bégarie, le 24 février dernier ; sentiment du devoir accompli car, en dépit de cette perte immense, la CFHM a continué et développé ses activités. Nos réunions et nos conférences se sont déroulées avec régularité dans le cadre prestigieux de l’École militaire. Deux de ces séances avaient un thème précis : l’armistice de 1940 et la guerre d’Indochine. Elles ont toutes deux donné lieu à la projection d’un film. Une journée sur les blocus s’est déroulée à Paris en avril. La parution régulière de la lettre d’information Histoire militaire et Stratégie a permis de maintenir le lien indispensable entre les membres. Sous la vigoureuse impulsion de notre trésorier, François Deleuze, le nombre de nos membres est en augmentation. La sortie sur le porte-avions Charles-de-Gaulle à Toulon – qui a été un grand succès – montre la capacité de la CFHM à organiser des visites sur des sites militaires majeurs. Le processus de fusion de la CFHM au sein de la nouvelle structure, appelée ISC-CFHM, est entré dans sa phase ultime. L’arrivée à sa tête du Pr. Georges Henri-Soutou, universitaire de renommée internationale, est une garantie de rigueur scientifique et un gage de sauvegarde de l’autonomie de la CFHM au sein de cette structure. L’organisation du congrès de Paris 2014, malgré les bouleversements politiques, s’est poursuivie. Le n°90 de la RIHM est sous presse et sera distribué aux membres des délégations étrangères en Bulgarie. Le congrès d’août 2012 à Sofia sera ainsi l’occasion pour la CFHM de prouver sa vitalité et son dynamisme. À tous et à toutes, nous vous souhaitons un bon été. Jean-Nicolas Corvisier, Pierre-Emmanuel Barral, président de la CFHM secrétaire général de la CFHM Vie de la Commission • La CFHM organise une seconde visite du porte-­avions Charles-de-Gaulle le samedi 27 octobre 2012 à Toulon. Le nombre de places est limité. Inscription (clôture : 1er juillet 2012) auprès du secrétaire général : [email protected] • Sandrine Monnerat, membre de la CFHM, a intégré le bureau de l’Association suisse d’histoire militaire (ASHM). Elle est devenue également webmestre du site internet de l’ASHM. Une collaboration étroite et régulière entre la CFHM et l’ASHM va être mise en place. Site de l’ASHM : www.militariahelvetica.ch • La CFHM est partie prenante du colloque international « Paix et Constitutions » organisé le 20 et le 21 septembre 2012 par l’Université de Bourgogne, la Faculté de droit et de science politique de Dijon (CREDESPO), la Maison des sciences de l’homme de Dijon (UMS CNRS 2739) et l’Association française des communes, départements et régions pour la paix (AFCDRP). • Le n° 90 de la Revue Internationale d’Histoire Militaire (RIHM) est sous presse. Le thème de ce numéro porte sur « Les prises d’otages dans l’histoire ». Il contient les communications des deux journées d’études organisées l’an dernier à Paris et à Boulognesur-Mer, avec une participation italienne, hongroise, suisse et belge. Ce volume sera distribué aux participants du congrès de Sofia. • Le n° 100/101 de la revue Stratégique, consacré au thème « Insurrection et contre-insurrection », sera disponible à partir du mois de juin. Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012 1 Les conférences de la CFHM Dönitz, le dernier « Führer » par François-Emmanuel Brézet*, le 21 janvier 2012 L ’accession, fin janvier 1943, au rang de commandant en chef de la Kriegsmarine, en remplacement du grand amiral Erich Raeder, n’allait pas permettre à Dönitz de donner toute sa mesure. Dans l’Atlantique Nord, la situation s’était largement retournée en faveur des alliés : le taux de pertes en U-Boote, devenu inacceptable, contraignait Dönitz à ordonner en mai 1943 le retrait des sousmarins de ce théâtre d’opérations ; ils ne pourront jamais y retourner de façon durable, la bataille de l’Atlantique était définitivement perdue. La guerre était parvenue à un tournant : l’annonce par les alliés de l’exigence de la capitulation sans conditions (janvier 1943, conférence de Casablanca), la capitulation de l’armée Paulus à Stalingrad (fin janvier), l’échec de la bataille de Koursk (juillet), aboutissaient du côté allemand à une radicalisation idéologique de la guerre, qui, dans la propagande nazie, devint une guerre de défense de la civilisation européenne contre le bolchevisme. Pour Hitler lui-même, il fallait continuer le combat jusqu’à ce que la dureté de la guerre et la crainte d’une victoire finale des forces soviétiques aient fait éclater le front adverse. Le peuple allemand était jugé particulièrement préparé à ce combat de survie par les vertus du national-socialisme. Entré dans le premier cercle des fidèles du Führer, Dönitz s’y manifestera par son adhésion fanatique au principe de guerre à outrance, et soutiendra de façon inconditionnelle le refus de Hitler de céder le moindre pouce de terrain. Afin de convaincre Hitler de sa capacité à maintenir l’esprit offensif dans la Kriegsmarine, il ordonnera la reprise de la guerre sous-marine, acceptant, selon ses propres termes, « des pertes sans rapport avec les succès obtenus » : de novembre 1943 à mai 1945, 455 U-Boote et 15 000 marins disparurent, les pertes infligées aux amarins de conception nouvelle, dont il avait garanti au Führer qu’ils changeraient la face de la guerre