Histoire militaire & Stratégie N° 11 – CFHM – Janvier-Février 2008 3
Les confé r ences de la CFHM
À la fin du mois d’octobre 1806, Napoléon venait d’écraser
la Prusse dans une campagne éclair. Restait la Russie. La
campagne de Pologne allait commencer et se révéler
autrement plus difficile que celles d’Austerlitz et d’Iéna.
Elle se divisa en trois phases distinctes : la manœuvre de
Pultusk (décembre 1806), la campagne d’Eylau (janvier-
février 1807) et celle de Friedland (juin 1807).
La Grande Armée atteignit les bords de la Vistule fin
novembre. Initialement, l’Empereur avait prévu de faire
prendre à ses troupes ses cantonnements d’hiver, mais le
repli des Russes vers la Narew lui donna l’occasion de
franchir la Vistule et de chercher à battre son adversaire.
Dans un océan de boue et souvent dans la pénombre, la
manœuvre échoua. Le 26 décembre, à Pultusk et à Golymin,
l’armée russe réussit à échapper aux Français. Épuisés, dans
une région ravagée par la politique de la terre brûlée de
l’ennemi, les soldats de la Grande Armée n’étaient plus
capables de poursuivre. Napoléon décida de ne reprendre
les opérations militaires qu’en mars. Le général Bennigsen,
commandant l’armée russe, ne lui en laissa pas le temps.
Fin janvier, ses régiments quittèrent la région des lacs
Mazures pour fondre sur le premier corps de Bernadotte et
lever le blocus de deux places prussiennes sur la Vi s t u l e ,
Danzig et Graudenz. La manœuvre surprit Napoléon, lequel
mit une semaine pour comprendre les intentions de son
adversaire. Deux raisons expliquent cette incertitude.
Premièrement, les renseignements sur l’ennemi lui
manquaient. La cavalerie légère se heurtait aux redoutables
rideaux de cosaques, lesquels masquaient le déplacement
des régiments russes. Pour la première fois, Napoléon put
mesurer le potentiel de nuisance de ces cavaliers. Deuxiè-
mement, la logique de Bennigsen lui échappait. L’ o f f e n s i v e
de ce dernier allait à l’encontre de tous les principes mili-
taires. Sans y être obligés, les Russes s’enfonçaient dans
une nasse formée par la Baltique, la Vistule et les corps de
la Grande A r m é e .
Le 30 janvier 1807, Napoléon décida d’en profiter en
lançant sa propre offensive vers le nord. Alerté, Bennigsen
se replia promptement vers Königsberg, évitant tout enga-
gement majeur et multipliant les combats d’arrière-garde.
À deux reprises (Jonkowo et Landsberg), Napoléon pensa
tenir la bataille tant recherchée, mais les Russes se défi-
lèrent de nouveau. Cette stratégie, l’Empereur la retrouvera
cinq ans plus tard, durant la campagne de Russie. Persuadé
que Bennigsen ne s’arrêterait pas avant Königsberg, Napo-
léon n’estima plus nécessaire de garder concentrées l’en-
semble de ses forces et ordonna au 6ecorps de Ney de
poursuivre ce qu’il restait de l’armée prussienne, dont il
ignorait la position exacte. Cette décision fut lourde de
conséquences. Deux
j o u r s p l u s t a r d ,
Bennigsen accepta
de livrer bataille à
Eylau, et Ney, trop
éloigné, ne put
arriver qu’en fin de
journée, trop tard pour peser sur les combats. Cette bataille
indécise obligea les deux armées à bout de souffle à prendre,
enfin, leurs cantonnements d’hiver.
Napoléon sortit terriblement affaibli de cette campagne,
brève mais usante. Son armée n’était plus capable de
reprendre l’offensive avant le printemps, et un repli derrière
la Vistule fut envisagé. Tous les acquis de la manœuvre de
Pultusk seraient alors perdus. Plus grave, l’Empereur n’avait
pas été capable de battre les Russes dans une bataille rangée,
et ne semblait plus invincible. L’Autriche pouvait être tentée
de prendre sa revanche. Au grand désespoir de Bennigsen,
il n’en fut rien.
Le dernier acte de la campagne commença le 5 juin 1807,
avec l’offensive de Bennigsen contre le 6ecorps de Ney, à
Guttstadt, mais, pour le commandant de l’armée russe, la
seule chance de faire vaciller Napoléon n’avait pas été saisie
après Eylau. Sans espoir sur l’issue de la campagne, il reprit
d o n c : éviter tout engagement majeur, sauf sur des positions
défensives choisies à l’avance. Ce fut la bataille meurtrière
d ’ H e i l s b e rg, le 10 juin. Après ce nouvel échec pour détruire
l’armée russe, Napoléon modifia sa stratégie et décida de
manœuvrer sans chercher à percer les desseins d’un adver-
saire bien difficile à comprendre. Il dirigea une grande partie
de ses forces vers Königsberg. Si les Russes abandonnaient
leur allié, la Prusse perdrait sa dernière place forte. Si
Bennigsen volait à son secours, Napoléon disposerait de
s u f fisamment de forces pour l’aff r o n t e r. Contraint de marcher
vers Königsberg, le commandant de l’armée russe fit passer
son armée sur la rive gauche de l’Alle, à Friedland. Pour la
première fois, il fut obligé de livrer bataille sur le terrain
choisi par son adversaire et subit une cuisante défaite le
1 4 juin 1807. Quatre jours plus tard, il se repliait derrière
le Niémen. La paix fut signée le 7 juillet 1807. Jamais
Napoléon n’avait semblé aussi puissant. Pourtant, par bien
des aspects, la campagne de Pologne préfigurait celle de
Russie cinq ans plus tard.
* Docteur en histoire, Frédéric Naulet est spécialiste de l’artillerie.
Il est l’auteur d’un livre intitulé Antietam, le jour le plus sanglant de
la guerre de sécession (Economica, 2004). Il vient de publier deux
ouvrages aux éditions Economica : Eylau (8 février 1807), des Pultusk
aux neiges d’Eylau, et Friedland (14 juin 1807), la campagne de
Pologne, de Danzig aux rives du Niémen. Il est membre de la CFHM.
Les confé r ences de la CFHM
Eylau et Friedland: d’une campagne indécise au triomphe
par Frédéric Naulet*, le 12 janvier 2008