Hi s t o i r e mi l i t ai r e & S t r a t é g i e lettre d’information de la COMMISSION FRANÇAISE D ’ H I S TO I R E M I L I TA I R E Janvier-Février 2008 – n° 11 Vie de la Commission Éditorial C CFHM ette nouvelle année 2008, pour laquelle je vous présente tous mes vœux, est celle de notre soixante-dixième anniversaire. L’histoire de notre Commission est riche. Comme toute organisation, elle a vécu des périodes difficiles et d’autres plus fastes. Toujours, elle a été fidèle à ses objectifs scientifiques et humains. Les publications rédigées par ses membres dépassent les dix mille pages. Des réunions mensuelles ont permis à des dizaines de chercheurs de trouver un espace d’expression en toute liberté. L’importance de la représentation de la Commission au sein des colloques de la Commission internationale ne s’est jamais démentie. Il nous incombe de poursuivre notre action et je crois que nos projets, pour cette année et à plus long terme, vont dans ce sens. Nos réunions se poursuivront à l’École militaire à partir d’avril. Nous organiserons le 12 juin, au musée de l’Armée, une journée d’études consacrée à la diplomatie militaire. Plusieurs délégations régionales ont prévu, comme celles d’Artois et de Méditerranée, d’organiser des journées d’études et/ou des visites. Bien entendu, le colloque international, à Trieste, sera également une occasion de montrer notre vitalité et notre aptitude à remplir notre rôle de représentant de la France au sein de la prestidigieuse organisation. J’espère que notre effort permettra d’améliorer la «visibilité» de notre Commission à la fois dans l’Hexagone et au dehors. C’est avec ce message d’espoir que je vous réitère mes vœux pour 2008. Jean Avenel président de la CFHM Voyage d’études de la CFHM en Belgique 30 mai - 1er juin 2008 La CFHM organise son voyage annuel d’études en Belgique du vendredi 31 mai au dimanche 2 juin 2008 sur quelques-uns des champs de bataille de la guerre de la ligue d’Augsbourg et de la guerre de succession d’Espagne. PROGRAMME Vendredi 30 mai : Départ de Paris en voiture en début d’après-midi. Sur le chemin, visite du champ de bataille de Malplaquet (1709) et du musée de Bavai. Samedi 31 mai : Visite, avec un guide privé, du champ de bataille d’Oudenaarde(1708) et de l’exposition internationale organisée pour la commémoration du tricentenaire de la bataille. e r Dimanche 1 juin :Visite, avec un guide privé, du champ de bataille de Steenkerque (1692). Les personnes intéressées doivent prendre contact avec : • le secrétaire général, Pierre-Emmanuel Barral ([email protected]) ou avec : • Madame Claudine Denis ([email protected]). Délégation Méditerranée-Dauphiné-Rhône manifestations 2008 Une année chargée s’annonce pour la Délégation, qui participe – du 28 février au 1er mars 2008 – au XVe Symposium international du Centre d’histoire et de prospective militaires, à Pully-Lausanne, sur le thème du mercenariat et du service étranger. En préparation, un colloque est prévu en partenariat avec le musée de l’École d’application de l’artillerie à Draguignan, sur le thème de l’artillerie hippomobile, portant à quatre ce genre de manifestation commune. Des conférences sur les dernières nouveautés en matière de publication d’histoire militaire seront organisées, avec la participation des auteurs. Enfin, la Délégation ne saurait oublier la tradition du Kriegspiel, qui sera organisé sur un thème tactique de la Seconde Guerre mondiale. Philippe Richardot Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 1 C o n grès inte rnational d’histo i re milita i re XXXIVe CONGRÈS INTERNATIONAL D’HISTOIRE MILITAIRE, TRIESTE 31 août -5 septembre 2008 Le XXXIVe Congrès international d’histoire militaire se déroulera à Trieste du 31 août au 5 septembre 2008. Le thème retenu pour cette année porte sur « Les conflits militaires et les populations civiles : guerres totales, guerres limitées, guerres asymétriques » Les personnes désirant y participer sont priées de se mettre d’ores et déjà en rapport avec le secrétaire général de la CFHM, Pierre-Emmanuel Barral, soit : • par courrier à l’adresse suivante : 13, rue Linné – 75005 Paris • par courriel ([email protected]) • par téléphone au 01 43 36 72 50 (en laissant éventuellement un message sur le répondeur) Site Internet : www.cihm.difesa.it