sous-­marine, ils ne purent être achevés à temps. Redoutant, devant le développement rapide de l’offensive alliée, une scission du territoire allemand, Hitler avait nommé Dönitz commandant de la zone nord le 15 avril 1945. Le 21, il prenait sur son ordre congé du Führer à Berlin, l’assurant de sa détermination à mobiliser tous les moyens à sa disposition pour continuer le combat : il rassemblera tous les marins disponibles (3 000 hommes environ dont une promotion de cadets) et les enverra, sommairement armés, à Berlin. Convaincu – à la suite d’une visite au quartier général de la Wehrmacht à Rheinsberg – du caractère inéluc­table de l’effondrement final, il n’en refusait pas moins encore toute idée de capitulation. Le 30 avril vers 19 h 30, Dönitz recevait à son QG de Plön un message de Borman, resté à Berlin auprès du Führer, lui annonçant que ce dernier faisait de lui son successeur en lieu et place de l’ex-Reichsmarschall Göring. Le message passait assez étrangement sous silence le fait que le Führer s’était déjà donné la mort à 15 h 30. Dönitz observera, dans ses nombreux écrits, la plus entière discrétion sur le message qu’il enverra le lendemain au Führer pour l’assurer de sa fidélité incon- 2 ditionnelle, des efforts qu’il allait faire pour le dégager de Berlin, et de sa détermination « si le destin [le] contraignait à diriger le Reich allemand en tant que successeur désigné par lui, à conduire cette guerre à une fin qui soit digne du combat héroïque du peuple allemand ». Le 1er mai à 10 h 53, un nouveau message de Borman l’informait, sans autre précision, que le « testament entr[ait] en vigueur », et lui demandait de différer la publication de la nouvelle. Ce ne fut qu’à 15 h 18 qu’un troisième message, signé celui-là de Goebbels, lui annonçait la mort du Führer, et le laissait libre du choix de la forme et du moment de la notification à la troupe. Le soir même, travestissant quelque peu la réalité, il informait la population allemande par radio et la Wehrmacht par ordre du jour, de la mort au combat du Führer « à la tête des défenseurs héroïques de la capitale », de sa prise de fonction comme chef de l’État, et du transfert sur sa personne du serment de fidélité. Changeant totalement d’attitude à l’égard de la poursuite de la guerre, il décidera de mettre fin aux combats dans les plus brefs délais, sous la seule réserve de créer les conditions qui permettraient au maximum de soldats et de civils d’échapper, par une fuite vers l’ouest, à la capture des « bolcheviks », et cela moins pour des raisons humanitaires qu’afin de préserver pour l’avenir l’« essentiel de la substance du peuple allemand ». Sa tentative d’obtenir une capitulation séparée se solda par un échec. Une ouverture du front à l’ouest et un repli à l’est auraient sans doute eu davantage de succès. L’accent enfin mis sur l’évacuation des populations civiles, il arrivait aussi, pour sa part, beaucoup trop tard. Dönitz avait obtenu un premier résultat qui pouvait être porté à son crédit : la capitulation signée s’était effectuée rapidement et sans incident notable. S’agissant du nouveau gouvernement allemand qu’il avait formé, il semble bien qu’il ait espéré pouvoir continuer à le diriger et que – sauf à concéder, peut-être, quelque limitation au pouvoir absolu du Führer – l’État national-socialiste pourrait être maintenu dans son essence ; toute forme d’État républicain, de « gouvernement de partis », synonyme pour lui de mutinerie, de révolution et de chaos, étant exclue. Mais les Alliés, qui n’avaient jamais attendu du « gouvernement Dönitz » autre chose que la bonne exécution de la capitulation, mirent fin de façon volontairement spectaculaire, le 23 mai, à l’« expédient provisoire » en déclarant prisonnier de guerre l’ensemble de ce gouvernement. Inculpé de « préparation de guerre d’agression » et de « crime Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012 Les conférences de la CFHM (suite) de guerre », Dönitzfut condamné à dix ans de réclusion par le tribunal de Nuremberg, bien que celui-ci l’ait lavé, dans ses attendus, du second motif d’inculpation. Cette condamnation contestable – dont on sait maintenant qu’elle fut le résultat d’un accord âprement négocié entre les juges occidentaux, partisans de l’acquittement, et les Soviétiques – lui donnera la palme du martyre et coupera les ailes à toute procédure ultérieure de « dénazification » qui aurait pu être enclenchée contre lui. Dönitz sera crédité d’avoir assuré une sortie de la guerre sans que se déclenche l’apocalypse, qu’il avait lui-même prédite lorsqu’il préconisait la résistance à outrance, et d’avoir joué un rôle déterminant dans le sauvetage par mer de millions de réfugiés, alors qu’il accordera jusqu’au bout la priorité au soutien maritime des unités encerclées dans les poches de résistance, dont il avait encouragé la constitution. Ses Mémoires de guerre contribueront longtemps à l’entretien du mythe de la guerre sous-marine, créé par la propagande de guerre nazie. Il consacrera le quart de siècle qu’il lui restera à vivre après sa sortie de prison à la défense de sa propre légende, sans jamais exprimer le moindre regret sur son allégeance fanatique à l’idéologie nazie, ni la moindre réserve sur celui dont il avait en­couragé et suivi le jusqu’au-boutisme suicidaire : Adolf ­Hitler. *François-Emmanuel Brézet est le spécialiste français de l’histoire de la marine allemande et a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet. Il est membre de la CFHM. Corée : histoire, mémoire, actualité, par le colonel Alain Nass* le 4 février 2012 Corées, zone démilitarisée et frontières, poids de l’histoire et espoirs de réunification La zone démilitarisée intercoréenne (DMZ) sépare depuis 1953 les deux Corées, dans le cadre d’un accord « temporaire » de cessation des hostilités signé le 27 juillet 1953 entre les commandants militaires des pays belligérants, un armistice toujours en vigueur qui n’a jamais pu être remplacé par un traité de paix. Cette zone, de fait fortement militarisée, est l’héritage de la partition de la péninsule coréenne au 38e parallèle en 1945, une division qui portait en germe les causes du conflit de 1950 et les séquelles qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Sa partie sud est placée depuis ses origines sous la responsabilité du commandement des Nationsunies (UNC), instauré en juin 1950 par la Résolution 84 du Conseil de sécurité, toujours en vigueur. L’UNC agit sous le drapeau des Nations-unies et opère un état-major qui gère l’armistice et des mécanismes qu’il a créés. Dispositif terrestre de séparation physique des belligérants, la DMZ est complétée en mer, à l’est comme à l’ouest, d’une ligne de démarcation maritime (NLL) établie unilatéralement par l’UNC en 1953, hors cadre de l’armistice. La Corée du Nord ne reconnaît pas cette ligne, qui est, depuis les années 1990, le théâtre d’incidents intercoréens graves. La DMZ, symbole de guerre et de division sous influence étrangère En 1945, la division de la péninsule au 38e parallèle n’est au départ qu’une partition tactique temporaire, proposée aux Soviétiques par l’état-major de Mac Arthur dans le cadre de la guerre contre le Japon. Pour gérer la reddition des troupes japonaises en Corée, déployées jusqu’en Mand­chourie, les États-Unis devaient s’assurer que les Forces soviétiques, seules présentes dans la région et entrées en guerre sur le tard contre le Japon, cesseraient leur avance vers le sud sans occuper totalement la péninsule, une action qui les auraient mises aux portes du Japon sans que les Américains puissent s’y opposer. Les Soviétiques acceptèrent d’arrêter leurs Forces au 38e parallèle et de gérer cet espace géographique coréen jusqu’à la frontière chinoise. Ils y installèrent Kim Il Sung et ses cadres, vétérans des guérillas anti-japonaises opérant en Mandchourie. Le 38e parallèle devient ainsi de fait, dès 1945 lors de la « libération » contre l’occupant japonais, la première frontière séparant les deux régimes coréens, idéologiquement antagonistes, qui se créent en 1948-1949 de part et d’autre, les Américains soutenant le Sud. Ligne de division artificielle, difficile à tenir, qui sépare des milieux géographiques et humains homogènes, la situation y est d’emblée conflictuelle, chaque camp coréen s’évertuant à gagner du terrain sur l’autre par les armes. À partir de 1948, avec le départ des Forces d’occupation soviétiques et américaines, les accrochages intercoréens deviennent quotidiens, et leur ampleur croît avec la détermination des deux régimes à se lancer dans l’aventure de la réunification à son profit. Jusqu’à ce que le Nord envahisse le Sud le 25 juin 1950, début de la guerre de Corée. Tout au long du conflit, le 38e parallèle reste un enjeu capital pour les belligérants. Après les échecs respectifs de réunification par les armes en 1950-1951, qui verront le 38e être franchi plusieurs fois dans les deux sens, la ligne devient, dès mi-1951, l’enjeu des négociations de cessation des combats, avec l’idée de création d’une zone tampon dont la vocation première serait la séparation physique des adversaires, pour atténuer le risque de reprise des hostilités. Constitution des frontières intercoréennes actuelles Lorsque les négociations d’armistice débutent en 1951, à Kaesong puis à Panmunjeom, points situés sur la ligne de front et le 38e parallèle, il s’agit d’en revenir au statu quo ante, donc à la division au 38e parallèle, et d’établir ensuite les conditions d’un règlement politique du conflit. Plusieurs fois interrompues, entrecoupées de périodes de combats intenses qui déplacent la ligne de front vers le Nord, les négociations se concluent par Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012 3 Les conférences de la CFHM (suite) un armistice, le 27 juillet 1953, qui fige la ligne de contact des Forces belligérantes. Créée par l’armistice, la DMZ partage la péninsule et en matérialise les conditions, toujours en vigueur. Sa fonction principale est de séparer physiquement les Forces des deux camps. À cet effet, la ligne de contact devint la ligne de démarcation militaire (MDL), les Forces au contact reculant de 2 km par rapport à cette MDL. Les installations militaires furent démontées et détruites dans le no man’s land ainsi créé. L’ensemble constitue un espace particulier de 4 km de large, divisant la péninsule de la mer de l’est jusqu’à la mer de l’ouest sur 250 km. La DMZ et la France Pour la France, la DMZ est devenue un lieu privilégié de mémoire : 269 de nos compatriotes y sont morts