Les confé rences de la CFHM La Russie, rempart de l’Occident par Dominique Farale* le 15 décembre 2007 En raison de sa position géographique, la Russie a subi pendant des siècles des invasions de nomades asiatiques. Des Slaves, appelés Russes par la suite, ont peuplé la partie centrale, forestière, de la Russie. Désireux d’atteindre la mer, ils ont progressé vers le nord au détriment de peuplades finnoises établies dans la toundra glaciale des environs du cercle polaire. Les steppes situées au nord du Caucase, de la mer d’Azov et de la mer Noire ont été envahies pendant des siècles par des vagues de cavaliers asiatiques – Huns, Avars, Bulgares, Khazars, Magyars, Petchénègues, Oghouz, Polovtses – dont certaines ont atteint la Hongrie et ravagé une partie de l’Europe occidentale. La Russie est née au IXe siècle avec l’arrivée de Varègues scandinaves qui se sont mêlés aux Slaves de cette région. Les Russes se sont convertis au christianisme sous le règne de Vladimir le Grand (fin IXe et début Xe siècles), ont progressé vers la mer Noire et interrompu ainsi les invasions jaunes en direction de l’Europe. La Russie a été conquise et ravagée au XIIIe siècle par une invasion mongole dont elle n’a pu se libérer qu’au XVIe siècle. Elle a ensuite conquis la Sibérie et le Turkestan occidental, et mis fin aux invasions jaunes. Vers le sud, la Russie s’est heurtée aux Turcs ottomans qui, depuis l’Anatolie – à laquelle ils ont donné le nom de Turquie –, ont envahi l’Europe au XIVe siècle, conquis la Grèce, les Balkans, la Roumanie, la Hongrie, et envahi l’Autriche. 2 La Russie a fortement contribué, au XIXe siècle, à la libération de la Grèce, de la Serbie, de la Roumanie et de la Bulgarie. La parenthèse a débouché, en 1991, sur la dislocation de l’URSS. Les républiques musulmanes du Turkestan occidental, riche en pétrole, gaz et minerais, ont conservé des liens avec la Russie par crainte de la Chine et de l’islamisme. La Russie joue à nouveau un rôle de rempart de l’Occident, en raison de sa position géographique. La Chine n’est actuellement pas militairement agressive, mais progresse par immigration clandestine. L’islamisme agit de même en Europe. Les islamistes – devenus majoritaires en Turquie – ne sont pas militairement agressifs envers l’Europe dans laquelle ils veulent pénétrer par adhésion. Si cette double situation évolue, la Russie est l’alliée naturelle de l’Europe. * Saint-cyrien, Dominique Farale est écrivain militaire. Il vient de publier un ouvrage intitulé La Russie et les Turco-Mongols, 15 siècles de guerre, aux éditions Economica. Il est membre d’honneur de la CFHM. Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 Les confé rences de la CFHM Eylau et Friedland : d’une campagne indécise au triomphe par Frédéric Naulet*, le 12 janvier 2008 À la fin du mois d’octobre 1806, Napoléon venait d’écraser la Prusse dans une campagne éclair. Restait la Russie. La campagne de Pologne allait commencer et se révéler autrement plus difficile que celles d’Austerlitz et d’Iéna. Elle se divisa en trois phases distinctes : la manœuvre de Pultusk (décembre 1806), la campagne d’Eylau (janvierfévrier 1807) et celle de Friedland (juin 1807). La Grande Armée atteignit les bords de la Vistule fin novembre. Initialement, l’Empereur avait prévu de faire prendre à ses troupes ses cantonnements d’hiver, mais le repli des Russes vers la Narew lui donna l’occasion de franchir la Vistule et de chercher à battre son adversaire. Dans un océan de boue et souvent dans la pénombre, la manœuvre échoua. Le 26 décembre, à Pultusk et à Golymin, l’armée russe réussit à échapper aux Français. Épuisés, dans une région ravagée par la politique de la terre brûlée de l’ennemi, les soldats de la Grande Armée n’étaient plus capables de poursuivre. Napoléon décida de ne reprendre les opérations militaires qu’en mars. Le général Bennigsen, commandant l’armée russe, ne lui en laissa pas le temps. Fin janvier, ses régiments quittèrent la région des lacs Mazures pour fondre sur le premier corps de Bernadotte et lever le blocus de deux places prussiennes sur la Vistule, Danzig et Graudenz. La manœuvre surprit Napoléon, lequel mit une semaine pour comprendre les intentions de son adversaire. Deux raisons expliquent cette incertitude. Premièrement, les renseignements