lors des combats meurtriers de la guerre de Corée. Depuis 2007, deux sites commémoratifs français y ont été créés, sur les lieux mêmes des combats du Bataillon français de l’ONU. Le site d’Arrow Head (DMZ centre) comporte trois monuments. À l’Est, le site des combats de Crèvecoeur (1 000 m d’altitude) en comprend deux et un musée. La France est ainsi, à ce jour, le seul pays à disposer de monuments dans la DMZ, et à y organiser des activités mémorielles. (1) Il y avait eu, auparavant, la tentation de confier aux Forces soviétiques, à partir de la péninsule coréenne, une action militaire de revers contre le Japon, dans le but de soulager l’effort a­ méricain de conquête île par île vers Tokyo. La capitulation rapide du Japon après Hiroshima et Nagasaki ont rendu cette action caduque, laissant en Corée des milliers de soldats japonais à démobiliser. * Le colonel Alain Nass est ancien attaché de Défense en Corée du Sud. Il est membre de la CFHM. Publication L’École de la guerre, Sedan 1940, ou la faillite du système de commandement français, Vincent Arbarétier A u printemps 1940, les armées hitlériennes infligèrent une défaite décisive en moins d’une semaine à une armée française qui passait alors pour la première du monde. Le généralissime Maurice Gamelin et son état­major ne réussirent nullement à reprendre l’initiative, une fois le front percé à Sedan, le 14 mai. Le système de commandement français montra alors au reste du monde sa carence à réagir à temps aux initiatives allemandes qui se manifestèrent sur l’ensemble du théâtre des opérations. Les comptes rendus arrivaient trop tard et les ordres, insuffisamment coordonnés, ne réussissaient pas à atteindre les unités en heure et en temps voulus. Le système de commandement français semblait paralysé… Si les principes de commandement enseignés par les doctrinaires français de l’entre-deux-guerres semblaient encore infaillibles en ce début mai 1940, ils n’allaient pas tarder à révéler leurs limites face aux réalités de la guerre nazie, marquée par la vitesse, la violence et l’innovation technologique, notamment en matière de systèmes d’information et de communication. Aux principes de l’École de guerre étaient opposés ceux de l’école de la guerre – plus durs, plus réalistes et aux termes desquels notre pays subit l’une des défaites les plus lourdes de son histoire. Au-delà des principes, on constate ainsi qu’à la guerre comme dans d’autres activités humaines les réalités priment sur la théorie. Dans ce cas, l’utilisation astucieuse par l’armée allemande de la technologie (en l’occurrence, les ondes radioélectriques) permet à son commandement de surpasser en réactivité l’armée française, qui ne comptait comme premier moyen de communication que sur la téléphonie. Alliant les ondes radioélectriques au moteur, 4 les Allemands mirent en pratique les principes tactiques hérités de la guerre précédente, mais avec plus d’efficacité. L’artillerie était avantageusement remplacée par les chars mais aussi par l’aviation d’assaut, guidée par des opérateurs radio au sol. Les trois jours de la bataille de Sedan servent de révélateur à ce principe. Les chefs français sont aveugles et sourds dans leurs bureaux ; et lorsqu’ils se déplacent sur le champ de bataille, ce n’est que pour y constater la gravité de la situation sans pouvoir y remédier. Ils dépêchent des estafettes qui se perdent, sont tuées ou arrivent trop tard au contact de l’unité qu’elles doivent réorienter. Aucune initiative n’est réellement prise, les décideurs ne connaissant que très imparfaitement la situation qui les environne. Ce livre montre que le commandement et le contrôle d’une armée sont non seulement basés sur ses chefs mais également sur les moyens techniques qui en façonnent le contour par leurs caractéristiques et l’effet qu’ils ont sur l’exécutant. Les combattants français firent des efforts désespérés, car isolés et non coordonnés, pour résister à des Allemands mobiles, ayant confiance dans leurs chefs et frappant sur le point faible de l’adversaire. Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012 Colloques • Sur le thème « Le soldat et le marin français dans la guerre d’indépendance américaine » un colloque s’est déroulé (à l’initiative de la branche française des Fils de la Révolution américaine) le 9 juin 2012 à l’École militaire, avec des interventions du général Michel Hanotaux, du lieutenant-colonel Gilbert Bodinier (CFHM), du professeur Patrick Villiers, de Naoko Seriu et de Thierry Bouzard. • Le Service historique de la Défense organise, en partenariat avec l’IEP de Grenoble et la 27e brigade d’infanterie de montagne, un colloque intitulé « Cent ans d’opérations en montagne. Permanences, adaptations et ruptures », qui se tiendra à Grenoble les 5 et 6 décembre 2012. Il portera sur la question de la guerre en montagne, en favorisant une approche novatrice, interdisciplinaire et internationale. Le regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années pour de tels engagements permet en effet d’étudier les opérations militaires en montagne sous un angle neuf, et de s’interroger sur les facteurs de permanence comme sur les évolutions rencontrées par les armées dans l’exercice de leur mission. 