sur l’ennemi lui manquaient. La cavalerie légère se heurtait aux redoutables rideaux de cosaques, lesquels masquaient le déplacement des régiments russes. Pour la première fois, Napoléon put mesurer le potentiel de nuisance de ces cavaliers. Deuxièmement, la logique de Bennigsen lui échappait. L’offensive de ce dernier allait à l’encontre de tous les principes militaires. Sans y être obligés, les Russes s’enfonçaient dans une nasse formée par la Baltique, la Vistule et les corps de la Grande Armée. Le 30 janvier 1807, Napoléon décida d’en profiter en lançant sa propre offensive vers le nord. Alerté, Bennigsen se replia promptement vers Königsberg, évitant tout engagement majeur et multipliant les combats d’arrière-garde. À deux reprises (Jonkowo et Landsberg), Napoléon pensa tenir la bataille tant recherchée, mais les Russes se défilèrent de nouveau. Cette stratégie, l’Empereur la retrouvera cinq ans plus tard, durant la campagne de Russie. Persuadé que Bennigsen ne s’arrêterait pas avant Königsberg, Napoléon n’estima plus nécessaire de garder concentrées l’ensemble de ses forces et ordonna au 6e corps de Ney de poursuivre ce qu’il restait de l’armée prussienne, dont il ignorait la position exacte. Cette décision fut lourde de conséquences. Deux jours plus tard, Bennigsen accepta de livrer bataille à Eylau, et Ney, trop éloigné, ne put arriver qu’en fin de journée, trop tard pour peser sur les combats. Cette bataille indécise obligea les deux armées à bout de souffle à prendre, enfin, leurs cantonnements d’hiver. Napoléon sortit terriblement affaibli de cette campagne, brève mais usante. Son armée n’était plus capable de reprendre l’offensive avant le printemps, et un repli derrière la Vistule fut envisagé. Tous les acquis de la manœuvre de Pultusk seraient alors perdus. Plus grave, l’Empereur n’avait pas été capable de battre les Russes dans une bataille rangée, et ne semblait plus invincible. L’Autriche pouvait être tentée de prendre sa revanche. Au grand désespoir de Bennigsen, il n’en fut rien. Le dernier acte de la campagne commença le 5 juin 1807, avec l’offensive de Bennigsen contre le 6e corps de Ney, à Guttstadt, mais, pour le commandant de l’armée russe, la seule chance de faire vaciller Napoléon n’avait pas été saisie après Eylau. Sans espoir sur l’issue de la campagne, il reprit donc : éviter tout engagement majeur, sauf sur des positions défensives choisies à l’avance. Ce fut la bataille meurtrière d’Heilsberg, le 10 juin. Après ce nouvel échec pour détruire l’armée russe, Napoléon modifia sa stratégie et décida de manœuvrer sans chercher à percer les desseins d’un adversaire bien difficile à comprendre. Il dirigea une grande partie de ses forces vers Königsberg. Si les Russes abandonnaient leur allié, la Prusse perdrait sa dernière place forte. Si Bennigsen volait à son secours, Napoléon disposerait de suffisamment de forces pour l’affronter. Contraint de marcher vers Königsberg, le commandant de l’armée russe fit passer son armée sur la rive gauche de l’Alle, à Friedland. Pour la première fois, il fut obligé de livrer bataille sur le terrain choisi par son adversaire et subit une cuisante défaite le 14 juin 1807. Quatre jours plus tard, il se repliait derrière le Niémen. La paix fut signée le 7 juillet 1807. Jamais Napoléon n’avait semblé aussi puissant. Pourtant, par bien des aspects, la campagne de Pologne préfigurait celle de Russie cinq ans plus tard. * Docteur en histoire, Frédéric Naulet est spécialiste de l’artillerie. Il est l’auteur d’un livre intitulé Antietam, le jour le plus sanglant de la guerre de sécession (Economica, 2004). Il vient de publier deux ouvrages aux éditions Economica : Eylau (8 février 1807), des Pultusk aux neiges d’Eylau, et Friedland (14 juin 1807), la campagne de Pologne, de Danzig aux rives du Niémen. Il est membre de la CFHM. Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 3 Publications Rehearsals. The German Army in Belgium, August 1914 de Jeff Lipkes* Rehearsals est le premier livre à fournir un récit détaillé de l’invasion allemande de la Belgique, en août 1914, qui affecta les civils. Reposant sur de nombreux témoignages, le livre raconte les événements qui se déroulèrent autour des villes de Liège, Aarschot, Andenne, Tamines, Dinant et Leuven où eurent lieu les pires destructions. Sans aucune raison légitime, les soldats allemands tuèrent presque 6 000 non-combattants, y compris des femmes et des enfants, et incendièrent quelque 25 000 maisons et autres bâtiments. Pendant plus de soixante-quinze ans, les accusations d’assassinats, de viols, de pillages et d’incendies volontaires furent repoussées en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis comme relevant de la propagande de guerre. Plus récemment, cette flambée de violence (qui culmina entre le 19 et le 26 août 1914) fut expliquée par la crainte qu’avaient les Allemands des francs-tireurs civils. Ce livre apporte des preuves que les exécutions furent le fruit d’une campagne délibérée de terrorisme ordonnée par les autorités militaires allemandes. Pierre-Emmanuel Barral * Jeff Lipkes a étudié l’histoire aux universités de Berkeley et Princeton dont il est diplômé. Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé Politics, Religion and Classical Economy in Britain: John Stuart Mill and his Followers. Rehearsals. The German Army in Belgium, August 1914, Leuven University Press, 832 p. 49,90 euros. ISBN 978-90-5867-596-5. Pour commander l’ouvrage : LEUVEN UNIVERSITY PRESS Minderbroedersstraat 4, bus 502 B-3000 LEUVEN – Belgique Courriel : [email protected] L’Armée et le peuple suisses face aux deux guerres mondiales, 1 9 1 4 - 1 9 18/1939-1945 de Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit* Pour la première fois, un ouvrage rédigé par deux historiens se livre à une comparaison serrée des conditions dans lesquelles le peuple suisse et son armée ont dû affronter les deux dernières guerres. Ce livre clair, objectif, fortement documenté et richement illustré, met en parallèle les préparatifs et l’organisation militaires, les conditions politiques, économiques et sociales des deux époques, face à la vie quotidienne et au déroulement des hostilités. Leur comparaison fait apparaître le rôle majeur de la milice et celui, fédérateur, du général Guisan. Un livre qui comble une lacune de l’historiographie. Un livre nécessaire. P.-E. B. Pour commander l’ouvrage : INFOLIO éditions – CH-1124 GOLLION – Suisse Téléphone : +41 (0)21 863 22 47 – Fax : +41 (0)21 863 22 49 Courriel : [email protected] Site Internet : www.infolio.ch 4 Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 * Jean-Jacques Langendorf, maître de recherches à l’Institut de stratégie comparée de Paris, a publié de nombreux ouvrages d’histoire politique et militaire, dont une récente Histoire de la neutralité. Il est l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles. Pierre Streit, historien, travaille au Département fédéral de la Défense. Il est directeur scientifique du Centre d’histoire et de prospective militaires à Lausanne, et a publié une Histoire militaire suisse. L’ h i sto i re milita i re au cinéma La charge de la brigade légère au cinéma : mythe et réalité La « charge de la brigade légère» est l’épisode le plus connu de la guerre de Crimée qui opposa – à propos de la «question d’Orient » – la Russie, qui souhaitait démembrer l’empire ottoman, à la France et à l’Angleterre, qui le refusaient fermement. L’essentiel du conflit eut pour théâtre la ville de Sébastopol, principal port russe en mer Noire sur la côte septentrionale de la Crimée. Le 25 octobre 1854, les Russes déclenchèrent une attaque surprise contre la base britannique de Balaklava. Ils furent victorieusement repoussés par la « brigade lourde » de lord Raglan, mais purent réorganiser leurs défenses derrière de puissantes batteries d’artillerie. C’est alors que, pour des raisons inexplicables, le commandement anglais ordonna à la brigade légère de lord Cardigan Errol Flynn dans de charger. Sur les 673 hommes La Charge de la brigade participant à cette action, 113 cava- légère, de Michael Curtiz liers furent tués et 497 chevaux (1936) furent perdus. L’épisode, sanglant autant qu’inutile, fut progressivement élevé au rang de mythe par la littérature et par le cinéma. Lord Alfred Tennyson, dans son célèbre poème contemporain de l’événement, exalte la Charge des 600 dans la « Vallée de la mort », transfigurant l’absurde carnage en geste héroïque et en symbole des valeurs de l’Angleterre impériale victorienne. Le cinéma ne pouvait qu’être tenté de s’emparer du