4 demi-journées sont prévues : définition de la montagne militaire et acceptation de cet espace comme lieu de combats ; planification et opérations en montagne au regard des évolutions technologiques ; étude du combattant ; représentation de la montagne par l’homme en guerre. Contact : Lieutenant-colonel Max Schiavon Chef de la Division études et enseignement (DEE) Tél. : 01 41 93 22 09 – Courriel : [email protected] Les classiques de l’art de la guerre Général Ély Les Enseignements de la guerre d’Indochine (1945-1954) Tome 1. SHD, 2011, 404 pages, ill., 26 € H aut-commissaire et commandant en chef en Extrême-Orient de juin 1954 à décembre 1955, le général Paul Ély a jugé nécessaire de faire une critique de nos échecs et de nos réussites dans ce conflit. Le général Robert, chef du Service historique, présente ce rapport qui montre « comment une armée moderne s’est adaptée à une guerre révolutionnaire ». La réédition a été confiée au capitaine Cadeau, qui, dans l’introduction, rappelle ce que fut cette guerre et quelle a été la genèse du rapport. Le manque de moyens, l’indifférence des Français et le financement américain caractérisent ce conflit mené par des soldats de métier, dans un milieu physique difficile, contre une guérilla généralisée qui s’est transformée en corps de bataille de 125 000 hommes. Les épisodes principaux en sont le désastre de la RC4 en octobre 1950 (7 bataillons anéantis par 30 bataillons viets), les victoires sans lendemain du général de Lattre en 1951-1952, et la défaite de Diên Biên Phu, où 60 000 soldats vietminhs ont submergé 15 000 combattants du camp français. Quelques succès locaux ont ensuite permis au général Ély d’établir un réseau de manœuvre au Sud-Vietnam, en dépit de l’opposition à la France du président Diem. Le rapport a fait la synthèse de 1 400 rapports d’officiers, de 60 rapports demandés aux généraux, des comptes rendus du 3e Bureau et des synthèses du 2e Bureau. Le fascicule 1, critiquant la politique des gouvernements, n’a pas été diffusé. Est donc publié ici le fascicule 2, consacré aux « aspects opérationnels et tactiques ». Le fascicule 3, qui porte sur les leçons à tirer des formes du combat sino-soviétique, sera diffusé courant 2012. La préface du général Ély est suivie d’un tableau des pertes de la guerre d’Indochine : une centaine d’officiers supérieurs, 341 capitaines, 1 140 lieutenants, 2 683 sous-officiers et 6 000 soldats français, sans compter 12 000 légionnaires et Africains, et 14 000 autochtones MPF. Au total, plus de 100 000 morts, 20 000 disparus. La première partie aborde la « guerre des idées », qui montre l’absence d’une idéologie positive à opposer au vietminh, malgré des opérations de déception réussies. La deuxième partie définit ce que fut cette « guerre sans front », marquée par la qualité du renseignement opératif comparé au renseignement tactique, par l’efficacité des regroupements de population et des bases de manœuvre, par la priorité du contrôle des axes routiers et fluviaux, par le rôle des fortifications combinant tours et points d’appui. Le « contrôle en surface » est assuré par les forces vietnamiennes, et les opérations de destruction par les groupements mobiles. Des actions humanitaires et civilo-militaires contribuent à la pacification. La troisième partie passe en revue toutes les « formes non orthodoxes » du combat mené par les différentes armes et subdivisions d’armes. L’infanterie mène un combat fluide avec le concours des supplétifs, des maquis montagnards, qui inquiètent les Viets ; elle lance des contreattaques à partir de môles aéro-terrestres. La formation des Dinassauts, des groupements mobiles (18 GM constitués), des commandos de choc, des groupements amphibies de l’arme blindée et des bataillons légers vietnamiens sont des réussites. Lors de 150 opérations aéroportées, 14 bataillons, motivés par l’esprit para, mettent au point une doctrine d’emploi. Le maintien en condition est assuré par les centres d’instruction créés en 1952 et par la récupération de deux tiers des blessés (9 640 évacuations en hélicoptère). 690 pièces d’artillerie (contre 135 côté vietminh) réalisent des appuis permanents, instantanés et précis. Le Génie, le Train et les Transmissions, malgré des moyens limités, s’efforcent de soutenir le combat ; la logistique repose sur le système D (60 000 véhicules à soutenir) jusqu’à ce qu’arrive le soutien américain. Les raisons de l’échec sont attribuées au manque de moyens : une infanterie en sous-effectif, incapable de contrôler un territoire qui comprend deux tiers de forêts, de brousse dense et de marécages ; des appuis aériens insuffisants, appliqués en priorité à l’appui direct et manquant d’autonomie pour soutenir Diên Biên Phu. Dans son journal de marche, le général Ély « attribue la perte de l’Indochine à la politique des petits paquets ». Il ne dit pas (mais c’est peut-être le sujet du fascicule 1, resté inédit) l’orientation initiale utopiste, la dualité du commandement entre d’Argenlieu et Leclerc, la division des gouvernements absorbés par la reconstruction et par la défense contre les menaces soviétiques sur l’Europe. Maurice Faivre Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012 5 Exposition La Berline de Napoléon au soir de Waterloo L e 18 juin 1815, l’Empereur, sous la pression de ses généraux, quitte le champ de bataille à cheval, laissant aux Prussiens comme butin deux voitures de campagne aussitôt pillées par l’adversaire. Celle qui est présentée au Musée de la Légion d’honneur fut construite en janvier 1812 pour la campagne de ­Russie. C’est un véhicule décapotable conçu à la fois comme dormeuse et landau de commandement. Au lendemain de Waterloo, la berline et une partie du butin sont remis au maréchal Blücher, dont l’épée, le chapeau ainsi que la redingote grise de l’Empereur. L’exposition présente le contenu de la berline, à savoir : les effets personnels de Napoléon, la timbale en argent du service de campagne, le nécessaire dentaire, la serrure à combinaison du fourgon du Trésor. Et le coffret de décorations personnelles prêté par le Musée histori- que d’État de Moscou présenté au public à l’occasion du bicentenaire de la campagne de Russie. C’est la première fois que ces pièces sont exposées en France. Ainsi, on y trouve le grand aigle de la Légion d’honneur, les ordres danois de l’Éléphant, de la Toison d’or d’Espagne et de chevalier de l’Ordre russe de Saint-André. Ces trésors sont les symboles de la puissance de Napoléon. Dès 1816, les décorations sont exposées à Berlin. Cachées en 1919, elles réapparaissent en 1933 et lors de la Seconde Guerre mondiale. En 1946, elles arrivent à Moscou où elles demeurent dans le secret des réserves. Quant à la berline, elle est confiée en 1973 au musée de la Malmaison par un des descendants du roi Frédéric-Guillaume III de Prusse. L’épopée napoléonienne renaît au travers de cette exposition. Marie-France Sardain « La Berline de Napoléon. Le mystère du butin de Waterloo » du 7 mars au 8 juillet 2012 (du mercredi au dimanche, de 13 à 18 heures) Musée de la Légion d’honneur – Parvis du Musée d’Orsay – 75007 Paris Musique militaire « Bons Baisers de Russie » L a musique de la Légion Étrangère a pour habitude d’enrichir son répertoire musical lors de ses voyages à travers le monde. Cette année, elle a choisi pour idée maîtresse son dernier voyage en Russie. Dotée d’une forte population de légionnaires d’origine slave, la Légion Étrangère s’est en effet déplacée à Moscou pour participer au « Spasskaya Tower », festival de musique militaire où, en décembre dernier, elle a donné un air russe au concert de gala qui est à l’origine du titre du dernier-né de ses enregistrements : Bons Baisers de Russie. Parsemé de marches « Lé­gion » – parmi lesquelles une création du chef de musique, le lieutenant-colonel Émile Lardeux – ainsi que de chants et de pièces aussi 6 bien classiques que modernes, ce CD reste un live, mais on y retrouve bien l’atmosphère des concerts de la musique de la Légion Étrangère. Ce CD est disponible auprès de la Musique de la Légion Étrangère, 1er Régiment étranger, Quartier Viénot route départementale 2, BP 11354, 13784 Aubagne Cedex, au prix de 18 € (frais de port inclus-lettre max), chèque à établir à l’ordre de l’« Amicale de la musique de la Légion ». Il existe également un DVD (18,50 €, frais de port inclus-lettre max), chèque à établir à l’ordre de l’« Amicale de la musique de la Légion ». Adjudant-chef Dantin, chef adjoint de la musique de la Légion étrangère Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012 Notes de lecture C’est enfin un ouvrage à lire, et dont on ne peut que saluer et X. R. vanter les mérites. Maurice CREN, Louis-Jacques Bégin, carabin de l’Empire, Glyphe (éd), coll. « Société, histoire et médecine », Paris, 2009, 404 p., 25 €. Primé par l’Association des amis du musée du Val-de-Grâce en 2009, cet opus retrace la vie et l’œuvre de Louis-Jacques Bégin (1793-1859), chirurgien des armées napoléoniennes en 1812 dans les neiges de Russie, qui termine sa carrière après avoir connu tous les honneurs comme chirurgien-consultant de Napoléon III. Commandeur de la Légion d’honneur, il a acquis une dimension internationale par ses travaux, traduits dans de nombreuses langues. Cet ouvrage présente une biographie riche et dense, agrémentée d’une iconographie exceptionnelle, qui n’omet aucun aspect de la vie du célèbre médecin et rappelle les qualités d’homme et de scientifique qui l’ont animé sa vie durant. Président de l’Académie de médecine, Bégin a connu tous les plus grands conflits du XIXe siècle et a contribué par son savoir à l’amélioration du Service de santé des armées, dont il a occupé le plus haut poste de direction. D’écriture agréable, l’hommage de Maurice Cren à Bégin est Xavier Riaud remarquable. Henri LAMENDIN, Maréchal Ney…?, et plusieurs auteurs, Souvenirs (éd), Guillestre, 2010, 189 p., 23 €. Le maréchal Ney… « le brave des braves », comme se plaisait à l’appeler Napoléon, « l’infatigable » pour ses hommes. Connu pour ses charges de cavalerie épiques, vainqueur héroïque de nombreuses batailles – parfois en infériorité numérique, comme à la bataille d’Eylau (1807), de la Moskowa (1812) ou lors de sa défense au passage de la Bérézina (1812) –, il s’illustre au cours de quasiment toutes les campagnes napoléoniennes par son charisme et sa fougue, son impétuosité, ainsi que par son talent de diplomate puisqu’il parvient à conquérir des villes sans combattre. Élevé au maréchalat en 1804 pour ses faits d’armes, il est indispensable à la Grande Armée et à son meneur. Pourtant, victime