sujet. En 1936, l’Américain Michael Curtiz réalise une première version, avec Errol Flynn et Olivia de Havilland dans les rôles principaux, mélangeant habilement certains faits historiques en les transformant pour les besoins de la cause avec d’autres, fictifs. Le film se déroule aux Indes britanniques. Le capitaine Geoffrey Vickers, du 27e lanciers du Bengale, escorte sir Humphrey Harcourt auprès de Surat Khan, le puissant émir des Suristanis. Les Britanniques participent à une chasse au léopard donnée par leur hôte, au cours de laquelle Vickers s’illustre par son courage. Sir Humphrey Harcourt annonce à Surat Khan la suppression de la pension octroyée par le gouvernement britannique à son père. Cela provoque l’ire de ce dernier, ce dont Vickers se rend compte. Vickers retourne à Calcutta et découvre que sa fiancée, Elsa, est amoureuse de son frère Perry. Vickers accomplit avec un grand succès une délicate mission consistant à ramener des chevaux. Surat Khan s’emploie à soulever les tribus contre les autorités britanniques, qui ne se doutent de rien. Sir Benjamin Warrenton ordonne au colonel Campbell – père d’ Elsa, l’ancienne fiancée de Vickers – d’envoyer le gros des troupes de Chukoti à Lohara, dégarnissant ainsi dangereusement la ville la plus proche du territoire de Surat Khan. Chukoti est attaqué par Surat Khan, qui promet aux assiégés la vie sauve en échange d’une reddition sans condition, ce qui est accepté. Mais, alors que les Britanniques sortent du fort, les troupes de Surat Khan les massacrent, y compris femmes et enfants. Cependant, Vickers – que Surat Khan a volontairement épargné en souvenir du jour où il lui sauva la vie – et Elsa parviennent à s’échapper. Le 27e lanciers est envoyé en Crimée pour participer à l’offensive franco-anglaise contre les Russes sous les murs de Sébastopol. Vickers apprend que Surat Khan a rejoint les Russes. Avide de vengeance, il rédige un faux ordre commandant au 27e lanciers d’attaquer les hauteurs de Balaklava. Il éloigne préventivement son frère pour assurer le bonheur d’Elsa. Quand Vickers arrive à la hauteur des lignes russes, il aperçoit Surat Khan et le transperce de sa lance avant de s’écrouler à son tour, tué d’un coup de fusil. Le haut-commandement endosse la responsabilité de l’opération et sir Charles Macefield brûle le document rédigé par Vickers. La psychologie des personnages est, comme souvent dans les films d’aventures, sommaire, et l’intrigue, avec la rivalité amoureuse entre les deux frères, très classique. Cependant, le personnage de Vickers n’est point exempt d’une dimension tragique sur le plan personnel (la rivalité amoureuse avec son frère dont il sauve, finalement, la vie) et collectif (il est l’un des deux survivants du massacre de Chukoti). Le film livre une explication originale, bien qu’inventée, de la charge de la brigade légère. Il aborde des problèmes historiques et militaires qui eurent une importance réelle. Le massacre de Chukoti est manifestement inspiré des massacres de la révolte des Cipayes, lorsqu’une partie des troupes indigènes se mutine contre l’autorité du Raj britannique en 1857. Un problème stratégique bien réel est évoqué: la nécessité vitale pour les Britanniques de défendre la frontière nord-ouest des Indes contre les incursions des tribus rebelles. Le personnage du colonel russe qui conseille Surat Khan est une évocation du « grand jeu » qui oppose, au XIXe siècle, la Russie et l’empire britannique, la Crimée et les Indes apparaissant comme deux théâtres d’opérations d’une même guerre. Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 5 L’ h i sto i re milita i re au cinéma L’œuvre donne une image précise de la fameuse armée des Indes avec les lanciers britanniques, les Cipayes, l’artillerie et les éléphants. Enfin, il s’inscrit dans la grande tradition des films exaltant l’empire britannique. Geoffrey Vickers est l’archétype de l’officier colonial britannique de belle prestance, portant moustache, inébranlable, chevaleresque et galant, courageux jusqu’au sacrifice suprême, mais également fin diplomate et bon administrateur. D’un point de vue esthétique et formel, le film met en scène une des plus belles charges de cavalerie du cinéma. Dans la même veine, Raoul Walsh tournera une scène similaire avec Errol Flynn dans le rôle