d’une épuration extrêmement violente, il est injustement condamné à mort et exécuté. Mais comme souvent en France, c’est une fois que la « faucheuse » a frappé que les hommes comprennent la grandeur d’âme de celui qu’ils ont abominé. Légitimement réhabilité sous Louis-Philippe en 1831, il retrouve la place qu’il n’aurait jamais dû quitter au firmament de l’Empire, au firmament de l’histoire française en définitive. Pourtant, s’il a été illustre en son temps, il n’en demeure pas moins réellement méconnu aujourd’hui. Que d’ingratitude envers cet homme, jusqu’à l’ignorance dans laquelle il est encore tenu de nos jours ! Henri Lamendin nous retrace toute l’épopée napoléonienne à travers l’histoire du maréchal Ney. S’il a été abandonné par ses contemporains, il est d’autant plus louable et méritant qu’il soit ressuscité par un auteur dont les travaux n’ont plus rien à prouver sur le plan de la valeur et de la richesse, et qui nous livre un portrait original, complet et dense, avec une iconographie méticuleusement choisie, n’occultant aucun des aspects de la vie de Ney, y compris l’hypothèse d’une survie éventuelle après son exécution. Jean-David AVENEL, Interventions alliées pendant la guerre civile russe, 1918-1920, Economica (éd), coll. « Campagnes et stratégies », 2e édition, 2010, 234 p. dont 8 de photos, 30 €. Les deux années de guerre civile sont replacées dans le cadre historique de l’empire russe du début du XXe siècle, des deux révolutions de 1917 et de la paix de Brest-Litovsk, refusée par Troski avant d’être ratifiée, en mars 1918, grâce à l’habileté du ministre russe Tchitcherine confronté à la désunion des alliés. Poursuivant des objectifs ambigus, Clemenceau, Llyod George et Wilson étaient également en désaccord avec les Japonais débarqués à Vladivostok. L’auteur décrit ensuite les forces armées antagonistes : les 16 armées soviétiques organisées par Trotski ; les armées blanches désunies : volontaires de Kornilov-­Denikine ; l’armée sibérienne de l’amiral Koltchak ; le corps d’armée tchèque transféré d’Ukraine sur le transsibérien. Ces forces disparates interviennent dans un empire démembré et livré à l’anarchie : la présence des Allemands en Ukraine, en Pologne, en Finlande et dans les États baltes, la naissance des États de Biélorussie, de Crimée et de Bessarabie, l’institution du communisme de guerre, la crise alimentaire à l’intérieur des villes, la terreur blanche face à la terreur rouge de la Tcheka. C’est dans cette anarchie que se déroulent les interventions française en Crimée, britannique en Transcaucasie et à Arkhangelsk, l’offensive Denikine en Russie du Sud, l’offensive Koltchak en Sibérie, la guerre d’Arkhangelsk du général Maynard, l’offensive de Youdenitch vers Pétrograd, du baron Wrangel sur le Don, la révolte des Basmatchis en Ouzbékistan, le retrait des Tchèques par Vladivostok. Le rôle des généraux français (Foch, Franchet d’Espèrey, Berthelot, Janin, d’Anselme) est particulièrement mis en valeur. Implacable, l’organisation bolchevique vient à bout de ces révoltes désunies, exploitant la passivité d’une population avide de paix qui déteste les alliés occidentaux et se rallie à la remarquable politique des nationalités de Lénine. La victoire est totale en 1922, bien que le parti demeure déchiré par la lutte interne entre Staline et Trotski. Fondé sur de riches archives militaires et politiques, et sur une abondante littérature anglo-saxonne et soviétique, cet ouvrage fait toute la lumière sur une histoire extrêmement Maurice Faivre complexe et méconnue. Rémy PORTE, François COCHET, Ferdinand Foch (1851-1929). Apprenez à penser, Sodica (éd.), 2010, 450 p., 25 €. Les actes de ce colloque, tenu à l’École militaire fin 2008, renouvellent l’intérêt d’une écoute des 26 interventions. Le maréchal Foch est pour beaucoup une icône plus qu’un homme aux multiples actions. Les responsables du colloque ont voulu éclairer les zones d’ombre : ils y ont en grande partie réussi, et le simple lecteur découvrira la complexité du premier tiers du XXe siècle. Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012 7 Notes de lecture L’avant-guerre fait connaître le professeur, inaudible pour certains, génial pour d’autres. On peut estimer que c’est son rôle ultérieur qui mettra en valeur ses écrits ; victime comme bien d’autres du sectarisme anticlérical, il a la chance de bénéficier du soutien de Clemenceau. La Grande Guerre le transforme en héros national, les exposés sur sa nomination de commandant des armées alliées sont passionnants, mais l’affaire de Morhange n’est pas élucidée. La partie la plus intéressante retrace le retournement de Foch de novembre 1918 à 1919 : d’abord hostile aux demandes du général Pétain, il va défendre ses thèses lors des discussions pour la paix qui seront rejetées par nos alliés de la guerre. La dernière partie est consacrée à l’image du maréchal vu à l’étranger et à ses tentatives d’intervention diplomatique. Finalement, ce colloque fait le tour d’une époque, mal connue dans les détails, de la conduite des opérations et des négociations. Il complète et enrichit les dernières biographies du maréchal, qui mourra en sachant que l’avenir est aussi sombre qu’il l’a prévu. L’ouvrage apporte davantage encore sur les événements que Foch a vécus