du général Custer (La Charge fantastique, 1941). pauvres, la cruauté gratuite des châtiments en vogue dans l’institution militaire, les préjugés surannés de la caste des officiers dont la morgue n’a d’égale que l’incompétence. Ainsi, les deux versions montrent l’évolution des esprits : à l’apologie de l’héroïsme succède la déconstruction du mythe. Il est paradoxal de noter que la version américaine exalte l’empire britannique tandis que la version anglaise le ridiculise. Pierre-Emmanuel Barral Errol Flynn En 1968, le cinéaste britannique Tony Richardson réalise une seconde version de La Charge de la brigade légère avec, dans les rôles principaux, Trevor Howard et Vanessa Redgrave. Cette féroce satire du militarisme et de l’impérialisme britanniques ainsi que des valeurs de la société victorienne dénonce l’injustice de la conscription qui pèse sur les plus B i b l i oth è que milita i re La bibliothèque du CESAT* à l’École militaire Le fonds ancien Il regroupe 40 000 ouvrages provenant de l’École d’étatmajor et de la bibliothèque de l’Hôtel Royal des Invalides. Une partie de ce fonds exceptionnel est constituée par les collections provenant du château de Versailles. Les manuscrits des XVIIe et XVIIIe siècles concernent les œuvres de Vauban, les doubles de la correspondance de Colbert, l’inventaire des joyaux de la couronne effectué sous Louis XIV, de petits ouvrages destinés à l’éducation du duc de Bourgogne, père de Louis XV, etc. Les ouvrages armoriés ont appartenu à Louis XV et à Mesdames de France, ses filles. Le fonds Mirabaud Il est constitué par la collection du banquier Paul Mirabaud, réunissant 2 207 volumes et périodiques rassemblés sur la guerre de 1870-1871 et légués à l’École supérieure de guerre le 9 novembre 1895. Les cartes et plans, un fonds méconnu Ce fonds est constitué de plus de 3 000 documents. Il comprend notamment : les facs-similés en couleur des cartes de la « Table de Peutinger » (IIIe siècle) exécutés à partir du manuscrit conservé à 6 Vienne ; plus de 80 cartes et plans manuscrits aquarellés de places fortes des XVIIe et XVIIIe siècles ; la carte de Cassini ; des cartes des champs de bataille des guerres de l’Empire, datant de la première moitié du XIXe siècle ; une carte des routes de poste de la Russie d’Europe, de 1812 ; des cartes des expéditions coloniales de la fin du XIXe siècle, etc. Un ensemble particulier est constitué par des cartes allemandes de 1940 et 1941 concernant l’Europe centrale et orientale, la Russie, le Proche et le Moyen-Orient, etc. Plusieurs cartes estampillées « Geheim » (secret) donnent des renseignements sur les dispositifs de défense, les bases aériennes, les dépôts de munitions. Elles sont jointes à des ouvrages illustrés consacrés à chacun des pays. Il est à noter que la bibliothèque comprend un atelier de reliure-restauration. La bibliothèque du CESAT est ouverte de 9 heures à 17 heures 30 les mardi et jeudi, le mercredi sur rendez-vous en téléphonant au 01 44 42 52 30. Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 Marie-France Sardain * CESAT : Collège d’enseignement supérieur de l’armée de Terre. Notes de lecture Jean-David AVENEL La Guerre hispano-américaine de 1898. La naissance de l’impérialisme américain, Economica, 2007, 193 p. C ETTE GUERRE DE QUELQUES SEMAINES, faite de rencontres inégales entre les forces d’une Espagne exsangue et d’une jeune nation pourvue d’une marine encore de second ordre et d’une armée peu expérimentée, a peu attiré l’attention des historiens européens. J.-D. Avenel nous montre qu’en réalité, outre l’effondrement de l’Espagne et l’accession des États-Unis au rang de puissance, elle amorce un changement capital dans l’équilibre politique du monde. Dépassant l’exposé des faits militaires, l’ouvrage embrasse la politique et la diplomatie de l’ensemble de la planète pendant un siècle : mise en place des conditions du conflit et conséquences jusqu’au milieu du siècle dernier. Pour atteindre ce but, il a fallu consulter, outre les archives des États-Unis et de La Havane, une abondante bibliographie anglaise, majoritairement américaine et espagnole d’Espagne et de Cuba. L’auteur l’a fait objectivement en prenant le recul nécessaire. En fait, le sous-titre exprime la plus grande partie des problèmes abordés. Comme il arrive souvent, un événement médiocre s’estompe devant ses conséquences. La guerre hispanoaméricaine de 1898 n’aura été que le déclic qui a révélé une évolution profonde. Sans doute vaincre l’Espagne ne présentait-il aucune difficulté. Depuis la guerre de Sécession, le peuple américain avait pansé ses plaies. Fortes d’une expansion démographique considérable, ses élites accueillaient la théorie de la « destinée manifeste » inspirée par le darwinisme, à laquelle les écrits de Mahan offraient un instrument de puissance en affirmant la supériorité politique de la puissance navale. L’idée que les États-Unis avaient un rôle de guide à assumer auprès des peuples attardés, se développait. La politique du président Théodore Roosevelt est issue de ce mouvement d’idées. Dominant les Caraïbes, posant des jalons dans le Pacifique, la marine américaine devint la deuxième du monde, tandis que le gouvernement et l’état-major s’employaient à corriger les faiblesses manifestées par l’armée. Alors que s’apaise la rivalité entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, ces derniers entrés dans la compétition concernant le marché chinois et, d’une manière assez prémonitoire, rencontrent des résistances du côté de l’Allemagne wilhelminienne et du Japon. C’est dire l’intérêt de l’ouvrage. André Corvisier Anne-Aurore INQUIMBERT, Les Équipes Jedburgh, juin 1944- décembre 1944. Le rôle des services spéciaux alliés dans le contrôle de la Résistance intérieure française, Lavauzelle, 2007, 172 p. Le sous-titre résume parfaitement ce petit livre tiré d’une thèse. À partir des archives françaises accessibles, l’auteur décrit en détail la genèse des équipes : le commandement allié veut utiliser les formations de résistance sur les arrières ennemis, en les encadrant pour aider les forces de débarquement. Ces équipes sont constituées de trois officiers dont, au minimum, un Britannique. Elles doivent devenir les yeux, la bouche et les oreilles de l’état-major interallié. Le commandement gaulliste veut garder, au moins, un droit de regard sur ces équipes. Mises en place par les services spéciaux, elles participent aux combats dans toute la France. La troisième partie est intitulée « Un coup de maître ou une occasion manquée ». Cette étude fouillée détaille un type d’équipes spéciales qui va se développer après la guerre, et encore aujourd’hui sous d’autres noms. Elle est donc d’un grand intérêt pour les historiens. Alain Roux Général MAURICE SCHMITT, Deuxième Bataille d’Alger (2002-2007) : La bataille judiciaire, L’Harmattan, 2008, 127 p. Ayant participé, du 20 juillet au 4 septembre 1957, à la fin de la bataille d’Alger, le général Schmitt rappelle que quelques dizaines de parachutistes, de zouaves « et de ralliés » avaient alors infiltré et neutralisé l’organisation terroriste de la Zone autonome (ZAA). Il a relaté cette opération dans son livre précédent, Alger, été 1957, Victoire sur le terrorisme. À la suite d’interventions dans les médias, il s’est trouvé confronté aux plaintes en justice de deux personnes qu’il avait accusées de mensonge : une ancienne terroriste algérienne, soutenue par certains médias; un ancien soldat appelé, sympathisant communiste, faisant état de massacres et de viols imaginaires. En première instance, des tribunaux mal Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 7 Notes de lecture informés ont donné partiellement raison aux plaignants. Les instances d’appel et la cour de cassation, en revanche, ont reconnu leurs affabulations. Avec clarté et précision, l’auteur décrit cette deuxième bataille et revient sur des faits non contestables. Il démontre en particulier que le colonel Bigeard, engagé dans l’opération Timimoun, ne pouvait pas se trouver à Alger pour assister aux interrogatoires d’une terroriste, laquelle d’ailleurs ne présentait aucune importance alors que la bataille d’Alger était terminée. Il dénonce également l’imposture d’un sous-officier, hospitalisé au moment des faits. Plusieurs passages du livre présentent un grand intérêt pour l’Histoire : - la lettre de repentance de trois chefs terroristes, qui proposent d’œuvrer avec l’armée pour construire une Algérie nouvelle, - la critique argumentée du livre d’une journaliste du Monde, admiratrice du traître Maillot, - le rappel des directives du général