ou a subis que sur la biographie proprement dite de cet artilleur aux vues synthétiques. Sa lecture en Alain J. Roux vaut la peine. Xavier RIAUD, Première Guerre mondiale et stomatologie : des praticiens d’exception, L’Harmattan (éd), coll. « Médecine à travers les siècles », Paris, 2008, 220 p., 21 €. C’est l’histoire d’hommes qui, au milieu des bombes, des mourants et des blessés, dans les tranchées, dans des hôpitaux de fortune ou de grands centres de soins, se sont dévoués corps et âme pour aider les soldats français ravagés par cette guerre, « la der des der ». À travers une iconographie très fournie et des témoignages poignants, l’auteur retrace l’altruisme et l’abnégation d’êtres exceptionnels. Simplement, il décrit le parcours au sein d’infrastructures bien organisées d’hommes tout entiers concentrés sur les soins et l’attention permanente à apporter à leurs camarades abîmés par de si violents combats. Certains de ces praticiens y ont perdu la vie. D’autres en sont revenus à jamais meurtris, mais tous ont donné le meilleur d’eux-mêmes afin d’aider leurs compagnons d’armes et de servir la France, qui peut être fière de ses enfants, et de tant d’autres, Georges Villain morts au champ d’honneur. Paroles de bô dôi, Diên Biên Phu vu d’en face, équipe de journalistes vietnamiens, Nouveau Monde (éd.), coll. « Histoire », Paris, 2010, 271 p., 23 €. La connaissance de l’ennemi est indispensable. Le siège de Diên Biên Phu a été relaté en France dans de nombreux ouvrages, mémoires et études, mais les connaisseurs de la guerre d’Indochine n’ont guère lu que les mémoires du général Giap. Ce livre est la traduction d’une enquête récente de journa- listes vietnamiens qui ont interrogé un nombre important de survivants viets de la bataille. L’introduction d’un des auteurs est extrêmement intéressante, et il est nécessaire de la lire. Elle donne la clé de l’ouvrage. Le lecteur français, s’il prend séparément chacun des 88 témoignages traduits, ne sera pas enthousiasmé par les découvertes faites, mais s’il prend l’ensemble et le compare à ses connaissances directes ou de lecture, il va avoir quelques surprises, qui ne changeront pas d’ailleurs son opinion sur les communistes viets. D’abord, ce livre est bien fait : excellents schémas que l’on ne trouve pas ailleurs, calendrier des opérations jour par jour, indications sur les témoins interrogés, sans oublier une bibliographie vietnamienne développée, la bibliographie française présentant des lacunes significatives, mais Le Monde et L’Express y figurent en bonne place. Évidemment, la première remarque provient des tableaux numériques : dans ceux des pertes de l’armée française, l’hécatombe des prisonniers ne figure pas. La deuxième provient des effectifs consacrés à la logistique : gigantesques ! Beaucoup plus importants que ceux donnés par les ouvrages français. Autre remarque, un certain nombre de témoins viets insistent sur les effets de l’artillerie française : où les artilleurs français prenaient-ils toutes ces munitions ? La description, courte, des alvéoles pour les canons, est instructive. Et la jeunesse des cadres interrogés ? Bref, malgré une méfiance initiale, la lecture, facile, de cet ouvrage est fort intéressante, à condition d’avoir l’esprit critique. Le livre est conseillé aux spécialistes, professionnels A. J. R. ou non, de la guerre d’Indochine. Daniel BORDIER, Henry Bordier (1863-1942), pionnier de l’électricité médicale, Glyphe (éd), Paris, 2008, 178 p., 19 €. Par cet hommage intimiste rendu à l’inventeur de l’électricité médicale, pionnier de la radiothérapie – qui lui conférera ses lettres de noblesse, lui verra attribuer tous les honneurs militaires et civils, mais déclenchera aussi un cancer des mains qui le tuera –, Daniel Bordier nous raconte avec une infinie précision l’histoire de son grand-oncle et son action médicale prolifique avant, pendant et après la Grande Guerre. Très bien illustré, ce récit relate le rôle prépondérant du professeur Henry Bordier, chef du service de radiothérapie de la XIVe région militaire à Lyon en 1916. Ces faits médicaux civils et militaires seront récompensés à de nombreuses reprises, notamment par l’Académie de médecine dont notre protagoniste sera fait correspondant national en 1930, par l’Académie des sciences et par l’État puisqu’il sera fait Commandeur de la Légion d’honneur en 1942. Labor omnia vincit improbus (« Le travail opiniâtre a raison de tout ») était sa devise, et il l’a mise en application jusqu’à son dernier souffle. Comment honorer la mémoire d’un tel homme qui a fait don de sa vie à sa science, qu’il chérissait tant, et aux patients qu’il a essayé de guérir « du crabe » ? En X. R. lisant ce livre remarquable, tout simplement. Histoire militaire & Stratégie, lettre d’information de l’Institut de stratégie et des conflits (ISC) et de la Commission française d’histoire militaire (CFHM) • Château de Vincennes, Tour des Salves, Avenue de Paris, 94306 VINCENNES CEDEX • Courriel [email protected] • Directeur de la publication Jean-Nicolas Corvisier • Rédacteur en chef Pierre-Emmanuel Barral • Rédacteur en chef adjoint François Soffer • Secrétaire de rédaction Françoise Bouquerel le numéro : 4 euros ISC-CFHM 8 Histoire militaire & Stratégie n° 28 – ISC-CFHM – Été 2012