Schmitt, prescrivant de respecter l’intégrité des individus : « Tout faire pour éviter la torture, sans éluder cependant le cas extrême où des vies sont en danger. » Maurice Faivre Philippe LACHAL, Fortifications des Alpes. Leur rôle dans les combats de 1939-1945 : Ubaye, Ubayette, Restefond, éditions du Fournel (2, avenue de Vallouise, 05120 L’Argentière La Bessée). Ce magnifique album est en même temps une étude historique précise. Il se distingue au moment où les souvenirs intellectuels et aussi matériels disparaissent. Il décrit les fortifications de la ligne Maginot érigées dans cette partie des Alpes avant 1939, de la vallée de l’Ubaye au col de Larche – Dauphiné sud-est de Briançon. Elles permettront à l’équivalent d’un régiment français d’arrêter sur place et de détruire partiellement les divisions italiennes qui les attaquent en juin 1940. Les combats sont racontés dans le détail. Le résultat des pertes est éloquent : 2 000 soldats italiens, pourtant courageux, contre une centaine de Français. Les ouvrages fortifiés sont décrits dans le détail avec leurs plans et leurs photographies d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que les combats de 1940 et ceux, toujours oubliés, de l’hiver 44-45. Il faut noter que la plupart des ouvrages fortifiés ne sont plus entretenus depuis qu’ils sont intégrés dans le parc national du Mercantour. Cette étude enchantera les amateurs de fortifications, les Chasseurs évidemment, et tous ceux qui veulent mieux CFHM 8 connaître cette région superbe et sauvage. Les historiens militaires se verront confirmer que les fortifications sont un excellent investissement, y compris en montagne – au moins jusqu’à la fin du XXe siècle –, et que la doctrine du général Guisan se fondait sur un exemple solide. A. R. Vassili GROSSMAN, Carnets de guerre de Moscou à Berlin 1941-1945, Calmann-Lévy, Paris, 2007. Ce livre présente les carnets de guerre que le célèbre écrivain rédigea entre 1941 et 1945. Suite à l’invasion allemande, Grossman fut envoyé sur le front par le général Ortenberg, rédacteur en chef du « journal officiel de l’Armée rouge », Krasnaïa Zvezda, qui était lu avec avidité par les civils russes. Les Carnets sont une description précise, documentée et humaine car fondée sur des conversations avec des soldats que Grossman côtoyait – et dont il avait gagné la confiance – au cours de la guerre sur le front de l’Est. Si elle se révèle souvent passionnée, son caractère littéraire la rend vivante et d’accès agréable, y compris pour le non-spécialiste. Des notes et des commentaires, présentés par Antony Beevor et Luba Vinogradova, permettent de resituer les documents dans leur contexte historique. Grossman se brouilla avec Staline après la guerre et échappa de peu au goulag. Il mourut en 1960, à 55 ans. Jean Avenel Art LEETE, La Guerre du Kazym. Les peuples de Sibérie occidentale contre le pouvoir soviétique (1933-1934), L’Harmattan, Paris, 2007, 318 p. Ce professeur d’ethnologie de l’université de Tartu (Estonie) décrit ici la soviétisation des peuples autochtones de Sibérie après la Révolution. Ignorée par l’historiographie soviétique, voire russe et occidentale, elle fut longue et violente à l’instar de la soviétisation dans d’autres régions de l’empire (Asie centrale). Leete, spécialiste de l’histoire des peuples de Sibérie, nous présente ce conflit – assez court en soi mais particulièrement dur – entre les peuples du nord de l’Union soviétique et le pouvoir central, en le replaçant dans un cadre historique et culturel plus large. Son récit débute dans les années 1920, alors que l’insurrection dura environ une année. Nous découvrons ainsi un aspect malheureusement peu connu, et peu médiatisé, des débuts du communisme en Russie. L’auteur s’appuie sur des archives, des témoignages recueillis pendant dix ans, et une abondante bibliographie. J. A. Histoire militaire & Stratégie – Lettre d’information de la Commission française d’histoire militaire – Château de Vincennes – Tour des Salves – BP 109 – 00481 Armées Courriel [email protected] – Directeur de la publication Jean Avenel – Rédacteur en chef Pierre-Emmanuel Barral – Rédacteur en chef adjoint François Soffer – Secrétaire de rédaction Françoise Bouquerel le numéro : 4 euros Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008